Language of document : ECLI:EU:T:1999:176

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

28 septembre 1999 (1)

«Fonctionnaires — Révocation — Articles 1er, 4, 5 et 40 du règlement du personnel de la Banque européenne d'investissement — Erreur manifeste d'appréciation des faits — Demande reconventionnelle — Rejet d'une demande de mesures d'instruction»

Dans l'affaire T-140/97,

Michel Hautem, agent de la Banque européenne d'investissement, demeurant à Schouweiler (Luxembourg), représenté initialement par Mes Pascale Delvaux de Fenffe et Pierre-Paul Van Gehuchten, avocats au barreau de Bruxelles, puis par Me Michel Karp, avocat au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile en son étude, 84, Grand-rue,

partie requérante,

contre

Banque européenne d'investissement, représentée par M. Giannangelo Marchegiani, directeur des affaires juridiques, assisté de Me Georges Vandersanden, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

ayant pour objet, une demande, d'une part, d'annulation de la décision de la Banque européenne d'investissement du 31 janvier 1997 par laquelle le requérant a été révoqué sans perte de l'allocation de départ et de réintégration du requérant dans ses fonctions et, d'autre part, de condamnation de la Banque à indemniser le requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 4 février 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre réglementaire

1.
    Les statuts de la Banque européenne d'investissement (ci-après «Banque») sont établis par le protocole A annexé au traité CE, dont il fait partie intégrante.

2.
    L'article 9, paragraphe 3, sous h), desdits statuts prévoit l'approbation, par le conseil des gouverneurs, du règlement intérieur de la Banque. Ce règlement a été approuvé le 4 décembre 1958 et a subi plusieurs modifications . Son article 29 dispose que les règlements relatifs au personnel de la Banque sont fixés par le conseil d'administration.

3.
    Le 20 avril 1960 a été approuvé le règlement du personnel de la Banque (ci-après «règlement du personnel») . Le personnel de la Banque est assujetti aux obligations prévues par ce règlement.

4.
    Les articles 1er, 4 et 5 de la section «Dispositions générales» dudit règlement disposent:

«Article 1er

Les membres du personnel doivent, dans l'exercice de leurs fonctions et en dehors du service, observer une attitude conforme au caractère international de la Banque et de leurs fonctions.

[...]

Article 4

Les membres du personnel doivent consacrer leur activité au service de la Banque. Ils ne peuvent, sans y avoir été préalablement autorisés par celle-ci,

a)    exercer en dehors d'elle aucune activité professionnelle, notamment de nature commerciale, occuper aucun poste ou emploi, permanent, temporaire ou intermittent, rémunéré ou non;

b)    exercer aucune fonction de conseil, rémunérée ou non;

c)    siéger dans aucun conseil d'administration ou aucun comité de gestion.

[...]

Article 5

Les membres du personnel déclarent une fois l'an, et en tout état de cause à chaque modification, la situation de leur famille et, le cas échéant, l'activité professionnelle exercée par leur conjoint ou les postes ou emplois rémunérés occupés par ce dernier.

En cas de mariage entre deux membres du personnel travaillant dans le même service, l'un de ceux-ci sera employé dans un autre service.»

5.
    En ce qui concerne la procédure disciplinaire, les articles 38 à 40 du règlement du personnel disposent:

«Article 38

Les membres du personnel qui manquent à leurs obligations sont passibles, selon le cas, des mesures suivantes:

1)    blâme par écrit;

2)    retard d'avancement d'un an au plus;

3)    licenciement pour motif grave, sans préavis avec ou sans allocation de départ;

4)    licenciement pour motif grave, sans préavis ni allocation de départ, et avec réduction des droits à pension à la fraction correspondant aux contributions versées par les intéressés.

Les mesures prévues sous 3) et 4) sont prises après avis d'une commission paritaire, dans les conditions indiquées à l'article 40. Quand le motif est grave et est constitué par des poursuites judiciaires après flagrant délit, cette commission n'est pas appelée à rendre son avis.

Les délibérations de cette commission peuvent se dérouler et son avis motivé — de même que la décision du président — être rendu alors même que le membre du personnel a cessé ses fonctions à la Banque. Dans ce cas, le président peut — lors de la cessation des fonctions de l'intéressé à la Banque — surseoir au versement de l'allocation [de départ], jusqu'à ce qu'ait été rendue une décision définitive à l'égard de l'intéressé.

Article 39

En cas de motif grave, susceptible d'entraîner un licenciement sans préavis, le président peut suspendre immédiatement l'intéressé de ses fonctions, pour une durée maximale de trois mois.

Il en est de même lorsqu'un membre du personnel est l'objet de poursuites pénales susceptibles d'aboutir à une condamnation, à une peine afflictive ou infamante; dans ce cas, la suspension peut être prolongée jusqu'à la décision judiciaire définitive.

La suspension des fonctions peut s'accompagner de la suspension de la rémunération sauf allocation d'un secours apprécié en raison de l'existence de personnes à charge. Ce secours ne peut être supérieur au tiers de la rémunération de l'intéressé.

Le licenciement éventuel prend effet au jour de la suspension; les sommes que l'intéressé aurait reçues à titre de secours pendant la période de suspension lui demeurent acquises.

Article 40

La commission paritaire prévue à l'article 38 est ainsi composée: le directeur de la direction de l'administration générale, président, qui ne prend pas part au vote; le chef du personnel et un directeur, d'une direction autre que celle à laquelle

appartient le membre du personnel intéressé, d'une part; deux représentants du personnel de son choix, d'autre part, et un secrétaire, qui ne prend pas part aux délibérations ni au vote.

La commission paritaire est saisie par la signification faite par écrit au directeur de la direction des affaires générales par le président; la notification de cette signification est simultanément adressée au membre du personnel intéressé; ce dernier reçoit, par écrit, communication des faits qui lui sont reprochés quinze jours au moins avant la date prévue pour la réunion de la commission.

Le membre du personnel peut, et s'il le demande doit, être entendu par la commission devant laquelle il peut se faire assister d'un conseil de son choix.

La commission paritaire peut, si elle ne se juge pas suffisamment éclairée sur les faits, procéder à une enquête et entendre des témoins. Le membre du personnel a également le droit de citer des témoins.

La commission délibère hors la présence du membre du personnel intéressé. Elle remet au président de la Banque un avis motivé, auquel chacun de ses membres peut joindre son avis personnel; ces avis sont, en même temps, communiqués par écrit à l'intéressé. Le président rend sa décision, dans les quinze jours suivant la remise de l'avis motivé.»

Faits à l'origine du litige

6.
    Le requérant est entré au service de la Banque le 16 décembre 1994, en tant qu'huissier rattaché à la fonction K avec l'échelon K004.

