Language of document : ECLI:EU:T:2021:453

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 juillet 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation au Venezuela – Gel des fonds – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur les listes – Maintien du nom du requérant sur les listes – Erreur d’appréciation – Droit de propriété »

Dans l’affaire T‑551/18,

Sandra Oblitas Ruzza, demeurant à Caracas (Venezuela), représentée par Mes F. Di Gianni et L. Giuliano, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. Antoniadis, Mmes S. Kyriakopoulou et P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2018/901 du Conseil, du 25 juin 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 160 I, p. 12), et de la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil, du 6 novembre 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 10), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2018/899 du Conseil, du 25 juin 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 160 I, p. 5), et du règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil, du 6 novembre 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 1), en ce que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 4 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Mme Sandra Oblitas Ruzza, est la vice-présidente du Consejo Nacional Electoral (Conseil électoral national, ci-après le « CNE ») du Venezuela et la présidente de la Commission du registre civil et électoral (ci-après la « Commission du registre ») du Venezuela. En vertu des articles 292 et 293 de la Constitution vénézuélienne, le CNE exerce le « pouvoir électoral » en tant qu’organe directeur auquel d’autres organismes sont subordonnés. À ce titre, notamment, il réglemente l’application des lois électorales, organise, administre, dirige et surveille tous les actes relatifs à l’élection des candidats chargés de la représentation populaire ainsi qu’aux référendums. Dans le cadre de ses missions, il lui incombe, notamment, de garantir l’égalité, la fiabilité, l’impartialité, la transparence et l’efficacité des processus électoraux. La Commission du registre est un organe subordonné au CNE. Elle est chargée de la création, de l’organisation, du contrôle et de la mise à jour des registres civils et électoraux.

 Mise en place du régime de mesures restrictives : décision (PESC) 2017/2074 et règlement (UE) 2017/2063

2        Le 13 novembre 2017, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (PESC) 2017/2074, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 60). Selon son considérant 1, cette décision était motivée par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela.

3        La décision 2017/2074 comporte, en substance, premièrement, une interdiction d’exporter, vers le Venezuela, des armes, des équipements militaires ou tout autre équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des équipements, de la technologie ou des logiciels de surveillance et, deuxièmement, une interdiction de fournir des services financiers, techniques ou autres en rapport avec ces biens et ces technologies.

4        L’article 6, paragraphe 1, de la décision 2017/2074 prévoit en outre ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes physiques qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ; ou

b)      des personnes physiques dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I. »

5        L’article 7 de la décision 2017/2074 dispose :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes, entités ou organismes ci-après :

a)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ;

b)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I.

2.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes associés aux personnes, entités ou organismes visés au paragraphe 1 dont la liste figure à l’annexe II, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, ces entités ou ces organismes ont en leur possession, détiennent ou contrôlent.

3.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis à la disposition, directement ou indirectement, des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe I ou II, ni n’est dégagé à leur profit.

[...] »

6        L’article 8 de la décision 2017/2074 est libellé comme suit :

« 1.      Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie les listes figurant aux annexes I et II.

2.      Le Conseil communique la décision visée au paragraphe 1 à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3.      Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil réexamine la décision visée au paragraphe 1 et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné en conséquence. »

7        L’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 dispose que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.

8        À la date de l’adoption de la décision 2017/2074, ses annexes I et II ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

9        Sur le fondement de l’article 215 TFUE et de la décision 2017/2074, le Conseil a adopté, le 13 novembre 2017, le règlement (UE) 2017/2063, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 21). En ce qui concerne le gel des fonds des personnes visées, ce règlement reprend, en substance, les dispositions de la décision 2017/2074. En particulier, les annexes IV et V dudit règlement correspondent respectivement aux annexes I et II de la décision 2017/2074. En vertu de l’article 17, paragraphe 4, du même règlement, ces deux annexes sont réexaminées à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

10      À la date de l’adoption du règlement 2017/2063, ses annexes IV et V ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

11      L’article 13, premier alinéa, de la décision 2017/2074 prévoyait, dans sa version initiale, que cette décision était applicable jusqu’au 14 novembre 2018.

