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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

15 décembre 2023 (*)

« Recours en annulation – Fiscalité – Lutte contre l’évasion fiscale – Directive (UE) 2022/2523 – Niveau minimal d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union – Exclusion applicable au résultat provenant de l’exploitation de navires en trafic international – Contestation du champ d’application de cette exclusion – Défaut d’affectation individuelle – Irrecevabilité  »

Dans l’affaire T‑143/23,

Fugro NV, établie à Leidschendam (Pays-Bas), représentée par Me C. Docclo, avocate,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes K. Pavlaki, E. d’Ursel et M. G. Rugge, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteure), présidente, M. I. Dimitrakopoulos et Mme B. Ricziová, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 juin 2023,

–        les observations de la requérante sur l’exception d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 20 juillet 2023,

–        les demandes d’intervention déposées au greffe du Tribunal par le Royaume des Pays-Bas le 14 juin 2023, par Koninklijke Boskalis BV et Boskalis Offshore Transport Services NV le 15 juin 2023, par Heerema Offshore Energy Solutions BV le 16 juin 2023, par Van Oord NV et Vox Amalia SL le 16 juin 2023, par Koninklijke Vereniging van Nederlandse Reders le 16 juin 2023 et par la Commission européenne le 28 juin 2023,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Fugro NV, demande l’annulation partielle de la directive (UE) 2022/2523 du Conseil, du 14 décembre 2022, visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union (JO 2022, L 328, p. 1, ci-après la « directive attaquée »).

 Antécédents du litige

 Régime néerlandais de taxation au tonnage 

2        En 1996, le Royaume des Pays-Bas a mis en place un régime spécifique d’imposition à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, dit de « taxation au tonnage », ouvert, sur option et pour une période de dix ans, aux contribuables exerçant une activité de transport international maritime par navire ou une activité directement liée à un tel transport (ci-après le « régime néerlandais de taxation au tonnage »). En vertu de ce régime, l’impôt est calculé sur la base du tonnage net de la flotte opérée et non sur la base du bénéfice effectivement réalisé.

3        En 2009 et 2010, le régime néerlandais de taxation au tonnage a été amendé afin de couvrir de nouvelles catégories de navires et de bénéficiaires.

4        Le régime néerlandais de taxation au tonnage et ses amendements ont été notifiés à la Commission européenne en tant que régimes d’aides. Ils ont, à plusieurs reprises, été déclarés compatibles avec le marché intérieur par cette dernière, et ce notamment par la décision C(2010) 2544 final de la Commission, du 27 avril 2010, relative à l’aide d’État N 714/2009 – Pays-Bas – Intégration des transports de la pose de câbles, pose de canalisations, navires de grues et navires de recherche sous le régime de taxation au tonnage ainsi que par la décision C(2019) 5516 final de la Commission, du 26 juillet 2019, relative à l’aide d’État SA 51263 (2019/N) – Pays-Bas – Prolongation du régime néerlandais de taxation au tonnage pour les gestionnaires de navires, les grands navires et les navires de service.

 Requérante

5        La requérante est une société de droit néerlandais établie aux Pays-Bas. Elle constitue l’entité mère ultime d’un groupe d’entreprises multinationales actif dans de nombreux pays tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union européenne. Son activité principale consiste à fournir des services géotechniques, géo-scientifiques et de topographie. Elle exerce également une activité de gestion de navires. Son chiffre d’affaires consolidé était de 1 461 millions d’euros en 2021 et de 1 766 millions d’euros en 2022.

6        La requérante est soumise, aux Pays-Bas, à l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Par lettre du 23 décembre 2014, elle a demandé à bénéficier du régime néerlandais de taxation au tonnage. Par décision du 5 janvier 2015, les autorités fiscales néerlandaises ont fait droit à cette demande à compter de l’année fiscale 2014.

 Directive attaquée

7        Le 14 décembre 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté la directive attaquée en se fondant sur l’article 115 TFUE et en statuant selon une procédure législative spéciale. Aux termes de l’article 59 de cette directive, les États membres sont destinataires de celle-ci.

8        En vertu de son article 1er, la directive attaquée a pour objet d’établir des mesures communes pour l’imposition minimale effective des groupes d’entreprises multinationales et des groupes nationaux de grande envergure lorsque des entités constitutives sont faiblement imposées. Cette imposition minimale prend la forme d’un impôt complémentaire payé, selon les cas, par l’entité mère ou par les entités constitutives du groupe concerné.