7.
    Le 28 octobre 1996, la Banque a reçu par fax une lettre datée du 1er octobre 1996, à l'en-tête de la SARL Skit-Ball, située à Marseille, et signée par M. Ingargiola. Elle était rédigée comme suit:

«Banque européenne du développement et d'investissement

A l'attention du chef du personnel: M. Chevlin

Objet: litige concernant une transaction commerciale entre la société Skit-Ball et les personnes citées: M. Yasse Bernard se disant directeur financier, M. Hautem Michel se disant responsable du secteur informatique de cette dite Banque.

Monsieur,

Je vous prierais de bien vouloir intervenir dans un bref délai pour que la somme de 46 500 FF soit réglée à l'ordre de ma société avant d'entamer une poursuite juridique concernant ces deux personnes.

Veuillez trouver ci-jointe la facture d'achat pour ce stand Skit-Ball, le chèque de 46 500 FF qui m'a été rejeté par la Banque d'Andorre ainsi qu'une feuille à en-tête de la société Mon de l'Evasió SL.»

8.
    La lettre était accompagnée de copies des documents suivants:

—     une lettre du 6 septembre 1996 de M. Yasse, à l'en-tête de la société Mon de l'Evasió, «Yasse Bernard, administrateur délégué-Département juridique», «délégation commerciale Benelux, 5 rue de l'Église, L-4994 Schouweiler». Par cette lettre, M. Yasse fournit des renseignements concernant la société Mon de l'Evasió, à savoir un numéro de registre de commerce, un numéro de TVA et l'adresse d'une société intermédiaire;

—     un chèque n° 6 555 542 à l'ordre de la société Skit-Ball tiré sur le compte de la société Mon de l'Evasió ouvert au Crédit Andorrà, signé par M. Yasse en date du 9 septembre 1996, d'un montant de 46 500 FF;

—     une lettre du 27 septembre 1996 adressée à M. Ingargiola, apparemment rédigée et signée par M. Hautem, dans laquelle celui-ci faisait état de certains problèmes que présentait un stand Skit-Ball acquis par la société Mon de l'Evasió;

—     une note de la Société marseillaise de crédit du 30 septembre 1996 avisant la société Skit-Ball du rejet du chèque de 46 500 FF.

    

9.
    Le stand Skit-Ball est un stand mobile pouvant servir à la vente ou à des opérations de publicité, d'information ou d'animation.

10.
    Le requérant et M. Yasse, également huissier à la Banque, sont actionnaires fondateurs, à concurrence de 16 % d'actions chacun, de la société Mon de l'Evasió SL, le reste des actions appartenant à Mme Sanchez Palou, qui en est la présidente . Cette société, constituée à Andorre en avril 1996, a pour activité commerciale l'importation, l'exportation et la vente en gros et au détail de livres, de publications et de matériel publicitaire ainsi que la promotion desdits produits. Le 1er juillet 1996, Mme Sanchez-Palou a donné à l'épouse de M. Hautem tous pouvoirs de gérance de ladite société.

11.
    Par lettre du 4 novembre 1996, la Banque a communiqué au requérant la télécopie de M. Ingargiola du 28 octobre 1998, ainsi que les documents annexés, et lui a demandé de fournir toutes les explications relatives à cette affaire.

12.
    Par courrier du 6 novembre 1996, le requérant a répondu que les allégations contenues dans la télécopie de M. Ingargiola étaient fausses et, en ce qui concerne la lettre du 27 septembre 1996 accompagnant cette télécopie et apparemment rédigée par lui, que son épouse avait utilisé son nom et sa signature pour essayer de régler les problèmes qu'elle avait rencontrés avec la société Skit-Ball.

13.
    La Banque a demandé à la société privée de sécurité International Security Company BV (Interseco) (ci-après «Interseco») de mener une enquête sur cette affaire. Interseco lui a envoyé son rapport le 28 novembre 1996 (ci-après «rapport Interseco»).

14.
    Par lettre du 7 novembre 1996 , la Banque a informé le requérant que, étant donné que sa conduite pouvait constituer une infraction à l'article 4 du règlement du personnel, elle avait décidé de le suspendre de ses fonctions avec effet immédiat, conformément à l'article 39, premier alinéa, du règlement du personnel, pour une durée maximale de trois mois, qui serait mise à profit pour réunir la commission paritaire prévue à l'article 38 dudit règlement. Ladite lettre lui indiquait également que son traitement serait maintenu, mais qu'il lui était interdit d'accéder aux locaux de la Banque.

15.
    Par lettre du 19 novembre 1996 adressée à la Banque , M. Ingargiola est revenu sur les accusations portées dans sa télécopie du 28 octobre 1996 à l'encontre du requérant et de M. Yasse. M. Ingargiola affirmait ainsi que le requérant et M. Yasse n'avaient jamais fait usage d'un titre ou du nom de la Banque et qu'ils n'avaient pas eu de relations commerciales avec la société Skit-Ball pour leur compte ou pour celui de la Banque.

16.
    Conformément à l'article 40 du règlement du personnel, le président de la Banque a saisi la commission paritaire et, simultanément, par lettre du 19 décembre 1996, a communiqué au requérant les faits qui lui étaient reprochés ainsi que la copie des documents sur lesquels ces reproches étaient basés.

17.
    La lettre indiquait que des vérifications avaient été effectuées au sein de la Banque en liaison avec les supérieurs du requérant et de M. Yasse ainsi qu'avec des responsables du département «Technologies de l'information». Les résultats obtenus ont montré, d'une part, l'existence, dans le disque dur de l'ordinateur utilisé par M. Yasse de quatre documents relatifs à des activités extraprofessionnelles et, d'autre part, que des appels téléphoniques avaient été passés par le requérant et par M. Yasse à partir de postes téléphoniques de la Banque.

Les documents trouvés dans la mémoire de l'ordinateur utilisé par M. Yasse se présentaient comme suit:

—    une télécopie, à l'en-tête de «World Escape — Mon de l'Evasió», adressée au Crédit Andorrà, M. Miguel Muntadas, et lui donnant instruction de transférer la somme de 20 000 FF sur le compte de la société Skit-Ball. Sous la rubrique «Expéditeur», il était marqué «Yasse Bernard-administrateur»;

—     une télécopie identique à la précédente en ce qui concerne le format, l'expéditeur, la date et la signature, adressée au palais des expositions, concernant la participation de la société Mon de l'Evasió à une foire commerciale;

—     une télécopie adressée à Mme Schruger, Pegastar SA, datée du 7 novembre 1996, à l'en-tête de World Escape — Mon de l'Evasió et concernant l'envoi de douze livres. Sous la rubrique «Expéditeur», il était marqué «Yasse Bernard-Mon de l'Evasió SL»;

—     une attestation recommandant M. Yasse et le requérant en qualité de clients à l'intention du Crédit Andorrà.

