Language of document : ECLI:EU:T:2010:280

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

6 juillet 2010 (*)

« Concurrence – Concentrations – Transport aérien – Décision déclarant la concentration incompatible avec le marché commun – Appréciation des effets de l’opération sur la concurrence – Barrières à l’entrée – Gains d’efficacité – Engagements »

Dans l’affaire T-342/07,

Ryanair Holdings plc, établie à Dublin (Irlande), représentée par MM. J. Swift, QC, V. Power, A. McCarthy et D. Hull, solicitors, et MG. Berrisch, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. X. Lewis et S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Aer Lingus Group plc, établie à Dublin, représentée initialement par M. A. Burnside, solicitor, Mes B. van de Walle de Ghelcke et T. Snels, avocats, puis par M. Burnside et Mvan de Walle de Ghelcke,

et par

Irlande, représentée par MM. D. O’Hagan et J. Buttimore, en qualité d’agents, assistés de Mes M. Cush, D. Barniville et N. Travers, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2007) 3104 de la Commission, du 27 juin 2007, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE (Affaire COMP/M.4439 – Ryanair/Aer Lingus),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. J. Azizi, président, Mme E. Cremona et M. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kantza, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2009,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

A –  Parties au litige

1        Ryanair Holdings plc (ci-après la « requérante » ou « Ryanair ») est une société cotée en Bourse qui disposait en 2006 d’une flotte de 120 avions (indépendamment des 161 avions commandés et livrables sur les six années suivantes). Ces avions assuraient à l’époque des vols réguliers vers plus de 400 destinations dans 40 pays, y compris 75 liaisons entre l’Irlande (principalement au départ de l’aéroport de Dublin, mais aussi de ceux de Shannon, de Cork, de Kerry et de Knock) et d’autres pays européens.

2        Aer Lingus Group plc est une société anonyme de droit irlandais. Après sa privatisation par le gouvernement irlandais en 2006, l’État en a conservé 25,35 % du capital et les actions d’Aer Lingus Group ont été cotées en Bourse le 2 octobre 2006. Aer Lingus Group est la société holding d’Aer Lingus Ltd (ci-après, prises ensemble, « Aer Lingus »), une compagnie aérienne basée en Irlande qui assure des vols réguliers à partir ou à destination des aéroports de Dublin, de Cork et de Shannon. Aer Lingus exploitait en 2006 un réseau de transport court-courrier sur 70 liaisons reliant l’Irlande au Royaume-Uni et aux autres États membres avec une flotte de 28 avions (devant être augmentée à 32 appareils à compter de fin 2007). Sa flotte de 7 avions long-courriers (qui devait en compter 9 à compter de fin 2007) lui permettait de desservir plusieurs destinations aux États-Unis et à Dubaï.

B –  Procédure administrative

3        Le 5 octobre 2006, Ryanair a annoncé son intention de lancer une offre publique d’achat (OPA) sur l’intégralité du capital d’Aer Lingus Group. Cette OPA a été lancée le 23 octobre 2006.

4        La concentration a été notifiée à la Commission des Communautés européennes le 30 octobre 2006.

5        Par décision du 20 décembre 2006, la Commission a estimé que l’opération de concentration soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et a décidé d’engager la procédure d’examen approfondi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1, ci-après le « règlement sur les concentrations »).

6        Le 27 mars 2007, une communication des griefs a été envoyée à Ryanair, conformément à l’article 18 du règlement sur les concentrations. Ryanair a répondu à cette communication des griefs le 17 avril 2007.

7        Par la décision C (2007) 3104, du 27 juin 2007, la Commission a déclaré que l’opération de concentration notifiée était incompatible avec le marché commun (Affaire COMP/M.4439 – Ryanair/Aer Lingus) (ci-après la « décision attaquée »).

C –  Contenu de la décision attaquée

8        Après avoir rappelé que l’opération notifiée constituait une concentration de dimension communautaire (points 3 et 4 de la décision attaquée), la Commission a exposé les moyens d’investigation utilisés lors de l’enquête (point 5 de la décision attaquée). Elle a rappelé que cette enquête avait nécessité l’envoi de nombreuses demandes de renseignements au titre de l’article 11 du règlement sur les concentrations, notamment à d’autres compagnies aériennes régulières, à des compagnies de charters, à des aéroports et à la clientèle d’entreprise, ainsi que des contacts avec les autorités de coordination des créneaux horaires, les autorités de l’aviation civile et les autorités chargées des transports. La Commission a également effectué une analyse de corrélation entre les prix afin de définir les marchés en cause (point 6.3 et annexe III de la décision attaquée) et chargé un consultant indépendant de réaliser une enquête auprès de la clientèle de l’aéroport de Dublin (point 7.3.5 et annexes I et II de la décision attaquée). Elle a aussi examiné les observations économétriques présentées par Ryanair et par Aer Lingus et effectué deux séries d’analyses de régression en vue de tester d’une manière empirique les effets probables de la concentration (point 7.4.3 et annexe IV de la décision attaquée).

1.     Marchés en cause

9        S’agissant de la définition des marchés en cause (point 6 de la décision attaquée), la Commission a relevé que Ryanair et Aer Lingus fournissaient toutes deux des services de transport aérien régulier de passagers en Europe. Conformément à sa pratique, la Commission a essentiellement examiné la substituabilité du côté de la demande. Elle a défini les marchés sur la base de l’approche « point d’origine – point de destination », dite « approche O & D », selon laquelle chaque liaison entre un point d’origine et un point de destination est considérée comme un marché distinct. Pour établir si une paire O & D donnée formait un marché en cause, la Commission a examiné les différentes possibilités dont disposaient les consommateurs pour voyager entre ces deux points. Elle a également vérifié si les vols au départ de Dublin (ou de Shannon ou de Cork, les deux autres aéroports irlandais utilisés par les parties à la concentration) à destination de deux aéroports (ou davantage) desservant la même ville étaient substituables (point 6.3 de la décision attaquée). Compte tenu des services proposés par Ryanair et Aer Lingus, la Commission a constaté que l’opération envisagée aboutirait à des chevauchements horizontaux sur 35 paires de villes constituant les marchés en cause (considérant 333 de la décision attaquée) et qu’elle était susceptible de représenter une source de préoccupations s’agissant d’un grand nombre de paires de villes constituant des marchés en cause, sur lesquels une seule des parties à l’opération est présente (considérant 334 de la décision attaquée).

2.     Appréciation des effets de l’opération sur la concurrence

10      S’agissant de l’appréciation des effets de l’opération, la Commission s’est référée au cadre d’analyse défini dans ses lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement sur les concentrations (JO 2004 C 31, p. 5, ci-après les « lignes directrices »).

11      En premier lieu, la Commission a analysé les parts de marché de Ryanair et d’Aer Lingus sur les 35 liaisons où leurs services se chevauchent. Elle a constaté que l’opération créerait un monopole sur 22 liaisons et aboutirait à la constitution de parts de marché très importantes sur les 13 autres (point 7.2 de la décision attaquée). La Commission a également considéré que les deux compagnies étaient les « concurrents les plus proches » sur toutes les liaisons concernées (point 7.3 de la décision attaquée) et que, contrairement aux affirmations de Ryanair, ces deux compagnies se faisaient actuellement concurrence (point 7.4 de la décision attaquée). La Commission a examiné, ensuite, les effets de la concentration sur les marchés où Ryanair et Aer Lingus sont des concurrents actuels ou potentiels et a constaté que l’opération éliminerait la concurrence actuelle sur les 35 liaisons où les services se chevauchent ainsi que la concurrence potentielle sur 15 liaisons sans chevauchement (points 7.5 et 7.6 de la décision attaquée).

12      En deuxième lieu, la Commission a relevé que la « clientèle fragmentée » de Ryanair et d’Aer Lingus n’avait pas de « puissance d’achat compensatrice » et ne disposait que d’une possibilité limitée, voire nulle, de changer de fournisseur (point 7.7 de la décision attaquée).

13      En troisième lieu, la Commission a examiné si l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché ou l’expansion des concurrents existants étaient susceptibles d’éliminer les effets anticoncurrentiels de l’opération, avant de parvenir à la conclusion que ce ne serait pas le cas (point 7.8 de la décision attaquée).

14      En quatrième lieu, la Commission a procédé à une appréciation individuelle des 35 liaisons où les services se chevauchent. Elle a constaté que la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective du fait de la création d’une position dominante sur chacune d’elles (point 7.9 de la décision attaquée).

15      En cinquième lieu, la Commission a examiné si les gains d’efficacité allégués par Ryanair étaient suffisants pour contrebalancer les effets négatifs sur la concurrence produits par la concentration. Elle a conclu que tel n’était pas le cas dès lors que ces gains d’efficacité n’étaient pas vérifiables, qu’ils n’étaient pas propres à la concentration et qu’ils n’étaient pas susceptibles d’être portés au bénéfice des consommateurs (point 7.10 de la décision attaquée).

3.     Appréciation des engagements

16      La Commission a également examiné les engagements proposés par Ryanair dans le cadre de la procédure administrative. Elle a considéré qu’ils n’étaient pas suffisamment clairs pour pouvoir être mis en œuvre et qu’ils n’étaient pas, en toute hypothèse, de nature à éliminer les problèmes de concurrence relevés (point 8 de la décision attaquée).

17      En conclusion, la Commission a considéré que la réalisation de la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective, notamment à la suite, d’une part, de la création d’une position dominante sur 35 liaisons au départ et à destination de Dublin, de Shannon et de Cork et, d’autre part, de la création ou du renforcement d’une position dominante sur 15 liaisons au départ et à destination de Dublin et de Cork. Elle a donc déclaré l’opération de concentration incompatible avec le marché commun (point 9 et dispositif de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 septembre 2007, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

19      Par ordonnance du 12 février 2008, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis l’Irlande et Aer Lingus Group à intervenir dans le litige au soutien des conclusions de la Commission.

20      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 6 juillet 2009.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        condamner l’Irlande et Aer Lingus Group aux dépens résultant de leurs interventions.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      Aer Lingus Group conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

25      L’Irlande conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

26      Pour déclarer une concentration incompatible avec le marché commun, la Commission doit prouver, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations, que la réalisation de la concentration notifiée entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante.

27      Une telle décision, adoptée sur la base de l’article 8, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations, repose sur le résultat d’une analyse prospective menée par la Commission. Cette analyse prospective consiste à examiner en quoi la concentration notifiée pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s’il en résulterait une entrave significative à une concurrence effective. Une telle analyse requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte [voir, s’agissant du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (version rectifiée JO 1990, L 257, p. 13), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1) (ci-après l’« ancien règlement sur les concentrations »), arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 43].

28      Dans l’hypothèse où des engagements ont été valablement proposés par les parties à l’opération lors de la procédure administrative afin d’obtenir une décision de compatibilité avec le marché commun, la Commission a l’obligation d’examiner la concentration telle que modifiée par ces engagements. Il appartient alors à la Commission de démontrer que ces engagements ne rendent pas la concentration, ainsi modifiée, compatible avec le marché commun (voir, en ce sens, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêt du Tribunal du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T‑87/05, Rec. p. II‑3745, points 63 à 65).

29      Par ailleurs, la Cour a jugé que les règles de fond du règlement et, en particulier, l’article 2 de celui-ci confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique, et que, en conséquence, le contrôle par le juge de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (voir, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêts de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, dit « Kali & Salz », C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, points 223 et 224, et Commission/Tetra Laval, point 27 supra, point 38).

30      Si le juge de l’Union européenne reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas qu’il doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêts de la Cour Commission/Tetra Laval, point 27 supra, point 39, et du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, Rec. p. I‑4951, point 69).

31      En outre, selon une jurisprudence constante, dans les cas où les institutions disposent d’un pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l’obligation pour la Commission d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision de façon suffisante (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14, et arrêt du Tribunal du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T‑151/05, Rec. p. II-1219, point 163).

32      C’est au regard de ces principes relatifs au contrôle de légalité en matière de concentrations qu’il convient d’apprécier les arguments des parties.

33      La requérante invoque cinq moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen est tiré d’erreurs manifestes dans l’appréciation de la relation de concurrence existant entre Ryanair et Aer Lingus, le deuxième moyen est pris d’erreurs manifestes lors de l’évaluation des barrières à l’entrée, le troisième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation dans le cadre de l’analyse effectuée liaison par liaison (ci-après l’« analyse liaison par liaison »), le quatrième moyen est pris d’erreurs manifestes d’appréciation dans le cadre de l’examen des gains d’efficacité découlant de la concentration et le cinquième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation dans le cadre de l’analyse des engagements proposés par Ryanair (voir points 11 et 13 à 16 ci-dessus).

34      La définition des marchés en cause et l’analyse des réactions de la clientèle ne sont pas contestées en tant que telles par la requérante (voir points 9 et 12 ci-dessus).

A –  Sur le premier moyen, relatif à l’appréciation de la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus

35      L’analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée, qui est pertinente dans le cadre de l’appréciation du présent moyen, s’articule autour des étapes suivantes : premièrement, la constatation que la concentration entraînerait des parts de marchés très élevées sur un nombre important de liaisons (point 7.2 de la décision attaquée) ; deuxièmement, la constatation que Ryanair et Aer Lingus sont les « concurrents les plus proches » sur toutes ces liaisons (point 7.3 de la décision attaquée) ; troisièmement, l’examen de la concurrence actuelle entre Ryanair et Aer Lingus (point 7.4 de la décision attaquée) ; et, quatrièmement, les effets de la concentration sur la concurrence actuelle entre Ryanair et Aer Lingus et la répercussion négative que cela aurait sur les clients (points 7.5 et 7.6 de la décision attaquée). Dans le cadre de cette analyse, la Commission a répondu à l’argument de Ryanair pris de la différenciation de l’offre de services entre son offre à bas coûts et à prestations minimales et l’offre à prestations moyennes d’Aer Lingus (point 7.3 de la décision attaquée).

36      La requérante critique en substance cet aspect de la décision attaquée en faisant valoir que la Commission a surestimé l’importance des parts de marché élevées détenues par les parties à la concentration et que celle-ci n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant à suffisance que, en dépit de leurs différences, Aer Lingus et elle exerceraient l’une sur l’autre une si grande contrainte concurrentielle avec une probabilité d’entrée sur les marchés en cause si faible que la concentration entraverait significativement une concurrence effective sur ces marchés.

37      La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, soutient que les parts de marché constituent de « premières indications utiles », qui sont corroborées par d’autres indices, faisant ressortir qu’Aer Lingus est le concurrent le plus proche de Ryanair sur les liaisons sur lesquelles leurs services se chevauchent. La concentration aurait donc pour conséquence de faire disparaître la contrainte concurrentielle actuellement exercée par Aer Lingus sur Ryanair.

38      Il y a lieu pour le Tribunal d’apprécier, tour à tour, les arguments des parties relatifs au « poids excessif » accordé aux parts de marché, à l’absence de prise en considération des « différences fondamentales » existant entre Ryanair et Aer Lingus, à l’avantage concurrentiel conféré par l’existence d’une base à Dublin aux « éléments de preuve non techniques », à l’analyse économétrique de la Commission, aux données économétriques présentées par Ryanair, aux contraintes concurrentielles exercées par les compagnies de charters, à l’enquête réalisée auprès des passagers, à l’enquête menée auprès des entreprises clientes et, enfin, au préjudice pour les consommateurs.

1.     Sur le « poids excessif » accordé aux parts de marché

a)     Arguments des parties

39      La requérante fait valoir que, dans la décision attaquée, la Commission s’est fondée sur la prémisse erronée selon laquelle Aer Lingus et elle sont des compagnies aériennes identiques, ce qui lui aurait permis de déduire « automatiquement » de leurs parts de marché élevées le fait que la concentration entraînerait une entrave significative à la concurrence effective. Même si les parts de marché sont pertinentes quand il s’agit d’apprécier une concentration sous l’angle de la concurrence, celles-ci ne constitueraient toutefois qu’un « point de départ ». Associer à de telles parts de marché une forte présomption négative quant aux effets de la concentration sur la concurrence serait contrevenir aux règles relatives à la charge de la preuve. En tout état de cause, cette présomption aurait été renversée par la requérante, qui aurait établi à suffisance de droit l’existence de « différences fondamentales » entre les deux compagnies et de faibles barrières à l’entrée. Les services proposés par Ryanair et Aer Lingus seraient « hautement différenciés » et concerneraient des catégories distinctes de passagers. Dès lors, les parts de marché ne permettraient pas à elles seules de déterminer dans quelle mesure les parties exercent une contrainte concurrentielle l’une sur l’autre. Par ailleurs, la présence d’une seule compagnie aérienne sur une liaison donnée n’équivaudrait pas à une position dominante, compte tenu de la facilité des entrées.

40      La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, fait valoir qu’il ressort de la décision attaquée que les parts de marché constituent de « premières indications utiles », lesquelles seraient corroborées par d’autres éléments, faisant ressortir qu’Aer Lingus est le concurrent le plus proche de Ryanair sur les liaisons en cause dans la présente affaire.

b)     Appréciation du Tribunal

41      Il ressort d’une jurisprudence constante que, si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, il peut être considéré à juste titre que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (voir, en matière d’abus de position dominante, arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 41, et, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêts du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 205, et du 28 avril 1999, Endemol/Commission, T‑221/95, Rec. p. II‑1299, point 134). Tel peut être le cas d’une part de marché de 50 % ou plus (voir, en matière d’abus de position dominante, arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 60, et, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, Rec. p. II‑5575, point 115).

42      En l’espèce, d’une part, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’avance la requérante, la Commission n’a pas fondé son évaluation des effets de l’opération sur la concurrence sur l’idée qu’il serait permis de déduire « automatiquement » de parts de marché élevées le fait que la concentration entraînerait une entrave significative à la concurrence effective. Au contraire, la Commission a expressément indiqué dans la décision attaquée que tant les parts de marché que les niveaux de concentration qui y sont associés fournissaient de « premières indications utiles » sur la structure du marché et sur l’importance concurrentielle des deux parties à la concentration ainsi que sur celle de leurs concurrents (voir considérant 348 de la décision attaquée et note en bas de page n° 364, dans laquelle il est fait référence au point 14 des lignes directrices). L’examen de la décision attaquée permet également de relever que la Commission a pris soin d’effectuer une analyse approfondie des conditions de concurrence en prenant en considération d’autres éléments que les seules parts de marché, à savoir, notamment, les effets de l’opération sur la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus, les réactions pouvant être attendues des clients et des concurrents et la situation concrète sur chaque liaison affectée par l’opération (voir points 11 à 14 ci-dessus).

43      Il ne peut donc être allégué que la décision attaquée repose sur des constatations tirées des seules parts de marché susceptibles d’être détenues par l’ensemble Ryanair-Aer Lingus en cas de réalisation de l’opération (ci-après l’« ensemble Ryanair-Aer Lingus » ou l’« entité issue de la concentration »). La Commission a examiné tout à la fois des données statiques, illustrant la situation des marchés affectés par l’opération à un instant donné, et des données dynamiques, indiquant l’évolution probable de ces marchés en cas de réalisation de la concentration.

44      Cette approche est conforme à la démarche analytique qui doit être suivie par la Commission pour apprécier les effets anticoncurrentiels d’une concentration, laquelle consiste à examiner en quoi la concentration notifiée pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s’il en résulterait une entrave significative à une concurrence effective (voir point 27 ci-dessus).

45      D’autre part, il y a lieu de souligner que la Commission ne pouvait ignorer dans son évaluation l’importance qu’il convenait d’attacher à ces premières indications, qui montraient que la réalisation de la concentration notifiée aurait permis à Ryanair d’acquérir des parts de marché extrêmement élevées.

46      En effet, il importe de relever que la Commission a identifié dans la décision attaquée 35 liaisons sur lesquelles les activités des parties à la concentration se chevauchent. L’opération créerait un monopole sur 22 d’entre elles et aboutirait à la constitution de parts de marché cumulées très élevées, supérieures à 60 %, sur les 13 autres (voir considérants 341 et 342 de la décision attaquée, en particulier tableau n° 2 et notes en bas de page correspondantes). En outre, sur les liaisons où seule Ryanair ou Aer Lingus est actuellement présente, l’autre partie à la concentration représenterait le concurrent potentiel le plus probable. Il y a donc lieu de relever qu’il ressort de ces constatations que la réalisation de la concentration entraînerait des parts de marché très élevées sur un nombre important de liaisons (point 7.2 de la décision attaquée).

47      La Commission a également souligné dans la décision attaquée que, même sur les quelques liaisons ne relevant pas d’un monopole, où un certain nombre de concurrents sont actifs, telles que la liaison Dublin-Londres où la part de marché cumulée de Ryanair et d’Aer Lingus est comprise entre 70 et 80 % et où British Midland Airways (bmi), British Airways et CityJet proposent leurs services, l’indice Herfindahl-Hirschmann, communément utilisé par les autorités de la concurrence pour mesurer le niveau de concentration d’un marché en prenant en compte le poids respectif de chacune des entreprises qui y sont présentes, était très élevé (entre 6 000 et 6 500) tout comme la variation de ce niveau de concentration avant et après l’opération (le delta étant situé entre 3 000 et 3 500). Le niveau de concentration créé par cette opération sur les 35 liaisons où les activités des parties à la concentration se chevauchent serait donc très élevé (considérant 342 de la décision attaquée).

48      Ainsi, sur seize liaisons, la part de marché cumulée de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus atteindrait 100 %. Il s’agit des liaisons Dublin-Berlin, Dublin-Bilbao (Vitoria), Dublin-Birmingham, Dublin-Bologne, Dublin-Bruxelles, Dublin-Édimbourg, Dublin-Hambourg (Lübeck), Dublin-Marseille, Dublin-Newcastle, Dublin-Poznan, Dublin-Rome, Dublin-Séville, Dublin-Toulouse (Carcassonne), Dublin-Venise, Shannon-Londres et Cork-Londres.

49      Sur six autres liaisons, à savoir les liaisons Dublin-Alicante, Dublin-Faro, Dublin-Lyon, Dublin-Milan, Dublin-Salzbourg, Dublin-Ténériffe, la part de marché cumulée de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus serait proche de 100 % sans atteindre pour autant ce niveau en raison des ventes de vols secs proposés par les compagnies de charters.

50      Sur la liaison la plus importante, soit la liaison Dublin-Londres, qui représente à elle seule 30 % des passagers transportés par avion entre l’Irlande et les autres États membres de l’Union, la part de marché de l’entité issue de la concentration serait comprise entre 70 et 80 %.

51      Sur les autres liaisons, la part de marché cumulée serait également très importante. Sur la liaison Dublin-Manchester, par exemple, cette part de marché serait comprise entre 90 et 100 %, le seul concurrent existant étant Luxair, qui fait voler un avion au départ et à destination de Luxembourg, lequel fait étape à Manchester.

52      Chaque personne souhaitant se rendre vers l’une des destinations susmentionnées dispose d’un choix dont il est aisé de mesurer prima facie l’étendue tant avant qu’après la réalisation de la concentration. Très souvent, cet élément de choix disparaîtrait purement et simplement avec l’acquisition d’Aer Lingus par Ryanair, la part de marché de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus atteignant 100 % ou quasiment 100 %.

53      Eu égard à ces constatations, qui ne sont pas contestées en tant que telles par la requérante, la Commission pouvait à juste titre considérer que l’obtention de parts de marché très élevées du fait de la réalisation de l’opération tout comme le niveau de concentration qui y est associé étaient des indicateurs pertinents du pouvoir de marché qui aurait été acquis par l’ensemble Ryanair-Aer Lingus.

54      Ces constatations devaient être dûment prises en compte par la Commission et constituent autant d’éléments permettant de considérer que, sauf circonstances exceptionnelles, ces parts de marché extrêmement importantes constituaient en elles-mêmes la preuve de l’existence d’une position dominante (voir point 41 ci-dessus).

55      Dans ce contexte, il ne peut être reproché à la Commission d’avoir méconnu la charge de la preuve en considérant, ainsi qu’il ressort de l’intitulé du point 7.2.2 de la décision attaquée, que « [l]es parts de marché très élevées sur toutes les liaisons dont les services se chevauchent constituent, en soi, la preuve d’une position dominante ».

56      Il importe de relever que, contrairement à ce que laisse entendre la requérante, la conséquence de cette preuve sur l’évaluation de la concurrence n’a nullement été considérée comme automatique. En effet, il ressort de la décision attaquée qu’une telle preuve était susceptible d’être écartée si ces « premières indications utiles » sur la structure du marché et sur l’importance concurrentielle des deux parties à la concentration et de leurs concurrents étaient contredites par les autres données de l’espèce. La Commission a ainsi clairement exposé sa démarche sur ce point dans la décision attaquée en relevant qu’elle « a[vait] vérifié minutieusement s’il exist[ait] des circonstances susceptibles d’exclure une position dominante dans la présente affaire malgré les parts de marché élevées » (considérant 351 de la décision attaquée). Cette vérification a été faite dans le cadre des points 7.3 à 7.8 de la décision attaquée pour ce qui est de l’examen des facteurs pertinents sur le plan général et dans le cadre du point 7.9 en ce qui concerne l’analyse liaison par liaison.

57      C’est dans cette perspective qu’il convient d’examiner les arguments invoqués par la requérante pour réfuter l’importance à donner aux parts de marché qui auraient été détenues par l’ensemble Ryanair-Aer Lingus.

58      En premier lieu, pour ce qui est des liaisons où Aer Lingus et elle sont toutes deux présentes à l’heure actuelle, la requérante fait valoir que les services proposés par ces opérateurs sont « hautement différenciés » et concernent donc en réalité des catégories distinctes de passagers. À cet égard, il convient de relever que la question de la différenciation des services se pose au regard de leur substituabilité plus ou moins importante pour les clients concernés. Dans la décision attaquée, la Commission a réfuté la thèse de la requérante sur ce point (point 7.3 de la décision attaquée). Selon la Commission, à supposer que cette thèse soit fondée, les éventuelles différences entre les services proposés par Ryanair et Aer Lingus ne seraient pas de nature à éliminer le risque qu’une concentration entre ces deux opérateurs entrave de manière significative la concurrence effective sur les marchés affectés. L’argument de la requérante relatif à la différenciation des services est examiné ci-après (voir points 61 et suivants ci-après).

59      En second lieu, pour ce qui est des liaisons où seule une de ces compagnies est présente à l’heure actuelle, la requérante soutient que cette seule présence ne conférerait pas une position dominante dans la mesure où les entrées sur le marché seraient aisées. Cet argument concerne la question des entrées sur le marché et il sera abordé dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, qui est consacré à cette problématique.

60      Ce n’est donc que si ces arguments étaient admis par le Tribunal qu’il pourrait être conclu que c’est à juste titre que la requérante conteste l’importance à donner aux parts de marché qui auraient été détenues par l’entité issue de la concentration. À ce stade de l’analyse, il ne saurait toutefois être reproché à la Commission d’avoir tenu compte dans la décision attaquée de l’importance des parts de marché et des degrés de concentration relatifs aux différents marchés en cause.

2.     Sur l’absence de prise en considération des « différences fondamentales » entre Ryanair et Aer Lingus

61      La requérante fait valoir en substance que, du fait de la différenciation de ses services par rapport à ceux d’Aer Lingus, ces compagnies aériennes ne sont pas en concurrence à un point tel que la concentration entraverait de manière significative la concurrence. Dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas pu conclure en sens contraire, faute d’avoir démontré l’existence d’une relation étroite de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus.

62      Il y a lieu pour le Tribunal d’apprécier, tour à tour, les arguments des parties relatifs à l’utilisation de la notion de « concurrents les plus proches » et à la déduction « automatique » de l’existence de contraintes concurrentielles significatives qui en serait faite, ceux relatifs aux « différences fondamentales » en ce qui concerne les coûts d’exploitation, les prix pratiqués et le niveau de prestations ainsi que ceux ayant trait à la différence entre les aéroports de destination.

a)     Sur l’utilisation de la notion de « concurrents les plus proches » et la déduction « automatique » de l’existence de contraintes concurrentielles significatives

 Arguments des parties

63      La requérante soutient que la Commission a commis une « erreur fondamentale » en considérant que, s’il peut être démontré qu’Aer Lingus et elle sont les « concurrents les plus proches », il en découlerait « automatiquement » qu’elles sont de proches concurrents exerçant l’un sur l’autre des contraintes concurrentielles significatives sans qu’il soit besoin d’examiner l’étroitesse de cette relation de concurrence. En effet, l’offre de services d’Aer Lingus ne serait pas substituable à celle de Ryanair, mais serait plus proche des offres à prestations complètes des compagnies aériennes traditionnelles. Des « différences fondamentales » entre les deux compagnies permettraient à Aer Lingus de facturer des prix nettement plus élevés que ceux de Ryanair. L’étroitesse de la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus devrait donc être analysée pour déterminer ses effets sur la concurrence effective. Si, selon la requérante, ses services et ceux d’Aer Lingus sont substantiellement distincts, ils ne sauraient être considérés comme des « substituts adéquats », y compris lorsque ces deux compagnies aériennes sont les seules à desservir une liaison donnée. Autrement dit, les passagers concernés pourraient choisir de ne pas voyager plutôt que d’opter pour l’autre compagnie aérienne.

64      La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, fait valoir que, dans la décision attaquée, elle a analysé en détail le rapport de concurrence entre les deux compagnies aériennes, avant d’en conclure à suffisance de droit que Ryanair et Aer Lingus étaient des concurrents proches qui exercent l’un sur l’autre des contraintes concurrentielles, lesquelles disparaîtraient en cas de réalisation de l’opération.

 Appréciation du Tribunal

65      Selon la requérante, à supposer qu’Aer Lingus et elle puissent être considérés comme les « concurrents les plus proches » sur toutes les liaisons concernées, il n’en demeurerait pas moins que, du fait des « différences fondamentales » qui existent entre elles, la Commission ne pourrait se servir de cette constatation et en déduire « automatiquement » qu’elles exercent l’une sur l’autre une contrainte concurrentielle significative que la concentration ferait disparaître sans qu’il soit besoin d’examiner l’étroitesse de cette relation de concurrence.

66      Avant même d’examiner les arguments relatifs aux différences alléguées par la requérante et à leur incidence sur la relation de concurrence existant entre Aer Lingus et elle (voir points 70 et suivants ci-après), il convient d’emblée de relever que l’analyse menée par la Commission dans la décision attaquée n’est pas celle que décrit la requérante.

67      Cette analyse s’articule en deux étapes. D’abord, les constatations faites par la Commission sur la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus font l’objet de longs développements (points 7.3 et 7.4 de la décision attaquée). Dans le cadre de ces développements, la Commission a examiné en détail les arguments de Ryanair repris dans le cadre du présent recours en ce qui concerne la différenciation des services. Ensuite, l’appréciation des effets de l’opération sur la concurrence réalisée dans la décision attaquée n’est pas effectuée « automatiquement » sur la base de la seule constatation que Ryanair et Aer Lingus sont les « concurrents les plus proches », contrairement à ce que la requérante affirme. En effet, la Commission a exposé avec soin dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché commun sur les 35 liaisons où les services se chevauchent et sur les 15 liaisons exploitées par Aer Lingus où les services ne se chevauchent pas (points 7.5, 7.6 et 7.9 de la décision attaquée).

68      En conséquence, tout comme pour ce qui est de l’importance à donner aux parts de marché cumulées (voir point 58 ci-dessus), c’est la réponse apportée aux arguments de la requérante sur l’incidence de la différenciation des services alléguée sur la relation de concurrence entre Aer Lingus et elle (voir points 70 et suivants ci-après) qui permettra de fonder ou non les conclusions qui en ont été tirées par la Commission dans le cadre de son appréciation des effets de la concentration sur la concurrence.

69      En tout état de cause, la différenciation des services alléguée par Ryanair étant examinée dans la décision attaquée, il ne peut donc être prétendu que la Commission aurait dans la présente affaire déduit « automatiquement » de la constatation selon laquelle Ryanair et Aer Lingus sont les « concurrents les plus proches » sur toutes les liaisons concernées le fait qu’elles exerceraient l’une sur l’autre une contrainte concurrentielle significative que la concentration ferait disparaître sans qu’il soit besoin d’examiner l’étroitesse de cette relation de concurrence.

b)     Sur les « différences fondamentales » relatives aux coûts d’exploitation, aux prix pratiqués et au niveau de prestations

 Arguments des parties

70      Premièrement, la requérante soutient que la différence entre ses coûts d’exploitation et ceux d’Aer Lingus montre qu’il n’existe pas de contrainte concurrentielle significative entre ces compagnies. Les coûts moins élevés de Ryanair lui permettraient de pratiquer des prix nettement moins élevés que ceux d’Aer Lingus et, partant, de desservir un segment de marché distinct. La Commission aurait omis d’analyser l’impact de cette différence sur la concurrence. Par ailleurs, après avoir relevé que les coûts d’exploitation d’Aer Lingus étaient conformes à ceux d’autres transporteurs à bas prix comme easyJet ou Virgin Express, la Commission n’aurait pas dû en déduire, au point 7.3.3 de la décision attaquée, qu’Aer Lingus figurait « parmi les concurrents les plus proches de Ryanair même en termes de coûts unitaires ». Le recours à cette notion de « concurrents les plus proches » procéderait d’une erreur d’analyse. De plus, la Commission aurait intégré les vols long-courriers d’Aer Lingus dans le calcul de ses coûts d’exploitation moyens. Les coûts d’exploitation par sièges-kilomètres offerts (ci-après « SKO ») étant substantiellement plus bas sur les vols long-courriers que sur les vols court-courriers, leur inclusion entraînerait une importante sous-évaluation des coûts moyens par SKO d’Aer Lingus aux fins de la comparaison avec les transporteurs à bas prix qui exploitent uniquement des liaisons court-courriers. De surcroît, si, comme la Commission le soutient, les coûts moyens d’Aer Lingus sont comparables à ceux des transporteurs à bas prix et supérieurs de seulement 50 % environ à ceux de Ryanair, Aer Lingus serait en mesure de réaliser des profits considérablement supérieurs à ceux de Ryanair, parce que son prix moyen serait de plus de 100 % plus élevé que celui de Ryanair. En réalité, Ryanair serait de loin plus rentable qu’Aer Lingus.

71      Deuxièmement, la requérante met l’accent sur la différence entre les prix qu’elle pratique et ceux pratiqués par Aer Lingus. Cette différence, qui résulterait de la différence des coûts d’exploitation, ferait apparaître un « degré de différenciation élevé ». La Commission aurait eu tort de considérer, au considérant 371 de la décision attaquée, qu’une différence de prix de 30 euros ne serait pas significative, dès lors que le prix moyen d’un billet Ryanair serait de 41 euros. Les prix plus bas de Ryanair, inférieurs à la moitié de ceux d’Aer Lingus, lui permettraient d’attirer une clientèle qui, en l’absence de ces prix modérés, ne prendrait pas l’avion. La Commission aurait dû déduire de cet élément qu’Aer Lingus n’exerçait aucune contrainte concurrentielle sur Ryanair. En reconnaissant au considérant 413 de la décision attaquée que les prix de Ryanair étaient, en moyenne, plus bas que ceux d’Aer Lingus, la Commission aurait dû conclure que les deux compagnies s’adressaient à deux segments de marché entièrement différents. De plus, Ryanair et Aer Lingus opéreraient selon des modèles économiques très différents. Aer Lingus se serait certes écartée du modèle économique de la compagnie aérienne nationale traditionnelle à prestations complètes pour adopter certaines des caractéristiques des transporteurs à bas prix. Elle continuerait, toutefois, à utiliser des aéroports principaux et à offrir certains services lui permettant de facturer à ses clients des prix nettement plus élevés que ceux de Ryanair. Les clients d’Aer Lingus seraient ainsi disposés à payer un supplément par rapport aux tarifs de ses concurrents à bas prix pour une offre de services plus complète.

72      Troisièmement, la requérante fait valoir qu’il ressort du considérant 367 de la décision attaquée qu’elle est une compagnie aérienne « à prestations minimales » et Aer Lingus une compagnie aérienne « à prestations moyennes » et que la Commission tente de minimiser l’impact de cette différence sur le degré de concurrence existant entre les deux compagnies. La Commission aurait omis d’analyser la mesure dans laquelle cette différence serait pertinente ou de produire des preuves convaincantes pour démontrer pourquoi cette différence importante serait dénuée de pertinence pour déterminer l’existence d’une entrave significative à la concurrence effective. Une telle différenciation entre les offres de services serait attestée par les déclarations d’Aer Lingus et du gouvernement irlandais formulées préalablement à l’OPA, et ce avant que le gouvernement et la compagnie « ne fassent volte-face » en prétendant qu’Aer Lingus était une compagnie à bas coûts.

73      La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

74      Si, dans la décision attaquée, la Commission a accepté de reconnaître l’existence de différences entre Ryanair et Aer Lingus, elle n’en tire pas les mêmes conclusions que la requérante. En effet, ces différences n’ont pas empêché la Commission de considérer que, de tous les concurrents présents sur les différentes liaisons affectées par la concentration, Aer Lingus était le plus important et le plus proche de Ryanair.

75      S’agissant de la différence entre les coûts d’exploitation d’Aer Lingus et ceux de Ryanair, cette dernière réitère son analyse selon laquelle cette différence de coûts lui permettrait de desservir un segment de marché distinct. Selon la requérante, la Commission aurait dû analyser l’impact de cette différence sur la relation de concurrence entre Aer Lingus et elle.

76      Cependant, il ressort de la décision attaquée que la Commission a reconnu que les coûts d’exploitation de Ryanair étaient inférieurs à ceux d’Aer Lingus tout en relevant que, par rapport aux autres compagnies aériennes, les coûts d’Aer Lingus étaient généralement très bas et plaçaient cette dernière plutôt dans le groupe des transporteurs à bas coûts que dans celui des transporteurs en réseau (voir point 7.3.3 de la décision attaquée, en particulier considérant 374).

77      C’est ainsi que, dans la décision attaquée, la Commission a indiqué les raisons pour lesquelles elle considérait, au vu des données disponibles, que, si les coûts d’exploitation par SKO de Ryanair étaient inférieurs à 4 centimes d’euro, ceux d’Aer Lingus s’élèvaient à près de 5,9 centimes d’euro. La Commission a relevé que l’objection de Ryanair tirée du fait que cette donnée incluait également les vols long-courriers d’Aer Lingus, qui ont généralement des coûts par SKO inférieurs, était justifiée. Elle a toutefois précisé que 87 % des passagers d’Aer Lingus voyageaient sur des vols court-courriers et que le chiffre avancé par Ryanair de près de 8 centimes d’euro par SKO n’était pas étayé (voir point 7.3.3 de la décision attaquée, en particulier considérants 375 et 377).

78      En tout état de cause, il ressort du graphique n° 1 qui figure au considérant 375 de la décision attaquée que les coûts d’exploitation par SKO d’un transporteur en réseau (tel que British Airways, Air France ou Lufthansa) sont proches de 12 centimes d’euro alors que ceux de Virgin Express ou d’easyJet sont respectivement d’environ 7 ou d’un peu plus de 6 centimes d’euro. La marge définie par la Commission et par Ryanair, entre 5,9 et 8 centimes d’euro par SKO, situe donc Aer Lingus dans le même groupe que Virgin Express ou easyJet, ces coûts d’exploitation étant bien « inférieurs » (considérant 375 de la décision attaquée) ou « très inférieurs » (considérant 376 de la décision attaquée) à ceux des grandes compagnies en réseau (différence d’au moins 4 centimes d’euro par SKO), même s’ils sont « supérieurs » ou « nettement supérieurs » à ceux de Ryanair (différence évoluant entre environ 2 et 4 centimes d’euro par SKO).

79      En conséquence, s’il existe une différence de coûts d’exploitation entre Ryanair et Aer Lingus, comme l’a reconnu la Commission dans la décision attaquée, cela ne signifie par pour autant que, comme l’allègue la requérante, la Commission ne pouvait considérer qu’Aer Lingus et elle sont les « concurrents les plus proches », dès lors que les coûts d’exploitation d’Aer Lingus sont effectivement inférieurs à ceux des compagnies en réseau et que ni Virgin Express ni easyJet ne sont en concurrence avec Ryanair sur les liaisons où leurs services se chevauchent au départ de l’Irlande (considérant 376 de la décision attaquée).

80      Cette observation est également étayée dans la décision attaquée par la constatation selon laquelle l’évolution des coûts unitaires d’Aer Lingus au fil du temps met en exergue sa « migration progressive » d’un modèle économique traditionnel vers un modèle à bas coûts (voir considérant 378 de la décision attaquée, en particulier graphique n° 2 sur les coûts d’exploitation d’Aer Lingus au fil du temps de 2001 à 2005).

81      Par ailleurs, si, comme l’énonce la requérante, les faibles coûts d’exploitation ont une incidence sur la rentabilité de l’entreprise (voir point 70 ci-dessus), cela ne permet pas pour autant de conclure que les services qu’elle propose ne sont pas en concurrence avec ceux d’Aer Lingus. Cette dernière proposerait en effet des services supérieurs en gamme tout en cherchant à s’aligner sur la structure de coûts de Ryanair, ce qui l’éloigne d’autant de la structure de coûts des compagnies aériennes en réseau.

82      S’agissant de la différence entre les prix qu’elle pratique et ceux pratiqués par Aer Lingus, la requérante soutient que cette différence est telle que la Commission aurait dû en déduire qu’Aer Lingus n’exerçait pas de contrainte concurrentielle sur elle. Selon la requérante, une différence de prix moyen de 30 euros est significative, dès lors que le prix moyen d’un billet Ryanair est de 41 euros. De plus, les prix plus bas de Ryanair, inférieurs de plus de moitié par rapport à ceux d’Aer Lingus, permettraient à la requérante d’attirer une clientèle qui ne prendrait pas l’avion à défaut de tels prix.

83      Comme elle a admis l’existence d’une différence de coûts d’exploitation, la Commission a reconnu dans la décision attaquée qu’il existait une différence entre les prix moyens pratiqués par Aer Lingus et ceux pratiqués par Ryanair. Ce point n’est pas contesté entre les parties.

84      Il importe toutefois de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a précisé, d’une part, que, si les tarifs pratiqués par Aer Lingus étaient généralement supérieurs à ceux de Ryanair, cela n’étaient pas toujours le cas et, d’autre part, que la comparaison des prix était rendue délicate par le fait qu’il était difficile de savoir quels taxes et frais avaient été pris en compte pour calculer le prix moyen des vols court-courriers de 41 euros en 2006 indiqué par Ryanair, étant précisé que le prix moyen d’Aer Lingus serait de 91 euros, ou compris entre 65 et 75 euros avant les frais et taxes (voir point 7.3.2 de la décision attaquée, en particulier considérant 371 et notes en bas de page nos 385 et 386).

85      Ces précisions étant faites, il y a lieu de relever que la contestation relative à la différence entre les prix moyens pratiqués par Ryanair et ceux pratiqués par Aer Lingus porte sur les conséquences de cette différence de prix. Alors que la requérante allègue que celle-ci permet de conclure à l’absence de contrainte concurrentielle exercée par Aer Lingus sur elle, la Commission considère qu’il résulte de l’analyse des prix pratiqués qu’Aer Lingus est plus proche de Ryanair que ne peuvent l’être les autres concurrents présents sur les liaisons où leurs services se chevauchent (voir considérants 368 à 370 de la décision attaquée, pour ce qui est de l’appréciation du modèle économique, laquelle est transposée au considérant 371 de la décision attaquée pour ce qui est de la comparaison des prix moyens : « [l]a même considération s’applique au fait que les prix moyens d’Aer Lingus sont plus élevés que ceux de Ryanair »).

86      En ce qui concerne la contrainte concurrentielle exercée par Aer Lingus, cette question est envisagée au point 7.4 de la décision attaquée, consacré à la concurrence actuelle entre les parties à la concentration, et aux points 7.5, 7.6 et 7.9 de celle-ci, dans lesquels la Commission a examiné les effets de l’opération sur la concurrence. Cette question ne relève donc pas du point 7.3 de la décision attaquée, dans lequel la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle considérait que Ryanair et Aer Lingus étaient les « concurrents les plus proches » sur toutes les liaisons concernées.

87      En conséquence, les constatations faites au considérant 371 de la décision attaquée permettent de fonder la conclusion de la Commission qui fait l’objet du point 7.3 de cette décision, en ce sens qu’il ressort des données qui y sont exposées que les prix pratiqués par les transporteurs en réseau offrant un service à bord complet, prix communiqués par Ryanair, sont beaucoup plus élevés que ceux pratiqués par Aer Lingus (soit 216 euros pour Air France, 225 euros pour Lufthansa et 268 euros pour British Airways). Les tarifs de Ryanair et d’Aer Lingus sont effectivement « bien en deçà du niveau de prix des concurrents auxquels ils font face sur leurs liaisons respectives » (considérant 371 de la décision attaquée). La Commission a également expliqué que la différence entre les prix pratiqués par Ryanair et ceux pratiqués par Aer Lingus nécessitait de prendre en considération les quelques avantages qualitatifs qui caractérisent l’offre d’Aer Lingus, tels que la desserte d’aéroports principaux, des salons d’affaires ou une orientation de service plus élevée (considérants 371 et 372 de la décision attaquée). L’analyse des prix pratiqués par Ryanair et Aer Lingus effectuée dans la décision attaquée permet donc de fonder la conclusion de la Commission selon laquelle Ryanair et Aer Lingus sont les « concurrents les plus proches » sur toutes les liaisons concernées.

88      Selon la requérante, une telle analyse n’est cependant pas compatible avec la constatation effectuée dans la seconde phrase du considérant 413 de la décision attaquée. Il ressort dudit considérant ce qui suit :

« Les éléments détaillés ci-dessus [s’agissant de la perception des clients d’Aer Lingus et de Ryanair (point 7.3.5 de la décision attaquée)] indiquent clairement que Ryanair et Aer Lingus sont des concurrents proches. Néanmoins, la Commission reconnaît que Ryanair pratique des tarifs en moyenne inférieurs à ceux d’Aer Lingus et que, du moins hypothétiquement, il serait possible qu’Aer Lingus et Ryanair desservent deux segments de clientèle parfaitement distincts. »

89      Cette mention d’une éventuelle segmentation de l’offre sur la base des tarifs pratiqués ne permet cependant pas de tirer la conclusion que Ryanair et Aer Lingus ne sont pas des concurrents proches. La notion de concurrent s’apprécie en considération des données de l’affaire. De nombreux éléments sont avancés par la Commission à l’appui de cette constatation reprise en conclusion du point 7.3 de la décision attaquée. Force est de constater que, par exemple, sur les 22 liaisons où Ryanair et Aer Lingus sont les seules compagnies présentes, il n’y a pas actuellement d’autres compagnies qui soient en mesure d’offrir des services de transport aérien régulier. Sur ces marchés, dont la définition n’est pas contestée par la requérante en tant que telle (voir toutefois, s’agissant de l’argument relatif aux aéroports de destination, points 95 et suivants ci-après), Aer Lingus reste donc le concurrent le plus proche de Ryanair. La question des entrées sera examinée dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, qui y est consacré.