12      En revanche, le règlement 2017/2063 n’est assorti d’aucun terme.

 Inscription du nom de la requérante sur les listes : décision (PESC) 2018/901 et règlement d’exécution (UE) 2018/899

13      Le 25 juin 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/901 modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 160 I, p. 12). Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/899 mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 160 I, p. 5). Cette décision et ce règlement d’exécution (ci-après, ensemble, les « actes initiaux ») ont été publiés le jour même au Journal officiel de l’Union européenne. Selon les considérants 4 des actes initiaux, « [e]n raison de la situation au Venezuela, il conv[enai]t d’inscrire onze personnes sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives » figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063. Les actes initiaux ont par conséquent modifié lesdites annexes. Le nom de la requérante y a ainsi été inscrit de la manière suivante : « 14 – Nom : Sandra Oblitas Ruzza – Informations d’identification : Vice-présidente du Conseil électoral national, Date de naissance : 7.6.1969 – Motifs de l’inscription : Vice-présidente du Conseil électoral national (CNE) et présidente de la Commission du registre civil et électoral. Responsable des activités du CNE qui ont porté atteinte à la démocratie au Venezuela et notamment contribué à la mise en place de l’Assemblée constituante illégitime et à la manipulation du processus électoral – Date de l’inscription : 25.6.2018 ».

14      Le 26 juin 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/901, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/899, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 222, p. 6).

15      Par courriel du 12 juillet 2018, le Conseil a envoyé au représentant de la requérante les deux documents sur lesquels les actes initiaux étaient fondés, à savoir un document de travail daté du 25 juin 2018 portant la référence WK 7751/2018 INIT et l’extrait 7 d’une annexe à un document daté du 11 juillet 2018 et portant la référence COREU CFSP/0250/18.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

16      Le 6 novembre 2018, la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 276, p. 10) a prorogé la validité des mesures restrictives jusqu’au 14 novembre 2019, y compris en ce qui concerne la requérante. La décision 2018/1656 a également remplacé la mention 7 de l’annexe I de la décision 2017/2074, modifiant ainsi le motif d’inscription d’une autre personne visée par les mesures restrictives en cause. Le 6 novembre 2018, également, le règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 276, p. 1) a modifié dans le même sens la mention 7 de l’annexe IV de ce dernier règlement.

17      Par lettre du 7 novembre 2018, le Conseil a informé le représentant de la requérante qu’il avait été décidé de proroger la validité des mesures restrictives en cause à l’égard de celle-ci. En outre, il a été informé de la possibilité de soumettre une demande de réexamen de cette décision auprès du Conseil jusqu’au 23 août 2019. Cette lettre n’a été suivie d’aucune réponse.

18      Le 7 novembre 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/1656, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/1653, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 401, p. 2).

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 septembre 2018, la requérante a introduit le présent recours.

20      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 janvier 2019, la requérante a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, adapté la requête afin de solliciter également l’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653, en tant que ces actes la concernent. Le Conseil a déposé ses observations sur le mémoire en adaptation au greffe du Tribunal le 15 février 2019.

21      La phase écrite de la procédure a été close le 16 avril 2019.

22      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

23      Par lettre du 28 octobre 2019, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une éventuelle jonction des affaires T‑550/18, Harrington Padrón/Conseil, T‑551/18, Oblitas Ruzza/Conseil, T‑552/18, Moreno Reyes/Conseil, T‑553/18, Rodríguez Gómez/Conseil, T‑554/18, Hernández Hernández/Conseil et T‑32/19, Harrington Padrón/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure. Le Conseil a répondu ne pas avoir d’objections à une telle jonction. La requérante n’a pas répondu dans le délai imparti.

24      Par décision du 19 novembre 2019, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires (ci-après les « affaires jointes »), aux fins de la phase orale de la procédure. Le même jour, la phase orale de la procédure a été ouverte.

25      Le 28 janvier 2020, la septième chambre a décidé de fixer la date de l’audience dans les affaires jointes au 24 avril 2020.

26      Le 7 février 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties dans les affaires jointes à répondre à des questions, pour réponse écrite avant l’audience et pour réponse orale lors de l’audience. Les parties dans les affaires jointes ont répondu aux questions pour réponse écrite dans le délai imparti. Le 13 mars 2020, le Tribunal les a invitées à présenter leurs observations éventuelles sur les réponses de l’autre partie. Les parties dans les affaires jointes ont présenté leurs observations dans le délai imparti.

27      L’audience de plaidoiries initialement prévue le 24 avril 2020 ayant été reportée en raison de la crise sanitaire, les parties dans les affaires jointes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 4 septembre 2020.

28      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux ainsi que la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653 (ci-après, ensemble, les « actes attaqués »), en tant que leurs dispositions la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

29      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les mesures restrictives visant la requérante devaient être annulées, ordonner le maintien des effets de la décision 2018/1656 en ce qui concerne celle-ci jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2018/899 ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête

30      Dans son mémoire en adaptation, par lequel la requérante sollicite l’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653, elle fait valoir que, par ces deux actes, le Conseil a maintenu son nom sur la liste figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et sur la liste figurant à l’annexe IV du règlement 2017/2063, après réexamen de sa situation et pour un motif inchangé par rapport à son inscription initiale. Cette décision et ce règlement d’exécution auraient eu pour effet de proroger jusqu’au 14 novembre 2019 la période pendant laquelle les mesures restrictives en cause lui sont applicables.