Les relevés des appels téléphoniques montraient que, pendant les mois d'août et de septembre 1996, M. Yasse, à partir de son poste à la Banque, avait appelé la société Skit-Ball cinq fois et le Crédit Andorrà huit fois. Quant au requérant, les relevés indiquaient un appel en août et un appel en septembre à la société Skit-Ball.

18.
    Les griefs retenus à l'encontre du requérant dans la lettre du 19 décembre 1996 étaient:

—    l'exercice d'une activité commerciale en dehors de l'activité professionnelle, en violation de l'article 4 du règlement du personnel, aggravé par le fait d'avoir fait état de son appartenance à la Banque et d'avoir laissé croire que celle-ci était impliquée dans ladite activité;

—    l'accomplissement, pendant les heures de service, d'activités étrangères à l'intérêt de la Banque;

—     l'utilisation du matériel de la Banque;

—     la violation de l'article 1er du règlement du personnel en ce que son attitude n'était pas conforme à celle que l'on doit attendre de la part d'un agent de la Banque, en raison, non seulement de ces comportements, mais aussi du climat douteux qui les entoure;

—     la violation de l'article 5 du règlement du personnel en ce que le requérant n'avait pas déclaré l'activité de son épouse au sein de la société Mon de l'Evasió.

19.
    La lettre du 19 décembre 1996 concluait que l'ensemble des faits mentionnés était considéré, au sens des articles 38 et 39 du règlement du personnel, comme constituant des motifs graves susceptibles d'entraîner le licenciement.

20.
    Par lettre du 9 janvier 1997, le requérant a fait parvenir à la Banque, conjointement avec M. Yasse, sa position sur ces griefs.

21.
    Le 16 janvier 1997, la commission paritaire a procédé à l'audition du requérant puis a délibéré. Le 30 janvier 1997, elle a rendu son avis motivé, prévu à l'article 40 du règlement du personnel, qui a été communiqué au requérant le même jour. En substance, la commission paritaire a retenu les éléments suivants:

—    en premier lieu, elle a relevé une violation de l'article 4 du règlement du personnel. Selon elle, il existait une implication étroite du requérant, conjointement avec M. Yasse, dans l'activité commerciale de la société Mon de l'Evasió. Elle a noté que les comportements du requérant et de M. Yasse montraient qu'ils exerçaient effectivement des responsabilités pour le compte de ladite société, qu'ils ont mêlé la Banque à une affaire qui ne la concernait en rien et qu'ils n'ont pas hésité à utiliser le matériel de la Banque dans l'intérêt d'une entreprise commerciale;

—    en deuxième lieu, elle a relevé une violation de l'article 5 du règlement du personnel en ce que le requérant s'était abstenu de déclarer à la Banque l'activité professionnelle exercée par son épouse;

—    en troisième lieu, elle a estimé que, «eu égard aux comportements rappelés ci-avant mais également au climat douteux qui les entoure», l'attitude du requérant constituait également une violation de l'article 1er du règlement du personnel;

—    elle a conclu, à l'unanimité de ses membres, que les faits reprochés au requérant constituaient un motif grave de licenciement, au sens de l'article 38, troisième alinéa, du règlement du personnel. Elle a estimé toutefois que les faits ne revêtaient pas un caractère de gravité suffisant pour priver l'intéressé de l'allocation de départ.

22.
    Le 31 janvier 1997, le président de la Banque a pris, sur la base de l'avis motivé de la commission paritaire, la décision de licencier le requérant sans préavis, avec maintien de l'allocation de départ, pour violation des articles 1er, 4 et 5 du règlement du personnel (ci-après «décision attaquée»).

23.
    La décision attaquée expose notamment:

«—    Vous avez, avec l'un de vos collègues de travail à la Banque, M. Yasse, fondé une société commerciale du nom de Mon de l'Evasió, enregistrée dans le Principat d'Andorre, et avez, sans en informer la Banque, exercé pour le compte de cette société des activités commerciales.

—    Vous avez fait état, dans l'exercice de vos activités, de votre appartenance à la Banque.

—    Pour les besoins de ces activités commerciales, vous avez utilisé des moyens matériels appartenant à la Banque. Dans certains cas — utilisation de la télécopie — les références propres de la Banque n'ont pas été occultées, pouvant laisser croire à vos correspondants l'implication de celle-ci dans vos activités.

—    Vos explications concernant le revirement d'attitude de M. Ingargiola et votre affirmation selon laquelle vous n'auriez pas envoyé personnellement de fax de la Banque au nom de la société Mon de l'Evasió sont en contradiction avec votre comportement et la logique de compréhension du dossier tels qu'ils ressortent du dossier et des faits de la cause.

—    Vous n'avez pas déclaré à la Banque l'activité de votre épouse au sein de la société Mon de l'Evasió.

—    Après avoir pris en considération l'ensemble de ces éléments, j'estime qu'il existe suffisamment d'indices concordants de nature à établir la réalité de faits en violation avec notre règlement du personnel.

—    Comme l'a relevé la commission paritaire, l'exercice par vous d'une activité commerciale, sans y avoir été autorisé par la Banque, constitue une violation de l'article 4 du règlement du personnel. Cette violation apparaît d'autant plus grave que vous avez fait état dans l'exercice de cette activité commerciale de votre appartenance à la Banque et avez utilisé ses moyens de communication.

—    L'absence de déclaration des fonctions de votre épouse est, quant à elle, constitutive d'une violation de l'article 5 du règlement du personnel.

—    En outre, votre comportement général, tel qu'il résulte des éléments mentionnés ci-dessus, n'est pas conforme à l'attitude que l'on est en droit d'attendre de la part d'un agent de la [Banque] et constitue, dès lors, une violation de l'article 1er du règlement du personnel.

—    Eu égard à ce qui précède, et suivant en cela l'avis unanime de la commission paritaire, je considère que les faits qui vous sont reprochés constituent un motif grave de licenciement, sans préavis, au sens de l'article 38, troisième alinéa, du règlement du personnel, avec toutefois maintien de l'allocation de départ.»

24.
    La décision attaquée, ainsi qu'il a été confirmé par la Banque lors de l'audience publique, ne reproche pas au requérant d'avoir passé des appels téléphoniques à partir des installations de la Banque.

Procédure et conclusions des parties

25.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 avril 1997, le requérant a introduit le présent recours.

