Language of document : ECLI:EU:T:2000:227

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

5 octobre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Promotion -

Rapport de notation - Retard

d'établissement»

Dans l'affaire T-202/99,

Léon Rappe, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Orp-Jauche (Belgique), représenté par Mes J.-N. Louis, G.-F. Parmentier et V. Peere, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire SARL, 13, avenue du Bois,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme F. Clotuche-Duvieusart, membre du service juridique, en qualité d'agent, assistée de Me B. Wägenbaur, avocat à Hambourg, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande, d'une part, d'annulation de la décision de la Commission de ne pas promouvoir le requérant au grade A 6 pour l'exercice de promotion 1998 et, d'autre part, de dommages-intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. K. Lenaerts, président, J. Azizi et M. Jaeger, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 22 juin 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le requérant est entré le 16 janvier 1992 au service de la Commission, d'abord en tant qu'agent auxiliaire. Devenu fonctionnaire stagiaire de grade A 7, il a été titularisé le 1er septembre 1993. Il a d'abord été affecté à la direction générale «Science, recherche et développement» de la Commission (DG XII), puis, à partir du mois de septembre 1997, au secrétariat général de l'unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF), devenue l'Office européen de lutte antifraude (OLAF).

Procédure de notation du requérant

2.
    Le requérant a fait l'objet, outre d'un rapport de fin de stage, d'un rapport de notation pour la période du 1er juillet 1993 au 30 juin 1995, qui contient un total de quatorze appréciations dont quatre «excellent», sept «très bien» et trois «bon».

3.
    À partir de l'exercice de notation relatif à la période du 1er juillet 1995 au 30 juin 1997, la Commission a modifié le système de notation, en redéfinissant notamment le nombre des éléments d'appréciation (dix au lieu de quatorze) ainsi que desniveaux d'appréciation (quatre au lieu de six) et en accordant une importance accrue au dialogue entre notateur et noté.

4.
    La nouvelle procédure de notation comporte successivement:

-    un premier entretien entre le notateur et le noté;

-    l'établissement du rapport et sa communication au noté;

-    en cas de désaccord du noté, le droit pour celui-ci de demander un deuxième entretien avec le notateur;

-    en cas de nouveau désaccord du noté, le droit pour celui-ci de faire recours à un notateur d'appel;

-    en cas de nouveau désaccord du noté, le droit pour celui-ci de saisir le comité paritaire des notations, qui émet un avis sur la base duquel le notateur d'appel procède à l'établissement d'un rapport de notation définitif.

5.
    Conformément au calendrier défini par le guide de la notation, l'établissement dudit rapport définitif devait être terminé avant le 31 décembre 1997 pour l'exercice de promotion 1995/1997.

6.
    Dans le cadre de la notation du requérant, le premier entretien entre celui-ci et le notateur a eu lieu le 30 juin 1997, à la suite duquel un projet de rapport de notation a été établi le 6 mai 1998. Ce dernier comportait, au regard des dix éléments d'appréciation et des quatre niveaux possibles d'appréciation («excellent», «supérieur», «normal» et «insuffisant»), sept fois la mention «normal» et trois fois la mention «supérieur».

7.
    En désaccord avec ce projet de rapport de notation, le requérant a sollicité, d'abord, un deuxième entretien, qui a eu lieu le 9 juin 1998 et à l'issue duquel le notateur n'a pas modifié ses conclusions, puis, le 2 juillet 1998, l'intervention du notateur d'appel, qui a modifié le 24 novembre 1998 les appréciations du notateur en retenant quatre fois le qualificatif «normal» et six fois celui de «supérieur».

8.
    Considérant les modifications faites par le notateur d'appel comme insuffisantes, le requérant a saisi le 14 décembre 1998 le comité paritaire des notations. À la date de la mise en délibéré de la présente affaire, la notation en question n'a toujours pas fait l'objet d'un rapport définitif.

9.
    Le 26 août 1999, le requérant a introduit une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-aprèsle «statut»), visant à la réparation du préjudice moral subi du fait du retard avec lequel a été établi son rapport de notation pour la période 1995/1997.