9        En vertu de son article 2, paragraphe 1, la directive attaquée s’applique, en substance, aux entités constitutives situées dans un État membre qui sont membres d’un groupe d’entreprises multinationales ou d’un groupe national de grande envergure dont le chiffre d’affaires annuel est égal ou supérieur à 750 000 000 euros.

10      Le chapitre III de la directive attaquée définit les modalités de calcul du bénéfice ou de la perte admissible d’une entité constitutive. À cet égard, l’article 17 de la même directive instaure une exclusion applicable au résultat provenant de l’exploitation de navires en trafic international.

11      Cette exclusion s’applique, d’une part, au « résultat provenant de l’exploitation de navires en trafic international » et, d’autre part, au « résultat provenant d’activités qualifiées, accessoires à l’exploitation de navires en trafic international » (ci-après les « activités qualifiées accessoires »). Ces deux notions sont définies, respectivement, à l’article 17, paragraphe 1, sous a), et à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive attaquée, par voie d’énumération des activités éligibles.

12      L’article 17, paragraphe 2, de la directive attaquée prévoit que « le résultat provenant de l’exploitation de navires en trafic international et le résultat provenant d’activités qualifiées […] accessoires […] d’une entité constitutive […] sont exclus du calcul de son bénéfice ou de sa perte admissibles, à condition que [cette] entité […] démontre que la gestion stratégique ou commerciale de tous les navires concernés est effectivement assurée à partir de la juridiction où [ladite] entité […] est située ».

13      L’article 17, paragraphe 4, de cette directive précise que « [l]e résultat agrégé provenant d’activités qualifiées […] accessoires […] de l’ensemble des entités constitutives situées dans une juridiction […] n’excède pas 50 % du résultat provenant de l’exploitation de navires en trafic international [de ces] entités ».

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la directive attaquée, en tant que :

–        premièrement, l’article 17 de cette directive exclut de son champ d’application le résultat provenant d’une activité d’exploitation de navires soumise à un régime de taxation au tonnage d’un État membre autorisé conformément aux règles relatives aux aides d’État, autre que le « résultat provenant de l’exploitation de navires en trafic international » et le « résultat provenant d’activités qualifiées […] accessoires » ;

–        deuxièmement, l’article 17 de ladite directive ne s’applique que « à condition que l’entité constitutive démontre que la gestion stratégique ou commerciale de tous les navires concernés est effectivement assurée à partir de la juridiction où [cette] entité […] est située » ;

–        troisièmement, la même directive ne prévoit pas de mesures transitoires pour les contribuables ayant réalisé des investissements importants en se fondant sur un régime de taxation au tonnage ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

15      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’exception d’irrecevabilité

16      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans poursuivre la procédure.

17      Dans son exception d’irrecevabilité, le Conseil soutient que la requérante n’a pas qualité pour agir contre la directive attaquée. En particulier, la requérante ne serait ni directement ni individuellement concernée par cette directive.

18      La requérante conteste l’exception d’irrecevabilité. Elle fait valoir qu’elle est directement et individuellement concernée par la directive attaquée.

19      Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours en annulation contre trois types d’actes, à savoir, premièrement, les actes dont elle est la destinataire, deuxièmement, les actes qui la concernent directement et individuellement et, troisièmement, les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

20      Il convient de constater d’emblée, d’une part, que la directive attaquée a pour destinataires les États membres. Il s’ensuit que, faute d’être destinataire de cette directive, la requérante ne dispose pas d’un droit au recours sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, premier membre de phrase, TFUE.

21      D’autre part, la directive attaquée a été adoptée selon une procédure législative spéciale et, partant, n’est pas un acte réglementaire mais un acte législatif. Il s’ensuit que la requérante ne dispose pas non plus d’un droit au recours sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

22      Dans ces conditions, il reste à examiner si la requérante dispose d’un droit au recours sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE.

23      À cet égard, il importe de rappeler que les conditions de l’affectation directe, d’une part, et de l’affectation individuelle, d’autre part, prévues par l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE sont distinctes et cumulatives (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 75 et 76 et jurisprudence citée).

24      Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’abord si la seconde condition, tenant à l’affectation individuelle de la requérante, est remplie.