31      Dans le cadre de ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil soulève une exception d’irrecevabilité en ce que ce mémoire tend à l’annulation du règlement d’exécution 2018/1653, au motif que la requérante n’a pas de qualité pour agir. Le Conseil fait valoir que ce règlement d’exécution ne mentionne pas spécifiquement le nom de la requérante et ne remplace pas un acte la concernant directement et individuellement. Dès lors, la requérante n’aurait pas qualité à agir.

32      Dans sa réponse à une question posée dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, le Conseil ajoute que le réexamen périodique prévu à l’article 17, paragraphe 4, du règlement 2017/2063 n’aboutit pas nécessairement à l’adoption d’un acte juridique nouveau. Selon le Conseil, en l’espèce, s’il n’avait pas été nécessaire de modifier les informations concernant une personne autre que la requérante, le règlement d’exécution 2018/1653 n’aurait pas été adopté. Cet acte n’aurait ni pour objet ni pour effet de maintenir l’inscription de la requérante sur la liste figurant à l’annexe du règlement 2017/2063. Dès lors, la requérante ne disposerait pas d’intérêt à agir contre ledit acte.

33      À cet égard, il y a lieu d’observer que l’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 prévoit que celle-ci doit faire l’objet d’un suivi constant. Le considérant 2 de la décision 2018/1656 fait expressément état d’un réexamen de la décision 2017/2074.

34      En revanche, le règlement d’exécution 2018/1653 ne comporte pas une telle mention. Il ne saurait, toutefois, en être déduit que le Conseil n’a pas procédé au réexamen de la situation et que cette absence de réexamen ferait obstacle à l’adaptation de la requête. L’article 17, paragraphe 4, du règlement 2017/2063 dispose en effet que la liste figurant à l’annexe IV de celui-ci est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. Or, la recevabilité d’un recours ne saurait dépendre du bon vouloir du Conseil, selon que celui-ci estime avoir effectivement réexaminé ou non le maintien de l’inscription du nom de la personne concernée sur les listes en cause, ce qui irait à l’encontre du principe de sécurité juridique (arrêt du 9 juillet 2014, Al-Tabbaa/Conseil, T‑329/12 et T‑74/13, non publié, EU:T:2014:622, point 47). Dès lors, le Conseil ne saurait faire valoir que, en l’espèce, il n’a opéré aucun réexamen de la situation de la requérante, contrairement à ses obligations, afin d’en tirer un bénéfice en ce qui concerne la recevabilité du recours dirigé contre le règlement d’exécution 2018/1653. De surcroît, en raison de l’étroite imbrication des deux textes, il doit être considéré que le réexamen de la situation, que le Conseil admet avoir effectué pour adopter la décision 2018/1656, a été un préalable nécessaire également pour l’adoption du règlement d’exécution 2018/1653.

35      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter les fins de non-recevoir soulevées par le Conseil et de constater que les conclusions du mémoire en adaptation sont recevables, y compris en ce qu’elles visent le règlement d’exécution 2018/1653.

 Sur le fond

36      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens tirés, le premier, d’« erreurs manifestes d’appréciation » et d’un défaut d’indices précis et concordants et, le second, de la violation du droit de propriété. Ils sont dirigés contre l’ensemble des actes attaqués.

 Sur le premier moyen, tiré d’« erreurs manifestes d’appréciation » et d’un défaut d’indices précis et concordants

37      La requérante divise le premier moyen en deux branches, la première, tirée d’« erreurs manifestes d’appréciation » des fonctions et de son rôle et, la seconde, tirée du défaut de preuves concordantes et d’une « erreur manifeste d’appréciation » des preuves.

38      Il y a lieu d’observer que les deux branches se recoupent, en ce que, dans le cadre de la seconde branche, la requérante dirige ses griefs tirés d’un défaut de preuves concordantes et d’une « erreur manifeste d’appréciation » des preuves à l’encontre, notamment, de l’évaluation, par le Conseil, de sa responsabilité dans les activités du CNE et de la Commission du registre qui ont porté atteinte à la démocratie au Venezuela. Dès lors, il convient de les traiter ensemble.

