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ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

13 décembre 2017 (*) (1)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Délai de recours – Délai raisonnable – Pensions – Réforme de 2008 – Nature contractuelle de la relation de travail – Proportionnalité – Obligation de motivation – Sécurité juridique – Responsabilité – Préjudice moral »

Dans l’affaire T‑482/16 RENV,

Oscar Orlando Arango Jaramillo, agent de la Banque européenne d’investissement, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), et les autres agents de la Banque européenne d’investissement dont les noms figurent en annexe (2), représentés par Mes C. Cortese et B. Cortese, avocats,

parties requérantes,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée initialement par MM. C. Gómez de la Cruz et T. Gilliams, puis par MM. Gilliams et G. Nuvoli et enfin par M. Gilliams et Mme G. Faedo, en qualité d’agents, assistés de Me P.-E. Partsch, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation des décisions de la BEI, contenues dans les bulletins de rémunération des requérants du mois de février 2010, d’augmenter leurs cotisations au régime des pensions et, d’autre part, à la condamnation de la BEI au versement d’un euro symbolique, à titre de réparation du préjudice moral que les requérants auraient prétendument subi,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. M. Prek (rapporteur), président, E. Buttigieg et Mme M. J. Costeira, juges,

greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 5 mai 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La présente procédure fait suite à l’arrêt du 9 juillet 2013, Arango Jaramillo e.a./BEI (T‑234/11 P RENV–RX, ci-après l’« arrêt sur pourvoi après réexamen », EU:T:2013:348), par lequel le Tribunal (chambre des pourvois) a annulé l’ordonnance du 4 février 2011, Arango Jaramillo e.a./BEI (F‑34/10, ci-après l’« ordonnance annulée », EU:F:2011:7), et renvoyé l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne.

2        L’arrêt sur pourvoi après réexamen faisait suite à l’arrêt du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI (C‑334/12 RX–II, ci-après l’« arrêt de réexamen » EU:C:2013:134), par lequel la Cour, après avoir constaté que l’arrêt du 19 juin 2012, Arango Jaramillo e.a./BEI (T‑234/11 P, ci-après l’« arrêt réexaminé », EU:T:2012:311), ayant pour objet un pourvoi formé contre l’ordonnance annulée, portait atteinte à la cohérence du droit de l’Union européenne, avait annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

I.      Faits à l’origine du litige

3        Les requérants, M. Oscar Orlando Arango Jaramillo et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, sont des agents de la Banque européenne d’investissement (BEI).

4        Au mois de juin 2003, un actuaire indépendantde la BEI a rendu un premier rapport établissant que la dette actuarielle du régime des pensions de la BEI atteignait 522 millions d’euros.

5        Le 12 octobre 2004, la BEI a informé l’ensemble de son personnel de son intention de procéder à une réforme de son système de rémunération.

6        À la suite de nombreuses réunions entre le collège des représentants du personnel (ci-après le « collège RP ») et le service des ressources humaines de la BEI (ci-après le « service RH »), le conseil d’administration de celle-ci a présenté, le 19 octobre 2006, un document traçant les grandes lignes du nouveau système de rémunération envisagé. Le 12 décembre 2006, le conseil d’administration a approuvé la méthodologie proposée pour ce nouveau système.

7        Dans un nouveau rapport de décembre 2006, à la suite de l’adoption de nouvelles normes comptables, l’actuaire indépendant (voir point 4 ci-dessus) a chiffré le déficit du régime des pensions de la BEI à 1 031 millions d’euros.

8        Dans un rapport du 21 mai 2007, un cabinet d’audit et de conseila évalué le déficit actuariel du régime des pensions de la BEI à 201 millions d’euros. Ce rapport relevait que le coût annuel dudit régime des pensions, estimé à 55 millions d’euros, augmenterait à l’avenir, compte tenu notamment de l’évolution naturelle des cotisations et de celle des intérêts de la dette.

9        Par la note du 22 mai 2007, le secrétaire général de la BEI a informé le personnel que la BEI devait veiller à combler ce déficit.

10      En septembre 2007, à la suite de la décision du conseil d’administration d’approuver la méthodologie proposée pour le nouveau système de rémunération (voir point 6 ci-dessus), 434 agents de la BEI ont introduit des demandes de conciliation en vertu de l’article 41 du règlement du personnel applicable aux agents de la BEI (ci-après le « règlement du personnel »). Ces agents ont investi le collège RP d’un mandat de représentation afin de défendre leurs intérêts face à l’administration de la BEI.

11      Le 2 juin 2008, le collège RP et la BEI ont adopté pour cette conciliation un « cadre procédural », qui comprenait, en annexe, un « accord-cadre », ce dernier prévoyant la possibilité de mesures compensatoires applicables aux agents alors en service à la suite de la réforme des rémunérations, notamment dans le domaine des pensions, sous réserve de l’avis des experts externes que les parties devaient désigner d’un commun accord. La procédure de conciliation, qui, selon l’accord-cadre, devait se terminer avant trois mois, a été prolongée deux fois, la seconde prolongation ayant fixé comme terme la date du 10 mars 2009.

12      Le 18 mars 2009, un protocole d’accord entre la représentation du personnel et l’administration de la BEI a été adopté (ci-après le « protocole d’accord »). Les annexes 2 et 3 dudit protocole prévoyaient, respectivement, une matrice de transition et des mesures compensatoires pour les agents en service au 31 décembre 2008.

13      Le personnel de la BEI a été informé de l’adoption du protocole d’accord par le président de la BEI dans une note au personnel du 24 mars 2009. Les mesures contenues dans le protocole d’accord et dans ses annexes ont été présentées au personnel par la lettre d’information no 18 du service RH du mois de mars 2009.

14      Le 27 novembre 2009, à la suite de plusieurs réunions du comité du régime des pensions et sur la base des recommandations de celui-ci, le comité de direction de la BEI a, sur le fondement du pouvoir délégué par le conseil d’administration le 23 septembre 2008, adopté la réforme des pensions concernant le personnel entré en service avant le 31 décembre 2008, dont font partie les requérants. L’adoption de la réforme en ce qui concerne cette catégorie d’agents a été différée par rapport à la réforme concernant le personnel entré en service après cette date afin de pouvoir prendre en compte les mesures transitoires et compensatoires de la réforme des rémunérations.

15      Le personnel a été informé de cette adoption par la note du directeur du service RH de la BEI du 14 décembre 2009 (ci-après la « note du 14 décembre 2009). Dans cette note, il a été précisé que, pour le personnel entré en service avant le 31 décembre 2008, les dispositions applicables étaient contenues dans le règlement transitoire du régime des pensions (Transitional Pension Scheme Regulations, ci-après le « règlement transitoire »). Cette note contenait également un lien vers le texte du règlement transitoire sous forme d’une version comparée avec le règlement applicable au personnel entré en service après le 31 décembre 2008 ainsi que vers la matrice de transition déjà présentée auparavant.

16      Depuis le 1er janvier 2007, les bulletins de rémunération des agents de la BEI ne sont plus édités sur papier, mais sur support électronique. Les bulletins de rémunération sont introduits chaque mois dans le système informatique Peoplesoft de la BEI et sont ainsi consultables par chaque agent à partir de son ordinateur professionnel.

17      Le samedi 13 février 2010, les bulletins de rémunération du mois de février 2010 ont été introduits dans le système informatique Peoplesoft. Ces bulletins mettaient en évidence, par rapport aux bulletins du mois de janvier 2010, une hausse du taux des contributions au régime des pensions, hausse résultant de décisions prises par la BEI dans le cadre de la réforme du régime des pensions de ses agents.

II.    Procédure en première instance et ordonnance annulée

18      Par requête parvenue au greffe du Tribunal de la fonction publique le 26 mai 2010, les requérants ont introduit un recours, enregistré sous le numéro F‑34/10, tendant, d’une part, à l’annulation de leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010, en ce qu’ils révélaient les décisions de la BEI d’augmenter leurs cotisations au régime des pensions, et, d’autre part, à la condamnation de la BEI au versement d’un euro symbolique, à titre de réparation de leur préjudice moral.

19      Par acte séparé adressé au greffe du Tribunal de la fonction publique le 20 juillet 2010, la BEI a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 78 du règlement de procédure de celui-ci et a demandé à ce dernier de statuer sur l’irrecevabilité du recours, sans engager le débat sur le fond.

20      Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants ont notamment fait valoir que, au regard des circonstances particulières de l’espèce, en particulier de l’absence de toute disposition textuelle relative aux délais de recours des agents de la BEI, l’application stricte du délai de recours de droit commun de trois mois et dix jours aurait pour effet de porter atteinte à leur droit à un recours effectif (ordonnance annulée, point 18).

21      Par l’ordonnance annulée, adoptée en application de l’article 78 du règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, ce dernier a, sans engager la phase orale de la procédure et sans joindre l’exception d’irrecevabilité au fond, rejeté le recours comme étant irrecevable du fait de sa tardiveté.

22      Ainsi que cela ressort des points 15 et 16 de l’ordonnance annulée, le Tribunal de la fonction publique a considéré que, compte tenu, d’une part, du fait que les agents concernés n’ont pris connaissance du contenu de leurs bulletins de rémunération relatifs au mois de février 2010 que le lundi 15 février 2010 et, d’autre part, du délai de distance forfaitaire de dix jours, lesdits agents disposaient, pour introduire un recours, d’un délai expirant le mardi 25 mai 2010.

23      Or, le Tribunal de la fonction publique a observé, au point 17 de ladite ordonnance, que le recours des agents concernés n’était parvenu par voie de messagerie électronique à son greffe que durant la nuit du mardi 25 au mercredi 26 mai 2010, plus précisément le 26 mai 2010 à 0 heure.

