ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
10 juin 1999 (1)
«Clause compromissoire Obligation de paiement Inexécution»
Dans l'affaire T-10/98,
E-Quattro Snc, société de droit italien, établie à Laveno-Mombello (Italie),
représentée par Me Giuseppe Marchesini, avocat près la Corte di Cassazione, ayant
élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Ernest Arendt, 8-10 rue Mathias
Hardt,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. José Luis
Iglesias Buhigues, conseiller juridique, et Barry Doherty, membre du service
juridique, en qualité d'agents, assistés de Me Alberto Dal Ferro, avocat au barreau
de Vicence, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la
Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
ayant pour objet une demande, au titre de l'article 153 EA, de réparation du
préjudice prétendument subi dans le cadre d'un contrat conclu avec la
Communauté,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
composé de MM. A. Potocki, président, C. W. Bellamy et A. W. H. Meij, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 3 décembre 1998,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du recours et déroulement de la procédure
- 1.
- Le 28 mars 1996, la requérante et la Communauté européenne, représentée par
la Commission, représentée à cette fin par le directeur de l'Institut de
l'environnement du Centre commun de recherche à Ispra, (ci-après «CCR»), ont
conclu un contrat relatif à des services de consultant pour un soutien technique et
logistique au Bureau européen des substances chimiques (ci-après «BESC»), qui
fait partie de cet institut.
- 2.
- Conformément à son article 9, ce contrat est soumis au droit italien. En vertu de
l'article 10 de son annexe 2, la Cour de justice des Communautés européennes est
seule compétente pour connaître des différends entre les parties.
- 3.
- Le contrat comportait deux phases. Les prestations prévues pour la première
phase, soit pour la période du 28 mars 1996 au 27 mars 1997, consistaient dans
l'assistance en vue de la préparation de réunions scientifiques et la création d'une
base de données informatique à caractère scientifique (annexe 1 du contrat).
- 4.
- La rémunération prévue pour ces prestations s'élevait à 190 400 écus (article 6.1
du contrat). En avril et en juillet 1996, conformément à l'article 7.1 du contrat, la
Commission a procédé à deux versements pour un montant total de 133 280 écus.
Le solde, soit 30 % du prix global, devait être payé après acceptation, par l'Institut
de l'environnement, du rapport final préparé par la requérante. La facture
correspondant au solde de 57 120 écus pour l'assistance technique et logistique a
été établie par la requérante le 6 mars 1997 et adressée à la Commission par lettre
du 10 mars 1997. Le paiement devait être effectué dans les 60 jours à compter de
la réception de la demande de paiement (article 7.2 du contrat).
- 5.
- Par lettre du 18 mars 1997, reçue le 22 mars suivant, la Commission a informé la
requérante qu'il avait été décidé de ne pas autoriser l'ouverture de la seconde
phase du contrat.
- 6.
- Par lettre du 20 mai 1997, la requérante a insisté pour qu'il soit procédé au
paiement du solde afférent à la première phase du contrat.
- 7.
- Dans le cadre de l'article 12 du contrat, la direction générale du contrôle financier
de la Commission a effectué un contrôle sur place auprès de la requérante le
10 juin 1997. Un rapport à ce sujet a été établi par cette direction générale le
23 juin 1997.
- 8.
- C'est dans ces conditions que, par acte enregistré au greffe de la Cour le 16 juillet
1997, la requérante a déposé le présent recours, enregistré sous le numéro
C-257/97.
- 9.
- Par ordonnance du 9 décembre 1997, la Cour, constatant son incompétence
manifeste pour connaître du litige dont elle était saisie, a renvoyé l'affaire devant
le Tribunal, conformément à l'article 48 du statut (EA) de la Cour, et a réservé les
dépens.
- 10.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir
la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les
parties ont été invitées à répondre à certaines questions et à produire certains
documents. Les parties ont déféré à ces demandes.
- 11.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 3 décembre 1998.
- 12.
- A cette occasion, la requérante a indiqué qu'elle retirait sa demande de
condamnation de la Commission à la réparation du préjudice subi en raison de la
prétendue résiliation du rapport contractuel, ce dont le Tribunal a pris acte.
Conclusions des parties
- 13.
