Language of document : ECLI:EU:T:2005:454

Document de travail

ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)

14 décembre 2005 (*)

« Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Incompatibilité du régime communautaire d’importation des bananes avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – Instauration par les États-Unis d’Amérique de mesures de rétorsion sous la forme d’une surtaxe douanière prélevée sur les importations en provenance de la Communauté en vertu d’une autorisation de l’OMC – Décision de l’organe de règlement des différends de l’OMC – Effets juridiques – Responsabilité de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes – Lien de causalité – Préjudice anormal et spécial »

Dans l’affaire T-135/01,

Giorgio Fedon & Figli SpA, établie à Vallesella di Cadore (Italie),

Fedon Srl, établie à Pieve d’Alpago (Italie),

Fedon America, Inc., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis),

représentées par Mes I. Van Bael, A. Cevese et  F. Di Gianni, avocats,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. S. Marquardt et F.  Ruggeri Laderchi, en qualité d’agents,

et

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. P. Kuijper, Mme E. Righini, MM. V. Di Bucci et B. Jansen, puis par M. Kuijper, Mme  Righini et M. Di Bucci, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties défenderesses,

ayant pour objet un recours en réparation du préjudice censé découler de la surtaxe douanière dont le prélèvement par les États-Unis d’Amérique sur les importations d’étuis à lunettes des requérantes a été autorisé par l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à la suite de la constatation de l’incompatibilité du régime communautaire d’importation des bananes avec les accords et les mémorandums annexés à l’accord instituant l’OMC,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (grande chambre),

composé de M. B. Vesterdorf, président, Mme P. Lindh, MM. J. Azizi, J. Pirrung, H. Legal, R. García-Valdecasas, Mme V. Tiili, MM. J. D. Cooke, A. W  H. Meij, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 mai 2004,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       Le 15 avril 1994, la Communauté a signé l’acte final concluant les négociations commerciales multilatérales du cycle de l’Uruguay, l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ainsi que l’ensemble des accords et des mémorandums figurant aux annexes 1 à 4 de l’accord instituant l’OMC (ci-après les « accords OMC »).

2       À la suite de cette signature, le Conseil a adopté la décision 94/800/CE, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).

3       Comme il ressort du préambule de l’accord instituant l’OMC, les parties contractantes ont entendu souscrire des accords « visant, sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels, à la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce et à l’élimination des discriminations dans les relations commerciales internationales ».

4       L’article II, paragraphe 2, de l’accord instituant l’OMC dispose :

« Les accords et instruments juridiques connexes repris dans les annexes 1, 2 et 3 […] font partie intégrante du présent accord et sont contraignants pour tous les membres ».

5       L’article XVI, intitulé « Dispositions diverses », de l’accord instituant l’OMC, dispose en son paragraphe 4 :

« Chaque membre assurera la conformité de ses lois, réglementations et procédures administratives avec ses obligations telles qu’elles sont énoncées dans les accords figurant en annexe ».

6       Par ailleurs, le mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (ci-après le « MRD »), qui figure en annexe 2 à l’accord instituant l’OMC, spécifie, au paragraphe 2, dernière phrase, de son article 3, intitulé « Dispositions générales » :

« Les recommandations et décisions de l’[organe de règlement des différends] ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés ».

7       Aux termes de l’article 3, paragraphe 7, du MRD :

« Avant de déposer un recours, un membre jugera si une action au titre des présentes procédures serait utile. Le but du mécanisme de règlement des différends est d’arriver à une solution positive des différends. Une solution mutuellement acceptable pour les parties et compatible avec les accords visés est nettement préférable. En l’absence d’une solution mutuellement convenue, le mécanisme de règlement des différends a habituellement pour objectif premier d’obtenir le retrait des mesures en cause, s’il est constaté qu’elles sont incompatibles avec les dispositions de l’un des accords visés. Il ne devrait être recouru à l’octroi d’une compensation que si le retrait immédiat de la mesure en cause est irréalisable, et qu’à titre temporaire en attendant le retrait de la mesure incompatible avec un accord visé. Le dernier recours que le [MRD] ouvre au membre qui se prévaut des procédures de règlement des différends est la possibilité de suspendre l’application de concessions ou l’exécution d’autres obligations au titre des accords visés, sur une base discriminatoire, à l’égard de l’autre membre, sous réserve que l’[organe de règlement des différends] l’y autorise ».

8       L’article 7 du MRD prévoit que des groupes spéciaux procèdent aux constatations propres à aider l’organe de règlement des différends (ci-après l’« ORD ») à formuler des recommandations ou à statuer sur les questions dont cet organe est saisi. Selon l’article 12, paragraphe 7, du MRD, dans les cas où les parties au différend ne parviennent pas à élaborer une solution mutuellement satisfaisante, le groupe spécial présente ses constatations sous la forme d’un rapport écrit à l’ORD.

9       L’article 17 du MRD prévoit l’institution par l’ORD d’un organe d’appel permanent chargé de connaître des appels concernant des affaires soumises aux groupes spéciaux.

10     Aux termes de l’article 19 du MRD, dans les cas où un groupe spécial ou l’organe d’appel conclut à l’incompatibilité d’une mesure avec un accord OMC, il recommande que le membre concerné rende celle-ci conforme à cet accord. Outre les recommandations qu’il fait, le groupe spécial ou l’organe d’appel peut suggérer au membre concerné des façons de mettre en œuvre ces recommandations.

11     Selon l’article 21, paragraphe 1, du MRD, intitulé « Surveillance de la mise en œuvre des recommandations et décisions », pour que les différends soient résolus efficacement dans l’intérêt de tous les membres, il est indispensable de donner suite dans les moindres délais aux recommandations ou aux décisions de l’ORD.

12     En vertu de l’article 21, paragraphe 3, du MRD, le membre concerné se trouvant dans l’impossibilité de se conformer immédiatement aux recommandations et aux décisions de l’ORD dispose d’un délai raisonnable, déterminé, le cas échant, par un arbitrage contraignant.

13     En cas de désaccord au sujet de l’existence ou de la compatibilité avec un accord OMC de mesures prises pour se conformer aux recommandations ou aux décisions de l’ORD, l’article 21, paragraphe 5, du MRD précise que ce différend est réglé suivant les procédures de règlement des différends définies par le MRD, y compris, dans tous les cas où cela est possible, avec recours au groupe spécial initial.

14     Selon l’article 21, paragraphe 6, du MRD, l’ORD tient sous surveillance la mise en œuvre des recommandations ou des décisions adoptées et, à moins que l’ORD n'en décide autrement, la question de la mise en œuvre des recommandations ou des décisions est inscrite à l’ordre du jour de la réunion de l’ORD après une période de six mois suivant la date à laquelle le délai raisonnable prévu au paragraphe 3 aura été fixé et demeure inscrite à l'ordre du jour des réunions de l'ORD jusqu’à ce qu’elle soit résolue.

15     L’article 22 du MRD, intitulé « Compensation et suspension de concessions », dispose :

« 1. La compensation et la suspension de concessions ou d’autres obligations sont des mesures temporaires auxquelles il peut être recouru dans le cas où les recommandations et décisions ne sont pas mises en oeuvre dans un délai raisonnable. Toutefois, ni la compensation ni la suspension de concessions ou d’autres obligations ne sont préférables à la mise en oeuvre intégrale d’une recommandation de mettre une mesure en conformité avec les accords visés. La compensation est volontaire et, si elle est accordée, elle sera compatible avec les accords visés.

2. Si le membre concerné ne met pas la mesure jugée incompatible avec un accord visé en conformité avec ledit accord ou ne respecte pas autrement les recommandations et décisions dans le délai raisonnable déterminé conformément au paragraphe 3 de l’article 21, ce membre se prêtera, si demande lui en est faite et au plus tard à l’expiration du délai raisonnable, à des négociations avec toute partie ayant invoqué les procédures de règlement des différends, en vue de trouver une compensation mutuellement acceptable. Si aucune compensation satisfaisante n’a été convenue dans les 20 jours suivant la date à laquelle le délai raisonnable sera venu à expiration, toute partie ayant invoqué les procédures de règlement des différends pourra demander à l’ORD l’autorisation de suspendre, à l’égard du membre concerné, l’application de concessions ou d’autres obligations au titre des accords visés.

3. Lorsqu’elle examinera les concessions ou autres obligations à suspendre, la partie plaignante appliquera les principes et procédures ci-après :

a)      le principe général est le suivant : la partie plaignante devrait d’abord chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations en ce qui concerne le(s) même(s) secteur(s) que celui (ceux) dans lequel (lesquels) le groupe spécial ou l’Organe d’appel a constaté une violation ou autre annulation ou réduction d’avantages ;

b)      si cette partie considère qu’il n’est pas possible ou efficace de suspendre des concessions ou d’autres obligations en ce qui concerne le(s) même(s) secteur(s), elle pourra chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations dans d’autres secteurs au titre du même accord ;

c)      si cette partie considère qu’il n’est pas possible ou efficace de suspendre des concessions ou d’autres obligations en ce qui concerne d’autres secteurs au titre du même accord, et que les circonstances sont suffisamment graves, elle pourra chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations au titre d’un autre accord visé ;

[...]

4. Le niveau de la suspension de concessions ou d’autres obligations autorisée par l’ORD sera équivalent au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages.

[…]

6. Lorsque la situation décrite au paragraphe 2 se produira, l’ORD accordera, sur demande, l’autorisation de suspendre des concessions ou d’autres obligations dans un délai de 30 jours à compter de l’expiration du délai raisonnable, à moins qu’il ne décide par consensus de rejeter la demande. Toutefois, si le membre concerné conteste le niveau de la suspension proposée, ou affirme que les principes et procédures énoncés au paragraphe 3 n’ont pas été suivis dans les cas où une partie plaignante a demandé l’autorisation de suspendre des concessions ou d’autres obligations […], la question sera soumise à arbitrage. Cet arbitrage sera assuré par le groupe spécial initial, si les membres sont disponibles, ou par un arbitre désigné par le directeur général, et sera mené à bien dans les 60 jours suivant la date à laquelle le délai raisonnable sera venu à expiration. Les concessions ou autres obligations ne seront pas suspendues pendant l’arbitrage.

