Language of document : ECLI:EU:T:2012:114

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

8 mars 2012 (*)

« Médicaments à usage humain – Modifications du dossier permanent du plasma (DPP) – Redevances dues à EMA– Acte faisant grief – Acte purement confirmatif – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑573/10,

Octapharma Pharmazeutika Produktionsgesellschaft mbH, établie à Vienne (Autriche), représentée par Mes I. Brinker, T. Holzmüller, avocats, et M. J. Schwarze, professeur,

partie requérante,

contre

Agence européenne des médicaments (EMA), représenté par M. V. Salvatore, en qualité d’agent, assistés de Mes H.-G. Kamann et P. Gey, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la lettre du 21 octobre 2010 (EMA/643425/2010) par laquelle l’Agence européenne des médicaments (EMA) aurait refusé de rembourser à la requérante la somme de 180 700 euros correspondant à la différence, d’une part, entre ce que cette dernière lui a payé à titre de redevances pour l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain et de médicaments vétérinaires et, d’autre part, et ce qu’elle aurait, selon elle, dû payer,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, F. Dehousse et J. Schwarcz (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 6 avril 2010, la requérante Octapharma Pharmazeutika Produktionsgesellschaft mbH, a introduit, en application de la directive 2003/63/CE de la Commission, du 25 juin 2003, modifiant la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 159, p. 46), et du règlement (CE) n° 1234/2008 de la Commission, du 24 novembre 2008, concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain et de médicaments vétérinaires (JO L 334, p. 7), une demande groupée visant à obtenir la certification de modifications de son dossier permanent du plasma. Cette demande contenait quatre modifications de type II, une modification de type IB et une modification de type IA.

2        Par lettre du 4 mai 2010, cette demande a fait l’objet d’une validation administrative au sens de l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 297/95 du Conseil, du 10 février 1995, concernant les redevances dues à l’[EMA] (JO L 35, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) n° 261/2010 de la Commission, du 25 mars 2010, en ce qui concerne l’adaptation des redevances dues à l’EMA sur la base du taux d’inflation (JO L 80, p. 36).

3        Le 24 juin 2010, l’EMA a envoyé à la requérante la facture établissant le montant des redevances qui font l’objet du présent litige. La requérante déclare l’avoir reçue le 28 juin suivant. Le montant des redevances à régler jusqu’au 24 juillet 2010 s’élevait à 237 900 euros.

4        Il est constant entre les parties que cette somme était due en application de l’article 8, paragraphe 2, cinquième et septième alinéas, du règlement n° 297/95, de l’article 4, point 1.3, de l’article 4 bis, paragraphe 1, et du point 3.2 de l’annexe II des règles d’application dudit règlement concernant les redevances dues à l’EMA, dans la version que son conseil d’administration avait adoptée au cours de sa réunion du 18 mars 2010, sur la base de l’article 11, paragraphe 2, de ce même règlement, avec effet au 1er avril 2010 (EMA/MB/818152/2009, ci‑après, les « règles d’application du règlement n° 297/95 d’avril 2010 »).

5        Le montant total des redevances litigieuses, s’élevant à 237 900 euros, se compose de quatre montants distincts de 57 200 euros chacun pour l’évaluation de quatre modifications de type II d’un dossier permanent du plasma, d’un montant de 2 700 euros pour l’évaluation d’une modification de type IA du même dossier et d’un montant de 6 400 euros pour l’évaluation d’une modification de type IB de celui ci.

6        Par lettre et courriel datés du 19 juillet 2010, la requérante a introduit une demande de réduction des redevances litigieuses, de 237 900 euros à 57 200 euros. Bien que les règles d’application du règlement n° 297/95 d’avril 2010 aient prévu la perception d’une redevance distincte pour chaque modification de types II, IB ou IA, la requérante estimait que l’EMA n’aurait pas dû lui réclamer de telles redevances distinctes, mais seulement une « redevance groupée » pour une modification de type II, à savoir 57 200 euros. Selon la requérante, la facturation correspond à la pratique qui était celle de l’EMA en vertu des règles d’application du règlement n° 297/95 dans la version adoptée le 10 juin 2004 (EMA/MB/32/04).