90      S’agissant de la différence du niveau de prestations, l’argumentation de la requérante ne fait que reprendre une différence connue de la Commission et mentionnée dans la décision attaquée. Par exemple, au considérant 367 de la décision attaquée, si la Commission a envisagé les vols de Ryanair comme des vols « sans prestation » et les services d’Aer Lingus comme des « prestations moyennes », elle a précisé immédiatement après que, aux fins de la décision attaquée, « les deux compagnies p[ouvaient] être considérées comme des transporteurs à ‘prestations minimales’, puisque, à la suite des récentes adaptations du modèle de service d’Aer Lingus, les services inclus dans le tarif de base d’Aer Lingus sont largement conformes à ceux compris dans celui de Ryanair et en contraste marqué avec les compagnies ‘à prestations complètes’ traditionnelles telles que British Airways ou Lufthansa ».

91      Dans ses écritures, la requérante reconnaît d’ailleurs qu’« Aer Lingus se serait certes écartée du modèle économique de la compagnie aérienne nationale traditionnelle à prestations complètes pour adopter certaines des caractéristiques des transporteurs à bas prix » (voir point 71 ci-dessus). Ce point a été confirmé lors de l’audience.

92      En tout état de cause, l’évolution des coûts unitaires d’Aer Lingus au fil du temps met en exergue sa « migration progressive » d’un modèle économique traditionnel vers un modèle à bas coûts (voir point 80 ci-dessus) et l’offre de services d’Aer Lingus se trouve à tout le moins entre celle proposée par Ryanair et celle proposée par les transporteurs en réseau offrant un service à bord complet.

93      En conséquence, même si Aer Lingus n’a pas les très faibles coûts d’exploitation de Ryanair, ne pratique pas les mêmes prix que Ryanair ou ne propose pas aussi peu de prestations, il n’en demeure pas moins que cette entreprise s’oriente vers le même modèle économique que sa concurrente.

94      Dès lors, la requérante ne démontre pas à suffisance de droit que c’est à tort que la Commission a conclu au considérant 431 de la décision attaquée qu’Aer Lingus et elle étaient les « concurrents les plus proches » sur les liaisons affectées au départ de l’Irlande. Cette conclusion peut donc être prise en considération dans le cadre de l’examen des effets de l’opération sur la concurrence et les critiques avancées par la requérante sur ce point doivent être rejetées (voir points 58 et 63 ci-dessus).

c)     Sur la différence entre les aéroports de destination

 Arguments des parties

95      Premièrement, la requérante fait valoir qu’elle utilise des aéroports fondamentalement différents de ceux utilisés par Aer Lingus. Aer Lingus utiliserait des aéroports principaux, plus proches du centre-ville et offrant de meilleurs services que les aéroports secondaires. Ces derniers, utilisés par Ryanair, lui permettraient de maintenir ses coûts à un niveau bas et l’empêcheraient de concurrencer Aer Lingus auprès des passagers souhaitant utiliser uniquement des aéroports principaux. En acquérant Aer Lingus, Ryanair aurait été en mesure d’exercer une concurrence dans les aéroports principaux. Selon la requérante, la Commission aurait omis de produire des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que les vols d’Aer Lingus à destination d’aéroports principaux et les vols de Ryanair à destination d’aéroports secondaires exerçaient une contrainte concurrentielle significative les uns sur les autres. Les données invoquées dans la décision attaquée n’étayeraient pas la conclusion selon laquelle ces vols sont des substituts suffisamment proches pour devoir être inclus dans le même marché. De plus, la Commission aurait utilisé les informations disponibles « de manière hautement sélective et incohérente ». N’ayant pu trouver une série uniforme de critères, elle aurait utilisé plusieurs critères différents afin d’établir que les aéroports principaux et secondaires relevaient du même marché. La Commission aurait ignoré ou déformé les avis des aéroports de Birmingham et de Vienne et de la UK Civil Aviation Authority (autorité de l’aviation civile du Royaume-Uni) afin de conclure à la substituabilité des aéroports principaux et des aéroports secondaires. Elle ne se serait donc pas appuyée sur des données fiables ni sur une méthode solide. En outre, alors que la Commission aurait présenté les réponses des concurrents pour alléguer la substituabilité desdits aéroports, ces réponses démontreraient au contraire l’absence de preuve claire et convaincante sur ce point (voir la réponse de British Airways et la situation des aéroports londoniens). Le tableau adressé aux concurrents ne ferait pas apparaître clairement, dans sa présentation, s’il était attendu des compagnies interrogées qu’elles désignent les aéroports appropriés pour chaque type de passagers ou les aéroports substituables l’un à l’autre. Dans certains cas, les compagnies auraient coché seulement l’un des aéroports pour chaque paire de villes, soulignant ainsi la confusion.

96      Deuxièmement, la requérante fait valoir que l’usage que la Commission a fait des zones de chalandise des aéroports pour déterminer si des vols à destination de différents aéroports relevaient du même marché est erroné. Selon une « règle approximative » (rule of thumb) non étayée par des éléments de fait, la Commission aurait défini la zone d’attraction d’un aéroport comme étant la zone dans laquelle l’aéroport peut être rejoint en parcourant au plus 100 km ou en effectuant au plus une heure de route (considérant 83 de la décision attaquée). Cette règle serait « trop vague pour être utile ». Elle ignorerait la répartition réelle des passagers au sein de la zone et serait irréaliste dans le contexte des liaisons reliant l’Irlande au Royaume-Uni, la durée de vol ne dépassant pas dans ce cas une heure. La Commission aurait donc erronément présumé que les passagers « éviteraient d’utiliser l’aéroport le plus proche de chez eux, feraient une heure de route et prendraient alors un vol de peut-être 50 minutes environ ». En outre, le calcul du temps nécessaire pour atteindre l’aéroport par les transports en commun ou en voiture, exposé au considérant 78 de la décision attaquée, ne tiendrait pas compte des divers retards ni du coût liés à l’usage des transports en commun. Enfin, la Commission n’aurait pas tenu compte, aux considérants 114 à 116 de la décision attaquée, des chiffres réels concernant les aéroports spécifiques en question, notamment en ce qui concerne les données fournies par la UK Civil Aviation Authority.

97      Troisièmement, la requérante critique certaines appréciations ou constatations exposées dans la décision attaquée. Tout d’abord, elle reproche à la Commission d’avoir pris en compte, au considérant 92 de la décision attaquée, ses pratiques commerciales consistant à présenter ses vols comme des substituts aux vols à destination d’aéroports principaux. En effet, les noms sous lesquels une entreprise commercialise ses produits ne constitueraient pas une base suffisamment sûre et solide pour la définition des marchés. Par exemple, les aéroports de Vienne et de Bratislava ne pourraient appartenir au même marché simplement parce que Ryanair commercialise les billets à destination de Bratislava sous le nom de « Bratislava (Vienne) ». Ensuite, la requérante soutient que la Commission n’aurait pas dû utiliser au considérant 99 de la décision attaquée la notion de « système aéroportuaire », visée au règlement (CEE) n° 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l’accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires (JO L 240, p. 8), pour fonder la constatation de la substituabilité de certains aéroports. Cette notion ne serait pas appropriée pour la définition des marchés et la refonte du règlement n° 2408/92 et des règlements connexes devrait d’ailleurs y mettre fin. La requérante fait également valoir que l’analyse des prix effectuée par la Commission est « défectueuse » et ne fournit pas de raisons fiables de conclure que les vols qu’elle assure à destination d’aéroports secondaires et les vols assurés par Aer Lingus à destination d’aéroports principaux sont de « proches substituts ». L’analyse ne fournirait aucun moyen de déterminer si une évolution parallèle des prix résulte d’une substituabilité ou d’influences communes. Enfin, l’enquête effectuée auprès des passagers serait « gravement défectueuse » quant à la conception des questions et aux techniques d’échantillonnage utilisées. Cette enquête n’aurait pas eu pour but de mesurer le degré de substituabilité des aéroports, dès lors qu’il n’aurait jamais été demandé aux passagers s’ils envisageaient de voler à destination d’aéroports différents. Dans de nombreux cas, les données invoquées par la Commission sur ce point conduiraient à la conclusion opposée.

98      La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

99      La requérante reprend dans ses écritures les arguments précédemment exposés lors de la procédure administrative pour critiquer la définition du marché en considération de la ville d’origine et de la ville de destination. Ces arguments ont été examinés et écartés par la Commission dans la décision attaquée et la seule reprise de ces arguments devant le Tribunal ne saurait suffire à remettre en cause cette analyse pour les raisons exposées ci-après.

100    S’agissant du grief, tiré de l’absence de production par la Commission d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que les vols d’Aer Lingus à destination d’aéroports principaux et les vols de Ryanair à destination d’aéroports secondaires exercent une contrainte concurrentielle significative les uns sur les autres, il convient de relever que ce grief revient en définitive à critiquer l’utilisation faite par la Commission de la définition du marché effectuée dans la décision attaquée pour apprécier les effets de l’opération sur la concurrence au sein des marchés affectés. La requérante le reconnaît implicitement quand elle fait valoir que les données invoquées dans la décision attaquée « n’étayent pas la conclusion selon laquelle ces vols sont des substituts suffisamment proches pour devoir être inclus dans le même marché » (voir point 95 ci-dessus).

101    À cet égard, il y a lieu tout d’abord de relever que la portée de ce grief doit être relativisée en considération du fait que, sur 16 des 35 liaisons concernées, Ryanair et Aer Lingus desservent les mêmes aéroports (considérant 71 de la décision attaquée). Ce grief ne concerne ainsi que 19 de ces 35 liaisons (soit 54,2 %) et n’a donc pas d’incidence en ce qui concerne les 16 autres liaisons affectées par la réalisation de l’opération.

102    Pour ces 19 liaisons, le grief de la requérante consiste uniquement à faire constater qu’il existe une différence quant à l’aéroport de destination sans chercher à réfuter concrètement le raisonnement qui est exposé dans la décision attaquée en ce qui concerne l’impact de cette différence au niveau tant de la définition du marché que de l’appréciation des effets de l’opération sur la concurrence. Or, il convient de souligner que, dans la décision attaquée, la Commission a rappelé que les marchés de transport aérien de passagers pouvaient être définis sur la base de liaisons individuelles ou d’un groupe de liaisons, dans la mesure où il y avait substituabilité entre elles, selon les caractéristiques spécifiques de l’affaire (considérant 55 de la décision attaquée et jurisprudence citée dans la note en bas de page n° 53, dont notamment arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T‑177/04, Rec. p. II‑1931, points 54 à 61).

103    Dans ce contexte, il importe de relever que la Commission a élaboré tout d’abord un cadre analytique applicable à la définition du marché en cause pour ce qui est des différentes liaisons concernées, qu’il s’agisse de paires d’aéroports ou de paires de villes (point 6.3.3 de la décision attaquée). Les différents critères utilisés pour caractériser la substituabilité des services de transport aérien régulier au départ de différents aéroports sont exposés au considérant 99 de la décision attaquée. Il s’agit de la distance et du temps de trajet selon le critère de référence des 100 km ou 1 heure de route, du point de vue des concurrents, du point de vue des aéroports concernés et de celui des autorités de l’aviation civile des États membres, de l’estimation de la part de passagers de loisirs sur une liaison, de la notion de « système aéroportuaire » au sens de l’annexe II du règlement n° 2408/92, des pratiques commerciales, de l’existence ou non de services de transport entre les aéroports et certaines villes ainsi que du résultat de l’étude de corrélation entre les prix réalisée par la Commission pour 17 paires de villes au départ de Dublin.

104    Ensuite, la Commission a analysé de manière détaillée quel était le marché en cause sur chacune des liaisons concernées (point 6.3.4 de la décision attaquée). Pour chaque cas où elle a constaté une substituabilité, la Commission a appliqué plusieurs critères en considération des informations disponibles. Le choix des passagers pour l’un ou l’autre des services aériens résulterait de la combinaison de ces facteurs.

105    En revanche, la Commission est arrivée plusieurs fois à la conclusion que les vols à destination d’aéroports différents situés à proximité d’une ville ne relevaient pas du même marché. Aux considérants 178 à 183 de la décision attaquée, la Commission a en particulier estimé, en substance, que les aéroports de Rennes et de Nantes Atlantique n’étaient pas substituables pour les raisons suivantes : le critère des 100 km ou 1 heure de route n’aurait de peu pas été satisfait, Ryanair ne vendrait pas son service à destination de Nantes en faisant référence à Rennes, et inversement, aucune différence significative entre les deux aéroports n’inciterait les passagers rennais à se rendre à Nantes pour prendre un vol, et inversement, et les données disponibles n’auraient pas été suffisantes pour permettre à la Commission de réaliser une analyse poussée de la corrélation entre les prix. Le seul fait qu’Aer Lingus considère les aéroports de Rennes et de Nantes Atlantique comme des substituts n’était, selon la Commission, pas suffisant pour conclure à la substituabilité. Aux considérants 197 à 203 de la décision attaquée, la Commission a également distingué l’aéroport d’Amsterdam Schiphol de celui d’Eindhoven, et ce pour les mêmes raisons que celles exposées à propos des aéroports de Nantes Atlantique et de Rennes et le fait qu’elle avait considéré qu’il existait un faible degré de substituabilité dans une décision antérieure (décision de la Commission du 22 septembre 1997, Affaire COMP/M.967 – KLM/Air UK, point 24).

106    Par ailleurs, il y a lieu de relever que le point de vue des aéroports est exposé dans la décision attaquée à de nombreuses reprises (voir, par exemple, considérants 132, 145 et 151 de la décision attaquée), tout comme le point de vue de la UK Civil Aviation Authority (voir, par exemple, considérants 128 et 138 de la décision attaquée). S’agissant de la référence à la distinction entre passagers sensibles au facteur temps et passagers non sensibles à ce facteur faite par la UK Civil Aviation Authority, la Commission a exposé dans la décision attaquée plusieurs raisons permettant d’expliquer en quoi cette distinction pouvait être considérée comme dépourvue de pertinence dans la présente affaire (considérants 85 et 316 à 319 de la décision attaquée).

107    En particulier, la Commission a relevé, d’une manière convaincante, que cette distinction, auparavant nette entre l’une et l’autre catégories de passagers, avait tendance à s’estomper. Cette tendance avait déjà été évoquée par la Commission dans le cadre de précédentes affaires (Affaires COMP/M.3280 – Air France/KLM et COMP/M.3770 – Lufthansa/Swiss, évoquées dans la note en bas de page n° 329 de la décision attaquée) et a été confirmée dans les réponses, non contestées par la requérante dans la présente affaire, aux questionnaires adressés aux concurrents le 6 novembre 2006 (réponses évoquées dans la note en bas de page n° 328 de la décision attaquée). Les réponses des clients d’affaires lors de l’enquête de la Commission indiquent également que le critère du meilleur tarif est assez important. Dans l’ordre d’importance exprimé par cette clientèle, il apparaît avant le critère de l’aéroport de destination et après celui du meilleur horaire, lequel est devenu relatif compte tenu des fréquences élevées souvent affichées par les transporteurs à prestations minimales (considérant 316 de la décision attaquée).

108    Par ailleurs, s’agissant des avis des aéroports de Birmingham (considérant 138 de la décision attaquée) et de Vienne (considérant 223 de la décision attaquée), la requérante n’expose pas en quoi ces avis auraient été dénaturés. La requérante a d’ailleurs expressément renoncé lors de l’audience à développer cet argument. Ces avis, qui ne concluent pas à la substituabilité, sont fidèlement repris dans la décision attaquée et la Commission disposait au demeurant d’autres éléments susceptibles d’appuyer la conclusion à laquelle elle est arrivée dans la décision attaquée. La technique du faisceau d’indices utilisée par la Commission pour apprécier une opération de concentration peut naturellement comporter des éléments positifs comme des éléments négatifs. La conclusion à laquelle la Commission est arrivée à l’issue de son analyse des différents indices pris en considération ne saurait toutefois être remise en cause du seul fait qu’un élément négatif ressort de l’enquête. Cet élément est dûment rapporté et il a été pris en compte par la Commission, et ce sans être dénaturé, contrairement à ce qu’affirme la requérante sans autre forme de démonstration.

109    De plus, contrairement à ce qu’affirme la requérante, il ressort de la réponse de British Airways au questionnaire adressé par la Commission que, s’agissant des aéroports londoniens, « les chevauchements [étaient] très importants entre les zones de chalandise » et que « tous les aéroports londoniens [pouvai]ent se concurrencer, ce qu’ils font d’ailleurs, tant pour le trafic long-courrier que pour le trafic court-courrier ». Il en ressort également que, s’agissant des autres aéroports dont la liste figurait dans la question n° 22 dudit questionnaire, cette compagnie aérienne considère que, « d’une manière générale, […] tous les aéroports énumérés se trouvent en concurrence pour tous les types de passagers ». Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle les réponses des concurrents ne démontreraient pas que tous les aéroports principaux et secondaires étaient substituables, s’agissant en particulier de Londres, les réponses des concurrents de Ryanair sur cette liaison attestent du contraire.

110    S’agissant de la critique de la requérante relative à l’utilisation d’une « règle approximative » aux fins de la définition des zones de chalandage des aéroports en vue de déterminer les marchés en cause, il y a lieu de relever que ce caractère approximatif est reconnu par la Commission dans la décision attaquée (considérant 83 de la décision attaquée : « Il convient toutefois de noter que la Commission utilise la ‘règle’ des 100 km ou de 1 heure de route uniquement comme première ‘variable représentative’ pour définir une zone de chalandise. En raison des spécificités de chaque aéroport considéré, et d’autres éléments de preuve, la zone de chalandise peut en réalité être plus large et fera par conséquent l’objet d’un examen détaillé, au cas par cas, dans l’analyse des différentes paires d’aéroports »).

111    En réponse aux critiques présentées sur ce point par Ryanair s’agissant de la communication des griefs, la Commission a indiqué dans la décision attaquée que le critère des 100 km ou 1 heure de route était un indicateur reposant sur ce que les aéroports considéraient comme étant une zone de chalandise raisonnable (considérant 85 de la décision attaquée). Il ressort ainsi des réponses au questionnaire adressé aux aéroports que ceux-ci présentent aux compagnies aériennes une zone de chalandise d’au moins 100 km ou 1 heure de route (considérant 82 de la décision attaquée). Par ailleurs, comme le fait valoir la Commission en réponse aux arguments présentés par la requérante dans ses écritures, la circonstance que la durée du vol sur les liaisons entre l’Irlande et le Royaume‑Uni est relativement courte ne modifie en rien cette appréciation. Dans de nombreux cas, il existe en effet des lignes de bus spéciales reliant l’aéroport secondaire et le centre-ville, avec des horaires adaptés aux vols. L’approche de la Commission concorde avec la réponse de la UK Civil Aviation Authority.

112    Au vu de ces données et de ces explications, il ne peut donc être reproché à la Commission d’avoir utilisé le critère des 100 km ou 1 heure de route dans le cadre de la définition de la zone de chalandise des aéroports.

113    S’agissant du reproche fait à la Commission d’avoir pris en compte, au considérant 92 de la décision attaquée, les pratiques commerciales de Ryanair consistant à présenter ses vols comme des substituts à des vols à destination d’aéroports principaux, il convient de relever que lesdites pratiques ne constituent que l’un des nombreux éléments qui ont été pris en considération. Ces pratiques présentent effectivement l’intérêt de faciliter l’identification des destinations des vols par les clients susceptibles d’être concernés par l’offre de Ryanair. Cet intérêt ne saurait être remis en cause du seul fait que Ryanair affirme, sans autre forme de démonstration, que les noms sous lesquels elle commercialise ses services vers certains aéroports ne constituent pas une base suffisamment sûre et solide pour la définition des marchés. Cette affirmation ne saurait en effet suffire à nier toute pertinence à cet élément dans le cadre du faisceau d’indices utilisé par la Commission. En ce qui concerne l’exemple de Vienne et de Bratislava invoqué par la requérante, la Commission a fondé son appréciation sur d’autres éléments que la seule pratique commerciale de Ryanair. Elle a également examiné le seuil indicatif de 100 km ou 1 heure de route, le point de vue des autorités nationales et celui des concurrents ainsi que les résultats de l’enquête auprès de la clientèle (point 6.3.4.15 de la décision attaquée). De la même façon, la Commission s’est fondée, dans son analyse liaison par liaison (point 6.3.4 de la décision attaquée), sur le critère de 100 km ou 1 heure de route, sur le point de vue des autorités nationales et sur celui des concurrents ainsi que sur les résultats de l’enquête auprès de la clientèle. Les appréciations de la Commission sur ce point reposent toujours sur l’utilisation d’un faisceau d’indices dont les différents éléments pris en compte sont exposés et analysés.

114    Pour ce qui est de la critique relative à la référence faite, au considérant 99 de la décision attaquée, à la notion de « système aéroportuaire », utilisée par le règlement n° 2408/92 pour fonder la constatation de la substituabilité entre certains aéroports, il ressort dudit considérant que l’appartenance des aéroports en cause à un « système aéroportuaire » au sens du règlement n° 2408/92 vient « appuyer comme preuve supplémentaire la conclusion selon laquelle les aéroports indiqués au titre de ce règlement appartiennent à la même conurbation et peuvent être considérés comme substituables du côté de la demande ». Dans le règlement n° 2408/92, en vigueur au moment où la décision attaquée a été adoptée, le système aéroportuaire est défini comme faisant référence à « deux aéroports ou plus regroupés pour desservir la même ville ou conurbation, comme indiqué à l’annexe II ». Le fait pour deux ou plusieurs aéroports d’être mentionnés à l’annexe II en tant que système aéroportuaire peut donc être pris en considération pour déterminer s’il y a lieu de considérer que ces aéroports desservent la même destination, ce qui constitue un facteur indiquant que lesdits aéroports sont substituables pour les passagers qui souhaitent se rendre dans la destination en cause. Cette appréciation ne saurait être remise en cause par le fait que la Commission a pris l’initiative de clarifier et de simplifier les règles relatives à la répartition du trafic entre les aéroports desservant la même ville ou conurbation, sa proposition en ce sens ayant depuis été adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. En effet, dans le règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation des services aériens dans la Communauté (refonte) (JO L 293, p. 3), qui a, depuis l’adoption de la décision attaquée, abrogé le règlement n° 2408/92, il est toujours fait référence au principe de la répartition du trafic entre des aéroports desservant la même ville ou conurbation, même s’il n’est plus fait référence à l’expression « système aéroportuaire ».

115    En ce qui concerne la critique de l’analyse de corrélation des prix effectuée lors de la procédure administrative, il y a lieu de relever que la Commission reconnaît que la corrélation entre les prix ne prouve pas que deux aéroports relèvent du même marché. C’est toutefois à juste titre que la Commission fait valoir qu’un tel élément associé à d’autres constitue un facteur pertinent pour l’analyse. Il ressort de la décision attaquée que l’analyse menée par la Commission est qualifiée d’« analyse empirique » (considérant 121 de la décision attaquée). La note en bas de page insérée sous le considérant 121 indique également ce qui suit :

« Il est important de noter, eu égard à toutes les paires de villes analysées, que la Commission a pris en compte les preuves économiques en matière de corrélation de prix à titre d’éléments supplémentaires corroborant son point de vue. […] De fait, les mouvements des prix peuvent être influencés par d’autres facteurs susceptibles de donner lieu à une faible corrélation entre les prix. »

116    C’est dans ce contexte que les appréciations présentées dans la décision attaquée sur la base des résultats de l’« analyse empirique » de la corrélation des prix doivent être prises en compte. Il ne peut donc être reproché à la Commission d’avoir exposé les raisons pour lesquelles l’analyse de corrélation des prix pouvait donner des résultats limités tout en soulignant que ces résultats, pour limités qu’ils soient, pouvaient néanmoins être pris en considération sous certaines conditions.

117    Dans ces conditions, la requérante ne démontre pas en quoi la Commission aurait excédé les limites de son pouvoir d’appréciation des situations d’ordre économique (voir points 31 et 32 ci-dessus). Les critiques faites sur ce point par la requérante restent générales et ne tiennent pas compte de l’utilisation faite par la Commission des résultats de l’analyse de corrélation des prix.

118    En ce qui concerne la critique des résultats de l’enquête effectuée auprès des passagers, il y a lieu de relever que ce point fait également l’objet d’un autre développement de la part de la requérante et sera examiné dans ce cadre (voir points 202 et suivants ci-après). En tout état de cause, il ressort du considérant 94 de la décision attaquée que la Commission était pleinement consciente des limites de l’enquête effectuée auprès des clients de l’aéroport de Dublin, une telle enquête ayant été menée essentiellement dans le but de vérifier l’affirmation de Ryanair selon laquelle, du point de vue du client, cette dernière et Aer Lingus n’étaient pas en concurrence. Le groupe de liaisons incluait tous les aéroports londoniens et un nombre limité de liaisons pour lesquelles les parties à la concentration proposaient des vols vers différents aéroports proches de la même ville. La Commission a estimé que, lorsque les passagers considéraient une compagnie aérienne assurant une liaison vers un aéroport différent comme une solution de rechange, il pouvait en être déduit que les services de transport aérien de passagers en question étaient susceptibles d’exercer une pression concurrentielle entre eux. À cet égard, la Commission a relevé que « ces preuves [étaie]nt de nature indirecte étant donné qu’il n’a[vait] pas été demandé aux personnes répondant au questionnaire […] d’indiquer explicitement si elles envisageraient de prendre un vol vers un aéroport différent ». Au considérant 122 de la décision attaquée, il est également fait référence à cette enquête en tant que « preuve indirecte ». À la note en bas de page n° 91 de la décision attaquée, la Commission a également relevé que l’enquête auprès des clients ne concernait qu’un sous-ensemble des liaisons sur lesquelles les parties à la concentration desservent des aéroports différents et que, par voie de conséquence, cette enquête n’avait de « valeur informative » que pour ces liaisons. C’est dans ce contexte que les appréciations présentées dans la décision attaquée sur la base des résultats de l’enquête auprès des clients doivent être prises en compte. Il ne peut donc être reproché à la Commission d’avoir exposé les raisons pour lesquelles l’enquête auprès des clients présentait certaines limites tout en indiquant que ses résultats offraient tout de même une certaine valeur pour les liaisons concernées.

119    Dans ces conditions, la requérante ne démontre pas en quoi la Commission aurait excédé les limites de son pouvoir d’appréciation des situations d’ordre économique. Les critiques faites sur ce point par la requérante restent générales et ne permettent pas de comprendre, dans le cadre de ce développement, en quoi la conception des questions et les techniques d’échantillonnages utilisées auraient été « gravement défectueuses ».

3.     Sur l’avantage concurrentiel conféré par l’existence d’une base à l’aéroport de Dublin

a)     Arguments des parties

120    La requérante conteste que le fait qu’Aer Lingus et elle aient des bases à l’aéroport de Dublin permette de considérer qu’elles sont des concurrents très proches. L’endroit où l’avion est basé serait complètement indifférent pour les passagers et aurait relativement peu d’importance pour les compagnies aériennes. Une compagnie aérienne disposant d’une base à l’autre extrémité d’une liaison pourrait constituer un concurrent crédible de Ryanair. Ainsi, bmi, qui dispose d’une base à l’aéroport d’Heathrow et d’un avion stationné pour la nuit à celui de Dublin, constituerait un concurrent plus proche d’Aer Lingus que ne l’est Ryanair sur la liaison Dublin-Londres (Heathrow), puisque Ryanair ne dessert pas cet aéroport.

121    La Commission conteste cette argumentation en faisant valoir que les compagnies aériennes ne se lancent normalement dans l’exploitation d’une liaison que si celle-ci est liée à une base.

b)     Appréciation du Tribunal

122    La Commission a exposé aux considérants 380 à 399 de la décision attaquée les raisons pour lesquelles le fait d’avoir une base importante à l’aéroport de Dublin corroborait l’appréciation selon laquelle les deux compagnies sont les « concurrents les plus proches ». Selon la décision attaquée, une telle base (également appelée « aéroport d’attache ») permet de réaliser des économies d’échelle et d’envergure et confère une plus grande souplesse d’adaptation aux fluctuations de la demande, ces avantages étant proportionnels à la taille de la base. La Commission a relevé que la plupart des transporteurs recouraient à des bases (considérants 393 et 394 de la décision attaquée) et a écarté les observations exposées par Ryanair lors de la procédure administrative selon lesquelles, d’une part, il conviendrait de considérer les concurrents qui stationnent leurs avions la nuit à l’aéroport de Dublin comme aussi proches d’elle qu’Aer Lingus l’est et, d’autre part, il importerait peu que la base soit située en Irlande ou à l’autre extrémité de la liaison (point 7.3.4 de la décision attaquée).

123    À cet égard, il y a lieu de relever que les arguments présentés par Ryanair dans le cadre du présent recours ne font que reprendre les observations qu’elle a formulées lors de la procédure administrative sans pour autant remettre en cause le bien-fondé des appréciations motivées faites par la Commission dans la décision attaquée pour les écarter.

124    En effet, il ressort de l’analyse exposée dans la décision attaquée que rares sont les transporteurs qui exploitent des liaisons sans recourir à un aéroport d’attache, lequel confère un avantage économique. Le fait que tant Ryanair qu’Aer Lingus disposent d’une base importante à l’aéroport de Dublin était donc à prendre en considération en ce que cela permet notamment à ces compagnies de bénéficier d’avantages similaires (points 7.3.4.1 et 7.3.4.2 de la décision attaquée). Pour les raisons indiquées dans la décision attaquée, cette situation n’est pas comparable à celle des concurrents qui stationnent leurs avions la nuit à l’aéroport de Dublin, en particulier compte tenu des différences significatives en termes d’avantages d’échelle et d’envergure offerts par une base (point 7.3.4.3 de la décision attaquée), ni à celle des concurrents qui disposent d’une base dans l’aéroport de destination, du fait des particularités de l’aéroport de Dublin (point 7.3.4.4 de la décision attaquée).

125    Sur ce dernier point, l’argumentation de la requérante ne saurait suffire pour remettre en cause l’analyse exposée aux considérants 404 à 407 de la décision attaquée, à l’issue de laquelle la Commission a considéré que la souplesse accrue offerte par la base de Dublin conférait un avantage spécifique aux parties à la concentration. Les éléments pris en considération à cet égard sont les suivants :

–        sur douze liaisons sur lesquelles les services des parties à la concentration se chevauchent sans arriver à un monopole, les concurrents qui demeurent n’assurent pas forcément leur liaison depuis une base (considérant 405 de la décision attaquée), ce qui permet de considérer que ces concurrents exercent sur Ryanair une pression concurrentielle moindre que celle qui est exercée par Aer Lingus ;

–        certaines économies sont plus significatives à l’aéroport de Dublin qu’ailleurs du fait de l’asymétrie de l’origine du trafic sur de nombreuses liaisons où les services se chevauchent (sur au moins 15 des 35 liaisons, la majorité des clients vient d’Irlande) (considérant 406 de la décision attaquée), ce qui permet d’expliquer en quoi une base à l’aéroport de Dublin entraîne un avantage plus important qu’une base située à l’autre extrémité de la liaison ;

–        les transporteurs disposant d’une base à l’aéroport de destination n’assurent normalement qu’une seule liaison à destination de Dublin, ce qui réduit le degré d’engagement vis-à-vis de liaisons au départ ou à destination de Dublin (considérant 407 de la décision attaquée). Or, pour être le plus rentable possible et assurer un maximum de rotations dans la journée, l’appareil, la maintenance et les équipages doivent se trouver à l’aéroport de Dublin, d’où partent la majorité des clients, plutôt qu’à l’autre extrémité de la liaison ;

–        les transporteurs disposant d’une base à l’aéroport de destination ont enregistré des résultats médiocres avec une faible part de marché. Sur au moins 9 des 35 liaisons dont les services se chevauchent, un transporteur concurrent s’est retiré de la liaison, incapable de rivaliser avec Aer Lingus et Ryanair (considérant 408 de la décision attaquée). L’examen du passé permet d’évaluer ce qui pourrait se passer à l’avenir.

126    Aucun argument invoqué par la requérante, dans sa critique de la décision attaquée sur ce point, ne permet de remettre en cause la conclusion précitée et les éléments invoqués pour l’appuyer. Il n’est pas démontré que la Commission se serait trompée quand elle a apprécié l’avantage concurrentiel que confère la base de Dublin aux parties à la concentration.

127    En conséquence, c’est à suffisance de droit que la Commission a exposé dans la décision attaquée en quoi le fait d’avoir une base importante à l’aéroport de Dublin représentait un avantage appréciable pour ce qui est des liaisons à destination et au départ de Dublin et des clients majoritairement irlandais concernés par ces liaisons.

4.     Sur les « éléments de preuve non techniques »

a)     Arguments des parties

128    La requérante reconnaît que, pour une catégorie restreinte de passagers, elle concurrence Aer Lingus, tout comme elle concurrence des transporteurs en réseau tels qu’Air France, Lufthansa et British Airways. Les « éléments de preuve non techniques » avancés par la Commission dans le mémoire en défense ne seraient donc que le reflet de cette concurrence. Ainsi, les systèmes de gestion du rendement et la surveillance des tarifs correspondraient aux pratiques habituelles du secteur, de sorte que cela n’établirait pas que Ryanair et Aer Lingus exercent l’une sur l’autre des « contraintes concurrentielles significatives réciproques ». La surveillance viserait tous les tarifs et non uniquement ceux d’Aer Lingus. Cela permettrait à Ryanair de réagir aux « rares cas dans lesquels Aer Lingus ou d’autres compagnies aériennes proposent des tarifs promotionnels moins élevés ». De plus, si la similitude des systèmes de gestion du rendement devait signifier qu’il existait une concurrence intense entre Ryanair et Aer Lingus, cela serait corroboré par les résultats économétriques de la Commission, ce qui ne serait pas le cas. Par ailleurs, si la requérante ne conteste pas ajuster occasionnellement ses tarifs en réaction à une promotion spécifique ou lancer occasionnellement des campagnes de publicité comparative, elle relève que ces activités promotionnelles concernent tant Aer Lingus que les autres transporteurs nationaux. Ces exemples n’entreraient, toutefois, pas dans la catégorie des « éléments de preuve exacts, fiables et cohérents » que la Commission serait tenue de produire. Si Aer Lingus exerce une quelconque pression concurrentielle sur Ryanair, les éléments de preuve devraient montrer que Ryanair propose systématiquement des tarifs plus faibles lorsqu’Aer Lingus dessert une liaison. Or, une telle hypothèse serait contredite par les éléments de preuve économétriques présentés par Ryanair. Enfin, la Commission ne pourrait pas se fonder sur les documents internes de Ryanair, qui n’auraient qu’un « caractère anecdotique ». Les extraits invoqués par la Commission ne prouveraient pas que Ryanair et Aer Lingus exercent l’une sur l’autre des « contraintes concurrentielles significatives réciproques ». Dans certains cas, les discussions auxquelles lesdits extraits font référence ne concerneraient pas exclusivement Aer Lingus, mais la situation générale d’une liaison donnée. La Commission ne pourrait donc se prévaloir de ces documents pour laisser entendre que les deux compagnies aériennes entretiennent une relation de concurrence étroite et considérer que les transporteurs nationaux qui sont cités dans ces documents ne font pas concurrence à Ryanair.

129    La Commission fait valoir que le fait que Ryanair et Aer Lingus sont les seules entreprises présentes sur 22 liaisons où leurs services se chevauchent et qu’elles détiennent ensemble des parts de marché très importantes sur 13 autres liaisons a pour conséquence logique que ces deux entreprises exercent des contraintes concurrentielles l’une sur l’autre. Cela serait démontré par le fait que Ryanair et Aer Lingus appliqueraient des systèmes de gestion du rendement similaires, le fait qu’elles surveilleraient régulièrement le comportement concurrentiel de leurs principaux concurrents et adapteraient leurs tarifs en conséquence ainsi que par le fait qu’elles feraient régulièrement paraître des annonces publicitaires dans lesquelles elles comparent leurs services et leurs tarifs. En outre, les documents internes de Ryanair contiendraient des preuves évidentes de l’existence d’une concurrence avec Aer Lingus. L’affirmation de Ryanair selon laquelle, du fait de son modèle à bas coûts, ses concurrents n’auraient pas d’incidence tangible sur son comportement concurrentiel serait ainsi dénuée de fondement.

b)     Appréciation du Tribunal

130    Afin d’asseoir la conclusion selon laquelle Ryanair et Aer Lingus sont en concurrence sur certaines liaisons où leurs services se chevauchent (point 7.4 de la décision attaquée), la Commission rappelle l’existence de plusieurs éléments de preuve qui sont exposés dans la décision attaquée et qui n’ont pas été critiqués par la requérante dans la requête. Ces éléments portent sur :

–        l’utilisation, « comme de nombreux autres transporteurs », de systèmes de gestion du rendement similaires : système de suivi de l’état des réservations pour chaque vol et système de gestion des revenus (considérants 438 à 443 de la décision attaquée) ;

–        l’utilisation du même logiciel de comparaison des prix (QL2) leur permettant une surveillance du comportement concurrentiel des concurrents et une adaptation à l’évolution de l’offre (considérants 444 et 445 de la décision attaquée) ;

–        la surveillance mutuelle par Ryanair et Aer Lingus de leurs promotions et de leurs campagnes publicitaires respectives et les réactions réciproques aux promotions de l’une et de l’autre (considérants 448 et 449 de la décision attaquée) ;

–        les références faites à Aer Lingus dans le cadre des conseils d’administration de Ryanair s’agissant de l’évolution des parts de marché et du rapport de concurrence (note en bas de page n° 471 insérée sous le considérant 446 de la décision attaquée et note en bas de page n° 474 insérée sous le considérant 448 de ladite décision).

131    Sur la base de ces éléments de preuve, la Commission a effectué la constatation suivante : les tarifs d’Aer Lingus et de Ryanair sont directement influencés par les tarifs de leur principal concurrent, Aer Lingus et Ryanair tenant compte chacune des prix de l’autre lorsqu’elles fixent leurs tarifs sur une liaison (points 7.4.1 et 7.4.1.2 de la décision attaquée) et les parties à la concentration réagissant chacune aux promotions et aux campagnes publicitaires de l’autre (point 7.4.2 de la décision attaquée).

132    La requérante ne conteste pas la réalité des « éléments de preuve non techniques » cités par la Commission dans la décision attaquée. Elle soutient toutefois, en substance, que ces éléments de preuve ne sont pas suffisamment probants pour être pris en considération et qu’il convient, en toute hypothèse, de tirer des conclusions à partir des seuls « éléments de preuve techniques » résultant des différentes analyses économétriques effectuées lors de la procédure administrative. Elle fait également valoir que, en tout état de cause, les « éléments de preuve non techniques » ne permettent pas d’établir l’existence de « contraintes concurrentielles significatives réciproques » entre les parties à la concentration.

133    À cet égard, il convient de considérer tout d’abord que la Commission pouvait se prévaloir de l’existence de systèmes de gestion du rendement similaires, de la surveillance du comportement concurrentiel des concurrents, des réactions de l’une des parties à la concentration aux promotions effectuées par l’autre ou du suivi du comportement concurrentiel d’Aer Lingus dont témoignent les documents internes de Ryanair. Ces éléments pouvaient parfaitement être pris en considération par la Commission dans le cadre du faisceau d’indices qu’elle a utilisé pour évaluer la situation de concurrence.

134    Le fait que certains de ces « éléments de preuve non techniques » concernent tant la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus que celle existant entre Ryanair et tous les autres transporteurs aériens est sans incidence, dans la mesure où c’est la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus, parties à la concentration, sur les liaisons où elles sont toutes les deux présentes qui est examinée par la Commission à ce stade de l’analyse.

135    De plus, la Commission ne s’est pas fondée sur les éléments de preuve précités pour établir l’existence de « contraintes concurrentielles significatives réciproques », mais pour établir que les parties à la concentration se font actuellement concurrence (intitulé du point 7.4 de la décision attaquée ; voir également point 131 ci-dessus). Il n’y a donc pas lieu de chercher à vérifier si ces éléments de preuve peuvent être critiqués en ce qu’ils ne permettraient pas d’étayer une conclusion qui n’est pas tirée dans la décision attaquée.

136    Par ailleurs, l’allégation de la requérante selon laquelle les « éléments de preuve non techniques » ne peuvent être pris en compte s’ils ne sont pas étayés par des « éléments de preuve techniques » ne peut être retenue. Il n’y a, en effet, pas lieu d’établir une telle hiérarchie. Il appartient à la Commission d’évaluer globalement le résultat du faisceau d’indices utilisé pour évaluer la situation de concurrence. Il se peut, à cet égard, que certains éléments soient privilégiés et que d’autres soient écartés. Cet examen et la motivation qu’il comporte font l’objet du contrôle de légalité exercé par le Tribunal sur les décisions de la Commission en matière de concentrations. C’est donc dans ce contexte qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante concernant les conclusions qui auraient dû être tirées par la Commission au titre des différentes analyses économétriques effectuées lors de la procédure administrative et l’incidence que ces conclusions auraient dû avoir sur l’évaluation de la situation de concurrence (voir point 181 ci-après).

137    En conséquence, compte tenu en particulier du fait que les observations de la requérante restent générales, cette dernière se limitant à indiquer que les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée valent aussi bien pour Aer Lingus que pour tous les autres concurrents sans tenir compte des constatations faites par la Commission selon lesquelles, pour les liaisons examinées dans le cadre de l’appréciation des effets de l’opération sur la concurrence, Aer Lingus est le plus proche concurrent de Ryanair, il y a lieu de considérer que la requérante ne parvient pas à remettre en cause le bien-fondé des constatations faites par la Commission dans la décision attaquée.

138    Ces éléments de preuve, et notamment les extraits des discussions relatives à Aer Lingus menées dans le cadre des conseils d’administration de Ryanair figurant dans le dossier, sont particulièrement importants en ce qu’ils viennent conforter les constatations faites au stade de l’analyse des parts de marché et du degré de concentration et en ce qu’ils précèdent l’analyse des données économétriques. Ils sont pris en considération dans le cadre du faisceau d’indices utilisé par la Commission pour examiner les effets de l’opération sur la concurrence.

5.     Sur l’analyse économétrique de la Commission

a)     Arguments des parties

139    La requérante souligne que l’analyse économétrique permet d’« éviter des débats spéculatifs » sur l’importance des différences relatives au niveau des prix, aux coûts d’exploitation, au niveau de prestations et à la localisation de la base dans l’appréciation de la concurrence. De nombreuses erreurs entacheraient l’analyse économétrique effectuée par la Commission selon la méthode dite des « effets fixes » (ou « sur données de panel »). La Commission ne parviendrait pas à fournir des preuves de l’impact d’Aer Lingus sur les prix de Ryanair. Cela serait conforme à l’affirmation de Ryanair selon laquelle sa politique de prix est guidée par son « désir d’étendre son modèle à bas prix » sur de nouveaux marchés et de nouvelles liaisons et n’est « pas matériellement influencée » par l’activité de ses concurrents. La Commission prétendrait identifier une « relation systématique » concernant les deux séries distinctes de modèles relatifs, respectivement, à la « fréquence » et à la « présence » de Ryanair. Elle affirmerait, d’une part, que, si la fréquence de Ryanair augmentait de 1 %, les prix d’Aer Lingus baisseraient de 0,025 % (c’est-à-dire de manière extrêmement négligeable) et, d’autre part, que la présence de Ryanair sur une liaison pousserait Aer Lingus à appliquer des prix marginalement plus bas (c’est‑à‑dire entre 5 et 8 %) que ceux qu’elle appliquerait autrement. Malgré ces chiffres n’indiquant qu’une concurrence limitée, la Commission aurait surévalué l’impact concurrentiel réel que les deux compagnies aériennes ont l’une sur l’autre.

140    Premièrement, en ce qui concerne le prétendu effet de la « fréquence » sur les prix, la présentation effectuée par la Commission serait « très trompeuse ». Bien que l’impact relevé par la Commission puisse être statistiquement significatif, sa signification réelle en termes économiques serait négligeable. Tout en omettant de mentionner dans la décision attaquée une de ses propres erreurs initialement commises, la Commission soutiendrait que si Ryanair devait se retirer complètement de toutes les liaisons avec chevauchement d’activités et abandonner tous ses profits sur ces liaisons, cela aurait comme impact une augmentation de 10 à 12 % des tarifs d’Aer Lingus. Ce résultat serait « hautement improbable », parce que Ryanair se serait engagée à ne pas réduire ses fréquences sur les liaisons avec chevauchement d’activités, et procéderait d’une « interprétation extrêmement trompeuse », puisque les modèles utilisés ne seraient pas susceptibles de mesurer les impacts de mutations aussi importantes. De plus, la régression de la fréquence montrerait que même des changements importants dans la fréquence de Ryanair n’auraient qu’une incidence mineure sur les prix pratiqués par Aer Lingus.

141    Deuxièmement, à propos de la régression de la « présence », l’analyse économétrique de la Commission montrerait que les prix pratiqués par Aer Lingus sur les liaisons sur lesquelles Ryanair est présente étaient inférieurs de 5 à 8 % à ceux qu’elle pratique sur les liaisons dont Ryanair est absente. Ryanair représenterait généralement la moitié de la capacité de chacune des liaisons concernées. Par conséquent, si Ryanair ôtait une fraction très substantielle de la capacité, cela ne s’en ressentirait que peu sur les prix d’Aer Lingus. Une incidence aussi faible résultant d’une présence aussi importante n’indiquerait pas que Ryanair exerce une contrainte concurrentielle significative sur Aer Lingus.

142    Troisièmement, sur le plan théorique, les modèles de la Commission aboutiraient à un résultat qui serait en contradiction directe avec les principes économiques. Il serait ainsi erroné de considérer que, les autres facteurs étant constants, un accroissement de la capacité entraîne une augmentation des prix. Selon un principe économique bien connu, un accroissement des ventes exigerait, au contraire, une baisse des prix.

143    Quatrièmement, les constatations de la Commission ne résisteraient pas à de légères modifications de la manière dont les effets saisonniers ont été pris en considération dans le modèle utilisé. Les prix appliqués sur une liaison pourraient en effet varier systématiquement selon le mois en considération d’hypothèses qui n’affecteraient pas l’importance de la concurrence sur les prix. Un modèle empirique destiné à expliquer les prix devrait tenir compte des effets saisonniers, même s’il n’y a pas de manière « correcte » de faire. Or, en l’espèce, la Commission aurait supposé que chaque mois de chaque année était différent, mais que toutes les liaisons étaient affectées de manière similaire au cours d’un mois donné. Ainsi, par exemple, en décembre, la Commission aurait supposé que les liaisons desservant les stations de sport d’hiver connaissaient une augmentation de la demande semblable à celle des liaisons desservant des destinations estivales, ce qui serait manifestement incorrect. Le rapport de RBB Economics, de septembre 2007, présentant une critique économique de la décision attaquée et joint en annexe de la requête, indiquerait ainsi que, si l’effet saisonnier était modélisé de manière raisonnable, mais différente, la conclusion de la Commission selon laquelle Ryanair exerce une influence systématique sur les prix d’Aer Lingus ne serait plus valable. Les effets saisonniers n’auraient pas été correctement modélisés.