7. L’arbitre, agissant en vertu du paragraphe 6, n’examinera pas la nature des concessions ou des autres obligations à suspendre, mais déterminera si le niveau de ladite suspension est équivalent au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages […] Les parties accepteront comme définitive la décision de l’arbitre et les parties concernées ne demanderont pas un second arbitrage. L’ORD sera informé dans les moindres délais de cette décision et accordera, sur demande, l’autorisation de suspendre des concessions ou d’autres obligations dans les cas où la demande sera compatible avec la décision de l’arbitre, à moins que l’ORD ne décide par consensus de rejeter la demande.

8. La suspension de concessions ou d’autres obligations sera temporaire et ne durera que jusqu’à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été éliminée, ou que le membre devant mettre en oeuvre les recommandations ou les décisions ait trouvé une solution à l’annulation ou à la réduction d’avantages, ou qu’une solution mutuellement satisfaisante soit intervenue. Conformément à [l’article 21, paragraphe 6, du MRD], l’ORD continuera de tenir sous surveillance la mise en oeuvre des recommandations ou décisions adoptées, y compris dans le cas où une compensation aura été octroyée ou dans les cas où des concessions ou d’autres obligations auront été suspendues, mais où des recommandations de mettre une mesure en conformité avec les accords visés n’auront pas été mises en œuvre.

[...] »

 Faits à l’origine du litige

16     Le 13 février 1993, le Conseil a adopté le règlement (CEE) nº 404/93, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci‑après l’« OCM bananes »). Le régime des échanges avec les États tiers établi par le titre IV de ce règlement prévoyait des dispositions préférentielles au profit des bananes originaires de certains États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) cosignataires de la quatrième convention ACP-CEE de Lomé du 15 décembre 1989 (JO 1991, L 229, p. 3).

17     Sur plaintes déposées en février 1996 devant l’ORD par plusieurs membres de l’OMC, dont l’Équateur et les États-Unis d’Amérique, le groupe spécial constitué conformément aux dispositions du MRD a remis, le 22 mai 1997, ses rapports concluant à l’incompatibilité du régime d’importation de l’OCM bananes avec les engagements assumés par la Communauté au titre des accords OMC. Les rapports établis par le groupe spécial ont également recommandé que l’ORD invite la Communauté à mettre ce régime en conformité avec les obligations lui incombant au titre des accords OMC.

18     Sur appel formé par la Communauté, l’organe d’appel permanent a, le 9 septembre 1997, confirmé en substance les conclusions du groupe spécial et recommandé que l’ORD invite la Communauté à mettre en conformité avec les accords OMC les dispositions communautaires litigieuses.

19     Le 25 septembre 1997, les rapports du groupe spécial et de l’organe d’appel ont été adoptés par l’ORD.

20     Le 16 octobre 1997, la Communauté a informé l’ORD, conformément à l’article 21, paragraphe 3, du MRD, qu’elle respecterait pleinement ses engagements internationaux.

21     Le 17 novembre 1997, les États plaignants ont demandé, en application de l’article 21, paragraphe 3, sous c), du MRD, qu’un arbitrage contraignant fixe le délai raisonnable dans lequel la Communauté devrait se conformer à ses obligations.

22     Par sentence arbitrale publiée le 7 janvier 1998, l’arbitre saisi a retenu à cet effet la période comprise entre le 25 septembre 1997 et le 1er janvier 1999.

23     En adoptant le règlement (CE) n° 1637/98, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 210, p. 28), le Conseil a amendé le régime des échanges de bananes avec les États tiers.

24     Le préambule du règlement n° 1637/98 relève :

« (1) […] il y a lieu d’apporter un certain nombre de modifications au régime des échanges avec les États tiers instauré par le titre IV du règlement […] n° 404/93 ;

(2) […] il convient de respecter les engagements internationaux souscrits par la Communauté dans le cadre de l’[OMC], ainsi que les engagements contractés vis‑à-vis des autres signataires de la quatrième convention ACP-CE de Lomé, tout en assurant la réalisation des objectifs de l’[OCM bananes ] ;

[…]

(9) […] il convient d’étudier le fonctionnement du présent règlement au terme d’une période d’expérimentation suffisante ;

[…] »

25     Le 28 octobre 1998, la Commission a adopté le règlement (CE) nº 2362/98, portant modalités d’application du règlement nº 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation des bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32). Ce texte comporte l’ensemble des dispositions nécessaires à la mise en œuvre du nouveau régime des échanges de bananes avec les États tiers, y compris les mesures transitoires justifiées par l’entrée en vigueur très rapprochée de ses modalités d’application.

26     Estimant que la Communauté avait instauré un régime d’importation des bananes conçu pour maintenir les éléments illégaux du régime précédent, en méconnaissance des accords OMC et de la décision du 25 septembre 1997 de l’ORD, les États-Unis d’Amérique ont publié dans le Federal Register, le 10 novembre 1998, la liste provisoire des produits originaires d’États membres de la Communauté qu’ils envisageaient de frapper, à titre de rétorsion, d’une surtaxe douanière à l’importation.

27     Les États-Unis d’Amérique ont annoncé, le 21 décembre 1998, leur intention d’appliquer, dès le 1er février 1999 ou, au plus tard, à partir du 3 mars 1999, des droits de douane au taux de 100 % sur les importations de produits communautaires figurant sur une liste établie par l’administration américaine.

28     Le 14 janvier 1999, les États-Unis d’Amérique ont demandé à l’ORD, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, du MRD, l’autorisation de suspendre l’application à la Communauté et à ses États membres de concessions tarifaires et d’obligations connexes au titre de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994 et de l’accord général sur le commerce des services (GATS), à raison d’un montant d’échanges commerciaux de 520 millions de dollars américains (USD).

29     Au cours d’une réunion de l’ORD qui s’est tenue du 25 janvier au 1er février 1999, la Communauté a contesté ce montant, au motif qu’il ne correspondait pas au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages subie par les États-Unis d’Amérique et a soutenu que les principes et les procédures définis par l’article 22, paragraphe 3, du MRD n’avaient pas été respectés.

30     Le 29 janvier 1999, l’ORD a décidé, à la demande de la Communauté, de soumettre cette question à l’arbitrage du groupe spécial initial, sur le fondement de l’article 22, paragraphe 6, du MRD, et a suspendu la demande d’autorisation des États-Unis d’Amérique jusqu’à la détermination du montant autorisé des droits à prélever à titre de mesure de rétorsion.

31     Le 3 mars 1999, l’administration américaine a imposé aux exportateurs communautaires de produits figurant sur une nouvelle liste établie par ses soins l’obligation de constituer une caution bancaire à hauteur de 100 % de la valeur des produits d’importation visés.

32     Par décision du 9 avril 1999, les arbitres ont, d’une part, estimé plusieurs dispositions du nouveau régime d’importation de l’OCM bananes contraires à des dispositions des accords OMC, fixé à 191,4 millions de USD par an le niveau de l’annulation ou de la réduction d’avantages subie par les États-Unis d’Amérique et, d’autre part, considéré que la suspension par ce pays de l’application à la Communauté et à ses États membres de concessions tarifaires et d’obligations connexes au titre du GATT de 1994 portant sur des échanges d’un montant maximal de 191,4 millions de USD par an serait compatible avec l’article 22, paragraphe 4, du MRD.

33     Le 7 avril 1999, les États-Unis d’Amérique ont demandé à l’ORD, en application de l’article 22, paragraphe 7, du MRD, l’autorisation de percevoir des droits de douane à l’importation à concurrence de ce montant.

34     Par un communiqué de presse du 9 avril 1999, le United States Trade Representative (le représentant spécial des États-Unis d’Amérique pour les questions commerciales, ci-après le « représentant spécial ») a annoncé la liste des produits grevés de droits de douane à l’importation au taux de 100 %. Dans cette liste de produits, originaires d’Autriche, de Belgique, de Finlande, de France, d’Allemagne, de Grèce, d’Irlande, d’Italie, du Luxembourg, du Portugal, d’Espagne, de Suède ou du Royaume-Uni, figuraient notamment les « articles de poche à surface extérieure en plastique ou renforcée de plastique ». Il était indiqué que le représentant spécial publierait la décision introduisant les droits de 100 % dans le Federal Register et qu’il avait l’intention de fixer la date de prise d’effet de leur prélèvement au 3 mars 1999.

35     Cette décision, publiée le 19 avril 1999 dans le Federal Register (volume 64, nº 74, p. 19209 à 19211), a été adoptée sur le fondement de la section 301 du Trade Act de 1974, aux termes duquel le représentant spécial prend les mesures autorisées s’il constate la violation des droits que les États-Unis d’Amérique tirent d’un accord commercial.

36     Il ressort de la rubrique « Date de prise d’effet » de la mesure précitée que « [le représentant spécial] a décidé que le droit ad valorem de 100 % serait appliqué, avec effet au 19 avril 1999, aux produits mis en consommation et ceux retirés d’un entrepôt en vue de leur mise en consommation, le 3 mars 1999 ou après cette date ».

37     Un groupe spécial constitué à la demande présentée par l’Équateur le 18 décembre 1998, conformément à l’article 21, paragraphe 5, du MRD, a également conclu, le 6 avril 1999, à l’incompatibilité du nouveau régime communautaire d’importation des bananes avec les dispositions des accords OMC. Le rapport du groupe spécial a été approuvé le 6 mai 1999 par l’ORD.

38     Le 19 avril 1999, l’ORD a autorisé les États-Unis d’Amérique à prélever sur les importations originaires de la Communauté des droits de douane à concurrence d’un montant annuel d’échanges de 191,4 millions de USD.