- La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
condamner la Commission à l'indemniser du préjudice qu'elle a subi et subit
en raison du retard persistant dans le paiement du solde des prestations
décrites dans la facture qui n'a pas été honorée;
condamner la Commission au paiement des intérêts à compter des
échéances et jusqu'à apurement du solde;
condamner la Commission aux dépens.
- 14.
- La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter le recours;
condamner la requérante aux dépens.
Sur le fond
Argumentation des parties
- 15.
- La requérante observe que, selon les termes du contrat, la Commission doit
effectuer le paiement dans les deux mois à compter de la présentation d'une
facture. Ce délai ne peut être dépassé qu'en cas de contestation à propos des
prestations visées dans la facture ou lorsque la facture et la documentation sont
incomplètes (article 7.2 du contrat).
- 16.
- En l'espèce, la facture a été établie le 6 mars 1997. Pourtant, au jour du dépôt du
présent recours, le paiement n'avait toujours pas été effectué, alors qu'aucune
contestation du type de celle énoncée à l'article 7.2 du contrat n'avait été émise.
- 17.
- A défaut d'exécution des obligations contractuelles de la part de la Commission et
d'une explication officielle du retard constaté, la requérante demande qu'il lui soit
accordé l'indemnisation du préjudice subi, correspondant au montant de la facture
restée impayée, assorti des intérêts à compter de l'échéance du délai de deux mois
après réception de la facture.
- 18.
- La requérante souligne que l'on ne saurait lui reprocher de prétendues violations
au stade de la préparation du contrat; elle avait alors produit une documentation
complète et conforme à la vérité, tant en ce qui concerne la date de sa constitution,
sa situation patrimoniale que les antécédents professionnels de ses administrateurs.
- 19.
- En ce qui concerne l'exécution du contrat, la requérante ne conteste pas que la
création d'une base de données informatique, qui constituait l'un des objets du
contrat, n'a pas été réalisée. Toutefois, ceci serait le résultat de la demande
expresse du cocontractant. Les tâches à caractère scientifique auraient ainsi été
reportées, à la demande expresse des fonctionnaires du BESC, à la seconde phase
du contrat. De façon corrélative, la requérante aurait été chargée de tâches
administratives toujours plus absorbantes, ainsi que l'illustrerait une lettre de la
Commission du 28 mai 1996 intitulée «note à l'intention du personnel du [BESC]».
Il ne s'agirait donc pas d'inexécution partielle du contrat par la requérante, mais
de l'exécution d'autres tâches voulues par le cocontractant.
- 20.
- Dans ces conditions, selon la requérante, le paiement du solde des prestations
afférentes à la première phase du contrat apparaît justifié et légitime, parce qu'il
correspond à une activité de substitution que la requérante a poursuivie à la
demande expresse du cocontractant. La requérante invoque à cet égard une note
manuscrite qui constituerait le compte rendu d'une réunion du 27 janvier 1997, à
laquelle assistait le chef d'unité du BESC, et déterminerait le programme de
collaboration pour les mois à venir.
- 21.
- Dès lors, l'unique question qui pourrait se poser concernerait l'équivalence, sous
l'angle économique, entre les prestations administratives réellement effectuées et
les prestations informatiques prévues à l'origine dans le contrat.
- 22.
- La Commission soutient qu'elle a relevé un certain nombre d'irrégularités en
relation avec le contrat en cause. La requérante n'aurait pas effectué une partie
des prestations prévues par le contrat et, contrairement à ce qu'elle prétend,
aucune modification du contrat n'aurait été convenue. Dans ces conditions, la
conduite de la Commission serait légale et la demande de la requérante devrait
être rejetée.
Appréciation du Tribunal
- 23.
- Aux termes de l'article 13 du contrat signé entre les parties le 28 mars 1996, les
annexes à celui-ci en font partie intégrante.
- 24.
- L'annexe 1 au contrat énonce les prestations qui devaient être effectuées par la
requérante durant la première phase du contrat.
- 25.
- Outre l'assistance à apporter à l'Institut de l'environnement en vue de l'organisation
d'environ 55 réunions prévues à Ispra ou en dehors d'Ispra [article 3, sous a), de
l'annexe 1 au contrat], il était prévu la mise en place d'une base de données
informatique à caractère scientifique.
- 26.