24      Par l’ordonnance annulée, le Tribunal de la fonction publique a rejeté le recours comme irrecevable. Il a jugé, en substance, que, le délai de recours ayant expiré le 25 mai 2010, le recours des agents concernés, parvenu par la voie électronique au greffe le 26 mai suivant à 0 heure, était tardif et, partant, irrecevable. Il a écarté les arguments desdits agents tirés, d’une part, d’une atteinte à leur droit à un recours juridictionnel effectif et, d’autre part, de l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure.

III. Pourvoi devant le Tribunal

25      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2011, les requérants ont formé un pourvoi, au titre de l’article 9 de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, contre l’ordonnance annulée, lequel a été enregistré sous le numéro T‑234/11 P.

26      Dans le cadre de ce pourvoi, les requérants ont demandé au Tribunal d’annuler cette ordonnance, de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BEI dans l’affaire F‑34/10 et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique, pour qu’il statue sur le fond.

27      Après avoir constaté qu’aucune demande de fixation d’une audience n’avait été présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal a statué sur le litige sans phase orale.

28      À l’appui de leur pourvoi, les requérants ont invoqué trois moyens, le premier à titre principal et les deux autres à titre subsidiaire. Le premier moyen était tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « délai raisonnable » pour l’introduction du recours en première instance, et notamment de la violation du principe de proportionnalité ainsi que de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective. Le deuxième moyen était pris d’une erreur de droit dans l’interprétation des règles procédurales applicables, notamment celles relatives à l’existence d’un cas fortuit. Le troisième moyen était tiré d’une dénaturation des éléments soumis au Tribunal de la fonction publique pour prouver l’existence d’un cas fortuit, ainsi que d’une violation des règles relatives aux mesures d’instruction et d’organisation de la procédure en première instance.

29      Dans l’arrêt réexaminé, le Tribunal a rejeté le pourvoi au motif que les moyens ainsi invoqués par les requérants étaient, pour partie, irrecevables et, pour le reste, non fondés.

30      Aux fins de rejeter le premier moyen du pourvoi, invoqué à titre principal, le Tribunal a jugé que le Tribunal de la fonction publique avait correctement appliqué à la situation des requérants, dans l’ordonnance annulée, une règle selon laquelle, par analogie avec le délai de recours prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), un délai de trois mois devait, en principe, être considéré comme raisonnable pour l’introduction, par un agent de la BEI, d’un recours en annulation d’un acte de cette dernière lui faisant grief (arrêt réexaminé, point 27).

31      Au même point 27 de l’arrêt réexaminé, le Tribunal en a déduit « a contrario […] que tout recours introduit par un agent de la BEI après l’expiration d’un délai de trois mois, augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours, doit, en principe, être considéré comme ayant été introduit dans un délai non raisonnable ». Il a ajouté que cette interprétation a contrario est admissible « dès lors que seule une application stricte des règles de procédure fixant un délai de forclusion permet de répondre à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice ».

32      Au point 30 dudit arrêt, le Tribunal a écarté l’argumentation des agents concernés selon laquelle le Tribunal de la fonction publique aurait substitué à l’application du principe du respect du délai raisonnable, par sa nature même flexible et ouvert à la mise en balance concrète des intérêts en jeu, un délai précis, d’application stricte et généralisée, de trois mois. Il a considéré, notamment, que le Tribunal de la fonction publique s’était borné à appliquer « une règle de droit […] qui découl[ait] clairement et précisément d’une lecture a contrario de la jurisprudence » du Tribunal citée au point 27 dudit arrêt, règle qui faisait une application spécifique du principe du respect du délai raisonnable aux litiges entre la BEI et ses agents, lesquels présentaient de larges similitudes avec les litiges entre l’Union et ses fonctionnaires et agents. Le Tribunal a ajouté que « ladite règle, qui repos[ait] sur une présomption générale selon laquelle un délai de trois mois [était], en principe, suffisant pour permettre aux agents de la BEI d’évaluer la légalité des actes de cette dernière leur faisant grief et pour préparer, le cas échéant, leurs recours, n’impos[ait] pas au juge de l’Union chargé de l’appliquer de tenir compte des circonstances de chaque espèce et, notamment, de procéder à une mise en balance concrète des intérêts en jeu ».

33      Aux points 33 à 35 de l’arrêt réexaminé, le Tribunal s’est référé à ce raisonnement relatif à la détermination du délai de recours pour exclure tant la prise en compte de la survenance alléguée d’une panne électrique qui aurait retardé l’envoi de la requête que la circonstance que la BEI aurait omis d’exercer sa responsabilité réglementaire concernant la fixation de délais de recours précis ainsi que certaines autres circonstances spécifiques au cas d’espèce invoquées par les agents concernés.

34      Aux points 41 à 43 dudit arrêt, le Tribunal a également écarté l’argumentation des agents concernés tirée de la violation du principe de proportionnalité et du droit à une protection juridictionnelle effective.

35      Enfin, le Tribunal a, aux points 51 à 58 de l’arrêt réexaminé, rejeté le moyen des agents concernés tiré du refus du Tribunal de la fonction publique de qualifier de cas fortuit ou de force majeure les circonstances les ayant conduits à introduire leur recours tardivement. Aux points 59 à 66 du même arrêt, le Tribunal a, de même, refusé de faire droit au moyen desdits agents tiré d’une dénaturation des éléments de preuve relatifs à l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure.

IV.    Réexamen par la Cour

36      À la suite de la proposition du premier avocat général, la Cour (chambre spéciale prévue à l’article 123 ter du règlement de procédure de la Cour, dans sa version applicable à la date de la proposition) a considéré, par décision du 12 juillet 2012 (C‑334/12 RX), qu’il y avait lieu de procéder au réexamen. Aux termes de cette dernière décision, le réexamen devait porter sur les questions de savoir, d’une part, si l’arrêt réexaminé portait atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union, en ce que le Tribunal, en tant que juridiction de pourvoi, avait interprété la notion de « délai raisonnable », dans le contexte de l’introduction d’un recours en annulation par les agents de la BEI à l’encontre d’un acte émanant de cette dernière qui leur faisait grief, comme un délai dont le dépassement emportait le caractère tardif et, partant, l’irrecevabilité du recours, sans que le juge de l’Union eût à tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce, et, d’autre part, si cette interprétation de la notion de « délai raisonnable » n’était pas de nature à porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

37      Dans l’arrêt de réexamen, la Cour a annulé l’arrêt réexaminé, après avoir jugé que celui-ci portait effectivement atteinte à la cohérence du droit de l’Union, en ce que le Tribunal, en qualité de juridiction de pourvoi, avait interprété la notion de « délai raisonnable », dans le contexte de l’introduction d’un recours en annulation par des agents de la BEI à l’encontre d’un acte émanant de cette dernière qui leur faisait grief, comme un délai d’une durée de trois mois dont le dépassement entraînait automatiquement le caractère tardif du recours et, partant, l’irrecevabilité de celui-ci, sans que le juge de l’Union ait été tenu de prendre en considération les circonstances du cas d’espèce (arrêt de réexamen, points 26, 27 et 54).

38      La Cour a également jugé que cette dénaturation de la notion de délai raisonnable avait placé les agents concernés dans l’impossibilité de défendre leurs droits afférents à leur rémunération au moyen d’un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux (arrêt de réexamen, point 45).

39      Toutefois, considérant que la solution définitive de la question de la recevabilité du recours des requérants, en particulier le point de savoir si ce recours avait été introduit dans un délai raisonnable, au sens de la jurisprudence qui est conforme au principe du droit à un recours effectif, ne découlait pas des constatations de fait sur lesquelles était fondé l’arrêt réexaminé, la Cour a jugé ne pas pouvoir statuer elle-même définitivement sur le litige, en vertu de l’article 62 ter du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Par conséquent, tout en statuant sur les dépens afférents à la procédure de réexamen, la Cour a renvoyé l’affaire devant le Tribunal, aux fins de l’appréciation, au regard de l’ensemble des circonstances propres de l’affaire, du caractère raisonnable du délai dans lequel les requérants avaient introduit leur recours devant le Tribunal de la fonction publique (arrêt de réexamen, points 56 à 59).

V.      Pourvoi devant le Tribunal après réexamen

40      Conformément à l’article 121 bis du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, l’arrêt de réexamen a eu pour effet de saisir de nouveau le Tribunal du pourvoi dans la présente procédure.

41      Dans leurs observations sur les conclusions à tirer de l’arrêt de réexamen, pour la solution du litige, les requérants ont conclu, notamment, à ce que le Tribunal accueillît le premier moyen du pourvoi et annulât, sur ce fondement, l’ordonnance annulée, au motif que leur recours devant le Tribunal de la fonction publique avait été introduit dans un délai raisonnable au regard de l’ensemble des circonstances propres de l’affaire (arrêt sur pourvoi après réexamen, point 21). La BEI a conclu, notamment, à ce que le Tribunal, à titre principal, renvoyât l’affaire au Tribunal de la fonction publique et, à titre subsidiaire, à ce qu’il rejetât le pourvoi, après avoir confirmé le caractère irrecevable du recours introduit par les requérants devant le Tribunal de la fonction publique du fait de sa tardiveté, au motif que ce recours avait été introduit dans un délai qui n’apparaissait pas raisonnable au regard de l’ensemble des circonstances propres de l’affaire (arrêt sur pourvoi après réexamen, point 20).