7        Par courriel du 19 juillet 2010, l’EMA a rejeté cette demande.

8        Le 18 août 2010, l’EMA a envoyé à la requérante une mise en demeure de payer le montant des redevances qui s’élevait à 237 900 euros.

9        Le 1er septembre 2010, la requérante a payé lesdites redevances.

10      Le 20 septembre 2010, le conseil d’administration de l’EMA a adopté de nouvelles règles d’application du règlement n° 297/95 concernant les redevances dues à l’EMA (EMA/MB/81852/2009). Aux termes du point 3.2 de l’annexe II de ces règles, « par dérogation aux [premier et deuxième alinéas de ce point], une redevance unique de 57 200 euros est due pour l’examen et la certification de deux ou plusieurs modifications qui sont groupées dans une demande unique, conformément à l’article 7, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1234/2008, lorsqu’au moins une de ces modifications est une modification [de type II]».

11      En se référant à la publication de ces règles d’application du règlement n° 297/95, le 7 octobre 2010 (ci-après les « règles d’application du règlement n° 297/95 d’octobre 2010 »), la requérante a demandé, par lettre du 13 octobre suivant, un remboursement de la somme de 180 700 euros correspondant à la différence entre, d’une part, ce que cette dernière avait payé à l’EMA à titre de redevances pour l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain et de médicaments vétérinaires et, d’autre part, ce qu’elle estime avoir dû payer, selon elle.

12      Par lettre du 21 octobre 2010, l’EMA a refusé le remboursement de la somme susvisée.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2010, la requérante a introduit le présent recours.

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la lettre de l’EMA du 21 octobre 2010 ;

–        condamner l’EMA aux dépens.

15      La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      Aux termes de l’article 111 de son règlement de procédure, lorsque le recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

17      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il peut, en application de cette disposition, statuer sans poursuivre la procédure.

 Arguments des parties

18      L’EMA soulève dans son mémoire en défense une exception d’irrecevabilité tirée de ce que la lettre de l’EMA du 21 octobre 2010 n’est pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE, puisqu’elle se contente de confirmer la position que l’EMA a déjà adopté et porté à la connaissance de la requérante antérieurement.

19      En premier lieu, l’EMA estime en substance que déjà la validation administrative devrait être qualifiée d’acte faisant grief. Si les règles d’application du règlement n° 297/95 d’avril 2010 devaient être considérées, en tant que telles, comme un acte général et abstrait, non susceptible de recours en annulation, l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 297/95 les individualiserait à l’égard de la requérante à suffisance de droit au moment de la validation administrative. En l’occurrence, cette disposition, intitulée « [d]ate d’échéance et report de paiement », prévoit en son premier alinéa que les redevances sont dues à l’EMA à la date de la validation administrative de la demande correspondante, à moins que des dispositions spécifiques n’en disposent autrement, et qu’elles sont exigibles dans les 45 jours qui suivent la date de notification de la validation administrative au demandeur. Or, si le montant exact des redevances dues était connu de la requérante en raison d’une simple application des règles d’application du règlement n° 297/95 d’avril 2010, la validation administrative du 4 mai 2010 lui donnerait, conformément à l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 297/95, une injonction légale de régler le montant des redevances dans les 45 jours suivant la réception de la notification de cette validation.

20      En deuxième lieu, si la validation administrative ne saurait être considérée comme un acte faisant grief, l’EMA poursuit qu’il en doit aller différemment de la facture du 24 juin 2010. En application des règles susvisées, la facture serait une injonction juridiquement contraignante indiquant le montant précis à payer jusqu’à la date indiquée. Il s’ensuit que, contrairement à ce qui peut exister dans des droits administratifs nationaux, en vertu du système institué par le règlement n° 297/95 et le règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 357, p. 1), l’EMA ne percevrait pas les redevances en adoptant une décision, ou un avis de taxation. Si, comme le fait valoir la requérante, les factures qui individualisent les dispositions régissant la perception de redevances à la situation du demandeur d’enregistrement ou de sa modification, comme cette dernière, ne constitueraient pas pour ledit demandeur un acte faisant grief, celui-ci ne serait pas tenu de payer le montant concret des redevances du fait de l’envoi d’une facture de l’EMA. L’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 297/95 perdrait, par conséquent, son effet utile. À l’inverse, des débiteurs de redevances pourraient encore contester des perceptions de redevances des années après l’émission de la facture en ne respectant pas le délai de deux mois prévu par l’article 263, sixième alinéa, TFUE, ce qui remettrait fondamentalement en cause la sécurité juridique du système de perception des redevances par l’EMA.