144    Cinquièmement, la requérante fait valoir que la Commission a appliqué des critères incohérents pour accepter ou rejeter des éléments de fait. La requérante renvoie à cet égard à la critique économique de RBB Economics, de septembre 2007. L’analyse économétrique menée par la Commission ne ferait pas clairement apparaître que Ryanair et Aer Lingus réagissent chacune aux promotions proposées par l’autre. Dès lors, il faudrait considérer que ces réactions aux promotions sont soit trop rares, soit trop limitées, pour pouvoir être considérées comme témoignant d’une concurrence significative entre les parties à la concentration.

145    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

146    La requérante conteste l’analyse de régression des prix menée par la Commission selon la méthode dite des « effets fixes ». Selon elle, aucun élément permettant d’apprécier l’impact d’Aer Lingus sur ses prix ne ressortirait de cette analyse, ce qui confirmerait son affirmation selon laquelle elle ne serait pas influencée par l’activité de ses concurrents. De ce fait, la Commission aurait surévalué l’impact concurrentiel réel que les compagnies aériennes ont l’une sur l’autre.

147    La requérante reprend, sur ce point également, des arguments qu’elle a exposés lors de la procédure administrative et qui ont été examinés et rejetés dans la décision attaquée. Il importe, à cet égard, de se référer au contenu de la décision attaquée pour comprendre le rôle joué par l’analyse de régression des prix lors de la phase d’enquête approfondie. Ce rôle est à apprécier au regard de la jurisprudence relative à la marge d’appréciation de la Commission en matière économique (voir points 29 et 30 ci-dessus).

148    La Commission a exposé aux considérants 450 à 488 de la décision attaquée les résultats de l’analyse de régression des prix qu’elle a réalisée en utilisant la technique de régression transversale proposée par Ryanair (point 7.4.3.1 de la décision attaquée) et ceux obtenus par l’utilisation de la technique de régression à effets fixes qu’elle a privilégiée (point 7.4.3.3 de la décision attaquée). Ces résultats l’ont conduite à la conclusion que son analyse confirmait une interaction concurrentielle significative entre Ryanair et Aer Lingus (intitulé du point 7.4.3 de la décision attaquée).

149    Au considérant 450 de la décision attaquée, la Commission a commencé par souligner qu’elle « estim[ait] que les éléments décrits dans les précédent[s] [point]s fourniss[ai]ent des preuves suffisantes de la concurrence que se livrent Aer Lingus et Ryanair ». L’analyse de régression des prix a été menée afin de permettre à la Commission de vérifier et d’apprécier les observations économétriques présentées par Ryanair et Aer Lingus ainsi que d’évaluer quel pourrait être l’impact probable de chacune des parties à la concentration sur les tarifs de l’autre.

150    Selon le considérant 452 de la décision attaquée, cette analyse de régression des prix avait pour objectif de vérifier :

–        si la présence de l’une des parties à la concentration sur une liaison était associée à une réduction significative du point de vue statistique et économique des tarifs de l’autre ;

–        si les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre une plus forte contrainte concurrentielle que tout autre concurrent existant ;

–        si l’existence d’un concurrent actuel ou potentiel ayant une présence significative à l’aéroport de destination sur une liaison au départ de Dublin avait un impact significatif sur les prix des parties à la concentration ;

–        si une plus forte présence de l’une des parties à la concentration (en termes de fréquences de vols) avait un effet prononcé sur les tarifs de l’autre.

151    Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, la technique de régression transversale consiste à examiner les différences de prix sur un certain nombre de liaisons concernées à un moment donné (considérant 453 de la décision attaquée). Elle implique de comparer les prix pratiqués sur des liaisons où la concurrence existe avec ceux pratiqués sur des liaisons où il n’y a pas de concurrence. L’analyse de régression à effets fixes consiste à examiner les différences de prix sur les liaisons concernées au cours d’une période donnée, à savoir la période allant de janvier 2002 à décembre 2006 (considérant 482 de la décision attaquée). Elle implique de comparer les prix pratiqués sur une liaison donnée lors de périodes au cours desquelles il n’y a pas de concurrence avec ceux pratiqués lors de périodes au cours desquelles une concurrence s’exerce.

152    Pour ce qui est de l’analyse de régression à effets fixes, la Commission a relevé qu’une régression fondée sur un échantillon avec des effets fixes propres à une liaison pouvait atténuer le biais d’omission de variable qui affecte les régressions transversales. Elle a estimé que cette méthode était « la plus appropriée pour évaluer la contrainte concurrentielle exercée par Ryanair sur Aer Lingus » (considérant 477 de la décision attaquée).

153    Les arguments des parties relatifs à l’analyse de régression transversale sont évoqués et appréciés par la suite (voir points 183 et suivants ci-après), seule l’analyse de régression à effets fixes étant appréciée dans le cadre des présentes considérations.

154    Pour critiquer l’analyse de régression à effets fixes effectuée par la Commission, la requérante fait valoir un certain nombre d’arguments qu’il convient d’examiner selon l’ordre logique suivi dans la décision attaquée, dans laquelle la Commission a d’abord envisagé le critère de présence (voir considérant 482 de la décision attaquée) avant d’examiner le critère de fréquence (voir considérant 485 de la décision attaquée).

155    En ce qui concerne l’effet de la « présence » sur les prix, la requérante soutient que l’analyse menée par la Commission a montré que les prix pratiqués par Aer Lingus sur les liaisons sur lesquelles elle est présente étaient inférieurs de 5 à 8 % à ceux qu’Aer Lingus pratique sur les liaisons dont elle est absente. Or, comme Ryanair représenterait généralement la moitié de la capacité de chacune des liaisons concernées, si Ryanair ôtait une fraction très substantielle de la capacité, les prix d’Aer Lingus ne s’en ressentiraient que peu. Une incidence aussi faible résultant d’une présence aussi importante n’indiquerait pas que Ryanair exerce une contrainte concurrentielle significative sur Aer Lingus. En outre, la Commission ne serait pas parvenue à fournir de preuve de l’impact d’Aer Lingus sur les prix de Ryanair (voir points 139 et 141 ci-dessus).

156    En premier lieu, la Commission a considéré que la régression à effets fixes ne fournissait pas d’estimations fiables sur un possible impact de la présence d’Aer Lingus sur les prix de Ryanair. Elle a relevé à cet égard qu’il existait un nombre insuffisant d’exemples d’entrées ou de retraits d’Aer Lingus sur une liaison où Ryanair était déjà présente (considérant 486 de la décision attaquée). Ce dernier point n’est pas contesté par la requérante.

157    Il y a donc lieu de relever que la Commission a reconnu dans la décision attaquée qu’elle n’était pas en mesure de fournir de preuve économétrique de l’impact d’Aer Lingus sur les prix de Ryanair et que cela s’expliquait par la raison précitée. La Commission a toutefois pris soin de relever que « cela ne valid[ait] ni ne réfut[ait] l’hypothèse selon laquelle Aer Lingus exerce une contrainte concurrentielle sur les prix de Ryanair ». La Commission a étayé cette affirmation en précisant que « les preuves présentées [au point 7.4.2. de la décision attaquée] établiss[ai]ent clairement que Ryanair tout comme Aer Lingus contrôlent de manière permanente leur propre taux de remplissage et les prix de l’une et de l’autre et ajustent leurs prix en conséquence » (considérant 486 de la décision attaquée et note en bas de page n° 487, dans laquelle il est fait référence au point 7.4.2 de la décision attaquée, qui est relatif au fait que chacune des parties à la concentration réagit aux promotions et aux campagnes publicitaires de l’autre).

158    La requérante se limite donc à cet égard à reprendre un point exposé dans la décision attaquée sans qu’il soit pour autant possible d’en déduire qu’il n’existe pas de contrainte concurrentielle entre les parties à la concentration. L’absence de données suffisantes relatives aux entrées ou aux retraits d’Aer Lingus sur une liaison où Ryanair est déjà présente s’explique par une raison objective non contestée par la requérante et ne suffit pas pour alléguer que la contrainte concurrentielle entre les parties à la concentration, résultant d’autres éléments de preuve exposés dans la décision attaquée, ait été surestimée par la Commission.

159    En second lieu, la Commission a indiqué dans la décision attaquée que, comme il existe de nombreux exemples d’entrée ou de retrait de Ryanair sur des liaisons où Aer Lingus était déjà présente, l’analyse de régression à effets fixes était parfaitement appropriée pour évaluer si la présence de Ryanair est « associée de manière négative » aux prix d’Aer Lingus (considérant 483 de la décision attaquée). Ce point n’est pas non plus contesté par la requérante.

160    L’analyse de régression à effets fixes a notamment permis de valider l’hypothèse selon laquelle, « selon le critère, la présence de Ryanair est liée au fait qu’Aer Lingus pratique des prix inférieurs de 7-8 % lorsqu’il s’agit de paires de villes reflétant la définition du marché retenue par la Commission et d’environ 5 % inférieurs lorsqu’il s’agit de paires d’aéroports ». Selon la Commission, cet effet est économiquement et statistiquement significatif dans toutes les régressions vérifiées (considérant 485 de la décision attaquée), alors que la requérante fait valoir que cela n’indiquerait qu’une concurrence limitée.

161    La requérante ne critique donc pas ces résultats en tant que tels, mais seulement leur signification. Or, les affirmations de la requérante sur ce point ne permettent pas de comprendre en quoi l’effet de sa présence sur les tarifs d’Aer Lingus ne pourrait être considéré comme économiquement et statistiquement significatif comme le fait valoir la Commission.

162    À cet égard, il y a lieu de relever qu’une incidence sur les prix de 7 à 8 % apparaît d’emblée significative. Cet effet risque d’ailleurs d’être sous-estimé, dès lors qu’il s’agit d’une moyenne qui ne prend pas spécialement en considération les liaisons où la concentration aboutirait à la création d’un monopole. De même, ainsi que cela a été relevé au considérant 488 de la décision attaquée, la comparaison effectuée par la Commission ne prend pas en considération l’influence sur les tarifs d’Aer Lingus de la présence de Ryanair en tant que concurrent potentiel sur des liaisons au départ de Dublin (point 7.6 de la décision attaquée). Sur ces liaisons, il est effectivement probable qu’Aer Lingus fixe des prix inférieurs à ce qu’elle demanderait si Ryanair ne disposait pas de base à l’aéroport de Dublin. La requérante ne peut donc se limiter à contester la signification donnée à l’effet constaté au motif qu’il ne serait, selon elle, pas assez significatif sur le plan économique.

163    Par ailleurs, il importe de ne pas perdre de vue le rôle donné à l’analyse de régression à effets fixes dans le cadre de l’évaluation de la situation de concurrence. La Commission a ainsi indiqué dans la décision attaquée que cette analyse confirmait et complétait les conclusions tirées à partir des preuves qualitatives selon lesquelles Ryanair et Aer Lingus sont de proches concurrents. Elle a relevé que ces résultats étaient également conformes à l’opinion de la majorité des personnes interrogées lors de l’enquête effectuée auprès de la clientèle, dont il ressort que les parties à la concentration sont les « concurrents les plus proches » lorsque d’autres compagnies sont actives sur la liaison. Elle a conclu à ce titre que « [l]es régressions à effets fixes apport[ai]ent par conséquent des preuves claires et corroborantes que les prix d’Aer Lingus subissent actuellement la contrainte concurrentielle de Ryanair » (considérants 489 et 490 de la décision attaquée). C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’apprécier le rôle donné à l’analyse de régression à effets fixes. Il en ressort que c’est moins l’intensité de la concurrence qui existe entre Ryanair et Aer Lingus qui est mise en avant dans la décision attaquée que le fait que ces deux entreprises sont les « concurrents les plus proches » et qu’il existe une contrainte concurrentielle exercée par Ryanair sur Aer Lingus. Les résultats obtenus par la Commission en considération du critère de présence permettent d’étayer ces deux dernières appréciations.

164    En conséquence, la requérante ne démontre pas en quoi la Commission aurait excédé les limites du pouvoir d’appréciation des situations d’ordre économique qui lui est reconnu par la jurisprudence.

165    En ce qui concerne l’effet de la « fréquence » sur les prix, la requérante fait valoir que la présentation faite dans la décision attaquée est « très trompeuse », dans la mesure où, même si l’impact relevé par la Commission était statistiquement significatif, sa signification économique serait négligeable. La Commission aurait également omis de mentionner dans la décision attaquée une erreur initialement commise lors de la procédure administrative et serait arrivée à un résultat « hautement improbable ». Par ailleurs, la régression de la fréquence montrerait que même des changements importants dans la fréquence de Ryanair n’auraient qu’une incidence mineure sur les prix pratiqués par Aer Lingus (voir point 140 ci-dessus).

166    Sur ce point, il convient de relever qu’un autre critère que le critère initial de présence, examiné ci-dessus, a été utilisé par la Commission dans l’analyse de régression à effets fixes. Il s’agit du critère de fréquence, lequel a pour objectif de vérifier si le nombre des fréquences de l’une des parties à la concentration sur une liaison donnée se traduit par une baisse des tarifs pratiqués par l’autre (considérant 482 de la décision attaquée). La Commission a expressément indiqué dans la décision attaquée que l’effet généré par les régressions fondées sur la fréquence permettait de renforcer la fiabilité des résultats obtenus par application du critère de présence (considérant 485, quatrième alinéa, de la décision attaquée). Selon elle, l’effet sur les prix indiqué par le critère de fréquence fournit donc un élément complémentaire permettant de contrôler la « robustesse » de celui obtenu en utilisant le critère de présence.

167    Dans ce contexte, la Commission est arrivée à la conclusion que mesurer le degré de la présence de Ryanair au regard de la fréquence des vols sur la liaison, utilisée comme variable de substitution, permettait de confirmer que Ryanair exerçait une contrainte concurrentielle sur Aer Lingus. La Commission a également relevé dans la décision attaquée que, « [s]elon le critère, l’effet, en termes de prix de la concentration, généré par les régressions fondées sur la fréquence s’élève à environ 5-6 % (en moyenne sur toutes les liaisons) ou 10-12 % (si l’on considère seulement les liaisons dont les services se chevauchent) » (considérant 485, quatrième alinéa, de la décision attaquée).

168    Cette analyse de la Commission ne saurait être remise en cause par l’affirmation de la requérante selon laquelle sa présentation est « très trompeuse » et son résultat « hautement improbable ». Pour alléguer ce caractère « hautement improbable », la requérante fait valoir qu’elle s’est engagée à ne pas réduire ses fréquences sur les liaisons avec chevauchement d’activités à la suite de la réalisation de la concentration. Or, cet engagement, qui vaut pour le futur, ne remet pas en cause les résultats de l’analyse économétrique réalisée par la Commission à partir de données qui couvrent la période allant de janvier 2002 à décembre 2006. À ce stade de l’analyse, la Commission n’a fait qu’exposer les différents éléments pris en considération dans le faisceau d’indices utilisé pour arriver à la conclusion que les parties se font actuellement concurrence (point 7.4 de la décision attaquée).

169    Pour alléguer la nature « très trompeuse » de la présentation, la requérante soutient que les modèles utilisés ne sont pas susceptibles de mesurer les impacts de mutations aussi importantes. Selon la requérante, la Commission présente une « interprétation alternative et trompeuse » de la régression de la fréquence en tentant de calculer la hausse de prix attendue dans le cas où elle disparaîtrait de toutes les liaisons desservies par Aer Lingus. Elle se réfère à cet égard au paragraphe 290 de l’annexe IV de la décision attaquée. Cependant, force est de constater que la Commission a exposé dans ladite annexe les raisons pour lesquelles elle a utilisé l’hypothèse critiquée par la requérante. Il s’agissait en l’espèce de reprendre par analogie la méthode utilisée par les experts économiques impliqués dans l’affaire FTC v. Staples/Office Depot aux États-Unis (voir paragraphes 288 à 290 de l’annexe IV de la décision attaquée et les références faites aux publications dans la note en bas de page n° 87 de ladite annexe). La requérante ne peut donc se contenter d’affirmer que cette hypothèse constitue une « interprétation alternative et trompeuse » de la régression de la fréquence sans se prononcer sur les raisons avancées par la Commission pour utiliser ladite hypothèse dans le cadre de la présente affaire. Il convient également de prendre en compte le rôle accessoire donné par la Commission à l’analyse de l’effet de fréquence sur les prix, lequel n’est invoqué que pour confirmer que Ryanair exerce une contrainte concurrentielle sur Aer Lingus et pour renforcer la fiabilité des résultats tirés de l’utilisation du critère de présence (voir points 166 et 167 ci-dessus). Qu’ils résultent de l’utilisation du critère de présence ou de celle du critère de fréquence, ces résultats n’ont de toute manière qu’un rôle limité dans le cadre de l’évaluation de la situation de concurrence (voir point 163 ci-dessus).

170    En conséquence, la requérante ne démontre pas en quoi la Commission aurait excédé les limites du pouvoir d’appréciation des situations d’ordre économique qui lui est reconnu par la jurisprudence.

171    Quant au grief relatif à l’erreur initialement commise par la Commission, il y a lieu de relever que celle-ci ressort du paragraphe 64 de l’annexe IV de la communication des griefs adressée lors de la procédure administrative, dans lequel la Commission a déclaré ce qui suit :

« […] Cette approche nous permet […] d’interpréter le coefficient de la variable de fréquence en tant qu’élasticité des prix par rapport au nombre de fréquences mensuelles qu’un rival propose sur la liaison en cause. Ainsi, si le coefficient est de 0,02, par exemple, cela signifie qu’un renforcement de 1 % des fréquences mensuelles d’un concurrent donne lieu à une augmentation de 2 % des tarifs. »

172    Dans la seconde phrase, la Commission aurait dû écrire « si le coefficient est de 2 ». Cette erreur n’en demeure pas moins sans gravité. Elle concerne un exemple hypothétique utilisé pour illustrer le fonctionnement d’un coefficient dans le cadre de l’application du critère de fréquence. Cette erreur est sans rapport avec l’interprétation donnée par la Commission des résultats effectifs. Au demeurant, elle n’a pas été dissimulée, mais a été expressément évoquée dans la décision attaquée (paragraphes 285 et 286 de l’annexe IV de la décision attaquée). En outre, cette erreur ne se rapporte pas au critère de présence, qui est considéré comme plus pertinent (voir point 166 ci-dessus).

173    Il ne peut donc être reproché à la Commission d’avoir présenté une analyse viciée dans la décision attaquée du fait d’une erreur mineure, qui s’apparente à une erreur de plume, commise à un stade antérieur.

174    En ce qui concerne l’argument selon lequel les modèles de la Commission seraient en contradiction avec la théorie économique, dès lors qu’ils aboutiraient au résultat paradoxal qu’un accroissement de la capacité entraîne une augmentation des prix (voir point 142 ci-dessus), il y a lieu de relever, comme le fait la Commission, que, la capacité étant déterminée avant les prix dans le secteur du transport aérien de passagers, les critères économétriques utilisés restituent le lien entre les tarifs et la demande prévue au moment où la capacité est déterminée (et non la demande réelle). L’argument de la requérante ne tient donc pas compte des caractéristiques propres au secteur en cause, dans lequel les décisions relatives à la capacité présentent certaines particularités.

175    Dans le cadre de l’argument pris du fait que les constatations de la Commission ne résisteraient pas à de légères modifications des hypothèses sous-tendant le modèle, la requérante relève que la Commission aurait supposé que chaque mois de chaque année était différent, mais que toutes les liaisons étaient affectées de manière similaire au cours d’un mois donné. Or, selon la requérante, si l’effet saisonnier était modélisé de manière raisonnable, mais différente, la conclusion de la Commission selon laquelle Ryanair exerce une influence systématique sur les prix d’Aer Lingus ne serait plus valable (voir point 143 ci-dessus).

176    Sur ce point, il y a lieu de noter que l’analyse de régression à effets fixes effectuée par la Commission consiste à rechercher les différences sur les diverses liaisons qui affectent les prix et ne varient pas dans le temps. La Commission a exposé dans l’annexe IV de la décision attaquée les raisons pour lesquelles elle considérait que les résultats obtenus résistaient à l’introduction d’autres variables de contrôle relatives à des facteurs de demande et d’offre pouvant varier dans le temps et selon la liaison. Elle a indiqué que le recours à des effets fixes dans le temps permettait de contrôler de manière satisfaisante le caractère saisonnier et les chocs exogènes pour n’importe quel mois. Ces résultats résisteraient même à l’utilisation des modèles de remplacement pour la prise en compte du caractère saisonnier, proposés par Ryanair lors de la procédure administrative (paragraphes 255 à 267 de l’annexe IV de la décision attaquée).

177    La requérante se limite donc à maintenir qu’une autre approche des effets saisonniers pourrait modifier les résultats obtenus. Or, il est fait référence à cette approche en annexe de la décision attaquée et la requérante n’expose pas en quoi les remarques faites à ce propos par la Commission seraient erronées.

178    En conséquence, la requérante ne démontre pas en quoi la Commission aurait excédé les limites du pouvoir d’appréciation des situations d’ordre économique qui lui est reconnu par la jurisprudence.

179    En réponse à l’argument pris de l’utilisation de critères incohérents pour accepter ou rejeter des éléments de fait (voir point 144 ci-dessus), il convient de noter que la Commission a procédé dans la décision attaquée et dans l’annexe IV de celle-ci à un examen détaillé de toutes les données économétriques soumises par les parties ainsi que des observations qu’elles ont pu présenter sur ses propres données. La Commission a notamment effectué d’autres tests et extensions des régressions de base figurant dans la communication des griefs pour répondre à ces observations (voir le point 7.3 de l’annexe IV de la décision attaquée, qui est consacré à ces observations).

180    Au vu de cet examen, et compte tenu du fait que, dans le cadre de ses remarques à cet égard, la requérante se limite à reprendre les griefs exposés par ailleurs sur les différents aspects de l’analyse de régression à effets fixes effectuée par la Commission, il y a lieu de considérer que la requérante ne démontre pas en quoi la Commission aurait excédé les limites du pouvoir d’appréciation des situations d’ordre économique qui lui est reconnu par la jurisprudence.

181    En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’analyse économétrique menée par la Commission ne ferait pas clairement apparaître que Ryanair et Aer Lingus réagissent chacune aux promotions proposées par l’autre, il convient de relever que tel n’était pas l’objet de cette analyse (voir point 150 ci-dessus). La Commission ne s’est pas appuyée dans la partie de la décision attaquée relative à l’examen des promotions et des campagnes publicitaires sur l’analyse de régression à effets fixes, mais sur l’analyse de la stratégie publicitaire d’Aer Lingus et de Ryanair (voir point 7.4.2 de la décision attaquée ainsi que les nombreuses références faites dans les notes en bas de page nos 474 à 477 aux communiqués de presse, aux documents internes de Ryanair et à la réponse d’Aer Lingus à un questionnaire de la Commission). Les conclusions tirées par la Commission dans cette partie ne sauraient donc être remises en cause, en tant que telles, par les résultats d’une analyse économétrique dont l’objet n’était pas d’examiner cette question.

182    Il ressort donc de l’examen du contenu de la décision attaquée et de son annexe IV qu’aucun argument avancé par la requérante n’est susceptible de remettre en cause le bien-fondé des conclusions auxquelles la Commission est arrivée, qu’il s’agisse de la méthode utilisée, des résultats obtenus ou de l’exploitation qui en est faite dans la décision attaquée au titre de l’appréciation des effets de la concentration sur la concurrence.

183    À cet égard, il importe de rappeler que, en tout état de cause, les résultats de l’analyse de régression effectuée par la Commission n’ont été utilisés que pour confirmer et compléter les conclusions tirées à partir des preuves qualitatives selon lesquelles Ryanair et Aer Lingus sont de proches concurrents.

6.     Sur les analyses économétriques présentées par Ryanair

a)     Arguments des parties

184    La requérante soutient que la Commission a choisi d’ignorer les données économétriques qu’elle a présentées lors de la procédure administrative. Ces données auraient été destinées à vérifier si la présence d’Aer Lingus sur une liaison empêchait Ryanair d’appliquer des prix plus élevés. Elles comprendraient des données transversales comparant une liaison avec une autre en ce qui concerne plus de 300 liaisons à travers l’Europe ainsi qu’un modèle de panel. Selon la requérante, ces deux éléments démontraient invariablement que, lorsqu’elle fixe ses prix, elle ne fait pas l’objet d’une contrainte concurrentielle résultant de la présence d’Aer Lingus sur une liaison. Les données fournies par Ryanair comporteraient plusieurs avantages par rapport au modèle utilisé par la Commission (critique économique de RBB Economics, de septembre 2007).

185    Premièrement, le modèle transversal de Ryanair utiliserait des données concernant des liaisons qu’elle exploite. Ces données auraient été écartées par la Commission pour des « raisons théoriques », fondées sur le fait qu’elles ne concernaient pas directement l’Irlande, d’où partaient les liaisons affectées par la concentration, et qu’il était possible que des « différences non observées » entre les liaisons influent sur les résultats. Ces deux objections seraient manifestement dénuées de fondement, parce que Ryanair utiliserait le même modèle économique dans toute l’Europe sans distinguer entre les liaisons irlandaises et non irlandaises et que l’objection relative aux « différences non observées » vaudrait également pour le modèle de la Commission, cette dernière ayant elle-même admis s’agissant de son modèle un « problème de sélection » et un « problème d’endogénéité » concernant la fréquence.

186    Deuxièmement, la régression de panel présentée par Ryanair permettrait de contrôler les fluctuations affectant de manière significative les prix pratiqués sur une liaison. Cet élément en ferait une méthode supérieure aux modèles de la Commission, dans le cadre desquels, très probablement, il n’aurait pas été tenu compte adéquatement des facteurs concernant la demande. En principe, la Commission reconnaîtrait les avantages de cette « proxy » de la demande au niveau des liaisons, mais elle choisirait arbitrairement de l’écarter au motif qu’il serait théoriquement possible que la variable « échoue dans certaines » circonstances. En outre, en ce qui concerne la conclusion de Ryanair selon laquelle Aer Lingus n’a aucun effet significatif sur ses prix, la Commission soutiendrait que « l’incapacité à prouver l’existence d’un lien statistique ne signifie pas que ce lien n’existe pas » (considérant 476 de la décision attaquée). La Commission imposerait donc un critère impossible à satisfaire.

187    Troisièmement, la Commission qualifierait la méthode économétrique de Ryanair de « non conventionnelle », alors même qu’il s’agirait de la méthode appliquée par les économistes sur les travaux desquels s’appuie son analyse (paragraphes 117 et 288 de l’annexe IV de la décision attaquée).

188    En conséquence, les données de Ryanair seraient fondées sur des modèles plus solides que ceux de la Commission, seraient représentatives de son modèle économique, permettraient de prendre en compte les fluctuations de la demande et seraient plus « robustes » face à la modification des hypothèses de modélisation. L’analyse économétrique de la Commission ne contredirait d’ailleurs pas la conclusion tirée à partir de ces données selon laquelle Aer Lingus n’exerce pas de contrainte concurrentielle sur Ryanair.

189    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

190    La requérante soutient que la Commission ne pouvait écarter ses données économétriques comme elle l’a fait pour les raisons exposées dans la décision attaquée (point 7.4.3.1 de la décision attaquée et point 5 de son annexe IV en ce qui concerne l’analyse de régression transversale ; point 7.4.3.2 de la décision attaquée et point 6 de son annexe IV en ce qui concerne les régressions en deux phases).

191    La requérante reprend, sur ce point également, des arguments qu’elle a exposés lors de la procédure administrative et qui ont été examinés et rejetés dans la décision attaquée. Il importe, à cet égard, de se référer au contenu de la décision attaquée pour comprendre le rôle joué par l’analyse de régression des prix lors de la phase d’enquête approfondie. Ce rôle est à apprécier au regard de la jurisprudence relative à la marge d’appréciation de la Commission en matière économique (voir points 29 et 30 ci-dessus).

192    En effet, il convient tout d’abord de relever que la Commission a examiné en détail dans la décision attaquée les deux études économétriques communiquées par Ryanair. Ainsi, pour écarter l’analyse de régression transversale, la Commission a indiqué que Ryanair cherchait à établir si ses propres tarifs étaient moins élevés sur les liaisons où elle se trouvait en concurrence avec Aer Lingus et que Ryanair prétendait obtenir ce résultat en analysant les tarifs sur 313 liaisons européennes desservies par elle, avant de conclure qu’il n’existait pas de lien statistiquement significatif entre ses propres tarifs et la présence d’Aer Lingus sur une liaison donnée (considérants 457 à 459 de la décision attaquée). La Commission a refusé d’admettre que cette constatation constituait la preuve qu’Aer Lingus n’exerçait pas une contrainte concurrentielle sur Ryanair pour les raisons suivantes : premièrement, les résultats de l’étude ne seraient « pas robustes », c’est-à-dire qu’ils ne résisteraient pas à une faible modification des hypothèses de départ, et certains problèmes techniques spécifiques priveraient lesdits résultats de fiabilité ; deuxièmement, le fait de comparer des liaisons différentes (méthode transversale) serait problématique, car les caractéristiques des liaisons ne seraient pas prises en compte ; et troisièmement, les données présentées ne se limiteraient pas aux liaisons au départ et à destination de Dublin, mais porteraient également sur un grand nombre de liaisons européennes qui ne sont ni au départ ni à destination de Dublin » (considérants 460 à 462 de la décision attaquée et point 5.2 de son annexe IV).

193    En vue de corriger autant que possible ces problèmes, la Commission a effectué sa propre analyse transversale des liaisons au départ et à destination de Dublin. Les résultats obtenus n’auraient pas confirmé les constatations de Ryanair. Ils auraient fait apparaître que les tarifs d’Aer Lingus étaient plus faibles sur les liaisons où Ryanair est présente et que Ryanair pratiquait des prix moins élevés lorsqu’elle est soumise à la concurrence d’Aer Lingus. Pour des raisons techniques, la Commission a toutefois considéré dans la décision attaquée qu’aucune conclusion définitive ne pouvait être tirée ni de l’analyse transversale de Ryanair ni de la sienne (considérants 463 à 468 de la décision attaquée).

194    Par ailleurs, force est de constater que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Commission n’a pas arbitrairement rejeté dans la décision attaquée ses deux rapports relatifs aux régressions en deux phases (également appelées « régressions de panel »). Ces rapports ont été soigneusement examinés et ils n’ont pas été retenus à titre de preuve pour les raisons exposées aux considérants 473 à 475 de la décision attaquée et au point 6 de son annexe IV. En particulier, la Commission a relevé que la méthode appliquée par Ryanair a de facto réduit l’approche par échantillonnage à une simple analyse transversale. Le défaut qui a conduit la Commission à rejeter tant l’analyse transversale de Ryanair que sa propre analyse, à savoir la prise en considération insuffisante des caractéristiques des liaisons, invalide également l’analyse de régression en deux phases de Ryanair. La Commission a également relevé que, en choisissant une méthode complexe en deux phases et un ensemble de données comportant des liaisons au départ de l’Irlande, Ryanair augmentait la probabilité que sa régression ne donne pas de résultats statistiquement significatifs.

195    Il ressort donc de l’examen du contenu de la décision attaquée et de son annexe IV qu’aucun argument avancé par la requérante n’est susceptible de remettre en cause le bien-fondé des conclusions de la Commission, aux termes desquelles, d’une part, ni l’analyse transversale de cette dernière ni celle de Ryanair n’atteignent la norme de fiabilité nécessaire (considérant 468 de la décision attaquée) et, d’autre part, l’analyse de régression en deux phases de Ryanair n’a pas une valeur probante suffisante pour établir que Ryanair ne subit aucune contrainte concurrentielle de la part d’Aer Lingus sur les liaisons au départ de l’Irlande (considérant 476 de la décision attaquée).

7.     Sur les contraintes concurrentielles exercées par les compagnies de charters

a)     Arguments des parties

196    La requérante affirme que les compagnies de charters exerceraient une contrainte concurrentielle sur l’entité issue de la concentration « dans le contexte, par exemple, des destinations vers le soleil ou le ski ». En excluant, au point 6.7 de la décision attaquée, les compagnies de charters du marché pertinent, la Commission commettrait une erreur. En effet, la plus grande partie des sièges charters serait mise sur le marché sous la forme de voyages organisés proposés par les voyagistes. La Commission nierait dans la décision attaquée toute importance à ces sièges au motif que « [l]e marché des ventes de lots de places aux voyagistes est un marché en amont de celui des ventes de places aux particuliers » (considérant 299 de la décision attaquée). Cependant, les clients réservant des vols charters auprès des voyagistes pourraient facilement réserver des vols réguliers auprès de transporteurs comme Ryanair [voir décision de la Commission du 4 mai 2007 (Affaire COMP/M.4601 – KarstadtQuelle/MyTravel)]. La Commission indiquerait également dans la décision attaquée que « [l]e fait que les voyagistes soient affectés de manière négative par les transporteurs à prestations minimales ne signifie pas, néanmoins, que ces voyagistes exercent une contrainte concurrentielle sur les parties à la concentration » (considérant 308 de la décision attaquée). Cependant, les effets négatifs que les voyagistes auraient ressentis de la part des transporteurs à bas prix résulteraient sans doute de la « désintermédiation » (c’est-à-dire que des consommateurs auraient choisi de réserver de manière indépendante des vacances à l’étranger plutôt que d’acheter un voyage organisé). Si, comme il serait vraisemblable, les voyagistes réagissaient à la perte de ventes en baissant leurs prix pour remplir leurs avions charters, cela aurait pour conséquence que certains consommateurs quitteraient les transporteurs réguliers à bas prix pour revenir aux produits des voyagistes. En d’autres termes, les voyagistes seraient susceptibles d’exercer certaines contraintes sur les transporteurs réguliers lorsque ces derniers transportent des consommateurs vers des destinations de vacances.

197    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

198    La requérante fait valoir que les compagnies de charters exerceraient une contrainte concurrentielle sur l’entité issue de la concentration « dans le contexte, par exemple, des destinations vers le soleil ou le ski ». Ces compagnies aériennes auraient donc dû être prises en compte dans le cadre de la définition du marché pertinent et de l’appréciation des effets sur la concurrence.

199    Ces critiques ne consistent toutefois qu’à rappeler la situation factuelle examinée par la Commission au point 6.7 de la décision attaquée, dans le cadre duquel elle a conclu, d’une part, que « la plupart des services proposés par les compagnies de charters n’appart[enaient] pas au même marché que les services de transport aérien régulier (ventes de vacances à forfait, ventes de places à des voyagistes) » et, d’autre part, que « la question de savoir si les ventes de vols secs font partie du même marché en cause [pouvait être laissée ouverte], car l’appréciation faite sous l’angle de la concurrence s’en trouverait inchangée » (considérant 311 de la décision attaquée). Cette seconde conclusion est fondée sur l’observation, non contestée par la requérante dans la présente affaire, selon laquelle les compagnies de charters, en proposant très peu de vols secs sur les liaisons en cause, n’exerceraient pas une contrainte concurrentielle significative sur l’ensemble Ryanair-Aer Lingus (considérant 306 de la décision attaquée).

200    Les motifs exposés dans la décision attaquée sont suffisants pour asseoir les conclusions qui en ont été tirées par la Commission. En outre, la requérante ne démontre pas que la prise en compte des compagnies de charters aurait eu une incidence sur l’appréciation de l’état de la concurrence effectuée par la Commission.

201    En conséquence, il convient d’écarter cet argument de la requérante.

8.     Sur l’enquête réalisée auprès des passagers

a)     Arguments des parties

202    La requérante dénonce le « poids excessif » accordé à l’enquête effectuée auprès des passagers ayant conduit la Commission à conclure à l’existence d’une relation de concurrence entre Aer Lingus et elle qui serait beaucoup plus étroite qu’elle ne l’est en réalité. Cette enquête aurait été « insuffisante et défectueuse » à de nombreux égards, ainsi que cela ressortirait du rapport de York Aviation, de septembre 2007, relatif à certains aspects de la décision attaquée, joint en annexe à la requête.

203    Premièrement, la requérante soutient que cette enquête a été si mal conçue que des questions à l’attention des passagers étaient « ambiguës et trompeuses ». La Commission n’aurait pu raisonnablement ignorer ces ambiguïtés dans un cas où l’un des problèmes clés à trancher portait sur le point de savoir si un aéroport secondaire donné était un substitut assez proche d’un aéroport principal particulier. À cet égard, la Commission aurait elle-même noté que l’enquête n’était pas destinée à évaluer la substituabilité des aéroports.

204    Deuxièmement, la requérante fait valoir que la réalisation de l’enquête a présenté plusieurs défauts. Tout d’abord, la portée de l’enquête aurait été trop limitée pour être représentative de la population globale, si bien que ses résultats ne seraient pas fiables. Un seul des quelque 50 aéroports en cause (à savoir l’aéroport de Dublin) serait concerné par l’enquête (et non ceux de Cork, de Shannon, du Royaume-Uni ou d’Europe continentale), ce qui risquerait d’aboutir à une large sous-estimation du nombre de passagers non originaires d’Irlande et de la mesure dans laquelle les passagers considéraient les transporteurs non irlandais comme des substituts sur les liaisons entre Dublin et le Royaume-Uni ou l’Europe continentale. Ensuite, s’il était possible, en principe, d’organiser l’enquête en demandant aux personnes interrogées de remplir elles-mêmes le formulaire, cette méthode se serait révélée manifestement inappropriée en l’espèce en raison de la formulation ambiguë et/ou orientée du questionnaire final (voir la question n° 8 du questionnaire relative à la substituabilité) et aurait été non conforme à une bonne pratique. De même, du fait des périodes au cours desquelles l’enquête a été effectuée, la couverture de la journée et de la semaine était variable, ce qui compromettrait la fiabilité des résultats [par exemple, sur la liaison Dublin-Londres (Heathrow), que beaucoup de passagers d’affaires empruntent, l’enquête a été organisée le week-end, période au cours de laquelle ils sont moins susceptibles de voyager]. Par ailleurs, le questionnaire n’était distribué qu’en anglais, ce qui signifierait que la proportion de passagers non anglophones ayant répondu au questionnaire (par exemple, les résidents d’outre-mer et certains travailleurs migrants résidant en Irlande) était réduite et que le risque que le questionnaire soit mal interprété était accru.

205    Troisièmement, la requérante relève que l’analyse ultérieure des résultats de l’enquête est aussi « manifestement défectueuse ». En particulier, un « décideur sensé » n’aurait pu tirer les conclusions que la Commission a tirées de ces résultats sans au préalable les pondérer de la manière indiquée par Ryanair, c’est-à-dire telle qu’elle est exposée dans le rapport de York Aviation, de septembre 2007.

206    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

207    Dans la décision attaquée, la Commission s’est référée à une enquête menée par ses services auprès des passagers, avant de conclure qu’il en ressortait que les passagers empruntant un vol au départ ou à destination de Dublin considéraient Aer Lingus et Ryanair comme les « concurrents les plus proches » (point 7.3.5 de la décision attaquée, en particulier considérant 416 et note en bas de page n° 449, ainsi que point 3 de l’annexe I et tableau A.4.5 de l’annexe II de la décision attaquée). Les résultats sont envisagés en considération des données non pondérées (point 7.3.5.1 de la décision attaquée), des données non pondérées par catégorie de route (point 7.3.5.2 de la décision attaquée) et des données pondérées et restent significatifs (considérant 428 de la décision attaquée). Ces résultats seraient corroborés par une autre enquête réalisée pour Aer Lingus (considérant 430 de la décision attaquée).

208    En ce qui concerne les griefs relatifs à la conception de l’enquête et aux questions posées, il convient de relever que la Commission a indiqué au considérant 419 de la décision attaquée quel était le principal objectif de l’enquête, à savoir valider ou réfuter l’allégation de Ryanair selon laquelle cette dernière et Aer Lingus n’étaient pas considérées comme des substituts par leur clientèle respective sur les liaisons au départ de Dublin. Dès lors, la Commission pouvait estimer à juste titre que demander directement aux passagers s’ils avaient envisagé Aer Lingus ou Ryanair lors du choix d’un vol sur une liaison particulière au départ de Dublin était la meilleure façon d’éviter une réponse biaisée à la question qui vise à vérifier l’allégation de Ryanair selon laquelle les parties à la concentration n’exercent pas de contrainte concurrentielle l’une sur l’autre. Le choix d’une telle question ne peut dès lors être critiqué par la requérante.

209    De même, il ne peut être allégué que la portée de l’enquête était trop limitée pour être représentative dès lors que la Commission a recueilli environ 2 500 réponses à un questionnaire spécialement conçu pour l’affaire et conformément à une demande qui avait été présentée en ce sens par Ryanair. Les autres critiques faites par la requérante en ce qui concerne l’enquête, à savoir sa réalisation durant un week-end, en anglais, à Dublin seulement et en utilisant la technique de l’autoquestionnaire, ont été abordées dans l’annexe I de la décision attaquée, qui détaille l’enquête auprès des passagers (considérant 415 de la décision attaquée) et dans le cadre de laquelle la Commission a relevé en substance et de manière convaincante que ces particularités pouvaient s’expliquer par le manque de temps nécessaire pour mettre en place une enquête à plus grande échelle, pendant une semaine entière, en plusieurs langues, dans les autres aéroports et sans recourir à la technique de l’autoquestionnaire pourtant communément utilisée dans le transport aérien.

210    En réponse au grief pris de l’absence de pondération des résultats de l’enquête, il y a lieu de relever que, à la suite de la réponse de Ryanair à la communication des griefs, la Commission a pondéré les résultats de la manière proposée par Ryanair et constaté que les principales conclusions ne s’en trouvaient pas modifiées. Cela a été exposé aux considérants 426 à 430 de la décision attaquée sans que la requérante le remette en cause dans le cadre du présent recours.

211    En conséquence, compte tenu en particulier du fait que les observations de la requérante restent générales, cette dernière se limitant à faire valoir la possibilité de réaliser une enquête plus exhaustive sans tenir compte des contingences liées aux délais prescrits en matière de contrôle des concentrations, il y a lieu de considérer que la requérante ne démontre pas à suffisance de droit que les constatations de la Commission précitées sont erronées.

9.     Sur l’enquête menée auprès des entreprises clientes

a)     Arguments des parties

212    La requérante fait valoir que la Commission ne s’est pas comportée comme un « enquêteur indépendant, diligent et objectif » lorsqu’elle a évalué les résultats de l’enquête effectuée auprès des entreprises clientes (s’agissant, en particulier, des réponses aux questions nos 15, 19 et 21 du questionnaire). Elle aurait agi de manière sélective et incohérente en invoquant ces résultats à l’appui de sa thèse selon laquelle il existe encore une « différenciation en termes de marque et d’offre de services entre Aer Lingus et Ryanair » (considérant 366 et note en bas de page n° 377 de la décision attaquée), sans en tenir compte à d’autres égards, par exemple en ce qui concerne la substituabilité des aéroports, au motif que ces réponses se seraient « avérées de peu d’intérêt concernant certains aspects de l’enquête » (considérant 97 de la décision attaquée). En choisissant d’ignorer ces réponses en ce qui concerne l’analyse de l’étroitesse de la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus, la Commission n’aurait pas pris en considération l’avis d’entreprises qui ne considéreraient pas Ryanair et Aer Lingus et les aéroports qu’elles desservent comme de proches concurrents. Selon la Commission, les avis des grandes entreprises clientes ne seraient pas « nécessairement représentatifs » de ceux des clients de Ryanair et d’Aer Lingus, parce que celles-ci s’avèrent en règle générale être plus sensibles au temps de transport et que beaucoup d’entre elles bénéficient de conditions spéciales (conditions réservées aux entreprises) auprès des transporteurs en réseau, conditions qui leur retireraient toute impartialité vis-à-vis de ces transporteurs (considérant 414 de la décision attaquée). Ces considérations ne seraient pas démontrées et excluraient une catégorie très importante de passagers, notamment pour Aer Lingus, à savoir celle des passagers sensibles au temps de transport. En excluant ces données, la Commission aurait surévalué le degré de concurrence existant entre Ryanair et Aer Lingus, particulièrement sur les liaisons où les passagers d’affaires sensibles au temps de transport représentent un pourcentage important du nombre total de passagers. Par exemple, entre juin 2005 et juin 2006, Microsoft aurait réservé 3 268 vols Dublin-Londres (Heathrow) auprès d’Aer Lingus et seulement 34 vols Dublin-Londres (Stansted) auprès de Ryanair.

213    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

214    La requérante critique l’utilisation faite par la Commission des réponses des entreprises clientes au questionnaire qui leur a été adressé. Si certaines de ces réponses ont été utilisées dans la décision attaquée, par exemple pour considérer qu’il existait toujours une certaine différence entre Aer Lingus et Ryanair en termes de marque et d’offre de services (considérant 366 de la décision attaquée), d’autres n’ont pas été reprises dans la mesure où elles ont été considérées par la Commission comme ayant une valeur limitée, notamment pour ce qui est de la substituabilité des aéroports (considérant 97 de la décision attaquée). La Commission a apporté un certain nombre d’explications à cet égard au considérant 414 de la décision attaquée.

215    Il semble parfaitement concevable que les réponses de passagers ou de concurrents à certaines questions s’avèrent plus ou moins pertinentes ou convaincantes que celles qu’ils ont données à d’autres questions. Il ne peut ainsi être reproché à la Commission d’agir de manière incohérente ou déraisonnable pour la seule raison qu’elle attache moins d’importance aux réponses qu’elle considère comme moins pertinentes.

216    En l’espèce, la requérante ne peut ignorer les raisons exposées dans la décision attaquée au soutien des affirmations qui y sont faites par la Commission en ce qui concerne les résultats de l’enquête effectuée auprès des entreprises clientes (considérants 36, 97 et 414 de la décision attaquée). À cet égard, la constatation selon laquelle l’avis de grandes entreprises clientes ne serait pas nécessairement représentatif de l’avis des clients de Ryanair et d’Aer Lingus, parce que la clientèle d’entreprise est susceptible d’être plus sensible au facteur temps et d’avoir conclu des accords avec des transporteurs en réseau, ne saurait être qualifiée d’hypothèse non démontrée. La clientèle d’entreprise est généralement plus sensible au facteur temps que d’autres passagers et de nombreuses entreprises ont conclu des accords avec une ou plusieurs compagnies aériennes.

217    Le fait qu’une entreprise cliente ait réservé un nombre de vols beaucoup plus élevé auprès d’Aer Lingus à destination de Londres-Heathrow qu’auprès de Ryanair à destination de Londres-Stansted ne constitue pas un indice sérieux de ce que les deux services ne sont pas substituables, cette entreprise ayant conclu un accord avec Aer Lingus qui traduit sa préférence actuelle pour les vols de cette compagnie aérienne. Au demeurant, les ventes réalisées dans le cadre d’accords d’entreprise représentent moins de 5 % du chiffre d’affaires d’Aer Lingus (note en bas de page n° 331 de la décision attaquée), de sorte que la majorité de ses passagers ne relèvent pas d’un tel accord. En tout état de cause, il ressort des réponses des entreprises clientes que 80 % environ des participants à l’enquête ont indiqué qu’ils considéraient Ryanair et Aer Lingus comme des concurrents proches sur les liaisons au départ et à destination de l’Irlande (réponse à la question n° 2 du questionnaire).