39      La requérante soutient que son inscription sur les listes litigieuses est fondée sur sa qualité de vice-présidente du CNE et de présidente de la Commission du registre. Elle indique que, selon la jurisprudence, l’inscription d’une personne physique, en raison de ses liens avec un organe soupçonné d’avoir porté atteinte à la démocratie ou d’avoir violé les droits de l’homme, ne saurait reposer sur des présomptions non étayées par le comportement de l’intéressé. Or, selon la requérante, le Conseil n’a pas établi un comportement fautif de la part de la requérante elle-même.

40      À cet égard, la requérante expose que le CNE est un organe collégial composé de cinq membres dont les décisions ne peuvent être adoptées qu’à une majorité de trois voix ou à une majorité de quatre voix dans certains cas exceptionnels. Elle fait valoir que, en tant que vice-présidente du CNE, elle peut exercer ses pouvoirs de manière subsidiaire et seulement en cas d’absence du président du CNE ou à la demande de celui-ci, sur délégation des compétences pertinentes. De plus, le président du CNE n’exercerait que des fonctions purement organisationnelles et administratives concernant la gestion du pouvoir électoral. Par voie de conséquence, la requérante, en tant que vice-présidente, n’exercerait que des pouvoirs de cette nature. La requérante soutient qu’elle n’a pas la capacité d’influencer de quelque manière que ce soit les discussions et les décisions du CNE. En outre, la fonction de vice-présidente ne serait assortie d’aucun droit de vote particulier. La requérante ajoute qu’elle a un droit de vote uniquement en sa qualité de membre du CNE, qui est distincte de sa qualité de vice-présidente, et qu’elle ne dispose pas d’une voix prépondérante ni d’un droit de veto.

41      La requérante soulève des arguments semblables en ce qui concerne la Commission du registre, qu’elle définit comme étant un organe collégial subordonné au CNE, composé de trois membres, dont elle fait partie, en qualité de présidente, et qui adopte ses décisions à la majorité de deux voix.

42      La requérante conteste également le motif d’inscription selon lequel elle aurait contribué à la mise en place de l’Assemblée nationale constituante (ci-après l’« Assemblée constituante »), qualifiée par le Conseil d’inconstitutionnelle et illégitime. Elle fait valoir, à cet égard, que, le 1er mai 2017, le président du Venezuela de l’époque a adopté le décret no 2.830 invitant à mettre en place cette assemblée qui a été soumis au CNE. La requérante explique que le CNE a vérifié ce décret à la lumière des articles 347 et 348 de la Constitution vénézuélienne et que la majorité de ses membres a conclu que cette assemblée était conforme à ces dispositions. La requérante ajoute que, au cours de ce processus, elle n’est jamais intervenue en tant que vice-présidente du CNE. De plus, le Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême, Venezuela) aurait confirmé la conformité de l’Assemblée constituante avec lesdites dispositions de la Constitution. De surcroît, celle-ci ne prévoirait aucune obligation d’organiser un référendum populaire relatif à la mise en place de l’Assemblée constituante et le CNE ne serait pas compétent pour convoquer un tel référendum.

43      En outre, la requérante relève que la Constitution ne contient aucune règle sur le corps électoral à retenir pour les élections de l’Assemblée constituante et que le CNE a validé une proposition du président du Venezuela de l’époque sur la composition dudit corps sans que la requérante soit intervenue dans ce processus. De plus, le Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) aurait également confirmé cette décision du CNE.

44      Par ailleurs, la requérante conteste le communiqué de presse, publié par l’Organisation des États américains (OEA) le 3 juin 2017, en ce qu’il y est affirmé que le CNE a commis une série d’irrégularités dans le cadre de l’élection de l’Assemblée constituante. Elle observe que ce document, tout comme le communiqué de presse de l’OEA du 19 juillet 2017, ne critique pas le CNE, et encore moins la requérante, mais se concentre sur la présidente de cette institution.

45      La requérante conclut ainsi que l’ensemble des éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’est fondé pour inclure et maintenir son nom sur les listes litigieuses n’est pas suffisamment précis et concordant et que son évaluation est manifestement erronée.

46      Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.

47      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel, garantie par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige notamment que le juge de l’Union européenne s’assure que la décision, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64).

48      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 65).

49      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

50      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).

51      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués, le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves [arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, EU:T:2013:398, point 95 (non publié)]. À cet égard, il importe de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107). Notamment, il ressort de la jurisprudence que le juge de l’Union peut prendre en considération des rapports d’organisations internationales (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 48).

52      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives adoptées par le Conseil, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité des actes attaqués, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans ces actes à l’égard d’une personne visée par ces mesures est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de cette personne sur les listes annexées auxdits actes, la circonstance que d’autres motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ces actes (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130 ; du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72, et du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 221).

