Language of document : ECLI:EU:T:1999:2

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

13 janvier 1999(1)

«Recours en indemnisation — Responsabilité extracontractuelle — Lait — Prélèvement supplémentaire — Quantité de référence — Producteur ayant souscrit à un engagement de non-commercialisation — Non-reprise volontaire de la production à la fin de l'engagement — Actes des autorités nationales»

Dans l'affaire T-1/96,

Bernhard Böcker-Lensing et Ludger Schulze-Beiering, exploitants agricoles, associés d'une société de droit civil allemand, demeurant à Borken (Allemagne), représentés par Mes Bernd Meisterernst, Mechtild Düsing, Dietrich Manstetten, Frank Schulze et Klaus Kettner, avocats à Münster, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Dupong et Dupong, 4-6, rue de la Boucherie,

parties requérantes,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par M. Arthur Brautigam, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Mes Hans-Jürgen Rabe, Georg M. Berrisch et Marco Núñez-Müller, avocats à Hambourg et à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbili, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

et

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Dierk Booß, conseiller juridique principal, et Michael Niejahr, membre du service juridique, en qualité d'agents, assisté de Mes Hans-Jürgen Rabe, Georg M. Berrisch et Marco Núñez-Müller, avocats à Hambourg et à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande d'indemnisation, en application des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CE, des préjudices subis par les requérants du fait qu'ils ont été empêchés de commercialiser du lait en application du règlement (CEE) n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 13), tel que complété par le règlement (CEE) n° 1371/84 de la Commission, du 16 mai 1984 (JO L 132, p. 11),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 24 septembre 1998,

rend le présent

Arrêt

Cadre réglementaire

1.
    En 1977, confronté à un excédent de production de lait dans la Communauté, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 1078/77, du 17 mai 1977, instituant un régime de primes de non-commercialisation du lait et des produits laitiers et de reconversion de troupeaux bovins à orientation laitière (JO L 131, p. 1, ci-après «règlement n° 1078/77»). Ce règlement offrait aux producteurs la possibilité de souscrire à un engagement de non-commercialisation de lait, ou de reconversion des troupeaux, pendant une période de cinq ans, en contrepartie du paiement d'une prime.

2.
    En dépit de la souscription de tels engagements par de nombreux producteurs, la situation de surproduction persistait en 1983. Le Conseil a donc adopté le règlement (CEE) n° 856/84, du 31 mars 1984 (JO L 90, p. 10), modifiant le règlement (CEE) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 148, p. 13). Le nouvel article 5 quater de ce dernier texte institue un «prélèvement supplémentaire» sur les quantités de lait livrées par les producteurs qui dépassent une «quantité de référence».

3.
    Le règlement (CEE) n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 13, ci-après «règlement n° 857/84»), a fixé la quantité de référence pour chaque producteur, sur la base de la production livrée au cours d'une année de référence, à savoir l'année civile 1981, sous réserve de la possibilité pour les États membres de choisir l'année civile 1982 ou l'année civile 1983. La République fédérale d'Allemagne a choisi cette dernière comme année de référence.

4.
    Les engagements de non-commercialisation souscrits par certains des producteurs dans le cadre du règlement n° 1078/77 couvraient les années de référence retenues. N'ayant pas produit de lait pendant celles-ci, ils n'ont pu se voir attribuer une quantité de référence ni, en conséquence, commercialiser aucune quantité de lait exempte du prélèvement supplémentaire.

5.
    Par arrêts du 28 avril 1988, Mulder (120/86, Rec. p. 2321, ci-après «arrêt Mulder I»), et Von Deetzen (170/86, Rec. p. 2355), la Cour a déclaré invalide, pour violation du principe de la confiance légitime, le règlement n° 857/84, tel que complété par le règlement (CEE) n° 1371/84 de la Commission, du 16 mai 1984, fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 (JO L 132, p. 11).

6.
    En exécution de ces arrêts, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 764/89, du 20 mars 1989, modifiant le règlement n° 857/84 (JO L 84, p. 2). En application de ce règlement modificatif, les producteurs qui avaient souscrit à des engagements de non-commercialisation ont reçu une quantité de référence dite «spécifique» (appelée aussi «quota»).