10.
    Par note du 5 novembre 1999, le directeur général de la direction générale du personnel et de l'administration de la Commission a informé le requérant que, compte tenu du retard significatif pris dans l'établissement du rapport de notation 1995/1997, il avait décidé de lui octroyer une indemnisation de 20 000 francs belges (BEF) à titre de compensation.

Procédure de promotion

11.
    Dans le cadre de l'exercice de promotion 1998, à l'intérieur de la carrière des fonctionnaires, de grade A 7 vers le grade A 6, la situation du requérant a été, nonobstant sa mutation à l'UCLAF, prise en compte par la DG XII, en vertu d'une décision interne de la Commission visant à neutraliser les inconvénients liés à la mobilité.

12.
    Le 20 janvier 1998, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a publié la liste des fonctionnaires susceptibles d'être promus au grade A 6, sur laquelle figuraient huit fonctionnaires relevant de la DG XII, dont le requérant.

13.
    Au sein de chaque direction générale, les différents directeurs ont, conformément à la procédure applicable, présenté leurs propositions de promotion au directeur général. Le nom du requérant figurait en première position dans le cadre des propositions de promotion établies par le directeur de la direction «Affaires administratives et financières» de la DG XII, dont le requérant relevait avant sa mutation à l'UCLAF.

14.
    Par la suite, le directeur général de la DG XII a formulé ses propositions de promotion, qui ont été publiées par l'AIPN le 15 mai 1998. Le nom du requérant y figurait en quatrième et dernière position. Contestant l'ordre de proposition, le requérant a formé un recours interne, qui a été rejeté, après avoir été examiné successivement par le groupe paritaire restreint chargé de l'examen des recours et des problèmes liés à la mobilité et par le comité de promotion pour la catégorie A (ci-après le «comité de promotion»).

15.
    Le requérant a adressé trois notes, en dates des 5, 10 et 15 juin 1998, au président du comité de promotion, afin de l'informer du retard et du déroulement insatisfaisant de sa procédure de notation.

16.
    Le 24 juillet 1998, le comité de promotion a soumis à l'AIPN le projet de liste des fonctionnaires jugés les plus méritants pour obtenir une promotion vers le grade A 6, sur laquelle figurait le nom du requérant. L'AIPN a repris à son compte cette liste, qui a été publiée aux Informations administratives n° 1042 de la Commission du 10 août 1998.

17.
    Le 30 octobre 1998, la Commission a publié aux Informations administratives n° 1049 la liste des fonctionnaires promus au grade A 6, sur laquelle le nom du requérant ne figurait plus.

18.
    Contre cette décision de non-promotion, le requérant a formé, en date du 21 décembre 1998, une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, qui a été rejetée par décision de l'AIPN du 2 juin 1999.

19.
    Le requérant a été promu au grade A 6 dans le cadre de l'exercice de promotion de l'année 1999, décision qui a été publiée aux Informations administratives n° 1080 de la Commission du 13 août 1999.

Procédure et conclusions des parties

20.
    C'est dans ces circonstances que le requérant a formé, en date du 10 septembre 1999, le présent recours.

21.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a ouvert la procédure orale et a, dans le cadre d'une mesure d'organisation de la procédure, posé une question à la Commission. Cette dernière y a répondu dans les délais impartis.

22.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience publique du 22 juin 2000.

23.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision de la Commission de ne pas le promouvoir au grade A 6 au titre de l'exercice de promotion 1998;

-    condamner la Commission à réparer le dommage matériel et moral subi par lui en raison de la privation, par la faute de l'administration, de ses chances de promotion;

-    condamner la Commission aux dépens.

24.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur les conclusions en annulation

25.
    Le requérant invoque plusieurs moyens tirés de la violation de l'article 25 du statut, des droits de la défense, des articles 26, 43 et 45 du statut, et des principes d'égalité de traitement et de bonne administration. Il convient d'examiner ensemble, d'une part, la violation de l'article 25 du statut et des droits de la défense et, d'autre part, la violation des articles 26, 43 et 45 du statut ainsi que des principes d'égalité de traitement et de bonne administration.