39     Le 25 mai 1999, la Communauté a contesté devant les instances de l’OMC les mesures de rétorsion américaines pour la période du 3 mars 1999 au 19 avril suivant, en raison notamment de leur prise d’effet au 3 mars 1999.

40     Considérant que l’entrée en vigueur de la surtaxe américaine à cette dernière date était contraire aux dispositions du MRD, le groupe spécial saisi par la Communauté a différé la date de prise d’effet de cette mesure au 19 avril 1999.

41     Dans le cadre de négociations avec toutes les parties intéressées, la Communauté a proposé des modifications à apporter à la nouvelle OCM bananes. Ces modifications ont été édictées par le règlement (CE) n° 216/2001 du Conseil, du 29 janvier 2001, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 31, p. 2).

42     Selon le préambule du règlement n° 216/2001 :

« (1) Des contacts nombreux et intenses ont été établis avec les pays fournisseurs ainsi qu’avec les autres parties concernées afin de mettre fin aux contestations soulevées par le régime d’importation établi par le règlement […] n° 404/93, et afin de tenir compte des conclusions du groupe spécial institué dans le cadre du système de règlement des différends de l’[OMC].

(2) L’analyse de toutes les options présentées par la Commission conduit à estimer que l’établissement, à moyen terme, d’un régime d’importation fondé sur l’application d’un droit de douane d’un taux approprié et l’application d’une préférence tarifaire pour les importations originaires des pays ACP présente les meilleures garanties pour, d’une part, réaliser les objectifs de l’organisation commune des marchés en ce qui concerne la production communautaire et la demande des consommateurs et, d’autre part, respecter les règles du commerce international, afin de prévenir de nouvelles contestations.

(3) L’instauration d’un tel régime doit, toutefois, intervenir au terme de négociations avec les partenaires de la Communauté selon les procédures de l’OMC, en particulier de l’article XXVIII [du GATT …] Le résultat de ces négociations doit être soumis pour approbation au Conseil qui doit également, conformément aux dispositions du traité, fixer le taux du tarif douanier commun applicable.

(4) Jusqu’à l’entrée en vigueur de ce régime, il convient d’approvisionner la Communauté dans le cadre de plusieurs contingents tarifaires, ouverts pour des importations de toutes origines, aménagés en tenant compte des recommandations faites par l’[ORD …]

(5) Compte tenu des obligations contractées à l’égard des pays ACP et de la nécessité de leur garantir des conditions de compétitivité adéquates, l’application à l’importation des bananes originaires de ces pays d’une préférence tarifaire de 300 euros par tonne doit permettre de maintenir les flux commerciaux en cause. Cela conduit, en particulier, à l’application, pour ces importations, d’un droit zéro dans le cadre des […] contingents tarifaires.

(6) Il convient d’autoriser la Commission à ouvrir des négociations avec les pays fournisseurs ayant un intérêt substantiel à l’approvisionnement du marché de la Communauté pour tenter d’opérer une répartition négociée des deux premiers contingents tarifaires […] »

43     Le 11 avril 2001, les États-Unis d’Amérique et la Communauté ont conclu un mémorandum d’accord définissant « les moyens qui peuvent permettre de régler le différend de longue date concernant le régime d’importation des bananes » dans la Communauté. Ce mémorandum prévoit que la Communauté s’engage à « [mettre] en place un régime uniquement tarifaire pour les importations de bananes au plus tard le 1er janvier 2006 ». Ce document définit les mesures que la Communauté s’engage à prendre au cours de la période intérimaire expirant au 1er janvier 2006. En contrepartie, les États-Unis d’Amérique se sont engagés à suspendre provisoirement l’imposition de la surtaxe douanière qu’ils étaient autorisés à prélever sur les importations communautaires. Les États-Unis d’Amérique ont toutefois précisé, par communication du 26 juin 2001 à l’ORD, que ce mémorandum d’accord « ne constitu[ait] pas en lui-même une solution convenue d’un commun accord conformément à l’article [3, paragraphe 6, du MRD et que,] en outre, compte tenu des mesures que toutes les parties ont encore à prendre, il serait aussi prématuré de retirer ce point de l’ordre du jour de l’ORD ».

44     Par règlement (CE) n° 896/2001, du 7 mai 2001, portant modalités d’application du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 126, p. 6), la Commission a défini les modalités d’application du nouveau régime communautaire d’importation des bananes introduit par le règlement n° 216/2001.

45     Les États-Unis d’Amérique ont suspendu l’application de leur surtaxe douanière avec effet au 30 juin 2001. À compter du 1er juillet 2001, leur droit à l’importation sur les articles de poche concernés en provenance de la Communauté a été ramené à son taux initial de 4,6 %.

46     Il ressort des statistiques produites par la Commission à la demande du Tribunal que la valeur totale caf (coût, assurance et fret) des importations d’origine communautaire aux États-Unis des articles de poche concernés s’est élevée à 26 823 846 USD en 1998, à 19 000 442 USD en 1999, à 10 135 069 USD en 2000 et, enfin, à 11 367 275 USD en 2001.

47     Les requérantes exercent leurs activités dans le secteur des étuis à lunettes et des produits accessoires relevant de la catégorie des articles de poche concernés.

 Procédure

48     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juin 2001, les requérantes ont introduit le présent recours en réparation du préjudice censé découler de la surtaxe douanière américaine.

49     Sur demande de la Commission introduite en vertu de l’article 51, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement de procédure, la présente affaire a été renvoyée devant une chambre élargie, composée de cinq juges, par décision du Tribunal du 4 juillet 2002.

50     L’affaire a été réattribuée à la première chambre élargie, le 7 octobre 2002, en vertu de la décision du Tribunal du 4 juillet 2002, relative à la composition des chambres et à l’attribution des affaires à celles-ci.

51     À la suite de l’empêchement du juge rapporteur initialement désigné, en raison de la cessation de ses fonctions, le président du Tribunal a, par décision du 13 décembre 2002, nommé un nouveau juge rapporteur.

52     Le 1er avril 2004, le Tribunal, les parties entendues, a décidé de renvoyer devant la grande chambre du Tribunal la présente affaire, ainsi que cinq autres affaires connexes.

53     Par décision du 19 mai 2004, le président de la grande chambre, les parties entendues, a joint ces six affaires aux fins de la procédure orale.

54     Au titre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties à répondre par écrit à une série de questions avant l’audience. Les parties ont régulièrement produit les informations requises.

55     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience de la grande chambre qui s’est déroulée le 26 mai 2004.

 Conclusions des parties

56     Dans leur requête, les requérantes ont conclu à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       condamner la Communauté à réparer le dommage subi par elles à concurrence d’un montant de 2 289 242,07 euros (4 432 590 743 lires italiennes) ou de tout autre montant jugé raisonnable, à parfaire en cours d’instance, majoré des intérêts au taux légal italien à compter du paiement effectif à l’administration des douanes américaine de 95,4 % de la valeur des marchandises importées, jusqu’au paiement du solde, ainsi que les intérêts moratoires un taux de 8 %, en cas de retard de paiement de la somme réclamée ;

–       condamner la Communauté aux dépens ;

–       ordonner toute autre mesure que commanderait l’équité.

57     Les parties défenderesses concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme irrecevable ou, subsidiairement, comme non fondé ;

–       condamner les requérantes aux dépens.

 Sur la recevabilité

58     Sans soulever une exception formelle au titre de l’article 114 du règlement de procédure, les parties défenderesses font observer que le recours est irrecevable en raison du défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, d’une part, et du défaut de compétence du Tribunal, d’autre part.

 Sur le défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

 Arguments des parties

59     Selon le Conseil, la requête ne permet pas de déterminer si le comportement reproché aux institutions consiste dans l’adoption du règlement n° 1637/98 en méconnaissance de la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 ou en l’absence d’adoption de mesures postérieurement à la décision de l’ORD du 9 avril 1999 et à celle rendue par le groupe spécial constitué à la demande de l’Équateur. Si un requérant doit démontrer l’illégalité d’une action, il lui incomberait, dans l’hypothèse d’une omission, d’établir l’existence d’une obligation des institutions communautaires d’agir à son égard.

60     Les requérantes estiment au contraire avoir établi que la responsabilité de la Communauté découlait du défaut d’adoption, dans les délais impartis, de règles conformes aux principes de l’OMC. Peu importerait que le comportement incriminé consiste dans l’adoption des règlements contestés ou dans le défaut de leur adaptation aux règles de l’OMC.

 Appréciation du Tribunal

61     En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels il se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même.

62     Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant, comme en l’occurrence, à la réparation de dommages prétendument causés par des institutions communautaires doit contenir les éléments permettant d’identifier tant le comportement que le requérant reproche à ces institutions que les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre ce comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi (arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II‑125, points 29 et 30).

63     Comme il ressort de leur argumentation, les requérantes soutiennent avoir subi un préjudice du fait de l’absence d’adoption par les institutions défenderesses de modifications du régime communautaire d’importation des bananes de nature à mettre celui-ci, dans les délais impartis par l’ORD, en conformité avec les engagements assumés par la Communauté au titre des accords OMC.

64     La requête contient ainsi, contrairement à ce que soutient le Conseil, les éléments permettant d’identifier le comportement des institutions défenderesses que celles-ci considèrent comme étant à l’origine de leur préjudice.

65     Il ressort d’ailleurs de l’argumentation développée par le Conseil sur le bien-fondé du recours qu’il a pu utilement préparer sa défense sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Il s’ensuit que le Tribunal est en mesure de statuer sur le présent recours en pleine connaissance de cause des éléments du dossier et dans le respect du principe du contradictoire.

66     Il y a donc lieu de rejeter le grief tiré par le Conseil du défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

 Sur la compétence du Tribunal

 Arguments des parties

67     La Commission soutient qu’un recours en indemnité doit viser l’acte ou l’omission d’une institution communautaire et demander la réparation du dommage en découlant, la compétence du juge communautaire ne pouvant dépendre uniquement des prétentions formelles des requérantes.