25      À cet égard, il importe de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, afin d’être considérée comme individuellement concernée par un acte dont elle n’est pas destinataire, une personne physique ou morale doit être atteinte par cet acte en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, et du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 93).

26      Par conséquent, la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droits auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, dès lors que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêts du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C‑451/98, EU:C:2001:622, point 52, et du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 94).

27      Cependant, le fait qu’une disposition a par sa nature et sa portée un caractère général, en ce qu’elle s’applique à la généralité des personnes intéressées, n’exclut pas pour autant qu’elle puisse concerner individuellement certains d’entre eux (arrêts du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 58, et du 23 avril 2009, Sahlstedt e.a./Commission, C‑362/06 P, EU:C:2009:243, point 29).

28      En effet, lorsqu’un acte affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été adopté et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint de personnes. Il peut en être notamment ainsi lorsque ledit acte modifie les droits acquis par ces personnes antérieurement à son adoption (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, points 71 et 72 et jurisprudence citée, et du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 59).

29      En l’espèce, il est constant que la directive attaquée a une portée générale, en ce qu’elle s’applique à des situations déterminées objectivement et produit des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite.

30      Tel est le cas, en particulier, en premier lieu, des dispositions, non contestées en tant que telles, de la directive attaquée qui prévoient, en principe, une imposition minimale effective des groupes d’entreprises multinationales et des groupes nationaux de grande envergure. En effet, d’une part, ces dispositions s’appliquent lorsque sont remplies des conditions objectives liées, notamment, à la réalisation par le groupe concerné d’un chiffre d’affaires annuel égal ou supérieur à 750 000 000 euros ainsi qu’à une situation de faible imposition d’une ou plusieurs entités constitutives. D’autre part, lesdites dispositions produisent des effets juridiques à l’égard de toutes les entités mères et entités constitutives remplissant lesdites conditions objectives.

31      Il en va de même, en second lieu, de l’article 17 de la directive attaquée, contesté par la requérante en tant que l’exclusion qu’il instaure aurait un champ d’application trop étroit.

32      En effet, d’une part, l’application de l’exclusion prévue par l’article 17 de la directive attaquée dépend de critères objectifs. Ces critères sont liés, notamment, premièrement, à l’exercice de certaines activités spécifiques, consistant à exploiter des navires en trafic international et à effectuer des activités qualifiées accessoires, ces deux types d’activités étant respectivement définies et énumérées à l’article 17, paragraphe 1, sous a), et à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de cette directive, deuxièmement, au respect d’une limitation du résultat agrégé provenant d’activités qualifiées accessoires, ce résultat ne devant pas excéder 50 % du résultat provenant de l’exploitation de navires en transit international conformément à l’article 17, paragraphe 4, de cette même directive, et, troisièmement, au lieu où est assurée la gestion stratégique ou commerciale des navires au sens de l’article 17, paragraphe 2, de ladite directive.

33      D’autre part, les dispositions de l’article 17 de la directive attaquée produisent des effets juridiques à l’égard de toutes les entités constitutives remplissant lesdits critères objectifs.

34      Il apparaît donc que la directive attaquée, et notamment son article 17, s’applique à tous les opérateurs économiques remplissant certaines conditions objectives et notamment à ceux exerçant une activité dans le secteur maritime, et ce indépendamment de l’État membre où ces opérateurs sont établis ainsi que de leur régime d’imposition, lequel peut être un régime normal ou un régime de taxation au tonnage instauré par un État membre et autorisé par la Commission.

35      Il s’ensuit que la requérante n’est concernée par la directive attaquée qu’en sa qualité objective d’entité mère d’un groupe d’entreprises multinationales actif dans le secteur maritime, ce qu’elle reconnaît d’ailleurs lorsqu’elle explique, en substance, qu’elle satisfait aux « critères objectifs » définissant le champ d’application de cette directive. Dès lors, la requérante est concernée par ladite directive au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant, actuellement ou potentiellement, dans une situation identique. Partant, la requérante n’est pas individuellement concernée par la directive attaquée.

36      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments avancés par la requérante afin d’établir son affectation individuelle.