Sur la violation de l'article 25 du statut et des droits de la défense

26.
    Le requérant fait observer que la décision portant rejet de la réclamation énonce que, «s'agissant des prétendus vices de procédure, l'AIPN ne peut que constater l'absence d'indices qui pourraient mettre en doute la régularité de la procédure qui, dès lors, peut être considérée comme exempte de critiques». Considérant cette motivation insuffisante, il conclut à une violation de l'obligation de motivation et des droits de la défense.

27.
    Il y a lieu de rappeler que l'obligation de motivation inscrite à l'article 25 du statut a pour but, d'une part, de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de la décision prise par l'administration et l'opportunité d'introduire un recours devant le Tribunal et, d'autre part, de permettre à ce dernier d'exercer son contrôle. L'étendue de cette obligation doit être appréciée en fonction des circonstances concrètes, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que le destinataire peut avoir à recevoir des explications (arrêt du Tribunal du 9 mars 2000, Nuñez/Commission, T-10/99, non encore publié au Recueil, point 41, et la jurisprudence citée).

28.
    Selon une jurisprudence constante, si l'AIPN n'est pas tenue de motiver les décisions de promotion à l'égard des fonctionnaires non promus, elle doit, en revanche, motiver ses décisions portant rejet des réclamations introduites par ces mêmes fonctionnaires. Les promotions se faisant, aux termes de l'article 45 du statut, «au choix», il suffit que la motivation du rejet de la réclamation concerne la réunion des conditions légales auxquelles le statut subordonne la régularité de la promotion (arrêt Nuñez/Commission, précité, point 42).

29.
    Dans sa lettre du 2 juin 1999 portant rejet de la réclamation du requérant, la Commission a décrit le déroulement de la procédure de promotion litigieuse, y compris la circonstance qu'elle s'est référée, en ce qui concerne le requérant, au projet de rapport de notation 1995/1997, et a indiqué que «d'autres candidats avaient des mérites supérieurs qui leur ont donné la priorité et de fait, elle n'a pas été en mesure de retenir le nom du réclamant en vue d'une promotion au grade A 6».

30.
    Cette lettre expose donc à suffisance de droit les raisons pour lesquelles le requérant n'a pas été promu.

31.
    L'argumentation du requérant fondée sur la violation de l'article 25 et des droits de la défense doit donc être rejetée.

Sur la violation des articles 26, 43 et 45 du statut et des principes d'égalité de traitement et de bonne administration

Arguments des parties

32.
    Le requérant soutient que le comité de promotion et l'AIPN n'ont pas procédé à l'examen comparatif des mérites des fonctionnaires promouvables avec soin et impartialité, dans le respect des garanties conférées par les articles 26, 43 et 45 du statut, et conformément aux principes d'égalité de traitement et de bonne administration.

33.
    En effet, l'AIPN aurait, en l'espèce, procédé à l'examen comparatif des mérites des candidats sur la base de leurs rapports de notation. Or, à la date de cet examen et contrairement aux autres candidats, le dossier personnel du requérant n'aurait, à la suite d'un retard fautif imputable à l'administration et reconnu par celle-ci, contenu aucun rapport de notation définitif relativement à la période la plus récente, à savoir la période 1995/1997, mais uniquement un projet de rapport.

34.
    En outre, ce projet de rapport de notation 1995/1997, défavorable au requérant, aurait été incohérent et incomplet au point d'être partiellement réformé par le notateur d'appel.

35.
    La Commission considère que l'absence du rapport de notation le plus récent au moment de la procédure de promotion n'est pas, en soi, une raison suffisante pour annuler la décision de non-promotion. À cet égard, elle expose d'abord que le comité de promotion et l'AIPN disposaient au cours de cette procédure, outre du projet de rapport de notation le plus récent, de différentes observations écrites du requérant dans lesquelles ce dernier exprime en quoi ce projet de rapport était critiquable. Ensuite, la Commission estime que l'absence du rapport définitif de notation 1995/1997 n'a pas eu d'incidence décisive sur la procédure de promotion en ce que les appréciations contenues dans le projet de rapport de notation avant ou après sa révision par le notateur d'appel sont inférieures, notamment, à celles des fonctionnaires promus. Selon la défenderesse, il est peu probable que le comité paritaire des notations modifie de façon substantielle cette situation en réduisant l'écart évoqué ci-dessus.