68     En l’espèce, le dommage censé procéder de la surtaxe douanière américaine ne saurait être imputé aux parties défenderesses, eu égard, précisément, à l’indépendance et à l’autonomie d’action des États-Unis d’Amérique. La Cour aurait déclaré irrecevables des recours introduits contre la Communauté en réparation de dommages prétendument causés par les institutions communautaires, alors que les décisions à l’origine des dommages avaient été prises, en toute indépendance, par les autorités des États membres (arrêt de la Cour du 7 juillet 1987, Étoile commerciale et CNTA/Commission, 89/86 et 91/86, Rec. p. 3005, points 18 à 20). Dans ces conditions, le Tribunal ne saurait se déclarer compétent pour statuer sur le présent recours.

69     Les requérantes objectent qu’il existe, entre le comportement des défenderesses et le dommage subi du fait de la surtaxe douanière américaine, un lien suffisamment direct au sens de la jurisprudence communautaire. Bien que les États-Unis d’Amérique eussent pu réagir différemment, il n’en demeurerait pas moins que leur attitude a été causée par le comportement de la Communauté.

 Appréciation du Tribunal

70     Les dispositions combinées de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE donnent compétence au juge communautaire pour connaître des recours tendant à la réparation de dommages causés par les institutions communautaires ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions.

71     En l’occurrence, les requérantes demandent la réparation du dommage qu’elles auraient subi en raison de la majoration des droits à l’importation imposés sur leurs produits par les autorités des États-Unis d’Amérique, conformément à l’autorisation donnée par l’ORD à la suite de la constatation de l’incompatibilité avec les accords OMC du régime communautaire d’importation des bananes.

72     Le recours est fondé sur la responsabilité non contractuelle de la Communauté, engagée, selon les requérantes, à raison du fait que la cause du dommage subi par elles est à rechercher dans l’édiction par le Conseil et la Commission d’une réglementation qui a été considérée par l’ORD comme incompatible avec les accords OMC.

73     Le Tribunal est par conséquent compétent pour connaître, au titre de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE, de la présente demande en indemnité qui, à la différence de la situation prévalant dans l’arrêt Étoile commerciale et CNTA/Commission, point 68 supra, qu’invoque la Commission, ne vise pas exclusivement, comme fondement de la responsabilité, la décision d’un organisme national.

74     Certes, l’engagement de la responsabilité de la Communauté suppose, de jurisprudence constante, l’imputabilité du dommage allégué au comportement des institutions communautaires. Toutefois, il s’agit là d’une condition de fond, qui doit être vérifiée dans le cadre du contrôle du caractère suffisamment direct du lien de causalité entre le dommage allégué et le comportement des institutions et qui ne permet pas d’écarter la compétence du Tribunal, dès lors qu’est alléguée l’imputabilité du dommage au comportement des institutions communautaires.

75     Il y a donc lieu de rejeter l’argumentation développée par la Commission au sujet de l’incompétence du Tribunal, sans préjudice de l’appréciation qui sera faite du lien de causalité entre le comportement du Conseil et de la Commission et le dommage allégué, dans le cadre de l’examen du respect des conditions de l’engagement de la responsabilité non contractuelle.

76     Dans ces conditions, il convient de déclarer le recours recevable.

 Sur le fond

77     La demande indemnitaire des requérantes est principalement fondée sur le régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en raison du comportement illicite de ses organes. Les requérantes demandent également le bénéfice de l’application par analogie du régime de la responsabilité non contractuelle applicable aux États membres en cas de violation de leurs obligations communautaires constatée par la Cour en vertu de l’article 226 CE. Enfin, les requérantes invoquent le régime de la responsabilité non contractuelle que la Communauté pourrait encourir même en l’absence de comportement illicite de ses organes.

 Sur la responsabilité de la Communauté pour comportement illicite de ses organes

78     Il convient de rappeler au préalable que, comme il résulte d’une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

79     Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, points 19 et 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37).

80     Le comportement illégal reproché à une institution communautaire doit consister en une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42).

81     Le critère décisif permettant de considérer que cette exigence est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation.

82     Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134, et du 10 février 2004, Afrikanische Frucht-Compagnie et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Conseil et Commission, T‑64/01 et T‑65/01, Rec. p. II-521, point 71).

83     C’est sous le bénéfice de ces observations qu’il convient d’examiner la demande indemnitaire des requérantes.

 Arguments des parties

–       Sur les illégalités reprochées aux institutions défenderesses

84     Les requérantes estiment que le dommage qu’elles ont subi en raison de l’introduction de la surtaxe douanière américaine procède en réalité du maintien par la Communauté du régime communautaire d’importation des bananes jugé par l’ORD contraire aux accords OMC, en dépit des modifications introduites par les règlements n° 1637/98 et n° 2362/98.

85     Les requérantes considèrent que la Communauté aurait, de ce fait, méconnu le principe pacta sunt servanda. Dès lors qu’elle doit exercer ses compétences dans le respect du droit international, la Communauté aurait, en violation de l’article 300, paragraphe 7, CE, méconnu le délai de quinze mois qui lui avait été imparti pour rendre l’OCM bananes originaire conforme aux accords OMC.

86     Les défenderesses auraient également contrevenu aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. Le versement par les requérantes des droits de douane à hauteur de 4,6 % aurait cristallisé une situation favorable que les États-Unis d’Amérique n’auraient pas remise en cause sans raison ou de manière unilatérale. La confiance légitime des requérantes ne résiderait pas dans le maintien des concessions tarifaires négociées par les États-Unis d’Amérique mais dans la certitude juridique de ne pas être amenées à payer les conséquences d’une conduite illégale des institutions défenderesses dans un secteur d’activité complètement différent du leur.

87     Le Conseil et la Commission auraient encore méconnu le droit de propriété et d’initiative économique des requérantes, protégé par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950. En raison du non-respect par la Communauté des recommandations et des décisions de l’ORD, les requérantes auraient été contraintes d’acquitter des droits de douane prohibitifs et de procéder à une restructuration de leurs installations.

88     Enfin, les défenderesses auraient méconnu le principe de bonne administration. Au lieu d’attendre des années avant de se conformer aux règles de l’OMC, la Communauté aurait dû agir aussi vite que possible, pour éviter les contre-mesures américaines.

89     Les institutions défenderesses estiment avoir agi en conformité avec les règles de l’OMC. L’allégation des requérantes selon laquelle la Communauté aurait violé les principes de l’OMC en ne mettant pas pleinement dans le délai imparti le régime communautaire d’importation des bananes en conformité avec les principes de l’OMC ne correspondrait pas à la réalité juridique des accords OMC.

90     Un opérateur économique ne saurait faire valoir un droit acquis ni même une confiance légitime dans le maintien d’une situation susceptible d’être modifiée par des décisions adoptées par les institutions communautaires dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation. On ne saurait qualifier les termes du MRD ou la liste des concessions des États-Unis d’Amérique d’assurances « précises » ou d’espérances « fondées » de la part de la Communauté. Les États-Unis d’Amérique auraient été autorisés par l’ORD à procéder suivant l’une des modalités prévues par le MRD pour rétablir l’équilibre des échanges de concessions entre membres de l’OMC.

91     Aucun acte susceptible d’enfreindre les droits fondamentaux des requérantes à la propriété privée et à l’initiative économique privée  n’aurait été adopté. En outre, une atteinte au droit de propriété serait exclue en l’occurrence du fait de son caractère non substantiel et les requérantes n’auraient fourni aucun élément étayant leurs allégations.

92     Les défenderesses n’auraient pas davantage méconnu le principe de bonne administration, car, avant même l’application des droits de douane majorés, la Commission aurait négocié avec tous les membres concernés de l’OMC pour trouver une solution généralement acceptable. La Commission aurait ensuite essayé d’obtenir des États-Unis d’Amérique des compensations en termes d’accès de produits américains au marché communautaire, afin d’éviter précisément un retrait de concessions unilatéral. La Commission aurait proposé et le Conseil aurait approuvé en temps utile une modification de l’OCM bananes dans le délai de quinze mois imparti par l’ORD. À la suite des conclusions de l’ORD estimant ces modifications insuffisantes, une nouvelle modification de la réglementation communautaire aurait été rapidement proposée et approuvée, si bien que les autorités américaines auraient suspendu le prélèvement de leur surtaxe.

–       Sur la nature juridique des normes prétendument méconnues par les défenderesses

93     Les requérantes font observer que, même si l’on devait considérer que les accords OMC ne déploient pas d’effet direct, une telle propriété devrait en revanche être reconnue à la décision de l’ORD qui a condamné la Communauté. La Cour aurait reconnu sa compétence pour contrôler la légalité de l’action des institutions communautaires lorsque, comme en l’espèce, elles ont entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre du GATT.

94     Les défenderesses rétorquent que tant les accords OMC que les décisions de l’ORD ne peuvent être invoqués devant le juge communautaire La Cour n’aurait reconnu à un particulier le droit d’invoquer les règles du GATT de 1947 pour remettre en cause la légalité d’un règlement communautaire qu’en raison de la nature particulière de celui-ci et de la qualité du requérant au regard de ce même acte (arrêt de la Cour du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, Rec. p. I‑2069).

95     Tel ne serait pas le cas en l’espèce. Ni le règlement n° 404/93 ni le règlement modificatif n° 1637/98 n’auraient été adoptés pour effectuer la transposition des règles de fond de l’OMC dans l’ordre juridique communautaire. Aucun de ces deux actes ou des autres règlements régissant l’OCM bananes ne contiendrait un renvoi exprès à des dispositions précises des accords OMC.

96     La jurisprudence exclurait que les rapports du groupe spécial et de l’organe d’appel permanent invoqués par les requérantes aient pu contenir des obligations particulières auxquelles la Commission, en adoptant le règlement n° 2362/98, aurait entendu donner exécution au sens de la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 20 mars 2001, Bocchi Food Trade International/Commission, T‑30/99, Rec. p. II‑943, point 64).