42      Par l’arrêt sur pourvoi après réexamen, le Tribunal a accueilli la première branche du premier moyen invoquée par les requérants à l’appui de leur pourvoi, tirée d’une erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique, dans l’ordonnance annulée, dans l’interprétation de la notion de « délai raisonnable » pour l’introduction du recours en première instance. Par conséquent, et sans même qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen et sur les deuxième et troisième moyens, il a fait droit aux conclusions du pourvoi et annulé l’ordonnance annulée. En outre, en considérant que le litige n’était pas en état d’être jugé, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique, aux fins qu’il statue de nouveau sur le recours (arrêt sur pourvoi après réexamen, points 22, 35 et 36).

VI.    Procédure en première instance après renvoi

43      Par lettre du 8 août 2013, le greffe du Tribunal de la fonction publique a, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, invité les parties requérantes à présenter leurs observations écrites sur l’arrêt sur pourvoi après réexamen.

44      Le 27 septembre 2013, les requérants ont déposé au greffe du Tribunal de la fonction publique leurs observations et une demande de suspension.

45      Par lettre du 3 octobre 2013, le greffe du Tribunal de la fonction publique a accusé réception de ces observations et a informé les requérants que la demande de suspension serait traitée ultérieurement. Le même jour, il a transmis les observations des requérants à la BEI, en l’informant du délai pour le dépôt de ses observations. La BEI a déposé ses observations le 12 novembre 2013.

46      Par lettres du 14 avril 2014, le greffe du Tribunal de la fonction publique a informé les parties de sa décision de joindre l’exception d’irrecevabilité au fond et a invité la BEI à présenter un mémoire en défense.

47      Le 21 mai 2014, la BEI a déposé son mémoire en défense.

48      Le 11 juillet 2014, les requérants ont déposé leur réplique.

49      Le 22 août 2014, le BEI a déposé sa duplique.

50      Par lettres du 19 décembre 2014 et du 26 janvier 2015, les représentants des requérants ont informé le Tribunal de la fonction publique du décès de l’un des requérants, Mme Sara Confortola, ainsi que du fait que ses ayants droit ne souhaitaient pas poursuivre l’instance.

51      Par ordonnance du 6 février 2015, Arango Jaramillo e.a./BEI (F‑34/10 RENV–RX, non publiée, EU:F:2015:6), les parties entendues, la procédure devant le Tribunal de la fonction publique a été suspendue jusqu’au prononcé des décisions du Tribunal mettant fin à l’instance dans les affaires T‑240/14 P, Bodson e.a./BEI, et T‑241/14 P, Bodson e.a./BEI.

52      Par lettres du 4 mars 2016, le greffe du Tribunal de la fonction publique a informé les parties que, à la suite du prononcé des arrêts du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI (T‑241/14 P, EU:T:2016:103), et du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI (T‑240/14 P, EU:T:2016:104), la procédure avait été reprise et les a invitées à présenter leurs observations sur les conséquences éventuelles à tirer de ces arrêts.

53      Les requérants ont déposé leurs observations le 25 avril 2016. Le 1er juin 2016, le greffe du Tribunal de la fonction publique a informé la BEI de sa décision de ne pas verser au dossier les observations que celle-ci avait déposées tardivement.

54      Par ordonnance du 21 juillet 2016, Arango Jaramillo e.a./BEI (F‑34/10 RENV–RX, non publiée, EU:F:2016:186), le nom de Mme Confortola a été radié de la liste des requérants.

55      En application de l’article 3 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137), l’affaire F‑34/10 RENV-RX a été transférée au Tribunal dans l’état où elle se trouvait à la date du 31 août 2016. Elle a été enregistrée sous le numéro T‑482/16 RENV et attribuée à la deuxième chambre.

56      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 5 mai 2017.

VII. Conclusions des parties

57      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité de la BEI ;

–        à titre subsidiaire, joindre l’exception d’irrecevabilité au fond ;

–        annuler les décisions de la BEI contenues dans leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010 qui augmentent leur cotisation au système des pensions à travers l’augmentation, d’une part, de la base de calcul de ladite cotisation et, d’autre part, du coefficient de calcul, exprimé en pourcentage dudit traitement soumis à retenue ;

–        condamner la BEI au versement d’un euro symbolique, au titre de réparation du dommage moral qu’ils auraient subi ;

–        condamner la BEI aux dépens.

58      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation comme étant irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter la demande en annulation comme non fondée ;

–        partant, rejeter la demande en indemnité ;

–        condamner les requérants aux dépens.

VIII. En droit

A.      Sur la recevabilité du recours

59      Les requérants soutiennent que, en prenant en compte toutes les circonstances de l’espèce, le recours a été introduit dans un délai raisonnable. La présente affaire serait complexe et son enjeu serait important. En outre, le BEI n’aurait pas fixé de délais réglementaires de recours. Elle n’aurait pas non plus correctement communiqué au personnel le texte de la réforme des pensions. Enfin, leur comportement n’aurait été ni déraisonnable ni fautif.

60      La BEI conteste cette argumentation. Selon elle, la complexité et l’enjeu de la présente affaire ne justifient pas la recevabilité du recours. En outre, les requérants n’auraient pas fait preuve de la diligence nécessaire. Enfin, le personnel aurait été informé de façon claire et précise de la réforme avant son entrée en vigueur.

61      Il convient de rappeler qu’aucun texte du droit de l’Union ne contient d’indications sur le délai de recours applicable aux litiges entre la BEI et ses agents. Ainsi, l’article 41 du règlement du personnel ne fixe pas un délai de recours, mais se limite à énoncer la compétence du juge de l’Union pour statuer sur les litiges entre la BEI et ses agents.

62      Cependant, la conciliation entre, d’une part, le droit à une protection juridictionnelle effective, qui constitue un principe général du droit de l’Union et requiert que le justiciable dispose d’un délai suffisant pour évaluer la légalité de l’acte lui faisant grief et préparer, le cas échéant, sa requête, et, d’autre part, l’exigence de la sécurité juridique, qui veut que, après l’écoulement d’un certain délai, les actes pris par les instances de l’Union deviennent définitifs, impose que ces litiges soient portés devant le juge de l’Union dans un délai raisonnable (voir ordonnance du 6 décembre 2002, D/BEI, T‑275/02 R, EU:T:2002:306, points 31 et 32 et jurisprudence citée).

63      Dès lors, il y a lieu d’examiner si le présent recours peut être considéré comme ayant été introduit dans un délai raisonnable.

64      Conformément à la jurisprudence, le caractère « raisonnable » d’un délai doit toujours être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (voir arrêt de réexamen, point 28 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’une durée prédéterminée ne saurait être présumée, de manière générale, constituer un délai raisonnable (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 mai 2010, Bui Van/Commission, T‑491/08 P, EU:T:2010:191, point 62).

65      À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que, même si le délai de trois mois prévu par l’article 91, paragraphe 3, du statut ne s’applique qu’aux litiges entre les institutions de l’Union et leurs fonctionnaires ou agents, et non aux litiges purement internes entre la BEI et ses agents, notamment ceux par lesquels ces derniers demandent l’annulation d’actes de la BEI qui leur font grief, celui-ci offre un point de comparaison pertinent, dans la mesure où les premiers litiges s’apparentent, par nature, aux seconds et qu’ils sont les uns comme les autres également soumis au contrôle juridictionnel au titre de l’article 270 TFUE (arrêt du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, EU:T:2001:69, point 100).

66      Or, au vu de la notion de délai raisonnable, telle que rappelée au point 64 ci-dessus, ledit délai de trois mois prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut ne peut s’appliquer par analogie en tant que délai de forclusion aux agents de la BEI lorsqu’ils introduisent un recours en annulation à l’encontre d’un acte émanant de cette dernière qui leur fait grief (arrêt de réexamen, point 39).

67      En l’espèce, il est constant entre les parties que le délai de recours contre les décisions attaquées contenues dans les bulletins de rémunération de février 2010 a commencé à courir le lundi 15 février 2010, soit le premier jour non férié suivant celui où lesdits bulletins ont été introduits dans le système informatique Peoplesoft de la BEI, à savoir le samedi 13 février 2010. En effet, selon les requérants, c’est à cette date du 15 février 2010 qu’il leur a été possible de connaître le contenu de leurs bulletins de rémunération de février 2010.

68      Le recours des requérants dans la présente procédure est parvenu par voie électronique à la messagerie du greffe du Tribunal de la fonction publique le 26 mai 2010 à 0 heure, soit trois mois et onze jours après le jour où les requérants ont pu prendre connaissance desdits bulletins de rémunération.

69      Quant aux circonstances propres à la présente affaire à prendre en compte afin d’examiner si ce recours a été introduit dans un délai raisonnable, en premier lieu, il convient de rappeler que les requérants contestent les décisions contenues dans leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010 et soulèvent, par voie d’exception, l’illégalité du règlement transitoire ainsi que du protocole d’accord. Les questions juridiques du présent litige concernent donc non seulement les droits et obligations des requérants, mais également, plus largement, le principe et les modalités de la réforme du régime des pensions de la BEI, ce qui peut avoir d’importantes répercussions sur le financement et le fonctionnement dudit régime des pensions. En outre, l’affaire concernant plusieurs aspects de la réforme du plan de pension de la BEI, elle présente une complexité certaine.

70      En second lieu, ainsi que l’a constaté le Tribunal de la fonction publique dans l’ordonnance annulée (points 12, 17 et 21), il ressort du dossier que le recours a été envoyé par voie électronique le 25 mai 2010 à 23 h 59 et est parvenu à l’adresse électronique du greffe du Tribunal de la fonction publique le 26 mai 2010 à 0 heure et que, lors de l’introduction de celui-ci, les requérants avaient connaissance de la jurisprudence rappelée au point 65 ci-dessus. Par ailleurs, après avoir reçu la communication du greffe du Tribunal concernant l’inscription au registre de la présente affaire, les requérants, constatant que cette communication faisait état d’un dépôt de la requête au 26 mai 2010, ont sollicité du greffe du Tribunal de la fonction publique qu’il substitue à cette date celle du 25 mai 2010, ce qui indique la volonté des requérants d’introduire leur recours dans le délai qu’ils considéraient comme « présumé raisonnable » selon ladite jurisprudence.