Appréciation du Tribunal

36.
    L'article 45 du statut dispose que la promotion «se fait exclusivement au choix [...] après examen des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion ainsi que des rapports dont ils ont fait l'objet».

37.
    Les rapports visés à l'article 45, précité, sont ceux mentionnés à l'article 43 du statut (arrêt de la Cour du 19 mars 1964, Raponi/Commission, 27/63, Rec. p. 247).

38.
    Selon une jurisprudence constante, le rapport de notation constitue un élément d'appréciation indispensable chaque fois que la carrière du fonctionnaire est prise en considération par le pouvoir hiérarchique (voir, notamment, arrêt de la Cour du 5 juin 1980, Oberthür/Commission, 24/79, Rec. p. 1743, point 8), et une procédure de promotion est entachée d'irrégularité lorsque l'AIPN n'a pas pu procéder à un examen comparatif des mérites des candidats parce que les rapports de notation d'un ou de plusieurs d'entre eux ont été établis, du fait de l'administration, avec un retard substantiel (voir, notamment, arrêts de la Cour du 10 juin 1987, Vincent/Parlement, 7/86, Rec. p. 2473, point 16, et du 17 décembre 1992, Moritz/Commission, C-68/91 P, Rec. p. I-6849, point 16, et du Tribunal du 19 septembre 1996, Allo/Commission, T-386/94, RecFP p. I-A-393 et II-1161, point 38).

39.
    Toutefois, cette jurisprudence n'implique pas que tous les candidats doivent se trouver, au moment de la décision de promotion, exactement au même stade en ce qui concerne l'état de leurs rapports de notation, ni que l'AIPN a l'obligation de reporter sa décision si le rapport le plus récent de l'un ou de l'autre des candidats n'est pas encore définitif par suite d'une saisine du notateur d'appel ou du comité paritaire (arrêt de la Cour du 27 janvier 1983, List/Commission, 263/81, Rec. p. 103, point 27).

40.
    Par ailleurs, l'irrégularité relevée au point 38 ci-dessus ne donne pas lieu à sanction dans deux hypothèses. D'une part, dans des circonstances exceptionnelles, l'absence de rapport de notation peut être compensée par l'existence d'autres informations sur les mérites du fonctionnaire (arrêt de la Cour du 18 décembre 1980, Gratreau/Commission, 156/79 et 51/80, Rec. p. 3943, point 22). D'autre part, il ne suffit pas, pour annuler les promotions, que le dossier personnel d'un candidat soit irrégulier et incomplet, encore faut-il qu'il soit établi que cette circonstance a pu avoir une incidence décisive sur la procédure de promotion (arrêts Gratreau/Commission, précité, point 24, List/Commission, précité, point 27, et Vincent/Parlement, précité, point 17).

41.
    Il convient, dès lors, d'analyser en l'espèce si la procédure de promotion est entachée d'une irrégularité et, dans l'affirmative, si cette irrégularité doit donner lieu à sanction.

- Sur l'existence d'une irrégularité de la procédure de promotion

42.
    Il est constant entre les parties que le rapport de notation 1995/1997 du requérant n'était pas définitif au moment où l'AIPN a décidé de la promotion des fonctionnaires les plus méritants et qu'elle était informée de cette circonstance. En fait, à la date d'adoption de la décision de non-promotion du requérant, le 30 octobre 1998, le notateur d'appel qui a sensiblement amélioré les appréciationsportées sur le requérant par le premier notateur ne s'était pas encore prononcé (voir point 7 ci-dessus).

43.
    Il est vrai que, selon la jurisprudence précitée, tous les candidats ne doivent pas nécessairement se trouver, au moment de la décision de promotion, exactement au même stade en ce qui concerne l'état de leurs rapports de notation et que l'AIPN n'a pas l'obligation de reporter sa décision si le rapport le plus récent de l'un ou de l'autre des candidats n'est pas encore définitif par suite d'une saisine du notateur d'appel ou du comité paritaire des notations.