–       Sur la gravité des violations alléguées

97     Les requérantes soutiennent que les violations commises par les défenderesses sont suffisamment caractérisées pour pouvoir engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. En l’occurrence, la Communauté n’aurait disposé d’aucun pouvoir d’appréciation discrétionnaire pour maintenir en vigueur, sans adaptations substantielles, un régime d’importation des bananes contraire aux accords OMC.

98     La violation du droit de l’OMC et, partant, la méconnaissance du droit communautaire se seraient prolongées au-delà du délai de quinze mois imparti à la Communauté pour adapter sa réglementation. Les États-Unis d’Amérique auraient été contraints de recourir à l’unique solution dont ils disposaient pour sanctionner la violation par la Communauté de ses obligations au titre de l’OMC.

99     Les défenderesses objectent que, depuis la constatation, en avril 1999, de l’incompatibilité du règlement n° 1637/98 avec les accords OMC, la Communauté a poursuivi ses efforts pour se conformer à toutes ses obligations internationales, en entamant immédiatement des négociations avec toutes les parties intéressées et en proposant de modifier à nouveau le régime communautaire d’importation des bananes. Le maintien de celui-ci s’inscrirait parfaitement dans la logique du système de négociation et d’équilibrage de l’OMC, car il constituerait l’expression matérielle d’une des possibilités explicitement mentionnées et réglementées par le MRD.

100   La Cour aurait justement souligné le rôle joué par la suspension des concessions dans le système de règlement des différends de l’OMC et le pouvoir d’appréciation corrélatif qui permet aux membres de cette organisation de se démarquer de leurs obligations conventionnelles, ne fût-ce que temporairement (arrêt de la Cour du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C‑149/96, Rec. p. I‑8395, points 37 à 40).

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la question préalable de l’invocabilité des règles de l’OMC

101   Avant de procéder à l’examen de la légalité du comportement des institutions communautaires, il convient de trancher la question de savoir si les accords OMC engendrent pour les justiciables de la Communauté le droit de s’en prévaloir en justice en vue de contester la validité d’une réglementation communautaire, dans l’hypothèse où l’ORD a déclaré que tant celle-ci que la réglementation subséquente adoptée par la Communauté, en vue notamment de se conformer aux règles de l’OMC en cause, étaient incompatibles avec ces dernières.

102   Les requérantes invoquent à cet égard le principe pacta sunt servanda, qui figure effectivement au nombre des règles de droit dont le respect s’impose aux institutions communautaires dans l’exercice de leurs attributions, en tant que principe fondamental de tout ordre juridique et, en particulier, de l’ordre juridique international (arrêt de la Cour du 16 juin 1998, Racke, C‑162/96, Rec. p. I‑3655, point 49).

103   Toutefois, le principe pacta sunt servanda ne peut être, en l’espèce, utilement opposé aux institutions défenderesses, étant donné que, selon une jurisprudence constante, les accords OMC ne figurent pas, en principe, compte tenu de leur nature et de leur économie, au nombre des normes au regard desquelles le juge communautaire contrôle la légalité de l’action des institutions communautaires (arrêt Portugal/Conseil, point 100 supra, point 47 ; ordonnance de la Cour du 2 mai 2001, OGT Fruchthandelsgesellschaft, C‑307/99, Rec. p. I‑3159, point 24 ; arrêts de la Cour du 12 mars 2002, Omega Air e.a., C‑27/00 et C‑122/00, Rec. p. I‑2569, point 93 ; du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, Rec. p. I‑79, point 53, et du 30 septembre 2003, Biret International/Conseil, C‑93/02 P, Rec. p. I‑10497, point 52).

104   En effet, d’une part, l’accord instituant l’OMC est fondé sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels qui le distingue des accords conclus par la Communauté avec des États tiers qui instaurent une certaine asymétrie des obligations. Or, il est constant que certains des partenaires commerciaux les plus importants de la Communauté ne font pas figurer les accords OMC au rang des normes au regard desquelles leurs organes juridictionnels contrôlent la légalité de leurs règles de droit interne. Un contrôle de la légalité de l’action des institutions communautaires au regard de ces normes risquerait donc d’aboutir à un déséquilibre dans l’application des règles de l’OMC privant les organes législatifs ou exécutifs de la Communauté de la marge de manoeuvre dont jouissent les organes similaires des partenaires commerciaux de la Communauté (arrêt Portugal/Conseil, point 100 supra, points 42 à 46).

105   D’autre part, imposer aux organes juridictionnels l’obligation d’écarter l’application des règles de droit interne qui seraient incompatibles avec les accords OMC aurait pour conséquence de priver les organes législatifs ou exécutifs des parties contractantes de la possibilité, offerte par l’article 22 du MRD, de trouver, fût-ce à titre temporaire, des solutions négociées en vue de parvenir à une compensation mutuellement acceptable (arrêt Portugal/Conseil, point 100 supra, points 39 et 40).

106   Il s’ensuit que la violation éventuelle des règles de l’OMC par les institutions défenderesses n’est pas, en principe, susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté (arrêts du Tribunal du 20 mars 2001, Cordis/Commission, T‑18/99, Rec. p. II‑913, point 51 ; Bocchi Food Trade International/Commission, point 96 supra, point 56, et T. Port/Commission, T‑52/99, Rec. p. II‑981, point 51).

107   Ce n’est que dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC qu’il appartiendrait au Tribunal de contrôler la légalité du comportement des institutions défenderesses au regard des règles de l’OMC (voir, pour ce qui concerne le GATT de 1947, arrêts de la Cour du 22 juin 1989, Fediol/Commission, 70/87, Rec. p. 1781, points 19 à 22, et Nakajima/Conseil, point 94 supra, point 31, ainsi que, pour ce qui concerne les accords OMC, arrêts Portugal/Conseil, point 100 supra, point 49, et Biret International/Conseil, point 103 supra, point 53).

108   Or, même en présence d’une décision de l’ORD constatant l’incompatibilité des mesures prises par un membre avec les règles de l’OMC, aucune de ces deux exceptions ne trouve application en l’espèce.

–       Sur l’exception tirée de l’intention de donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC

109   En prenant l’engagement, après l’adoption de la décision de l’ORD du 25 septembre 1997, de se conformer aux règles de l’OMC, la Communauté n’a pas entendu assumer une obligation particulière dans le cadre de l’OMC, susceptible de justifier une exception à l’impossibilité d’invoquer les règles de l’OMC devant le juge communautaire et de permettre l’exercice par ce dernier du contrôle de la légalité du comportement des institutions communautaires au regard de ces règles.

110   Il est vrai que, par rapport au GATT de 1947, le MRD a renforcé le mécanisme de règlement des différends, en particulier s’agissant de l’adoption des rapports des groupes spéciaux.

111   Ainsi, l’article 3, paragraphe 7, du MRD souligne que le mécanisme de règlement des différends a habituellement pour objectif premier le retrait des mesures dont l’incompatibilité a été constatée avec les dispositions des accords OMC. De même, l’article 22, paragraphe 1, du MRD privilégie la mise en œuvre intégrale d’une recommandation de mettre une mesure en conformité avec les accords OMC.

112   En outre, aux termes de l’article 17, paragraphe 14, du MRD, un rapport de l’organe d’appel adopté, comme en l’espèce, par l’ORD est accepté sans condition par les parties au différend. Enfin, l’article 22, paragraphe 7, spécifie que celles-ci admettent le caractère définitif de la décision de l’arbitre déterminant le niveau de la suspension des concessions.

113   Il n’en demeure pas moins que le MRD réserve en tout état de cause une place importante à la négociation entre les membres de l’OMC parties à un différend (arrêt Portugal/Conseil, point 100 supra, points 36 à 40).

114   Le MRD ouvre ainsi au membre de l’OMC impliqué plusieurs modalités de mise en œuvre d’une recommandation ou d’une décision de l’ORD retenant l’incompatibilité d’une mesure avec les règles de l’OMC.

115   Lorsque le retrait immédiat de la mesure incompatible est irréalisable, le MRD envisage, en son article 3, paragraphe 7, la possibilité d’octroyer au membre lésé une compensation ou de l’autoriser à suspendre l’application de concessions ou l’exécution d’autres obligations à titre temporaire et en attendant le retrait de la mesure incompatible (voir arrêt Portugal/Conseil, point 100 supra, point 37).

116   Aux termes de l’article 22, paragraphe 2, du MRD, s’il manque à son obligation d’exécuter les recommandations et décisions de l’ORD dans le délai qui lui a été imparti, le membre de l’OMC mis en cause se prête, si la demande lui en est faite et au plus tard à l’expiration du délai, à des négociations avec le membre plaignant, en vue de trouver une compensation mutuellement acceptable.

117   Si aucune compensation satisfaisante n’a été convenue dans un délai de 20 jours suivant l’expiration du délai raisonnable prévu à l’article 21, paragraphe 3, du MRD pour la mise en conformité avec les règles de l’OMC, la partie plaignante peut demander à l’ORD l’autorisation de suspendre, à l’égard dudit membre, l’application de concessions ou d’autres obligations au titre des accords OMC.

118   Même à l’expiration du délai imparti pour mettre en conformité avec les règles de l’OMC la mesure déclarée incompatible et après l’autorisation et l’adoption de mesures de compensation ou de suspension de concessions en vertu de l’article 22, paragraphe 6, du MRD, une place importante reste réservée en tout état de cause à la négociation entre les parties au différend.

119   L’article 22, paragraphe 8, du MRD souligne ainsi le caractère temporaire de la suspension de concessions ou d’autres obligations et en limite la durée « jusqu’à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été éliminée ou que le membre devant mettre en œuvre les recommandations ou les décisions ait trouvé une solution à l’annulation ou à la réduction d’avantages ou qu’une solution mutuellement satisfaisante soit intervenue ».