7.
    L'attribution de cette quantité de référence spécifique était soumise à plusieurs conditions. Certaines de ces conditions, qui avaient trait, notamment, au moment auquel expirait l'engagement de non- commercialisation, ont été déclarées invalides par la Cour, dans les arrêts du 11 décembre 1990, Spagl (C-189/89, Rec. p. I-4539), et Pastätter (C-217/89, Rec. p. I-4585).

8.
    A la suite de ces arrêts, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 1639/91, du 13 juin 1991, modifiant le règlement n° 857/84 (JO L 150, p. 35, ci-après «règlement

n° 1639/91»), qui, en supprimant les conditions déclarées invalides, a permis l'attribution aux producteurs en question d'une quantité de référence spécifique.

9.
    Par arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission (C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, ci-après «arrêt Mulder II»), la Cour a déclaré la Communauté responsable des dommages causés à certains producteurs laitiers qui avaient été empêchés de commercialiser du lait du fait de l'application du règlement n° 857/84, pour avoir souscrit à des engagements en application du règlement n° 1078/77.

10.
    A la suite de cet arrêt, le Conseil et la Commission ont publié, le 5 août 1992, la communication 92/C 198/04 (JO C 198, p. 4). Après y avoir rappelé les implications de l'arrêt Mulder II, et dans le but de donner plein effet à celui-ci, les institutions ont exprimé leur intention d'adopter les modalités pratiques d'indemnisation des producteurs concernés. Jusqu'à l'adoption de ces modalités, les institutions se sont engagées à renoncer, à l'égard de tout producteur ayant droit à une indemnisation, à soulever la prescription résultant de l'article 43 du statut (CEE) de la Cour. Toutefois, l'engagement était soumis à la condition que le droit à l'indemnisation n'était pas encore prescrit à la date de publication de la communication ou à la date à laquelle le producteur s'était adressé à l'une des institutions.

11.
    Ensuite, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 2187/93, du 22 juillet 1993, prévoyant l'offre d'une indemnisation à certains producteurs de lait ou de produits laitiers qui ont été empêchés temporairement d'exercer leur activité (JO L 196, p. 6). Ce règlement prévoit une offre d'indemnisation forfaitaire destinée aux producteurs qui, dans certaines conditions, ont subi des préjudices dans le cadre de l'application de la réglementation visée par l'arrêt Mulder II.

Faits à l'origine du litige

12.
    M. Böcker-Lensing, exploitant agricole à Borken (Allemagne), a souscrit à un engagement de non-commercialisation dans le cadre du règlement n° 1078/77. Cet engagement a pris fin le 18 mars 1983. Le requérant n'a pas repris la production de lait à la fin de cet engagement.

13.
    Par contrat du 13 septembre 1988, il a créé avec un autre exploitant agricole, M. Schulze-Beiering, à partir du 15 septembre 1988, une société civile dont l'objet était la gestion d'une exploitation agricole. Il a apporté à cette société le terrain agricole pour lequel il avait souscrit à l'engagement de non-commercialisation.

14.
    Par lettre du 28 juin 1989, il a demandé l'attribution d'une quantité de référence aux autorités nationales.

15.
    Par lettres du 21 décembre 1990, adressées au Conseil et à la Commission, il a demandé une indemnisation des dommages subis. Dans leurs réponses, respectivement du 11 janvier 1991 et du 19 février 1991, les institutions se sont déclarées disposées à ne pas invoquer la prescription jusqu'à l'expiration d'un délai

de trois mois faisant suite à la publication, au Journal officiel des Communautés européennes, de l'arrêt Mulder II, pour autant que ses droits n'étaient pas déjà prescrits.

16.
    Après l'adoption du règlement n° 1639/91, les autorités nationales ont refusé d'attribuer une quantité de référence au premier requérant, au motif que, en raison de l'apport à la société du terrain agricole objet de l'engagement de non-commercialisation, il n'était plus possible de le considérer comme «producteur», au sens de l'article 12, sous c), du règlement n° 857/84.

17.
    A la suite de l'adoption du règlement n° 2187/93, du 22 juillet 1993, précité, le premier requérant a demandé à ce que lui fût adressée l'offre d'indemnisation prévue par ce texte. Cette demande a été rejetée au motif que, contrairement à ce qu'exigeait le règlement, aucun des requérants n'avait bénéficié de l'attribution d'une quantité de référence définitive.