44.
    La seule circonstance que l'AIPN ne dispose pas du rapport de notation le plus récent d'un des candidats ne constitue donc pas, en soi, une irrégularité.

45.
    Il y a, toutefois, irrégularité si cette absence de rapport de notation n'est pas due au déroulement normal de la procédure de notation, mais à un retard substantiel de celle-ci, imputable à l'administration.

46.
    En l'espèce, il résulte des circonstances de l'espèce (voir points 5 à 7 ci-dessus) que l'absence de rapport de notation procède d'un retard substantiel de la procédure de notation imputable à l'administration.

47.
    La procédure de promotion au titre de l'exercice 1998 est donc entachée d'une irrégularité en ce qui concerne le requérant.

48.
    Cette conclusion n'est pas mise en cause par la circonstance que la Commission, par sa décision du 5 novembre 1999, a octroyé au requérant une indemnisation de 20 000 BEF, compte tenu du retard significatif pris dans l'établissement du rapport de notation 1995/1997.

49.
    En effet, cette décision, dont l'objet est exclusivement de réparer le dommage moral causé par la faute de la Commission dans la procédure de notation, est sans incidence quant à l'analyse des conséquences que cette faute est susceptible de produire sur la procédure de promotion au titre de l'exercice 1998.

- Sur l'existence de circonstances empêchant que l'irrégularité soit sanctionnée

50.
    La Commission invoque deux circonstances susceptibles d'éviter toute sanction de l'irrégularité constatée, à savoir, premièrement, que l'absence de rapport de notation serait compensée par d'autres informations et, deuxièmement, que l'irrégularité n'aurait pas pu avoir une incidence décisive sur la procédure de promotion.

51.
    Premièrement, il a été constaté ci-dessus que l'absence de rapport de notation peut être compensée par l'existence d'autres informations sur les mérites du fonctionnaire, qui étaient à la disposition du comité de promotion et de l'AIPN.

52.
    En l'espèce, l'AIPN avait à sa disposition, au moment de l'examen comparatif des mérites, un rapport de notation non définitif et, de surcroît, contesté par le requérant. Or, il convient de rappeler qu'un tel rapport ne peut être classé dans le dossier personnel du fonctionnaire et ne peut lui-même servir de source d'autres informations (arrêt Gratreau/ Commission, précité, point 22, et arrêt du Tribunal du 21 novembre 1996, Michaël/Commission, T-144/95, RecFP p. I-A-529 et II-1429, point 52).

53.
    Il y a donc lieu de vérifier si d'autres éléments d'information ont pu compenser l'absence de rapport de notation définitif.

54.
    Toutefois, la possibilité de se référer à ces éléments suppose l'existence de circonstances exceptionnelles (voir, par exemple, arrêt Moritz/Commission, précité, point 21). Or, en l'espèce, la Commission n'a pas établi l'existence de telles circonstances ni même fait mention de celles-ci.

55.
    De plus, en l'absence d'un rapport de notation, il incombe à l'institution défenderesse de rapporter la preuve, par des éléments objectifs susceptibles de faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, qu'elle a respecté les garanties accordées par l'article 45 du statut au fonctionnaire ayant vocation à la promotion et procédé à un examen comparatif des mérites des candidats à la promotion (arrêts du Tribunal du 13 juillet 1995, Rasmussen/Commission, T-557/93, RecFP p. I-A-195 et II-603, point 33, Michaël/Commission, précité, point 52, et du 24 février 2000, Jacobs/Commission, T-82/98, non encore publié au Recueil, point 40).

56.
    Or, des éléments d'information ne peuvent remédier à l'absence d'un rapport de notation que s'ils répondent à certaines conditions dont il incombe à l'institution défenderesse de prouver la réunion. Il faut, premièrement, qu'ils soient suffisamment objectifs pour permettre un contrôle juridictionnel, deuxièmement, qu'ils contiennent une appréciation des mérites du fonctionnaire effectuée par les personnes responsables de l'établissement de son rapport de notation, troisièmement, qu'ils aient été communiqués au fonctionnaire de manière à assurer le respect des droits de la défense, quatrièmement, qu'ils soient connus par le comité de promotion au moment de son examen comparatif des mérites de tous les candidats (arrêt Jacobs/Commission, précité, point 41).