26.
    M. Yasse a introduit, le même jour, un recours enregistré sous le numéro T-141/97.

27.
    Par lettre du 15 octobre 1997, le Crédit Andorrà a communiqué à la Banque copies de trois télécopies qui lui avaient été envoyées à partir des installations de celle-ci: une télécopie du 24 septembre 1996 par laquelle M. Yasse lui demandait de retenir le chèque n° 6 555 542 de 46 500 FF à l'ordre de la société Skit-Ball; une lettre du 19 août 1996, envoyée par fax le 24 septembre 1996, à l'en-tête de la Banque et caisse d'épargne de Luxembourg, de recommandation du requérant et de M. Yasse en qualité de clients et une télécopie du 2 octobre 1996, signée par M. Yasse, contenant une instruction de transfert de 20 000 FF sur le compte de la société Skit-Ball.

28.
    Par lettre du 13 janvier 1998, les avocats du requérant, Mes Delvaux de Fenffe et Van Gehuchten, ont informé le Tribunal de leur retrait de l'affaire, en raison de l'impossibilité de poursuivre la défense de leurs clients à la suite de la divergence apparue entre les intérêts du requérant et ceux de M. Yasse.

29.
    Par lettre du 2 février 1998, Me Michel Karp, avocat à Luxembourg, a indiqué au greffe qu'il reprenait l'affaire en qualité du conseil du requérant.

30.
    Par lettre du 8 février 1998 envoyée au greffe du Tribunal, Me Karp a demandé à pouvoir répondre à la duplique.

31.
    Par lettre du 11 février 1998, le greffe l'a informé que sa demande ne pouvait recevoir une suite favorable.

32.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé, d'une part, d'ouvrir la procédure orale et, d'autre part, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues par l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal, de demander à la partie défenderesse de produire une lettre du 12 février 1997 adressée au requérant. La partie défenderesse a produit le document demandé dans le délai qui lui était imparti.

33.
    Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 25 janvier 1999, le requérant a invoqué l'existence de prétendus faits nouveaux.

34.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 4 février 1999. A cette occasion, le Tribunal a décidé, d'une part, de joindre les affaires T-140/97 et T-141/97 aux fins de la procédure orale et, d'autre part, de verser au dossier le mémoire du

requérant du 25 janvier 1999. La procédure orale n'a pas été clôturée pour permettre aux parties de se prononcer sur ce mémoire.

35.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours recevable et fondé;

—    annuler la décision attaquée;

—    ordonner la réintégration du requérant dans ses fonctions;

—    condamner la Banque à payer au requérant:

    a)    en cas de réintégration, une somme de 2 671 632 BFR fixée à titre provisionnel, sous réserve de «parfaire» en cours d'instance, et consistant en des arriérés de rémunération, outre une somme de 1 000 000 BFR à titre de réparation de ses dommages moral et matériel distincts;

    b)    si la réintégration s'avère impossible:

        —    la somme de 1 393 616 BFR correspondant au règlement indemnitaire ordinaire dans l'hypothèse d'un licenciement régulier;

        —    la somme de 34 654 629 BFR correspondant à la perte de son revenu mensuel, sous réserve de «parfaire» ou mieux «préciser» en cours d'instance;

    

        —    la somme de 2 500 000 BFR consistant en l'indemnisation de la perte des taux préférentiels consentis sur les prêts hypothécaires à la construction;

        —    la somme de 1 000 000 BFR en réparation de l'atteinte à la considération professionnelle;

    c)    la somme de 300 000 BFR en sa qualité d'administrateur légal de la personne et des biens de son enfant mineur;

—    condamner la Banque aux dépens;

—    subsidiairement, ordonner diverses mesures d'instruction.

36.
    La Banque conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours irrecevable et non fondé;

—    rejeter la demande d'annulation et la demande d'indemnité.

Dans son mémoire en duplique, la Banque demande au Tribunal de:

—    condamner le requérant, en application de l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, à supporter la totalité des dépens en raison du caractère vexatoire et frustratoire de l'action introduite devant le Tribunal;

—    condamner le requérant à payer un franc symbolique en réparation du préjudice moral subi par la Banque.

37.
    Par décision du président de la cinquième chambre, la procédure orale a été clôturée en date du 22 avril 1999.

Sur le fond

38.
    Le requérant invoque six moyens. Les premier et troisième moyens sont tirés d'une violation des formes substantielles prévues par l'article 40 du règlement du personnel et des principes généraux de droit communs aux États membres, en particulier des droits de la défense. Le deuxième moyen est tiré d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne les faits. Les quatrième et cinquième moyens sont tirés d'une violation du principe de proportionnalité, du principe de protection de la confiance légitime, du principe général d'impartialité et d'une erreur manifeste d'appréciation dans le choix de la sanction. Le sixième moyen est tiré du détournement de pouvoir et de la violation des formes substantielles.

39.
    Il convient d'analyser, en premier lieu, le deuxième moyen qui a trait à l'analyse des faits.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits

Arguments des parties

40.
         Le requérant fait valoir que la Banque a commis une erreur manifeste d'appréciation en ce que la décision attaquée et les délibérations qui la précèdent tiennent pour établis des faits contestés ou donnent aux faits une qualification manifestement erronée. Ainsi, la Banque aurait considéré à tort que le requérant a exercé des activités commerciales pour le compte de la société Mon de l'Evasió, qu'il a utilisé des moyens de la Banque ou le matériel de celle-ci de manière à laisser croire aux correspondants qu'elle était impliquée dans ses activités commerciales et qu'il ne lui a pas déclaré les activités commerciales de son épouse.

41.
    A cet égard, le requérant soutient que sa seule activité au sein de la société Mon de l'Evasió a été de prêter une assistance occasionnelle à son épouse. Dès lors, la

question qui se poserait est celle de savoir si cette assistance occasionnelle peut être assimilée à l'exercice d'une activité commerciale. A supposer que la réponse à cette question soit affirmative, il y aurait alors lieu de déterminer si cette activité commerciale revêt les caractéristiques d'une activité professionnelle.

42.
    Il fait valoir que, son épouse ayant été chargée de la gérance de la société Mon de l'Evasió, il aurait été amené, avec M. Yasse, à lui venir en aide lors de la livraison d'un stand Skit-Ball, en prenant un jour de congé.

43.
    En dehors de cette aide occasionnelle, la Banque ne lui reprocherait que des éléments contestés ou non infractionnels. Ainsi, ne constitueraient pas une infraction au règlement du personnel la qualité d'actionnaire fondateur d'une société, le fait de ne pas déclarer une telle qualité, l'affirmation selon laquelle Mme Hautem était seule habilitée à représenter la société Mon de l'Evasió et la mention de la simple appartenance du requérant à la Banque.

    

44.
    La Banque fait valoir que le requérant a violé les obligations du règlement du personnel. Il découlerait de ces obligations que les agents doivent respecter les principes d'indépendance et de dignité de la fonction qui gouvernent l'exercice d'une fonction publique auprès d'une autorité publique et qui revêtent une importance essentielle pour une autorité bancaire. La violation de telles obligations serait donc passible de sanctions disciplinaires graves, comme la révocation, ainsi que le Tribunal l'aurait récemment confirmé dans son arrêt du 15 mai 1997, N/Commission (T-273/94, RecFP p. II-289).