71      En prenant en compte, d’une part, les circonstances particulières de l’espèce mentionnées aux points précédents et, d’autre part, la jurisprudence qui établit au profit des requérants une forte présomption quant au caractère raisonnable du délai de recours indicatif de trois mois (voir, en ce sens, la prise de position de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, C‑334/12 RX–II, EU:C:2012:733, point 49, l’arrêt du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, EU:T:2001:69, points 101 et 107, et l’ordonnance du 6 décembre 2002, D/BEI, T‑275/02 R, EU:T:2002:306, point 33, voir également point 65 ci-dessus), augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours, le recours des requérants introduit en l’espèce dans un délai de trois mois et onze jours doit être considéré comme ayant été introduit dans un délai raisonnable.

72      À cet égard, il convient de préciser que le délai de recours de trois mois, tel qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 65 ci-dessus, augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours, ne saurait s’appliquer en l’espèce en tant que délai de forclusion, mais peut uniquement servir comme point de comparaison pertinent. Il y a lieu également de constater que la BEI n’avance aucun argument tendant à démontrer que le dépassement dudit délai d’un jour (voire de quelques secondes dans la nuit du 25 au 26 mai 2010) suffirait à enlever au délai en cause son caractère « raisonnable », en ce sens que cette différence pourrait effectivement compromettre l’exigence de sécurité juridique qui veut que, après l’écoulement d’un certain délai, les actes pris par les instances de l’Union deviennent définitifs.

73      En revanche, la BEI soutient à cet égard que tout dépassement du délai de trois mois devrait être justifié, que les critères de l’enjeu du litige et de la complexité de la présente affaire militeraient pour l’application d’un délai « maximal » de trois mois et dix jours en l’espèce, que les requérants ne justifieraient pas l’application d’un délai de recours supérieur à celui-ci et que, en l’espèce, l’application d’un tel délai de trois mois et dix jours aurait été à même de permettre aux requérants de préparer utilement leur recours sans porter atteinte à leur droit à un recours juridictionnel effectif. Au vu des considérations exposées aux points précédents, ces arguments doivent être rejetés.

74      Eu égard à tout ce qui précède, le présent recours doit être déclaré recevable.

B.      Sur le fond du recours

1.      Sur la demande en annulation

75      Au soutien de leur demande en annulation des décisions de la BEI d’augmenter les cotisations des requérants au régime des pensions, contenues dans leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010, les requérants soulèvent uniquement une exception d’illégalité à l’encontre du règlement transitoire et du protocole d’accord.

a)      Sur la recevabilité de l’exception d’illégalité

76      La BEI conteste la recevabilité de l’exception d’illégalité soulevée par les requérants. Selon elle, les requérants auraient dû introduire un recours direct contre les « décisions » relatives à la modification du régime des pensions qu’elle a adoptées le 27 novembre 2009, et ce en temps utile.

77      Selon une jurisprudence constante, l’article 277 TFUE est l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’un acte contre lequel elle peut former un recours, la validité d’un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union constituant la base juridique de l’acte attaqué, si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire un recours direct contre un tel acte, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation (arrêts du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, EU:C:1979:53, point 39 ; du 19 janvier 1984, Andersen e.a./Parlement, 262/80, EU:C:1984:18, point 6, et du 11 décembre 2012, Sina Bank/Conseil, T‑15/11, EU:T:2012:661, point 43).

78      En l’espèce, en premier lieu, quant au lien juridique existant entre les actes concernés, il convient de distinguer deux situations. Ainsi que cela a été rappelé aux point 14 et 15 ci-dessus, la réforme des pensions concernant le personnel entré en service avant le 31 décembre 2008, tels les requérants, a été adoptée le 27 novembre 2009. La BEI a précisé à cet égard que l’adoption de la réforme en ce qui concerne cette catégorie d’agents a été différée afin de pouvoir prendre en compte les mesures transitoires et compensatoires de la réforme des rémunérations. Ainsi, il ressort de la note du 14 décembre 2009, informant le personnel de l’adoption de la réforme des pensions, que, pour ledit personnel, les dispositions applicables étaient contenues dans le règlement transitoire. Ladite note contenait un lien vers le texte du règlement transitoire ainsi que vers sa nouvelle annexe 4, reprenant la matrice de transition, telle qu’elle avait déjà été présentée au personnel en mars 2009 (voir points 12 et 13 ci-dessus).

79      Il convient d’en conclure qu’il existe un lien juridique direct entre les décisions attaquées contenues dans les bulletins de rémunération du mois de février 2010 des requérants, d’une part, et le règlement transitoire, qui intègre les mesures compensatoires et la matrice de transition, d’autre part, dans la mesure où lesdits bulletins de rémunération portent application de la décision de la BEI d’augmenter les cotisations des requérants au régime des pensions, telles que prévues par le règlement transitoire.

80      En revanche, un tel lien juridique ne saurait être établi entre les lesdites décisions et le protocole d’accord. Certes, ce protocole a représenté une étape très importante dans le processus d’adoption de la réforme des pensions par la BEI, puisqu’il a permis la détermination de la matrice de transition et des mesures compensatoires concernant le personnel entré en service avant le 31 décembre 2008. Toutefois, ce protocole, signé entre la représentation du personnel et l’administration de la BEI (voir point 12 ci-dessus), n’est pas mentionné dans la note du 14 décembre 2009 parmi les actes portant modification du régime des pensions, adoptés par le comité de direction de la BEI. Il ne saurait, dès lors, être considéré comme constituant une base légale de l’augmentation des cotisations au régime des pensions appliquée aux requérants dans leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010, la seule base légale en ce sens étant le règlement transitoire portant les mesures compensatoires et la matrice de transition.

81      Il convient d’en conclure que les requérants ne peuvent pas exciper de l’illégalité du protocole d’accord.

82      En second lieu, ainsi que le fait valoir la BEI, le droit d’une partie d’attaquer, par voie d’exception d’illégalité, un acte de l’Union est subordonné à la condition que cette partie ne disposait pas du droit d’en demander directement l’annulation au juge de l’Union, en vertu de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C‑188/92, EU:C:1994:90, point 17, et du 12 juillet 2001, Kik/OHMI, T‑120/99, EU:T:2001:189, point 26).

83      En l’espèce, il convient de relever que le règlement transitoire dont les requérants excipent l’illégalité présente un caractère général, étant donné qu’il s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, à savoir tous les agents de la BEI entrés en service avant le 31 décembre 2008, qui en subissent ainsi les conséquences sans être en mesure d’en poursuivre l’annulation directement (voir, en ce sens, arrêts du 26 octobre 1993, Reinarz/Commission, T‑6/92 et T‑52/92, EU:T:1993:89, point 56 et jurisprudence citée, et du 8 janvier 2003, Hirsch e.a./BCE, T‑94/01, T‑152/01 et T‑286/01, EU:T:2003:3, points 48 à 50). Par ailleurs, il y a lieu d’observer que l’argumentation de la BEI dans le cadre du premier grief du premier moyen repose notamment sur la nature « réglementaire », et non contractuelle, de la réforme du régime des pensions.

84      En outre, même à considérer que les requérants aient pu prendre connaissance des modifications du régime des pensions énoncées dans le règlement transitoire, il convient d’observer que seules les décisions individuelles, à savoir celles contenues dans les bulletins de rémunération, leur ont permis de savoir avec certitude dans quelle mesure leurs intérêts particuliers étaient affectés. Dès lors, la voie de l’exception d’illégalité prévue par l’article 277 TFUE doit leur rester ouverte (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1999, ARAP e.a./Commission, T‑82/96, EU:T:1999:127, points 47 à 49 et jurisprudence citée).

85      Par ailleurs, le juge de l’Union a déjà admis une exception d’illégalité soulevée à l’encontre de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) sur la réforme de son régime de prévoyance, dont les bulletins de salaire contestés par le personnel de la BCE constituaient la première mise en œuvre (arrêt du 11 décembre 2013, Andres e.a./BCE, F‑15/10, EU:F:2013:194, points 129 et 132).

86      Dès lors, il y a lieu de conclure que l’exception d’illégalité soulevée à l’égard du règlement transitoire est recevable.

b)      Sur le bien-fondé de l’exception d’illégalité

87      Les requérants soulèvent trois moyens. Le premier moyen est divisé, en substance, en cinq griefs. Premièrement, en adoptant la réforme des pensions, la BEI aurait méconnu les limites de son pouvoir réglementaire et la nature contractuelle de ses relations avec ses agents ainsi que le principe de bonne foi. Deuxièmement, les requérants avancent que le régime des pensions est déséquilibré de manière fictive et volontaire et allèguent une violation du « principe de responsabilité », des principes de proportionnalité, de bonne administration et de bonne foi ainsi que du devoir de sollicitude. Troisièmement, les principes de non-discrimination et de proportionnalité auraient été violés dans la matrice de transition. Quatrièmement, la procédure de conciliation et le cadre de la négociation collective auraient été méconnus. Cinquièmement, la BEI aurait commis un détournement de pouvoir. Par leur deuxième moyen, les requérants font valoir une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré de la violation du principe de sécurité juridique.