21      En troisième lieu, et en tout état de cause, par courriel du 19 juillet 2010, l’EMA aurait définitivement rejeté la demande de réduction des redevances formulée le même jour par la requérante au motif que la demande de cette dernière ne contenait pas une motivation suffisante, conformément à l’article 9, premier alinéa, du règlement n° 297/95. La requérante aurait elle-même perçu le rejet du 19 juillet 2010 comme une décision contraignante refusant toute modification des redevances qu’elle était tenue de payer, ce qui résulterait clairement de sa lettre du 13 octobre 2010 dans laquelle elle déclarait ce qui suit « Octapharma a demandé une réduction du montant des redevances à 57 200 euros déjà le 19 juillet 2010, mais aucune réduction n’a été accordée comme la demande ne contenait pas de raisons impératives de santé publique ou de santé des animaux (article 9, paragraphe 1, du règlement n° 297/95). Comme aucune réduction des redevances n’a été accordée, Octapharma a acquitté le 1er septembre 2010 le total des redevances s’élevant à 237 900 euros ». La circonstance que cette décision aurait pris la forme d’un courriel n’aurait rien changé au fait qu’il s’agissait d’une décision finale de l’EMA sur ce sujet, dans la mesure où le caractère décisoire d’un acte n’est déterminé qu’au regard de son contenu.

22      Quant à l’acte attaqué, c’est-à-dire la lettre du 21 octobre 2010, elle serait purement confirmative de l’une des décisions antérieures qui faisait grief. Comme les règles d’application du règlement n° 297/95 d’octobre 2010 n’étaient pas assorties d’effet rétroactif, l’EMA aurait été contrainte de confirmer le montant des redevances tel qu’établi sur la base des règles d’application du règlement n° 297/95 applicables aux redevances dans la version d’avril 2010. Partant, la lettre du 21 octobre 2010 ne contiendrait pas de nouvel examen de la situation juridique en vigueur en avril 2010. La clarification supplémentaire selon laquelle les nouvelles règles applicables aux redevances ne pouvaient pas avoir d’effets rétroactifs en faveur de la requérante ne changerait rien au caractère confirmatif de la lettre du 21 octobre 2010.

23      La requérante considère en revanche que l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée.

24      La facture du 24 juin 2010 ne contiendrait aucune injonction contraignante de payer la somme indiquée. Pour qu’une redevance soit exigible, il faudrait d’abord qu’une décision soit prise qui qualifie les faits en l’espèce par rapport aux situations abstraites et générales définies par la réglementation. Par ailleurs, la requérante considère qu’afin de contester le montant d’une redevance communiquée dans une facture de l’EMA, elle ne devait pas forcément former un recours en annulation de cette dernière, étant donné que l’article 9 du règlement n° 298/95 prévoit la possibilité d’une réduction de redevance.

25      Quant au courriel du 19 juillet 2010, il se contenterait de transmettre à la requérante une analyse interne de sa demande de réduction de redevance, qui pourrait être au mieux qualifiée de décision préparatoire ne faisant pas grief. De surcroît, ledit courriel aurait été envoyé par une employée de l’EMA qui n’aurait aucun pouvoir décisionnel en la matière.

26      En revanche, la lettre du 21 octobre 2010 contiendrait des éléments nouveaux tels qu’un examen en droit et en fait des redevances dues par la requérante. Il s’en suivrait que sa demande de réduction de redevance aurait fait l’objet d’un réexamen. Peu importe donc si cette lettre est qualifiée de première décision, ou de décision prise à la suite d’un réexamen, elle remplirait toujours les conditions pour pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation.

