Language of document : ECLI:EU:T:2020:559

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

25 novembre 2020 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative GROUP Company TOURISM & TRAVEL – Marques nationales figuratives antérieures non enregistrées GROUP Company TOURISM & TRAVEL – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 4, du règlement (UE) 2017/1001 – Article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑57/20,

Group EOOD, établie à Sofia (Bulgarie), représentée par Mes D. Dragiev et A. Andreev, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. A. Folliard-Monguiral et Mme P. Angelova Georgieva, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Kosta Iliev, demeurant à Sofia,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 8 novembre 2019 (affaire R 2059/2018‑5), relative à une procédure d’opposition entre Group et M. Iliev,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. F. Schalin et I. Nõmm (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 février 2020,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 1er mai 2020,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 13 février 2012, M. Kosta Iliev a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 35, 39 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 72/2012, du 16 avril 2012.

5        Le 11 juillet 2012, la requérante, Group EOOD, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée dans son intégralité.

6        À l’appui de son opposition, la requérante a invoqué des marques figuratives non enregistrées, utilisées respectivement en Bulgarie, en République tchèque, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie pour des services relevant de la classe 39, telles que reproduites ci‑après :

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7        Par décision du 14 juin 2013, la division d’opposition a rejeté l’opposition formée par la requérante et l’a condamnée aux dépens. Elle a relevé, en particulier, que la requérante n’avait pas précisé ni apporté de preuve concernant le droit national applicable sur lequel elle se fondait et en vertu duquel l’usage de la marque demandée aurait pu être interdit dans les États membres concernés.

8        Le 16 août 2013, la requérante a formé un recours contre la décision de la division d’opposition, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001).

9        Par décision du 2 juin 2014 (affaire R 1587/2013‑4), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Elle a notamment constaté que la requérante n’avait pas précisé quel était le droit national applicable sur lequel elle se fondait et en vertu duquel l’usage de la marque demandée aurait pu être interdit dans les États membres concernés, ni fourni d’éléments de preuve à cet égard.

10      Le 1er août 2014, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation de la décision du 2 juin 2014, alléguant la violation de l’article 76, paragraphes 1 et 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 95, paragraphes 1 et 2, du règlement 2017/1001) et de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 (devenu article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001). L’affaire s’est vu attribuer le numéro T‑567/14.

11      Par un arrêt du 29 juin 2016, Group/EUIPO – Iliev (GROUP Company TOURISM & TRAVEL) (T‑567/14, EU:T:2016:371), le Tribunal a annulé la décision de la chambre de recours du 2 juin 2014 au motif que cette dernière n’avait pas fait usage de son pouvoir d’appréciation pour examiner d’office le contenu et l’étendue de la protection du droit national invoqué.

12      Le 19 septembre 2016, l’EUIPO a introduit un pourvoi devant la Cour.

13      Par un arrêt du 19 avril 2018, EUIPO/Group (C‑478/16 P, non publié, EU:C:2018:268), la Cour a rejeté le recours.

14      Le 24 octobre 2018, l’affaire R 1587/2013‑4 a été réattribuée à la cinquième chambre de recours (sous la référence R 2059/2018‑5), conformément à l’article 35, paragraphe 4, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1).

15      Le 14 juin 2019, la chambre de recours a invité la requérante à fournir des informations supplémentaires sur la teneur et la portée des dispositions du droit bulgare invoqué aux fins de l’appréciation des conditions d’application du motif relatif de refus énoncé à l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001 et, notamment, de la matérialité des faits avancés ou de la force probante des pièces présentées concernant le droit bulgare national.

16      Le 9 juillet 2019, la requérante a déposé ses observations.

17      Par décision du 8 novembre 2019 (affaire R 2059/2018‑5) (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours.

18      Après avoir rappelé qu’elle était tenue de reprendre la procédure et de prendre les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt du 29 juin 2016, Group/EUIPO – Iliev (GROUP Company TOURISM & TRAVEL) (T‑567/14, EU:T:2016:371), annulant la décision du 2 juin 2014, la chambre de recours a rappelé que ni la division d’opposition ni la quatrième chambre de recours n’avaient procédé à une appréciation substantielle de l’opposition, celles-ci ayant considéré que la requérante n’avait pas respecté les exigences formelles découlant des dispositions de l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 et de la règle 19, paragraphes 1 à 3, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) (devenue article 7, paragraphes 1, 2 et 4, du règlement délégué 2018/625). Elle a ainsi indiqué devoir procéder à une appréciation complète de l’opposition qui, le cas échéant, inclurait l’obligation d’examiner les éléments de preuve relatifs au droit national produits par la requérante.