120   Cette même disposition prévoit encore que, conformément à l’article 21, paragraphe 6, l’ORD continue de tenir sous surveillance la mise en œuvre des recommandations ou des décisions adoptées.

121   En cas de désaccord sur la compatibilité de mesures prises pour se conformer aux recommandations et aux décisions de l’ORD, l’article 21, paragraphe 5, du MRD prévoit que le différend sera réglé « suivant les présentes procédures de règlement des différends », ce qui inclut la recherche par les parties d’une solution négociée.

122   Ni l’expiration du délai imparti par l’ORD à la Communauté pour mettre son régime d’importation des bananes en conformité avec la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 ni la décision du 9 avril 1999 par laquelle les arbitres de l’ORD ont expressément constaté l’incompatibilité du nouveau dispositif d’importation des bananes établi par les règlements n° 1637/98 et n° 2362/98 n’ont emporté épuisement des modalités de règlement des différends ouvertes par le MRD.

123   Dans cette mesure, un contrôle par le juge communautaire de la légalité du comportement des institutions défenderesses au regard des règles de l’OMC pourrait avoir pour effet de fragiliser la position des négociateurs communautaires dans la recherche d’une solution mutuellement acceptable du différend et en conformité avec les règles de l’OMC.

124   Dans ces conditions, imposer aux organes juridictionnels l’obligation d’écarter l’application des règles de droit interne qui seraient incompatibles avec les accords OMC aurait pour conséquence de priver les organes législatifs ou exécutifs des parties contractantes de la possibilité, offerte notamment par l’article 22 du MRD, de trouver, fût-ce à titre temporaire, une solution négociée (arrêt Portugal/Conseil, point 100 supra, point 40).

125   C’est donc à tort que les requérantes infèrent des articles 21 et 22 du MRD une obligation à la charge du membre de l’OMC de se conformer, dans un délai déterminé, aux recommandations et aux décisions des organes de l’OMC et qu’elles soutiennent que les décisions de l’ORD sont exécutoires à moins que les parties contractantes à l’unanimité s’y opposent.

126   D’ailleurs, en amendant à nouveau, par son règlement n° 216/2001, le régime d’importation des bananes, le Conseil a poursuivi la mise en œuvre de la conciliation de divers objectifs divergents. Le préambule du règlement n° 216/2001 relève ainsi, en son considérant 1, que des contacts nombreux et intenses ont été établis afin, notamment, de « tenir compte des conclusions du groupe spécial » et, en son considérant 2, que le nouveau régime d’importation envisagé présente les meilleures garanties aussi bien « pour réaliser les objectifs de l’[OCM bananes] en ce qui concerne la production communautaire et la demande des consommateurs » que pour « respecter les règles du commerce international ».

127   C’est, en définitive, en contrepartie de l’engagement de la Communauté d’établir un régime uniquement tarifaire pour les importations de bananes avant le 1er janvier 2006 que les États-Unis d’Amérique ont accepté, aux termes du mémorandum d’accord intervenu le 11 avril 2001, de suspendre provisoirement l’imposition de leur surtaxe douanière.

128   Or, un tel résultat aurait pu être compromis par une intervention du juge communautaire consistant à contrôler, aux fins de l’indemnisation du préjudice supporté par les requérantes, la légalité au regard des règles de l’OMC du comportement adopté en l’occurrence par les institutions défenderesses.

129   Il convient de relever à cet égard que, comme les États-Unis d’Amérique l’ont expressément souligné, le mémorandum d’accord du 11 avril 2001 ne constitue pas en lui-même une solution convenue d’un commun accord au sens de l’article 3, paragraphe 6, du MRD et que la question de la mise en œuvre par la Communauté des recommandations et des décisions de l’ORD demeurait inscrite, le 12 juillet 2001, soit postérieurement à l’introduction du présent recours, à l’ordre du jour de la réunion de l’ORD.

130   Il s’ensuit que les institutions défenderesses n’ont pas entendu, en modifiant le régime communautaire d’importation des bananes litigieux, donner exécution à des obligations particulières découlant des règles de l’OMC au regard desquelles l’ORD avait constaté l’incompatibilité dudit régime.

131   Au demeurant, il convient de relever à cet égard que, comme il ressort des considérants du règlement n° 1637/98, le Conseil a entendu en l’occurrence concilier, en tirant partie des diverses modalités de règlement des différends définies par le MRD, les engagements internationaux souscrits par la Communauté aussi bien dans le cadre de l’OMC que vis-à-vis des autres signataires de la quatrième convention de Lomé, tout en sauvegardant par ailleurs les objectifs de l’OCM bananes.

132   Cette intention est confirmée par l’article 20, sous e), du règlement n° 404/93, modifié par le règlement n° 1637/98. En tant qu’elle précise que les modalités que la Commission est habilitée à arrêter aux fins de l’application du titre IV du règlement n° 404/93, relatif au régime des échanges de bananes avec les pays tiers, comportent les mesures nécessaires pour respecter les obligations découlant des accords conclus par la Communauté en conformité avec l’article 300 CE, cette disposition englobe l’ensemble des engagements conventionnels souscrits, sans privilégier les obligations assumées par la Communauté dans le cadre des accords OMC.

133   En outre, le législateur communautaire s’est expressément réservé, au considérant 9 du règlement n° 1637/98, la possibilité d’étudier le fonctionnement de ce texte au terme d’une période d’expérimentation suffisante.

–       Sur l’exception fondée sur le renvoi exprès à des dispositions précises des accords OMC

134   L’OCM bananes, telle qu’elle a été instaurée par le règlement n° 404/93 et modifiée par la suite, ne peut être considérée comme renvoyant expressément à des dispositions précises des accords OMC (voir, en ce sens, ordonnance OGT Fruchthandelsgesellschaft, point 103 supra, point 28).

135   En particulier, il ne ressort pas du préambule des différents règlements modifiant le régime d’importation des bananes que le législateur communautaire se soit référé à des dispositions spécifiques des accords OMC, lorsqu’il a entendu mettre ce régime en conformité avec ces mêmes accords.

136   Ainsi, le règlement n° 2362/98 ne contient aucune référence expresse à des dispositions précises des accords OMC (arrêts Cordis/Commission, point 106 supra, point 59 ; Bocchi Food Trade International/Commission, point 96 supra, point 64, et T. Port/Commission, point 106 supra, point 59).

137   Il s’ensuit que, nonobstant l’intervention d’une constatation d’incompatibilité émanant de l’ORD, les règles de l’OMC ne constituent pas, en l’espèce, ni en raison d’obligations particulières auxquelles la Communauté aurait entendu donner exécution ni en raison d’un renvoi exprès à des dispositions précises, des normes au regard desquelles la légalité du comportement des institutions peut être appréciée.

138   Il résulte des développements qui précèdent que les requérantes ne sauraient utilement alléguer, aux fins de leur demande indemnitaire, que le comportement reproché au Conseil et à la Commission est contraire aux règles de l’OMC.

139   Les griefs tirés par les requérantes de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, de la méconnaissance du droit de propriété et d’initiative économique et, enfin, du non-respect du principe de bonne administration reposent tous sur la prémisse de la contrariété aux règles de l’OMC du comportement reproché aux institutions défenderesses.

140   Dès lors que ces règles ne figurent pas au nombre de celles au regard desquelles le juge communautaire contrôle la légalité du comportement des institutions communautaires, ces griefs doivent être, par voie de conséquence, également rejetés.

141   Il s’ensuit que le comportement des institutions défenderesses ne peut être regardé comme entaché d’illégalité, sans qu’il y ait lieu d’examiner l’argumentation des requérantes relative à la nature juridique des normes et des principes prétendument méconnus et à la gravité supposée de leurs violations.

142   Dès lors que l’illégalité du comportement reproché aux institutions défenderesses ne peut être établie, l’une des trois conditions cumulatives de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes n’est pas remplie.

143   Dans ces conditions, l’action indemnitaire des requérantes fondée sur ce régime de responsabilité doit être rejetée, sans qu’il soit besoin, dans ce cadre, d’examiner si sont réunies les deux autres conditions, relatives, respectivement, à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 14, et arrêt du Tribunal du 24 avril 2002, EVO/Conseil et Commission, T‑220/96, Rec. p. II‑2265, point 39).

 Sur l’application par analogie du régime de responsabilité non contractuelle des États membres

144   Les requérantes soutiennent en substance que la décision des arbitres du 9 avril 1999 autorisant les mesures de rétorsion à l’encontre des exportations communautaires est comparable à un arrêt de la Cour constatant, sur le fondement de l’article 226 CE, le manquement d’un État membre à ses obligations communautaires. Le juge communautaire serait donc conduit à reconnaître aux requérantes un droit à réparation du dommage découlant du comportement illégal des défenderesses (arrêts de la Cour du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C‑6/90 et C‑9/90, Rec. p. I‑5357, et du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029).

145   Les institutions défenderesses estiment inapplicable en l’espèce la jurisprudence de la Cour relative à la responsabilité non contractuelle des États membres pour violation de leurs obligations communautaires.

146   Il suffit pour le Tribunal de constater que, à supposer même que les recommandations et les décisions de l’ORD puissent être assimilées à des arrêts de la Cour, la demande indemnitaire des requérantes est fondée sur l’application par analogie à la Communauté d’un régime de responsabilité reposant sur la prémisse d’un comportement illégal des institutions défenderesses.

147   En l’absence d’une démonstration de l’illégalité du comportement reproché en l’espèce aux intéressées, une telle demande ne peut donc qu’être rejetée comme non fondée.

 Sur la responsabilité de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

 Sur le principe de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

–       Arguments des parties

148   Les requérantes estiment que, à supposer que les défenderesses aient pu licitement écarter les décisions de l’OMC, les conditions auxquelles la jurisprudence communautaire subordonne la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour les dommages causés par ses organes même en l’absence d’action illicite de ceux-ci sont en tout état de cause réunies, à savoir, la réalité du préjudice subi, le lien de causalité entre celui-ci et le comportement adopté par les institutions communautaires, ainsi que le caractère anormal et spécial de ce préjudice (arrêt du Tribunal du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, T‑184/95, Rec. p. II‑667, point 59, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, Rec. p. I‑4549).