53      C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’apprécier si sont entachés d’erreurs d’appréciation les motifs de l’inscription et du maintien de la requérante sur les listes litigieuses, tirés du fait que, compte tenu de ses fonctions de vice-présidente du CNE, elle était responsable des activités de celui-ci qui ont porté atteinte à la démocratie au Venezuela et notamment a contribué à la mise en place de l’Assemblée constituante illégitime et à la manipulation du processus électoral.

54      Ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, le critère général établi aux fins de l’inscription sur les listes litigieuses vise notamment les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ». Ce critère est également repris par l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/2063.

55      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le contexte général au Venezuela, il ressort des considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074 et des considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063 que les actes attaqués ont été adoptés en raison de la détérioration constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela, résultant notamment de l’usage excessif de la force, ainsi que des actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. Au considérant 6 de la décision 2017/2074, il est indiqué que, le 2 août 2017, l’Union a déploré vivement la décision prise par les autorités vénézuéliennes de poursuivre l’élection d’une Assemblée constituante, décision qui a durablement aggravé la crise au Venezuela et a entraîné le risque de porter atteinte à d’autres institutions légitimes prévues par la Constitution vénézuélienne, telles que l’Assemblée nationale.

56      Ce contexte général de la situation au Venezuela a également été invoqué par le Conseil devant le Tribunal, sans qu’il soit contredit par la requérante. Le Conseil a ainsi rappelé que, après le mois de décembre 2015, à la suite des élections de l’Assemblée nationale, une coalition de partis d’opposition avait gagné la majorité des sièges. Au mois de janvier 2016, le président du Venezuela de l’époque a décrété l’état d’urgence au Venezuela et a gouverné par décrets. Au mois d’avril 2017, des manifestations quasi quotidiennes se sont déroulées pendant plusieurs mois, ayant pour conséquence un grand nombre de décès et de blessés parmi les civils et des milliers d’arrestations. Au mois de mai 2017, le président du Venezuela de l’époque a annoncé la création d’une Assemblée constituante dont les membres avaient été élus le 30 juillet 2017 par un processus électoral boycotté par l’opposition.

57      Le dossier du Conseil contient, parmi les éléments justifiant l’inscription et le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses, des preuves telles qu’un rapport et trois communiqués de presse de l’OEA, contenant des informations sur le caractère illégitime et inconstitutionnel de l’Assemblée constituante, notamment en raison de l’empiétement de cette dernière sur les pouvoirs de l’Assemblée nationale.

58      En particulier, premièrement, le communiqué de presse de l’OEA du 3 juin 2017, précédant les élections de l’Assemblée constituante du 30 juillet 2017, contient un message du secrétaire général de l’OEA relatif au Venezuela. Dans ce communiqué, il est fait état du caractère illégitime et inconstitutionnel de l’Assemblée constituante, notamment en ce que cette dernière viserait à dénaturer, de manière définitive, la « Magna Carta ».

59      Deuxièmement, le 19 juillet 2017, peu de temps avant les élections de l’Assemblée constituante, l’OEA a publié un communiqué de presse reprenant une déclaration de son secrétaire général devant le Congrès des États-Unis d’Amérique. Le secrétaire général de l’OEA y avait souligné le fait que l’Assemblée constituante, ayant pour objectif d’imposer une dictature au Venezuela, aurait des pouvoirs supraconstitutionnels afin d’éliminer les institutions étatiques, en particulier l’Assemblée nationale légitimement élue par le peuple, et viserait à contribuer à la répression et à la limitation des libertés.

60      Troisièmement, après les élections de l’Assemblée constituante, dans un rapport du 25 septembre 2017, l’OEA a exposé que, immédiatement après sa mise en place, l’Assemblée constituante a, d’une part, dépossédé l’Assemblée nationale de ses pouvoirs législatifs sans pour autant que celle-ci soit dissoute et, d’autre part, assumé les pouvoirs de cette dernière. En outre, il ressort du même document que l’Assemblée constituante a destitué la procureure générale du Venezuela en fonction, alors que celle-ci avait auparavant exprimé son désaccord avec le Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) et le pouvoir exécutif. Selon l’OEA, la mise en place de l’Assemblée constituante a marqué la fin de la séparation des pouvoirs au Venezuela.

61      Quatrièmement, dans un communiqué de presse de l’OEA du même jour, le secrétaire général de l’OEA a présenté le rapport cité au point 60 ci-dessus. Dans ledit communiqué de presse, le secrétaire général de l’OEA a déclaré que, à la suite de la mise en place de l’Assemblée constituante, la démocratie au Venezuela était complètement éliminée. Il a également réitéré, en substance, les constatations exposées au point 60 ci-dessus.