18.
    Postérieurement à l'arrêt de la Cour du 27 janvier 1994, Herbrink (C-98/91, Rec. p. I-223), qui a reconnu à une société civile un droit à l'octroi d'une quantité de référence spécifique, la société Böcker-Beiering a reçu des autorités nationales, le 10 avril 1995, une quantité de référence spécifique provisoire, qui est devenue définitive le 5 juillet 1996.

19.
    Par lettre du 5 avril, les requérants ont fait valoir auprès de la Commission un droit à un dédommagement. Par lettre du 30 mai 1995, la Commission a répondu que des vérifications étaient en cours afin de déterminer dans quelle mesure une indemnisation pouvait leur être accordée. Cette lettre est restée sans suite.

20.
    Par contrat du 27 juin 1996, le premier requérant a cédé à la société ses droits à indemnisation à l'encontre de la Communauté.

Procédure et conclusions des parties

21.
    Par requête déposée le 2 janvier 1996, les requérants ont introduit le présent recours. Outre les conclusions indiquées ci-après, ils ont sollicité la suspension de l'affaire.

22.
    Par acte déposé le 5 février 1996, le Conseil et la Commission se sont opposés à cette dernière demande. Celle-ci a été rejetée par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal en date du 27 février 1996.

23.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables, mais a invité les parties à répondre par écrit à certaines questions.

24.
    Les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    condamner les parties défenderesses à leur verser, pour la période du 2 avril 1984 au 13 juin 1991, une indemnité s'élevant à 118 436,52 DM, avec intérêts au taux de 8 % l'an à compter du 19 mai 1992;

—    les condamner à supporter les frais de procédure ainsi que des frais d'expertise s'élevant à 1961,90 DM.

25.
    Les parties défenderesses concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme irrecevable;

—    à titre subsidiaire, le rejeter comme non fondé;

—    condamner les requérants aux dépens.

En droit

26.
    Les requérants allèguent que les conditions de la responsabilité de la Communauté du chef des dommages qu'ils ont subis sont réunies. Les défendeurs contestent que ces conditions soient réunies et invoquent l'irrecevabilité du recours, aux motifs qu'il violerait les exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure et que les droits invoqués seraient atteints par la prescription.

Sur la recevabilité

27.
    Les parties défenderesses soutiennent que la requête ne répond pas aux exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Elles affirment que la requête n'a pas montré par quel moyen le premier requérant a apporté à la société les droits à dédommagement invoqués.

28.
    Elles relèvent en outre que ces droits sont prescrits. Les lettres envoyées par le premier requérant au Conseil et à la Commission le 21 décembre 1990 n'auraient pas été de nature à interrompre la prescription, les requérants n'ayant pas introduit un recours dans le délai de deux mois de l'article 173 du traité, auquel renvoie l'article 43, troisième phrase, du statut de la Cour. Dans ces circonstances, à la date d'introduction du recours, le 2 janvier 1996, tous les droits nés avant le 2 janvier 1991 auraient été prescrits.

29.
    Le Tribunal rappelle que, conformément à l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit contenir l'indication de l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués.

30.
    En l'espèce, la preuve de la cession des droits à dédommagement du premier requérant à la société résulte du contrat conclu entre les deux parties le 27 juin

1996, joint au dossier par les requérants au stade du mémoire en réplique. Il ressort en effet de cette pièce que le premier requérant a cédé à la société les droits à indemnisation dont il était titulaire antérieurement à la création de celle-ci.

31.
    S'agissant de la prescription, le Tribunal estime que, dans le cas d'espèce, celle-ci est un moyen de nature à affecter l'étendue du droit à dédommagement invoqué par les requérants. Il s'avère donc opportun d'examiner, de prime abord, si les conditions de nature à engager la responsabilité de la Communauté au titre de l'article 215 du traité sont réunies.