149   Les défenderesses objectent que la juridiction communautaire n’a jamais admis à ce jour la possibilité d’une responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes. Le Conseil et la Commission doutent par ailleurs que le principe d’une telle responsabilité puisse être considéré comme un principe général commun aux droits des États membres. En tout état de cause, les requérantes ne rempliraient pas les conditions strictes de ce régime de responsabilité imposées par les ordres juridiques nationaux qui l’ont reconnu.

–       Appréciation du Tribunal

150   Lorsque, comme en l’espèce, l’illégalité du comportement imputé aux institutions communautaires n’est pas établie, il n’en résulte pas que les entreprises devant, en tant que catégorie d’opérateurs économiques, supporter une part disproportionnée des charges résultant d’une restriction de l’accès à des marchés d’exportation ne peuvent en aucun cas obtenir une compensation en engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 septembre 1987, De Boer Buizen/Conseil et Commission, 81/86, Rec. p. 3677, point 17).

151   En effet, l’article 288, deuxième alinéa, CE fonde l’obligation qu’il impose à la Communauté de réparer les dommages causés par ses institutions sur les « principes généraux communs aux droits des États membres », sans restreindre, par conséquent, la portée de ces principes au seul régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite desdites institutions.

152   Or, les droits nationaux de la responsabilité non contractuelle permettent aux particuliers, bien qu’à des degrés variables, dans des domaines spécifiques et selon des modalités différentes, d’obtenir en justice l’indemnisation de certains dommages, même en l’absence d’action illicite de l’auteur du dommage.

153   Dans l’hypothèse d’un dommage engendré par un comportement des institutions de la Communauté dont le caractère illégal n’est pas démontré, la responsabilité non contractuelle de la Communauté peut être engagée, dès lors que sont cumulativement remplies les conditions relatives à la réalité du préjudice, au lien de causalité entre celui-ci et le comportement des institutions communautaires, ainsi qu’au caractère anormal et spécial du préjudice en question (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 148 supra, point 19).

154   Il convient donc d’examiner si ces trois conditions sont réunies en l’espèce.

 Sur l’existence d’un préjudice réel et certain

–       Arguments des parties

155   Les requérantes allèguent avoir subi des pertes financières et un manque à gagner comprenant le montant de la surtaxe à l’importation qu’elles auraient acquitté directement de novembre 1999 à la fin du mois de juin 2001, les rabais octroyés à leurs clients à l’effet d’atténuer le préjudice supporté par ces derniers au titre du paiement de la surtaxe d’avril à octobre 1999, les coûts des restructurations de leurs sites entreprises pour soustraire leur production à l’emprise de la surtaxe à l’importation américaine et, enfin, une diminution de leurs chiffres d’affaires pendant toute la durée de validité de la surtaxe.

156   Les parties défenderesses contestent que la preuve du dommage allégué ait été valablement apportée et se refusent à qualifier de préjudice indemnisable les pertes dues aux mesures adoptées par les intéressées.

157   En outre, les requérantes ne sauraient sans contradiction imputer à la Communauté, au titre d’une seule et même période, le préjudice constitué par les remises à leurs clients et les opérations de restructuration, d’une part, et par la perte de clients américains, d’autre part.

158   Enfin, il n’aurait été nullement prouvé que les remises accordées aux clients américains ne relevaient pas des habitudes commerciales et qu’il n’était pas possible de négocier une révision des prix. L’impossibilité alléguée de reporter, au moins pour partie, le coût des droits majorés sur les clients américains n’emporterait pas la conviction. Enfin, les requérantes auraient pu limiter les conséquences de la surtaxe douanière en exportant vers d’autres marchés ou en apportant de légères modifications à leurs produits de façon à en changer la classification douanière.

–       Appréciation du Tribunal

159   Il ressort de leur argumentation que les institutions défenderesses ne contestent pas dans son principe le caractère réel et certain du dommage subi par les requérantes à la suite de l’instauration de la surtaxe douanière américaine.

160   Dans la mesure où ils suggèrent que les requérantes auraient pu limiter les conséquences de la surtaxe douanière en trouvant d’autres débouchés que le marché américain ou en modifiant leurs produits de façon à en changer la classification douanière par l’administration américaine, le Conseil et la Commission admettent même implicitement que les requérantes ont dû, à tout le moins, nécessairement supporter un préjudice commercial en raison du renchérissement incontestable de leurs produits provoqué sur le marché des États‑Unis par le relèvement soudain à 100 % des droits à l’importation ad valorem américains.

161   D’ailleurs, les statistiques produites par la Commission corroborent les allégations des requérantes, puisqu’elles démontrent incontestablement une chute sensible de la valeur totale des importations aux États-Unis des articles de poche concernés en provenance de la Communauté.

162   Dans cette mesure, le Tribunal considère que la condition relative au caractère réel et certain du préjudice subi par les requérantes est remplie.

 Sur le lien de causalité entre le préjudice subi et le comportement des institutions défenderesses

–       Arguments des parties

163   Les requérantes considèrent que le gouvernement des États-Unis d’Amérique n’aurait jamais majoré ses droits à l’importation s’il n’y avait été autorisé par l’OMC à la suite du manquement de la Communauté à ses obligations découlant des accords OMC. Aussi la réaction américaine aurait-elle été la conséquence objectivement prévisible de cette violation.

164   Le gouvernement américain aurait invoqué cette méconnaissance par la Communauté de ses obligations découlant des accords OMC pour justifier l’instauration de la surtaxe douanière. L’intention des États-Unis d’Amérique de majorer leurs droits à l’importation et la liste des produits grevés auraient été parfaitement connues. Il aurait été acquis que les entreprises communautaires seraient frappées d’une surtaxe douanière, en l’absence de mise en conformité de l’OCM bananes avec les accords OMC.

165   La faculté éventuellement ouverte aux États-Unis d’Amérique de réagir différemment au comportement de la Communauté n’affecterait aucunement le fait que leur réaction a été en tout état de cause provoquée par le comportement des institutions défenderesses.

166   Les parties défenderesses estiment que la relation causale au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE devant exister entre leur comportement et le préjudice des requérantes devrait être directe et déterminante, en ce sens que le dommage devrait résulter directement de la conduite des institutions communautaires et ne pas dépendre de l’intervention d’autres causes, positives ou négatives (ordonnance du Tribunal du 12 décembre 2000, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, T‑201/99, Rec. p. II‑4005, point 26).

167   Ces conditions ne seraient nullement remplies en l’occurrence. Il ne ferait aucun doute que la cause directe, immédiate et exclusive du dommage allégué est constituée par le relèvement par les États-Unis d’Amérique de leurs droits à l’importation et que l’existence de cette cause dominante est de nature à exclure tout lien de causalité entre le comportement des institutions défenderesses et le préjudice.

168   Il se déduirait de l’article 22, paragraphe 2, du MRD que la suspension des concessions n’est pas une conséquence nécessaire de la non-exécution pleine et entière par un membre des recommandations et des décisions de l’ORD dans un délai raisonnable. Seuls deux des cinq membres de l’OMC à l’origine des plaintes dirigées contre le régime communautaire d’importation des bananes, à savoir l’Équateur et les États-Unis d’Amérique, auraient obtenu l’autorisation de suspendre leurs concessions et seuls les États-Unis d’Amérique en auraient fait usage.

169   La solution même du différend, à savoir la conclusion d’un accord prévoyant la gestion des contingents en dérogation à l’article XIII du GATT, confirmerait l’absence de tout automatisme entre les constatations de l’ORD et le retrait des concessions.

170   Les mesures de rétorsion américaines auraient grevé les étuis à lunettes parmi des milliers de produits susceptibles d’être frappés d’un relèvement tarifaire. Les autorités américaines auraient pu choisir des produits différents, sans que la Communauté ait eu la moindre influence sur ce choix. Les États-Unis d’Amérique auraient exempté les produits visés originaires de certains États membres de la Communauté. Enfin, le relèvement des droits à l’importation de 4,6 à 100 % aurait été fixé librement et de façon autonome par le gouvernement américain.

–       Appréciation du Tribunal

171   Les principes communs aux droits des États membres auxquels renvoie l’article 288, deuxième alinéa, CE ne sauraient être invoqués au soutien de l’existence d’une obligation incombant à la Communauté de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, de comportements de ses organes (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, Rec. p. I‑359, point 25 ; ordonnance Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, point 166 supra, point 26).

172   En effet, la condition relative au lien de causalité exigée par l’article 288, deuxième alinéa, CE suppose l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement des institutions communautaires et le dommage (arrêt Dumortier e.a./Conseil, point 171 supra, point 21 ; arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec. p. II‑3331, point 118, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine, C‑472/00 P, Rec. p. I‑7541).

173   Il est certes vrai que les États-Unis d’Amérique ont été, à leur demande, simplement autorisés par l’ORD, sans y être tenus, à procéder au retrait de concessions sous la forme du relèvement de leurs droits grevant les importations de produits originaires de la Communauté. Même après avoir obtenu cette autorisation, le gouvernement américain conservait la faculté de poursuivre le règlement du différend l’opposant à la Communauté sans arrêter de mesures de rétorsion à l’encontre de celle-ci.

174   C’est également dans l’exercice d’une faculté de choix discrétionnaire que l’administration américaine a, d’une part, décidé de frapper les étuis à lunettes de sa mesure de rétorsion, dont elle a elle-même exonéré les articles originaires de certains États membres de la Communauté, et, d’autre part, fixé à 95,4 % le taux de majoration des droits à l’importation grevant les produits concernés.