62      Il importe de relever que les informations qui précèdent rejoignent les préoccupations de l’Union décrites au considérant 6 de la décision 2017/2074, cité au point 55 ci-dessus.

63      Dès lors, force est de constater que, compte tenu des éléments fiables avancés par le Conseil, la requérante ne saurait contester le caractère illégitime et inconstitutionnel de l’Assemblée constituante, d’autant plus qu’elle n’a pas remis en cause les informations exposées aux points 58 à 62 ci-dessus. Au demeurant, la requérante n’est pas fondée à invoquer le fait que le CNE, avec son soutien, a, d’une part, considéré que la proposition du président du Venezuela de l’époque sur la mise en place de cette Assemblée était conforme à la Constitution vénézuélienne et, d’autre part, validé la proposition relative à la composition du corps électoral pour les élections de ladite Assemblée. En effet, elle n’a pas contesté avoir soutenu les décisions du CNE et, en tout état de cause, elle n’a pas corroboré ses allégations par une source externe et fiable.

64      Quant à la circonstance que le Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) a confirmé la décision du CNE par un arrêt no 378 du 31 mai 2017, il y a lieu d’observer que l’indépendance de cette juridiction est elle-même contestée, ainsi que cela ressort du communiqué de presse de l’OEA du 3 juin 2017 et de son rapport du 25 septembre 2017, figurant dans le dossier du Conseil, et que, ainsi qu’il ressort des listes litigieuses, le président de cette institution fait lui-même l’objet de mesures restrictives pour avoir « soutenu et facilité les actions et politiques du gouvernement, qui ont porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela ».

65      En deuxième lieu, il convient de rappeler que le CNE est l’organe qui, en vertu de l’article 292 de la Constitution vénézuélienne, est à la tête de l’une des cinq branches de la puissance publique, à savoir le pouvoir électoral.

66      Il ressort des considérations exposées au point 63 ci-dessus que le CNE a joué un rôle important dans la mise en place de l’Assemblée constituante en soutenant ce processus. De plus, la requérante n’a pas réfuté l’affirmation du Conseil contenue dans le rapport de l’OEA du 25 septembre 2017, auquel il est fait référence dans le dossier du Conseil, selon laquelle le CNE s’est abstenu de publier des informations détaillées sur les résultats de l’élection de l’Assemblée constituante.

67      Partant, le Conseil a établi à suffisance que le CNE avait contribué à la mise en place de l’Assemblée constituante.

68      En troisième lieu, en ce qui concerne la responsabilité de la requérante, il y a lieu d’observer que celle-ci conteste non pas sa qualité de vice-présidente du CNE, mais, en substance, son rôle en tant que vice-présidente du CNE et son influence au sein de cette institution.

69      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que les personnes responsables des atteintes aux normes électorales, tel le vice-président d’une commission électorale centrale du pays concerné, peuvent être considérées comme étant impliquées dans des atteintes à la démocratie dans ce pays (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, points 140 à 144). Cette jurisprudence s’impose a fortiori en l’espèce, dès lors que, conformément à l’article 292 de la Constitution vénézuélienne, le CNE est l’instance la plus élevée dans l’administration chargée des élections, ce qui n’est pas contesté, et que la requérante en est la vice-présidente.

70      En outre, la requérante ne conteste pas que, en sa qualité de vice-présidente du CNE, elle a participé personnellement aux activités de celui-ci et il ne ressort pas du dossier qu’elle se soit désolidarisée à un moment donné du travail du CNE ou qu’elle ait émis la moindre réserve sur le travail accompli par ledit organe, notamment en ce qui concerne la mise en place de l’Assemblée constituante et les élections des membres de cette dernière en juillet 2017 (voir, par analogie, arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 144).

71      Au contraire, malgré l’argument de la requérante selon lequel la fonction de vice-présidente est indépendante du rôle de membre du CNE, conformément aux articles 36 et 37 de la Ley Orgánica del Poder Electoral (loi organique relative au pouvoir électoral), la vice-présidente du CNE est élue par et parmi les membres de cette institution. Partant, outre ses fonctions de vice-présidente du CNE, la requérante, ainsi qu’elle le reconnaît, est nécessairement, à ce titre, membre avec un droit de vote au sein de cette institution. Or, ainsi que l’affirme la requérante, les décisions au sein du CNE sont adoptées à la majorité simple des voix de l’ensemble de ses cinq membres. Dès lors, force est de constater que la requérante, en tant que vice-présidente et membre du CNE, a participé, personnellement et de manière égale aux autres membres, aux activités de cette institution.