57.
    Il s'ensuit que les éléments d'information susceptibles de suppléer à l'absence de rapport de notation doivent être largement analogues à celui-ci, en ce qui concerne leur origine, leur procédure d'établissement et leur objet.

58.
    La Commission se prévaut, à cet égard, de notes envoyées les 5, 10 et 15 juin 1998 par le requérant au président du comité de promotion et ayant pour objet d'informer ce dernier du retard et du déroulement jugé insatisfaisant par le requérant de sa procédure de notation.

59.
    Contrairement à un rapport de notation, ces notes ne sont pas le résultat d'une appréciation objective portée, à la suite d'une procédure contradictoire, par des tiers sur les mérites du fonctionnaire. Elles ne peuvent bénéficier, de ce fait, de la crédibilité attachée aux rapports de notation. Eu égard au principe d'égalité de traitement, l'AIPN ne serait pas, en tout état de cause, en droit de retenir exclusivement de telles explications unilatérales d'un candidat dans le cadre d'un examen comparatif des mérites, fondé en principe sur des rapports de notation.

60.
    Par ailleurs, ces notes ont pour objet non pas d'établir les mérites du requérant, mais de démontrer pour quelles raisons le projet de rapport de notation 1995/1997 est incomplet et erroné. Elles visaient donc non à remplacer le projet de rapport de notation, mais à amener l'AIPN à ne pas en tenir compte.

61.
    Elles auraient, dès lors, certainement pu fonder soit un report de l'examen des mérites du requérant dans l'attente de l'établissement du rapport de notation définitif, soit, à tout le moins, une invitation à l'administration à fournir des informations complémentaires. Elles ne pouvaient, toutefois, ne fût-ce qu'au vu de leur objet, constituer l'unique autre source d'information de l'AIPN.

62.
    Deuxièmement, la Commission soutient que le recours n'est pas fondé au motif que l'irrégularité commise n'a pas eu une incidence décisive sur la procédure de promotion. En effet, selon la défenderesse, la notation du requérant, telle qu'établie dans le projet de rapport de notation avant ou après sa révision par le notateur d'appel, est nettement inférieure à celle des fonctionnaires promus et de la plupart des fonctionnaires promouvables, et il est peu probable que le rapport de notation définitif s'écarte fortement du projet de rapport de notation.

63.
    Ce raisonnement ne saurait être admis. En effet, le rapport de notation définitif 1995/1997 n'ayant, à la date de la mise en délibéré de la présente affaire, toujours pas été établi, sa teneur n'est actuellement pas connue. Or, il ne saurait nullement être exclu que ledit rapport comporte l'énoncé de mérites supérieurs à ceux indiqués dans le projet de rapport de notation avant ou après sa révision par le notateur d'appel. Par conséquent, il n'est nullement exclu que l'absence, au moment de l'examen comparatif des mérites, de ce rapport de notation définitif a effectivement pu influencer le déroulement de la procédure de promotion au détriment du requérant.

64.
    De plus, il est impossible de spéculer sur le résultat probable de la comparaison que l'AIPN aurait effectuée entre, d'une part, le projet de rapport de notation tel que réformé par le notateur d'appel, qui comporte des appréciations sensiblement améliorées sur le requérant et qui n'était pas établi au moment de l'examen comparatif des mérites, et, d'autre part, les rapports de notation des autres fonctionnaires promouvables (voir, en ce sens, arrêt Michaël/Commission, précité, point 57). Le raisonnement de la Commission aboutit, en réalité, à subordonner la légalité de la décision de non-promotion au contenu d'un rapport de notation établipostérieurement à la décision, ce qui, en tout état de cause, ne saurait être admis (arrêt Rasmussen/Commission, précité, point 49).