 Appréciation du Tribunal

27      Afin d’apprécier si le recours est recevable, il convient, dans un premier temps, de rechercher si un acte faisant grief a été pris par l’EMA avant même l’envoi de la lettre du 21 octobre 2010 et, dans l’affirmative, de vérifier, dans un second temps, si cette dernière lettre n’est pas purement confirmative d’un tel acte antérieur faisant grief. En effet, une décision purement confirmative d’une décision antérieure non attaquée dans les délais n’est pas un acte susceptible de recours. Dans le but de ne pas faire renaître le délai de recours contre la décision antérieure, un recours dirigé contre une telle décision confirmative doit être déclaré irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 7 décembre 2004, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C-521/03 P, non publiée au Recueil, point 41; arrêt du Tribunal du 16 septembre 1998, Waterleiding Maatschappij/Commission, T-188/95, Rec. p. II-3713, point 108, et ordonnance du Tribunal du 9 juin 2005, Helm Düngemittel/Commission, T‑265/03, Rec. p. II-2009, point 62).

 Sur l’existence d’un acte faisant grief avant la lettre du 21 octobre 2010

28      Selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9 et du Tribunal du 22 mars 2000, Coca-Cola/Commission, T‑125/97 et T‑127/97, Rec. p. II-1733, point 77).

29      Ainsi que la Cour l’a itérativement dit pour droit, le recours en annulation doit donc être ouvert à l’égard de toutes les dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, Rec. p. 264, point 42).

30      Pour déterminer si un acte ou une décision produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à son objet, à son contenu, à sa substance, à sa portée, à ses effets, voire au contexte juridique et factuel dans lequel il est intervenu, et non pas à sa nature, à sa forme, à sa dénomination, à son support matériel, ou à son signataire (arrêts du Tribunal du 7 mars 1995, Socurte e.a./Commission, T‑432/93 à T‑434/93, Rec. p. II‑503 ; du 15 septembre 1998, Oleifici Italiani et Fratelli Rubino Industrie Olearie/Commission, T‑54/96, Rec. p. II-3377, point 49 ; ordonnance du Tribunal du 9 juillet 2002, Ripa di Meana/Parlement, T‑127/01, Rec. p. II-3005, point 25, et jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal du 12 septembre 2002, DuPont Teijin Films Luxembourg e.a./Commission, T‑113/00, Rec. p. II-3681, point 45).

–       Sur la validation administrative du 4 mai 2010

31      Ainsi que le signale l’EMA, il ressort de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 297/95 que les redevances sont dues à l’EMA à la date de la validation administrative de la demande correspondante et qu’elles sont exigibles dans les 45 jours qui suivent sa notification au demandeur. La validation administrative constitue donc en principe un acte qui, par le jeu de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 297/95, enjoint à l’intéressé de payer à l’EMA dans les 45 jours suivant la réception de sa notification, les redevances afférentes à la demande correspondante.

32      Toutefois, pour qu’un tel acte, pris dans son contexte juridique, puisse être utilement contesté devant le juge de l’Union européenne, il faut encore que l’étendue du changement de la situation du requérant soit déterminée et certaine.

33      À cet égard, les demandeurs de certificats ou de modifications en application de la directive 2003/63 et du règlement n° 1234/2008 peuvent certes se référer aux règles d’application du règlement n° 297/95 concernant les redevances dues à l’EMA, voire aux lignes directrices du 1er avril 2010 concernant les redevances dues à l’EMA (EMA/818151/2009), il n’en reste pas moins qu’il peut toujours subsister un doute quant aux classifications exactes des modifications demandées, aux modalités du calcul des redevances dues à l’EMA et à son exactitude, de sorte que le montant précis peut ne pas être entièrement déterminé et certain.

34      Il en va ainsi dans le cas d’espèce, puisque la requérante demandait, dans son courriel du 20 mai 2010, la confirmation informelle que le total des redevances dues à l’EMA s’élèverait approximativement à 237 000 euros, alors que la facture du 24 juin suivant faisait apparaître la somme de 237 900 euros.

35      Il s’ensuit que la validation administrative du 4 mai 2010 ne saurait être considérée comme un acte faisant grief. Il n’en irait autrement que si aucun doute possible ne saurait subsister quant au montant des redevances dues à l’EMA.