72      En particulier, il y a lieu de relever que la requérante affirme, d’une part, que le CNE a jugé la proposition du président du Venezuela de l’époque relative à la mise en place de l’Assemblée constituante conforme à la Constitution et, d’autre part, que le CNE a considéré que la proposition portant sur la composition du corps électoral des élections de l’Assemblée constituante était adéquate.

73      Dans ce contexte, il ressort des procès-verbaux des réunions du CNE au cours desquelles lesdits sujets ont été discutés, produits en annexe à la requête, que la requérante a activement apporté son soutien à ces propositions du président du Venezuela de l’époque. Or, dans les actes attaqués, il lui est précisément reproché d’avoir contribué à la mise en place de ladite assemblée. Il s’ensuit que la requérante a activement participé à la prise des décisions du CNE à cet égard.

74      Il y a donc lieu de considérer que la requérante critique vainement le motif selon lequel elle aurait contribué à la mise en place de l’Assemblée constituante dont la constitutionnalité et la légitimité sont remises en cause, sans qu’il soit besoin de prendre en considération sa qualité de présidente de la Commission du registre.

75      Cette conclusion ne saurait être contredite par l’argument de la requérante selon lequel, conformément à la Constitution vénézuélienne, les membres du CNE n’entretiennent aucun lien avec les organisations politiques.

76      En effet, la question qui se pose, en l’espèce, n’est pas de savoir si les textes en vigueur organisent l’indépendance du CNE ou de ses membres. Bien que la Constitution ne puisse être ignorée, la question que posent les motifs des actes attaqués est plutôt de savoir si, dans les faits, il est établi que, dans l’exercice de ses fonctions au sein du CNE, la requérante a porté atteinte à la démocratie au Venezuela.

77      Au vu des considérations exposées aux points 47 à 76 ci-dessus dans le cadre du présent moyen, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, eu égard à la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus, les autres motifs figurant dans les actes attaqués à l’égard de la requérante, il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil en a conclu que, compte tenu de la fonction de vice-présidente du CNE de la requérante, et dans l’exercice de ses fonctions, elle était responsable d’avoir porté atteinte à la démocratie au Venezuela notamment en contribuant à la mise en place de l’Assemblée constituante.

78      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du droit de propriété

79      La requérante soutient que les mesures restrictives qui lui sont imposées par les actes attaqués constituent une restriction injustifiée et disproportionnée de son droit de propriété protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Ces mesures seraient susceptibles de suspendre la vie économique normale de la personne, de l’entité ou du groupe inscrit sur les listes en ce qu’elles les priveraient de la plupart des formes d’utilisation de leurs fonds et autres avoirs.

80      Selon la requérante, aucune violation du droit de propriété ne saurait être justifiée en l’absence d’un examen approprié des éléments de preuve démontrant qu’elle présentait un risque pour l’intérêt public que les mesures restrictives visaient à protéger.

81      Or, d’une part, le Conseil n’aurait pas démontré un comportement particulier de la part de la requérante qui aurait porté atteinte à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela. Selon la requérante, une telle conclusion ne saurait être tirée de sa seule qualité de vice-présidente du CNE et de présidente de la Commission du registre. En outre, le Conseil n’aurait pas apporté de preuves précises et concordantes en ce sens. Par conséquent, le Conseil aurait commis une « erreur manifeste d’appréciation » qui ne permettrait pas de justifier la restriction du droit de propriété de la requérante.

82      D’autre part, la requérante soutient que, afin de limiter l’exercice de son droit de propriété, le Conseil était tenu de respecter les conditions prévues par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Or, en l’espèce, la limitation de son droit de propriété ne serait pas prévue par loi dans la mesure où la requérante ne serait pas responsable des atteintes à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela.

83      Selon la requérante, même en supposant que sa responsabilité était établie, les mesures adoptées à son égard excéderaient ce qui est nécessaire. À cet égard, la requérante présente des restrictions alternatives moins contraignantes qui auraient pu être adoptées. En outre, le « contenu essentiel » du droit de propriété aurait été violé indépendamment du fait qu’il s’agit de mesures temporaires et réversibles.

84      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

85      Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et des conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.

86      Selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés et, d’autre part, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

87      En l’espèce, force est de constater que les actes attaqués restreignent le droit de propriété de la requérante, dès lors que, conformément à l’article 7 de la décision 2017/2074 et aux articles 8 et 9 du règlement 2017/2063, elle ne peut pas, notamment, disposer de ses fonds situés sur le territoire de l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières, et qu’aucun fonds ni aucune ressource économique ne peut être mis, directement ou indirectement, à sa disposition.

88      Toutefois, le droit de propriété, tel qu’il est protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [voir arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 176 (non publié) et jurisprudence citée].