65.
    À plus forte raison, il est impossible de spéculer sur le résultat probable de la comparaison que l'AIPN aurait effectuée entre, d'une part, le rapport de notation définitif du requérant, non établi au moment de la mise en délibéré de la présente affaire et donc, bien évidemment, au moment de l'examen comparatif des mérites des candidats à la promotion, et dont il n'est pas à exclure qu'il puisse comporter de meilleures appréciations sur le requérant, et, d'autre part, les rapports de notation des autres fonctionnaires promouvables.

66.
    Dans le cas présent, caractérisé par l'absence du rapport de notation définitif 1995/1997 du requérant au moment de la comparaison des mérites par suite d'un retard fautif imputable à l'administration, et par le fait que l'administration n'avait pas à sa disposition et n'a pas recherché d'autres éléments d'information valables suppléant l'absence de rapport de notation, il appartenait à l'AIPN de reporter l'examen de la promotion du requérant au titre de l'exercice 1998, jusqu'à l'établissement du rapport de notation définitif (arrêt Rasmussen/Commission, précité, point 49).

67.
    Il résulte de ce qui précède que la procédure de promotion au grade A 6 effectuée par la Commission, au titre de l'exercice 1998, est entachée d'une irrégularité constitutive d'un vice substantiel, en ce qu'il n'a pas été satisfait à l'examen comparatif des mérites de l'intéressé et des autres candidats à la promotion, tel qu'exigé par l'article 45 du statut, sans qu'il soit besoin d'examiner ni la recevabilité ni le bien-fondé du grief tiré du caractère incohérent, incomplet et, partant, irrégulier du projet de rapport de notation.

68.
    Il y a lieu, en conséquence, d'annuler la décision de la Commission de ne pas promouvoir le requérant au grade A 6, au titre de l'exercice de promotion 1998.

Sur les conclusions en indemnité

69.
    Le requérant demande l'indemnisation d'un préjudice matériel, à savoir la perte d'une chance de promotion et d'un préjudice moral, consistant, d'une part, dans l'état d'incertitude et d'inquiétude dans lequel il se trouvait quant à son avenir professionnel et à la reconnaissance de ses mérites et, d'autre part, dans le fait que son nom n'a pas été repris sur la liste rendue publique des fonctionnaires promus.

70.
    En ce qui concerne le préjudice matériel invoqué, le Tribunal constate que l'annulation de la décision de non-promotion du requérant, impliquant un nouvel examen comparatif des mérites de ce dernier sur la base du rapport de notation définitif, une fois celui-ci établi, équivaut à restituer au requérant sa chance de promotion au titre de l'exercice 1998. Le préjudice allégué n'est donc pas établi.

71.
    En ce qui concerne le premier volet du préjudice moral allégué, qui consisterait dans l'état d'incertitude et d'inquiétude du requérant quant à son avenir professionnel et à la reconnaissance de ses mérites, il résulte de la requête que le préjudice allégué a pour origine non pas la décision de non-promotion, mais la cause supposée de celle-ci, à savoir le retard pris dans l'établissement du rapport de notation 1995/1997. Le préjudice allégué ne résulte donc pas de la décision attaquée de non-promotion, mais d'une faute distincte de l'administration, à savoir le retard pris dans l'établissement du rapport de notation 1995/1997, de sorte que cette branche des conclusions en indemnité ne peut être considérée comme accessoire au recours en annulation. Cette conclusion est confirmée par le fait que le requérant avait introduit une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut invitant l'AIPN à réparer ce préjudice, qui a été suivi d'effet par une décision de l'administration du 5 novembre 1999 lui octroyant une indemnité de 20 000 BEF. Il s'ensuit que cette branche des conclusions en indemnité est irrecevable.

72.
    En ce qui concerne le second volet du préjudice moral invoqué, le Tribunal estime que ce préjudice est réparé de manière adéquate par l'annulation de la décision attaquée (arrêt Nuñez/Commission, précité, point 48).

73.
    Les conclusions en indemnité doivent donc être rejetées.

Sur les dépens

74.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu, au vu des conclusions du requérant, de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission de ne pas promouvoir le requérant au grade A 6 au titre de l'exercice de promotion 1998 est annulée.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission est condamnée aux dépens.

Lenaerts
Azizi
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 octobre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: le français.