1)      Sur le premier moyen

i)      Sur le premier grief, tiré de la méconnaissance des limites du pouvoir réglementaire de la BEI, de la nature contractuelle de la relation entre la BEI et ses agents ainsi que du principe de bonne foi

88      Les requérants soutiennent que les décisions attaquées, qui appliquent à leur situation la réforme des pensions, sont illégales, car, par l’adoption de ladite réforme, la BEI aurait méconnu les « limites réglementaires » qui s’imposaient à elle.

89      À cet égard, ils avancent que la relation entre la BEI et ses employés est de nature contractuelle et que la BEI ne peut pas exercer son pouvoir réglementaire aux fins d’introduire des conditions non prévues par les contrats qui la lient à ses agents. Comme il résulterait d’une jurisprudence de l’Union et internationale bien établie, l’exercice de ce pouvoir ne pourrait, en toute hypothèse, avoir comme résultat une modification unilatérale des conditions essentielles de la relation contractuelle entre la BEI et ses agents.

90      En effet, une augmentation des cotisations payées au régime des pensions se traduirait directement par une diminution de la rémunération et concernerait donc des éléments importants de la relation contractuelle avec la BEI. Cette dernière ne pourrait donc, de bonne foi, intervenir ex post pour modifier unilatéralement les paramètres fondamentaux à partir desquels ses agents ont décidé d’effectuer et de maintenir leur propre investissement stratégique.

91      La BEI conteste cette argumentation. À cet égard, elle fait notamment référence à la jurisprudence du Tribunal qui confirmerait son pouvoir réglementaire en ce qui concerne son régime des pensions. Selon elle, le régime des pensions serait contenu dans le règlement du personnel, acte réglementaire s’insérant dans un ensemble de normes. Les contrats de travail individuels seraient conclus dans le cadre dudit règlement et devraient donc être conformes à celui-ci. En outre, selon l’article 36 du règlement du personnel, le règlement du régime des pensions serait fixé par son conseil d’administration. Ce pouvoir impliquerait nécessairement la possibilité d’un impact indirect de la modification du régime des pensions sur les rémunérations perçues par les agents.

92      Conformément à l’article 266, troisième alinéa, CE (devenu l’article 308, troisième alinéa, TFUE), les statuts de la BEI font l’objet d’un protocole annexé au traité.

93      Selon l’article 11, paragraphe 7, du protocole no 5 sur les statuts de la BEI, « [l]e règlement intérieur [de la BEI] détermine l’organe compétent pour adopter les dispositions applicables au personnel ». En vertu de l’article 29 (devenu article 31) dudit règlement intérieur, « [l]es règlements relatifs au personnel de la [BEI] sont fixés par le [c]onseil d’administration ».

94      Le conseil d’administration de la BEI a adopté le règlement du personnel le 20 avril 1960. Pour ce qui concerne le présent litige, la dernière modification dudit règlement à prendre en compte est celle du 1er janvier 2009.

95      L’article 13 du règlement du personnel dispose que « [l]es relations entre la [BEI] et les membres de son personnel sont réglées en principe par des contrats individuels dans le cadre du présent règlement[ ; l]e règlement fait partie intégrante de ces contrats ».

96      Aux termes de l’article 15 du règlement du personnel :

« Les contrats individuels entre la [BEI] et les membres de son personnel prennent la forme de lettres d’engagement. Les personnes engagées contresignent leur lettre d’engagement ainsi qu’un exemplaire du présent règlement.

La lettre d’engagement fixe la rémunération, la durée et les autres conditions d’emploi. »

97      L’article 36, premier alinéa, du règlement du personnel dispose :

« Les membres du personnel de la [BEI] bénéficient d’un régime des pensions financé par la [BEI] et le personnel dont le règlement est fixé par le [c]onseil d’administration. »

98      Le règlement du régime des pensions applicable aux membres du personnel de la BEI (ci-après le « règlement du régime des pensions ») a été adopté pour la première fois par le conseil d’administration de la BEI le 28 mai 1964 et modifié plusieurs fois par la suite.

99      L’article 77-2 dudit règlement du régime des pensions, sous le titre « [m]odification au [r]égime de pension », prévoit que, « si le bilan technique fait apparaître un découvert, le [c]onseil d’administration de la [BEI], statuant sur proposition du [c]omité de direction, prise après avis du [c]omité [du régime des pensions], fixe les conditions dans lesquelles ce déficit sera comblé ».

100    Ainsi que cela a été rappelé aux points 51 et 52 ci-dessus, la présente affaire a été suspendue jusqu’au prononcé des arrêts du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI (T‑241/14 P, EU:T:2016:103), et du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI (T‑240/14 P, EU:T:2016:104). En effet, dans le cadre des affaires ayant donné lieu à ces arrêts, concernant plus particulièrement la réforme du système de rémunération et de progression salariale de la BEI, le Tribunal s’est prononcé, notamment, sur la question de la prétendue nature contractuelle de la relation de travail entre la BEI et son personnel.

101    À la suite du prononcé desdits arrêts, par lesquels le Tribunal a confirmé les arrêts du Tribunal de la fonction publique, les requérants ont déposé leurs observations le 25 avril 2016. Les observations de la BEI n’ont pas été versées au dossier, car elles ont été déposées tardivement (voir point 53 ci-dessus).

102    En l’espèce, en premier lieu, s’agissant de la nature de la relation d’emploi en cause, il convient de rappeler que, selon l’article 13 du règlement du personnel, les relations entre la BEI et les membres de son personnel sont réglées, en principe, par des contrats individuels.

103    Cependant, ainsi que cela ressort de ce même article (voir point 95 ci-dessus), les contrats individuels entre la BEI et les membres de son personnel sont conclus dans le cadre du règlement du personnel, qui fait partie intégrante de ces contrats.

104    À l’appui de leur argumentation, les requérants invoquent l’arrêt du 22 octobre 2002, Pflugradt/BCE (T‑178/00 et T‑341/00, EU:T:2002:253). En effet, d’une part, il ressortirait du point 54 de celui-ci que le pouvoir réglementaire de la BEI n’est pas illimité, mais serait étroitement lié à l’intérêt d’une bonne organisation de l’institution, telle qu’elle est nécessaire à l’accomplissement de ses tâches. D’autre part, il ressortirait du point 53 du même arrêt que la force obligatoire des contrats s’oppose à ce que l’institution ou l’organisme, en tant qu’employeur, impose des modifications aux conditions d’exécution des contrats sans l’accord des agents concernés, lorsque ces conditions correspondent à des éléments essentiels desdits contrats.

105    Or, il convient d’observer à cet égard que, au point 37 de l’arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI (T‑240/14 P, EU:T:2016:104), le Tribunal a constaté que c’était sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal de la fonction publique avait jugé, en faisant référence à l’arrêt du 14 octobre 2004, Pflugradt/BCE (C‑409/02 P, EU:C:2004:625, point 34), par lequel la Cour a statué sur pourvoi formé contre l’arrêt du 22 octobre 2002, Pflugradt/BCE (T‑178/00 et T‑341/00, EU:T:2002:253), que, lorsque les contrats sont conclus avec un organisme de l’Union, chargé d’une mission d’intérêt général et habilité, comme la BEI, à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel, la volonté des parties à un tel contrat trouve nécessairement ses limites dans les obligations de toute nature qui découlent de cette mission particulière et qui s’imposent tant aux organes de direction de cet organisme qu’à ses agents.

106    Au point 38 du même arrêt, le Tribunal a aussi relevé que les relations de la BEI avec son personnel contractuel étaient, dans une large mesure, déterminées par le règlement du personnel, auquel les agents adhèrent en contresignant la lettre d’engagement.

107    Les contrats individuels entre la BEI et ses agents étant conclus dans le cadre du règlement du personnel, ainsi que cela ressort de l’article 13 de celui-ci, il s’ensuit que, en contresignant, conformément à l’article 15 du même règlement (voir point 96 ci-dessus), la lettre d’engagement ainsi qu’un exemplaire du règlement du personnel, les agents adhèrent audit règlement et, par extension, au régime des pensions sans pouvoir en négocier individuellement aucun des éléments.

108    Certes, les contrats individuels des membres du personnel de la BEI peuvent contenir d’autres éléments acceptés par l’agent concerné au terme de discussions. Ainsi, selon l’article 15 du règlement du personnel, lesdits contrats fixent, notamment, la rémunération, la durée et les autres conditions d’emploi de l’agent (voir point 96 ci-dessus). Toutefois, l’existence de tels éléments ne fait pas, en soi, obstacle à l’exercice, par les organes de direction de la BEI, du pouvoir d’appréciation dont ils disposent pour mettre en œuvre les mesures qu’impliquent les obligations d’intérêt général découlant de la mission particulière impartie à la BEI. Ces organes peuvent être ainsi contraints, pour faire face à de telles exigences du service, et notamment pour permettre à celui-ci de s’adapter à de nouveaux besoins, de prendre des décisions ou des mesures unilatérales susceptibles de modifier, notamment, les conditions d’exécution des contrats individuels (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2004, Pflugradt/BCE, C‑409/02 P, EU:C:2004:625, point 36).

109    En ce qui concerne plus particulièrement le cas d’espèce, il ressort de l’article 36, premier alinéa, du règlement du personnel que le règlement du régime des pensions est fixé par le conseil d’administration de la BEI. En outre, selon l’article 77–2 du règlement du régime des pensions, ledit régime peut être modifié, dans le cas d’un découvert, par ledit conseil d’administration, statuant sur proposition du comité de direction, prise après avis du comité du régime des pensions (voir points 97 et 99 ci-dessus).

110    Les requérants soutiennent aussi que le régime des pensions est directement lié au système des rémunérations et que sa stabilité fait partie des éléments essentiels des contrats. La stabilité de ces éléments essentiels ferait partie des principes généraux, communs aux droits des États membres de la BEI qui seraient applicables, conformément à l’article 44 du règlement du personnel, aux contrats individuels concernés.