45.
    Quant à l'argument du requérant selon lequel elle se serait basée sur des faits soit non infractionnels, soit erronés, la Banque rétorque que:

—    le fait d'être actionnaire fondateur d'une société commerciale à caractère familial à laquelle chaque associé apporte sa contribution en tant qu'administrateur de fait dans l'attente d'un profit est un acte commercial qui oblige le requérant à le lui signaler ou, à tout le moins, à refuser de s'impliquer dans une telle société. Lors de l'audience, la Banque a néanmoins reconnu que le fait d'être actionnaire fondateur n'équivalait pas à être administrateur et que, dès lors, ce qui était reproché au requérant était sa participation active au fonctionnement de la société Mon de l'Evasió;

—    Mme Hautem semble ne pas avoir les compétences d'administrateur délégué de la société Mon de l'Evasió et n'être qu'un «prête-nom». En réalité, ce serait son mari et M. Yasse qui agiraient au nom de la société;

—    l'utilisation de l'appartenance à la Banque dans un acte de nature commerciale, avec usurpation de titres, est contraire au règlement du personnel.

46.
    A cet égard, la Banque se base sur les faits et les documents suivants, qui sont contestés par le requérant: a) l'utilisation des moyens de la Banque; b) la lettre du 1er octobre 1996 de M. Ingargiola, envoyée par fax le 28 octobre 1996; c) la lettre du 27 septembre 1996, apparemment rédigée et signée par le requérant, annexée à la télécopie du 28 octobre 1996 et d) la non-déclaration des activités de son épouse.

— Utilisation, à des fins commerciales, des moyens de la Banque

47.
    Le requérant fait valoir que la Banque a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant qu'il avait utilisé des moyens de la Banque ou le matériel de celle-ci, de manière à laisser croire aux correspondants qu'elle était impliquée dans ses activités commerciales.

48.
    En ce qui concerne les modèles de télécopies trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse, le requérant fait valoir, d'une part, que la mémoire de son ordinateur ne contenait aucun élément semblable et, d'autre part, qu'aucun de ces documents, que M. Yasse et lui avaient préparés ensemble, n'a été expédié comme tel. Il s'agirait de modèles facilitant la rédaction par Mme Hautem de télécopies pour le compte de la société Mon de l'Evasió. Les documents réellement faxés seraient joints par le requérant en annexe à sa requête. Ils ne seraient pas signés par M. Yasse mais par Mme Hautem et auraient été envoyés à des dates différentes de celles des modèles.

49.
    En ce qui concerne, plus particulièrement, l'implication de la Banque par l'utilisation de son formulaire de télécopie, le requérant fait valoir que, même s'il a utilisé ledit formulaire, celui-ci a été profondément transformé pour faire apparaître les logos de la société Mon de l'Evasió. A cet égard, le requérant admet que des mentions en marge ou en bas de page sont restées sur lesdits modèles, mais celles-ci n'apparaîtraient pas sur les documents réellement utilisés par la société Mon de l'Evasió. Il n'y aurait, dès lors, pas de mention de nature à impliquer la Banque à l'égard des tiers destinataires.

50.
    Quant à la recommandation trouvée dans l'ordinateur de M. Yasse, celle-ci aurait été adressée par le Crédit Andorrà au requérant et à M. Yasse en vue des formalités de leur souscription, en qualité d'actionnaires minoritaires, au capital de la société Mon de l'Evasió. Il ne s'agirait pas, dès lors, d'un document qui aurait été expédié, mais d'un document qui aurait été reçu puis stocké par M. Yasse dans son fichier personnel.

51.
    La Banque fait valoir que, si l'usage à des fins personnelles de ses moyens de communication n'est pas en soi contraire aux règles de conduite professionnelle,cela le devient lorsque cette utilisation n'est pas occasionnelle, mais systématique et à des fins commerciales.

    

52.
    En ce qui concerne les documents figurant dans la mémoire de l'ordinateur utilisé par M. Yasse, la Banque fait valoir que, s'il s'agissait de «modèles», ils ne comporteraient pas les noms et qualités des signataires. En outre, la Banque aurait eu la preuve, au stade de la duplique, que les documents trouvés dans l'ordinateur de M. Yasse qui étaient adressés au Crédit Andorrà ont été effectivement envoyés et reçus par leur destinataire.

— Lettre du 1er octobre 1996 de M. Ingargiola, envoyée par fax le 28 octobre 1996

53.
    Selon le requérant, il ne s'agit pas d'une lettre mais d'une télécopie expédiée le 28 octobre 1996 et datée du 1er octobre. La communication tardive de cette télécopie serait suspecte étant donné que, depuis le 2 octobre, M. Ingargiola n'avait plus de grief contre la société Mon de l'Evasió puisque, à cette date, il avait reçu paiement d'une somme de 20 000 FF. Quant au destinataire, l'en-tête de la télécopie ne mentionnerait pas la Banque mais la «Banque européenne du développement et d'investissement», ce qui indiquerait que M. Ingargiola connaissait fort peu l'emploi du requérant. De même, la télécopie aurait initialement été destinée à M. Genuardi dont le nom aurait été biffé et remplacé par celui de Mme Chevlin à la suite de multiples coups de téléphone de celle-ci à M. Ingargiola.

54.
    En outre, le requérant fait valoir que la Banque n'a, à tort, accordé aucune foi à la lettre de M. Ingargiola du 19 novembre 1996 dans laquelle il rétracte les accusations portées dans la télécopie susvisée.

55.
    Selon la Banque, M. Ingargiola n'aurait pas seulement envoyé la télécopie du 28 octobre 1996, mais aurait également téléphoné pour qu'elle intervienne auprès du requérant et de M. Yasse en vue du règlement de la facture. Cela montrerait qu'il avait les coordonnées de la Banque et que le requérant lui avait dit qu'il y occupait des fonctions qui n'étaient pas les siennes pour le rassurer sur son sérieux, son «répondant» et ses capacités à conclure des actes commerciaux. Quant au fait que M. Ingargiola, dans sa lettre, n'avait pas usé de la bonne dénomination de la Banque, celle-ci souligne que cette inexactitude n'a pas empêché M. Ingargiola de lui faire parvenir sa télécopie et de lui téléphoner.

56.
    Quant à la deuxième lettre de M. Ingargiola en date du 19 novembre 1996, celle-ci serait suspecte. En effet, elle aurait été écrite après que M. Yasse a indiqué qu'il allait signifier à M. Ingargiola sa «désapprobation sur cette façon de procéder» et serait intervenue après le paiement de la somme de 20 000 FF.