19      Premièrement, en ce qui concerne les droits antérieurs fondés sur des marques non enregistrées tchèque, hongroise, polonaise et slovaque, la chambre de recours a souligné que le Tribunal avait confirmé que la requérante n’avait mentionné, au cours de la procédure administrative, aucune disposition du droit national de ces États membres, qu’elle n’avait donc pas établi le contenu de la législation de ces États et que, partant, l’opposition fondée sur lesdits droits avait à juste titre été rejetée.

20      Deuxièmement, s’agissant du droit bulgare antérieur non enregistré, la chambre de recours a tout d’abord rappelé que la quatrième chambre de recours avait rejeté l’opposition au motif que la requérante n’avait présenté les trois dispositions de la Zakon za markite i gueografskite oznachenija (loi sur les marques et les indications géographiques, DV no 19, du 9 mars 2010), que dans la langue de procédure, à savoir l’anglais, et qu’aucun élément ne permettait de prouver que le texte fourni provenait d’une source officielle et fiable. Ensuite, elle a souligné que, selon l’arrêt du 29 juin 2016, Group/EUIPO – Iliev (GROUP Company TOURISM & TRAVEL) (T‑567/14, EU:T:2016:371), confirmé par la Cour, ni les textes réglementaires ni la jurisprudence n’avaient indiqué la manière dont le contenu de la législation nationale devait être prouvé, que la quatrième chambre de recours n’aurait pu donc exiger que la requérante produise un extrait du Darzhaven vestnik (Journal officiel bulgare) ou le texte bulgare officiel et que le texte de la législation issu d’une source officielle n’était pas indispensable pour identifier correctement le droit applicable et permettre au demandeur d’exercer ses droits de la défense.

21      Troisièmement, la chambre de recours a constaté que la requérante s’était référée à l’article 12, paragraphe 6, de la loi sur les marques et les indications géographiques qui permet au titulaire d’une marque non enregistrée utilisée dans la vie des affaires de s’opposer à l’enregistrement d’une nouvelle marque. Elle a fait observer que, selon la requérante, cette disposition devait être interprétée de manière combinée avec l’article 12, paragraphe 1, de ladite loi et que cette dernière disposition renvoyait expressément à l’article 38 ter de cette même loi, lequel semblait préciser les conditions d’application du droit d’opposition. Elle a toutefois relevé que la requérante n’avait fourni le contenu de cet article ni devant la division d’opposition ni devant la quatrième chambre de recours et ne l’avait pas fait non plus au cours de la procédure administrative devant elle, même après avoir été expressément invitée à lui fournir des informations complémentaires sur la teneur et la portée des dispositions du droit bulgare applicable invoquées. La chambre de recours a ainsi estimé que cet état de fait était manifestement contraire aux exigences soulignées dans l’arrêt du 29 juin 2016, Group/EUIPO – Iliev (GROUP Company TOURISM & TRAVEL) (T‑567/14, EU:T:2016:371), à savoir celle de bonne compréhension de la législation concernée et du respect des droits de la défense du demandeur de marque.

22      Quatrièmement, la chambre de recours a indiqué avoir vérifié, de sa propre initiative, le contenu de l’article 38 ter de la loi sur les marques et les indications géographiques. Elle a constaté que, pour l’une des conditions préalables à l’opposition en vertu de cette loi – à savoir celle prévoyant que le titulaire de la marque non enregistrée ait déposé une demande d’enregistrement de ladite marque avant la date de dépôt de l’opposition –, la requérante aurait dû déposer une demande d’enregistrement de sa marque non enregistrée pour pouvoir s’opposer à l’enregistrement de marques postérieures. Elle a relevé que la requérante avait omis de fournir la preuve d’une telle demande d’enregistrement de sa marque non enregistrée. En conclusion, la chambre de recours a rejeté le recours de la requérante.

 Conclusions des parties

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et, le cas échéant, la partie intervenante aux dépens.

24      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

25      À l’appui de son recours, la requérante invoque en substance trois moyens tirés, le premier, d’une application erronée de la loi sur les marques et les indications géographiques, le deuxième, de la violation du droit d’être entendu et, le troisième, de la violation du principe de bonne et raisonnable administration.

26      Le Tribunal considère qu’il convient d’examiner en priorité le deuxième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu.

27      Dans le cadre du deuxième moyen, la requérante soutient que l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001 a été violé en raison du fait que la décision attaquée est fondée sur des motifs sur lesquels elle n’a pas pu prendre position, ces motifs étant, d’une part, de n’avoir à aucun moment fourni le contenu de l’article 38 ter de la loi sur les marques et les indications géographiques et, d’autre part, de ne pas avoir fourni la preuve qu’elle satisfaisait à l’exigence formelle de dépôt d’une demande d’enregistrement énoncée dans cette disposition.