111    Or, ainsi que cela a été rappelé aux points précédents, le régime des pensions est fixé, et peut être modifié, unilatéralement par le conseil d’administration de la BEI dans l’exercice du pouvoir réglementaire qui lui est dévolu par l’article 36, premier alinéa, du règlement du personnel, auquel les agents adhèrent en contresignant la lettre d’engagement, ainsi que par l’article 77-2 du règlement du régime des pensions (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Andres e.a./BCE, T‑129/14 P, EU:T:2016:267, points 133 à 138). Par ailleurs, aucun des arguments des requérants ne permet de conclure que les droits à pension font partie de la notion de rémunération. À cet égard, il convient aussi d’observer que le juge de l’Union a déjà jugé que la BEI disposait également d’un pouvoir d’appréciation pour fixer unilatéralement la rémunération de son personnel (arrêts du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑241/14 P, EU:T:2016:103, points 51 et 57, et du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, points 39 et 44). L’argumentation des requérants doit donc être rejetée.

112    Dans l’arrêt du 4 mai 2016, Andres e.a./BCE (T‑129/14 P, EU:T:2016:267), le Tribunal s’est prononcé également, sur pourvoi, dans une affaire concernant la réforme du régime des pensions de la BCE. Quant à la question de la nature de la relation d’emploi entre la BCE et ses agents, le Tribunal a adopté, en substance, la même position que celle adoptée dans les arrêts du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI (T‑241/14 P, EU:T:2016:103), et du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI (T‑240/14 P, EU:T:2016:104). À cet égard, il importe de relever qu’il a été jugé que les dispositions sur les contrats de travail de la BCE étaient analogues à celles du règlement du personnel de la BEI (arrêt du 14 octobre 2004, Pflugradt/BCE, C‑409/02 P, EU:C:2004:625, points 31 et 32). L’argument des requérants, avancé dans la réplique, selon lequel les contrats signés entre la BEI et les membres de son personnel seraient réglés « dans le cadre » du règlement du personnel alors que, à la BCE, ils seraient conclus « en conformité » avec les conditions d’emploi ne saurait donc prospérer. De la même manière, les principes généraux communs aux droits des États membres sont applicables auxdits contrats tant par la BEI que par la BCE (arrêt du 14 octobre 2004, Pflugradt/BCE, C‑409/02 P, EU:C:2004:625, point 3).

113    Par ailleurs, quant à la jurisprudence du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail, invoquée également par les requérants à l’appui de leur argumentation concernant les éléments essentiels des contrats de travail, il suffit de rappeler qu’il ressort de l’arrêt du 27 septembre 2011, Whitehead/BCE (F‑98/09, EU:F:2011:156, point 76), que cette jurisprudence ne constitue pas, en tant que telle, une source du droit de l’Union et que, par suite, elle ne saurait être invoquée autrement qu’au soutien d’une règle ou d’un principe reconnu par le droit de l’Union.

114    En second lieu, il convient d’écarter l’argument des requérants selon lequel le fait pour la BEI de modifier, de façon unilatérale, le régime des pensions et prétendument ainsi les conditions essentielles de la relation contractuelle la liant à ses agents irait à l’encontre du principe de bonne foi. En effet, la faculté qu’a la BEI de modifier unilatéralement les éléments du régime des pensions fait partie des conditions d’emploi et ne saurait, partant, constituer une violation du principe de bonne foi (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, points 51 et 52).

115    Il résulte de ce qui précède que, en modifiant son régime des pensions, la BEI n’a méconnu ni les limites réglementaires qui s’imposaient à elle, ni la prétendue nature contractuelle de sa relation de travail avec les agents, ni les conditions essentielles de ladite relation. De même, la BEI n’a ainsi pas violé le principe de bonne foi.

116    Le premier grief doit, dès lors, être rejeté.

ii)    Sur le deuxième grief, tiré d’une prétendue nature fictive et volontaire du déséquilibre du régime des pensions, de la violation du « principe de responsabilité », des principes de proportionnalité, de bonne administrationet de bonne foi ainsi que du devoir de sollicitude

117    Selon les requérants, le déséquilibre du régime des pensions invoqué par la BEI aurait été en partie fictif en ce qu’il résulterait de l’application du standard comptable IAS 19. Les requérants reprochent, en outre, à la BEI de ne pas avoir constitué un fonds de pension autonome, mais une simple provision au passif de son bilan à cet effet. Quant à la partie « réelle » dudit déséquilibre, les requérants soutiennent qu’elle serait due, du moins en grande partie, aux choix de la BEI elle-même de ne pas réagir, dans le passé, à plusieurs signaux faisant apparaître un problème de solidité du régime des pensions. La BEI aurait ainsi violé le « principe de responsabilité » ainsi que les principes de bonne foi, de bonne administration et de proportionnalité. Selon les requérants, le personnel de la BEI ne devrait pas supporter la partie du déséquilibre qui ne serait pas structurelle, mais « volontaire », car créé par des choix exceptionnels et délibérés de la BEI en matière de politique du personnel, notamment le plan de départ anticipé mis en place par le passé. De même, d’autres composantes spéciales du prétendu déséquilibre, telles les mesures spéciales rendant possible le rachat de droits à pension, auraient aussi dû être comptabilisées séparément des composantes structurelles dudit déséquilibre. Or, le « principe de responsabilité », les principes de bonne foi et de proportionnalité ainsi que le devoir de sollicitude exigeraient que la BEI, ayant fait preuve de négligence dans l’administration du système des pensions et jouissant d’une situation patrimoniale et financière très solide, supporte maintenant le poids du redressement de l’équilibre du régime..

118    La BEI conteste ces arguments. Elle soutient qu’elle n’a pas méconnu les limites de son pouvoir d’appréciation. En outre, compte tenu du strict respect des procédures et de l’implication constante et effective des représentants du personnel, il serait impossible de lui reprocher d’avoir méconnu le principe de bonne administration.

119    L’argumentation des requérants ne saurait prospérer.

120    Tout d’abord, en ce qui concerne les rapports de l’actuaire et du cabinet d’audit et de conseil, il convient de rappeler que le contrôle exercé par le juge de l’Union se limite à vérifier que les rapports techniques, tels que ceux présentés en l’espèce (voir points 4, 7 et 8 ci-dessus), ont été délivrés par un expert régulièrement saisi, que lesdits avis sont fondés sur des éléments de fait matériellement exacts, que ces éléments sont susceptibles de fonder les conclusions auxquelles l’expert est arrivé et que lesdits avis contiennent une motivation permettant à l’organe compétent d’apprécier les considérations sur lesquelles les conclusions qu’ils contiennent sont fondées et d’établir un lien compréhensible entre les constatations qu’ils comportent et les conclusions auxquelles il arrive (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 juin 2000, C/Conseil, T‑84/98, EU:T:2000:156, point 43), mais que ce contrôle ne saurait porter sur l’opportunité de la prise en compte d’une donnée ou de l’application d’une méthode de calcul plutôt qu’une autre, dès lors que celles retenues sont pertinentes (arrêt du 29 septembre 2011, Heath/BCE, F‑121/10, EU:F:2011:174, point 90).

121    À cet égard, la BEI soutient que la méthode fondée sur le standard comptable IAS 19 utilisée était considérée comme pertinente dans lesdits rapports émis par les sociétés d’actuaires et d’audit et de conseil indépendants. En outre, ledit standard ferait partie des standards comptables imposés par l’Union depuis 2003 et serait appliqué par la Commission européenne elle-même. Les requérants ne contestent pas ces affirmations.

122    La BEI précise, en outre, que les déficits du régime des pensions pour la période allant de 2004 à 2007 auraient été comblés par des provisions qu’elle – et non les affiliés – a financées et qu’il ressortirait manifestement de ses états financiers pour les exercices 2009, 2010 et 2011 qu’au cours de ces années les contributions des agents de la BEI auraient à peine suffi à couvrir le coût des prestations futures et n’auraient ainsi été d’aucune manière utilisées afin de combler les déficits passés. Les requérants ne contestent pas valablement ces arguments ni les documents internes de la BEI présentés à cet égard.

123    Ensuite, quant au principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, celui-ci exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 116 et jurisprudence citée).

124    En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, le juge de l’Union a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (voir arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 117 et jurisprudence citée).

125    Ces considérations s’appliquent, par voie d’analogie, également au contrôle de la proportionnalité des décisions prises par la BEI dans le cadre de la réforme du régime des pensions. Or, ladite réforme impliquait pour la BEI des choix de nature politique, économique et sociale, dans lesquels elle était appelée à effectuer des appréciations complexes, de sorte qu’elle disposait d’une large marge d’appréciation, dont il faut tenir compte lors de l’appréciation de la proportionnalité des mesures en cause (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 118 et jurisprudence citée).

126    En effet, il y a lieu de relever que l’équilibre actuariel du régime des pensions en cause suppose la prise en compte, sur le long terme, des évolutions économiques et de variables financières et exige la réalisation de calculs statistiques complexes (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2013, Andres e.a./BCE, F‑15/10, EU:F:2013:194, points 315 et 316). La BEI dispose donc d’une large marge d’appréciation dans la définition des mesures susceptibles de répondre aux objectifs de la réforme du régime des pensions, de sorte que seul le caractère manifestement inapproprié de celles-ci par rapport aux objectifs poursuivis pourrait affecter la légalité de ces mesures (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 122).