- Dans la «proposition de coûts» élaborée par la requérante dans le cadre de la
procédure d'attribution du contrat, le budget alloué à la réalisation de cette base
de données s'élevait à 44 300 écus, auxquels il convient d'ajouter des frais de
personnel spécialisé.
- 27.
- La requérante, dans ses écritures, n'a pas contesté que cette base de données
informatique n'a pas été mise en place. Elle ne l'a pas non plus prétendu lors de
la procédure orale.
- 28.
- Certes, la requérante a produit à l'audience un document, intitulé «rapport final»,
signé par un agent du CCR. Ce document comporte, en son point 2, plusieurs
développements sur le système informatisé à caractère scientifique, et notamment
la phrase suivante: «Le système a été amélioré et est désormais totalement
opérationnel.»
- 29.
- Toutefois, la requérante a admis à l'audience que la base de données informatique
visée au point 2 du rapport final n'est pas celle prévue à l'article 3, sous b), del'annexe 1 au contrat, mais un fichier de noms et d'adresses préparé dans le cadre
de l'organisation des réunions prévues à l'article 3, sous a), de l'annexe 1 au
contrat.
- 30.
- Il est ainsi constant que la base de données à caractère informatique prévue dans
le contrat du 28 mars 1996 n'a pas été réalisée.
- 31.
- Au demeurant, le Tribunal souligne que le fichier de noms et d'adresses auquel se
réfère la requérante est visé au dernier alinéa du point 1 du document intitulé
«rapport final». Le point 2 de ce document est en revanche spécifiquement
consacré au système informatique à caractère scientifique. La mention de ce que
ce système est opérationnel apparaît en conséquence fausse. La requérante a
d'ailleurs indiqué à l'audience que, si le rapport final élaboré par la requérante
n'avait pas contenu ces développements sur la base de données informatique, elle
aurait eu des difficultés à obtenir le paiement du solde.
- 32.
- La proposition de coûts élaborée par la requérante prévoyait également
l'embauche de deux ingénieurs informaticiens en vue du développement de la base
de données et d'un consultant scientifique, pour un montant, respectivement, de
28 000 et de 12 000 écus. La requérante a notamment produit devant le Tribunal
deux contrats de prestation de services conclus entre elle et deux personnes
physiques. Elle soutient que ces contrats sont ceux correspondant à l'embauche des
deux ingénieurs informaticiens initialement prévus. Toutefois, sans qu'il y ait lieu
d'examiner la réalité de cette prétention, il suffit de relever que les ingénieurs
informaticiens avaient pour fonction de mettre en place la base de données
informatique à caractère scientifique. Or, celle-ci n'a précisément pas été mise en
oeuvre. Les services qui ont pu être apportés par les deux personnes en question
ne peuvent dès lors correspondre à ceux initialement convenus, pour lesquels une
rémunération de 28 000 écus était prévue.
- 33.
- La requérante soutient toutefois que, si les prestations en cause n'ont pas été
effectuées, c'est que, à la demande du CCR, la requérante a concentré ses efforts
sur la première partie des prestations contractuelles, à savoir l'organisation des
réunions, qui s'était avérée représenter une charge plus lourde que prévue.
- 34.
- A cet égard, il y a lieu de relever que, aux termes de l'article 11 de l'annexe 2 du
contrat, celui-ci ou ses annexes ne pouvaient être modifiés ou complétés que par
un accord additionnel signé par un représentant dûment autorisé de chacune des
parties. Le contrat du 28 mars 1996 a été conclu au nom de la Communauté,
représentée par la Commission, représentée aux fins de la signature du contrat par
le directeur de l'Institut de l'environnement du CCR.
- 35.
- Il ressort du dossier qu'aucun élément ne permet de conclure que le contrat aurait
été modifié dans les conditions prévues par l'article 11 de son annexe 2.
- 36.
- Dans le cadre de la procédure écrite, la requérante a invoqué deux pièces.
- 37.
- La première est une note du BESC du 28 mai 1996 adressée au personnel de ce
service. Après avoir mentionné la signature du contrat avec la requérante, l'auteur
du document rappelle au personnel du BESC les procédures internes à respecter,
tant en ce qui concerne l'organisation des réunions que les procédures
administratives à suivre. Rien dans ce document, élaboré deux mois à peine après
la conclusion du contrat, ne peut être regardé comme emportant modification de
celui-ci.