218    Aucun des arguments présentés sur ce point par la requérante ne permet donc de remettre en cause l’analyse exposée dans la décision attaquée. Les raisons exposées par la Commission au considérant 414 de la décision attaquée au soutien de son choix de ne pas prendre en considération certains résultats de l’enquête menée auprès des entreprises clientes sont fondées à suffisance de droit.

10.  Sur le préjudice pour les consommateurs

a)     Arguments des parties

219    La requérante soutient que la Commission n’a pas démontré dans la décision attaquée que la prétendue élimination d’une concurrence effective entre Aer Lingus et elle porterait préjudice aux consommateurs en entraînant une majoration des prix et/ou une réduction du nombre de vols (considérant 491 de la décision attaquée). L’analyse de régression effectuée par la Commission serait « gravement défectueuse » et ne permettrait pas de tirer cette conclusion. De plus, la Commission aurait ignoré une étude approfondie démontrant que les prix n’étaient pas plus élevés sur les liaisons exploitées par un seul exploitant que sur celles exploitées par de multiples transporteurs. La Commission n’aurait pas non plus établi dans la décision attaquée que la multiplication des vols et l’ouverture de nouvelles liaisons seraient dues à la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus (considérant 493 de la décision attaquée).

220    Par ailleurs, pour ce qui est de la concurrence potentielle entre Aer Lingus et elle sur les quinze liaisons exploitées actuellement par une seule des deux compagnies aériennes (considérants 498 à 540 de la décision attaquée), la requérante soutient que la Commission a surévalué la contrainte concurrentielle que ces compagnies aériennes exercent l’une sur l’autre et sous-évalué la contrainte concurrentielle exercée par des tierces parties et leur capacité à entrer sur ces liaisons. En particulier, la Commission aurait affirmé à tort que Ryanair et Aer Lingus bénéficiaient sur les liaisons irlandaises d’avantages spécifiques rendant l’entrée de compagnies tierces « peu probable ». La Commission n’aurait pas réussi à prouver, sur la base d’éléments de preuve ayant la force probante requise, que la concentration entraverait la concurrence effective de manière significative en éliminant la concurrence potentielle sur les quinze liaisons désignées par elle.

221    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

222    La requérante se limite concernant le préjudice pour les consommateurs à reprendre le contenu de la décision attaquée en faisant valoir qu’il est insuffisant pour asseoir les conclusions qui en ont été tirées par la Commission.

223    Dans la décision attaquée, la Commission a pourtant exposé en détail les raisons pour lesquelles la concentration supprimerait la concurrence actuelle entre Ryanair et Aer Lingus au détriment des clients, qu’il s’agisse des liaisons où les services des deux parties à la concentration se chevauchent (point 7.5 de la décision attaquée) ou des liaisons où une seule d’entre elles est présente (point 7.6 de la décision attaquée). Une analyse liaison par liaison a également été effectuée dans la décision attaquée et la Commission est arrivée aux mêmes conclusions (point 7.9 de la décision attaquée).

224    Dans le cadre de ce raisonnement, la Commission a relevé que les entraves à la concurrence et donc le préjudice pour les consommateurs résulteraient de la disparition de la relation concurrentielle existant entre Ryanair et Aer Lingus et du fait qu’aucun concurrent restant ou entrant potentiel ne serait en mesure de concurrencer efficacement l’entité issue de la concentration. Au-delà des effets sur les prix, l’entité issue de la concentration n’étant plus confrontée aux pressions qui existaient antérieurement entre Ryanair et Aer Lingus, la concentration aurait également des répercussions sur la qualité de l’offre et le choix offert aux clients.

225    En ce qui concerne les remarques relatives à l’analyse économétrique, qu’il s’agisse de l’étude de la Commission ou des analyses de la requérante, ces arguments ont déjà été examinés ci-dessus. Dès lors que la requérante n’apporte pas d’éléments nouveaux sur ce point, il convient de renvoyer aux considérations développées à cet égard précédemment (voir points 138 à 194 ci-dessus).

226    Aucun des arguments présentés par la requérante ne permet ainsi de remettre en cause l’analyse exposée dans la décision attaquée.

227    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté dans son intégralité.

228    L’incidence de cette réponse sur l’appréciation de l’analyse des effets de l’opération sur la concurrence nécessite néanmoins que soient examinés les trois autres moyens qui sont consacrés à cette question.

B –  Sur le deuxième moyen, relatif à l’appréciation des barrières à l’entrée

229    Après avoir apprécié la situation de concurrence actuelle sur les marchés en cause et exposé les raisons pour lesquelles la concentration supprimerait la concurrence actuelle entre les parties à la concentration au détriment des clients, la Commission a examiné la question de savoir dans quelle mesure l’entrée d’un nouvel arrivant serait susceptible d’exercer une contrainte sur le comportement de l’entité issue de la concentration (point 7.8 de la décision attaquée). La Commission a relevé que, pour que l’entrée soit considérée comme une contrainte concurrentielle suffisante sur les parties à la concentration, elle devait être jugée probable, intervenir en temps utile et être suffisante pour dissuader ou combattre les effets anticoncurrentiels potentiels de la concentration (considérant 545 de la décision attaquée et note en bas de page n° 547, dans laquelle il est fait référence au point 68 des lignes directrices).

230    L’analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée, qui est pertinente dans le cadre de l’appréciation du présent moyen, s’articule autour des étapes suivantes : premièrement, la constatation que les obstacles réglementaires ne jouent pas un rôle important en tant que barrières à l’entrée (point 7.8.2 de la décision attaquée) ; deuxièmement, la constatation de l’existence de barrières à l’entrée associées à la « position de force » de Ryanair et d’Aer Lingus, qui disposent d’importantes bases en Irlande (point 7.8.3 de la décision attaquée) ; troisièmement, les coûts et les risques d’entrée seraient significatifs dans un marché déjà desservi par deux compagnies aériennes puissantes aux marques bien établies (point 7.8.4 de la décision attaquée) ; quatrièmement, le risque de « représailles agressives » de la part de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus serait élevé [dans le cadre de cet examen, la Commission a évoqué les tentatives d’entrée d’easyJet, de MyTravelLite et de Go Fly (point 7.8.5 de la décision attaquée)] ; cinquièmement, la constatation selon laquelle les concurrents considéreraient les autres marchés comme plus attrayants que le petit marché irlandais (point 7.8.6 de la décision attaquée) ; sixièmement, la constatation selon laquelle l’encombrement des aéroports constituerait une barrière importante à l’entrée sur le marché, qu’il s’agisse de l’aéroport de Dublin ou de certains aéroports de destination (point 7.8.7 de la décision attaquée) ; et septièmement, la constatation selon laquelle la solide position de l’entité issue de la concentration à l’aéroport de Dublin risquerait d’entraver le développement des concurrents (point 7.8.8 de la décision attaquée).

231    En conclusion sur ce point, la Commission a estimé que l’exploitation des vols au départ ou à destination de Dublin en concurrence avec l’ensemble Ryanair-Aer Lingus comporterait plusieurs barrières à l’entrée importantes. Ces barrières ne consisteraient pas seulement dans le problème d’encombrement partiel de l’aéroport et seraient notamment liées à la position bien établie de Ryanair et d’Aer Lingus dans leur pays d’attache. L’enquête aurait montré que, du fait de ces barrières, toute nouvelle entrée serait peu probable, voire improbable, sur la quasi-totalité des liaisons dont les services se chevauchent. En l’absence de nouveaux arrivants potentiels sur la majeure partie des liaisons dont les services se chevauchent et compte tenu du fait que les concurrents ont unanimement indiqué qu’ils n’envisageraient même pas d’entrer en concurrence directe et à grande échelle avec l’entité issue de la concentration (notamment par l’ouverture d’une base à Dublin), la Commission a conclu que toute nouvelle entrée serait improbable, n’interviendrait pas en temps utile et serait insuffisante pour représenter une contrainte concurrentielle suffisante pour l’entité issue de la concentration et éliminer les probables effets anticoncurrentiels de la concentration envisagée (considérant 784 de la décision attaquée).

1.     Sur la signification à donner à l’absence d’entrée de nouveaux concurrents sur les marchés en cause

a)     Arguments des parties

232    À titre liminaire, la requérante reconnaît que, pour qu’une entrée puisse être considérée comme une contrainte concurrentielle suffisante, elle doit être probable, intervenir en temps utile et être suffisante pour prévenir ou contrecarrer les effets anticoncurrentiels potentiels de la concentration envisagée (considérant 545 de la décision attaquée). Cependant, la requérante fait valoir que la Commission a commis plusieurs erreurs manifestes d’appréciation quand elle a apprécié si ces conditions étaient remplies en l’espèce, en concluant que toute nouvelle entrée serait improbable, n’interviendrait pas en temps utile et serait insuffisante pour représenter une contrainte concurrentielle suffisante pour l’entité issue de la concentration et éliminer les probables effets anticoncurrentiels de la concentration envisagée (considérant 784 de la décision attaquée). Selon la requérante, la concentration envisagée n’entraverait pas significativement la concurrence effective, étant donné que le risque d’une entrée suffit pour contrebalancer toute perte de concurrence résultant de la concentration. Elle souligne, à cet égard, qu’elle n’est pas en désaccord avec la Commission sur le fait que, à la suite de la concentration, l’entrée deviendrait « peu probable » sur de nombreuses liaisons.

233    En réalité, selon la requérante, la question essentielle porte sur la signification à donner à cette absence d’entrée. Alors que la Commission estime que celle-ci signifie qu’il existe des barrières à l’entrée, la requérante soutient que l’absence d’entrée s’explique plutôt par la présence d’une compagnie aérienne efficace sur les liaisons en question, dont les prestations auprès des clients seraient si satisfaisantes qu’il ne resterait plus de place pour une entrée rentable. L’appréciation des effets anticoncurrentiels allégués et celle des barrières à l’entrée étant intimement liées, l’entrée d’un nouvel arrivant ne serait pertinente que si elle était considérée comme nécessaire pour compenser l’élimination des contraintes concurrentielles que la concentration est censée provoquer. Or, la Commission aurait considérablement surestimé les contraintes concurrentielles devant prétendument disparaître en raison de la concentration et aurait de ce fait considérablement surestimé le niveau d’entrée requis pour compenser cette disparition. Dans un marché libéralisé, qui se caractérise par de multiples entrants potentiels, la simple menace d’une entrée en temps utile suffirait à empêcher l’entité résultant de la concentration de profiter de la disparition des contraintes concurrentielles alléguées. Ce serait donc à tort que la Commission insiste sur la nécessité d’une entrée qui devrait « intervenir en temps utile » et de manière « indubitable » ou qu’elle estime que l’entrée sur quelques-unes seulement des 50 liaisons concernées par l’opération n’aurait pas une ampleur suffisante pour contrecarrer l’incidence anticoncurrentielle alléguée.

234    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

235    Admettre l’argumentation avancée par la requérante, à titre liminaire, requerrait en réalité de revenir sur la conclusion à laquelle le Tribunal est arrivé à l’issue de l’examen du premier moyen.

236    Certes, comme le fait valoir la requérante, l’appréciation des effets anticoncurrentiels allégués et celle des barrières à l’entrée sont intimement liées. À cet égard, il est important de relever que la requérante partage l’idée exposée par la Commission, selon laquelle l’entrée d’un nouvel arrivant est pertinente sur le plan théorique quand cette entrée permet de compenser l’élimination des contraintes concurrentielles que la concentration est censée provoquer. C’est dans cette perspective que la Commission a examiné, au point 7.8 de la décision attaquée, la question de l’entrée de nouveaux concurrents sur les marchés en cause.

237    Cependant, à l’issue de l’examen du premier moyen, le Tribunal a validé les constatations faites par la Commission en ce qui concerne, d’une part, l’appréciation de la concurrence existant à l’heure actuelle entre Ryanair et Aer Lingus et, d’autre part, les effets de la concentration sur cette concurrence.

238    Dans ce contexte, la question de l’entrée de nouveaux concurrents sur les marchés en cause prend comme point de départ l’hypothèse d’un nouvel arrivant cherchant à entrer sur un marché où serait présent l’entité issue de la concentration, entité dont il a été constaté auparavant qu’elle supprimait la concurrence actuelle entre les parties à la concentration au détriment des clients.

239    En conséquence, la simple « menace » d’une entrée invoquée par la requérante n’est pas suffisante. L’explication avancée par la requérante selon laquelle l’absence d’entrée s’explique par son efficacité sur les liaisons en question et la satisfaction de la clientèle qui élimineraient toute perspective de rentabilité pour un nouvel arrivant ne l’est pas davantage. Ce qui importe, c’est de caractériser une perspective d’entrée qui compense les effets anticoncurrentiels concrètement définis dans la décision attaquée à ce stade de l’évaluation.

2.     Sur les entrées et les sorties dans le secteur du transport aérien

a)     Arguments des parties

240    La requérante soutient que l’existence de barrières à l’entrée relevée par la Commission est contredite par les nombreuses entrées et sorties qui caractérisent le secteur du transport aérien en Europe depuis sa dérégulation (voir le rapport de York Aviation, du 31 juillet 2008, relatif aux entrées et aux sorties dans le transport aérien européen). Ce secteur se caractériserait par une concurrence dynamique et le faible niveau de barrières à l’entrée, comme l’illustrerait l’« expansion fulgurante » de Ryanair en Europe. En outre, plusieurs autorités de concurrence auraient considéré que les parts de marché ne devaient pas être considérées comme démontrant nécessairement l’existence de barrières à l’entrée. Ces autorités auraient relevé qu’il y avait eu de nombreuses entrées et sorties dans le secteur du transport aérien, ce qui créait une menace d’entrée en l’absence de contraintes liées aux aéroports ou aux créneaux horaires [voir, par exemple, décision de la Commission du 11 février 2004 (Affaire COMP/M.3280 – Air France/KLM)]. Par ailleurs, il serait inexact d’affirmer que les compagnies aériennes n’entrent pas sur des marchés où Ryanair est déjà présent : d’avril 2003 à octobre 2006, il y aurait eu 63 exemples de telles entrées sur des paires de villes et 9 sur des paires d’aéroports, parmi lesquels des entrées en Irlande (voir le rapport de RBB Economics, du 20 février 2007, relatif aux barrières à l’entrée).

241    La Commission conteste cette argumentation. Elle relève notamment que l’affaire Air France/KLM se distinguerait de la présente affaire pour les raisons suivantes : la cession de créneaux proposée par les parties à ladite opération sur la liaison Paris-Amsterdam n’aurait été que l’une des nombreuses mesures correctives appliquées ; l’entité issue de ladite concentration aurait été confrontée à la concurrence du train à grande vitesse ; et divers concurrents auraient manifesté un intérêt pour une entrée sur le marché en cause ou sollicité des créneaux sur cette liaison.

b)     Appréciation du Tribunal

242    La requérante conteste l’analyse exposée par la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne la question de l’entrée sur les marchés en cause, en relevant que de nombreuses entrées et sorties caractérisent le secteur du transport aérien depuis sa dérégulation.

243    Cette allégation est trop générale pour permettre de comprendre en quoi l’analyse de la Commission serait erronée. En effet, cette analyse ne porte pas sur le secteur du transport aérien, mais se concentre notamment sur 35 liaisons où les services des parties à l’opération se chevauchent au départ de l’Irlande. Les spécificités de ces liaisons et des compagnies aériennes qui y sont présentes ont été exposées dans la décision attaquée, dans laquelle la Commission a mis en avant l’avantage représenté par le fait d’avoir une base en Irlande, la notoriété des marques Ryanair et Aer Lingus sur ces marchés, plusieurs tentatives d’entrée qui ont échoué, le fait que les concurrents ont unanimement indiqué qu’ils n’envisageraient même pas d’entrer en concurrence directe et à grande échelle avec l’entité issue de la concentration. L’évaluation de la concurrence et celle des entrées ont donc reposé sur une appréciation ciblée sur les marchés en cause et non sur le secteur du transport aérien en général.

244    Par ailleurs, il convient de relever que les données extraites du rapport de RBB Economics invoquées par la requérante n’étayent pas sa thèse (voir le rapport de RBB Economics, du 20 février 2007, relatif aux barrières à l’entrée). Il ressort du tableau présenté à l’annexe III de ce rapport (intitulé « Exemples récents d’entrées face à Ryanair ») que la plupart des exemples cités en ce qui concerne des liaisons au départ de l’Irlande (aéroports de Dublin, de Cork ou de Shannon) ont été des tentatives d’entrées qui ont échoué, la compagnie aérienne n’étant plus présente le même mois de l’année suivante (sur la liaison Cork-Londres : bmibaby ; sur la liaison Dublin-Londres : CityJet ; sur la liaison Dublin-Bristol : Air Southwest ; sur la liaison Dublin-Glasgow : British Airways ; sur la liaison Shannon-Londres : easyJet), ou alors des entrées d’Aer Lingus (sur les liaisons Dublin-Bristol et Dublin-Liverpool). Il n’y aurait que trois exceptions (la liaison Dublin-Londres : Air France, évoquée dans la décision attaquée, la liaison Dublin-Malaga : Spanair et la liaison Dublin-Faro : TAP Portugal, sans indication de la présence l’année suivante). Tous les autres exemples concernent des destinations qui n’avaient pas pour point de départ ou d’arrivée les aéroports de Dublin, de Cork ou de Shannon. De tous les concurrents présents sur le marché, c’est donc Aer Lingus qui exerçait la principale pression concurrentielle sur Ryanair en ce qui concerne les 35 liaisons où les services des parties à l’opération se chevauchent. Les autres hypothèses d’entrées récentes restent marginales.

245    En conséquence, il n’y a pas lieu de considérer que l’existence de barrières à l’entrée relevée par la Commission dans la décision attaquée est contredite par les nombreuses entrées et sorties qui caractérisent le secteur du transport aérien en Europe depuis sa dérégulation.

3.     Sur la prise en compte du modèle économique de Ryanair

a)     Arguments des parties

246    La requérante reproche à la Commission d’avoir omis d’évaluer les entrées dans le contexte du modèle économique (bas coûts-bas prix) qu’elle met en œuvre. Une barrière à l’entrée se définirait comme un facteur rendant « l’entrée impossible ou non rentable tout en permettant aux entreprises en place d’appliquer des prix supérieurs au niveau qui résulterait du jeu de la concurrence » (point 38 du document de réflexion de la Commission sur l’application de l’article 82 CE). L’absence d’entrée actuellement sur les liaisons que Ryanair exploite à partir de Dublin ne serait pas le signe de barrières à l’entrée élevées, ni d’une défaillance du processus concurrentiel. Elle montrerait, au contraire, que Ryanair propose des prix et une capacité si compétitifs que les autres compagnies aériennes considèrent que cela n’aurait pas de sens d’entrer sur le marché, car elles ne seraient pas en mesure de concurrencer Ryanair sur le prix et la demande ne serait pas suffisante pour qu’il soit justifié d’ajouter de la capacité. Si Ryanair modifiait son modèle économique en appliquant des « prix supérieurs au niveau qui résulterait du jeu de la concurrence », des compagnies aériennes tierces pourraient alors librement entrer sur les liaisons qu’elle exploite. À cet égard, la requérante fait observer que la Commission a ignoré ou écarté les éléments de preuve montrant que, sur les liaisons sur lesquelles elle est l’unique transporteur, les prix qu’elle pratique sont aussi, voire plus, faibles que ceux qu’elle pratique sur les liaisons sur lesquelles elle est confrontée à des concurrents (voir la critique économique de RBB Economics, de septembre 2007). Par ailleurs, il importerait de prendre en considération la volonté de Ryanair de conserver Aer Lingus en tant que « marque séparée et distincte ». L’opération aurait ainsi pour objectif de pénétrer sur un segment de marché différent et de faire concurrence aux compagnies aériennes « à prestations complètes », non en tant que transporteur à bas prix, mais en offrant des services semblables à ces compagnies à des prix toutefois plus faibles. Cet objectif serait plus facilement atteint par la concentration avec un transporteur national existant qu’en constituant une nouvelle compagnie aérienne et une nouvelle marque, en particulier compte tenu de la pénurie de créneaux horaires dans les principaux aéroports.

247    La Commission fait valoir que, si la définition citée par la requérante est valable pour apprécier le comportement d’une entreprise au regard de l’article 82 CE, elle n’est pas directement applicable en matière de contrôle des concentrations. Le critère pertinent consisterait à déterminer si l’entrée sur le marché empêcherait une augmentation des prix au-delà du niveau qui prévalait avant l’opération. De plus, la circonstance que Ryanair enregistre régulièrement des bénéfices élevés serait en contradiction avec son affirmation selon laquelle elle maximiserait la croissance du nombre de passagers en ne pratiquant pas des prix élevés lorsqu’elle serait l’unique opérateur. Par ailleurs, aucun autre transporteur qu’Aer Lingus n’aurait une base de coûts et des actifs engagés comparables à ceux de Ryanair en vue d’exercer une concurrence au départ de Dublin. Pour un nouvel arrivant dont l’aéroport d’attache se trouve à la destination de la liaison, les « coûts d’opportunité » liés à une entrée seraient plus élevés que ceux d’Aer Lingus, car il aurait davantage de possibilités de déployer des appareils sur des liaisons où la concurrence sur les prix est moins vive. Une entrée sur le marché en concurrence avec l’opérateur dont les coûts sont les plus faibles serait risquée et potentiellement non rentable au regard de l’investissement requis. Cette association d’investissements à fonds perdus et de flux de recettes potentiellement faibles constituerait une barrière à l’entrée.

b)     Appréciation du Tribunal

248    S’agissant de l’analyse des barrières à l’entrée, il y a lieu de se placer dans l’hypothèse où la Commission examine si l’entrée de nouveaux concurrents peut être considérée comme une contrainte concurrentielle suffisante pour prévenir ou contrecarrer les effets anticoncurrentiels potentiels de l’opération. Dans la présente affaire, ces effets anticoncurrentiels procèdent de la disparition de la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus, laquelle entraînerait un renforcement du pouvoir de marché de Ryanair sur un nombre important de liaisons. Les griefs de la requérante dirigés contre cette partie de l’évaluation ont été examinés et écartés dans le cadre de l’examen du premier moyen. Ils feront également l’objet d’une appréciation liaison par liaison dans le cadre de celui du troisième moyen.

249    Dans ce contexte, alléguer, comme le fait la requérante, que l’absence d’entrée sur les liaisons qu’elle exploite à partir de Dublin témoigne du fait que les prix et la capacité qu’elle propose sont si compétitifs qu’aucun concurrent n’aurait intérêt à venir la concurrencer n’est pas pertinent pour l’analyse. À supposer même que cette allégation soit fondée, elle renvoie à une situation de concurrence où Aer Lingus est présente en temps que concurrent de Ryanair ou représente le concurrent potentiel le plus probable. Or, ce n’est pas la situation actuelle qui importe à ce stade de l’analyse, mais la situation issue de la concentration sur des liaisons dominées par l’ensemble Ryanair-Aer Lingus.

250    De même, l’allégation de la requérante selon laquelle elle n’entend pas appliquer des prix supérieurs au niveau qui résulte du jeu de la concurrence à la suite de l’opération, comme cela ressortirait du fait que, sur les liaisons où elle est actuellement l’unique transporteur, les prix qu’elle pratique sont aussi, voire plus, faibles que ceux qu’elle pratique sur les liaisons où elle est confrontée à la concurrence, n’est pas susceptible de remettre en cause l’analyse de la Commission relative aux barrières à l’entrée. En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, le contrôle des concentrations se distingue du contrôle des abus de position dominante en ce sens qu’il s’attache au contrôle des structures de marché et non au contrôle du comportement des entreprises. Le contrôle des concentrations a pour objectif d’éviter, sur la base d’une analyse prospective des structures du marché, la réalisation d’une opération qui entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou d’un renforcement d’une position dominante. En ce qui concerne les prix, le critère pertinent est donc celui permettant de déterminer si l’entrée sur le marché d’un nouveau concurrent serait susceptible d’empêcher une augmentation des prix au-delà du niveau qui prévalait avant l’opération. Le critère des prix n’est pas le seul critère susceptible d’être pris en considération, la réalisation de l’opération pouvant aussi affecter la capacité disponible, le choix ou la qualité des services, ou encore l’innovation.

251    En l’absence d’Aer Lingus, la tentation serait grande pour Ryanair de maximiser ses profits pour tenir compte de l’absence de pression concurrentielle liée à l’absorption de son principal concurrent actuel ou potentiel sur les marchés affectés. Les intentions de Ryanair en ce qui concerne l’utilisation d’Aer Lingus ou sa pratique passée en matière tarifaire ne remettent pas en cause la crédibilité de ce risque structurel, qui ressort de l’analyse des effets anticoncurrentiels liés à la suppression de la concurrence entre les parties à la concentration.

252    En conséquence, il ressort de ce qui précède qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir réalisé une évaluation erronée de la situation de concurrence en ne tenant pas suffisamment compte du modèle économique de Ryanair dans l’appréciation des probabilités d’entrée sur les marchés affectés.

4.     Sur les avantages liés à la possession de bases opérationnelles en Irlande

a)     Arguments des parties

253    À titre liminaire, la requérante conteste que la prétendue « position de force » détenue par elle et par Aer Lingus soit due à leurs bases importantes en Irlande. La Commission aurait omis de fournir une définition de la notion de base et se bornerait à prétendre que la forte présence de Ryanair et d’Aer Lingus à l’aéroport de Dublin leur conférerait un avantage sur les compagnies aériennes rivales. Or, les prétendus avantages résulteraient du réseau de Ryanair et non de ses bases. Par ailleurs, la Commission aurait accordé un poids considérable aux réponses données par les concurrents et des tiers intéressés au questionnaire relatif aux bases, notamment à celle du ministère des Transports irlandais, qui était opposé à la concentration. La Commission aurait également nié la pertinence des données fournies par Ryanair pour démontrer l’absence de tout avantage tiré de la possession d’une base à Dublin ou pour comparer la situation avec celle des bases de Charleroi et de Hahn (voir le rapport de RBB Economics, du 20 février 2007, relatif aux barrières à l’entrée, et la note du directeur général adjoint de Ryanair, du 28 novembre 2006, relative aux aspects économiques d’une base aérienne). La Commission aurait ainsi renversé la charge de la preuve et ne se serait pas comportée comme un « décideur objectif et impartial ».

254    Premièrement, la requérante nie l’existence d’économies d’échelle au niveau des bases. Le calcul des économies de coûts réalisé par Aer Lingus et daté du 19 février 2007, auquel se référerait la Commission dans la note en bas de page n° 414 de la décision attaquée, aurait été effectué sur la base d’hypothèses. Aer Lingus, dont la flotte serait essentiellement basée à Dublin, ne pourrait effectuer de distinction entre les économies d’échelle liées à la taille de la flotte et celles liées à la taille de la base. En effet, les services à la clientèle ou les services d’escale pourraient être sous-traités sans difficulté à l’aéroport de Dublin sans que cela pénalise les compagnies aériennes n’y disposant pas d’une base. Ryanair aurait elle-même recours à une telle sous-traitance pour ses services de manutention au sol. La Dublin Airport Authority plc (société de gestion des aéroports de Dublin, de Cork et de Shannon) n’offrirait pas à Ryanair de meilleures conditions d’accès aux systèmes d’enregistrement que celles qu’elle accorde aux autres compagnies et les comptoirs d’information pourraient être partagés avec d’autres transporteurs sans difficulté. En ce qui concerne les perturbations, la requérante rappelle qu’elle « fait tourner » quatre avions de réserve dans l’ensemble de ses 23 bases. Dès lors, d’éventuelles économies de coûts résultant du regroupement des avions de réserve seraient liées à la flotte et non à la base. En ce qui concerne les créneaux horaires et les postes de stationnement, la requérante fait observer tout d’abord que le règlement (CEE) n° 95/93 du Conseil, du 18 janvier 1993, fixant des règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté (JO L 14, p. 1), exige que, lors de l’attribution de nouveaux créneaux horaires, les nouveaux arrivants soient favorisés par rapport aux transporteurs déjà en place. De plus, les transporteurs déjà en place et les nouveaux arrivants seraient mis sur un pied d’égalité en ce qui concerne l’attribution des postes de stationnement et un transporteur déjà présent dans un aéroport ne bénéficierait d’aucun avantage par rapport à un nouvel arrivant. La requérante conteste encore détenir une « position de négociation plus forte » vis-à-vis des aéroports et des autorités de régulation, contrairement à ce qui est indiqué au considérant 383 de la décision attaquée. Ryanair ne bénéficierait pas, à l’aéroport de Dublin, de ristournes liées à sa taille et n’espérerait pas en obtenir à la suite de la concentration. Pour ce qui est des avantages obtenus dans le cadre de négociations menées avec des fournisseurs, les éléments de coûts les plus importants de Ryanair concerneraient la totalité de son réseau et ne se détermineraient pas au niveau d’un aéroport.

255    Deuxièmement, la requérante soutient qu’elle ne tire, à l’aéroport de Dublin, aucun avantage concurrentiel exceptionnel de sa taille, contrairement à ce qui est indiqué au considérant 384 de la décision attaquée. Par exemple, Ryanair effectuerait six rotations quotidiennes avec son unique avion basé à Cork, tandis qu’elle en effectuerait seulement quatre en moyenne avec ses 19 avions basés à Dublin. Ses coûts dans les divers aéroports au départ desquels elle effectue seulement un ou deux vols par jour seraient également comparables, voire moins élevés, que les coûts supportés dans ses bases. De plus, d’autres compagnies aériennes pourraient retirer un avion de leurs liaisons existantes ou ajouter un avion supplémentaire et utiliser leurs bases à l’autre extrémité des liaisons desservant les aéroports de Dublin, de Shannon et de Cork pour concurrencer l’entité issue de la concentration. Ryanair affirme en outre avoir démontré qu’une augmentation du nombre de ses avions basés à Dublin n’aurait pas d’incidence sensible sur ses coûts d’exploitation. Enfin, le fait que Ryanair exploite volontairement des vols à destination de Dublin au départ de l’autre extrémité de la liaison serait difficilement compatible avec l’existence d’un avantage à Dublin.

256    Troisièmement, la requérante affirme ne pas disposer d’une capacité de réaction plus rapide face aux modifications de la demande du fait d’opérations plus importantes au départ d’un aéroport, contrairement à ce qui est indiqué aux considérants 389 à 392 de la décision attaquée. Les transporteurs ne disposant pas d’une base en Irlande auraient en effet le même accès à l’information que ceux qui en ont une. De plus, les effets saisonniers seraient aisément prévisibles quelle que soit la compagnie aérienne. Enfin, les compagnies de charters exerceraient une contrainte concurrentielle effective en haute saison et pour les événements exceptionnels. Par exemple, bien qu’elles ne disposent pas d’une base à Dublin, ces compagnies seraient capables d’assurer des vols pendant la période hivernale lorsqu’il y a de la neige et il importerait dès lors peu de savoir si elles assurent plusieurs vols par jour durant l’année.

257    Quatrièmement, la requérante considère que les concurrents disposant d’une base à Dublin exerceraient une contrainte sur l’entité issue de la concentration, contrairement à la thèse exposée aux considérants 555 à 560 de la décision attaquée. Il serait erroné de considérer que, du fait de modèles économiques différents et d’opérations actuelles d’un montant insignifiant, CityJet et Aer Arann ne pourraient étendre davantage leurs services à Dublin pour exercer une contrainte concurrentielle accrue sur l’entité issue de la concentration. La Commission se serait notamment trop focalisée sur l’importante clientèle d’affaires d’Aer Arann, sans prendre suffisamment en compte la croissance rapide de cette compagnie et la volonté de celle-ci de mener une concurrence agressive à l’égard de Ryanair. De plus, les compagnies disposant d’un avion stationné la nuit à l’aéroport de Dublin constitueraient elles aussi une contrainte, contrairement à ce qu’affirme la Commission aux considérants 400 et 560 de la décision attaquée. Une compagnie n’aurait en effet pas besoin d’utiliser une base pour effectuer des vols en matinée et le soir.

258    Cinquièmement, selon la requérante, les concurrents disposant d’une base à l’autre extrémité des liaisons avec Dublin exerceraient une contrainte concurrentielle sur l’entité issue de la concentration. L’Irlande étant en effet une « destination touristique nette », la majorité des passagers seraient originaires de pays autres que l’Irlande, du moins pour les liaisons au sujet desquelles des données sont disponibles. Selon le raisonnement de la Commission, le fait de disposer d’une base en Irlande constituerait donc en réalité un inconvénient. La requérante remarque également que, si la majorité des compagnies aériennes desservant l’aéroport de Dublin n’y ont pas établi de base, c’est qu’elles n’y voyaient aucune utilité.

259    Sixièmement, la requérante affirme que des compagnies exploitant des liaisons de point à point dépourvues de base, dites « liaisons en W », constituent une contrainte concurrentielle effective sur certaines liaisons. De telles liaisons seraient rentables même en n’effectuant qu’un à deux allers-retours par jour entre des destinations où les compagnies ne disposent pas de base, ainsi que l’effectuerait Ryanair sur certaines liaisons.

260    La Commission conteste cette argumentation en se référant à la décision attaquée. Elle reconnaît, par ailleurs, que des économies d’échelle peuvent se produire aux niveaux du réseau et de la flotte. EasyJet serait ainsi la seule compagnie aérienne à prestations minimales exerçant des activités d’une ampleur semblable à celles de Ryanair. Cependant, Ryanair ne saurait nier l’existence d’économies d’échelle provenant de l’exploitation d’une base ou d’un réseau sans contredire ses propres arguments relatifs aux gains d’efficacité.

b)     Appréciation du Tribunal

261    Dans le cadre de l’analyse des barrières à l’entrée, qui fait l’objet du présent moyen, la Commission a examiné dans la décision attaquée les « [b]arrières à l’entrée associées à la position de force de Ryanair et d’Aer Lingus, qui disposent d’importantes bases en Irlande » (point 7.8.3 de la décision attaquée). Selon la Commission, le fait que Ryanair et Aer Lingus fonctionnent depuis la même base à Dublin et qu’elles soient également présentes à Cork et à Shannon est l’une des raisons pour lesquelles ces deux compagnies aériennes sont les « concurrents les plus proches » sur les liaisons au départ ou à destination de l’Irlande (considérant 552 de la décision attaquée). À cet égard, il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission que les économies d’échelle découlant de la souplesse des ressources sur une base et de la possibilité de répartir les charges fixes sur de nombreuses liaisons constituent une barrière à l’entrée, en ce sens qu’« un transporteur disposant d’une base d’exploitation établie dans un aéroport donné bénéficiera d’avantages clairs en matière de coûts ». Ce rôle de barrière à l’entrée serait renforcé dans la présente affaire compte tenu de l’alliance de deux transporteurs ayant une présence marquée dans un seul et même aéroport (considérant 553 et note en bas de page n° 557 de la décision attaquée).

262    Dans ce contexte, la Commission a examiné dans la décision attaquée à quelles conditions d’autres transporteurs pouvaient remplacer la contrainte concurrentielle qui disparaîtrait du fait de la concentration et dans quelle mesure l’absence de base à Dublin pouvait constituer une barrière à l’entrée. Elle a examiné trois hypothèses : celle du nouvel arrivant qui établit une base à Dublin, celle du nouvel arrivant qui possède déjà une base à l’autre extrémité de la liaison et celle du nouvel arrivant qui fait son entrée sur un mode liaison par liaison sans avoir de base à l’une ou à l’autre extrémité de la liaison (considérant 554 et points 7.8.3.1 à 7.8.3.5 de la décision attaquée). La Commission en a conclu que les indications étaient insuffisantes pour laisser penser qu’un nouveau transporteur ferait son entrée sur le marché avec une base à Dublin, à Cork ou à Shannon (point 7.8.3.2 de la décision attaquée) et qu’une entrée sur le marché s’appuyant sur un aéroport de destination et une entrée ne s’appuyant pas sur un aéroport de destination ne seraient en général pas suffisantes pour remplacer la contrainte concurrentielle exercée entre les parties à la concentration avant l’opération envisagée (point 7.8.3.5 de la décision attaquée, en particulier considérant 584).

263    Les griefs avancés par la requérante à l’encontre de cette évaluation concernent soit la constatation antérieure selon laquelle Aer Lingus et elle disposent d’une base importante à Dublin, ce qui serait de nature à conférer un avantage concurrentiel (point 7.3.4 de la décision attaquée), soit, et de manière superficielle, la constatation faite par la Commission, dans le cadre de l’analyse des barrières à l’entrée, selon laquelle les concurrents disposant déjà d’une base à Dublin ne seraient probablement pas en mesure d’exercer une contrainte efficace sur les parties à la concentration, et les conclusions qui en ont été tirées (points 7.8.3.1 et 7.8.3.2 de la décision attaquée).

264    À titre liminaire, il y a lieu de relever que les griefs de la requérante relatifs à l’avantage concurrentiel conféré à Aer Lingus et à elle par l’existence d’une base à Dublin ont été examinés et rejetés dans le cadre de l’examen du premier moyen. Ils feront également l’objet d’une appréciation liaison par liaison dans le cadre de l’examen du troisième moyen. L’appréciation qui suit ne vaut donc que dans la mesure où sont critiqués des éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée pour fonder son analyse des barrières à l’entrée associées à la « position de force » de Ryanair et d’Aer Lingus en Irlande.

265    Ainsi, pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la Commission n’aurait pas défini la notion de base (voir point 253 ci-dessus), il suffit de relever qu’une telle définition figure, par exemple, au considérant 44 de la décision attaquée, dans lequel le terme « base » est utilisé pour qualifier les aéroports sur lesquels des compagnies aériennes concentrent leurs appareils et leurs activités, de telles compagnies offrant principalement des vols au départ et à destination de ces aéroports d’attache. Cette notion a été expliquée de manière détaillée au point 7.3.4 de la décision attaquée.

266    Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la Commission aurait utilisé certaines informations plutôt que d’autres et aurait ainsi renversé la charge de la preuve (voir point 253 ci-dessus), il suffit de relever que cette allégation est faite sans autre forme de démonstration. La requérante ne peut se contenter de faire valoir, de manière générale, que la Commission a accordé un poids considérable aux réponses fournies par les concurrents et des tiers intéressés, notamment le ministère des Transports irlandais qui était opposé à la concentration, et que celle-ci a nié la pertinence des données en sens contraire qu’elle lui a fournies lors de la procédure administrative. À défaut d’explications permettant de comprendre en quoi les constatations faites dans la décision attaquée à partir d’éléments obtenus lors de l’enquête seraient concrètement remises en cause par des éléments produits par Ryanair qui iraient en sens contraire, une telle allégation doit être rejetée.

267    En ce qui concerne les économies d’échelle (voir point 254 ci-dessus) et la capacité de s’adapter à la demande (voir point 256 ci-dessus), les griefs de la requérante doivent être mis en perspective. La Commission ne conteste pas que le réseau de Ryanair, qui comporte 23 bases, lui apporte des avantages significatifs. L’analyse de la Commission porte, toutefois, sur les avantages que représentent dans la présente affaire la base de Dublin ainsi que la présence à Cork et à Shannon. Ce sont ces barrières à l’entrée qui sont examinées et non l’intérêt d’avoir un réseau multibase comme le sont les réseaux de Ryanair et d’easyJet en Europe. À cet égard, la Commission a rappelé dans la décision attaquée que disposer d’une base dans un aéroport présentait deux avantages majeurs : d’une part, cela permettrait au transporteur de bénéficier de certains avantages en termes de coûts et, d’autre part, cela accroîtrait la souplesse du transporteur en lui permettant de réagir plus rapidement aux variations de la demande (considérant 555 de la décision attaquée).

268    À la différence des affirmations de Ryanair selon lesquelles n’importe quel transporteur pourrait obtenir les mêmes avantages qu’elle à Dublin, l’analyse effectuée par la Commission sur ce point n’est pas théorique. En particulier, la Commission a concrètement examiné la situation des deux autres concurrents qui disposent d’une base à Dublin, soit CityJet avec 3 appareils et Aer Arann avec 4 appareils, contre les 22 appareils court-courriers d’Aer Lingus et les 20 appareils de Ryanair. Elle a relevé que ces concurrents n’avaient pas développé leur base de manière significative au cours des dernières années et n’entendaient pas le faire pour des raisons qui leurs étaient propres (considérants 556 à 558 de la décision attaquée). La Commission a également souligné que toute expansion à Dublin aggraverait le problème de saturation de cet aéroport et pourrait donner lieu à des problèmes de créneaux horaires sur certains aéroports de destination (considérant 559). La Commission a également relevé qu’il ressortait de l’analyse effectuée lors de l’enquête approfondie qu’aucun des concurrents potentiels répertoriés par Ryanair n’ouvrirait une base en Irlande en cas d’augmentation des prix après la concentration (considérant 562 et notes en bas de page nos 563 et 564 de la décision attaquée). Plusieurs concurrents cités par Ryanair se sont d’ailleurs retirés de la liaison qu’ils assuraient avec Dublin au cours des dernières années [tels que British Airways de la liaison Dublin-Londres (Heathrow) et Alitalia de la liaison Dublin-Milan]. Les arguments de la requérante sur ce point (voir point 257 ci-dessus) ne consistent qu’à reprendre le contenu de la décision attaquée pour affirmer qu’il est erroné, sans toutefois expliquer en quoi les activités de CityJet et d’Aer Arann se développeraient, et ce alors même que des raisons convaincantes sont exposées dans la décision attaquée pour expliquer que cela ne serait pas le cas.

269    Pour ce qui est de l’incidence des compagnies régulières ou de charters disposant d’un appareil stationné la nuit à Dublin pour une saison ou une année (voir points 256 et 257 ci-dessus), la Commission a relevé à juste titre dans la décision attaquée que les avantages dont ces compagnies bénéficiaient n’étaient pas comparables à ceux inhérents à l’exploitation d’une base, notamment pour ce qui est de la souplesse permettant la permutation des liaisons, du redéploiement des appareils, de la minimisation des frais de perturbation, de l’échange des équipages, du service à la clientèle ou de la notoriété de la marque (considérant 560 de la décision attaquée). Or, ce sont les avantages liés à l’exploitation d’une base qui importent en l’espèce et non la possibilité de faire des vols vers telle ou telle destination en exploitant un avion.

270    En ce qui concerne l’utilisation des avions (voir point 255 ci-dessus), la requérante critique une analyse effectuée par la Commission au stade de l’examen de sa relation de concurrence avec Aer Lingus (considérant 384 de la décision attaquée). La différence de niveau d’exploitation entre l’avion basé à Cork et les avions basés à Dublin n’est pas pertinente pour apprécier l’avantage conféré par l’utilisation de la base de Dublin en tant que telle. Or, c’est cet avantage qui est mis en avant par la Commission dans la décision attaquée (considérants 552 et suivants de la décision attaquée).

271    Pour ce qui est des hypothèses d’entrée sur le marché via un aéroport d’attache situé à l’autre extrémité de la liaison ou via une liaison dépourvue de base (voir points 258 et 259 ci-dessus), les arguments de la requérante ne consistent qu’à reprendre les constatations effectuées dans la décision attaquée sans être susceptibles de les remettre en cause. Ces arguments sont essentiellement théoriques et n’apportent pas de réponse aux éléments concrets invoqués dans la décision attaquée pour considérer que les nouveaux arrivants potentiels qui disposent d’une base à l’autre extrémité d’une liaison sont désavantagés (point 7.8.3.3 de la décision attaquée) et que l’entrée d’une compagnie s’appuyant sur un service de point à point pour une liaison sans base est improbable (point 7.8.3.4 de la décision attaquée).

272    Il ressort de ce qui précède que les arguments de la requérante relatifs à la critique de l’analyse des barrières à l’entrée représentées par les avantages liés à l’exploitation d’une base opérationnelle en Irlande doivent être rejetés.

5.     Sur les coûts et les risques liés à une entrée sur le marché

a)     Arguments des parties

273    La requérante nie que sa marque et ses techniques de commercialisation ainsi que celles d’Aer Lingus puissent constituer un avantage concurrentiel. L’expansion rapide de Ryanair ces dernières années suffirait à démontrer qu’il n’est pas nécessaire de détenir une marque reconnue pour entrer sur un nouveau marché. De même, l’entrée réussie d’easyJet sur les liaisons intérieures françaises démontrerait que les transporteurs locaux ne détiennent aucun avantage de ce fait. Les moteurs de recherche et les comparateurs de prix sur Internet faciliteraient la tâche des nouveaux entrants et, en toute hypothèse, les frais liés à la commercialisation seraient très bas quand ils sont rapportés aux liaisons ou aux passagers transportés.

274    La requérante fait également valoir que le secteur du transport aérien européen est un exemple typique où les barrières à l’entrée sont peu élevées du fait du faible montant des dépenses potentiellement non récupérables. Le montant de ces dépenses ne serait pas très élevé du fait des nombreuses possibilités de crédit‑bail et des autres types de financement disponibles dans l’industrie. À cet égard, les « coûts d’opportunité » concernant les avions et les investissements additionnels dans de nouveaux avions, que la Commission évoque au considérant 621 de la décision attaquée, ne seraient pas des dépenses potentiellement non récupérables. En effet, les avions concernés pourraient aisément être vendus ou loués sur des marchés secondaires. Il reviendrait à la Commission de démontrer l’existence de dépenses non récupérables suffisamment élevées pour constituer une barrière à l’entrée.

275    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

276    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les coûts et les risques d’entrée étaient significatifs « dans un marché déjà desservi par deux compagnies aériennes puissantes aux marques bien établies » (points 7.8.4 de la décision attaquée). Ces deux compagnies représenteraient ensemble 68 % du trafic total de passagers et 80 % du trafic de passagers des principales dessertes court-courriers intraeuropéennes au départ et à destination de l’Irlande.

277    Pour écarter les observations de Ryanair sur ce point, la Commission a relevé que la notoriété était susceptible de constituer une barrière à l’entrée, comme cela ressort des lignes directrices [point 71, sous c), des lignes directrices] et de sa pratique décisionnelle antérieure dans le secteur du transport aérien de passagers. Or, tant Aer Lingus que Ryanair disposeraient d’un « statut de notoriété » en Irlande, ce qui constituerait un avantage significatif du fait de l’expérience acquise sur le marché irlandais, de la renommée liée à ce statut et du fait qu’une entrée nécessiterait des coûts marketing élevés (considérants 588 à 591 et points 7.8.4.1 à 7.8.4.3 de la décision attaquée).