57.
    La Banque fait également valoir que le contenu de la lettre du 1er octobre 1996, envoyée par fax le 28 octobre 1996, a été confirmé par M. Ingargiola lors de l'enquête menée par Interseco à Marseille.

58.
    D'après le requérant, cette affirmation est contraire à la réalité si l'on se réfère au compte rendu dans le rapport Interseco de la déclaration de M. Ingargiola, et non

à la synthèse présentée au début dudit rapport. Ces déclarations concorderaient avec la lettre de rétractation du 19 novembre 1996.

59.
    En effet, d'après le compte rendu du rapport Interseco, M. Ingargiola aurait déclaré, en substance, qu'il avait rencontré Mme Hautem plusieurs fois, qu'elle lui avait indiqué que son mari avait un emploi en rapport avec les ordinateurs, qu'il n'avait vu M. Hautem qu'une seule fois lorsque celui-ci était venu en vacances et que M. Hautem lui avait expliqué travailler comme huissier à la Banque. M. Ingargiola aurait indiqué également s'être entretenu avec M. Hautem par téléphone du paiement du stand Skit-Ball, car Mme Hautem était absente, et qu'il pensait que celui-ci n'intervenait pas dans les affaires de la société Mon de l'Evasió.

«Il y a six ou sept mois, je suis approché par M. Yasse et Mme Hautem. Ils se présentaient comme propriétaires de l'entreprise 'Mon de l'Evasió‘.

J'ai parlé avec Mme Hautem plusieurs fois. Une fois, je parlais avec M. Hautem. J'ai rencontré M. Hautem une fois, quand il était en vacances avec ses enfants dans la région.

A cette occasion, il m'a expliqué qu'il était employé comme huissier à la banque et que sa femme réglait les affaires dans l'entreprise Mon de l'Evasió, avec M. Yasse.

Pendant la communication téléphonique, il me disait que le paiement était retenu parce qu'il y avait des problèmes avec le Skit-ball. M. Hautem redisait que sa femme faisait les affaires, mais elle était absente à ce moment-là. Pour cette raison, il m'écoutait.

[...]

Dans cette lettre, je parle de M. Yasse comme 'directeur financier‘ et de M. Hautem comme 'secteur informatique‘. M. Yasse se faisait passer pour quelqu'un important du département des finances, alors que j'avais présupposé la fonction de M. Hautem.

C'est-à-dire que sa femme à l'occasion avait dit que son mari faisait 'quelque chose avec ordinateurs‘.

[...]

Je veux remarquer que M. Hautem, ainsi que Mme Hautem ne m'ont jamais donné l'impression que c'était comme ça. Au contraire, en parlant avec vous, je réalise que M. Hautem a dit, pendant notre seul rendez-vous, qu'il n'était que huissier à la banque.

[...]

Malgré que M. Hautem a signé une lettre, concernant des problèmes avec le Skit-ball comme 'administrateur-délégué management et marketing‘, j'ai l'impression, qu'il n'a rien à faire avec 'Mon de l'Evasió‘.»

— Lettre du 27 septembre 1996, apparemment rédigée et signée par le requérant, annexée à la télécopie du 28 octobre de M. Ingargiola

60.
    Le requérant souligne que ce document a été établi par son épouse, qui a utilisé son nom et sa signature à son insu.

61.
    Lors de l'audience, le requérant a fait valoir que son épouse a agi ainsi parce que c'est avec lui que M. Ingargiola s'était entretenu par téléphone des problèmes relatifs au stand Skit-Ball, alors qu'elle était absente.

62.
    Selon la Banque, cette lettre, dans laquelle le requérant se présente comme administrateur délégué-management et marketing de la société Mon de l'Evasió, démontrerait, compte tenu du papier à en-tête utilisé et de son contenu, que le requérant a participé à une transaction de nature commerciale.

63.
    Quant à l'allégation selon laquelle Mme Hautem aurait utilisé à l'insu du requérant son nom et sa signature, la Banque soutient qu'elle n'est pas démontrée et qu'elle est démentie par le contexte des faits reprochés au requérant. De plus, si Mme Hautem justifie elle-même l'utilisation du nom et de la signature de son mari par l'influence que ceux-ci pouvaient avoir à l'égard de la société Skit-Ball, cela démontrerait que le requérant était bien connu de cette société soit parce qu'il avait invoqué un titre professionnel qui n'était pas le sien, soit parce qu'il entretenait des relations d'affaires avec celle-ci.

— Non-déclaration des activités de son épouse au sein de la société Mon de l'Evasió

64.
    Le requérant estime que la Banque ne lui a pas laissé le temps de déclarer les activités commerciales de son épouse. Ainsi, il aurait attendu qu'elle ait achevé les formalités nécessaires à l'autorisation par les autorités luxembourgeoises de l'exercice de l'activité d'agent commercial indépendant.

65.
    Selon la Banque, le requérant aurait dû déclarer l'activité professionnelle de son épouse, d'autant plus que la société Mon de l'Evasió avait commencé ses activités depuis un certain temps.

Appréciation du Tribunal

66.
    Le Tribunal doit examiner s'il y a eu une erreur manifeste d'appréciation des faits lors de l'adoption d'une décision infligeant une sanction de révocation. Une telle décision implique nécessairement des considérations délicates de la part de

l'institution, compte tenu des conséquences sérieuses et irrévocables qui en découlent. L'institution dispose, à cet égard, d'un large pouvoir d'appréciation, et le contrôle juridictionnel se limite à une vérification de l'exactitude matérielle des faits retenus et de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation des faits (arrêt N/Commission, précité, point 125).

67.
    Dans la décision attaquée, la Banque retient à l'encontre du requérant divers griefs sans invoquer expressément sur quels éléments ils sont fondés. Néanmoins, dans ses mémoires, la Banque invoque divers documents. Pour établir s'il y a eu une erreur manifeste d'appréciation des faits, il convient donc d'examiner successivement les faits reprochés au requérant ainsi que les documents cités par la Banque à l'appui de ceux-ci.

68.
         En ce qui concerne sa qualité d'actionnaire fondateur de la société Mon de l'Evasió, à concurrence de 16 % d'actions, elle ne constitue pas la preuve de l'exercice d'une activité commerciale. Ainsi que l'a reconnu la Banque lors de l'audience, le fait d'être actionnaire fondateur n'équivaut pas à être administrateur et, dès lors, il y a lieu de vérifier si le requérant participait effectivement à l'activité de la société.