–       Sur la facture du 24 juin 2010

36      Les juridictions de l’Union ont admis à plusieurs reprises que des documents d’ordre financier, dépourvus d’une motivation à proprement parler, peuvent en tant que tels constituer sous certaines conditions un acte faisant grief, et partant un acte attaquable. D’une part, constitue un acte faisant grief au sens de l’article 263 TFUE un simple bulletin de rémunération par lequel l’administration applique à un fonctionnaire de nouveaux règlements en matière de rémunération (arrêt de la Cour du 27 octobre 1981, Venus e.a./Commission, 783/79 et 786/79, Rec p. 2445, point 25). D’autre part, un acte faisant grief peut être constitué même par un ordre de recouvrement, en ce qu’il porte préjudice aux intérêts financiers des intéressés en établissant une dette de ces derniers au profit de la Commission européenne (arrêt de la Cour du 25 mai 1993, Foyer culturel du Sart‑Tilman/Commission, C‑199/91, Rec. p. I‑2667).

37      Il n’en saurait aller différemment d’une facture par laquelle l’EMA établit non seulement le montant exact des redevances qui lui sont dues par la requérante pour le traitement de ses demandes de modification des termes d’une autorisation de mise sur le marché, mais en fixe également la date d’échéance.

38      Cette conclusion se trouve confirmée par le régime juridique des factures émises par l’EMA.

39      Il ressort de l’article 68, paragraphe 11, du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant l’EMA (JO L 136, p. 1), que la réglementation financière applicable à cette dernière est arrêtée par son conseil d’administration, après consultation de la Commission. Elle ne peut s’écarter du règlement (CE, Euratom) n° 2343/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, portant règlement financier-cadre des organismes visés à l’article 185 du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 357, p. 72) que si les exigences spécifiques du fonctionnement de l’EMA le nécessitent et avec l’accord préalable de la Commission.

40      À cet égard, l’article 53, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 2343/2002 prévoit ce qui suit :

« 2.      Toute créance identifiée comme certaine, liquide et exigible doit être constatée par un ordre de recouvrement donné au comptable, accompagné d’une note de débit envoyée au débiteur. Ces deux actes sont établis et adressés par l’ordonnateur compétent.

3.      Les contrats et les conventions de subventions conclus par l’organisme communautaire prévoient que toute créance non remboursée à sa date d’échéance fixée dans la note de débit porte intérêt conformément au règlement n° 2342/2002 […]. Les conditions dans lesquelles des intérêts de retard sont dus à l’organisme communautaire, notamment le taux de ces intérêts, figurent explicitement dans les contrats et conventions de subventions. »

41      Par ailleurs, conformément à l’article 57, paragraphe 1, du règlement n° 2343/2002, si, à l’échéance prévue dans la note de débit, le recouvrement effectif n’a pas eu lieu, le comptable en informe l’ordonnateur compétent et lance sans délai la procédure de récupération, par toute voie de droit, y compris, le cas échéant, par compensation et, si celle-ci n’est pas possible, par l’exécution forcée.

42      Le règlement financier de l’EMA, adopté par son conseil d’administration le 11 décembre 2008 et applicable à l’époque des faits prévoit également, en son article 53, paragraphe 2, qu’une créance est fixée dans une note de débit adressée au débiteur. Les lignes directrices pour l’application du règlement financier de l’EMA, adoptées le 10 juin 2004 et applicables à l’espèce, précisent à l’article 24, paragraphe 3, que l’agent comptable procède au recouvrement de la dette en demandant au débiteur de payer la somme en question dans le délai indiqué.

43      Or, la facture litigieuse du 24 juin 2010 est sans aucun doute le document par lequel l’EMA a établi en détail le montant des créances à l’égard de la requérante, et lui impose une échéance de paiement, dont le non-respect a pour conséquences de faire courir des intérêts de retard pour la somme due et de permettre une exécution forcée de ladite somme. Elle correspond ainsi aux documents visés à l’article 53, paragraphe 2, du règlement n° 2343/2002 et à l’article 53, paragraphe 2 du règlement financier de l’EMA.

44      Un tel acte constitue donc une mesure produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci, conformément à l’arrêt IBM/Commission, point 28 supra.

45      La facture du 24 juin 2010 est donc un acte qui a fait grief à la requérante et qui aurait dû être attaqué dans le délai fixé à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

46      La requérante fait enfin valoir qu’elle n’a pas formé un recours en annulation dans les délais contre ladite facture au motif qu’elle croyait, sur la base d’un prétendu conseil donné par la responsable de son dossier, pouvoir demander la réduction des redevances dues à l’EMA d’une manière informelle.