127    Dès lors, il convient de rejeter l’argumentation que les requérants développent sur la question de l’étendue du contrôle juridictionnel, selon laquelle, en raison de la nature contractuelle de la relation entre la BEI et son personnel, et conformément au « principe général du droit des contrats », celle-ci ne jouit pas des prérogatives d’un législateur et ne dispose donc pas d’un large pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2004, Pflugradt/BCE, C‑409/02 P, EU:C:2004:625, point 36, et du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 39).

128    À cet égard, les requérants avancent des critiques très générales au soutien de la prétendue violation du principe de proportionnalité, fondées sur des appréciations subjectives, et ne présentent pas d’éléments de preuve de nature à démontrer que la réforme du régime des pensions décidée par la BEI a été manifestement inappropriée pour assurer la viabilité financière dudit régime.

129    Notamment, l’allégation générale relative à l’existence d’éventuelles alternatives n’implique pas pour autant une erreur manifeste d’appréciation dans la réforme du régime des pensions (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 122).

130    Enfin, les requérants ne démontrent pas de quelle manière, en adoptant la mesure contestée, la BEI aurait violé le devoir de sollicitude ainsi que les principes de bonne administration et de bonne foi ou le « principe de responsabilité ».

131    Selon la jurisprudence, le devoir de sollicitude reflète l’équilibre des droits et des obligations réciproques dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public. Cet équilibre implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un agent, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi, notamment, de celui de l’agent concerné (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 17 janvier 2017, LP/Europol, T‑719/15 P, non publié, EU:T:2017:7, point 60 et jurisprudence citée). Cette dernière obligation est imposée à l’administration également par le principe de bonne administration (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2007, Sequeira Wandschneider/Commission, T‑110/04, EU:T:2007:78, point 185).

132    En l’espèce, ce devoir de sollicitude s’impose aussi à la BEI lorsqu’elle adopte un acte de portée générale à l’égard de ses agents (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2013, Andres e.a./BCE, F‑15/10, EU:F:2013:194, point 146).

133    Cependant, les arguments généraux des requérants ne suffisent pas pour démontrer que, en modifiant le régime des pensions, la BEI n’aurait pas pris en considération l’ensemble des éléments susceptibles de déterminer sa décision et notamment les intérêts de son personnel.

134    À cet égard, les requérants ne démontrent aucunement que, au vu notamment de l’importance de la réforme entreprise et de la procédure de négociation qui s’en est nécessairement suivie, la BEI aurait effectivement pu adopter ladite réforme plus rapidement ni que, dans ce cas, les effets de celle-ci auraient été moins négatifs pour eux.

135    En outre, il convient d’observer que, à supposer que la situation financière de la BEI puisse être considérée comme saine (voir point 117 ci-dessus), il n’en demeure pas moins que celle-ci a pu considérer qu’il était nécessaire de réformer son régime des pensions, en augmentant les cotisations du personnel à celui-ci, afin d’assurer la viabilité dudit régime à long terme (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 124).

136    Enfin, le devoir de sollicitude, voire même un « principe de responsabilité », de la BEI ne saurait se traduire par l’obligation, pour cette dernière, de prendre simplement à sa charge le déficit constaté du régime des pensions afin de supprimer les effets négatifs d’une réforme qu’elle considère nécessaire.

137    Par ailleurs, statuant sur la légalité d’une disposition statutaire, le Tribunal a déjà jugé qu’une telle disposition réglementaire régulièrement adoptée par l’administration ne peut pas être utilement mise en cause au motif d’une prétendue violation du devoir de sollicitude ou du principe de bonne administration (arrêts du 22 juin 1994, Di Marzio et Lebedef/Commission, T‑98/92 et T‑99/92, EU:T:1994:70, point 58, et du 29 novembre 2006, Campoli/Commission, T‑135/05, EU:T:2006:366, point 149). De même, aucune violation du principe de bonne foi ne saurait être constatée (voir point 114 ci-dessus).

138    Au vu des considérations qui précèdent, le deuxième grief doit être rejeté.

iii) Sur le troisième grief, tiré de la prétendue violation des principes de proportionnalité et de non-discrimination dans la matrice de transition

139    Selon les requérants, la matrice de transition appliquée en l’espèce ne serait pas adéquate, car elle devrait être fondée essentiellement sur l’« ancienneté de contribution » de l’agent et non sur l’âge de celui-ci. La BEI aurait ainsi violé les principes de proportionnalité et de non-discrimination.

140    La BEI rétorque que ladite matrice établit des distinctions selon l’année de naissance des requérants et leur année d’entrée en service. En effet, il ressortirait du dossier que cette matrice établit 106 régimes différents selon l’âge de l’agent et de sa date d’entrée en service. Il serait donc erroné de prétendre que la matrice est essentiellement fondée sur l’âge de l’agent. En outre, en adoptant ladite matrice de transition, la BEI n’aurait aucunement violé les principes de proportionnalité et de non-discrimination.

141    Il y a lieu de rappeler que le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 29 avril 2015, CC/Parlement, T‑457/13 P, EU:T:2015:240, point 72 et jurisprudence citée).

142    Or, les requérants ne démontrent pas de quelle manière précisément la BEI aurait violé ce principe, tel qu’énoncé au point précédent. Notamment, les requérants n’avancent pas d’éléments de nature à démontrer que la pondération des critères objectifs d’âge et d’ancienneté dans le cadre de ladite matrice aboutirait à traiter de manière différente des agents en situations comparables.

143    Les requérants n’avancent également aucun argument circonstancié au soutien de la prétendue violation du principe de proportionnalité (voir point 123 ci-dessus).

144    Par ailleurs, les requérants n’avancent pas d’éléments de nature à démontrer que la pondération des critères appliquée par la BEI serait erronée. En conséquence, le troisième grief doit également être rejeté.

iv)    Sur le quatrième grief, tiré de la méconnaissance de la procédure de conciliation et du cadre de la négociation collective

145    Les requérants soutiennent que la procédure de conciliation ayant mené à l’adoption du protocole d’accord et le cadre de la négociation collective fixé à cet égard n’ont pas été respectés. D’une part, la procédure de conciliation ne se serait pas achevée dans un délai raisonnable. D’autre part, les mesures figurant dans le protocole d’accord n’auraient pas eu pour effet de permettre une « compensation du personnel actuel pour les effets de la réforme » des rémunérations. Le mandat que les requérants ont donné aux représentants du personnel aurait donc été violé.

146    La BEI rétorque que les requérants contestent une décision de la BEI qui reprend les termes d’un « accord auquel ils avaient donné leur consentement ». Dans la duplique, elle soutient que les arguments des requérants sont inopérants, car la réforme des pensions et les mesures compensatoires ne sauraient être remises en cause par une prétendue invalidité du protocole d’accord.

147    Eu égard à l’irrecevabilité de l’exception d’illégalité soulevée par les requérants à l’encontre du protocole d’accord (voir point 81 ci-dessus), il y a lieu de rejeter comme irrecevable le présent grief. En effet, ce grief est dirigé uniquement à l’encontre du protocole d’accord, lequel, cependant, ne constitue pas la base juridique de l’augmentation contestée des cotisations au régime des pensions.

v)      Sur le cinquième grief, tiré d’un détournement de pouvoir

148    Les requérants soutiennent que l’application des mesures négatives de la réforme serait exclue à l’égard de certains agents, tels que les agents nés avant 1961, alors que ceux-ci bénéficieraient des mesures positives ou compensatoires. Le règlement transitoire ainsi que les décisions attaquées seraient dont constitutifs d’un détournement de pouvoir, car ils seraient utilisés pour financer des privilèges inacceptables. La situation juridique d’une partie du personnel de la BEI serait ainsi plus favorable que celle de l’autre partie dudit personnel.

149    Selon la BEI, les arguments des requérants seraient entachés de plusieurs erreurs de fait ainsi que d’une erreur de droit. Il serait erroné de prétendre que les agents les plus anciens échapperaient à toute mesure négative. Les requérants ne démontreraient aucunement l’existence d’un détournement de pouvoir, tel que défini par la jurisprudence.

150    Selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou tout au moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par la réglementation pour parer aux circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2005, Van Weyenbergh/Commission, T‑395/03, non publié, EU:T:2005:144, point 48 et jurisprudence citée).

151    En l’espèce, il n’est pas contesté entre les parties que l’objectif du règlement transitoire était de prendre en compte, dans le cadre de la réforme générale du régime des pensions, les mesures transitoires et compensatoires de la réforme des rémunérations pour le personnel entré en service avant le 31 décembre 2008.

152    Or, les requérants n’apportent pas d’indices objectifs, pertinents et concordants de nature à démontrer que, en l’espèce, la BEI aurait utilisé son pouvoir à d’autres fins que celle ainsi énoncée. Notamment, leurs arguments ne sauraient indiquer que le règlement transitoire a été adopté dans le but exclusif, ou tout au moins déterminant, de privilégier une seule catégorie d’agents parmi ceux qui sont entrés en service avant le 31 décembre 2008.

153    Il s’ensuit que le grief tiré d’un détournement de pouvoir ne saurait non plus être accueilli.

154    Au vu de tout ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

2)      Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

155    À titre subsidiaire, les requérants font aussi valoir que le règlement transitoire et, par conséquent, les décisions attaquées sont entachés d’un défaut de motivation. Ils dénoncent notamment l’absence de motivation en ce qui concerne la nature et les composantes du déséquilibre du régime des pensions ainsi que le poids sur ledit déséquilibre des mesures compensatoires et leur application différenciée par rapport aux groupes d’agents se trouvant dans des situations différentes.

156    La BEI considère que la motivation de la réforme répond aux critères fixés par la jurisprudence. Notamment, le protocole d’accord détaillerait la procédure suivie pour l’adoption de la réforme et les causes de celle-ci, alors que son annexe 2 expliquerait le mécanisme de transition et ses motifs.