278    En ce qui concerne les avantages liés à la marque et aux coûts de commercialisation, les arguments de la requérante mettent en avant soit la situation particulière de cette dernière, dont la notoriété est soulignée à juste titre par la Commission dans la décision attaquée, soit la situation prévalant sur un autre marché que l’Irlande. Or, il est peu vraisemblable qu’une autre compagnie aérienne puisse se prévaloir des mêmes résultats que Ryanair sans investissements significatifs. De même, en ce qui concerne la comparaison effectuée avec la situation d’easyJet en France, il importe de relever que la Commission a souligné dans la décision attaquée que cette compagnie aérienne n’avait pas réussi à s’implanter en Irlande (considérants 635 et suivants de la décision attaquée). Ces arguments ne permettent donc pas de remettre en cause la conclusion à laquelle la Commission est arrivée dans la décision attaquée selon laquelle un nouvel arrivant devrait assumer des coûts accrus de commercialisation pour pouvoir faire face à l’entité issue de la concentration disposant de deux marques de très grande notoriété en Irlande.

279    En ce qui concerne l’affirmation de la Commission selon laquelle l’entrée sur le marché entraîne un risque de coûts non récupérables pour les concurrents (point 7.8.4.4 de la décision attaquée), les arguments de la requérante sont trop généraux pour en remettre en cause le bien-fondé. En particulier, il n’appartenait pas en l’espèce à la Commission de démontrer de manière générale l’existence de dépenses non récupérables suffisamment élevées pour constituer une barrière à l’entrée. La Commission devait seulement expliquer pour quelles raisons certaines dépenses non récupérables représentent des barrières à l’entrée susceptibles de dissuader un entrant potentiel de venir concurrencer l’entité issue de la concentration. La caractérisation d’un tel effet dissuasif peut parfaitement être pris en considération dans le cadre de l’analyse des barrières à l’entrée.

280    La décision attaquée contient sur ce point des éléments de preuve suffisants pour étayer les affirmations qui y sont faites. Ainsi, c’est à juste titre que la Commission a exposé dans la décision attaquée qu’une entrée en Irlande nécessitait des dépenses considérables afin d’établir une marque face à Ryanair et à Aer Lingus et d’avoir accès aux nouveaux clients. Ces dépenses représenteraient l’essentiel de celles qui sont liées à l’ouverture d’une liaison, comme cela est indiqué dans le témoignage cité par la Commission dans la décision attaquée (note en bas de page n° 610 de la décision attaquée). D’autres dépenses non récupérables sont nécessairement liées aux investissements supplémentaires relatifs à l’achat, à la location ou au redéploiement d’un appareil d’une liaison à une autre ainsi qu’à l’installation et au fonctionnement de cet appareil et des services associés (considérant 621 de la décision attaquée).

281    Il ressort de ce qui précède que les arguments de la requérante relatifs à la critique de l’analyse des barrières à l’entrée représentées par les coûts et les risques liés à une entrée sur le marché doivent être rejetés.

6.     Sur la réputation de Ryanair en tant que barrière à l’entrée

a)     Arguments des parties

282    La requérante affirme que sa politique agressive fondée sur des prix bas grâce à ses coûts réduits ne constitue pas une barrière à l’entrée, contrairement à ce qu’affirme la Commission aux considérants 624 à 660 de la décision attaquée. Le comportement de Ryanair serait celui d’un opérateur évoluant normalement dans un marché libéralisé. En outre, la Commission n’aurait pas prouvé l’existence d’un préjudice réel causé aux consommateurs en démontrant que Ryanair appliquerait des prix supérieurs au niveau concurrentiel une fois que le concurrent a quitté le marché. Les consommateurs seraient en réalité mieux servis après la sortie du concurrent qu’avant son entrée. Enfin, de nombreuses compagnies aériennes seraient parvenues à baser leurs avions dans des aéroports où Ryanair disposait déjà d’une base importante, tel que l’aéroport de Charleroi.

283    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

284    La Commission a exposé aux considérants 624 à 660 de la décision attaquée en quoi le risque de « représailles agressives » de la part de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus était élevé dans l’hypothèse où un concurrent potentiel tenterait d’entrer sur une des liaisons affectées par l’opération (point 7.8.5 de la décision attaquée). Cette conclusion repose sur les résultats de l’enquête menée par la Commission, desquels il ressort que Ryanair est connue pour se livrer à une concurrence agressive en cas de nouvelle entrée sur le marché irlandais, notamment en baissant les prix temporairement et en augmentant la capacité afin de contraindre le nouvel arrivant à renoncer aux liaisons au départ ou à destination de l’Irlande (considérant 625 et note en bas de page n° 615 de la décision attaquée).

285    En réponse à l’argument de Ryanair exposé dans le cadre de la procédure administrative selon lequel le risque de « représailles agressives » de la part de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus ne serait pas réel pour les concurrents potentiels étant donné que Ryanair facturerait de toute façon les mêmes prix bas, que le concurrent soit ou non actif sur la même liaison, la Commission a indiqué dans la décision attaquée qu’il ressortait de l’enquête que Ryanair tient compte de la politique tarifaire de ses concurrents pour agir en conséquence (considérants 627 à 634 de la décision attaquée). La Commission a exposé sur ce point plusieurs exemples détaillés qui concernent la tentative d’entrée d’easyJet (point 7.8.5.1 de la décision attaquée), la tentative d’entrée de MyTravelLite (point 7.8.5.2 de la décision attaquée) et la tentative d’entrée de GO Fly (point 7.8.5.3 de la décision attaquée).

286    Force est de constater que les arguments de la requérante relatifs à cette analyse ne font que reprendre l’argumentation précédemment développée lors de la procédure administrative et réfutée dans la décision attaquée. Or, dans cette dernière, la Commission a exposé à suffisance de droit les éléments permettant d’asseoir la conclusion selon laquelle Ryanair réduit les prix et augmente ses fréquences de manière systématique lorsque des concurrents font leur entrée sur le marché irlandais. Ainsi qu’il est indiqué dans la décision attaquée (point 7.8.5.4 de la décision attaquée), ce risque de réaction agressive serait encore plus important après la concentration, puisque l’ensemble Ryanair-Aer Lingus deviendrait l’opérateur dominant sur presque toutes les liaisons au départ et à destination de l’Irlande. En se forgeant la réputation de dissuader toute arrivée concurrente, Ryanair crée de fait une barrière à l’entrée de nouveaux concurrents.

287    Le débat ne porte pas à cet égard sur la politique de prix pratiquée par Ryanair, mais sur la caractérisation de la réputation agressive de Ryanair comme étant une barrière à l’entrée, et, de ce point de vue, les motifs qui sont exposés dans la décision attaquée suffisent à établir en quoi le comportement passé de Ryanair est susceptible de dissuader des concurrents potentiels d’entrer sur un marché où elle serait présente.

288    En conséquence, les arguments relatifs à l’analyse de l’incidence de la réputation de Ryanair sur l’arrivée de concurrents potentiels doivent être rejetés.

7.     Sur l’entrée en temps utile

a)     Arguments des parties

289    La requérante fait valoir que la Commission a indiqué, au point 308 de la communication des griefs, que « l’ouverture d’une nouvelle liaison au départ d’un nouvel aéroport peut prendre entre trois et douze mois » et qu’« [i]l faut jusqu’à douze mois pour assurer sa rentabilité ». Or, plutôt que de considérer cette entrée comme intervenant en temps utile conformément à la période de deux ans fixée dans les lignes directrices, la Commission aurait considéré de manière erronée dans la décision attaquée qu’il existait de ce fait des barrières à l’entrée élevées.

290    La Commission fait observer que le moment précis auquel l’entrée doit intervenir dépend des caractéristiques et de la dynamique du marché ainsi que des capacités spécifiques des entrants potentiels.

b)     Appréciation du Tribunal

291    Le point 74 des lignes directrices, intitulé « Entrée en temps utile », auquel se réfère la requérante, indique ce qui suit :

« La Commission examine si l’entrée de nouveaux concurrents serait suffisamment rapide et durable pour dissuader ou contrecarrer l’exercice d’un pouvoir de marché. Le moment précis auquel cette entrée doit intervenir dépend des caractéristiques et de la dynamique du marché ainsi que des capacités spécifiques des entrants potentiels. Cependant, l’entrée sur le marché n’est normalement considérée comme intervenant en temps utile que si elle s’effectue dans un délai de deux ans. »

292    En se limitant à citer le point 308 de la communication des griefs, sans se référer au contenu de la décision attaquée, la requérante soutient que le temps nécessaire pour permettre une entrée à partir d’un nouvel aéroport et en assurer la viabilité n’a pas été correctement pris en considération par la Commission dans la décision attaquée.

293    À cet égard, il convient de relever que l’appréciation des barrières à l’entrée sur le marché dépend des caractéristiques de celui-ci ainsi que des capacités des entrants potentiels.

294    Pour ce qui est de l’entrée en temps utile, la Commission a évoqué un délai ne devant normalement pas excéder deux ans dans les lignes directrices et un délai compris entre trois et douze mois dans la communication des griefs. Ryanair indique, quant à elle, qu’il ne lui faut que quelques semaines pour ouvrir une liaison. En réalité, ce délai dépend de la situation examinée.

295    Ainsi, dans les lignes directrices, la Commission se limite, en toute hypothèse, à fournir un cadre d’analyse susceptible d’être appliqué, approfondi et affiné par elle dans les affaires qu’elle sera appelée à examiner (point 6 des lignes directrices). En l’espèce, le délai indiqué dans la communication des griefs renvoie à une hypothèse d’entrée effectuée à partir d’un nouvel aéroport, tandis que le délai évoqué par Ryanair correspond à la réputation de cette entreprise. Ces délais ne sont ni contradictoires ni révélateurs d’une appréciation erronée de la Commission dans la décision attaquée.

296    En effet, dans le cadre de l’analyse des barrières à l’entrée effectuée dans la décision attaquée, la Commission a essentiellement mis l’accent sur les probabilités d’entrées sérieuses sur les liaisons affectées et sur la question de savoir si de telles entrées présentaient une importance suffisante pour dissuader ou contrecarrer les effets anticoncurrentiels de l’opération. Cette analyse a été effectuée en considération des caractéristiques propres du marché et de ses acteurs. La requérante n’expose pas en quoi elle reposerait sur une appréciation erronée de la notion d’entrée en temps utile, ni même en quoi elle serait susceptible d’être modifiée.

297    En conséquence, l’argument relatif à l’entrée en temps utile doit être rejeté.

8.     Sur l’existence de liaisons plus rentables hors d’Irlande

a)     Arguments des parties

298    La requérante soutient qu’il serait au moins aussi rentable d’exploiter des liaisons à partir de Dublin « qu’à partir de l’Europe de l’Est ou de la Scandinavie », contrairement à ce que soutient la Commission dans la décision attaquée (considérants 661 à 669 de la décision attaquée). Les frais de commercialisation ne seraient pas plus élevés en Irlande qu’ailleurs. Environ 90 compagnies aériennes, dont de nombreux entrants récents, utiliseraient actuellement l’aéroport de Dublin. Il ne serait pas nécessaire que l’Irlande dispose d’aéroports secondaires, puisque ceux de Dublin, de Cork et de Shannon seraient aisément accessibles aux opérateurs à prestations minimales. Plusieurs compagnies aériennes (British Airways, CityJet, Lufthansa, bmi, easyJet, TAP Portugal et SkyEurope Airlines) se seraient déclarées prêtes à entrer sur le marché constitué par l’aéroport de Dublin, mais ces informations auraient été omises ou ignorées par la Commission. Le dynamisme de l’économie irlandaise faciliterait une telle entrée.

299    La Commission affirme avoir présenté, aux considérants 663 à 668 de la décision attaquée, des données empiriques faisant ressortir que les concurrents ne considéraient pas le marché irlandais comme attrayant pour une entrée et qu’ils n’étaient donc pas susceptibles de s’y implanter.

b)     Appréciation du Tribunal

300    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé qu’il ressortait de son enquête que de nombreux concurrents considéraient que le marché irlandais n’étaient pas particulièrement attrayant et que de nombreux concurrents potentiels avaient indiqué qu’ils préféreraient chercher à ouvrir de nouvelles liaisons vers d’autres destinations que l’Irlande (considérant 663 de la décision attaquée).

301    Dans la décision attaquée, la Commission a exposé plusieurs raisons pour expliquer ce résultat :

–        l’entrée sur le marché impliquerait des coûts de commercialisation bien plus élevés que l’entrée sur d’autres marchés, où aucun transporteur à bas coûts puissant, disposant d’une base établie, n’est déjà présent (considérant 664 de la décision attaquée) ;

–        le marché irlandais serait considéré comme un marché relativement petit, qui ne représenterait que quatre millions d’habitants, soit moins de la moitié de la population de la « zone du Grand Londres » (considérant 665 de la décision attaquée) ;

–        d’une manière générale, le « petit marché irlandais » ne serait pas considéré comme le marché le plus rentable ou le marché dont la croissance serait la plus rapide en comparaison avec celui de l’« Europe de l’Est » ou de la « Scandinavie » (considérant 666 de la décision attaquée) ;

–        la situation géographique de l’Irlande dissuaderait plutôt qu’elle n’encouragerait les nouvelles entrées (considérant 667 de la décision attaquée) ;

–        les incitations d’un transporteur en réseau exploitant une liaison entre Dublin et sa plate-forme (hub) seraient différentes de celles d’un transporteur de point à point, ce qui réduirait leur contrainte concurrentielle ; un transporteur en réseau viserait essentiellement à transporter les voyageurs en transit vers son hub, d’où ils partiraient pour leur destination finale, alors qu’un transporteur de point à point se consacrerait principalement à maximiser l’utilisation de l’appareil sur des liaisons de point à point (considérant 668 de la décision attaquée) ;

–        pour les compagnies à prestations minimales, l’Irlande présenterait l’inconvénient de ne pas disposer d’aéroports secondaires dans la zone de Dublin (considérant 669 de la décision attaquée).

302    Force est de constater que les arguments avancés par la requérante pour critiquer cette analyse ne sont pas de nature à la remettre en cause. Ainsi, l’affirmation de la requérante selon laquelle il serait au moins aussi rentable d’exploiter des liaisons à partir de Dublin « qu’à partir de l’Europe de l’Est ou de la Scandinavie » ne saurait suffire pour remettre en cause les témoignages apportés par les concurrents potentiels sur la question d’une entrée à Dublin (voir, par exemple, les notes en bas de page nos 666, 668 et 669 de la décision attaquée). De même, l’affirmation relative aux frais de commercialisation ne prend pas en considération la situation particulière de Ryanair sur le marché irlandais, laquelle a déjà été examinée (voir points 277 et 278 ci-dessus). Les exemples d’entrées récentes invoqués par Ryanair ont été analysés et réfutés à suffisance de droit par la Commission au considérant 633 de la décision attaquée  (voir point 244 ci-dessus). Par ailleurs, si le dynamisme de l’économie irlandaise est pris en compte par les opérateurs, c’est un élément qui, en tant que tel, reste susceptible d’évoluer au gré de la situation économique générale.

303    Il ressort de ce qui précède que les arguments développés par la requérante en vue de contester la rentabilité plus importante pour certains concurrents des liaisons exploitées « à partir de l’Europe de l’Est ou de la Scandinavie » en comparaison de celle des liaisons exploitées à partir de Dublin doivent être rejetés.

9.     Sur l’encombrement aéroportuaire

a)     Arguments des parties

304    La requérante conteste le fait que l’encombrement allégué de l’aéroport de Dublin constitue une barrière à l’entrée. En pratique, la disponibilité des créneaux horaires ne serait réduite que pendant une heure le matin, pour les avions au départ, et qu’au cours d’une ou de deux brèves périodes pouvant atteindre une demi-heure en fin d’après-midi et le soir, pour les avions à l’arrivée. Il serait fréquent que les aéroports connaissent de telles périodes de grande activité tout en conservant de substantielles possibilités de croissance. Pour que les compagnies aériennes concurrentes puissent effectuer trois à quatre allers-retours par jour, il suffirait qu’elles assurent les vols à destination de Dublin au départ de bases situées à l’autre extrémité de la liaison, en évitant les périodes où les pistes de l’aéroport de Dublin sont très encombrées. En outre, l’augmentation considérable du nombre de passagers à Dublin aurait lieu en dépit de la capacité de l’aéroport, que la Dublin Airport Authority aurait pourtant considérée comme limitée. La capacité de l’aéroport devrait s’accroître du fait du programme de développement à grande échelle dont celui-ci fait actuellement l’objet et de la capacité resterait disponible sur les liaisons, y compris à court terme. En tout état de cause, si la saturation des créneaux horaires avait constitué un problème, celui-ci aurait pu aisément être résolu par des engagements sur les créneaux, selon la pratique passée de la Commission dans le secteur.

305    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

306    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que l’encombrement des aéroports constituait une « autre barrière importante à l’entrée sur le marché », qu’il s’agisse de la nécessité d’obtenir une capacité de terminal suffisante ou de la capacité des pistes dont l’utilisation est subordonnée à l’attribution de créneaux dont la disponibilité est limitée (point 7.8.7 de la décision attaquée, en particulier considérants 670 et 671).

307    La Commission a également analysé les contraintes de capacité à l’aéroport de Dublin (point 7.8.7.1 de la décision attaquée). Elle a relevé que l’enquête avait montré que les nouveaux arrivants potentiels étaient dissuadés par l’encombrement des pistes aux heures de pointe et l’insuffisance des aires de stationnement. Ces problèmes auraient peu de chances de disparaître dans un futur proche, dès lors que la construction d’une nouvelle piste ne serait envisagée que pour 2011 ou 2012, ce qui ne permettrait pas l’entrée rapide de concurrents potentiels. La situation dans d’autres aéroports que celui de Dublin a ensuite été examinée (point 7.8.7.2 de la décision attaquée) et a été détaillée liaison par liaison (point 7.9 de la décision attaquée).

308    En dernier lieu, la Commission a souligné que l’encombrement des aéroports jouait un rôle dissuasif pour les nouveaux arrivants potentiels, tant en ce qui concerne la partie de la clientèle sensible au facteur temps ou les passagers d’affaires (entre 20 et 30 % de la clientèle selon la Commission) que les passagers de loisirs (point 7.8.7.3 de la décision attaquée).

309    À cet égard, il convient également de constater que les arguments avancés par la requérante pour critiquer cette analyse ont été réfutés à suffisance de droit au stade de la procédure administrative. La Commission a ainsi expliqué, dans la décision attaquée, en quoi l’encombrement des pistes de l’aéroport de Dublin aux heures de pointe ainsi que les difficultés liées à l’insuffisance des aires de stationnement posaient des problèmes aux entrants potentiels qui souhaiteraient exploiter des liaisons au départ ou à destination de cet aéroport, et ce même s’ils disposaient d’une base à l’autre extrémité de la liaison. Dans la décision attaquée, la Commission a également indiqué que l’augmentation de la capacité de l’aéroport de Dublin ne se ferait pas à court terme comme le fait valoir Ryanair. La question de la pertinence des engagements relatifs aux créneaux horaires sera, quant à elle, examinée dans le cadre de l’examen du cinquième moyen, lequel envisage cet aspect de l’analyse.

310    Il ressort de ce qui précède que l’argumentation relative à l’encombrement aéroportuaire doit être rejetée.

10.  Sur la position de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus à l’aéroport de Dublin

a)     Arguments des parties

311    La requérante soutient que l’entité issue de la concentration ne disposerait pas d’un pouvoir de négociation accru dans le cadre du processus de consultation concernant les taxes d’aéroport, l’affectation des équipements dans les aéroports ou les projets d’expansion (considérants 701 à 708 de la décision attaquée). La Commission for Aviation Regulation, entité tout à fait indépendante à la fois de Ryanair et d’Aer Lingus, déciderait du niveau des taxes que la Dublin Airport Authority peut prélever à l’aéroport de Dublin pour les installations nécessaires à l’ensemble des utilisateurs. En outre, Ryanair ayant eu de nombreux différends avec la Dublin Airport Authority, il n’y aurait aucune raison de croire que l’entité issue de la concentration ait davantage de chances d’influer sur les projets d’expansion. La requérante fait aussi remarquer les incohérences de la Commission dans la décision attaquée, puisque, d’un côté, elle prétend que le fait de disposer d’une base importante à Dublin est essentiel pour réaliser des gains d’efficacité opérationnelle et, de l’autre, elle soutient que sa menace de retirer de nombreux vols, et ce faisant de renoncer à ces avantages allégués, serait crédible.

312    La Commission conteste cette argumentation, laquelle ne prendrait pas en compte la situation en cas de réalisation de l’opération.

b)     Appréciation du Tribunal

313    Dans la décision attaquée, la Commission a examiné la position que détiendrait l’entité issue de la concentration à l’aéroport de Dublin, dans la mesure où cette dernière résulterait de la combinaison des deux compagnies aériennes qui sont de loin les plus grandes utilisatrices de cet aéroport (point 7.8.8 de la décision attaquée).

314    Ainsi qu’il ressort du point 36 des lignes directrices, ce pouvoir de marché a été examiné par la Commission afin d’évaluer si l’entité issue de la concentration pourrait l’utiliser pour entraver l’entrée ou le développement des concurrents (considérant 701 de la décision attaquée). À l’issue de cet examen, la Commission a considéré que la crainte des concurrents de Ryanair de voir l’entité issue de la concentration utiliser sa majorité au sein du Dublin Airport Coordination Committee (comité de coordination de l’aéroport de Dublin, au sein duquel l’ensemble Ryanair-Aer Lingus détiendrait la majorité des votes en exploitant plus de 56 % des « mouvements de transports aériens ») et sa position de force unique à l’aéroport de Dublin pour influencer le régulateur de manière à ce que celui-ci organise l’aéroport selon les exigences de Ryanair n’était pas dépourvue de fondement. La Commission a conclu son analyse en relevant que la concentration permettrait à la nouvelle entité de « peser plus lourd » dans le processus consultatif concernant les taxes d’aéroport, l’attribution des installations de l’aéroport ou les projets d’expansion, ce qui pourrait rendre l’entrée ou l’expansion de ses concurrents plus difficiles (considérants 706 à 708 de la décision attaquée).

315    Les arguments développés par la requérante pour contester cette analyse ne sont pas susceptibles d’en remettre en cause le bien-fondé. Dans la décision attaquée, la Commission a exposé à suffisance de droit les raisons pour lesquelles l’entité issue de la concentration disposerait d’un pouvoir de marché accru lui permettant d’influer sur les décisions relatives à certains aspects de la gestion de l’aéroport de Dublin. En particulier, s’agissant de la possibilité pour la nouvelle entité d’obtenir des taxes d’aéroport préférentielles, la Commission a fourni quelques illustrations dans la décision (considérant 702 de la décision attaquée).

316    En conséquence, l’argumentation relative à la position de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus à l’aéroport de Dublin doit être rejetée.

317    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

318    L’incidence de cette réponse sur l’appréciation de l’analyse des effets de l’opération sur la concurrence nécessite néanmoins que soient examinés les troisième et quatrième moyens, lesquels sont consacrés à cette question.

C –  Sur le troisième moyen, relatif à l’analyse concurrentielle liaison par liaison

1.     Sur la recevabilité

a)     Arguments des parties

319    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus, fait valoir que l’argumentation présentée dans le cadre du troisième moyen est irrecevable. Au stade de la requête, le renvoi aux arguments développés dans les deux premiers moyens ainsi qu’à un rapport joint en annexe ne serait pas suffisant au regard des exigences de l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal. Les arguments avancés dans la réplique seraient beaucoup plus approfondis que ceux développés dans la requête et le second rapport de York Aviation aurait été présenté à un stade très avancé de la procédure. En tout état de cause, la Commission conteste la force probante des rapports de York Aviation, qui offriraient une présentation « fallacieuse » de son utilisation des preuves. Un certain nombre des catégories de preuve utilisées dans les tableaux de York Aviation seraient plus utiles pour la définition du marché que pour l’appréciation de la situation de concurrence.

320    La requérante soutient que l’analyse liaison par liaison effectuée au point 7.9 de la décision attaquée est entachée de trois erreurs principales. Cette analyse serait fondée sur les « erreurs générales » identifiées dans le cadre des premier et deuxième moyens. Elle reposerait également sur des éléments de preuve qui ne sont pas solides et ne tiendrait pas compte des données fournies par Ryanair lors de la procédure administrative. La Commission aurait ainsi exclu à tort de son analyse tous les transporteurs nationaux traditionnels au motif qu’ils ne seraient pas pertinents pour évaluer les conséquences de la concentration, alors même que plusieurs d’entre eux seraient présents et exerceraient une contrainte concurrentielle sur certaines des 35 liaisons examinées. En annexe à la requête, la requérante a présenté un premier rapport, le rapport de York Aviation, en date de septembre 2007, qui comprend un résumé des données utilisées pour chacune des liaisons concernées ainsi que des critiques qu’elle formule sur la façon dont la Commission les a utilisées. Une réfutation détaillée de l’analyse liaison par liaison dans la requête n’aurait pas été possible sans dépasser le nombre de pages maximal qu’une requête ne doit en principe pas excéder devant le Tribunal. En annexe à la réplique, la requérante a présenté un second rapport préparé par York Aviation pour illustrer plus en détail ses arguments.

b)     Appréciation du Tribunal

321    Dans la requête, la présentation du troisième moyen fait l’objet de cinq points, lesquels consistent pour l’essentiel à renvoyer aux arguments avancés dans le cadre des premier et deuxième moyens et à se référer de manière générale au premier rapport de York Aviation, en date de septembre 2007. La requérante se contente de formuler ces observations en relevant qu’il lui était impossible de répondre à l’analyse liaison par liaison effectuée par la Commission compte tenu des instructions pratiques aux parties, aux termes desquelles le nombre de pages maximal de la requête est fixé à 50 et ne peut être dépassé que dans des cas particulièrement complexes en droit ou en fait (voir le paragraphe 10 des instructions pratiques aux parties). Ce n’est qu’au stade de la réplique que la requérante a contesté de manière détaillée l’analyse liaison par liaison effectuée par la Commission au point 7.9 de la décision attaquée pour chacun des 35 marchés concernés. La requérante a renvoyé sur ce point au second rapport de York Aviation sans fournir la moindre raison pour expliquer la présentation de ce rapport à ce stade de la procédure.

322    Il résulte de ce qui précède que, même si les arguments invoqués sur ce point sont ceux qui ont déjà été exposés dans le cadre des deux premiers moyens ou qui ressortent du premier rapport de York Aviation (en particulier des développements dudit rapport figurant sous le titre E, intitulé « Analyse de l’utilisation des données par la Commission liaison par liaison »), la requête comporte un exposé sommaire du troisième moyen, conformément à l’article 44 du règlement de procédure. Cette argumentation est reprise et développée dans la réplique au vu des observations faites sur ce point par la Commission dans le mémoire en défense.

323    Ainsi qu’il est exposé aux points 329 et suivants ci-après, les arguments de la requérante visent, en substance, à remettre en cause les constatations faites par la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne la définition du marché comme étant un marché de liaison de point à point [et non un marché d’aéroport à aéroport, comme, par exemple, celui constitué par la liaison Dublin-Londres (Stansted) ou la liaison Dublin-Londres (Heathrow)], le poids à donner aux passagers en transit (comme, par exemple, ceux dont la destination réelle est New York sur la liaison Dublin-New York, via Londres), la prise en compte du rôle joué par les passagers d’affaires ou ceux qui sont sensibles au facteur temps et l’éventualité d’une entrée sur le marché en cause pour concurrencer l’entité issue de la concentration (avec l’incidence que peut avoir la notoriété des compagnies en cause en Irlande, la présence d’une base sur l’un des points de cette liaison ou les particularités des aéroports en question).

324    Ces arguments, avancés sommairement dans la requête et développés dans le premier rapport de York Aviation, en date de septembre 2007, ainsi que dans la réplique, intègrent l’appréciation générale invoquée dans la requête selon laquelle la Commission aurait commis des erreurs dans le cadre de son analyse de la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus et dans le cadre de l’examen des éventuelles entrées sur les différents marchés à la suite de la concentration.

325    En conséquence, il y a lieu de considérer que les arguments exposés dans la requête en ce qui concerne le troisième moyen répondent aux exigences de l’article 44 du règlement de procédure et qu’ils pouvaient être développés dans la réplique compte tenu notamment des indications fournies dans le premier rapport de York Aviation, de septembre 2007, présenté en annexe à la requête.

326    À titre incident, il convient de relever que cette argumentation est nécessaire à la requérante pour obtenir l’annulation de la décision attaquée. En effet, l’analyse relative à une liaison donnée peut à elle seule justifier la décision de la Commission d’interdire l’opération au regard du critère consacré à l’article 2, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations. La création d’une position dominante qui aurait pour effet d’entraver de manière significative une concurrence effective sur l’une de ces liaisons suffit en tant que telle pour entraîner l’incompatibilité de l’opération avec le marché commun, sous réserve du résultat de l’analyse des gains d’efficacité et des engagements effectuée dans le cadre de l’examen des quatrième et cinquième moyens.

327    Pour ce qui est du second rapport de York Aviation, présenté pour illustrer plus en détail les arguments de la requérante, force est de constater que, ainsi que le fait valoir la Commission, ce rapport a été présenté à l’appui de l’argumentation développée dans la réplique en complément de la requête et du premier rapport de York Aviation, sans que le retard apporté à la présentation d’un tel rapport, relatif au contenu de l’analyse liaison par liaison effectuée dans la décision attaquée, n’ait fait l’objet de la moindre motivation.

328    En conséquence, conformément à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Tribunal ne tiendra pas compte du contenu du second rapport de York Aviation dans le cadre de son appréciation des arguments des parties.

2.     Sur le fond

a)     Sur la liaison Dublin-Londres

 Arguments des parties

329    La requérante soutient que, sur la liaison Dublin-Londres, qui représente environ 30 % du marché du transport de voyageurs entre l’Irlande et les autres États membres de l’Union, avec environ 320 rotations effectuées chaque semaine, dont 100 effectuées par bmi, British Airways et CityJet, la Commission n’aurait pas présenté d’éléments de preuve permettant de considérer que ces concurrents n’étaient pas susceptibles d’exercer une « contrainte concurrentielle » sur l’entité issue de la concentration.

330    En ce qui concerne bmi, qui, avec 10 à 20 % de parts de marché, est, selon la décision attaquée, son principal concurrent et celui d’Aer Lingus sur la liaison Dublin-Londres, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas expliqué en quoi le fait que celle-ci soit capable de proposer un transit à ses passagers sur sa plate-forme d’Heathrow soit significatif (considérant 795 de la décision attaquée). En effet, tout comme les passagers d’Aer Lingus, la plupart de ceux de bmi ne seraient pas des passagers en transit. De même, la Commission n’aurait pas expliqué en quoi le fait que bmi propose une classe économique et une classe affaires signifierait qu’elle ne concurrencerait pas Aer Lingus, qui ne propose qu’une classe unique. Selon la requérante, une telle différence a au demeurant peu d’importance sur un vol aussi bref et aucune comparaison des tarifs entre la classe économique de bmi et la classe unique d’Aer Lingus n’a été effectuée par la Commission. Par ailleurs, le fait qu’Aer Lingus effectue le double du nombre de rotations effectuées par bmi et transporte le double du nombre de voyageurs n’aurait aucune importance, dès lors que bmi serait en mesure d’utiliser le grand nombre de créneaux horaires dont elle disposerait à l’aéroport d’Heathrow pour utiliser sur la liaison Dublin-Londres des créneaux utilisés jusque-là pour des liaisons moins rentables.

331    En ce qui concerne British Airways, qui effectue 26 à 27 rotations hebdomadaires au départ de Dublin en direction de l’aéroport de Gatwick, la requérante relève que la Commission n’a pas examiné si les critères qu’elle invoque et qui sont les mêmes que ceux qu’elle a exposés en ce qui concerne bmi étaient importants aux yeux des passagers sur cette liaison. Par ailleurs, en considérant que British Airways serait d’autant moins concurrentielle qu’Aer Lingus qu’elle ne dessert pas le même aéroport londonien (aéroport de Gatwick et non celui d’Heathrow), la Commission se serait contredite, cette dernière ayant exprimé le point de vue selon lequel les marchés pertinents seraient des paires de villes.

332    En ce qui concerne CityJet, la requérante fait valoir que le fait que cette compagnie aérienne utilise des appareils de plus petite taille, en raison de la faible longueur des pistes de l’aéroport de Londres-City, lequel ne pourrait être utilisé par ses avions et ceux d’Aer Lingus, n’est pas pertinent pour l’analyse de concurrence. La question serait plutôt de savoir si l’offre de CityJet est suffisamment compétitive pour constituer une solution de rechange sur cette liaison. Or, dans la mesure où tant CityJet qu’Aer Lingus et Ryanair transportent un grand nombre de clients d’affaires, il importerait peu que seule CityJet transporte une majorité de passagers d’affaires plus sensibles au facteur temps. En effet, la Commission aurait considéré, aux considérants 312 à 331 et 800 de la décision attaquée, qu’il existait un marché unique pour les passagers des compagnies aériennes, sans distinction à opérer en fonction de la sensibilité des voyageurs au facteur temps. Dès lors que CityJet, Ryanair et Aer Lingus transportent tant des passagers d’affaires que des passagers de loisirs, CityJet exercerait une contrainte concurrentielle s’agissant de ces passagers.

333    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

334    Dans la décision attaquée, la Commission a analysé les effets de la concentration sur la concurrence en ce qui concerne la liaison Dublin-Londres (considérants 791 à 810 de la décision attaquée). Elle est arrivée à la conclusion selon laquelle « l’opération envisagée entraverait considérablement une concurrence effective du fait de la création d’une position dominante sur [cette liaison] » (considérant 810 de la décision attaquée).

335    La requérante reprend sur ce point également l’argumentation avancée lors de la procédure administrative qui a été écartée dans la décision attaquée. Cette argumentation, qui reste superficielle et fragmentée, ne saurait suffire à remettre en cause le raisonnement exposé par la Commission dans la décision attaquée sur la base des résultats obtenus lors de la procédure administrative.

336    En effet, il y a lieu de souligner que le premier élément pris en considération dans la décision attaquée réside dans l’importance de la part de marché cumulée des parties à la concentration, laquelle était pour l’été 2006 de 79 % si tous les passagers étaient pris en considération ou de 81 % si les passagers en transit étaient exclus. La part de marché cumulée fondée sur la capacité des avions et non sur le nombre de passagers transportés aurait été de 76 % pour l’hiver 2006-2007 et de 79 % pour l’été 2007 (considérants 792 à 794 de la décision attaquée). Comme cela est indiqué dans la décision attaquée (note en bas de page n° 802 de la décision attaquée), une telle part de marché constitue en elle-même la preuve d’une position dominante sur le marché (voir, en ce sens, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêt General Electric/Commission, point 41 supra, point 115 ; voir également le point 17 des lignes directrices).

337    Force est de constater que la requérante ne fait pas valoir d’arguments particuliers sur cette part de marché. Les arguments précédemment exposés à ce propos dans le cadre du premier moyen ont déjà été réfutés (voir points 39 et suivants ci-dessus). L’argumentation avancée dans le cadre du troisième moyen en ce qui concerne la liaison Dublin-Londres s’inscrit donc nécessairement dans un contexte concurrentiel où la réalisation de l’opération permettrait à l’ensemble Ryanair-Aer Lingus de détenir une part de marché extrêmement importante, d’environ 80 %. Or, ainsi que la requérante le relève, ce marché est particulièrement significatif, puisqu’il représente à lui seul 30 % du marché du transport de voyageurs entre l’Irlande et les autres États membres de l’Union (voir point 329 ci-dessus).

338    Le deuxième élément pris en considération par la Commission dans la décision attaquée tient au rôle marginal susceptible d’être joué par les trois concurrents présents sur cette liaison. Aucun de ces concurrents ne serait susceptible de compenser les effets anticoncurrentiels liés à la disparition d’Aer Lingus, le concurrent le plus proche de Ryanair pour les vols sur la liaison Dublin-Londres.

339    S’agissant de bmi, qui détient de 12 à 16 % de parts de marché, selon les données prises en considération, la Commission a relevé qu’il existait plusieurs différences entre ce transporteur et Aer Lingus. bmi est un transporteur en réseau, qui opère depuis l’aéroport de Londres-Heathrow, même si la majorité de ses passagers ne sont pas en transit sur la liaison Dublin-Londres (leur destination finale étant Londres et non une autre destination), et propose un service à bord complet, avec une classe économique et une classe affaires, alors qu’Aer Lingus est un transporteur de point à point proposant un service à bord minimal et une classe unique (considérant 795 de la décision attaquée). Certes, la Commission a relevé qu’Aer Lingus transportait également des passagers en transit conformément à son accord de partage de codes avec British Airways ainsi que des passagers d’affaires ou des passagers sensibles au facteur temps (considérants 795 et 799 de la décision attaquée), mais les structures de coûts de ces entreprises sont différentes, celles d’Aer Lingus étant plus proches de celles de Ryanair que de celles de bmi.

340    La Commission a également relevé qu’Aer Lingus transportait deux fois plus de passagers que bmi et qu’elle effectuait presque le double de rotations hebdomadaires (considérant 795 de la décision attaquée). Or, ainsi que la Commission l’a exposé dans la décision attaquée, dans le cadre de l’appréciation des barrières à l’entrée, l’extension des activités de bmi à l’aéroport de Dublin n’est pas souhaitée par cette entreprise et donnerait d’ailleurs lieu à des difficultés importantes du fait de la situation de l’aéroport de Dublin ou du risque de représailles (considérants 760 et 764 de la décision attaquée).

341    Il en est de même en ce qui concerne les deux autres concurrents présents sur le marché, à savoir British Airways et CityJet. Comme cela ressort de la décision attaquée, ces compagnies sont moins proches de Ryanair que ne l’est Aer Lingus (considérant 802 de la décision attaquée). British Airways est un transporteur en réseau offrant des prestations complètes et CityJet est un transporteur offrant des vols destinés à la clientèle d’affaires vers un aéroport situé à proximité du centre-ville de Londres. Ces particularités éloignent le modèle économique et la capacité concurrentielle de ces entreprises de ceux de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus. Par ailleurs, tant British Airways que CityJet ont indiqué que le renforcement de leur présence à l’aéroport de Dublin ne faisaient pas partie de leurs priorités (considérant 748 de la décision attaquée, s’agissant de British Airways, et considérant 718 de la décision attaquée, s’agissant de CityJet).

342    C’est en cela que la Commission a pu conclure dans la décision attaquée que les concurrents actuellement présents sur le marché, susceptibles d’y augmenter leurs capacités, tout comme d’ailleurs les concurrents potentiels, susceptibles d’y entrer, n’exerceraient pas de « contrainte concurrentielle suffisante » sur l’entité issue de la concentration (considérants 804 à 809 de la décision attaquée). À cet égard, il y a lieu de relever que le rôle marginal des trois concurrents visés dans la décision attaquée n’est pas remis en cause par la requérante, qui ne fait que reprendre l’analyse exposée dans la décision attaquée avant de conclure qu’il serait erroné d’affirmer que lesdits concurrents ne seraient pas susceptibles d’exercer une « contrainte concurrentielle » sur l’entité issue de la concentration (voir point 330 ci-dessus). Ce n’est cependant pas ce que la Commission a affirmé dans la décision attaquée. Elle a seulement indiqué que les concurrents actuels et potentiels ne seraient pas susceptibles d’exercer une « contrainte concurrentielle suffisante » sur cette entité.

343    En conséquence, compte tenu du fait que ses observations restent superficielles et fragmentées, la requérante ne démontre pas à suffisance de droit que l’analyse de la Commission n’est pas fondée en ce qui concerne la liaison Dublin-Londres. En effet, la requérante se limite en substance à faire valoir que la Commission n’a pas présenté d’éléments de preuve permettant de considérer que les trois concurrents examinés dans la décision attaquée et représentant environ 20 % de parts de marché n’étaient pas susceptibles d’exercer une « contrainte concurrentielle » sur l’entité issue de la concentration qui contrôlerait environ 80 % dudit marché, alors même que ladite Commission a exposé dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles ces concurrents n’étaient pas susceptibles de concurrencer efficacement cette nouvelle entité du fait de la différence de modèle économique, des barrières à l’entrée et à l’extension de capacité ainsi que de leurs autres priorités de développement.

b)     Sur les liaisons Dublin-Birmingham, Dublin-Édimbourg, Dublin-Glasgow, Dublin-Manchester et Dublin-Newcastle

 Arguments des parties

344    La requérante relève que la Commission a considéré qu’Aer Lingus et elle ne feraient pas face à des contraintes concurrentielles significatives de la part des autres compagnies aériennes sur les liaisons Dublin-Birmingham, Dublin-Édimbourg, Dublin-Glasgow, Dublin-Manchester et Dublin-Newcastle, qui représentent environ 3 millions de passagers par an. Les raisons avancées dans la décision attaquée seraient les suivantes : soit le modèle économique ne serait pas approprié [tel que celui de BA Connect, de bmi, d’Air Malta, d’Hapag Lloyd Express, de KLM, de Lufthansa, de Loganair, de Luxair et de CityJet (considérants 816, 817, 835, 841 et 852 de la décision attaquée)], soit le modèle économique serait le même, mais la compagnie aérienne aurait choisi de mettre fin à ses opérations sur la liaison en cause [telles MyTravelLite, Go Fly, Brymon Airways, devenue BA City Express puis BA Connect, et Gill Airways (considérants 812, 816, 821, 830 et 840 à 848 de la décision attaquée)], soit la compagnie aérienne serait « restée douloureusement marquée par une rencontre précédente avec Ryanair – et non avec Aer Lingus » [telles easyJet et bmibaby (considérants 812, 816, 857, 862, 867, 878 et 880 de la décision attaquée)], soit la compagnie opérerait principalement des vols de classe affaires et sa flotte d’appareils serait trop restreinte [telles CityJet et Luxair (considérants 825, 831, 832, 834, 835, 841, 852, 874, 880 et 882 de la décision attaquée)], soit l’aéroport de Dublin ne ferait pas partie des préoccupations stratégiques de la compagnie aérienne alors même qu’elle disposerait d’appareils basés dans les aéroports adéquats du Royaume-Uni [telles BA Connect, Flybe, easyJet, Loganair, Globespan, Jet2 et Monarch (considérants 825, 834, 843, 852 et 882 de la décision attaquée)], soit la compagnie n’aurait pas confirmé vouloir entrer sur une liaison donnée [telles BA Connect, Flybe, Loganair, Globespan, bmibaby, Monarch et Jet2 (considérants 825, 834, 843, 852 et 882 de la décision attaquée)] ou aurait expressément indiqué à la Commission qu’elle ne souhaiterait pas entrer sur une liaison desservie par Ryanair [telle Aer Arann (considérant 826 de la décision attaquée)], soit une entrée à grande échelle ou une hausse de la fréquence des opérations existantes seraient requises, mais ne seraient pas possibles compte tenu de la saturation des aéroports [s’agissant de CityJet (considérants 815 à 817, 824, 826, 833, 842, 851, 860 et 870 de la décision attaquée)] et/ou nécessiteraient des investissements considérables pour promouvoir la marque et commercialiser ses vols en Irlande [s’agissant de BA Connect, de Flybe, de Globespan, d’easyJet et de Monarch (considérants 816, 825, 843 et 882 de la décision attaquée)].

345    La requérante reproche à la Commission d’avoir « fait preuve d’incohérence » dans son analyse relative à ces liaisons. D’un côté, lorsque les concurrents sont significativement présents dans un aéroport, la Commission aurait considéré que leur présence dans cet aéroport n’était pas directement pertinente pour l’appréciation de la concurrence sur les liaisons desservies par Ryanair (considérant 825 et note en bas de page n° 864 de la décision attaquée). La Commission aurait également refusé de tenir compte de la présence des concurrents qui exploitent des bases ou des plates-formes dans ces aéroports en considérant que ceux-ci ne seraient pas significatifs pour l’analyse liaison par liaison dès lors qu’il ressortirait de l’enquête et de leurs propres déclarations qu’il leur manquerait invariablement les capacités ou la motivation pour entrer sur la liaison en cause (considérants 816, 825, 834, 843, 852, 862, 872 et 882 de la décision attaquée). D’un autre côté, lorsque la présence combinée de Ryanair et d’Aer Lingus dans un aéroport est significative – comme à Birmingham ou à Édimbourg –, la Commission aurait prétendu que la situation était problématique au regard de barrières à l’entrée telles que l’absence de bases pour les concurrents, la nécessité d’« investissements considérables en termes de notoriété de marque et de marketing » lorsque les transporteurs ne sont pas installés dans un aéroport et l’insuffisance de créneaux horaires disponibles aux heures de pointe ou l’accès limité aux infrastructures (postes de stationnement au contact) (considérants 816, 817, 826, 843, 844 et 882 de la décision attaquée).

346    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

347    Dans la décision attaquée, la Commission a analysé les effets de la concentration sur la concurrence en ce qui concerne différentes liaisons au départ de Dublin et à destination de villes du Royaume-Uni autres que Londres.

–       Sur la liaison Dublin-Birmingham

348    S’agissant de la liaison Dublin-Birmingham (considérants 811 à 819 de la décision attaquée), la réalisation de l’opération aurait pour résultat de créer un monopole qui éliminerait toute concurrence existant sur cette liaison. La Commission a également évoqué la tentative infructueuse de MyTravelLite d’entrer sur ce marché en 2003-2004 et l’absence de toute autre tentative de ce type depuis (considérant 815 de la décision attaquée) ainsi que le retrait de bmibaby à la suite de l’entrée de Ryanair (considérants 812 et 816 de la décision attaquée).

349    De même, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles les transporteurs présents dans l’un des deux aéroports qui desservent Birmingham (BA Connect, easyJet, Flybe, bmi, bmibaby, Monarch, Thomsonfly) ne seraient pas susceptibles d’exercer une contrainte concurrentielle suffisante sur l’entité issue de la concentration en entrant sur la liaison Dublin-Birmingham à la suite de l’opération (considérant 816 de la décision attaquée). La requérante reprend, sans les contester, les raisons évoquées par la Commission, qui tiennent à l’existence de barrières à l’entrée sur l’aéroport de Dublin ou aux intentions exprimées par lesdits transporteurs, qui ont d’autres priorités que le marché irlandais. À cet égard, il y a lieu de considérer que ces raisons sont, en tant que telles, suffisantes pour étayer les conclusions qui en ont été tirées par la Commission dans la décision attaquée.

350    En outre, il ne peut être allégué, comme le fait la requérante, que la Commission aurait « fait preuve d’incohérence » dans le cadre de son analyse en ce qu’elle aurait tenu compte différemment, d’une part, de la situation particulière de Ryanair et d’Aer Lingus à Dublin, voire également à Birmingham pour ce qui concerne Ryanair (considérant 816 de la décision attaquée), et, d’autre part, de la situation des autres compagnies à l’aéroport de destination. L’argument avancé par Ryanair en ce qui concerne la possibilité de concurrencer l’entité issue de la concentration à partir de la base détenue à l’aéroport de destination a en effet été examiné et réfuté par la Commission pour chaque liaison concernée (voir considérant 825 de la décision attaquée, s’agissant de la liaison Dublin-Édimbourg, et la note en bas de page n° 864 insérée sous ce dernier considérant, dans le cadre de laquelle la Commission étend cette conclusion à toutes les autres liaisons). Il y a donc lieu de rejeter l’allégation de la requérante s’agissant de toutes les liaisons où Ryanair fait valoir une telle incohérence.