- 38.
- La seconde pièce est une note manuscrite qui constituerait le «compte rendu»
d'une réunion du 27 janvier 1997, à laquelle aurait assisté le chef d'unité du BESC,
fixant le programme de collaboration pour les mois à venir. Tout d'abord, rien ne
confirme l'authenticité de ce document: celui-ci n'est pas daté, l'auteur en est
inconnu et rien ne permet même de conclure qu'il se référerait à une réunion du
27 janvier 1997, ni que le chef d'unité du BESC y aurait participé. En toute
hypothèse, ce document manuscrit de quelques lignes ne comporte que l'indication
de noms et de périodes, sans la moindre phrase cohérente. Il ne peut en être
conclu que le contrat aurait été valablement modifié sur un de ces points essentiels.
- 39.
- Lors de l'audience, la requérante a produit deux documents supplémentaires en vue
d'établir l'accord qui serait intervenu entre les parties pour modifier le contrat
initial et reporter, en conséquence, les travaux liés à la mise en place de la base de
données informatique.
- 40.
- Le premier document est une note de la Commission du 5 août 1997. Il y est
indiqué que l'annexe technique au contrat, qui définit les prestations à entreprendre
par la requérante, a été «modifiée verbalement».
- 41.
- Le Tribunal relève tout d'abord que cette note est un document interne de la
Commission, rédigée dans le cadre de la préparation des mémoires de la partie
défenderesse dans la présente affaire. Il résulte des éléments recueillis à l'audience
que le conseil de la requérante a eu connaissance de cette note à l'occasion d'une
procédure disciplinaire engagée contre certains agents du CCR, en relation avec
le contrat du 28 mars 1996, procédure dans laquelle il représentait également les
agents en question. Il a pris copie de cette note interne dans le cadre de cette
procédure disciplinaire.
- 42.
- Il demeure en toute hypothèse que cette note ne traduit pas une modification du
contrat dans les formes prévues par l'article 11 de l'annexe 2 au contrat.
- 43.
- Le second document est celui intitulé «rapport final».
- 44.
- Il convient de relever tout d'abord que la requérante n'a pas pu établir les
conditions dans lesquelles elle est entrée en possession de ce document. Au vu de
l'audience, il est acquis que ce document n'a pas été remis par le CCR à la
requérante dans le cadre de leurs relations contractuelles. D'ailleurs, si tel avait été
le cas, la requérante aurait été en mesure de le produire dès la requête. Il apparaît
en réalité que ce document, signé par un agent du CCR, n'a été porté à la
connaissance du conseil de la requérante, comme la pièce analysée ci-dessus au
point 40, qu'à l'occasion d'une procédure disciplinaire diligentée par la Commission
à l'encontre de certains agents du CCR, en relation avec le contrat du 28 mars
1996, procédure dans laquelle le conseil de la requérante était également conseil
des agents concernés.
- 45.
- En outre, ce document ne fait aucune référence à une modification des termes du
contrat. S'il décrit les tâches effectuées par la requérante en matière d'organisations
des réunions, il ne fait pas apparaître que ces réalisations seraient allées au-delà
de ce qui était prévu dans le contrat initial. En outre, par son point 2 relatif à la
base de données informatique à caractère scientifique, le rapport final confirme au
contraire que la requérante était consciente que, pour obtenir le paiement du solde,
il lui fallait prétendre avoir effectué également ces travaux, alors qu'ils ne l'ont pas
été.
- 46.
- En conséquence, aucun document ne permet d'établir que le contrat aurait été
modifié dans les conditions prévues par celui-ci.
- 47.
- La demande tendant à ce que la Commission soit condamnée à indemniser la
requérante du préjudice subi du fait du retard dans le paiement du solde du prix
doit dès lors être rejetée. Par voie de conséquence, la demande de paiement des
intérêts à compter des échéances et jusqu'à apurement du solde doit également
être rejetée.
Sur les dépens
- 48.
- Selon l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui
succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante
ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux
conclusions de la Commission.
- 49.
- La Cour, dans son ordonnance du 9 décembre 1997, précitée, ayant réservé les
dépens, la présente condamnation inclut les dépens afférents à la procédure devant
la Cour.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juin 1999.
Le greffier
Le président
H. Jung
A. Potocki