37      En premier lieu, la requérante soutient, en substance, que, en sa qualité d’entité mère d’un groupe d’entreprises multinationales réalisant un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 000 000 euros et soumise à un taux d’imposition effectif inférieur à 15 %, elle relève du champ d’application de la directive attaquée. Elle explique que, dans la mesure où l’essentiel de son résultat provient de ses activités de fourniture de services géotechniques, géoscientifiques et de topographie et où elle exerce parfois ses activités depuis un port situé dans la même juridiction que sa zone d’opérations, l’exclusion prévue par l’article 17 de cette directive ne lui sera pas applicable, de sorte qu’elle sera soumise à l’impôt complémentaire prévu par ladite directive. Elle en déduit qu’elle est non seulement directement concernée par la directive attaquée, mais également, par voie de conséquence, individuellement concernée par celle-ci. Selon la requérante, toute autre interprétation serait contraire au droit à une protection juridictionnelle effective consacré, notamment, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

38      À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que l’argumentation de la requérante procède d’une confusion entre les deux conditions distinctes et cumulatives tenant à l’affectation directe, d’une part, et à l’affectation individuelle, d’autre part (voir point 23 ci-dessus). Contrairement à ce que fait valoir la requérante, une personne physique ou morale directement concernée par un acte n’est pas, de ce seul fait, individuellement concernée par ce dernier. Il s’ensuit que, à la supposer même fondée, l’argumentation de la requérante tirée de ce qu’elle entre dans le champ d’application de la directive attaquée et est, par suite, directement concernée par celle-ci n’est, à elle-seule, pas susceptible d’établir que la requérante est également individuellement concernée par cette directive.

39      Deuxièmement, il convient de rappeler que l’article 47 de la Charte n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union. Ainsi, les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, sans pour autant aboutir à écarter ces conditions, qui sont expressément prévues par le traité FUE (voir arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 97 et 98 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, points 43 et 44). Or, contrairement à ce que prétend la requérante, la protection conférée par l’article 47 de la Charte n’exige pas qu’un justiciable entrant dans le champ d’application d’un acte puisse, de manière inconditionnelle, intenter un recours en annulation contre cet acte lorsque celui-ci ne l’affecte pas individuellement (voir, en ce sens, ordonnance du 8 juin 2021, Silver e.a./Conseil, T‑252/20, EU:T:2021:347, point 64).

40      En second lieu, la requérante fait valoir, en substance, qu’elle s’est vu accorder le bénéfice du régime néerlandais de taxation au tonnage par décision des autorités fiscales néerlandaises et qu’elle a réalisé des investissements à long terme en se fondant sur les décisions de la Commission concernant ce régime. Elle estime appartenir à un groupe limité et fermé de personnes bénéficiant de ce régime, mais ne relevant pas de l’exclusion prévue par l’article 17 de la directive attaquée. Elle explique que, en l’absence dans cette directive de mesures transitoires ou de règles permettant le maintien des effets dudit régime, elle sera soumise à un impôt complémentaire qui effacera l’avantage résultant de l’application dudit régime et modifiera ainsi ses droits acquis antérieurement à l’adoption de ladite directive.

41      À cet égard, il convient de relever, d’abord, qu’il ne ressort pas du dossier, ni n’est d’ailleurs allégué, que la directive attaquée, et en particulier son article 17, aurait été adoptée en tenant compte de la situation particulière des personnes bénéficiaires du régime néerlandais de taxation au tonnage et notamment de celle de la requérante. Il ressort, au contraire, des considérants 2 à 6 de cette directive que celle-ci a un objet et une portée plus larges et plus généraux dans la mesure où elle met en œuvre, à l’échelle de l’Union, un modèle de règles élaborées au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et visant à mettre en place un niveau minimal d’imposition mondial. De plus, il ressort du considérant 17 de ladite directive que cette dernière tient compte des spécificités du secteur du transport maritime et de la nécessité de permettre aux différents États membres de continuer à appliquer des traitements fiscaux spécifiques à ce secteur conformément à la pratique internationale et aux règles relatives aux aides d’État. À ce dernier égard, le Conseil relève que des régimes de taxation au tonnage existent dans plusieurs États membres autres que les Pays-Bas. Il s’ensuit que les personnes bénéficiaires du régime néerlandais de taxation au tonnage, et notamment la requérante, ne sont pas spécifiquement visées par la directive attaquée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, points 66 et 67).