157    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la motivation d’actes de portée générale peut se borner à indiquer la situation d’ensemble qui a conduit à leur adoption et les objectifs généraux que l’auteur de ces actes se propose d’atteindre, sans qu’il soit besoin d’une motivation spécifique à l’appui de tous les détails que peuvent comporter de tels actes. Ainsi, il n’est pas nécessaire de motiver chaque modification apportée à l’acte, mais il suffit que son auteur explique l’essentiel des mesures, même succinctement, pourvu que l’explication soit claire et pertinente (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2006, Campoli/Commission, T‑135/05, EU:T:2006:366, point 159 et jurisprudence citée).

158    Quant à la motivation d’une décision faisant grief, il est de jurisprudence constante que celle-ci a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de cette décision et l’opportunité d’introduire un recours devant le Tribunal et, d’autre part, de permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, van der Aat e.a./Commission, T‑304/13 P, EU:T:2014:1055, point 43 et jurisprudence citée).

159    En l’espèce, il ressort du dossier que la BEI a informé le personnel de la signature du protocole d’accord par la note du président de la BEI du 24 mars 2009. Les mesures contenues dans le protocole d’accord et dans ses annexes, à savoir la matrice de transition et les mesures compensatoires pour les agents en service au 31 décembre 2008, ont été présentées au personnel par la lettre d’information no 18 du service RH du mois de mars 2009. Cette lettre d’information contenait les explications de la réforme envisagée et notamment les raisons de son adoption, les modifications futures des contributions selon l’entrée en service et l’âge des agents ainsi que les prévisions pour le futur du régime des pensions. La lettre comportait également des simulations des catégories différentes du personnel, ainsi qu’une section de « questions-réponses » concernant la réforme. Elle invitait les membres du personnel à adresser leurs questions concernant la réforme à une boîte fonctionnelle de l’administration et à participer à des séances d’information. Enfin, la matrice de transition a été présentée en annexe à cette lettre.

160    En outre, par la note du 14 décembre 2009, le directeur du service RH de la BEI a informé le personnel de l’adoption de la réforme du régime des pensions par le comité de direction de la BEI. Cette note précisait que, pour le personnel entré en service avant le 31 décembre 2008, les dispositions applicables étaient contenues dans le règlement transitoire et contenait un lien vers ledit règlement ainsi que vers la matrice de transition déjà présentée auparavant (voir point 15 ci-dessus).

161    Enfin, il ressort également de l’analyse du premier moyen que les requérants ont notamment pu soulever les nombreux griefs sur lesquels repose leur exception d’illégalité, que le Tribunal a pu examiner. Quant à la motivation des décisions attaquées, les requérants ne présentent aucune critique concrète.

162    Par conséquent, le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, doit également être rejeté.

3)      Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique

163    À titre encore plus subsidiaire, les requérants soutiennent que la BEI a violé le principe de sécurité juridique, dans la mesure où les décisions attaquées auraient porté application du règlement transitoire avant que celui-ci ne soit publié. À cet égard, ils invoquent la jurisprudence selon laquelle le principe de sécurité juridique s’oppose, en règle générale, à ce que la portée dans le temps d’un acte de l’Union voit son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication (arrêt du 22 novembre 2001, Pays-Bas/Conseil, C‑110/97, EU:C:2001:620, point 151). Selon eux, la présente espèce ne comporte pas de circonstances exceptionnelles permettant, selon cette même jurisprudence, de déroger à cette règle.

164    La BEI conclut au rejet de ce moyen. L’adoption de la réforme ainsi que le contenu du règlement transitoire, dans une version comparée, auraient été communiqués par la BEI à son personnel par la note du 14 décembre 2009. Le règlement transitoire aurait donc été accessible aux requérants à partir de ce jour. En outre, en mars 2009, les agents de la BEI auraient été informés du contenu de la réforme en cours et, en particulier, de celui de la matrice de transition.

165    À cet égard, les requérants soutiennent qu’il était indiqué, dans ladite note du 14 décembre 2009, que le texte du règlement transitoire serait « publié sur l’intranet dans les plus brefs délais » et qu’une version papier serait « disponible au début de l’année 2010 ». Les requérants estiment que la version accessible sur l’intranet de la BEI avant l’introduction de leur recours n’était qu’une version provisoire de ce règlement.

166    L’argumentation des requérants doit être rejetée. En premier lieu, il y a lieu de préciser que la jurisprudence invoquée par les requérants (voir point 163 ci-dessus) n’est pas applicable en l’espèce. En effet, à la différence de l’acte en cause dans cette jurisprudence, le règlement transitoire, portant modification du régime des pensions de la BEI, n’entre pas dans la catégorie des actes dont l’article 297 TFUE exige la publication. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que la BEI aurait adopté des règles, ou qu’il existerait une pratique interne, quant à une forme ou une formalité pré-requise pour la « publication » de ce type d’actes, autre que leur mise en ligne sur l’intranet.

167    En second lieu, quant à la question de savoir si le personnel de la BEI avait été informé du contenu de la réforme avant son application sur les bulletins de rémunération, il ressort de la note du 14 décembre 2009 (voir aussi points 15, 78 et 160 ci-dessus) que la réforme des pensions concernant le personnel entré en service avant le 31 décembre 2008, tels les requérants, a été adoptée le 27 novembre 2009 et que, pour ledit personnel, les dispositions applicables étaient contenues dans le règlement transitoire. Cette note précisait la date de prise d’effet de la réforme et contenait un lien vers le texte du règlement transitoire sous forme d’une version comparée avec le règlement applicable au personnel entré en service après le 31 décembre 2008 ainsi que vers la matrice de transition déjà présentée auparavant.

168    Or, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la note du 14 décembre 2009 ne précisait pas que serait publié dans les plus brefs délais sur l’intranet le « texte du règlement transitoire », mais les « textes consolidés du régime des pensions », à savoir les dispositions du nouveau régime tout entier, concernant le personnel entré en service avant et après le 31 décembre 2008. En outre, il ne ressort pas du dossier que la version « comparée » du règlement transitoire communiquée par ladite note du 14 décembre 2009 n’aurait été que provisoire et que la version « non comparée » publiée sur le site Internet de la BEI en août 2010 serait la version définitive du règlement transitoire. En réponse à une question posée par le Tribunal en ce sens à l’audience, la BEI a confirmé que la version du règlement transitoire communiquée par la note du 14 décembre 2009 était bien la version définitive de celui-ci.

169    À cet égard, il convient d’observer que les requérants n’avancent pas que l’augmentation des cotisations appliquée dans les bulletins de rémunération du mois de février 2010 n’était pas conforme à la version du règlement transitoire qui avait été communiquée par la note du 14 décembre 2009.

170    Dès lors, le troisième moyen doit être rejeté.

171    Aucun des griefs et moyens soulevés à l’appui de l’exception d’illégalité soulevée par les requérants n’ayant été retenu, cette exception, dans la mesure où elle a été déclarée recevable, ainsi que les conclusions en annulation des décisions attaquées doivent être rejetées comme non fondées.

2.      Sur la demande en indemnité

172    Les requérants soutiennent que les différentes violations commises par la BEI leur ont causé un préjudice moral et demandent à ce titre que le Tribunal condamne la BEI au paiement d’un euro symbolique.

173    La BEI rétorque que, en l’absence d’illégalité des décisions attaquées, les conclusions indemnitaires doivent être rejetées et que, en toute hypothèse, les requérants ne démontrent aucunement la teneur du préjudice moral allégué.

174    À cet égard, il convient de rappeler que, lorsque le préjudice dont une partie requérante se prévaut trouve son origine dans l’adoption d’une décision faisant l’objet de conclusions en annulation, le rejet de ces conclusions en annulation entraîne, par principe, le rejet des conclusions indemnitaires, ces dernières leur étant étroitement liées (voir arrêt du 15 septembre 2017, Commission/FE, T‑734/15 P, EU:T:2017:612, point 120 et jurisprudence citée).

175    En l’espèce, il doit être relevé que le préjudice moral dont les requérants se prévalent trouve son origine dans le comportement décisionnel de la BEI et que les conclusions en annulation ont été rejetées. En conséquence, il convient de rejeter la demande en indemnité des requérants.

176    Au vu de tout ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

IX.    Sur les dépens

177    Selon l’article 133 du règlement de procédure du Tribunal, il est statué sur les dépens dans l’arrêt qui met fin à l’instance. Aux termes de l’article 219 dudit règlement, applicable par analogie à la présente procédure de renvoi, il appartient au Tribunal de statuer sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées au titre de l’article 270 TFUE devant le Tribunal de la fonction publique et devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant le Tribunal, au titre des articles 9 à 12 de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Enfin, conformément à l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

178    En l’espèce, il sera fait application de ces dispositions en condamnant les requérants aux dépens afférents à la présente procédure de renvoi, conformément aux conclusions de la BEI. En revanche, la BEI ayant succombé dans ses conclusions dans la procédure initiale devant le Tribunal de la fonction publique (F‑34/10), dans la procédure de pourvoi devant le Tribunal (T‑234/11 P) ainsi que dans la procédure de pourvoi devant le Tribunal après réexamen (T‑234/11 P RENV–RX) et les requérants ayant conclu en ce sens, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés dans ces trois procédures.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :


1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Oscar Orlando Arango Jaramillo et les autres agents de la Banque européenne d’investissement (BEI) dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens afférents à la présente procédure.

3)      La BEI est condamnée aux dépens exposés dans les affaires F34/10, T234/11 P et T234/11 P RENV–RX.

Prek

Buttigieg

Costeira

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2017.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon       M. Prek



*      Langue de procédure : le français.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.


2      La liste des autres agents de la Banque européenne d’investissement n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.