69.
    En ce qui concerne la mention de son appartenance à la Banque, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision attaquée et soutenu par la défenderesse dans ses mémoires, il n'a pas été établi que le requérant ait usurpé des titres de la Banque ou se soit prévalu de son appartenance à celle-ci d'une façon contraire au règlement du personnel. Certes, dans sa lettre envoyée par fax le 28 octobre 1996, M. Ingargiola qualifie le requérant de «responsable du secteur informatique» de la Banque. Toutefois, M. Ingargiola a lui-même reconnu, dans sa déclaration à Interseco, que, lors de leur unique rencontre, le requérant lui avait dit qu'il était «employé comme huissier à la Banque» . En outre, M. Ingargiola affirme: «M. Yasse se faisait passer pour quelqu'un [d'] important du département des finances, alors que j'avais présupposé la fonction de M. Hautem. C'est-à-dire que sa femme à l'occasion avait dit que son mari faisait 'quelque chose avec ordinateurs‘.»

70.
    Quant à l'utilisation des moyens matériels de la Banque à des fins commerciales, il y a lieu de constater que le requérant s'est limité à collaborer avec M. Yasse à la rédaction des quatre documents trouvés dans l'ordinateur de celui-ci. Contrairement à ce que soutient la Banque, cette participation à une telle utilisation par M. Yasse de son ordinateur de bureau ne saurait être qualifiée d'utilisation à des fins commerciales à caractère systématique. De même, le seul fait pour le requérant d'avoir participé à la création de ces documents, même s'il peut être considéré comme une aide à l'exercice d'une activité commerciale, ne saurait être qualifié d'exercice d'une activité professionnelle de nature commerciale au sens de l'article 4 du règlement du personnel. Enfin, et contrairement à ce qui est indiqué dans la décision attaquée, la conduite du requérant ne pouvait pas laisser

croire à l'implication de la Banque dans ses activités. En effet, les documents en cause n'ont pas été envoyés à leurs destinataires par le requérant, et sa signature ne figure sur aucun de ceux-ci.

71.
    Quant aux conséquences à tirer de la lettre de M. Ingargiola envoyée par fax le 28octobre 1996, il y a lieu de relever que, certes, le requérant lui-même a reconnu sa participation à la transaction commerciale dénoncée par M. Ingargiola. Toutefois, celui-ci a déclaré à Interseco que M. Yasse et Mme Hautem s'étaient présentés «comme [les] propriétaires de l'entreprise Mon de l'Evasió», qu'ils avaient un projet de promotion du stand Skit-Ball et qu'ils en avaient acheté un. Il a précisé n'avoir rencontré le requérant qu'une seule fois et que, à cette occasion, celui-ci lui avait expliqué que «sa femme réglait les affaires dans l'entreprise Mon de l'Evasió avec M. Yasse». M. Ingargiola a indiqué également avoir eu l'impression que le requérant «n'a rien à faire avec [la société] Mon de l'Evasió» . Par conséquent, la lettre de M. Ingargiola faxée le 28 octobre 1996 ne saurait constituer une preuve suffisante de l'exercice par le requérant d'une activité professionnelle de nature commerciale.

72.
    S'agissant de la lettre de rétractation de M. Ingargiola du 19 novembre 1996, il convient de souligner que, en ce qui concerne le requérant, son contenu est confirmé par les déclarations de M. Ingargiola précitées et se trouve en cohérence avec celles-ci. En outre, la Banque ne se prévaut d'aucun élément de preuve contraire.

73.
    Quant à la lettre du 27 septembre 1996 imputée au requérant, il y a lieu de relever que celui-ci n'a apporté aucune preuve de nature à démontrer que, comme il le soutient, elle a été écrite et signée par son épouse. En outre, les raisons qui, d'après le requérant, ont conduit Mme Hautem à rédiger cette lettre comme s'il en était l'auteur ne sont pas vraisemblables. En effet, lors de l'audience, le requérant a fait valoir que son épouse aurait cru préférable d'agir ainsi parce que c'est lui qui avait répondu à l'appel téléphonique de M. Ingargiola relatif au stand Skit-Ball. M. Ingargiola, pour sa part, a confirmé l'existence de cette conversation téléphonique avec le requérant, au cours de laquelle celui-ci avait déclaré que sa femme, en charge de cette affaire, était absente à ce moment-là. Or, il est illogique d'admettre que, si, le 24 septembre, le requérant a fait cette déclaration à M. Ingargiola, Mme Hautem ait cru devoir rédiger la lettre adressée à celui-ci le 27 septembre, c'est-à-dire trois jours plus tard, et relative au stand Skit-Ball, comme si elle émanait de son mari en qualité d'«administrateur délégué, management et marketing» de la société Mon de l'Evasió. Par conséquent, la lettre du 27 septembre 1996, à supposer qu'elle ait été écrite et signée par Mme Hautem, confirme bien la participation du requérant à cette opération commerciale. En revanche, elle n'est pas de nature à établir que le requérant ait exercé une activité professionnelle de nature commerciale.

74.
    Par ailleurs, force est de constater que, tant les documents annexés à la lettre de M. Ingargiola envoyée par fax le 28 octobre 1996, à savoir la lettre du 6 septembre

1996 de M. Yasse et le chèque n° 6 555 542, signés par ce dernier, que les documents présentés par la Banque en annexe à la duplique, à savoir les télécopies du 24 septembre et du 2 octobre 1996, toutes les deux signées par M. Yasse, n'établissent nullement l'exercice par le requérant d'activités commerciales.

75.
    Il découle de tout ce qui précède que les éléments de preuve apportés par la Banque, considérés dans leur ensemble, démontrent que le requérant, ainsi qu'il l'a lui-même reconnu, a prêté une assistance occasionnelle tant à son épouse qu'à M. Yasse dans l'exercice d'une activité commerciale et qu'il a participé à une opération commerciale — à savoir l'achat d'un stand Skit Ball par la société Mon de l'Evasió. Toutefois, en raison de son caractère occasionnel et de sa portée limitée, cette collaboration du requérant ne saurait être qualifiée d'exercice d'une activité professionnelle de nature commerciale au sens de l'article 4 du règlement du personnel. De même, il n'est pas prouvé que le requérant se soit prévalu de son appartenance à la Banque, qu'il l'ait impliquée ni qu'il ait personnellement utilisé les moyens matériels de celle-ci.

76.
    Il en résulte que la Banque a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits. Partant, le recours doit être accueilli et la décision attaquée annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner le grief tenant à la non-déclaration par le requérant de l'activité de son épouse au sein de la société Mon de l'Evasió ni les autres moyens soulevés à l'appui du présent recours en annulation.

77.
    Le Tribunal étant compétent, selon l'article 41 du règlement du personnel, pour statuer sur les différends de toute nature d'ordre individuel entre la Banque et ses agents, il convient d'appliquer, par analogie, la règle contenue dans l'article 91, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, selon laquelle le Tribunal a une compétence de pleine juridiction dans les litiges de caractère pécuniaire. Dès lors, il y a lieu de condamner la Banque à payer au requérant l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement.