42      Ensuite, la requérante n’apporte aucun élément quant au nombre ou à l’identité des personnes bénéficiant du régime néerlandais de taxation au tonnage et susceptibles d’être affectées par la directive attaquée. Elle ne conteste pas non plus que tout opérateur économique exerçant des activités dans le secteur maritime et établi aux Pays-Bas peut bénéficier de ce régime fiscal spécifique s’il en fait la demande et s’il en remplit les conditions. Il s’ensuit que le cercle des personnes bénéficiaires dudit régime et potentiellement affectées par la directive attaquée n’était pas constitué exclusivement de personnes identifiées ou identifiables à la date d’adoption de cette directive et pouvait encore être élargi après cette date. Or, un cercle restreint de personnes au sens de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus ne peut pas être élargi après l’adoption de l’acte litigieux (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C‑152/88, EU:C:1990:259, point 11, et ordonnance du 7 septembre 2010, Etimine et Etiproducts/Commission, T‑539/08, EU:T:2010:354, point 105).

43      Enfin, le seul fait de bénéficier d’un régime fiscal favorable, tel que le régime néerlandais de taxation au tonnage, dont la portée ou les effets sont potentiellement affectés par la directive attaquée ne constitue pas un droit acquis qui serait spécifique ou exclusif à la requérante ou à un cercle restreint de personnes. En effet, d’autres opérateurs économiques sont susceptibles de bénéficier du régime néerlandais de taxation au tonnage ou d’un régime fiscal analogue dans un autre État membre et de voir l’avantage correspondant être effacé par l’impôt complémentaire prévu par la directive attaquée (voir, par analogie, arrêt du 16 décembre 2011, Enviro Tech Europe et Enviro Tech International/Commission, T‑291/04, EU:T:2011:760, point 116, et ordonnance du 7 septembre 2010, Etimine et Etiproducts/Commission, T‑539/08, EU:T:2010:354, point 104). Ce constat n’est pas remis en cause par les circonstances selon lesquelles, d’une part, les autorités fiscales néerlandaises ont pris une décision autorisant la requérante à déterminer son bénéfice imposable sur la base du tonnage de ses navires et, d’autre part, la requérante aurait réalisé des investissements à long terme en sachant qu’elle bénéficiait d’un régime fiscal favorable.

44      Dès lors, pour l’ensemble des raisons exposées aux points 41 à 43 ci-dessus, la requérante ne démontre pas qu’elle fait partie d’un cercle restreint de personnes au sens de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus.

45      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la requérante n’est pas individuellement concernée par la directive attaquée. Partant, sans qu’il soit besoin d’examiner si la requérante est directement concernée par cette directive, elle n’a pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE.

46      Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil est fondé à soutenir que la requérante n’a pas qualité pour agir. Partant, l’exception d’irrecevabilité doit être accueillie et le recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les demandes d’intervention

47      Aux termes de l’article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’intervention perd son objet lorsque la requête est déclarée irrecevable. En l’espèce, le recours étant rejeté comme irrecevable, il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’intervention introduites par le Royaume des Pays-Bas, par la Commission, par Koninklijke Boskalis BV et Boskalis Offshore Transport Services NV, par Heerema Offshore Energy Solutions BV, par Van Oord NV et Vox Amalia SL ainsi que par Koninklijke Vereniging van Nederlandse Reders.

 Sur les dépens

48      En premier lieu, aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier, à l’exception de ceux afférents aux demandes d’intervention.

49      En second lieu, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, s’il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il ne soit statué sur une demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention. En l’espèce, la requérante, le Conseil et les différents demandeurs en intervention mentionnés au point 47 ci-dessus supporteront chacun leurs propres dépens afférents aux demandes d’intervention.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’intervention du Royaume des Pays-Bas, de la Commission européenne, de Koninklijke Boskalis BV et Boskalis Offshore Transport Services NV, de Heerema Offshore Energy Solutions BV, de Van Oord NV et Vox Amalia SL ainsi que de Koninklijke Vereniging van Nederlandse Reders.

3)      Fugro NV est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, à l’exception de ceux afférents aux demandes d’intervention.

4)      Fugro, le Conseil et les demandeurs en intervention mentionnés au point 2 du présent dispositif supporteront chacun leurs propres dépens afférents aux demandes d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 15 décembre 2023.

Le greffier

 

La présidente

V. Di Bucci

 

K. Kowalik-Bańczyk


*      Langue de procédure : l’anglais.