89      Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation à l’exercice du droit de propriété doit répondre à une triple condition.

90      Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, la mesure doit avoir une base légale. Deuxièmement, elle doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figurent ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et visés à l’article 21, paragraphe 2, TUE. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnée au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance du droit ou de la liberté en cause, ne doit pas être atteint (voir arrêt du 6 juin 2018, Lukash/Conseil, T‑210/16, non publié, EU:T:2018:332, point 222 et jurisprudence citée).

91      S’agissant de la première condition, il convient d’observer que, en l’espèce, la limitation est « prévue par la loi », compte tenu du fait qu’elle se trouve énoncée dans la décision 2017/2074 et le règlement 2017/2063, tels que modifiés par les actes attaqués. Ces actes ont notamment une portée générale et disposent d’une base juridique claire en droit de l’Union. De plus, les restrictions sont formulées dans des termes suffisamment précis en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application à la requérante (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176).

92      À cet égard, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante tirés de ce que la présente restriction de son droit de propriété n’est pas prévue par loi dans la mesure où elle n’est pas responsable des atteintes à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela.

93      S’agissant de la deuxième condition, sur laquelle la requérante n’avance aucun argument, il convient de constater que, ainsi que cela résulte de l’examen du premier moyen, les actes attaqués sont conformes, en ce qui concerne la requérante, à l’objectif, visé à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, de consolider et de soutenir la démocratie et l’état de droit dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre d’une politique visant à favoriser la démocratie au Venezuela.

94      S’agissant de la troisième condition, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 164 et jurisprudence citée).

95      À ce propos, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 88).

96      Selon la jurisprudence, les inconvénients générés par les mesures restrictives ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, compte tenu, d’une part, du fait que ces mesures présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété et, d’autre part, du fait qu’il peut y être dérogé afin de couvrir les besoins fondamentaux, les frais de justice ou bien encore les dépenses extraordinaires des personnes visées [voir arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 182 (non publié) et jurisprudence citée].

97      En l’espèce, en ce qui concerne le caractère adéquat des mesures restrictives, telles que celles imposées à la requérante, au regard d’un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection de la démocratie et de l’état de droit, il apparaît que le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques des personnes identifiées comme étant impliquées dans les atteintes à la démocratie au Venezuela ne saurait, en tant que tel, passer pour inadéquat (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Boshab/Conseil, T‑171/18, non publié, EU:T:2020:55, point 134 et jurisprudence citée).

98      En ce qui concerne leur caractère nécessaire, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi lorsqu’elles offrent la possibilité de contourner les restrictions imposées ou qu’elles risquent de ne pas cibler efficacement la personne visée (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 84 et jurisprudence citée).

99      La requérante suggère deux mesures alternatives qui, selon elle, seraient moins contraignantes. Elle propose, d’une part, une interdiction aux citoyens de l’Union de prendre part à des transactions liées à, finançant ou concernant de quelque autre manière que ce soit l’achat de toute dette, y compris des comptes à recevoir, émise par le gouvernement vénézuélien ou, d’autre part, une interdiction aux citoyens de l’Union de participer au transfert par le gouvernement vénézuélien de toute participation dans toute entité détenue à 50 % ou plus par le gouvernement vénézuélien.

100    À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort notamment du considérant 7 de la décision 2017/2074 que les mesures restrictives ciblées en cause « devraient être instaurées contre certaines personnes physiques et morales qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique et contre les personnes, entités et organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela, ainsi que contre les personnes, entités et organismes qui leur sont associés ». Or, les mesures alternatives proposées par la requérante ne permettent pas d’atteindre les objectifs visés par la décision 2017/2074 et le règlement 2017/2063. Dès lors, cet argument de la requérante doit être rejeté.

101    De plus, il doit être rappelé que l’article 7, paragraphe 4, de la décision 2017/2074 et l’article 9, paragraphe 1, du règlement 2017/2063 prévoient la possibilité d’autoriser le déblocage de certains fonds ou de ressources économiques gelés pour que les personnes visées puissent faire face à des besoins fondamentaux ou satisfaire à certains engagements.

102    À cet égard, la requérante soutient que le « contenu essentiel » du droit de propriété est violé indépendamment du fait qu’il s’agit de mesures temporaires et réversibles. Il y a lieu de rejeter cet argument conformément à la jurisprudence citée au point 96 ci-dessus.

103    Il s’ensuit que les actes attaqués ne violent pas le droit de propriété de la requérante et qu’il y a lieu de rejeter le second moyen

104    Par conséquent, le premier moyen étant également rejeté, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

105    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Sandra Oblitas Ruzza est condamnée aux dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.