351    Pour ce qui est de la situation particulière de CityJet, qui dispose d’appareils basés à Dublin et d’appareils stationnés pour la nuit à Birmingham et qui pourrait être tentée d’assurer la liaison Dublin-Birmingham, sur laquelle la clientèle d’affaires est importante, la Commission a constaté que, pour concurrencer Ryanair et Aer Lingus, cette compagnie devrait proposer un service à fréquence élevée couvrant toutes les heures de pointe, ce qui serait peu probable en raison des contraintes pesant sur les créneaux horaires aux heures de pointe à l’aéroport de Dublin et du manque de postes de stationnement au contact (considérant 817 de la décision attaquée). À cet égard, il y a lieu de relever que ces raisons ne sont pas non plus contestées par la requérante et qu’elles sont, en tant que telles, suffisantes pour étayer les conclusions qui en ont été tirées par la Commission dans la décision attaquée.

352    En dernier lieu, la Commission a réfuté dans la décision attaquée l’argument avancé par Ryanair selon lequel des compagnies aériennes qui n’auraient pas d’avions basés à Birmingham (Air Malta, Hapag Lloyd Express, KLM et Lufthansa) pourraient être tentées d’assurer des vols depuis cette destination vers Dublin, d’où elles assureraient également des vols, mais vers d’autres destinations, sans y avoir pour autant d’avions basés. Selon la Commission, entrer sur une liaison sans disposer d’une base à l’une ou l’autre extrémité de celle-ci est en général moins efficace et en tant que tel relativement rare. De plus, il s’agirait de transporteurs en réseau proposant un service à bord complet et il serait peu probable qu’ils exerceraient une contrainte importante sur l’entité issue de la concentration (considérant 817 de la décision attaquée). À cet égard, il y a également lieu de relever que ces raisons ne sont pas contestées par la requérante et qu’elles sont, en tant que telles, suffisantes pour étayer les conclusions qui en ont été tirées par la Commission dans la décision attaquée.

–       Sur la liaison Dublin-Édimbourg

353    S’agissant de la liaison Dublin-Édimbourg (considérants 820 à 828 de la décision attaquée), la réalisation de l’opération aurait pour résultat de créer un monopole qui éliminerait toute concurrence existant sur cette liaison. La Commission a également évoqué la tentative infructueuse de Go Fly d’entrer sur ce marché en 2001-2002 et l’absence de toute autre tentative de ce type depuis. Elle a par ailleurs précisé que cette liaison était très chargée, avec cinq rotations par jour effectuées par les parties à la concentration (considérant 824 de la décision attaquée).

354    De même, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles les transporteurs possédant des bases ou des plates-formes dans l’aéroport d’Édimbourg (BA Connect, easyJet, Flybe, Loganair et Globespan) ne seraient pas susceptibles d’exercer une contrainte concurrentielle suffisante sur l’entité issue de la concentration en entrant sur la liaison Dublin-Édimbourg à la suite de l’opération (considérant 825 de la décision attaquée). La requérante reprend, sans les contester, les raisons évoquées par la Commission, qui tiennent à l’existence de barrières à l’entrée sur l’aéroport de Dublin ou aux intentions exprimées par lesdits transporteurs, qui ont d’autres priorités que le marché irlandais. À cet égard, il y a également lieu de considérer que ces raisons sont, en tant que telles, suffisantes pour étayer les conclusions qui en ont été tirées par la Commission dans la décision attaquée.

355    Pour ce qui est de la situation particulière de CityJet, qui dispose d’appareils basés à Dublin et d’appareils stationnés pour la nuit à Édimbourg et qui pourrait être tentée d’assurer la liaison Dublin-Édimbourg qui bénéficie d’une importante clientèle d’affaires, la Commission a repris le même raisonnement que celui qu’elle a développé en ce qui concerne la liaison Dublin-Birmingham (considérant 826 de la décision attaquée). À cet égard, il y a lieu de rappeler que ce raisonnement n’est pas contesté par la requérante et de considérer qu’il est suffisant pour étayer la conclusion qui en a été tirée par la Commission dans la décision attaquée.

–       Sur les liaisons Dublin-Glasgow, Dublin-Manchester et Dublin-Newcastle

356    Les liaisons Dublin-Glasgow et Dublin-Manchester se caractérisent par le quasi-monopole dont bénéficierait l’entité issue de la concentration alors que la liaison Dublin-Newcastle donnerait lieu au monopole de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus. Pour ce qui est de la liaison Dublin-Glasgow (considérants 829 à 837 de la décision attaquée), l’ensemble Ryanair-Aer Lingus représenterait 96 à 99 % de parts de marché, avec comme unique concurrent Loganair, qui détient 1 à 4 % de parts de marché et propose des vols indirects via Londonderry (Go Fly étant entrée sur cette liaison en 2001 avant de s’en retirer après six mois d’exploitation en 2002). Pour ce qui est de la liaison Dublin-Manchester (considérants 838 à 846 de la décision attaquée), l’ensemble Ryanair-Aer Lingus représenterait 98 à 99,6 % de parts de marché, avec comme unique concurrent Luxair, qui détient 0,4 à 2 % de parts de marché et propose des vols Luxembourg-Dublin, via Manchester. Pour ce qui est de la liaison Dublin-Newcastle (considérants 847 à 854 de la décision attaquée), l’ensemble Ryanair-Aer Lingus représenterait 96 à 99 % de parts de marché, avec comme unique concurrent Loganair, qui détient 1 à 4 % de parts de marché et propose des vols indirects via Londonderry (Brymon Airways, devenue BA City Express puis BA Connect, étant entrée sur cette liaison en 2001 avant de s’en retirer en 2003 et Gill Airways y étant entrée en janvier 2001 avant de cesser ses activités en septembre de la même année).

357    La Commission a également réfuté sur ce point dans la décision attaquée les arguments invoqués par Ryanair lors de la procédure administrative en ce qui concerne les entrants potentiels disposant d’une base à l’aéroport de destination ou CityJet (voir, mutatis mutandis, points 352 et 355 ci-dessus). À cet égard, il y a lieu de rappeler que le raisonnement de la Commission n’est pas remis en cause par la requérante et de considérer qu’il est suffisant pour étayer les conclusions qui ont été tirées dans la décision attaquée.

c)     Sur les liaisons Shannon-Londres et Cork-Londres

 Arguments des parties

358    La requérante soutient que la Commission a modifié l’étendue du marché géographique selon ses besoins. Dans son évaluation de la concurrence existante, la Commission aurait inclu tous les aéroports de Londres dans le marché pertinent. En revanche, pour l’évaluation des entrées potentielles, la Commission aurait prétendu que les aéroports de Luton et de Londres-City ne sauraient se substituer à ceux d’Heathrow, de Gatwick ou de Stansted (considérants 860 et 870 de la décision attaquée). De plus, ce serait à tort que la Commission aurait évalué le degré de probabilité d’une entrée en se fondant sur le nombre peu significatif de rotations effectuées à l’heure actuelle par les compagnies aériennes Wizzair, bmibaby, CentralWings, Jet2, Malev et Air Southwest (considérant 873 de la décision attaquée).

359    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

360    Pour ce qui est de la liaison Shannon-Londres (considérants 855 à 864 de la décision attaquée), l’ensemble Ryanair-Aer Lingus représenterait 100 % de parts de marché (easyJet s’étant retirée de ce marché en octobre 2006 à la suite de l’arrivée de Ryanair en réaction à l’entrée d’easyJet sur les liaisons Cork-Londres et Knock-Londres).

361    Pour ce qui est de la liaison Cork-Londres (considérants 865 à 876 de la décision attaquée), l’ensemble Ryanair-Aer Lingus représenterait 100 % de parts de marché (easyJet s’étant retirée de ce marché en octobre 2006, bmibaby s’étant retirée en janvier 2005 de cette liaison qu’elle proposait depuis mars 2004 et City Flyer Express n’ayant proposé cette liaison que jusqu’en octobre 2001).

362    La Commission a également réfuté sur ce point dans la décision attaquée l’argument invoqué par Ryanair lors de la procédure administrative en ce qui concerne les entrants potentiels disposant d’une base à l’aéroport de destination. Ce raisonnement, qui repose sur la forte présence des parties à la concentration en Irlande et sur les particularités de certains aéroports londoniens, ne saurait être remis en cause par les arguments de la requérante. En effet, contrairement à ce que fait valoir cette dernière, la substituabilité des aéroports londoniens du côté de la demande ne signifie pas que leurs particularités ne pourraient être prises en compte du côté de l’offre quand il s’agit d’apprécier la capacité d’un transporteur à s’implanter sur une destination. Le raisonnement exposé par la Commission dans la décision attaquée n’est donc pas contradictoire sur ce point.

363    C’est également à juste titre que la Commission a considéré que les transporteurs qui pourraient entrer sur ces liaisons en exploitant une « liaison en W » sans base à l’une ou l’autre des destinations (Wizzair, bmibaby, CentralWings, Jet2, Malev et Air Southwest) n’étaient pas susceptibles de concurrencer efficacement l’entité issue de la concentration.

364    En conséquence, les conclusions aux termes desquelles l’opération envisagée entraverait considérablement une concurrence effective du fait de la création d’une position dominante sur les liaisons Shannon-Londres et Cork-Londres ne sont pas remises en cause par les arguments de la requérante.

d)     Sur les liaisons Dublin-Francfort, Dublin-Paris, Dublin-Madrid, Dublin-Bruxelles, Dublin-Berlin et Dublin-Hambourg (Lübeck)

 Arguments des parties

365    La requérante reproche à la Commission d’avoir exclu de son analyse les compagnies suivantes : Lufthansa, pour ce qui est des liaisons Dublin-Berlin, Dublin-Francfort et Dublin-Hambourg (Lübeck), au motif que les passagers de point à point n’y représenteraient qu’une petite partie des activités de cette compagnie (considérants 913, 951 et 962 de la décision attaquée) ; CityJet, pour ce qui est de la liaison Dublin-Paris, au motif que celle-ci se concentrerait sur une clientèle d’affaires plus rentable (considérant 1017 de la décision attaquée) ; Iberia, pour ce qui est de la liaison Dublin-Madrid, au motif que son modèle économique reposerait sur des activités en réseau avec un service à bord complet (considérant 984 de la décision attaquée) ; Brussels Airlines, KLM ainsi que VLM, Transavia et Airlinair pour ce qui est de la liaison Dublin-Bruxelles (considérant 936 de la décision attaquée). Selon la requérante, la Commission n’est « pas crédible » quand elle affirme que ces transporteurs ne seraient pas en mesure de répondre de manière effective à une hausse des prix par l’entité issue de la concentration, en particulier parce qu’ils desservent déjà les liaisons en cause.

366    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

367    Même si le raisonnement suivi par la Commission pour examiner chaque liaison est assez similaire, chacune d’entre elles présente une certaine particularité qui doit être rappelée, notamment pour ce qui est des concurrents ou des compagnies aériennes susceptibles d’entrer sur ces marchés pour concurrencer l’entité issue de la concentration.

–       Sur les liaisons Dublin-Berlin et Dublin-Hambourg (Lübeck)

368    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Berlin (considérants 908 à 915 de la décision attaquée), la réalisation de l’opération aurait pour résultat de créer un monopole qui éliminerait toute concurrence existant sur cette liaison. La Commission a également évoqué la présence sur ce marché de Lufthansa, qui s’en est retirée en octobre 2000. Elle a rappelé qu’il existait des barrières à l’entrée liées à l’encombrement de l’aéroport de Dublin, même si celles-ci pouvaient être moins marquées dans ce cas, du fait du nombre limité de fréquences et de la proportion moins importante qu’ailleurs de passagers sensibles au facteur temps.

369    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Hambourg (Lübeck) (considérants 956 à 964 de la décision attaquée), la réalisation de l’opération aurait pour résultat de créer un monopole qui éliminerait toute concurrence existant sur cette liaison. La Commission a également évoqué la présence sur ce marché de Lufthansa, qui s’en est retirée en octobre 2000, et celle de Hapag-Lloyd Executive, qui y est entrée en avril 2004 pour en sortir en janvier 2006. Elle a rappelé qu’il existait des barrières à l’entrée liées à l’encombrement de l’aéroport de Dublin, même si celles-ci pouvaient être moins marquées dans ce cas du fait du nombre limité de fréquences et de la proportion moins importante qu’ailleurs de passagers sensibles au facteur temps.

370    De même, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles les transporteurs qui disposent d’une base à Berlin (Lufthansa, Air Berlin, Germanwings, easyJet) ou à Hambourg-Lübeck (Lufthansa, Air Berlin, Germanwings) ne seraient pas susceptibles d’exercer une contrainte concurrentielle suffisante sur l’entité issue de la concentration en entrant sur les liaisons Dublin-Berlin ou Dublin-Hambourg (Lübeck) à la suite de l’opération (considérants 913 et 962 de la décision attaquée). La requérante se limite à cet égard à indiquer que, pour ce qui est de Lufthansa, la Commission ne serait « pas crédible » quand elle affirme que cette compagnie ne serait pas en mesure de répondre de manière effective à une hausse des prix par l’entité issue de la concentration (voir point 365 ci-dessus). Force est toutefois de relever que la Commission a exposé sur ce point plusieurs raisons parfaitement crédibles. En effet, elle a constaté, d’une part, que Lufthansa était un transporteur en réseau traditionnel exploitant un système en étoile différent des modèles de point à point et à prestations minimales de Ryanair et d’Aer Lingus et, d’autre part, que, compte tenu de son retrait du marché en 2000 (alors qu’il n’existait aucun autre concurrent à cette époque), Lufthansa ne serait désormais probablement plus disposée à entrer sur ces marchés face à une nouvelle entité puissante dont la structure de coûts n’est pas la même.

–       Sur la liaison Dublin-Bruxelles

371    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Bruxelles (considérants 931 à 938 de la décision attaquée), la réalisation de l’opération aurait pour résultat de créer un monopole qui éliminerait toute concurrence existant sur cette liaison. La Commission a également évoqué la présence sur ce marché de Sabena (devenue Brussels Airlines), qui s’en est retirée en novembre 2001. Elle a rappelé qu’il existait des barrières à l’entrée liées à l’encombrement de l’aéroport de Dublin et au caractère très chargé de cette liaison.

372    De même, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles les transporteurs qui disposent d’une base à Bruxelles (Brussels Airlines, KLM et VLM) ou à Eindhoven aux Pays-Bas (Transavia et Airlinair), qui n’est pas considéré comme un aéroport substituable à celui de Bruxelles, ne seraient pas susceptibles d’exercer une contrainte concurrentielle suffisante sur l’entité issue de la concentration en entrant sur la liaison Dublin-Bruxelles (considérant 936 de la décision attaquée). La requérante se limite à cet égard à indiquer que la Commission n’est « pas crédible » quand elle affirme que ces compagnies ne seraient pas en mesure de répondre de manière effective à une hausse des prix par l’entité issue de la concentration (voir point 365 ci-dessus). Force est toutefois de relever que la Commission a exposé sur ce point plusieurs raisons parfaitement crédibles. En effet, elle a constaté que Brussels Airlines et KLM étaient principalement des transporteurs en réseau offrant un service à bord complet et dont le modèle économique diffère de celui de Ryanair et d’Aer Lingus, que VLM fidélisait essentiellement une clientèle d’affaires en exploitant des appareils plus petits permettant d’atterrir sur l’aéroport de Londres-City et que Transavia et Airlinair desservaient Eindhoven et non Bruxelles.

–       Sur la liaison Dublin-Francfort

373    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Francfort (considérants 948 à 955 de la décision attaquée), les parties à la concentration représentaient en capacité 59 à 87 % de parts de marché cumulées au cours de l’été 2006, que les passagers en transit soient ou non pris en considération. La part de marché du concurrent Lufthansa oscillait ainsi entre 13 et 41 % en prenant en considération les passagers en transit.

374    À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission a exposé dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles Lufthansa ne serait pas susceptible de concurrencer efficacement l’entité issue de la concentration sur ce marché. En effet, dans la décision attaquée, la Commission a relevé que le modèle économique de Lufthansa se distinguait clairement de ceux d’Aer Lingus et de Ryanair. De plus, elle a constaté que Lufthansa exploitait un service à fréquence élevée dont les horaires s’adaptaient aux vagues de départ et d’arrivée à l’aéroport de Francfort. La Commission a également constaté qu’il ressortait des résultats de l’enquête effectuée auprès des clients que davantage de clients d’Aer Lingus ou de Ryanair avaient envisagé l’autre compagnie irlandaise comme substitut pour un vol Dublin-Francfort plutôt que Lufthansa. La requérante ne peut donc faire valoir que la Commission a purement et simplement exclu Lufthansa de son analyse au motif que les passagers de point à point n’y représenteraient qu’une petite partie des activités de cette compagnie (voir point 365 ci-dessus).

–       Sur les liaisons Dublin-Madrid et Dublin-Paris

375    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Madrid (considérants 981 à 989 de la décision attaquée), les parties à la concentration représentaient en capacité 66 à 75 % de parts de marché cumulées prévues pour l’été 2007, que les passagers en transit soient ou non pris en considération. La part de marché du concurrent Iberia oscillait ainsi entre 25 et 34 % en prenant en considération les passagers en transit. La Commission a également évoqué la présence sur ce marché de Spanair, qui s’en est retirée en octobre 2006. Elle a en outre rappelé qu’il existait des barrières à l’entrée liées à l’encombrement de l’aéroport de Dublin, même si celles-ci pouvaient être dans ce cas moins marquées dans la mesure où il ne s’agit pas d’une liaison à fréquence élevée.

376    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Paris (considérants 1014 à 1021 de la décision attaquée), les parties à la concentration représentaient 61 à 80 % de parts de marché cumulées pour l’été 2006, que les passagers en transit soient pris en considération ou non. La part de marché du concurrent CityJet oscillait ainsi entre 20 et 39 % en prenant en considération les passagers en transit. Aucun autre transporteur ne serait entré sur ce marché au cours des dernières années.

377    À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission a exposé dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles Iberia, pour ce qui est de la liaison Dublin-Madrid (considérant 984 de la décision attaquée), et CityJet, pour ce qui est de la liaison Dublin-Paris (considérant 1017 de la décision attaquée), ne seraient pas susceptibles de concurrencer efficacement l’entité issue de la concentration. En effet, la Commission a souligné qu’Iberia ne pouvait être considérée comme un proche concurrent des parties à la concentration en raison de son modèle économique fondé sur des activités en réseau et d’un service à bord complet qui s’adresse à un nombre significatif de passagers en transit sur cette liaison. Par ailleurs, la Commission a souligné que CityJet avait pour principal objectif d’alimenter les vols moyen et long-courriers d’Air France au départ de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Ce raisonnement n’est pas contesté, en tant que tel, par la requérante, qui en critique seulement la crédibilité sans autre forme de précision. La requérante ne peut donc faire valoir que la Commission a purement et simplement exclu ces deux compagnies de son analyse (voir point 365 ci-dessus).

e)     Sur les liaisons Dublin-Milan et Dublin-Rome

 Arguments des parties

378    La requérante soutient que c’est à tort que la Commission a écarté Alitalia comme concurrent potentiel de l’entité issue de la concentration en raison de son récent retrait des liaisons Dublin-Rome et Dublin-Milan ainsi que de ses difficultés financières (considérants 1011 et 1041 de la décision attaquée). De même, la Commission aurait, à tort, écarté l’existence d’une menace concurrentielle de la part de ce transporteur en réseau offrant un service à bord complet. La Commission n’aurait en effet produit aucun élément prouvant qu’Alitalia ne pourrait facilement de nouveau proposer des vols à destination de Dublin dans l’hypothèse d’une hausse des prix par l’entité issue de la concentration, alors qu’Alitalia posséderait de nombreux avions basés à Rome et à Milan.

379    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

380    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Milan (considérants 1006 à 1013 de la décision attaquée), la réalisation de l’opération aurait pour résultat de créer un monopole qui éliminerait toute concurrence existant sur cette liaison (100 % de parts de marché cumulées ayant été prévues pour l’été 2007). La Commission a également évoqué la présence sur ce marché d’Alitalia, qui s’en est retirée en octobre 2006, quelques mois après l’entrée de Ryanair sur cette liaison. Elle a rappelé qu’il existait des barrières à l’entrée liées à l’encombrement de l’aéroport de Dublin aux heures de pointe.

381    Pour ce qui est de la liaison Dublin-Rome (considérants 1036 à 1043 de la décision attaquée), la réalisation de l’opération aurait pour résultat de créer un monopole qui éliminerait toute concurrence existant sur cette liaison (100 % de parts de marché cumulées ayant été prévues pour l’été 2007). La Commission a également évoqué la présence sur ce marché d’Alitalia, qui s’en est retirée en octobre 2005, avant d’y refaire brièvement une nouvelle entrée pendant l’été 2006. Elle a rappelé qu’il existait des barrières à l’entrée liées à l’encombrement de l’aéroport de Dublin aux heures de pointe et au développement de cette liaison.

382    De même, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles les transporteurs qui disposent d’une base à Milan ou à Rome (Alitalia, Air One, easyJet et MyAir) ne seraient pas susceptibles d’exercer une contrainte concurrentielle suffisante sur l’entité issue de la concentration en entrant sur les liaisons Dublin-Milan et Dublin-Rome (considérant 1011 et 1041 de la décision attaquée). La requérante se limite à cet égard à indiquer que c’est à tort que la Commission a considéré qu’Alitalia n’était pas susceptible de concurrencer efficacement l’entité issue de la concentration du fait de ses difficultés financières et de son modèle économique de compagnie offrant un service à bord complet. Force est toutefois de constater que ces raisons permettent de justifier la conclusion qui en a été tirée par la Commission dans la décision attaquée.

383    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que les arguments avancés par la requérante en ce qui concerne plusieurs liaisons analysées dans la décision attaquée ne permettent pas de remettre en question la conclusion de la Commission selon laquelle la réalisation de l’opération y entraverait considérablement une concurrence effective du fait de la création d’une position dominante.

384    En outre, il y a lieu de relever que les positions dominantes que la concentration envisagée engendrerait sur ces liaisons sont soit monopolistiques, soit quasi monopolistiques ou très importantes et suffisent, en tant que telles, à valider à ce stade de l’analyse la conclusion tirée par la Commission selon laquelle la réalisation de la concentration doit être déclarée incompatible avec le marché commun.

385    Dès lors, il y a lieu de considérer que, sous réserve du résultat de l’analyse des gains d’efficacité et des engagements effectuée dans le cadre de l’examen des quatrième et cinquième moyens, c’est à juste titre que la Commission a déclaré la concentration envisagée incompatible avec le marché commun.

D –  Sur le quatrième moyen, relatif à l’appréciation des gains d’efficacité allégués

386    À titre liminaire, il convient de relever que, aux termes du considérant 29 du règlement sur les concentrations :

« Pour déterminer l’effet d’une concentration sur la structure de la concurrence dans le marché commun, il convient de tenir compte des gains d’efficacité probables démontrés par les entreprises concernées. Il est possible que les gains d’efficacité résultant de la concentration contrebalancent les effets sur la concurrence, et notamment le préjudice potentiel pour les consommateurs, qu’elle aurait sinon pu avoir et que, de ce fait, celle-ci n’entrave pas de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante. La Commission devrait publier des orientations sur les conditions dans lesquelles elle peut prendre en considération des gains d’efficacité dans l’appréciation d’une concentration. »

387    Les orientations de la Commission mentionnées au considérant 29 du règlement sur les concentrations sont présentées aux points 76 à 88 des lignes directrices. Le point 78 des lignes directrices indique ainsi que, pour que la Commission tienne compte des gains d’efficacité invoqués dans le cadre de son appréciation d’une concentration et soit en position de conclure que, grâce à ces gains, rien ne s’oppose à ce que l’opération soit déclarée compatible avec le marché commun, les gains d’efficacité doivent être à l’avantage des consommateurs, être propres à la concentration et être vérifiables. Ces conditions sont cumulatives et sont examinées par la suite selon l’ordre adopté par la Commission dans la décision attaquée.

388    L’analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée, qui est pertinente dans le cadre de l’appréciation du présent moyen, s’articule autour des étapes suivantes. En premier lieu, la Commission a exposé l’argumentation présentée par Ryanair lors de la procédure administrative aux termes de laquelle la concentration ne présenterait aucun risque pour la concurrence en raison des gains d’efficacité liés à l’application à Aer Lingus du modèle économique à bas coûts de Ryanair. Ces gains d’efficacité résulteraient d’économies d’échelle réalisées au niveau des coûts de personnel, des frais afférents à la propriété des appareils, des frais de maintenance, des frais d’aéroports, des coûts d’exploitation au sol et des coûts de distribution. Selon Ryanair, ces gains d’efficacité ne pourraient être obtenus ni par une autre opération, ni individuellement par les deux compagnies en l’absence d’une telle concentration. Ces gains d’efficacité seraient répercutés sur les consommateurs en termes de réduction du prix des billets, d’augmentation des fréquences de vols et du nombre de liaisons ainsi qu’en termes d’amélioration des produits et du service, sans affecter la qualité du service d’Aer Lingus (point 7.10.2 de la décision attaquée). L’analyse d’Aer Lingus est également exposée dans la décision attaquée (point 7.10.3 de la décision attaquée).

389    En deuxième lieu, la Commission a souligné qu’il ressortait des principes exposés au considérant 29 du règlement sur les concentrations et dans les lignes directrices que, pour pouvoir contrebalancer les effets négatifs d’une concentration sur les consommateurs, les gains d’efficacité qui en résultent doivent être vérifiables (à savoir, justifiés, quantifiés et appuyés, si nécessaire, par des études et des documents internes), susceptibles de procurer un avantage aux consommateurs et ne pas avoir pu être obtenus dans une même mesure par des moyens moins anticoncurrentiels que la concentration envisagée (gains d’efficacité propres à la concentration). Ces trois conditions (caractère vérifiable, avantage pour les consommateurs et caractère propre à la concentration) sont cumulatives (points 7.10.1 et 7.10.4 de la décision attaquée).

390    En troisième lieu, la Commission a considéré que les gains d’efficacité allégués par Ryanair n’étaient pas vérifiables, parce qu’ils reposaient essentiellement sur l’affirmation générale selon laquelle Ryanair serait en mesure d’appliquer à Aer Lingus son modèle économique, et en particulier les niveaux de coûts qui y sont associés, sans qu’il ait été suffisamment tenu compte de la compensation des pertes en termes de caractéristiques des produits et de recettes. Plusieurs affirmations de Ryanair relatives aux gains d’efficacité reposeraient également sur des présomptions qui ne pourraient être vérifiées de manière indépendante (point 7.10.4.2 de la décision attaquée). La décision attaquée contient également une évaluation de la spécificité de la concentration (point 7.10.4.3 de la décision attaquée) et des bénéfices pour les clients (point 7.10.4.4 de la décision attaquée).

391    La Commission a conclu au considérant 1151 de la décision attaquée que les gains d’efficacité allégués par Ryanair n’étaient pas suffisamment vérifiables et n’étaient pas spécifiques à la concentration. Selon la Commission, à supposer que ces deux conditions aient été remplies, ces gains d’efficacité auraient affecté les coûts fixes d’Aer Lingus (exploitation des appareils), ce qui laisse à penser que ceux-ci n’auraient peut-être pas profité aux clients. Enfin, la Commission a fait référence au point 84 des lignes directrices, aux termes duquel « [i]l est hautement improbable qu’une opération qui débouche sur une position proche du monopole, ou sur un niveau de pouvoir de marché comparable, puisse être déclarée compatible avec le marché commun au motif que les gains d’efficacité suffiraient à contrebalancer ses effets anticoncurrentiels potentiels ».

392    En substance, la requérante critique cet aspect de la décision attaquée en faisant valoir que, en dépit de ses éventuels effets anticoncurrentiels, l’opération de concentration générerait des gains d’efficacité. Ces gains d’efficacité seraient vérifiables, propres à la concentration et bénéficieraient aux consommateurs. Dès lors, les critères posés aux points 76 et suivants des lignes directrices auraient été respectés et la Commission aurait dû déclarer l’opération de concentration compatible avec le marché commun. De manière générale, la requérante reproche à la Commission d’avoir écarté les éléments concrets qu’elle avait présentés et de s’être fondée sur des « conjectures » avancées par Aer Lingus. Or, non seulement Ryanair serait une référence en ce qui concerne l’obtention de gains d’efficacité, mais Aer Lingus n’aurait pu être informée des économies de coûts réalisées par Ryanair et il aurait été dans l’intérêt d’Aer Lingus de sous-estimer les gains d’efficacité résultant de la concentration afin de se défendre contre l’offre de Ryanair et de ne pas admettre sa propre inefficacité. La requérante reproche également à la Commission d’avoir appliqué un « critère déraisonnable et erroné » quant à l’ampleur des gains d’efficacité dont elle aurait dû faire la preuve en se fondant sur le point 84 des lignes directrices, qui établit une présomption négative à l’encontre des effets des gains d’efficacité dans une position proche du monopole. En l’occurrence, Ryanair fait valoir que la concentration envisagée ne créerait pas de monopole.

393    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, relève que, dans la mesure où l’opération de concentration aboutirait à une position proche du monopole, il est hautement improbable qu’elle puisse être déclarée compatible avec le marché commun au motif que les gains d’efficacité générés contrebalanceraient ses effets anticoncurrentiels. En tout état de cause, les trois critères à examiner ne seraient pas remplis : les gains d’efficacité allégués par Ryanair ne seraient ni vérifiables ni propres à la concentration et ne profiteraient pas aux consommateurs.

1.     Sur le caractère vérifiable des gains d’efficacité allégués

a)     Arguments des parties

394    Premièrement, la requérante conteste l’observation de la Commission selon laquelle ses affirmations concernant les gains d’efficacité seraient fondés sur des éléments très hypothétiques (considérant 1133 de la décision attaquée). Des « calculs très détaillés » auraient été fournis à la Commission, sur la base de l’expérience acquise durant une quinzaine d’années d’activités commerciales en Europe et de l’utilisation de plus de 130 avions sur plus de 500 liaisons. Ryanair serait la mieux placée pour présenter des « calculs rigoureux, fiables et vérifiables », contrairement à la Commission, qui serait dépourvue d’expérience en la matière, et à Aer Lingus, qui ne serait pas un modèle d’efficacité. À supposer que ces calculs comportent une marge d’erreur, le résultat, à savoir des gains d’efficacité s’élevant à 221,7 millions d’euros, ne saurait être purement et simplement écarté. La requérante critique également l’exigence formulée au considérant 1133 de la décision attaquée selon laquelle elle aurait dû fournir des documents antérieurs à la concentration évaluant de manière objective et indépendante l’ampleur des gains d’efficacité. En effet, les gains d’efficacité existeraient indépendamment de leur consignation par écrit avant ou après l’annonce de la concentration. Une telle exigence serait impossible à satisfaire, car ce ne serait souvent qu’après l’annonce de l’OPA que ses auteurs pourraient avoir accès à la comptabilité de la société cible.

395    Deuxièmement, la requérante relève que, pour alléguer que les gains d’efficacité ne sont pas vérifiables, la Commission fait valoir que cela suppose qu’elle soit en mesure de transférer « entièrement » son modèle économique à Aer Lingus sans dégrader, pour autant, certaines caractéristiques du produit. La Commission reconnaîtrait ainsi l’existence d’une différence entre le modèle économique de Ryanair et celui d’Aer Lingus. Cette affirmation procéderait toutefois d’une méprise, dès lors que Ryanair n’aurait pas eu l’intention de transférer « entièrement » son modèle économique à Aer Lingus, mais seulement de maintenir un service différencié tout en consolidant la position d’Aer Lingus en termes de gains d’efficacité et de réduction des coûts.

396    Troisièmement, la requérante soutient que la référence faite au considérant 1134 de la décision attaquée à son acquisition de Buzz ne va pas dans le sens de la thèse de la Commission. En effet, la flotte d’Aer Lingus serait beaucoup plus importante que celle de Buzz et les économies réalisées en matière de carburant, de maintenance et de remplacements seraient donc plus importantes, et non plus limitées, que celles qu’auraient permises ladite acquisition. De plus, comme elle l’aurait fait avec Buzz, Ryanair pourrait remplacer les avions en question et négocier de meilleures conditions de location que celles qui sont actuellement acceptées par Aer Lingus.

397    Quatrièmement, la requérante rappelle qu’elle s’est engagée irrévocablement, dans le cadre de l’OPA, à réduire les prix d’Aer Lingus, à éliminer les suppléments liés au carburant pour un montant précis, à maintenir les fréquences et à améliorer le service. Seuls des gains d’efficacité lui auraient permis de satisfaire à ces engagements tout en assurant sa rentabilité. La Commission ne pourrait donc affirmer, au considérant 1135 de la décision attaquée, qu’elle ne disposait d’aucune donnée vérifiable établissant que des gains d’efficacité pourraient être réalisés en ce qui concerne les trois points essentiels pour les consommateurs, à savoir le prix des billets, les fréquences de vols et la qualité du service sur chaque liaison.

398    Cinquièmement, la requérante insiste sur la capacité de l’entité issue de la concentration à réaliser des économies en matière de publicité du fait d’une puissance d’achat accrue sur tout le réseau qui serait couvert à la suite de l’opération.

399    Sixièmement, la requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir reconnu l’intérêt de la possibilité pour elle d’utiliser ses options lui permettant d’acheter ou de louer des Boeing 737 pour remplacer les avions loués à grands frais par Aer Lingus. La Commission y aurait vu un « simple transfert de loyer » (considérant 1137 de la décision attaquée). En l’absence de concentration, le fonctionnement de Ryanair n’exigerait pas qu’elle exerce toutes ces options. Dès lors, si elle les exerçait au bénéfice d’Aer Lingus, Ryanair ne supporterait aucun « coût d’opportunité ». La Commission n’aurait pas démontré que les conditions des contrats conclus avec Boeing permettaient à Ryanair d’exercer ces « options non souhaitées » et de revendre les avions sur le marché libre, ni que Ryanair choisirait effectivement d’utiliser ces options pour concurrencer ainsi Boeing sur le marché des avions neufs. Un tel comportement ne serait « ni réaliste ni commercialement raisonnable ». Ce serait également à tort que la Commission a considéré, au considérant 1138 de la décision attaquée, que les calculs effectués par Ryanair en ce qui concerne les coûts afférents à la propriété des appareils étaient « particulièrement optimistes », en faisant ainsi fi de l’expérience de cette dernière dans ce domaine.

400    Septièmement, la requérante souligne que c’est à tort que la Commission a « présumé », au considérant 1139 de la décision attaquée, que certaines des économies prévues en matière de taxes d’aéroport supposaient qu’elle transfère les vols d’Aer Lingus des aéroports principaux à coûts élevés vers des aéroports secondaires à coûts réduits. Ryanair aurait en effet démontré que les économies potentielles en matière de taxes d’aéroport n’étaient pas fondées sur une réduction des coûts à l’aéroport de Dublin ou sur une modification des aéroports de destination d’Aer Lingus. La logique de la concentration consisterait à exploiter les avions d’Aer Lingus dans des aéroports principaux. En outre, contrairement aux affirmations d’Aer Lingus présentées au considérant 1118 de la décision attaquée, Ryanair réaliserait des temps de rotation de 25 minutes à l’aéroport de Dublin, lequel serait pourtant un aéroport principal, alors qu’Aer Lingus opérerait sur la base de temps de rotation de 40 à 55 minutes. Ces temps seraient également réalisés dans des aéroports surchargés comme celui de Birmingham ou celui de Manchester (voir la note de York Aviation, du 19 janvier 2007, relative aux gains d’efficacité liés aux rotations).

401    Huitièmement, la requérante fait valoir que la Commission a fait une mauvaise interprétation du droit des sociétés irlandais, dès lors qu’en vertu de cette législation Ryanair contrôlerait Aer Lingus dès qu’elle aurait acquis 50 % des actions de celle-ci. Le « caractère hostile » de la prise de contrôle, relevé au considérant 1140 de la décision attaquée, serait donc dénué de pertinence et la Commission aurait erronément supposé que l’intégration des deux entreprises serait rendue plus difficile si Ryanair contrôlait moins de 100 % des actions d’Aer Lingus.

402    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

403    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que les gains d’efficacité allégués par Ryanair n’étaient pas vérifiables, parce qu’ils reposaient essentiellement sur l’affirmation générale selon laquelle Ryanair serait en mesure d’appliquer à Aer Lingus son modèle économique, et plus particulièrement les niveaux de coûts qui y sont associés, sans qu’il ait été suffisamment tenu compte de la compensation des pertes en termes de caractéristiques des produits et de recettes. La Commission a également estimé que plusieurs affirmations de Ryanair relatives aux gains d’efficacité reposaient sur des présomptions qui ne peuvent être vérifiées de manière indépendante (point 7.10.4.2 de la décision attaquée).

404    La condition relative au caractère vérifiable des gains d’efficacité, prévue dans les lignes directrices, ne serait donc pas satisfaite, ce que conteste la requérante qui fait valoir huit griefs sur ce point.

405    S’agissant, premièrement, des appréciations faites par la Commission dans la décision attaquée concernant les données fournies par Ryanair (considérant 1133 de la décision attaquée ; voir point 394 ci-dessus), il y a lieu tout d’abord de rappeler que la Commission a considéré que « plusieurs affirmations de Ryanair relatives aux gains d’efficacité repos[aient] sur des présomptions qui ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante ». La Commission a également souligné dans la décision attaquée qu’« [a]ucun document antérieur à la concentration évaluant de manière objective et indépendante l’étendue des gains d’efficacité générés par l’acquisition d’Aer Lingus ne sembl[ait] exister ». Dans ce contexte, la Commission a indiqué qu’elle « juge[ait] essentielle la présentation de tels documents pour montrer d’une part que le modèle économique de Ryanair est différent, unique et supérieur à celui d’Aer Lingus et, d’autre part, que sa structure de coûts pourrait être reproduite avec succès sur Aer Lingus après la concentration ». De telles indications peuvent se comprendre en ce sens qu’il pourrait être requis de la partie notifiante qu’elle produise des données répondant à la définition susmentionnée des documents dont la présentation est considérée comme « essentielle » par la Commission.

406    Cependant, il ressort du point 86 des lignes directrices que les gains d’efficacité doivent être « vérifiables » pour que la Commission puisse avoir la certitude, dans une mesure raisonnable, que la concrétisation de ces gains est « probable » et qu’ils seront suffisamment importants pour contrebalancer l’effet dommageable potentiel de la concentration sur les consommateurs. Le même point des lignes directrices indique que la Commission pourra d’autant mieux évaluer les arguments tirés des gains d’efficacité que ces arguments seront « précis et convaincants ». À cet égard, il précise que, dans la mesure du possible, les gains d’efficacité et le bénéfice en résultant pour les consommateurs devront être « quantifiés » et que, lorsque les données nécessaires pour permettre une analyse quantitative précise ne sont pas disponibles, il doit être possible de prévoir un effet positif sur les consommateurs « clairement identifiable et non un effet marginal ». La condition relative au caractère vérifiable des gains d’efficacité n’exige donc pas que la partie notifiante produise des données susceptibles d’être vérifiées de manière indépendante par un tiers ou des documents antérieurs à la concentration permettant d’évaluer de manière objective et indépendante l’étendue des gains d’efficacité générés par l’acquisition.

407    Cette interprétation est confortée par la lecture du point 87 des lignes directrices, dont il ressort que la plupart des informations qui permettraient à la Commission d’évaluer les gains d’efficacité sont exclusivement entre les mains des parties à la concentration et qu’il appartient donc aux parties notifiantes de communiquer, en temps utile, les informations nécessaires.

408    De même, l’énumération non limitative des éléments de preuve utiles pour l’appréciation des gains d’efficacité figurant au point 88 des lignes directrices comprend des éléments de preuve de différentes natures, sans que l’accent soit mis sur la nécessité qu’ils soient susceptibles de faire l’objet d’une vérification indépendante ou qu’ils soient antérieurs à la concentration. Cette énumération vise notamment les documents internes que les dirigeants des entreprises ont utilisés pour prendre la décision de lancer l’opération, les déclarations de la direction aux propriétaires et aux marchés financiers concernant les gains d’efficacité escomptés, des exemples de gains d’efficacité et d’avantages pour les consommateurs générés par le passé ainsi que les études réalisées par des experts extérieurs avant l’opération de concentration et portant sur le type et l’ampleur des gains d’efficacité et sur l’importance des avantages que les consommateurs sont susceptibles d’en retirer.

409    La possibilité d’une vérification indépendante des présomptions sur lesquelles reposent les affirmations de Ryanair relatives aux gains d’efficacité n’était donc pas requise par les lignes directrices, lesquelles définissent les orientations de la Commission applicables à cet égard. En toute hypothèse, la Commission n’aurait donc pas pu, en l’espèce, écarter les données présentées par Ryanair au seul motif qu’elles auraient reposé sur des présomptions qui ne pouvaient être vérifiées de manière indépendante. De même, la Commission n’aurait pu exiger un type particulier de documents, tels que des documents antérieurs à la concentration évaluant de manière objective et indépendante l’étendue des gains d’efficacité générés par l’acquisition, pour contester la pertinence des informations découlant d’un autre type de documents susceptibles d’être produits.

410    Dans ce contexte, Ryanair était en droit de présenter à la Commission ses propres données relatives aux gains d’efficacité escomptés de la concentration, sans avoir nécessairement à recourir à une évaluation susceptible d’être vérifiée de manière indépendante par un tiers ou ayant été réalisée avant l’annonce de la concentration. La vie des affaires ne permet pas nécessairement la production de tels documents en temps utile et les documents utilisés par une entreprise pour engager une OPA, qu’ils proviennent de cette entreprise ou de ses conseils, sont par nature susceptibles de présenter une certaine pertinence pour ce qui est d’étayer le contenu des allégations relatives aux gains d’efficacité.

411    Il convient toutefois de souligner que la Commission a examiné concrètement si les gains d’efficacité allégués par Ryanair étaient « vérifiables » en ce sens qu’ils lui permettaient d’avoir la certitude, dans une mesure raisonnable, que leur concrétisation était probable et qu’ils étaient suffisamment importants pour contrebalancer l’effet dommageable potentiel de la concentration pour les consommateurs. En effet, la Commission a souligné au considérant 1133 de la décision attaquée que, au vu des affirmations de Ryanair sur les gains d’efficacité, « il sembl[ait] très optimiste d’affirmer que Ryanair sera[it] en mesure d’appliquer entièrement à Aer Lingus son modèle économique, et plus particulièrement les niveaux de coûts qui y sont associés, sans compenser les pertes en termes de caractéristiques des produits et de recettes ». La Commission a relevé que « Ryanair n’apport[ait] aucune preuve objective ou corroborante à cet égard si ce n’est une certaine confiance dans ‘son style de gestion plus agressif’ ».

412    Cette critique des données produites par Ryanair consiste à remettre en cause leur capacité à démontrer que les gains d’efficacité allégués sont susceptibles de contrebalancer les effets négatifs que l’opération pourrait, à défaut, produire sur la concurrence. À cet égard, le point 87 des lignes directrices indique que cette preuve incombe aux parties notifiantes. Ces gains d’efficacité doivent être « quantifiés » ou, à tout le moins, « clairement identifiables », comme cela ressort du point 86 des lignes directrices.

413    En l’absence d’éléments permettant de prouver que les gains escomptés du fait de l’application à Aer Lingus du modèle économique de Ryanair prenaient en considération les pertes qu’entraîneraient l’abandon du modèle économique adopté par Aer Lingus, la Commission était en droit de remettre en cause le caractère vérifiable des gains d’efficacité allégués. Or, la requérante se contente, sur ce point également, d’alléguer dans ses écritures que son modèle économique est supérieur à celui d’Aer Lingus et que cela entraînerait des gains d’efficacité s’élevant à 221,7 millions d’euros (considérant 1106 de la décision attaquée et, en particulier, tableau n° 3). Ce sont ces chiffres qui sont contestés par la Commission. Aux considérants 1135 et 1140 de la décision attaquée, la Commission a également souligné que Ryanair n’avait pas démontré qu’elle pouvait réduire les coûts d’Aer Lingus sans répercussions sur la qualité de ses services.

414    En conséquence, faute pour Ryanair d’exposer en quoi le raisonnement de la Commission serait erroné en ce qui concerne l’absence de démonstration du fait qu’elle pourrait réduire les coûts d’Aer Lingus sans répercussions sur la qualité des services de cette entreprise, il y a lieu de considérer que la Commission pouvait à juste titre mettre en cause le caractère vérifiable des gains d’efficacité allégués au regard des données fournies par Ryanair sur ce point.

415    S’agissant, deuxièmement, de l’incidence sur l’analyse de la différence de modèle économique entre Aer Lingus et Ryanair, cette dernière soutient en substance que la Commission n’a pas tenu compte de son intention de maintenir un service différencié, sans transférer « entièrement » son modèle économique à Aer Lingus (considérant 1133 de la décision attaquée ; voir point 395 ci-dessus).

416    Ce grief ne tient pas compte du fait que la Commission a parfaitement pris en considération l’hypothèse évoquée par la requérante. En effet, ses doutes sur le caractère vérifiable des gains d’efficacité allégués au regard des données fournies par la requérante se présentent de la manière suivante : soit Ryanair met pleinement en place son modèle économique et alors il convient de prendre en considération les pertes en termes de caractéristiques des produits et de recettes provenant du modèle économique d’Aer Lingus dans le cadre de l’appréciation des gains d’efficacité allégués par Ryanair ; soit Ryanair conserve comme elle en aurait l’intention les caractéristiques des produits et les recettes provenant du modèle économique d’Aer Lingus et alors les gains d’efficacité seront nécessairement moindres que ceux résultant d’une application entière du modèle de prestations à bas coûts et à bas prix de Ryanair. C’est sur cette imprécision affectant les données fournies par Ryanair que la Commission a fondé à juste titre le raisonnement qu’elle a suivi dans la décision attaquée.

417    S’agissant, troisièmement, de la référence faite dans la décision attaquée aux suites données à l’acquisition, par Ryanair, de la compagnie Buzz, filiale de KLM (considérant 1134 de la décision attaquée ; voir point 396 ci-dessus), il convient de relever que les parties s’accordent à reconnaître que cette acquisition n’était pas de même nature que l’acquisition projetée d’Aer Lingus. C’est précisément la solution exposée dans la décision attaquée qui témoigne des différences entre ces deux opérations (disparition de la marque Buzz, restitution des avions, suspension de la plupart des dessertes). Les gains d’efficacité invoqués par Ryanair sur la base de cet exemple reposent donc sur l’hypothèse d’une application entière du modèle économique de Ryanair à l’entreprise acquise.