47      À cet égard, il convient de rappeler que, s’agissant des délais de recours, qui, selon une jurisprudence constante, ne sont à la disposition ni du juge ni des parties et présentent un caractère d’ordre public, la notion d’erreur excusable doit être interprétée de façon restrictive et ne peut viser que des circonstances exceptionnelles où, notamment, l’institution ou l’organe concerné a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti (arrêt du Tribunal du 16 mars 1993, Blackman/Parlement, T‑33/89 et T‑74/89, Rec. p. II-249, point 34).

48      Le seul « conseil » auquel la requérante pouvait se référer, et qui fait partie du dossier devant le Tribunal, est constitué d’un courriel du 18 mai 2010, dont des extraits figurent dans la réponse du 19 juillet 2010. Or, il en ressort uniquement que l’auteur du courriel du 18 mai 2010 a informé la requérante que la seule possibilité pour solliciter une réduction des redevances dues à l’EMA était de formuler une demande conformément à l’article 9 du règlement n° 297/95 en faisant valoir l’existence de circonstances exceptionnelles ou des raisons impératives de santé publique ou de santé des animaux. Un tel conseil ne saurait, compte tenu du caractère d’ordre public du délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE ainsi que des obligations qui pèsent sur tout opérateur normalement diligent, constituer une circonstance exceptionnelle de nature à rendre excusable l’absence d’introduction d’un recours contre la facture émise par l’EMA le 24 juin 2010. Rien n’empêchait, en effet, la requérante d’introduire un recours contre cet acte (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission, T‑514/93, Rec. p. II-621, point 41).

49      En tout état de cause, il importe de constater que la requérante n’a ni fondé sa demande de réduction du montant des redevances dues à l’EMA du 19 juillet 2010 sur l’article 9 du règlement n° 297/95 ni renvoyé dans cette dernière à l’existence de quelconques circonstances exceptionnelles ou à des raisons impératives de santé publique ou de santé des animaux, de sorte que la requérante ne saurait s’y utilement fonder dans le cadre du présent recours.

–       Sur la réponse du 19 juillet 2010

50      La facture du 24 juin 2010 ayant été qualifiée d’acte faisant grief, il convient encore de déterminer à titre subsidiaire, si la réponse de l’EMA du 19 juillet 2010 peut, en tant que telle, être également qualifiée d’acte attaquable.

51      À cet égard, et contrairement à ce que fait valoir la requérante, la réponse de l’EMA du 19 juillet 2010 remplit en principe toutes les conditions pour être qualifiée d’acte faisant grief. Le courriel concerné énonce clairement que la demande de réduction des redevances dues à l’EMA, introduite par la requérante, n’est pas une demande valide, conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 297/95, au motif qu’aucune justification relative aux circonstances exceptionnelles ou à des raisons impératives de santé publique ou de la santé des animaux n’a été avancée par elle. Il s’ensuit nécessairement que cette demande de réduction des redevances a été rejetée. La circonstance que ladite réponse n’aurait pas été signée par une personne particulière, qu’elle relate également l’appréciation d’un autre employé de l’EMA, ou qu’elle a été communiquée par un courriel n’a, vu les principes dégagés par la jurisprudence citée aux points 28 à 30 ci‑dessus, aucune conséquence sur son caractère décisoire et définitif.

52      Par ailleurs, ainsi que l’EMA le fait valoir à bon droit, la requérante a elle-même reconnu que la réponse du 19 juillet 2010 possédait un caractère décisoire et définitif, ayant précisé aux quatrième et cinquième paragraphes de sa lettre du 13 octobre 2010 qu’aucune réduction n’avait été octroyée.

 Sur la qualification de la lettre du 21 octobre 2010

53      Dans la mesure où l’existence d’un acte faisant grief a été démontrée pour le 24 juin 2010, et au plus tard pour le 19 juillet 2010, et qu’il est constant qu’il n’a pas été déféré devant le juge de l’Union dans le délai du recours contentieux, si bien qu’il est devenu définitif, il y a lieu de vérifier si la lettre du 21 octobre 2010 n’est pas purement confirmative d’un tel acte antérieur faisant grief.