175   Il n’en demeure pas moins que, en l’absence du régime communautaire d’importation des bananes litigieux et d’une constatation préalable par l’ORD de son incompatibilité avec les règles de l’OMC, les États-Unis d’Amérique n’auraient pu ni solliciter ni obtenir de l’ORD l’autorisation de suspendre leurs concessions tarifaires sur des produits originaires de la Communauté à concurrence du niveau de l’annulation ou de la réduction d’avantages procédant du maintien du régime communautaire litigieux.

176   C’est, en effet, en fonction du montant du préjudice subi par l’économie américaine du fait du régime communautaire d’importation des bananes jugé incompatible avec les règles de l’OMC que l’ORD a déterminé le montant d’échanges à concurrence duquel l’administration américaine a été autorisée à suspendre ses concessions tarifaires à l’égard de la Communauté.

177   Dans ces conditions, le retrait des concessions à l’égard de la Communauté prenant la forme de la surtaxe douanière à l’importation est à regarder comme une conséquence découlant objectivement, selon le déroulement normal et prévisible du système de règlement des différends de l’OMC accepté par la Communauté, du maintien en vigueur par les institutions défenderesses d’un régime d’importation des bananes incompatible avec les accords OMC.

178   La décision unilatérale des États-Unis d’Amérique d’instaurer une surtaxe douanière sur les importations d’articles de poche en provenance de la Communauté n’est donc pas de nature à rompre le lien de causalité existant entre le préjudice que l’instauration de cette surtaxe a causé aux requérantes et le maintien par les défenderesses du régime d’importation de bananes litigieux.

179   Le comportement des institutions défenderesses a, en effet, nécessairement induit l’adoption de la mesure de rétorsion par l’administration américaine dans le respect des procédures instituées par le MRD et acceptées par la Communauté, de sorte que ce comportement doit être regardé comme la cause déterminante du préjudice supporté par les requérantes à la suite de l’instauration de la surtaxe douanière américaine.

180   Avant même que l’ORD n’autorise, le 19 avril 1999, les États-Unis d’Amérique à prélever leur surtaxe à l’importation, les institutions défenderesses n’ignoraient pas l’imminence des mesures de rétorsion américaines.

181   Dès le 10 novembre 1998, les États-Unis d’Amérique avaient publié la liste provisoire des produits d’origine communautaire qu’ils envisageaient de grever d’une surtaxe à l’importation, dont ils ont confirmé, le 21 décembre 1998, l’application prochaine à raison d’un taux de 100 %.

182   Dès le 3 mars 1999, date de l’institution à la charge des exportateurs communautaires de l’obligation de constituer une caution bancaire à raison de 100 % de la valeur des produits d’importation visés, les défenderesses ne pouvaient plus ignorer la ferme intention des États-Unis d’Amérique d’instaurer une surtaxe douanière. Aucun doute ne pouvait subsister après le communiqué de presse du 9 avril 1999 du représentant spécial annonçant la liste des produits grevés de la surtaxe douanière.

183   Il y a donc lieu d’admettre l’existence du lien de causalité direct exigé entre, d’une part, le comportement adopté par les institutions défenderesses au regard des importations de bananes dans la Communauté et, d’autre part, le préjudice subi par les requérantes du fait de l’instauration de la surtaxe douanière américaine.

 Sur le caractère anormal et spécial du préjudice subi

–       Arguments des parties

184   Les requérantes soutiennent que le comportement des parties défenderesses a engendré à leur détriment une discrimination constitutive d’un dommage anormal et spécial.

185   La surtaxe douanière n’aurait grevé que les produits énumérés dans la liste spéciale dressée par l’administration américaine. Les requérantes seraient donc à considérer comme faisant partie d’une catégorie d’opérateurs économiques atteints dans leurs intérêts patrimoniaux d’une manière qui les distingue de tous les autres.

186   Les requérantes auraient été discriminées et affectées de manière anormale par rapport à tous les exportateurs communautaires opérant aux États-Unis et susceptibles de faire l’objet de mesures de rétorsion et non pas uniquement en raison de leur appartenance au secteur de la production des étuis à lunettes.

187   Les requérantes n’auraient été nullement tenues de prendre en compte l’éventualité de surtaxes introduites par des États tiers en raison d’un contentieux survenu dans un secteur entièrement différent de leur domaine d’activité. Au demeurant, ce serait la première fois qu’un litige entre membres de l’OMC a conduit à des mesures de rétorsion économiques aussi graves.

188   Enfin, l’intérêt au maintien des règles de l’OCM bananes censurées par l’ORD ne pourrait revêtir une importance susceptible de justifier des conséquences négatives parfois considérables pour certains opérateurs.

189   Les parties défenderesses considèrent au contraire que la situation des requérantes ne se distingue pas de celle de l’ensemble des exportateurs communautaires. Les opérateurs touchés par la surtaxe américaine appartiendraient à une catégorie déterminée objectivement par les autorités américaines et ne présentant pas un caractère suffisamment restreint pour que le préjudice soit jugé spécial et anormal.

190   La suspension de concessions au sens de l’article 22 du MRD figurerait au nombre des diverses causes possibles de changement des conditions prévalant sur les marchés internationaux. Dans le contexte des accords OMC, on ne saurait valablement soutenir qu’une augmentation des droits américains après cinq mois de préavis constitue un événement susceptible d’être considéré comme anormal.

–       Appréciation du Tribunal

191   S’agissant des dommages que peuvent subir les opérateurs économiques du fait des activités des institutions communautaires, un préjudice est, d’une part, anormal lorsqu’il dépasse les limites des risques économiques inhérents aux activités dans le secteur concerné et, d’autre part, spécial lorsqu’il affecte une catégorie particulière d’opérateurs économiques d’une façon disproportionnée par rapport aux autres opérateurs, (voir arrêt du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 148 supra, point 80, et arrêt Afrikanische Frucht-Compagnie et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Conseil et Commission, point 82 supra, point 151).

192   Il n’est en l’espèce pas établi que les requérantes aient subi, du fait de l’incompatibilité avec les accords OMC du régime communautaire d’importation des bananes, un préjudice excédant les limites des risques inhérents à leur activité exportatrice.

193   Il est vrai que, comme le relève son préambule, l’accord instituant l’OMC a pour objet l’instauration d’un système commercial multilatéral intégré qui incorpore les résultats des efforts de libéralisation du commerce entrepris antérieurement.

194   Il convient néanmoins de constater que l’éventualité d’une suspension des concessions tarifaires, mesure prévue par les accords OMC et cas de figure qui s’est présenté en l’espèce, est l’une des vicissitudes inhérentes au système actuel du commerce international. Dès lors, cette vicissitude est obligatoirement supportée par tout opérateur qui décide de commercialiser sa production sur le marché d’un des membres de l’OMC.

195   Comme les requérantes l’ont elles-mêmes relevé, la décision des arbitres du 9 avril 1999 a souligné que la nature temporaire que l’article 22, paragraphe 1, du MRD attache à la suspension des concessions indique que celle-ci a pour objet d’inciter le membre de l’OMC mis en cause à respecter les recommandations et les décisions de l’ORD.

196   En outre, il résulte de l’article 22, paragraphe 3, sous b) et c), du MRD, instrument international ayant fait l’objet des mesures de publicité propres à en assurer la connaissance auprès des opérateurs communautaires, que le membre plaignant de l’OMC peut chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations dans d’autres secteurs que celui dans lequel le groupe spécial ou l’organe d’appel a constaté une violation par le membre visé, que ce soit au titre du même accord ou d’un autre accord OMC.

197   C’est donc à tort que les requérantes soutiennent que ne peut être considérée comme un risque normal l’éventualité de l’application des mesures de rétorsion de la part d’un État tiers résultant d’un contentieux survenu dans un secteur différent du leur.

198   Il s’ensuit que les risques auxquels pouvait être exposée de ce fait la commercialisation par les requérantes de leurs étuis à lunettes sur le marché américain ne sont pas à regarder comme étrangers aux aléas normaux du commerce international, en l’état actuel de son organisation.

199   Il n’y a donc pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de qualifier d’anormal le préjudice subi par les requérantes.

200   Une telle constatation suffit à exclure tout droit à indemnité de ce chef. Il n’est donc pas nécessaire que le Tribunal se prononce sur la condition de spécialité du préjudice.

201   Il s’ensuit que doit être rejetée la demande indemnitaire des requérantes fondée sur le régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence d’un comportement illicite de ses organes.

202   Il résulte de l’ensemble des développements précédents que le recours doit être rejeté dans son intégralité comme non fondé.

 Sur les dépens

203   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

204   Les requérantes ayant succombé en leurs conclusions, elles doivent être condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par le Conseil et par la Commission, conformément aux conclusions que les deux institutions défenderesses ont présentées en ce sens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (grande chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérantes sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par le Conseil et par la Commission.


Vesterdorf

Lindh

Azizi

Pirrung

Legal

García-Valdecasas

Tiili

Cooke

Meij

Vilaras

 

      Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2005.                                     

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      B.Vesterdorf




Table des matières

Cadre juridique

Faits à l’origine du litige

Procédure

Conclusions des parties

Sur la recevabilité

Sur le défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la compétence du Tribunal

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le fond

Sur la responsabilité de la Communauté pour comportement illicite de ses organes

Arguments des parties

– Sur les illégalités reprochées aux institutions défenderesses

– Sur la nature juridique des normes prétendument méconnues par les défenderesses

– Sur la gravité des violations alléguées

Appréciation du Tribunal

– Sur la question préalable de l’invocabilité des règles de l’OMC

– Sur l’exception tirée de l’intention de donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC

– Sur l’exception fondée sur le renvoi exprès à des dispositions précises des accords OMC

Sur l’application par analogie du régime de responsabilité non contractuelle des États membres

Sur la responsabilité de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

Sur le principe de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’existence d’un préjudice réel et certain

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le lien de causalité entre le préjudice subi et le comportement des institutions défenderesses

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le caractère anormal et spécial du préjudice subi

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’italien.