418    S’agissant, quatrièmement, de la portée de l’engagement pris par la requérante lors de l’OPA relatif à la réduction des prix proposés par Aer Lingus, à l’élimination des suppléments liés au carburant, au maintien des fréquences et à l’amélioration du service (considérant 1134 de la décision attaquée ; voir point 397 ci-dessus), ainsi que la Commission le fait valoir dans ses écritures, sans être contestée sur ce point par la requérante, une promesse d’adopter, sur une durée non précisée et potentiellement très brève, un comportement donné ne saurait être considérée comme un gain d’efficacité, ni comme la preuve de l’existence d’un gain d’efficacité.

419    S’agissant, cinquièmement, des gains d’efficacité relatifs aux éventuelles réductions des coûts publicitaires (considérant 1136 de la décision attaquée ; voir point 398 ci-dessus), la critique formulée par la requérante ne remet pas en cause la portée de la crainte exposée dans la décision attaquée. En effet, si Ryanair a l’intention de maintenir la politique de différenciation d’Aer Lingus en termes de marque et de qualité, Aer Lingus devra poursuivre sa propre stratégie de marketing différenciée. Un tel choix pourrait effectivement nécessiter de maintenir les dépenses publicitaires pour s’assurer que les clients ne confondent pas les deux compagnies.

420    S’agissant, sixièmement, des coûts afférents à la propriété des appareils (considérants 1137 et 1138 de la décision attaquée ; voir point 399 ci-dessus), la Commission a considéré dans la décision attaquée que, en ce qui concerne l’utilisation des options détenues par Ryanair lui permettant d’acheter des appareils à des prix inférieurs aux prix du marché, l’hypothèse probable serait que Ryanair exerce ces options pour renouveler sa propre flotte aérienne. Si Ryanair envisageait d’obtenir un profit immédiat via la vente des nouveaux appareils à une autre compagnie aérienne ou de transférer ces options à Aer Lingus pour renouveler la flotte aérienne de cette compagnie, le coût de substitution de l’utilisation autre des appareils serait exactement égal au gain d’efficacité, ce qui l’annulerait. La Commission a également relevé que, même si les deux hypothèses précédentes ne se vérifiaient pas, les hypothèses utilisées pour quantifier les coûts afférents à la propriété des appareils semblaient « particulièrement optimistes » dans la mesure où elles reposaient sur la possibilité de vendre la flotte d’Aer Lingus à sa valeur comptable.

421    Les critiques de la requérante ne remettent pas en cause le bien-fondé de cette analyse. Pour ce qui est de la possibilité de ne pas exercer ces options, cette possibilité existe naturellement, mais Ryanair en perdrait donc le bénéfice éventuel. En ce qui concerne le souhait exprimé par la requérante que la Commission démontre que les conditions des contrats conclus avec Boeing lui permettaient d’exercer ces « options non souhaitées » et de revendre les avions sur le marché libre ou qu’elle choisirait effectivement d’utiliser ces options pour concurrencer ainsi Boeing sur le marché des avions neufs, il est difficile de comprendre en quoi cette démonstration serait requise. La Commission se limite, en effet, à évoquer les différentes solutions offertes à Ryanair si elle décidait d’exercer ses options en relevant que ces options étaient initialement conçues pour renouveler la flotte de Ryanair. En dernier lieu, la requérante n’expose pas en quoi la critique formulée par la Commission en ce qui concerne le caractère optimiste d’une vente de la flotte d’Aer Lingus au prix de sa valeur comptable serait erronée du seul fait de son expérience en ce domaine.

422    S’agissant, septièmement, des frais d’aéroport et d’exploitation au sol (considérant 1139 de la décision attaquée ; voir point 400 ci-dessus), il y a lieu de constater, à l’instar de la Commission, que cette dernière n’a fait que relever dans la décision attaquée que « les diminutions de coûts qui résulteraient du transfert des services d’Aer Lingus vers des aéroports secondaires ne constitueraient pas en elles-mêmes des gains d’efficacité ». Cela peut être compris à travers l’exemple donné par la Commission, qui relève que Ryanair a soutenu, notamment, qu’elle avait conclu un accord avec l’aéroport de Bergame en vertu duquel celui-ci lui facture un coût par passager nettement inférieur à celui réclamé à Aer Lingus pour desservir Milan. Bergame serait toutefois un aéroport secondaire non desservi par Aer Lingus, de sorte que le gain d’efficacité allégué ne saurait être réalisé qu’en transférant vers Bergame les vols actuels d’Aer Lingus à destination de Milan-Linate et de Milan-Malpensa. Compte tenu de la nécessité de cette modification de l’offre de services d’Aer Lingus, c’est donc à juste titre que la Commission a contesté dans la décision attaquée l’existence d’un tel gain d’efficacité.

423    S’agissant, huitièmement, de l’incidence d’une plus ou moins grande participation de contrôle de Ryanair dans Aer Lingus (considérant 1140 de la décision attaquée ; voir point 401 ci-dessus), c’est à bon droit que la Commission a considéré en substance dans la décision attaquée qu’une participation inférieure à 100 % rendrait plus difficile la réalisation des gains d’efficacité allégués compte tenu du « caractère hostile » de la concentration notifiée. L’opposition susceptible d’être manifestée par les actionnaires d’Aer Lingus qui n’accepteraient pas la prise de contrôle de Ryanair, certains d’entre eux, comme l’État irlandais ou le personnel d’Aer Lingus, pouvant détenir une participation significative au capital d’Aer Lingus, risque en effet de retarder ou de mettre en cause certaines décisions que pourrait adopter Ryanair pour réduire les coûts.

424    Il ressort de ce qui précède que les griefs de la requérante relatifs au caractère vérifiable des gains d’efficacité allégués doivent être rejetés.

2.     Sur le caractère propre à la concentration de certains gains d’efficacité allégués

a)     Arguments des parties

425    La requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle certains gains d’efficacité, tels que la réduction des frais de personnel, une meilleure utilisation des avions ainsi que la réduction des frais de carburant et de distribution, « ne sont vraisemblablement pas spécifiques à la concentration » et pourraient être obtenus par Aer Lingus indépendamment de celle-ci (considérants 1143 à 1145 de la décision attaquée). La requérante reconnaît qu’Aer Lingus a vu ses coûts unitaires baisser depuis 2001, mais relève qu’il ressort du dernier rapport intermédiaire de cette compagnie que les coûts de cette dernière sont en augmentation. De plus, les coûts d’Aer Lingus demeureraient substantiellement plus élevés que ceux de Ryanair, l’écart allant croissant. Sans l’opération, Aer Lingus ne pourrait bénéficier des économies d’échelle associées à son acquisition par Ryanair. Le nombre d’avions dont Aer Lingus dispose n’ayant pas augmenté substantiellement au cours des cinq dernières années, il serait raisonnable de présumer qu’Aer Lingus ne pourrait ni ne voudrait croître rapidement pour opérer à la même échelle que Ryanair. Certains gains d’efficacité non liés à l’échelle, comme la réduction des temps de rotation à l’aéroport de Dublin, seraient dans une large mesure spécifiques à la concentration, puisqu’Aer Lingus n’aurait pas tenté d’obtenir des temps de rotation plus courts (voir la réponse de Ryanair, du 25 janvier 2007, à la demande de renseignements de la Commission fondée sur l’article 11 du règlement sur les concentrations). Contrairement aux affirmations de la Commission, la concurrence prétendument exercée par Ryanair sur Aer Lingus n’aurait pas, en elle-même, constitué une incitation pour cette dernière à demeurer un opérateur efficace.

426    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

427    Il ressort du point 85 des lignes directrices que les gains d’efficacité sont pertinents aux fins de l’analyse concurrentielle lorsqu’ils sont une conséquence directe de l’opération notifiée et ne peuvent être obtenus dans une mesure similaire au moyen de pratiques moins anticoncurrentielles. Dans ces circonstances, la Commission considère que les gains d’efficacité sont causés par la concentration et donc propres à celle-ci. Il incombe aux parties à l’opération de fournir en temps voulu toute l’information pertinente nécessaire pour démontrer qu’il n’y a pas de moyens réalistes et réalisables moins anticoncurrentiels que la concentration notifiée. La Commission tient seulement compte des moyens qui sont raisonnablement praticables dans la situation commerciale où se trouvent les parties à la concentration au regard des pratiques établies dans le secteur d’activité concerné.

428    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que certains des gains d’efficacité allégués, tels que la réduction des coûts de personnel, une meilleure utilisation des avions ainsi que la réduction des frais de carburant et de distribution, pourraient également être réalisés par Aer Lingus indépendamment de l’opération envisagée (point 7.10.4.3 de la décision attaquée).

429    Pour contester cette affirmation, la requérante se limite à affirmer qu’il ressort du dernier rapport intermédiaire d’Aer Lingus, en date du 30 août 2007, que les coûts de cette entreprise sont en augmentation et que, en tout état de cause, ils sont supérieurs aux siens. La concentration envisagée permettrait à Aer Lingus de bénéficier d’économies d’échelle plus importantes que celles qu’elle aurait pu réaliser en l’absence d’opération.

430    Cependant, il y a lieu de considérer que le premier argument de la requérante ne peut être admis dans la mesure où il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir pris en considération aux fins de l’adoption de la décision attaquée, le 27 juin 2007, des résultats qui n’ont été publiés que le 31 août 2007. Dès lors, comme le reconnaît d’ailleurs la requérante, c’est à juste titre que la Commission s’est fondée dans la décision attaquée sur le fait que, « [d]epuis 2001, Aer Lingus a[vait …] développé une aptitude confirmée à réduire les coûts unitaires ». En outre l’argument pris des économies d’échelle invoqué par Ryanair ne remet pas en cause le bien-fondé de l’affirmation de la Commission qui met plutôt en avant l’efficacité de la combinaison prix-qualité adoptée par Aer Lingus.

431    En conséquence, les griefs relatifs au caractère propre à la concentration d’un certain nombre de gains d’efficacité allégués doivent être rejetés.

3.     Sur l’avantage pour les consommateurs

a)     Arguments des parties

432    La requérante relève que la Commission a admis le lien existant entre les coûts fixes liés à l’entrée sur une liaison et les niveaux de profit à partir desquels l’entrée devient rentable ainsi que l’accroissement de la concurrence qu’une telle entrée est susceptible d’engendrer sur une liaison donnée (considérant 1147 de la décision attaquée). Ce serait donc à tort que la Commission a conclu que « les gains d’efficacité allégués sur les coûts fixes n’affecteraient pas les décisions de Ryanair relatives à la fixation des prix des vols existants » (considérant 1148 de la décision attaquée). Ce faisant, la Commission ne tiendrait pas compte du fait que, dans l’industrie aérienne, les coûts fixes se répercutent rapidement sur les décisions concernant la production marginale et les fréquences. Ryanair serait connue pour avoir des coûts d’exploitation réduits et pour répercuter le faible niveau de ces coûts sur les prix proposés aux consommateurs. En outre, dans l’industrie aérienne, les prestataires devraient opérer de fréquents ajustements à court terme des capacités et des horaires, ce que la structure de coûts d’Aer Lingus ne permettrait pas. Ce serait également à tort que la Commission a indiqué que « les bénéfices pour les clients ne seraient dès lors pas immédiats mais conditionnés par une chaîne d’événements et par conséquent considérablement moins certains que l’effet sur les prix d’une réduction des coûts marginaux (qui encouragerait des réductions de prix immédiates) » (considérant 1148 de la décision attaquée). Une telle affirmation ne serait ni motivée ni soutenue par des éléments de preuve et serait en contradiction avec l’expérience de Ryanair.

433    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, conteste les arguments de la requérante en se référant à la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

434    En ce qui concerne l’avantage pour les consommateurs, le point 79 des lignes directrices indique que, lors de l’appréciation des arguments tirés des gains d’efficacité, il importe de vérifier que les consommateurs ne seront pas dans une moins bonne situation si l’opération a lieu. À cet effet, les gains d’efficacité doivent être importants, se matérialiser en temps utile et doivent, en principe, être à l’avantage des consommateurs qui sont sur les marchés où, à défaut de tels gains, l’opération soulèverait probablement des problèmes de concurrence.

435    À cet égard, il ressort du point 80 des lignes directrices que les concentrations sont susceptibles de générer différents types de gains d’efficacité pouvant conduire à une baisse des prix ou à d’autres avantages pour les consommateurs. Par exemple, les économies réalisées au niveau de la production ou de la distribution pourraient donner à l’entité issue de la concentration la capacité et l’incitation de baisser les prix à l’issue de l’opération. Outre la nécessité de vérifier que les gains d’efficacité se traduiront par un avantage net pour les consommateurs, les améliorations de la rentabilité qui aboutissent à des réductions des coûts variables ou marginaux sont plus susceptibles d’être pertinentes pour l’appréciation des gains d’efficacité que les réductions de coûts fixes, car il est en principe plus probable qu’elles entraînent une baisse des prix à la consommation. Les baisses de coûts qui sont simplement la conséquence de réductions anticoncurrentielles de la production ne sauraient être considérées comme des gains d’efficacité bénéficiant aux consommateurs.

436    Par ailleurs, il ressort du point 84 des lignes directrices que l’incitation de la nouvelle entité issue de l’opération à répercuter les gains d’efficacité sur les consommateurs est souvent liée à l’existence de pressions concurrentielles exercées par les autres entreprises présentes sur le marché et par les concurrents potentiels. Plus les effets négatifs potentiels sur la concurrence sont importants, plus la Commission doit s’assurer que les gains d’efficacité allégués sont élevés, que leur matérialisation est probable et qu’ils seront répercutés suffisamment sur les consommateurs. Sur ce point, les lignes directrices indiquent qu’il est hautement improbable qu’une opération qui débouche sur une position proche du monopole, ou sur un niveau de pouvoir de marché comparable, puisse être déclarée compatible avec le marché commun au motif que les gains d’efficacité suffiraient à contrebalancer ses effets anticoncurrentiels potentiels.

437    Dans la décision attaquée, en réponse à l’allégation de Ryanair selon laquelle les réductions des coûts d’exploitation des appareils affectent la décision « marginale » de la compagnie aérienne d’assurer ou non un vol sur une certaine liaison, la Commission a reconnu que la baisse des coûts fixes d’entrée sur une liaison diminuait les niveaux de rendement à partir desquels l’entrée devient rentable et que cette entrée tendait à augmenter la concurrence sur une liaison donnée (considérants 1146 et 1147 de la décision attaquée).

438    La Commission a examiné ensuite le degré de certitude et la rapidité de répercussion de ces avantages sur les consommateurs pour relever que les gains d’efficacité allégués sur les coûts fixes n’affecteraient pas les décisions de Ryanair relatives à la fixation des prix des vols existants. Selon elle, les bénéfices pour les clients ne se matérialiseraient que si Ryanair choisissait d’augmenter les fréquences sur ses liaisons existantes ou d’ouvrir une nouvelle liaison qui ne serait pas viable avant la réduction des coûts fixes, mais qui le deviendrait après la concentration. Dès lors, même si les gains d’efficacité étaient atteints, les bénéfices pour les clients ne seraient pas immédiats, mais conditionnés par une chaîne d’événements et par conséquent considérablement moins certains que l’effet sur les prix d’une réduction des coûts marginaux, qui encouragerait des réductions de prix immédiates (considérant 1148 de la décision attaquée).

439    Par ailleurs, la Commission a relevé que, comme Ryanair soutient uniquement que les coûts d’Aer Lingus peuvent être ramenés à ses propres niveaux, cela ne ferait aucune différence par rapport à la situation antérieure à la concentration, dès lors que le « seuil de rentabilité » de Ryanair et l’étendue des liaisons rentables ne changeraient pas, même si tous les gains d’efficacité étaient atteints (considérant 1149 de la décision attaquée). Au contraire, sur les liaisons existantes où les services se chevauchent, l’effet immédiat de la concentration résiderait dans l’internalisation des décisions de Ryanair et d’Aer Lingus en matière de tarification et de rendement. En supposant une politique de maximisation des profits, l’entité issue de la concentration aurait tout intérêt à relever les prix sur ces liaisons, en raison des parts de marché très élevées de la nouvelle entité, et tout transfert de passagers entre les marques Ryanair et Aer Lingus resterait pour la majeure partie au sein de cette entité, en particulier en ce qui concerne les liaisons qui passeraient d’un duopole à un monopole (considérant 1150 de la décision attaquée).

440    La Commission a admis que, en théorie, cet effet pourrait être contrebalancé si les gains d’efficacité sur les coûts fixes justifiaient que Ryanair ajoute des fréquences supplémentaires sur les liaisons affectées, ce qui par la suite tirerait les prix vers le bas. Elle a cependant considéré que, étant donné le niveau extrêmement élevé des parts de marché de la nouvelle entité, souvent proche du monopole, et le fait que les gains d’efficacité allégués s’appliqueraient en grande partie à la marque Aer Lingus, il était hautement improbable que l’effet de baisse des prix de ces gains d’efficacité soit suffisant pour renverser la hausse des prix résultant du chevauchement horizontal et de la perte de concurrence consécutive à la concentration (considérant 1150 de la décision attaquée).

441    À cet égard, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que Ryanair ne conteste pas l’appréciation selon laquelle d’éventuels gains d’efficacité ne sont pas susceptibles d’être répercutés sur les consommateurs compte tenu des parts de marché très importantes détenues par la nouvelle entité sur la plupart des liaisons où les services se chevauchent. Ainsi, à supposer même que l’affirmation de Ryanair, selon laquelle toutes les économies en matière de coûts seraient utilisées pour baisser les prix afin d’accroître les volumes, soit démontrée, la véritable priorité de Ryanair resterait probablement celle de maximiser les bénéfices. Sur des marchés où toute concurrence serait éliminée à la suite de la concentration, il serait sans doute beaucoup plus rentable de ne pas faire bénéficier les consommateurs de la réduction alléguée des coûts fixes d’Aer Lingus.

442    En conséquence, les griefs relatifs à l’avantage pour les consommateurs doivent être rejetés.

443    Il ressort de ce qui précède que les griefs de la requérante relatifs au caractère vérifiable des gains d’efficacité, à leur caractère propre à la concentration et à l’avantage pour les consommateurs doivent tous être rejetés. Dès lors, faute pour la requérante de démontrer que l’analyse exposée par la Commission dans la décision attaquée est erronée en ce qui concerne les trois conditions cumulatives établies pour définir les circonstances dans lesquelles elle peut prendre en considération des gains d’efficacité pour apprécier une concentration, le quatrième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

4.     Conclusion sur l’analyse des effets de l’opération sur la concurrence

444    Il ressort de l’analyse des quatre premiers moyens qu’aucun argument présenté par la requérante n’est susceptible de remettre en cause les constatations effectuées par la Commission dans la décision attaquée, aux termes desquelles la réalisation de la concentration entraverait considérablement une concurrence effective du fait de la création d’une position dominante sur plusieurs marchés à partir ou à destination de Dublin, de Cork et de Shannon.

445    Ces positions dominantes sont soit monopolistiques, soit quasi monopolistiques ou très importantes et suffisent, en tant que telles, à valider la conclusion de la Commission selon laquelle la réalisation de la concentration doit être déclarée incompatible avec le marché commun.

446    Il convient désormais d’examiner le cinquième et dernier moyen, relatif aux engagements.

E –  Sur le cinquième moyen, relatif à l’appréciation des engagements

1.     Considérations liminaires

447    Il convient de rappeler le cadre d’analyse applicable aux engagements avant d’examiner le contenu des engagements litigieux dans la présente affaire.

a)     Sur le cadre d’analyse des engagements

448    Le contrôle des concentrations a pour objet de fournir aux entreprises concernées l’autorisation nécessaire et préalable à la réalisation de toute opération de concentration de dimension communautaire. Dans le cadre de ce contrôle, ces entreprises peuvent proposer des engagements à la Commission afin d’obtenir une décision constatant la compatibilité de leur opération avec le marché commun (arrêt du Tribunal du 9 septembre 2008, MyTravel/Commission, T‑212/03, Rec. p. II‑1967, points 116 à 118).

449    Selon l’état d’avancement de la procédure administrative, les engagements proposés doivent permettre à la Commission ou de considérer que l’opération notifiée ne soulève plus de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun au stade de l’enquête préliminaire (article 6, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations) ou de répondre aux objections retenues dans le cadre de l’enquête approfondie (article 18, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations). Ces engagements permettent donc, tout d’abord, d’éviter l’ouverture d’une phase d’enquête approfondie ou, par la suite, d’éviter l’adoption d’une décision déclarant l’incompatibilité de l’opération avec le marché commun (voir arrêt MyTravel/Commission, point 448 supra).

450    L’article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations permet, en effet, à la Commission d’assortir une décision déclarant une concentration compatible avec le marché commun, en application du critère défini à l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement, de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu’elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun (voir arrêt MyTravel/Commission, point 448 supra).

451    Compte tenu tant de l’importance des intérêts financiers et des enjeux industriels ou commerciaux inhérents à ce type d’opérations que des pouvoirs dont dispose la Commission en la matière, il est de l’intérêt des entreprises concernées de faciliter le travail de l’administration. Ces mêmes raisons obligent également la Commission à faire preuve de la plus grande diligence dans l’exercice de sa mission de contrôle des concentrations (voir, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêt MyTravel/Commission, point 448 supra, point 119).

452    Il convient également de relever que, dans le cadre du contrôle des concentrations, la Commission est habilitée à n’accepter que des engagements de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché commun (voir, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêt General Electric/Commission, point 41 supra, point 555).

453    Il convient de considérer à cet égard que des engagements proposés par une des parties à la concentration ne remplissent ce critère que dans la mesure où la Commission est en mesure de conclure, avec certitude, qu’il sera possible de les mettre en œuvre et que les remèdes qui en résultent seront suffisamment viables et durables pour que la création ou le renforcement d’une position dominante ou les entraves à une concurrence effective, que les engagements ont pour finalité d’empêcher, ne soient pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche (voir, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations et en considération du fait que les remèdes proposés dans la présente affaire n’étaient pas tous de nature structurelle, arrêt General Electric/Commission, point 41 supra, point 555).

454    Par ailleurs, il ressort de l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement sur les concentrations (JO L 133, p. 1), que les engagements que les entreprises concernées proposent conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations doivent être communiqués à la Commission dans un délai de 65 jours ouvrables à compter de la date d’engagement de la procédure. Lorsque le délai d’adoption d’une décision adoptée en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations est prorogé, la période de 65 jours ouvrables est automatiquement prorogée d’un nombre identique de jours ouvrables. En l’espèce, le délai prévu à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 802/2004 prenait fin le 3 mai 2007 (considérant 1237 de la décision attaquée).

455    S’agissant d’engagements soumis tardivement, il résulte du point 43 de la communication concernant les mesures correctives recevables conformément à l’ancien règlement sur les concentrations et au règlement (CE) nº 447/98 de la Commission (JO 2001 C 68, p. 3, ci-après la « communication concernant les mesures correctives »), dont les solutions ont été reprises par la Commission dans la présente affaire en ce qui concerne le règlement sur les concentrations et le règlement n° 802/2004, que les parties à une opération de concentration notifiée peuvent voir pris en compte de tels engagements à deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que ceux-ci résolvent clairement et sans besoin d’enquête supplémentaire les problèmes concurrentiels préalablement identifiés et, d’autre part, qu’il existe un temps suffisant pour consulter les États membres sur ces engagements (voir, s’agissant de l’ancien règlement sur les concentrations, arrêts EDP/Commission, point 28 supra, point 163, et MyTravel/Commission, point 448 supra, point 127).

b)     Sur la description et l’évaluation des engagements du 3 mai 2007

456    Au considérant 1153 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, lors de la procédure administrative, Ryanair a présenté plusieurs séries d’engagements : le 29 novembre 2006, les « engagements initiaux de la phase I », le 14 décembre 2006, les « engagements modifiés de la phase I », le 17 avril 2007, en réponse à la communication des griefs, les « engagements initiaux de la phase II » et, le 3 mai 2007, selon elle, les « engagements définitifs » (ci-après les « engagements du 3 mai 2007 »).

457    La Commission a relevé que les engagements du 3 mai 2007 se présentaient sous la forme de plusieurs documents, à savoir, d’une part, une « lettre d’engagements », qui contenait une description des engagements proposés et des commentaires généraux sur l’enquête ainsi que sur le caractère approprié desdits engagements, et, d’autre part, une annexe conforme au format des engagements des textes modèles de la Commission qui décrit les « détails des mécanismes de l’engagement n° 2 » (considérant 1162 de la décision attaquée).

458    Selon la description effectuée dans la décision attaquée (considérant 1164 de la décision attaquée), l’essentiel du contenu des engagements proposés peut être résumé en distinguant les engagements relatifs aux créneaux (les quatre premières mesures) de ceux n’ayant aucun rapport avec les créneaux (les deux dernières mesures) :

–        premièrement, Ryanair s’est engagée à libérer des créneaux sur la liaison au départ et à destination de Londres-Heathrow dans le cadre d’un « accord de location », ces créneaux étant exclusivement réservés à British Airways et à Air France (voir également la note en bas de page n° 1410 insérée sous le considérant 1164 de la décision attaquée) ;

–        deuxièmement, Ryanair s’est engagée, si nécessaire, à libérer des créneaux sur d’autres liaisons où les services se chevauchent au départ et à destination de Dublin (ce qui, d’après elle, permettrait aux compagnies aériennes d’exploiter un certain nombre d’appareils basés à Dublin) et a proposé en outre de libérer un nombre équivalent de créneaux dans des aéroports de destination précis, pour des liaisons où les services se chevauchent, si nécessaire ;

–        troisièmement, Ryanair s’est engagée, si nécessaire, à libérer des créneaux sur les liaisons où les services se chevauchent au départ et à destination de Cork et de Shannon (il s’agit de créneaux quotidiens à Cork et à Shannon et d’un nombre équivalent de créneaux à Londres-Stansted pour les vols à destination de Londres-Stansted ainsi que de créneaux concernant la liaison à Cork et à Liverpool afin de faciliter l’entrée sur les liaisons Cork-Manchester et Cork-Liverpool) ;

–        quatrièmement, dans sa « lettre d’engagements », Ryanair a proposé « de ne pas finaliser l’achat d’Aer Lingus » avant d’avoir trouvé un « acheteur » qui s’engage à occuper les créneaux pour l’exploitation des appareils basés à Dublin ;

–        cinquièmement, Ryanair s’est engagée à réduire immédiatement les tarifs court-courriers d’Aer Lingus d’au moins 10 %, à supprimer immédiatement les suppléments pour le carburant qu’Aer Lingus applique à ses vols long-courriers, à conserver la marque Aer Lingus et à maintenir une exploitation d’Aer Lingus distincte de la sienne ;

–        sixièmement, Ryanair s’est engagée, d’une part, à ne pas augmenter, au-delà des fréquences exploitées en commun par Aer Lingus et elle, les fréquences de vols sur la totalité des liaisons concernées où les services se chevauchent, « dans le cas d’un nouvel arrivant sur la liaison », et ce sur chaque liaison pour une durée de six saisons de l’International Air Transport Association (IATA) après la finalisation de la concentration, et, d’autre part, à ne pas réduire les fréquences sur ces liaisons, « à moins que l’une d’elles ne soit pas rentable ou cesse de l’être » (gel des fréquences).

459    La Commission a ensuite rappelé qu’elle avait adressé les engagements du 3 mai 2007 aux tierces parties dans une version non confidentielle accompagnée d’un questionnaire afin de leur permettre de faire connaître leur point de vue et de clarifier certaines questions factuelles (par exemple en ce qui concerne la portée suffisante de la mesure corrective ou la probabilité d’une entrée déclenchée par ces engagements) (considérant 1165 de la décision attaquée).

460    La Commission a enfin exposé le résultat de l’évaluation des engagements du 3 mai 2007 (considérants 1166 à 1234 de la décision attaquée), avant de conclure qu’ils « ne suffis[aient] pas pour résoudre les obstacles significatifs identifiés à une concurrence effective et, par conséquent, [qu’ils] ne [pouvaient] rendre la concentration proposée compatible avec le marché commun » (considérant 1235 de la décision attaquée).

461    En premier lieu, la Commission a relevé que les engagements du 3 mai 2007 étaient formulés de manière peu claire et souvent contradictoire (point 8.2.1 de la décision attaquée). Selon elle, en raison de leur manque de clarté, il n’est possible ni de les mettre en œuvre ni de les appliquer, les engagements du 3 mai 2007 ne remplissant pas les conditions minimales définies par la communication concernant les mesures correctives et dans l’arrêt General Electric/Commission, point 41 supra (point 555).

462    Les observations de la Commission sur ce point portent sur le format des engagements (point 8.2.1.1 de la décision attaquée), le manque de clarté de l’engagement relatif à l’« acquéreur initial » (point 8.2.1.2 de la décision attaquée), les mécanismes de la cession de créneaux (point 8.2.1.3 de la décision attaquée) et la description de l’« engagement n° 1 » (point 8.2.1.4 de la décision attaquée).

463    En second lieu, la Commission a examiné le contenu des engagements du 3 mai 2007, avant de conclure qu’ils n’étaient pas en mesure d’éliminer les problèmes de concurrence identifiés (point 8.2.2 de la décision attaquée). En substance, la Commission a critiqué le fait que les engagements envisagés ne constituaient pas une cession d’activité, nécessaire en l’espèce, mais principalement une « mesure corrective liée à l’accès » définie conformément au modèle adopté pour des affaires précédentes concernant des compagnies aériennes. Les motifs suivants sont développés dans la décision attaquée :

–        s’agissant du lot de créneaux sur les liaisons où les services se chevauchent au départ et à destination de Dublin, de Cork et de Shannon (point 8.2.2.1 de la décision attaquée), l’enquête de la Commission et les résultats de la consultation des acteurs du marché sur les engagements du 3 mai 2007 auraient montré qu’il n’existait aucune indication d’entrée suffisante sur la grande majorité des liaisons identifiées et que cette offre de créneaux ne rétablirait pas la concurrence sur une part importante de la trentaine de liaisons concernées où les services se chevauchent. La Commission a ainsi relevé que la proposition d’un « acquéreur initial » ne saurait corriger l’absence de perspective d’entrée (considérants 1197 et 1198 de la décision attaquée), que la portée des engagements proposés était insuffisante, l’encombrement des aéroports n’étant pas la principale barrière à une entrée en concurrence directe avec l’ensemble Ryanair-Aer Lingus (considérants 1199 à 1206 de la décision attaquée), que les engagements ne concerneraient pas les créneaux relatifs à des aéroports de destination importants, tels que ceux de Roissy-Charles-de-Gaulle, de Francfort-sur-le-Main, de Bruxelles, de Milan-Linate ou de Milan-Malpensa (considérants 1207 à 1209 de la décision attaquée), que les engagements pourraient uniquement permettre une « entrée fragmentée », moins susceptible de rétablir une concurrence effective (considérants 1210 à 1212 de la décision attaquée), et que les engagements négligeaient le modèle d’exploitation du nouvel arrivant (considérants 1213 à 1215 de la décision attaquée) ;

–        s’agissant du lot de créneaux sur la liaison Dublin-Londres (Heathrow) (point 8.2.2.2 de la décision attaquée), la consultation des acteurs du marché aurait confirmé l’analyse de la Commission selon laquelle British Airways et Air France ainsi qu’au moins un de leurs concurrents étaient intéressés par l’obtention de ces créneaux et par l’expansion de leurs activités existantes sur cette liaison. Même si, en raison de la clause d’exclusivité concernant British Airways et Air France, les créneaux offerts ne conduiraient pas à de nouvelles entrées, la Commission a reconnu que cette offre de créneaux, en admettant que ceux-ci soient cédés, conduirait vraisemblablement à une expansion de la part des concurrents sur cette liaison, lesquels pourraient exercer dans une certaine mesure une contrainte sur l’ensemble Ryanair-Aer Lingus sur la liaison Dublin-Londres (considérant 1216 de la décision attaquée). La Commission a toutefois émis des doutes quant au caractère suffisant et à l’effectivité de ces engagements pour plusieurs raisons : la difficulté de déterminer si ces compagnies aériennes pourraient offrir des services à bas coûts comparables à ceux proposés par Ryanair, susceptibles de remplacer suffisamment la disparition de la pression concurrentielle exercée par Aer Lingus (considérant 1217 de la décision attaquée) l’incertitude quant au point de savoir si les fréquences de vols offertes aux deux compagnies concernées suffiraient pour exercer une contrainte effective sur la nouvelle entité (considérant 1218 de la décision attaquée) et le manque de clarté des engagements (considérant 1219 de la décision attaquée) ;

–        s’agissant des engagements n’ayant aucun rapport avec les créneaux (point 8.2.2.3 de la décision attaquée), consistant dans une réduction immédiate d’au moins 10 % des tarifs court-courriers d’Aer Lingus, dans la suppression immédiate des suppléments pour le carburant pratiqués sur ses vols long-courriers, dans le « gel des fréquences » et dans le maintien d’une exploitation et de marques séparées, la Commission a constaté qu’ils ne résolvaient directement aucun des problèmes de concurrence identifiés et qu’ils posaient de nombreuses questions relatives à leur suivi et à l’applicabilité de ce dernier.

464    Par ailleurs, la Commission a relevé qu’il était difficile de savoir si les engagements proposés pouvaient être mis en œuvre sans le consentement des autres actionnaires d’Aer Lingus (point 8.2.2.4 de la décision attaquée). En particulier, elle a considéré qu’il existait des doutes importants sur le plan juridique quant à la possibilité pour Ryanair d’abandonner les créneaux d’Aer Lingus à Heathrow, étant donné que les statuts de la compagnie aérienne confèrent certains droits de veto au gouvernement irlandais qui lui permettraient de bloquer le transfert des créneaux.

c)     Sur la description et l’évaluation du projet d’engagements du 1er juin 2007

465    La Commission a rappelé que, le 29 mai 2007, une réunion s’était tenue, sous la forme d’une conférence téléphonique, au cours de laquelle Ryanair a été informée des résultats de la consultation des acteurs du marché concernant ses engagements et de l’appréciation liminaire de la Commission sur les engagements du 3 mai 2007 (considérant 1153 de la décision attaquée). La Commission a relevé que, à la suite de cette réunion et des discussions supplémentaires subséquentes, Ryanair avait présenté le 1er juin 2007, sous la forme d’une version préliminaire, des engagements remaniés, qui sont désignés comme étant le « projet d’engagements définitifs modifiés » dans la décision attaquée (ci-après le « projet d’engagements du 1er juin 2007 »). La Commission a précisé que, d’après Ryanair, les modifications proposées visaient à « s’attaquer » aux défauts identifiés en ce qui concerne les engagements du 3 mai 2007 (considérant 1236 de la décision attaquée).

466    Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que le projet d’engagements du 1er juin 2007 avait été communiqué explicitement sous la forme d’une version préliminaire, sans signature et sans respect des exigences formelles requises au titre de l’article 20 du règlement n° 802/2004. Dès lors, la Commission a considéré que, étant donné que Ryanair n’avait pas formellement présenté de nouveaux engagements, elle n’était pas tenue de les évaluer dans la décision attaquée (considérant 1237 de la décision attaquée).

467    En tout état de cause, selon la Commission, même si le projet d’engagements du 1er juin 2007 avait été transmis en bonne et due forme, ces engagements n’auraient toujours pas été suffisants pour lui permettre de conclure, sur la base des informations dont elle disposait déjà, qu’ils résolvaient totalement et de façon non ambiguë les problèmes de concurrence identifiés. En effet, la Commission a constaté que le délai pour communiquer des engagements conformément au règlement n° 802/2004 avait expiré le 3 mai 2007. Par ailleurs, selon la Commission, bien qu’elle puisse, dans des cas exceptionnels, accepter des modifications des mesures correctives présentées même si une nouvelle consultation des acteurs du marché n’est plus possible, ces engagements doivent éliminer tous les problèmes de concurrence constatés de façon précise (considérant 1237 de la décision attaquée). Or, la Commission a, en particulier, relevé que le projet d’engagements du 1er juin 2007 restait fondé sur la cession de créneaux et n’apportait aucun nouvel élément susceptible d’agir sur les autres barrières à l’entrée identifiées et lui permettant donc de réévaluer les résultats négatifs de la consultation des acteurs du marché quant à la probabilité d’une entrée réelle. En outre, selon la Commission, la portée de la nouvelle entrée garantie était toujours insuffisante, puisque les engagements ne prévoyaient qu’un nouvel arrivant « acquéreur initial » avec un nombre plus élevé d’appareils, mais encore insuffisant. La Commission a en outre relevé que le projet d’engagements du 1er juin 2007 ne prévoyait pas non plus la cession de créneaux dans tous les aéroports de destination en cause, en particulier les créneaux dans les aéroports encombrés, et que d’autres problèmes non réglés concernaient, en particulier, l’incertitude juridique quant aux créneaux à l’aéroport de Londres-Heathrow et à la mise en œuvre des dispositions relatives à l’« acquéreur initial » (considérant 1238 de la décision attaquée).

468    Par conséquent, la Commission a conclu dans la décision attaquée que, même si le projet d’engagements du 1er juin 2007 avait été communiqué en bonne et due forme, il ne lui aurait pas permis d’établir avec le degré de certitude requis et sans avoir à recourir à une autre consultation des acteurs du marché que ces engagements, une fois mis en œuvre, résoudraient de manière suffisante les problèmes de concurrence identifiés causés par la concentration envisagée (considérant 1239 de la décision attaquée).

469    Pour contester cette analyse, la requérante rappelle, en substance, avoir proposé cinq séries d’engagements lors de la procédure administrative, respectivement les 29 novembre et 14 décembre 2006, les 17 avril, 3 mai et 1er juin 2007. Les deux dernières séries d’engagements consistaient, pour la première, dans des engagements comportementaux comprenant la réduction de 10 % du tarif d’Aer Lingus, l’élimination des suppléments de carburant d’Aer Lingus, le maintien des fréquences sur les liaisons existantes à moins qu’elles ne soient plus rentables et la non-augmentation des fréquences sur les liaisons exploitées par un nouvel entrant, pour la seconde, dans des engagements relatifs à la cession de créneaux horaires à Dublin, permettant à un ou deux concurrents d’y baser un nombre important d’appareils [avec une distinction entre la liaison Dublin-Londres (Heathrow) et les autres liaisons], ainsi qu’à Shannon et à Cork et, enfin, dans un engagement relatif à un « acquéreur initial », en application duquel la concentration ne serait réalisée que s’il y avait un acquéreur pour les créneaux horaires à Dublin.

470    Pour ce qui est de la dernière série d’engagements, la requérante fait état d’une réunion intervenue avec la Commission le 1er juin 2007 au cours de laquelle celle-ci aurait proposé une modification des engagements du 3 mai 2007 visant à remédier aux problèmes identifiés. Selon la requérante, ces modifications portaient sur la nécessité pour elle de proposer dans un délai de six mois à compter de l’adoption de la décision attaquée (avec une prorogation possible de six mois) un « acquéreur initial » qui aurait immédiatement basé un nombre important d’appareils à Dublin. En réponse, Ryanair se serait engagée à trouver un « acquéreur initial » pour les créneaux horaires sur la liaison Dublin-Londres (Heathrow) qui baserait deux avions à Dublin et un autre pour les autres créneaux horaires qui y baserait la moitié du nombre important d’appareils envisagé par la Commission. Ryanair se serait aussi engagée à mettre à la disposition de l’« acquéreur initial » des créneaux horaires à Dublin à tout moment au cours des trois premières années, les créneaux horaires supplémentaires nécessaires pour atteindre le nombre important d’appareils demandé par la Commission et à donner la préférence pour l’acquisition des créneaux horaires à Dublin à un entrant acquérant les créneaux horaires à Heathrow. En outre, Ryanair se serait engagée à trouver l’« acquéreur initial » dans un délai de six mois à compter de la publication d’une nouvelle offre visant Aer Lingus et à publier cette nouvelle offre dans un délai de six mois à compter de l’adoption de la décision attaquée, avec une prorogation possible de six mois. La décision attaquée ne permettrait pas de comprendre en quoi les différences entre les modifications demandées par la Commission et les modifications apportées par Ryanair permettraient de conclure que la dernière série d’engagements n’était pas satisfaisante (considérant 1238 de la décision attaquée).

471    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, rappelle que, pour rétablir une concurrence effective, les engagements proposés doivent éliminer les effets anticoncurrentiels découlant de la suppression de la concurrence actuelle et potentielle entre Ryanair et Aer Lingus sur l’ensemble des 50 marchés affectés. Elle aurait exposé sur ce point dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles les engagements présentés le 3 mai 2007, soit le dernier jour du délai prévu à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 802/2004, comportaient des lacunes formelles et n’étaient pas en mesure d’éliminer les problèmes de concurrence identifiés (considérants 1167 à 1234 de la décision attaquée). S’agissant du projet d’engagements du 1er juin 2007, soumis après l’expiration du délai prévu à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 802/2004, la Commission aurait expliqué les raisons pour lesquelles il n’était pas possible de conclure à la compatibilité de la concentration modifiée avec le marché commun (considérants 1236 à 1239 de la décision attaquée). En tout état de cause, la requérante ne pourrait alléguer que la Commission aurait dû examiner les différences entre les éventuelles suggestions avancées par ses services et le projet d’engagements du 1er juin 2007. La seule question pertinente serait de savoir si la Commission a pu établir, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la concentration proposée, telle que modifiée par les engagements valablement présentés par Ryanair, entravait de manière significative une concurrence effective dans le marché commun.

472    C’est dans ce contexte juridique et factuel qu’il convient d’examiner les arguments des parties.

2.     Sur l’absence de lacunes formelles des engagements du 3 mai 2007

a)     Arguments des parties

473    La requérante soutient que la Commission ne peut affirmer que les engagements du 3 mai 2007 n’ont pas été valablement proposés (considérants 1167 à 1182 de la décision attaquée) et qu’elle n’est pas tenue de les évaluer. Le contenu de ces engagements étant analysé dans la décision attaquée, il ne saurait être allégué qu’ils ne pouvaient l’être. La requérante conteste à cet égard l’existence des lacunes formelles identifiées dans la décision attaquée. Ainsi, la présentation utilisée pour ces engagements serait identique à celle utilisée pour les engagements du 29 novembre 2006, du 14 décembre 2006 et du 17 avril 2007. Les seuls éléments nouveaux consisteraient dans l’engagement relatif à l’« acquéreur initial », présenté à la suite de la demande de la Commission, et dans celui relatif à l’ajout de créneaux horaires supplémentaires à Cork et à Shannon. La Commission n’ayant pas soulevé d’objections, au cours de la procédure administrative, en ce qui concerne la présentation de ces séries d’engagements, elle ne pourrait donc reprocher à Ryanair d’utiliser une lettre contenant les engagements et une annexe comportant des explications en ce qui concerne les engagements du 3 mai 2007 (considérant 1168 de la décision attaquée). De plus, la Commission ne pourrait reprocher à Ryanair de ne pas l’avoir consultée avant le dépôt des engagements du 3 mai 2007 (note en bas de page n° 1403 insérée sous le considérant 1161 de la décision attaquée), dans la mesure où ces engagements correspondraient aux engagements antérieurs, et où une discussion aurait déjà eu lieu sans que la Commission soulève d’objections quant à la forme. La Commission ne pourrait non plus reprocher à Ryanair de n’avoir pas utilisé le texte modèle non obligatoire qu’elle a adopté.

474    En tout état de cause, la requérante souligne que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait clarifié plusieurs ambiguïtés alléguées dans la décision attaquée et que les prétendues incohérences qui subsistaient n’avaient pu empêcher l’adoption des engagements.

475    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1173 de la décision attaquée selon laquelle il existait des doutes en ce qui concerne l’approbation de l’« acquéreur initial », la requérante rappelle qu’elle a accepté d’inclure cet engagement à la demande de la Commission et qu’elle a précisé cette disposition dans ses versions provisoires reformulées. S’agissant de l’affirmation faite au même considérant selon laquelle le délai pour la mise en œuvre de la solution concernant l’« acquéreur initial » n’était pas défini, la requérante fait valoir qu’elle a fourni par la suite des éclaircissements quant à ce délai et qu’elle a expliqué à la Commission les règles irlandaises pertinentes en matière de prise de contrôle.

476    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1174 de la décision attaquée selon laquelle il existerait une contradiction entre la solution concernant l’« acquéreur initial » évoquée dans la « lettre d’engagements » et le délai de transfert des créneaux horaires prévu au point 3 de l’annexe 1 de ladite lettre, la requérante relève qu’elle a supprimé ce point par la suite pour éliminer tout doute quant à la durée des engagements.

477    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1175 de la décision attaquée selon laquelle il ne serait pas possible de comprendre si la solution de l’« acquéreur initial » visait seulement des créneaux horaires à Dublin ou aussi des créneaux horaires à Shannon et à Cork, Ryanair aurait précisé que cette solution visait seulement des créneaux horaires à Dublin.

478    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1176 de la décision attaquée selon laquelle la solution concernant l’« acquéreur initial » n’était pas claire en ce qui concerne le point de savoir si la cession de créneaux horaires concernait différentes compagnies aériennes ou une seule, Ryanair aurait précisé que cet engagement s’appliquait à « une ou des compagnies aériennes souhaitant acquérir des créneaux horaires pour baser des avions à Dublin », en visant ainsi, potentiellement, différentes compagnies aériennes. Cela serait confirmé par les versions provisoires révisées des engagements du 3 mai 2007 présentées les 25 et 30 mai 2007.

479    S’agissant de l’affirmation faite aux considérants 1177 et 1178 de la décision attaquée selon laquelle l’engagement relatif à la cession de créneaux horaires n’était pas clair, comme l’illustreraient les expressions « attribués s’il y a lieu afin de respecter les statuts d’Aer Lingus (modifiés s’il y a lieu) » ou « accord de location contraignant », la requérante relève que, tout comme, d’une manière générale, la question des cessions de créneaux horaires, ces expressions ont été clarifiées dans sa lettre datée du 15 mai 2007. De plus, en réponse à la demande d’information de la Commission datée du 25 mai 2007, Ryanair aurait fourni des éclaircissements supplémentaires et joint la consultation d’un conseil irlandais.

480    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1179 de la décision attaquée selon laquelle les engagements du 3 mai 2007 ne faisaient pas apparaître l’intention claire de libérer des créneaux horaires dans les aéroports de destination, la requérante fait valoir qu’il s’agit d’un problème ne portant pas sur la forme, mais sur le fond.

481    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1180 de la décision attaquée selon laquelle il ne serait pas possible de comprendre « si le ou les nouveaux arrivants pourraient utiliser les créneaux offerts (sauf les créneaux à Londres-Heathrow) sur n’importe quelle liaison ou si leur utilisation serait restreinte aux liaisons où les services se chevauchent », la requérante aurait clarifié cette prétendue ambiguïté en indiquant à plusieurs reprises que les créneaux horaires pourraient être utilisés pour desservir n’importe quelle liaison sans restriction au départ de Dublin, y compris les liaisons avec chevauchement d’activités. L’affirmation de la Commission paraîtrait uniquement fondée sur le point 2.15, sous iii), de l’annexe 1 de la « lettre d’engagements », qui aurait été supprimé par la suite.