54      Une décision est considérée comme purement confirmative d’une décision antérieure si elle ne contient aucun élément nouveau par rapport à elle et si elle n’a pas été précédée d’un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur (ordonnances du Tribunal du 4 mai 1998, BEUC/Commission, T‑84/97, Rec. p. II-795, point 52, et du 10 octobre 2006, Evropaïki Dynamiki/Commission, T-106/05, non publiée au Recueil, point 46). En particulier, une décision qui ne fait qu’expliquer le raisonnement de la décision antérieure d’une manière plus détaillée ne doit pas être considérée comme contenant un élément nouveau par rapport à cette dernière ou comme ayant été précédée d’un réexamen de la situation du requérant (ordonnance du Tribunal BEUC/Commission, précitée, point 54).

55      À cet égard, la motivation de la lettre du 21 octobre 2010 doit être interprétée dans le sens que les raisons qui ont conduit l’EMA à demander à la requérante une redevance de 237 000 euros, voire à refuser une réduction de cette somme, restent inchangées (voir, en ce sens, ordonnance Ripa di Meana/Parlement, point 30 supra, point 31) et que l’EMA n’a fait qu’expliquer plus en détail les raisons qui l’ont conduit à adopter la décision antérieure.

56      En effet, l’EMA s’y est limitée à rappeler la base juridique pour le calcul des redevances qui lui étaient dues, ainsi qu’à préciser, en réponse à des arguments soulevés dans la demande du 13 octobre 2010, que la modification ultérieure des règles d’application du règlement n° 297/95 en vigueur au moment de la détermination des redevances ne modifiait en rien le montant des redevances calculées sur sa base et que les règles d’application du règlement n° 297/95, d’avril 2010 avaient été adoptées conformément aux dispositions supérieures de droit applicables.

57      Or, une lettre, dont la teneur ne se borne qu’à rappeler la base juridique d’une décision antérieure et à réagir à un argument nouveau, présenté par la requérante bien après l’expiration même du délai de recours contre cette décision antérieure, ne saurait être considérée comme contenant un élément nouveau ou comme ayant été adoptée à la suite d’un réexamen de la situation de la requérante, si bien qu’elle ne saurait modifier de façon caractérisée la situation juridique de cette dernière par rapport à celle engendrée par l’acte faisant grief, c’est-à-dire par la facture du 24 juin 2010 (voir, en ce sens, arrêt Cobrecaf e.a./Commission, point 48 supra, point 45).

58      Ainsi, une simple demande de réduction des redevances fixées par une institution ou un organe de l’Union, voire une demande formulée à la suite d’une modification des règles applicables antérieurement ne saurait avoir pour conséquence de rouvrir le délai de recours contre la décision qui fixe d’une manière certaine et définitive les redevances en l’absence d’éléments qui auraient pu modifier l’appréciation de l’institution ou de l’organe de l’Union concerné au moment de la prise de la décision ou du réexamen de la situation du requérant.

59      S’il en était autrement, des requérants pourraient rouvrir des délais de recours déjà expirés, soit en provoquant auprès de l’institution ou de l’organe de l’Union une explication additionnelle des fondements juridiques de la décision antérieure, devenue définitive, soit en soulevant toute sorte de nouveaux arguments, dont ceux tirés de l’adoption d’une réglementation nouvelle, auxquels ladite institution ou ledit organe répondrait dans l’esprit d’une bonne et transparente administration. Cependant, une telle possibilité aurait pour conséquence inévitable de mettre les délais de recours contentieux définis par les traités à la disposition des requérants, ce qui irait à l’encontre de la volonté des rédacteurs de ces traités, ainsi que de la jurisprudence citée au point 27 ci‑dessus.

60      Il s’ensuit que la lettre du 21 octobre constitue une décision purement confirmative de la facture du 24 juin 2010, l’acte ayant fait grief à la requérante. Cette facture n’ayant pas été contestée dans le délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le présent recours doit être déclaré manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EMA.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Octapharma Pharmazeutika Produktionsgesellschaft mbH est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 8 mars 2012.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      N. J. Forwood


* Langue de procédure : l’allemand.