Sur les demandes en indemnité introduites par le requérant

Arguments des parties

78.
    Le requérant fait valoir que, dans l'hypothèse où l'action en annulation serait accueillie par le Tribunal et où il serait, dès lors, réintégré dans son emploi à la Banque, son préjudice matériel comprendrait l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis la date de la rupture irrégulière de son contrat. Il aurait également subi des dommages matériel et moral constitués par l'atteinte à sa considération et à sa réputation professionnelle, ainsi que par la perte d'une chance de promotion ou de gain d'échelon, justifiant l'octroi d'une somme de 1 000 000 BFR. Enfin, il réclame pour le compte de son fils mineur, en qualité d'administrateur légal de la personne et des biens de celui-ci, une somme de

300 000 BFR en réparation du préjudice résultant des troubles de santé causés à ce dernier par son licenciement.

79.
    La Banque fait valoir, à titre principal, qu'à défaut de toute faute de sa part depuis l'ouverture de la procédure disciplinaire jusqu'à son aboutissement le requérant ne peut se prévaloir d'aucun droit à réparation quelconque, ni à titre matériel ni à titre moral.

80.
    A titre subsidiaire, la Banque conteste les préjudices allégués par le requérant, tant dans leur existence que dans leur évaluation.

Appréciation du Tribunal

81.
    Pour ce qui est du préjudice constitué, selon le requérant, par la perte d'une chance de promotion ou de gain d'échelon, il y a lieu de relever que l'annulation de la décision attaquée a pour effet de replacer le requérant dans la situation dans laquelle il se trouvait avant son licenciement. Dès lors, la réalité du préjudice allégué n'est pas démontrée.

82.
    En ce qui concerne le préjudice moral constitué par l'atteinte à sa considération et à sa réputation professionnelle prétendument subi par le requérant, il convient de rappeler que l'annulation de l'acte de l'administration attaqué par un fonctionnaire constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout le préjudice moral que celui-ci peut avoir subi (arrêt de la Cour du 7 février 1990, Culin/Commission, C-343/87, Rec. p. I-225, points 25 à 29, et arrêt du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T-37/89, Rec. p. II-463, point 83). En l'espèce, l'annulation de la décision de la Banque constitue une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral qu'a pu subir le requérant (voir arrêt de la Cour du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, Rec. p. 3259, et arrêt Hanning/Parlement, précité, point 83).

83.
    Pour ce qui est du préjudice prétendument subi par le fils mineur du requérant, il y a lieu de souligner que l'engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 16 décembre 1987, Delauche/Commission, 111/86, Rec. p. 5345, point 30; arrêts du Tribunal du 9 février 1994, Latham/Commission, T-3/92, RecFP p. II-83, point 63, et du 15 février 1996, Ryan-Sheridan/FEACVT, T-589/93, RecFP p. II-77, point 141).

84.
    Quant à l'existence du préjudice invoqué, le requérant se limite à présenter une note d'honoraires du médecin traitant de son fils pour un montant de 765 BFR. Il ne fournit aucune justification ni aucune explication à l'appui de sa demande d'une somme de 300 000 BFR.

85.
    Enfin, il convient de souligner qu'un lien de causalité au sens de l'article 215, deuxième alinéa, du traité est admis lorsqu'il existe une relation directe de cause à effet entre la faute commise par l'institution concernée et le préjudice invoqué, et qu'il appartient aux requérants d'en apporter la preuve (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission, T-168/94, Rec. p. II-2627, point 40, et du 30 septembre 1998, Coldiretti e. a./Conseil et Commission, T-149/96, Rec. p. II-3841, point 101).

86.
    En l'espèce, rien dans le dossier ne permet de conclure que les problèmes de santé du fils du requérant trouvent leur cause dans le licenciement de celui-ci.

87.
    Les demandes en indemnité doivent, dès lors, être rejetées.

Sur la demande en indemnité introduite par la Banque

88.
    Dans sa duplique, la Banque demande la condamnation du requérant au paiement d'un franc symbolique en réparation du préjudice moral subi du fait que le requérant l'aurait accusée d'avoir produit des faux et d'avoir eu une conduite frauduleuse, tout en ayant eu lui-même un comportement visant à tromper le Tribunal.

89.
    Le règlement de procédure ne prévoit pas la possibilité pour la défenderesse dans le cadre d'un recours en annulation de former une demande reconventionnelle. Partant, le déroulement de cette demande doit respecter les règles de procédure établies dans le titre II, chapitre premier «sur la procédure écrite», du règlement de procédure.

90.
    Il s'ensuit que la demande en indemnité doit être rejetée comme irrecevable.

Sur les mesures d'instruction demandées par le requérant

91.
    Le requérant demande au Tribunal qu'il fasse usage des pouvoirs d'enquête que lui reconnaissent les articles 68 et suivants de son règlement de procédure et qu'il ordonne l'audition de plusieurs témoins, à savoir les enquêteurs d'Interseco, Mme Hautem et les membres de la commission paritaire. De même, il demande au Tribunal d'ordonner, en vertu des articles 65 et suivants dudit règlement de procédure, la production de certains documents, à savoir le relevé de toutes les communications téléphoniques en provenance de la Banque vers le numéro d'appel de M. Ingargiola ou celui de la société Skit-Ball, pour la période du 1er octobre au 28 octobre 1996, et les télécopies qui auraient effectivement été reçues par le Crédit Andorrà, le palais des expositions et la société Pegastar.

92.
    Il appartient au Tribunal d'apprécier l'utilité de telles mesures (voir l'arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Affatato/Commission, T-157/96, RecFP p. II-97, point

57). Or, après avoir examiné ces mesures au regard des moyens et argumentsinvoqués, le Tribunal est parvenu à la conclusion qu'elles ne sont ni pertinentes ni nécessaires pour statuer sur le présent litige et, partant, qu'il n'y a pas lieu d'y recourir.

93.
    Les demandes du requérant tendant à ce qu'il soit ordonné des mesures d'instruction doivent, dès lors, être rejetées dans leur intégralité.

Sur les dépens

94.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Banque ayant succombé en l'essentiel de ses conclusions, il y a lieu, eu égard aux conclusions du requérant, de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1.
    La décision de la Banque européenne d'investissement du 31 janvier 1997, par laquelle le requérant a été révoqué sans perte de l'allocation de départ, est annulée.

2.
    La Banque européenne d'investissement est condamnée à payer au requérant l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement.

3.
    Les demandes en indemnité introduites par le requérant sont rejetées.

4.
    La demande en indemnité introduite par la Banque européenne d'investissement est rejetée comme irrecevable.

5.
    La Banque européenne d'investissement supportera ses propres dépens, ainsi que ceux du requérant.

Cooke
García-Valdecasas
Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 septembre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. D. Cooke


1: Langue de procédure: le français.