482    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1179 de la décision attaquée selon laquelle sa définition des « paires d’aéroports visées » dans les engagements du 3 mai 2007 ne correspondait pas aux paires énumérées dans la communication des griefs, la requérante aurait expliqué qu’elle avait omis deux destinations (c’est-à-dire Bologne et Salzbourg), parce que ces liaisons étaient exclusivement saisonnières, mais que cela ne modifiait pas son intention de couvrir toutes les liaisons. Pour dissiper tout doute à cet égard, Ryanair aurait inclus ces deux destinations dans les versions ultérieures des engagements.

483    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1179 de la décision attaquée selon laquelle le nombre total de créneaux horaires devant être libérés à Cork et à Shannon n’apparaissait pas clairement, la requérante souligne que ces informations figurent clairement dans la « lettre d’engagements ». En outre, Ryanair aurait confirmé ces données dans une lettre et dans le projet d’engagements du 1er juin 2007.

484    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1181 de la décision attaquée selon laquelle la Commission ne serait pas en mesure de connaître les modalités de mise en œuvre des solutions comportementales proposées dans le cadre de l’engagement n° 1, la requérante fait valoir qu’elle a précisé comment le contrôle serait effectué. Sans fournir de réponse significative à cette explication, la Commission aurait affirmé dans sa réponse que l’explication revenait à modifier les engagements et qu’elle n’était pas tenue de l’accepter. Afin de dissiper tout doute à cet égard, Ryanair aurait inclus des dispositions explicites concernant la présentation des rapports dans ses propositions ultérieures.

485    S’agissant de l’affirmation faite au considérant 1182 de la décision attaquée selon laquelle « l’incohérence et le manque de clarté » des solutions proposées, perçus par « certains concurrents » comme un obstacle à la viabilité des engagements, ressortiraient des réponses de « certains » concurrents à la question n° 5 du questionnaire adressé en mai 2007 aux acteurs du marché au sujet de la clarté de la solution concernant la cession de créneaux horaires, la requérante soutient que la Commission ne pourrait pas aboutir à une telle conclusion. Tout d’abord, 20 concurrents seulement auraient répondu à ce questionnaire, dont 9 n’auraient pas répondu à la question n° 5. Quant aux 11 concurrents ayant répondu à cette dernière question, 3 n’auraient pas réellement abordé la question posée, 3 (LTU, Aer Arann et Clickair) auraient émis des commentaires positifs au sujet de la clarté des engagements et 5 seulement, dont 2 étaient anonymes, auraient émis des réserves quant à la clarté de la solution concernant la cession de créneaux horaires. La Commission n’aurait pas fait état d’autres informations relatives à de prétendues « incohérences » ou à un prétendu « manque de clarté ».

486    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, relève qu’il revient à Ryanair de présenter des engagements complets et efficaces à tous points de vue afin de lui permettre de conclure avec certitude qu’il sera possible d’exécuter les engagements et que les nouvelles structures commerciales qui en résulteront seront suffisamment viables et durables pour que la concentration n’entrave pas une concurrence effective de façon significative. Ryanair n’aurait pas consulté la Commission avant de présenter les engagements du 3 mai 2007, ni même les précédentes séries d’engagements. La Commission n’aurait jamais indiqué que l’un de ces engagements était rédigé de manière suffisamment claire et précise pour être mis en œuvre. Aucune confiance légitime ne pourrait être invoquée sur ce point. Les éléments relatifs aux créneaux et au comportement figurant dans les engagements du 3 mai 2007 ne correspondraient pas à ceux des engagements précédents. En tout état de cause, les engagements du 3 mai 2007 n’auraient pas été suffisamment clairs et précis pour être mis en œuvre.

487    Par ailleurs, la Commission ne pourrait tenir compte des éclaircissements informels présentés par la suite, qui, eux aussi, manqueraient de clarté et de précision. Après la date limite de présentation des engagements, la Commission ne pourrait accepter à titre exceptionnel leur modification que si celle-ci consistait à éliminer clairement tous les problèmes de concurrence identifiés sans qu’une consultation des acteurs du marché soit nécessaire. Or, à la suite de la présentation des engagements du 3 mai 2007, Ryanair aurait fourni une série d’informations informelles, parfois contradictoires avec les termes des engagements du 3 mai 2007, ainsi que des projets reformulés de ces derniers, les 25 et 30 mai 2007. Aucune de ces explications n’aurait été présentée en bonne et due forme. De plus, ces explications n’auraient pas été suffisantes pour combler toutes les lacunes formelles relevées dans la décision attaquée. Aer Lingus indique ainsi que Ryanair a souligné le 8 mai que, « pour clarifier, les créneaux horaires d’Heathrow ne sont pas exclusivement destinés à British Airways et à Air France », avant d’affirmer le 11 mai que « ces créneaux horaires sont exclusivement réservés à British Aiways et à Air France ». La Commission a également relevé qu’au moins sept des dix concurrents de Ryanair qui ont répondu à la consultation du marché ont estimé que les engagements du 3 mai 2007 n’étaient pas assez clairs, ce qui suffirait à étayer son affirmation dans la décision attaquée selon laquelle l’incohérence et le manque de clarté des engagements du 3 mai 2007 constituent un obstacle à la viabilité de ceux-ci.

b)     Appréciation du Tribunal

488    Il ressort de la décision attaquée (voir points 460 à 464 ci-dessus) que les engagements proposés par Ryanair dans le cadre de la période définie à cet effet par l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 802/2004, laquelle prenait fin le 3 mai 2007, n’ont pas été considérés par la Commission comme satisfaisants pour répondre aux problèmes de concurrence identifiés à ce stade. Cette conclusion repose sur deux raisons qui sont exposées dans la décision attaquée. D’une part, « les engagements [du 3 mai 2007] ne remplissent pas suffisamment les impératifs de clarté juridique et de cohérence pour être capables d’écarter les problèmes de concurrence identifiés » (considérant 1182 de la décision attaquée). D’autre part, sans tenir compte des « défauts connus identifiés » sous le point 8.2.1 de la décision attaquée, « les engagements [du 3 mai 2007] ne seraient pas suffisants pour éliminer tous les problèmes de concurrence identifiés » (considérant 1234 de la décision attaquée).

489    Force est de constater que les arguments présentés par la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause la conclusion de la Commission.

490    En premier lieu, s’agissant des lacunes formelles énumérées par la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne les engagements du 3 mai 2007, la requérante fait valoir que celles-ci ne peuvent être évoquées au motif qu’une analyse du contenu de ces engagements a été effectuée dans la décision attaquée.

491    Il ressort, toutefois, de la lecture même de la décision attaquée que cette analyse du contenu est faite de manière autonome. Au considérant 1166 de la décision attaquée, la Commission a ainsi indiqué que ces engagements étaient « non seulement formulés de manière peu claire et souvent contradictoire (voir l[e point] 8.2.1) », mais que « leur contenu ne permet[tait] pas non plus de résoudre les problèmes de concurrence identifiés (voir l[e point] 8.2.2) ». Cette analyse du contenu s’explique par la volonté pédagogique de la Commission de communiquer à Ryanair les résultats de son test de marché concernant les engagements du 3 mai 2007 afin d’expliquer quelle pourrait être l’ultime proposition d’engagements.

492    La requérante ne peut donc réfuter l’existence des lacunes identifiées au point 8.2.1 de la décision attaquée, en ce qui concerne le format utilisé pour présenter les engagements, le manque de clarté de l’engagement relatif à l’« acquéreur initial » des créneaux horaires, les mécanismes de cession desdits créneaux et le suivi des engagements comportementaux, au seul prétexte qu’une analyse au fond de ces engagements a été effectuée, une telle analyse ayant été effectuée à titre surabondant, en partant de l’hypothèse que lesdits engagements auraient été présentés d’une manière susceptible d’en assurer la mise en œuvre.

493    En deuxième lieu, la requérante ne peut se prévaloir de l’attitude de la Commission en ce qui concerne les engagements présentés auparavant. Le format employé par la requérante n’avait été utilisé par le passé que pour la présentation des engagements du 17 avril 2007, lesquels s’inscrivaient dans le contexte de la réponse à la communication des griefs, à un moment où l’appréciation des effets sur la concurrence n’était pas encore finalisée. S’il est possible d’admettre que, dans ce dernier cadre, la requérante puisse remettre en question les conclusions d’une telle appréciation en contestant l’existence des problèmes de concurrence, celle-ci ne saurait encore être autorisée à joindre des déclarations ou des avis sur l’analyse menée par la Commission dans une proposition d’engagements telle que celle des engagements du 3 mai 2007, dans la mesure où cette proposition devait manifester la volonté d’éliminer les problèmes identifiés à ce stade en contrepartie d’une décision d’autorisation. En cas de désaccord sur les engagements souhaités par la Commission, les parties à l’opération peuvent toujours refuser de les proposer et attaquer devant le Tribunal l’éventuelle décision d’interdiction qui en résulterait pour leur opération.

494    De plus, à la différence des propositions antérieures, certains des engagements du 3 mai 2007 étaient présentés pour la première fois, comme l’engagement relatif à l’« acquéreur initial » à propos duquel la Commission a notamment insisté dans la décision attaquée sur le caractère trop vague au regard de sa pratique décisionnelle antérieure sur ce point (considérant 1172 et note en bas de page n° 1428 de la décision attaquée). Cette pratique exige notamment une clause claire et précise conditionnant effectivement la réalisation de la concentration à la réalisation de l’engagement correspondant.

495    En troisième lieu, la requérante ne peut prétendre remettre en cause la conclusion selon laquelle les engagements du 3 mai 2007 présentaient des lacunes formelles en invoquant, ainsi qu’il a été rappelé aux points 474 à 485 ci-dessus, des précisions et des clarifications apportées par la suite en réponse aux demandes de la Commission. Ces précisions s’inscrivent dans un autre contexte, celui de l’ultime proposition d’engagements, et non dans le cadre de l’appréciation portée par la Commission sur les formes et la clarté des engagements présentés par Ryanair au terme de la procédure prévue à cet effet par le règlement n° 802/2004.

496    En conséquence, la requérante n’expose pas d’arguments susceptibles de remettre en cause, à suffisance de droit, l’appréciation de la Commission exposée dans la décision attaquée selon laquelle les engagements du 3 mai 2007 présentaient des lacunes formelles telles qu’elle n’était pas en mesure de conclure, avec certitude, qu’il serait possible de les mettre en œuvre et que les remèdes qui en résultaient seraient suffisamment viables et durables pour que les entraves à la concurrence effective que ces engagements avaient pour finalité d’empêcher ne soient pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.

497    Il convient donc désormais d’examiner les arguments de la requérante concernant le projet d’engagements du 1er juin 2007. C’est dans ce contexte que sont examinés les arguments concernant l’appréciation au fond des propositions d’engagements faites à la Commission.

3.     Sur l’absence de lacunes formelles du projet d’engagements du 1er juin 2007

a)     Arguments des parties

498    La requérante soutient que c’est à tort que la Commission a affirmé, aux considérants 1236 à 1237 de la décision attaquée, que le projet d’engagements du 1er juin 2007 n’avait pas été valablement proposé et qu’elle n’était pas tenue de l’évaluer. Le contenu de ce projet étant analysé dans la décision attaquée, il ne saurait être allégué qu’il ne pouvait l’être. Selon la requérante, la lettre qu’elle a adressée le 1er juin 2007 à la Commission était présentée comme une « version provisoire » pour permettre à celle-ci d’y apporter les modifications de formulation finales qui pourraient être exigées pour faire en sorte que ces engagements soient clairs, dépourvus d’ambiguïtés et cohérents dans l’ensemble du document. Si la Commission considérait que cette qualification de « version provisoire » et l’absence de signature étaient des lacunes formelles qui l’empêchaient d’évaluer la substance des engagements du 1er juin 2007, il lui aurait incombé d’en informer Ryanair, ce qu’elle n’a pas fait. Ainsi, la lettre de la Commission à Ryanair du 4 juin 2007 ne ferait qu’indiquer que le projet d’engagements du 1er juin 2007 ne permettait pas de régler les problèmes de concurrence identifiés à ce stade, sans indiquer que la Commission considérait qu’elle n’était pas obligée de les évaluer, parce qu’ils avaient été proposés sous la forme de version provisoire. En procédant de la sorte, la Commission violerait les principes de bonne administration et de protection de la confiance légitime.

499    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, relève que des engagements non signés, explicitement soumis sous la forme de projet, ne peuvent pas être considérés comme des engagements « pris à son égard » au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations. De tels engagements seraient susceptibles d’être modifiés ou retirés par l’entreprise qui les a proposés. En tout état de cause, même si le projet d’engagements du 1er juin 2007 avait été présenté dans les formes, il n’aurait pas permis à la Commission d’établir, avec le degré de certitude requis, qu’il résoudrait les problèmes de concurrence identifiés sans qu’il soit nécessaire de consulter à nouveau les acteurs du marché. Par ailleurs, la requérante ne pourrait invoquer le principe de bonne administration, en tant que tel, pour alléguer que la Commission aurait dû apprécier le projet d’engagements du 1er juin 2007 et la Commission n’aurait jamais donné à Ryanair l’assurance qu’elle évaluerait tous les projets d’engagements dans la décision attaquée.

b)     Appréciation du Tribunal

500    Tout comme les engagements du 3 mai 2007, le projet d’engagements du 1er juin 2007 a été écarté par la Commission dans la décision attaquée pour deux raisons (voir points 466 et 467 ci-dessus).

501    D’une part, la Commission a relevé dans la décision attaquée que le projet d’engagements du 1er juin 2007 « a[vait] été communiqué explicitement sous forme de version préliminaire, sans signature et sans respecter les exigences formelles requises au titre de l’article 20 du règlement […] n° 802/2004 ». Elle en a conclu que, « [é]tant donné que Ryanair n’a[vait] pas formellement présenté de nouveaux engagements, la Commission n’[était] pas tenue de les évaluer dans la présente décision ». La Commission a en particulier indiqué qu’elle « ne pouvait pas faire dépendre une autorisation du respect de ce projet d’engagements » (considérant 1237 de la décision attaquée).

502    D’autre part, la Commission a souligné que, « [e]n tout état de cause, même si le projet d’engagements [du 1er juin 2007] avait été transmis en bonne et due forme, ces engagements n’auraient toujours pas été suffisants pour permettre à la Commission de conclure, sur la base d’informations dont elle disposait déjà, qu’ils résolv[ai]ent totalement et de façon non ambiguë les problèmes de concurrence identifiés » (considérant 1237 de la décision attaquée, lequel fait référence au point 43 de la communication concernant les mesures correctives et à l’arrêt EDP/Commission, point 28 supra, points 161 à 163).

503    En ce qui concerne la première raison invoquée par la Commission pour écarter le projet d’engagements du 1er juin 2007, il ressort du texte même de ce document qu’il s’agit d’un simple projet et non d’une version susceptible d’engager Ryanair comme cela est pourtant nécessaire à ce stade de la procédure. Ainsi, même si le document est intitulé « Engagements juridiquement contraignants de Ryanair à l’égard de la Commission », il est présenté sous la forme d’un « projet » et l’emplacement prévu pour la signature du directeur général de Ryanair est laissé vide. La lettre de couverture signée par le directeur général de Ryanair mentionne également que ledit document est présenté sous la forme d’un projet, afin de laisser à la Commission la possibilité d’y apporter les modifications de formulation finales qui pourraient être exigées pour faire en sorte que ces engagements soient clairs, dépourvus d’ambiguïtés et cohérents dans l’ensemble du document. Or, la Commission ne dispose plus de la possibilité d’apporter de telles précisions à ce stade très avancé de la procédure, où l’ultime proposition d’engagements doit non seulement être contraignante pour la partie qui la propose, mais aussi suffisante en elle-même, en ce sens que la Commission doit pouvoir être en mesure de l’apprécier sans avoir à solliciter une nouvelle fois l’avis de tierces parties sur son contenu.

504    Par ailleurs, le fait qu’une analyse du contenu du projet d’engagements du 1er juin 2007 a été effectuée « en tout état de cause » ne peut être interprété en ce sens que cela revient à permettre à la requérante de s’abstenir de présenter des engagements juridiquement contraignants à la Commission au stade ultime de la procédure.

505    En conséquence, la requérante n’expose pas d’arguments susceptibles de remettre en cause, à suffisance de droit, l’appréciation de la Commission exposée dans la décision attaquée selon laquelle le projet d’engagements du 1er juin 2007 ne lui permettait pas de conclure, avec certitude, qu’il serait possible de le mettre en œuvre et que les remèdes qui en résultent seraient suffisamment viables et durables pour que les entraves à la concurrence effective que ces engagements avaient pour finalité d’empêcher ne soient pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.

506    L’appréciation des arguments de la requérante sur l’examen au fond des engagements du 3 mai 2007 et du projet d’engagements du 1er juin 2007 est donc effectuée à titre surabondant, comme cela a d’ailleurs été fait dans la décision attaquée.

4.     Sur l’appréciation au fond des engagements du 3 mai 2007 et du projet d’engagements du 1er juin 2007

a)     Arguments des parties

507    La requérante reproche à la Commission d’avoir surévalué la contrainte concurrentielle qu’Aer Lingus et elle exerçaient l’une sur l’autre et d’avoir commis une erreur dans le cadre de l’appréciation de la menace d’une entrée susceptible d’empêcher l’exploitation anticoncurrentielle d’un monopole (voir les lignes directrices et l’arrêt easyJet/Commission, point 102 supra, point 202). Se fondant sur une analyse erronée des effets de la concentration sur la concurrence, la Commission aurait exigé de manière disproportionnée que Ryanair trouve un « acquéreur initial » qui baserait un nombre important d’appareils à Dublin pour concurrencer immédiatement l’entité issue de la concentration. En effet, aucune compagnie aérienne ne pourrait simultanément baser un tel nombre d’avions dans un seul aéroport et offrir dans un délai de six mois des services sur la totalité des 35 liaisons avec chevauchement d’activités. Beaucoup de ces liaisons se caractériseraient par une forte surcapacité et le délai de six mois n’aurait pas permis le transfert du nombre de créneaux horaires nécessaires au nouvel entrant du fait de la planification des procédures de transfert de créneaux horaires prévue par l’IATA.

508    La requérante fait valoir qu’il n’incombe pas aux parties à la concentration d’établir que les engagements proposés remédieraient aux problèmes de concurrence constatés par la Commission. Au contraire, ce serait à la Commission qu’il revient de prouver que l’opération, telle que modifiée par les engagements, entrave la concurrence effective de manière significative (arrêt EDP/Commission, point 28 supra, points 63 et 77). Or, la Commission n’aurait pas procédé à une appréciation globale de la concentration telle que modifiée alors que cela serait requis au point 77 de l’arrêt EDP/Commission, point 28 supra. Par ailleurs, pour les engagements proposés après l’expiration du délai prévu à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 802/2004, il ressortirait des points 161 à 163 de l’arrêt EDP/Commission, point 28 supra, que la Commission ne serait tenue de les prendre en compte que s’ils résolvaient clairement les problèmes de concurrence et sans besoin d’enquête supplémentaire. Contrairement à ce qui serait indiqué au considérant 1237 de la décision attaquée, cette règle ne s’appliquerait pas au projet d’engagements du 1er juin 2007, dès lors que ce dernier répondait à des suggestions spécifiques faites par la Commission sur la base de son appréciation des engagements du 3 mai 2007.

509    En substance, la requérante estime que la cession des créneaux horaires et les engagements comportementaux suffisaient pour éliminer tout problème de concurrence. Ainsi, la cession des créneaux horaires à Londres-Heathrow, « les plus précieux à travers le monde », « conduirait vraisemblablement à une expansion de la part des concurrents sur cette liaison » (considérant 1216 de la décision attaquée). La mise à disposition de créneaux horaires pour d’autres liaisons au départ de Dublin, de Shannon ou de Cork aurait permis à n’importe quelle compagnie aérienne d’entrer sur n’importe quelle liaison avec chevauchement d’activités ou sur n’importe quelle liaison de son choix, le cas échéant en basant des avions en Irlande. Le « gel des fréquences » aurait garanti que, en cas de demande accrue sur une liaison, Ryanair ne soit pas en mesure de « s’emparer » de cette demande au détriment d’un concurrent. L’engagement de ne pas réduire les fréquences, sauf si une liaison n’était pas rentable, impliquerait que, même en l’absence d’une entrée nouvelle sur une liaison donnée, la capacité combinée de Ryanair et d’Aer Lingus permettrait difficilement de majorer les prix tout en maintenant un coefficient de remplissage acceptable. La réduction immédiate de 10 % des prix d’Aer Lingus à la suite de la concentration aurait été source d’économies immédiates pour les consommateurs. Ces engagements seraient conformes à ceux que la Commission avait acceptés dans sa décision du 11 février 2004 (Affaire COMP/M.3280 – Air France/KLM), concernant des opérateurs disposant d’une puissance de marché supérieure à celle de Ryanair.

510    Premièrement, s’agissant des engagements relatifs aux créneaux horaires, la requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu’ils n’étaient pas appropriés. La Commission aurait posé la mauvaise question lors de la consultation des acteurs du marché. Elle aurait dû demander si les concurrents étaient disposés à entrer sur des liaisons si l’entité issue de la concentration n’y affectait pas une capacité suffisante ou y appliquait des prix considérablement plus élevés qu’avant la concentration. Par ailleurs, plusieurs concurrents auraient déclaré que, même s’ils ne projetaient pas d’entrer dans l’immédiat, ils envisageraient de le faire si cela était commercialement intéressant. Dès lors, le fait qu’aucun concurrent n’ait répondu qu’il entrerait sur les liaisons avec chevauchement d’activités constituerait un indice que les concurrents croyaient que la concentration ne produirait pas d’effets anticoncurrentiels. Il serait donc déraisonnable d’exiger que les engagements suscitent effectivement une entrée. Une telle exigence sanctionnerait Ryanair au motif qu’elle est « extrêmement efficace » et que son offre de prix est si basse qu’aucune compagnie aérienne ne souhaiterait rivaliser avec elle, même sur les liaisons qui seraient exploitées en « monopole ». La requérante ajoute que la Commission ne pouvait se prévaloir des réponses apportées à la question n° 6 du questionnaire adressé aux acteurs du marché, en ce qui concerne les entrées, pour apprécier les engagements du 3 mai 2007. En tout état de cause, les engagements portant sur les créneaux horaires à Dublin seraient suffisants pour remédier aux problèmes identifiés. La Commission ne fournirait aucune preuve établissant pour quelle raison un nouvel entrant devrait être en mesure d’exploiter immédiatement toutes les liaisons avec chevauchement d’activités en proposant les mêmes fréquences que celles assurées par Aer Lingus pour constituer une contrainte concurrentielle effective (considérants 1200 à 1206 de la décision attaquée). Les notions de « taille critique » et de « degré de concurrence requis » utilisées à cet égard ne seraient pas étayées par la Commission.

511    Deuxièmement, en ce qui concerne les créneaux horaires aux aéroports de destination, la requérante soutient que la Commission ne peut affirmer que les engagements portant sur les créneaux horaires sont insuffisants faute de précision sur ce point. Aer Lingus ne disposerait, en effet, que d’un nombre limité de créneaux horaires dans des aéroports principaux et Ryanair n’aurait pu les abandonner sans compromettre la logique de l’opération et réduire considérablement la capacité d’Aer Lingus de concurrencer les transporteurs en réseau. Ces derniers disposeraient d’un nombre suffisant de créneaux horaires dans les principaux aéroports de destination. Dans la majorité des cas, ils occuperaient une position dominante sur les plaques tournantes où ils opèrent. Ils n’auraient donc pas besoin de créneaux horaires supplémentaires pour pouvoir entrer ou étendre leurs liaisons depuis leur aéroport d’attache vers Dublin. Ces créneaux ne feraient que renforcer la domination de ces compagnies dans leurs aéroports d’attache et réduire la menace concurrentielle que la marque Aer Lingus pourrait faire peser sur eux. Cela ne serait pas nécessairement le cas pour les transporteurs à bas prix, qui desservent ou peuvent desservir les mêmes aéroports secondaires que ceux desservis par Ryanair et où il n’existerait pas de problèmes concernant les créneaux horaires. Dans ce contexte, la Commission aurait tort d’invoquer la notion de paires de villes et d’insister pour que le nouvel entrant soit une compagnie aérienne à bas prix tout en exigeant que Ryanair abandonne des créneaux horaires dans les aéroports principaux. La référence faite par la Commission à la différence entre la substituabilité de la demande et celle de l’offre (considérant 1208 de la décision attaquée) servirait uniquement à dissimuler cette « contradiction manifeste » de raisonnement. Pour ce qui est de la consultation des acteurs du marché sur la question des aéroports de destination, les réponses des concurrents devraient être lues avec la plus grande circonspection, car nombre d’entre eux devraient faire face à une concurrence accrue si la concentration était approuvée. La seule question pertinente serait de savoir si l’accès aux créneaux horaires dont dispose Aer Lingus dans certains aéroports importants est essentiel pour entrer, dans l’hypothèse où l’entité issue de la concentration abuserait de sa position. Ainsi, British Airways n’aurait pas considéré que l’accès aux créneaux horaires dans les aéroports importants soit essentiel au motif que ces agglomérations disposent d’autres aéroports dont les créneaux horaires ne sont pas surchargés et que la réglementation applicable aux créneaux horaires dispose que la moitié d’une nouvelle capacité est attribuée aux nouveaux entrants.

512    Troisièmement, en ce qui concerne la fragmentation de l’entrée, la requérante reproche à la Commission d’avoir pris en compte cet élément aux considérants 1211 et 1212 de la décision attaquée. Le projet d’engagements du 1er juin 2007 prévoirait pourtant spécifiquement que la compagnie aérienne prenant les créneaux horaires à Heathrow dispose de la priorité pour les créneaux horaires à Dublin. De plus, pour démontrer qu’une « entrée fragmentée » poserait problème, la Commission ne s’appuierait que sur une référence globale aux réponses à la question n° 2, sous b), posée dans le cadre de la consultation des acteurs du marché, et sur une référence à la « masse critique », terme non défini repris de la réponse faite par LTU à cette occasion (considérant 1212 de la décision attaquée). Or, seuls 15 des 20 participants à l’enquête de marché auraient répondu à la question concernant l’« entrée fragmentée ». De plus, comme dans d’autres cas, la Commission aurait omis de reconnaître que des entrants dotés d’un potentiel important, en l’occurrence British Airways, SAS, Flybe, Air Baltic et Clickair, auraient fait des déclarations qui contrediraient ces conclusions. Certaines réponses suggéraient même que l’entrée d’un nouvel arrivant unique serait néfaste pour la concurrence. La seule question qui aurait mérité d’être posée serait de savoir si l’entrée, qu’elle soit fragmentée ou qu’elle émane d’un concurrent unique, exercerait une contrainte suffisante sur l’entité issue de la concentration dans l’hypothèse où cette dernière augmenterait les prix. La question de savoir si l’arrivée d’un nouveau concurrent unique constituerait une puissance concurrentielle plus forte que l’arrivée de plus d’un nouvel arrivant ne serait pas la bonne question.

513    Quatrièmement, quant au mode d’exploitation du nouvel entrant, la requérante fait valoir que la Commission semble exiger que celui-ci suive exactement le même modèle économique qu’Aer Lingus. Or, la requérante rappelle qu’Aer Lingus n’exerce aucune contrainte concurrentielle significative sur Ryanair et que, en tout état de cause, rien ne prouve qu’un autre transporteur, quel que soit son modèle économique, puisse la concurrencer significativement. De plus, l’opération ayant pour objet d’accroître l’efficacité d’Aer Lingus de manière à concurrencer les transporteurs en réseau, l’expansion ou l’entrée d’un autre transporteur en réseau, tel que British Airways ou Air France, aurait aisément procuré aux consommateurs une option à Aer Lingus. La Commission ne pourrait, d’une part, exiger que Ryanair mentionne le modèle économique suivi par un nouvel arrivant et, d’autre part, simplement exiger que les engagements proposés permettent l’entrée sur le marché de certains transporteurs plus en mesure que d’autres de parvenir à exercer une contrainte sur l’entité issue de la concentration.

514    Cinquièmement, pour ce qui est des engagements relatifs aux créneaux horaires à Londres-Heathrow, la requérante fait valoir que la Commission a mis en doute leur utilité au motif qu’ils seraient réservés à British Airways et à Air France. Or, il n’en serait rien, Ryanair ayant indiqué par écrit, le 1er juin 2007, que ces créneaux pourraient être repris par n’importe quelle compagnie disposant d’une infrastructure à Heathrow. En tout état de cause, la Commission n’aurait pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incomberait en mettant simplement en cause l’utilité de la cession des créneaux horaires. Ce serait également à tort qu’elle aurait affirmé, au considérant 1217 de la décision attaquée, que ces deux compagnies ne pourraient compenser la disparition de la pression concurrentielle d’Aer Lingus dans une mesure suffisante. En effet, British Airways et Air France, comptant parmi les concurrents les plus puissants en Europe, opéreraient en Irlande depuis des décennies et connaîtraient bien le marché irlandais : British Airways opérerait déjà en partage de codes avec Aer Lingus sur cette liaison et Air France posséderait CityJet, compagnie basée à Dublin. De même, la Commission ne prouverait nullement, au considérant 1218 de la décision attaquée, que, si les créneaux horaires étaient répartis entre deux très puissants transporteurs, l’opération, telle que modifiée par les engagements, entraverait la concurrence effective de manière significative sur la liaison Dublin-Londres (Heathrow). Par ailleurs, la substituabilité des aéroports londoniens étant limitée selon la requérante, cette liaison exploitée par Aer Lingus ne permettrait d’exercer aucune contrainte concurrentielle significative sur les opérations de Ryanair à destination des autres aéroports londoniens. Enfin, en se bornant à mentionner le « risque d’une controverse juridique » quant à la possibilité pour Ryanair de céder les créneaux horaires à Heathrow sans le consentement des autres actionnaires d’Aer Lingus, la Commission n’aurait pas tenu compte d’un avis juridique fourni par un conseil irlandais attestant qu’une telle cession serait possible.

515    Sixièmement, en ce qui concerne les engagements comportementaux, la requérante affirme que l’engagement portant sur la réduction de 10% des prix d’Aer Lingus était facilement vérifiable au moyen de la publication par Aer Lingus de son prix moyen dans son rapport annuel. La Commission serait dans l’erreur quand elle demande à Ryanair de préciser si la réduction des prix porte sur toutes les liaisons avec chevauchement d’activités. En effet, il serait pratiquement impossible de majorer les prix sur les liaisons avec chevauchement d’activités et d’encore réduire globalement de 10 % les prix sur toutes les liaisons court-courriers. De même, bien que la Commission affirme ne pas pouvoir prévoir ce qu’est un prix concurrentiel, la réduction des prix procurerait des avantages considérables et réalisables. Le « gel des fréquences » en cas de nouvelle entrée aurait visé à répondre aux affirmations de la Commission concernant la prétendue réaction agressive de Ryanair à l’égard des nouveaux entrants, réaction consistant à accroître les fréquences sur les liaisons où entre une autre compagnie aérienne. De plus, l’engagement de ne pas réduire les fréquences aurait visé à remédier à la crainte que Ryanair ne réduise la capacité sur les liaisons avec chevauchement d’activités et ne soit ainsi en mesure de majorer ses prix. En s’engageant à maintenir la capacité combinée sur les liaisons avec chevauchement d’activités, Ryanair ne serait plus en mesure de majorer les prix tout en maintenant un coefficient de remplissage acceptable, ce qui serait crucial dans le contexte de son modèle économique.

516    Septièmement, s’agissant de la solution de l’« acquéreur initial », la requérante relève tout d’abord que cette solution n’a jamais été utilisée lors des affaires antérieures impliquant des compagnies aériennes. Une telle exigence serait également superflue et disproportionnée. Compte tenu du fait que Ryanair offrirait les prix les plus bas du marché et qu’un grand nombre de liaisons avec chevauchement d’activités ne généreraient pas un trafic suffisant pour supporter un troisième transporteur, il serait commercialement très difficile de trouver un « acquéreur initial ». La seule solution consisterait en ce que Ryanair et Aer Lingus abandonnent ces liaisons ou concluent avec l’« acquéreur initial » une entente illégale relative à la fixation des prix. De plus, il résulterait du « gel des fréquences » que les entrants ne seraient pas dissuadés de pénétrer sur les liaisons avec chevauchement d’activités par le risque de voir Ryanair accroître ses fréquences sur ces liaisons. À l’exception des créneaux horaires à Heathrow, les créneaux horaires à Dublin et dans plupart des autres aéroports en Europe (à l’exception peut-être des autres aéroports principaux surchargés) n’auraient pas de valeur intrinsèque et ne seraient donc pas intéressants pour une autre compagnie aérienne. Enfin, il aurait été erroné de la part de la Commission d’avoir considéré que l’engagement portant sur l’« acquéreur initial » était insuffisant en raison de sa portée limitée et du fait qu’il conduirait à une « entrée fragmentée » (considérant 1238 de la décision attaquée). Cet engagement, renforcé dans le projet d’engagements du 1er juin 2007, serait fondé sur la demande faite en ce sens par les services de la Commission. La requérante critique également la volonté de la Commission de faire reposer sur elle le risque qu’aucun « acquéreur initial » ne soit trouvé dans le délai imparti.

517    La Commission, soutenue par l’Irlande et par Aer Lingus Group, rappelle avoir examiné et écarté les engagements du 3 mai 2007 en procédant aux constatations suivantes : les mesures relatives aux créneaux n’étaient pas appropriées, car elles n’entraînaient pas d’entrée significative sur les liaisons où les services se chevauchent (considérants 1186 à 1196 de la décision attaquée), la proposition de l’« acquéreur initial » ne palliait pas l’absence de perspective d’entrée (considérant 1197 de la décision attaquée), la portée des engagements était insuffisante (considérants 1199 à 1206 de la décision attaquée), les engagements ne mentionnaient pas de créneaux dans des aéroports de destination importants (considérants 1207 à 1209 de la décision attaquée), les engagements n’auraient pu déboucher que sur l’arrivée de plusieurs compagnies aériennes (entrée fragmentée) (considérants 1210 à 1212 de la décision attaquée), les engagements ne tenaient pas compte du modèle d’exploitation du nouvel arrivant (considérants 1213 à 1215 de la décision attaquée), les engagements relatifs aux créneaux à Londres-Heathrow ne permettaient pas d’éliminer les problèmes de concurrence sur la liaison Dublin-Londres (considérants 1216 à 1219 de la décision attaquée) et les autres engagements ne permettaient pas d’éliminer les obstacles à une concurrence effective (considérants 1220 à 1226 de la décision attaquée).

518    En particulier, la Commission considère que les mesures correctives liées à l’accès ne sont admissibles que dans des circonstances où il est suffisamment établi que de nouveaux concurrents entreront véritablement sur le marché en remédiant ainsi aux problèmes de concurrence relevés (considérant 1188 de la décision attaquée). L’objectif fondamental des engagements serait de garantir des structures de marché concurrentielles et, de toute évidence, la simple menace de l’arrivée d’un concurrent ne suffirait pas pour atteindre ce but, si ce n’est dans des circonstances très exceptionnelles. En réalité, la substituabilité du côté de la demande serait le « facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace » vis-à-vis des fournisseurs d’un produit ou d’un service donné, en particulier en ce qui concerne leurs décisions en matière de fixation des prix, tandis que les contraintes liées à la concurrence potentielle seraient généralement moins directes et requerraient, en tout état de cause, une analyse approfondie. La Commission relève que, en l’espèce, les marchés en cause ne se caractérisent pas par une « facilité d’accès avérée », mais plutôt par un « mouvement de sortie des concurrents autres qu’Aer Lingus ». Rien n’indiquerait dans les lignes directrices qu’une concentration aboutissant à la création d’un monopole n’entrave pas une concurrence effective de manière significative si la menace de l’arrivée de nouveaux concurrents est suffisante. L’arrêt easyJet/Commission, point 102 supra, ne serait pas pertinent sur ce point non plus. Dans cette affaire, le Tribunal aurait estimé que l’identification nominative d’un nouvel entrant n’était pas nécessaire, puisque divers concurrents s’étaient montrés intéressés, à la suite des engagements, par une entrée sur les marchés affectés et que l’entrée effective d’un nouveau concurrent pouvait donc être considérée comme très probable. En l’espèce, en revanche, l’arrivée d’un nouveau concurrent serait improbable, pour les motifs exposés au point 7.8 de la décision attaquée et en raison du fait qu’aucun des concurrents ayant répondu à la consultation des acteurs du marché n’aurait fait part de son intention d’entrer concrètement sur une des liaisons où les services se chevauchent (considérants 1190 à 1196 de la décision attaquée), à l’exception éventuellement d’Air France et de British Airways, qui étendraient leurs activités sur la liaison Dublin-Londres, ce que la Commission a estimé insuffisant pour écarter les problèmes de concurrence sur cette liaison (considérants 1216 à 1219 de la décision attaquée). C’est en raison de cette absence de perspective d’entrée que la Commission aurait suggéré de manière informelle que Ryanair désigne un « acquéreur initial ». Il importerait peu qu’il s’agisse de la première concentration de compagnies aériennes dans laquelle la Commission a émis une telle proposition ou que Ryanair ait jugé difficile, voire impossible, de la suivre. Par rapport aux affaires antérieures, la présente opération différerait en ce qu’elle concernerait deux compagnies proposant des services de point à point et exploitant toutes deux un nombre important d’appareils à partir du même aéroport sur un grand nombre de liaisons où les services se chevauchent. En revanche, à la différence des affaires précédentes, l’encombrement des aéroports ne serait pas la seule barrière à l’entrée en l’espèce. La Commission souligne qu’elle ne peut accepter des engagements qui n’élimineraient que partiellement ces problèmes de concurrence au motif que la partie intéressée ne pourrait consentir à d’autres engagements.

b)     Appréciation du Tribunal

519    Le projet d’engagements du 1er juin 2007 est intervenu à la suite de discussions approfondies entre la Commission et Ryanair sur le contenu des engagements du 3 mai 2007 et les manières de remédier aux problèmes identifiés. Il y a lieu, à cet égard, de renvoyer aux arguments avancés par Ryanair sur le contenu de la réunion du 1er juin 2007 (voir point 470 ci-dessus) et au contenu de la conférence téléphonique enregistrée intervenue entre Ryanair et la Commission le 29 mai 2007.

520    En dépit de ces précisions sur ce qui était considéré comme nécessaire pour autoriser l’opération, la requérante – de son propre aveu (voir point 470 ci-dessus) – a présenté une ultime proposition d’engagements qui ne répondait pas aux demandes de la Commission en ce qui concerne le nombre important d’appareils à positionner à Dublin dans un délai de six mois à compter de l’adoption de la décision attaquée, avec une prorogation possible de six mois. La proposition de Ryanair était d’accepter le principe d’un positionnement immédiat de la moitié de ce nombre important d’appareils, plus deux avions affectés aux liaisons vers Londres-Heathrow dans un délai de six mois à compter de la publication d’une nouvelle offre, laquelle serait publiée dans un délai de six mois à compter de l’adoption de la décision attaquée, avec une prorogation possible de six mois.

521    De surcroît, dans le cadre des remèdes proposés en l’espèce, à savoir essentiellement l’acquisition de créneaux horaires par un ou plusieurs acteurs, Ryanair prend pour acquis que l’ensemble Ryanair-Aer Lingus ne poserait pas de problèmes de concurrence aussi longtemps qu’elle permettrait à des nouveaux entrants ou aux acteurs présents en ce qui concerne la liaison vers Londres-Heathrow d’acquérir des crénaux horaires pour développer leur part de marché. La Commission a considéré cette mesure comme insuffisante pour remettre en cause l’effet anticoncurrentiel que représenterait la disparition du principal concurrent de Ryanair. Lors de l’audience, elle a ainsi exposé que, plutôt que de vouloir faire accepter le principe de la création ou du renforcement de la position dominante de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus sur telle ou telle liaison, en estimant qu’un hypothétique concurrent viendrait s’installer ou développer sa part de marché du seul fait que des créneaux horaires seraient offerts, il aurait fallu en l’espèce que Ryanair renonce à une partie de sa part de marché aux bénéfices des concurrents.

522    À cet égard, il convient de relever que, à la différence des concentrations antérieures dans le secteur du transport aérien de passagers (telles que celles qui étaient en cause dans les affaires Air France/KLM et Lufthansa/Swiss), la Commission ne pouvait se satisfaire en l’espèce de simples créneaux horaires pour garantir l’accès à une liaison. Il ne s’agit en effet pas d’une opération intéressant des opérateurs actifs qui disposent d’un aéroport d’attache dans des pays différents. Ryanair et Aer Lingus opèrent depuis le même aéroport, l’aéroport de Dublin, où elles disposent d’avantages significatifs que les concurrents ne peuvent pas répliquer facilement.

523    De plus, les résultats des tests de marché ont montré que les concurrents actuels et potentiels n’étaient pas prêts à concurrencer l’entité issue de la concentration sur l’ensemble des liaisons affectées par l’opération. Même sur la liaison Dublin-Londres (Heathrow), l’intérêt de certaines compagnies aériennes, qui étaient parfois déjà présentes, n’a pas été confirmé par une déclaration d’engagements ferme sur ce point, qui aurait pu être présentée par Ryanair pour étayer son engagement relatif à l’« acquéreur initial ».

524    À ce stade de la procédure, pour les raisons exposées à juste titre dans la décision attaquée en ce qui concerne les engagements du 3 mai 2007 et compte tenu des précisions apportées par le projet d’engagements du 1er juin 2007, la requérante n’expose pas d’arguments susceptibles de remettre en cause, à suffisance de droit, l’appréciation de la Commission, exposée dans la décision attaquée, selon laquelle le projet d’engagements du 1er juin 2007 ne lui permettait pas de conclure, avec certitude, qu’il serait possible de le mettre en œuvre et que les remèdes qui en résultaient seraient suffisamment viables et durables pour que les entraves à la concurrence effective que ces engagements avaient pour finalité d’empêcher ne soient pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.

525    Le cinquième moyen doit donc être rejeté tant en ce qui concerne la validité formelle des propositions transmises à la Commission dans le cadre de la procédure administrative qu’en ce qui concerne l’appréciation au fond du contenu de ces propositions.

526    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le recours formé par Ryanair.

 Sur les dépens

527    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

528    Ryanair ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et par Aer Lingus Group, conformément aux conclusions de ces dernières.

529    En application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. L’Irlande supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Ryanair Holdings plc supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne et par Aer Lingus Group plc.

3)      L’Irlande supportera ses propres dépens.

Azizi

Cremona

Frimodt Nielsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juillet 2010.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

A –  Parties au litige

B –  Procédure administrative

C –  Contenu de la décision attaquée

1.  Marchés en cause

2.  Appréciation des effets de l’opération sur la concurrence

3.  Appréciation des engagements

Procédure et conclusions des parties

En droit

A –  Sur le premier moyen, relatif à l’appréciation de la relation de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus

1.  Sur le « poids excessif » accordé aux parts de marché

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur l’absence de prise en considération des « différences fondamentales » entre Ryanair et Aer Lingus

a)  Sur l’utilisation de la notion de « concurrents les plus proches » et la déduction « automatique » de l’existence de contraintes concurrentielles significatives

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b)  Sur les « différences fondamentales » relatives aux coûts d’exploitation, aux prix pratiqués et au niveau de prestations

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

c)  Sur la différence entre les aéroports de destination

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur l’avantage concurrentiel conféré par l’existence d’une base à l’aéroport de Dublin

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Sur les « éléments de preuve non techniques »

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

5.  Sur l’analyse économétrique de la Commission

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

6.  Sur les analyses économétriques présentées par Ryanair

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

7.  Sur les contraintes concurrentielles exercées par les compagnies de charters

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

8.  Sur l’enquête réalisée auprès des passagers

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

9.  Sur l’enquête menée auprès des entreprises clientes

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

10.  Sur le préjudice pour les consommateurs

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur le deuxième moyen, relatif à l’appréciation des barrières à l’entrée

1.  Sur la signification à donner à l’absence d’entrée de nouveaux concurrents sur les marchés en cause

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur les entrées et les sorties dans le secteur du transport aérien

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur la prise en compte du modèle économique de Ryanair

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Sur les avantages liés à la possession de bases opérationnelles en Irlande

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

5.  Sur les coûts et les risques liés à une entrée sur le marché

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

6.  Sur la réputation de Ryanair en tant que barrière à l’entrée

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

7.  Sur l’entrée en temps utile

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

8.  Sur l’existence de liaisons plus rentables hors d’Irlande

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

9.  Sur l’encombrement aéroportuaire

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

10.  Sur la position de l’ensemble Ryanair-Aer Lingus à l’aéroport de Dublin

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

C –  Sur le troisième moyen, relatif à l’analyse concurrentielle liaison par liaison

1.  Sur la recevabilité

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le fond

a)  Sur la liaison Dublin-Londres

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b)  Sur les liaisons Dublin-Birmingham, Dublin-Édimbourg, Dublin-Glasgow, Dublin-Manchester et Dublin-Newcastle

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur la liaison Dublin-Birmingham

–  Sur la liaison Dublin-Édimbourg

–  Sur les liaisons Dublin-Glasgow, Dublin-Manchester et Dublin-Newcastle

c)  Sur les liaisons Shannon-Londres et Cork-Londres

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

d)  Sur les liaisons Dublin-Francfort, Dublin-Paris, Dublin-Madrid, Dublin-Bruxelles, Dublin-Berlin et Dublin-Hambourg (Lübeck)

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur les liaisons Dublin-Berlin et Dublin-Hambourg (Lübeck)

–  Sur la liaison Dublin-Bruxelles

–  Sur la liaison Dublin-Francfort

–  Sur les liaisons Dublin-Madrid et Dublin-Paris

e)  Sur les liaisons Dublin-Milan et Dublin-Rome

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

D –  Sur le quatrième moyen, relatif à l’appréciation des gains d’efficacité allégués

1.  Sur le caractère vérifiable des gains d’efficacité allégués

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le caractère propre à la concentration de certains gains d’efficacité allégués

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur l’avantage pour les consommateurs

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Conclusion sur l’analyse des effets de l’opération sur la concurrence

E –  Sur le cinquième moyen, relatif à l’appréciation des engagements

1.  Considérations liminaires

a)  Sur le cadre d’analyse des engagements

b)  Sur la description et l’évaluation des engagements du 3 mai 2007

c)  Sur la description et l’évaluation du projet d’engagements du 1er juin 2007

2.  Sur l’absence de lacunes formelles des engagements du 3 mai 2007

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur l’absence de lacunes formelles du projet d’engagements du 1er juin 2007

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Sur l’appréciation au fond des engagements du 3 mai 2007 et du projet d’engagements du 1er juin 2007

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’anglais.