32.
    Il résulte de ce qui précède que le recours est recevable.

    Sur la responsabilité de la Communauté

Arguments des parties

33.
    Les requérants allèguent qu'ils ont subi un préjudice du fait de la non-attribution d'une quantité de référence par le règlement n° 857/84, dont l'invalidité a été déclarée par la Cour. Sur le fondement de l'arrêt Mulder II, ils soutiennent que la réparation de ce dommage incombe aux institutions.

34.
    La période de privation de production se serait étendue jusqu'au moment où une quantité de référence provisoire a été attribuée aux requérants, en 1995, à la suite de l'arrêt Herbrink, précité. Toutefois, à partir de l'adoption du règlement n° 1639/91, qui a accordé une quantité de référence aux producteurs dans leur situation, la responsabilité de la privation de cette quantité serait imputable aux autorités nationales. En conséquence, la période à indemniser en l'espèce ne s'étendrait que jusqu'au 13 juin 1991, date d'entrée en vigueur du règlement n° 1639/91.

35.
    En réponse aux arguments des défendeurs tirés de l'absence d'un lien de causalité entre les dommages et l'acte communautaire, les requérants affirment que, dans les arrêts Spagl et Pastätter, précités, la Cour a jugé qu'on ne pouvait pas exiger des producteurs ayant souscrit à un engagement de non-commercialisation qu'ils reprennent la production de lait immédiatement après son expiration. En conséquence, chaque agriculteur dont la période de non-commercialisation a expiré en 1983 devrait avoir eu le temps de moderniser ses installations et son cheptel avant de reprendre la production.

36.
    Les requérants déclarent qu'ils avaient l'intention de reprendre la production de lait après avoir modernisé le cheptel, ce qu'ils n'ont pas pu faire en raison du règlement n° 857/84. De toute façon, il résulterait de l'arrêt de la Cour du 22 octobre 1992, Dowling (C-85/90, Rec. p. I-5305), que les producteurs devaient, en vue de la reprise de la production de lait, disposer au moins de la période allant du 1er janvier 1983 jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement n° 857/84, en 1984.

37.
    En ce qui concerne le statut de producteur, mis en doute par les défendeurs, les requérants affirment qu'une quantité de référence définitive leur a été octroyée par les autorités nationales, de sorte que celles-ci leur auraient reconnu la qualité de producteur. Les institutions communautaires seraient liées par cette reconnaissance.

38.
    Les défendeurs contestent que la responsabilité de la Communauté soit engagée à l'égard des requérants. En effet, le premier requérant aurait volontairement décidé, à la fin de son engagement de non-commercialisation en 1983, de ne pas reprendre la production. L'abandon de la production ayant ainsi été décidé pour des raisons étrangères à l'engagement ou à ses conséquences, on ne pourrait prétendre que le principe de protection de la confiance légitime a été violé. La perte de revenus invoquée ne présenterait donc aucun lien de causalité avec l'activité normative de la Communauté.

         Appréciation du Tribunal

39.
    La responsabilité extracontractuelle de la Communauté du fait des dommages causés par les institutions, prévue à l'article 215, deuxième alinéa, du traité, ne peut être engagée que si un ensemble de conditions, en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice invoqué, est réuni (arrêts de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle e.a./Conseil et Commission, 197/80, 198/80, 199/80, 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 18, et du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 80).

40.
    En ce qui concerne la situation des producteurs de lait ayant souscrit à un engagement de non-commercialisation, la responsabilité de la Communauté est engagée à l'égard de chaque producteur qui a subi un préjudice réparable du fait qu'il a été empêché de livrer du lait en application du règlement n° 857/84 (arrêt Mulder II, point 22).

41.
    Cette responsabilité est fondée sur l'atteinte à la confiance légitime que les producteurs, incités par un acte de la Communauté à suspendre la commercialisation de lait pour une période limitée, dans l'intérêt général et contre paiement d'une prime, pouvaient placer dans le caractère limité de leur engagement de non-commercialisation (arrêt Mulder I, point 24, et arrêt Von Deetzen, précité, point 13). Cependant, le principe de la confiance légitime ne fait pas obstacle à ce que, sous un régime tel que celui du prélèvement supplémentaire, des restrictions soient imposées à un producteur, en raison du fait qu'il n'a pas commercialisé de lait pendant une période déterminée, antérieure à l'entrée en vigueur dudit régime, pour des raisons étrangères à son engagement de non-commercialisation.

42.
    Les requérants invoquent une privation illégale de quantité de référence entre le 2 avril 1984 et le 13 juin 1991, qui serait la conséquence de l'application du règlement n° 857/84. Celui-ci aurait frustré l'espoir du premier requérant de reprendre la production laitière à la fin de sa période de non-commercialisation.

43.
    Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'examiner, d'abord, si les allégations que les requérants avancent pour fonder un droit à dédommagement sont établies, notamment, en ce qui concerne l'existence d'un comportement illégal des institutions et la réalité du préjudice prétendu.

44.
    Il convient de constater que le premier requérant n'a pas repris la production de lait à la fin de sa période de non-commercialisation, en mars 1983, ni manifesté l'intention de la reprendre que plusieurs années après. Comme la Commission le relève à juste titre, il résulte du rapport d'expertise produit par les requérants que l'étable s'est maintenue en état entre le début et la fin de l'engagement. L'exploitant aurait donc pu reprendre la production en 1983 et, en conséquence, bénéficier d'une quantité de référence lors de l'entrée en vigueur du régime du prélèvement supplémentaire, en 1984.

45.
    En outre, les raisons pour lesquelles la production laitière n'a pas été reprise à l'expiration de l'engagement de non-commercialisation étaient étrangères au fait qu'un engagement au titre du règlement n° 1078/77 avait été souscrit. En effet, ainsi que l'avocat des requérants l'a précisé à l'audience, le premier requérant a voulu se donner un certain délai pour reconstituer le capital nécessaire à la modernisation de l'étable.

46.
    Contrairement aux requérants dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Spagl et Pastätter, précités, le premier requérant n'a pas, en l'espèce, démontré avoir fait des démarches susceptibles de prouver son intention de reprendre la production à la fin de la période de non-commercialisation.

47.
    N'ayant pas, volontairement, repris la production, il ne saurait prétendre avoir placé une confiance légitime dans une possibilité de reprendre la production de lait à n'importe quel moment dans le futur. En effet, dans le domaine des organisationscommunes de marché, dont l'objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le fait qu'ils ne seront pas soumis à des restrictions résultant d'éventuelles règles relevant de la politique des marchés ou de la politique des structures (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 17 juin 1987, Frico, 424/85 et 425/85, Rec. p. 2755, point 33, Mulder I, point 23, et Von Deetzen, précité, point 12).

48.
    Dans ces conditions, le premier requérant ne figurait pas parmi les producteurs auxquels le règlement n° 764/89, du 20 mars 1989, précité, et le règlement n° 1639/91 étaient applicables, dès lors que ces actes normatifs n'avaient pour but

que de mettre fin à l'exclusion de l'attribution d'une telle quantité aux producteurs qui avaient été empêchés de reprendre la commercialisation à la fin de l'engagement auquel ils avaient souscrit.

49.
    Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée à l'égard des requérants du fait de l'application du règlement n° 857/84.

50.
    Le fait que les requérants ont reçu une quantité de référence des autorités nationales, le 10 avril 1995, n'infirme en rien cette conclusion. Le comportement des autorités nationales ne liant pas la Communauté, l'attribution d'une quantité de référence ne préjuge pas la question de l'existence d'un droit à dédommagement au titre de l'article 215, deuxième alinéa, du traité.

51.
    De plus, les requérants ne sauraient prétendre avoir subi un préjudice au cours de la période allant du 2 avril 1984 au 28 juin 1989 au motif qu'ils auraient été empêchés de reprendre la production de lait. En effet, le premier requérant n'a demandé l'attribution d'une quantité de référence que le 28 juin 1989.

52.
    En l'absence d'un quelconque acte illégal des défendeurs à l'origine du dommage invoqué, la responsabilité de la Communauté ne saurait donc être retenue. Par suite, il n'est pas nécessaire de vérifier si les autres conditions d'une telle responsabilité sont remplies.

53.
    Dans ces circonstances, il n'y a pas davantage lieu d'examiner la question de la prescription.

54.
    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

55.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens du Conseil et de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Les requérants sont condamnés aux dépens.

Vesterdorf Moura Ramos Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 janvier 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.