28      En effet, la requérante fait valoir qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise exécution de son obligation de produire le contenu du droit national bulgare, puisque, selon elle, l’article 38 ter de la loi sur les marques et les indications géographiques ne s’applique que dans une procédure nationale engagée au titre de la même loi et que cette disposition est donc dénuée de pertinence pour une opposition formée sur la base de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001. Elle ajoute que le contenu du droit bulgare qui a été établi à la suite de l’exercice d’office par la chambre de recours de son droit de vérification présentait une portée plus large que le droit qu’elle avait invoqué. Selon elle, elle aurait dû avoir droit de prendre position et de faire ses commentaires sur le contenu, le champ d’application et la pertinence de l’article 38 ter de la loi sur les marques et les indications géographiques.

29      L’EUIPO réfute ce moyen. Il soutient que, conformément à la jurisprudence, son rôle ne se limite pas à la seule validation au fond du droit national, tel que présenté par la partie requérante, mais qu’il consiste à établir également tous les éléments du droit national afin d’en garantir la bonne application. Il fait valoir que la chambre de recours était en droit, par quelque moyen que ce fût, d’examiner le rapport existant entre l’article 12, paragraphes 1 et 6, et l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques, d’autant plus que ces dispositions lui ont été présentées dans leur intégralité par les parties. Il souligne que le fait que la requérante s’est référée uniquement à l’article 12, paragraphes 1 et 6, de ladite loi, qui renvoie directement à l’article 38 ter, paragraphe 1, de celle-ci, était suffisant pour que la chambre de recours remette en cause l’exactitude de l’allégation de la requérante et procède à la vérification de la bonne application du droit national pertinent. Il ajoute que l’interprétation et l’application du droit national constituent un élément de fait qui doit être démontré par la requérante en tant que titulaire de la charge de la preuve et que le droit d’être entendu en application de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 concerne les éléments de fait et de droit qui seront pris en compte lors du prononcé de l’arrêt, mais non la position définitive de l’autorité de décision. Il en conclut qu’il n’est pas tenu d’informer les parties de son avis juridique avant le prononcé de la décision et n’est donc pas tenu de donner aux parties la possibilité de formuler des observations sur cet avis.

30      Premièrement, il convient de rappeler que, selon l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position. Cette disposition constitue une application spécifique du principe général de protection des droits de la défense, consacré, par ailleurs, à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon lequel les personnes dont les intérêts sont affectés par des décisions des autorités publiques doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue [arrêt du 13 décembre 2016, Guiral Broto/EUIPO – Gastro & Soul (Café del Sol), T‑548/15, non publié, EU:T:2016:720, point 30]. Le droit à être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter [voir arrêt du 7 février 2007, Kustom Musical Amplification/OHMI (Forme d’une guitare), T‑317/05, EU:T:2007:39, point 27 et jurisprudence citée].

31      Il y a lieu de préciser que l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001 n’exige nullement que, à la suite de la reprise de la procédure devant l’EUIPO, subséquente à une annulation de la décision des chambres de recours par le Tribunal, la partie requérante soit à nouveau invitée à présenter ses observations sur des points de droit et de fait sur lesquels elle avait déjà eu tout loisir de s’exprimer dans le cadre de la procédure écrite antérieurement menée, le dossier étant à cet égard repris en l’état par la chambre de recours [voir, en ce sens, ordonnance du 4 mars 2010, Kaul/OHMI, C‑193/09 P, non publiée, EU:C:2010:121, point 60 ; arrêts du 13 avril 2011, Safariland/OHMI – DEF-TEC Defense Technology (FIRST DEFENSE AEROSOL PEPPER PROJECTOR), T‑262/09, EU:T:2011:171, point 84, et du 3 février 2017, Kessel medintim/EUIPO – Janssen-Cilag (Premeno), T‑509/15, non publié, EU:T:2017:60, point 26].

32      Une violation des droits de la défense ne peut toutefois être constatée que pour autant que l’absence de prise en compte de la position d’une partie intéressée a eu une incidence concrète sur la possibilité pour l’intéressé de se défendre. En effet, selon une jurisprudence constante, il incombe au juge de vérifier, lorsqu’il estime être en présence d’une telle irrégularité, si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent si l’intéressé avait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité [arrêts du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C‑96/11 P, non publié, EU:C:2012:537, point 80, et du 5 mai 2015, Lidl Stiftung/OHMI – Horno del Espinar (Castello), T‑715/13, non publié, EU:T:2015:256, point 81].

33      Deuxièmement, il doit être rappelé que, selon la jurisprudence, dans les circonstances où l’EUIPO peut être appelé à tenir compte du droit national de l’État membre dans lequel un droit antérieur sur lequel est fondée l’opposition jouit d’une protection, il doit s’informer d’office, par les moyens qui lui paraissent utiles à cet effet, sur le droit national de l’État membre concerné au cas où de telles informations sont nécessaires à l’appréciation des conditions d’application d’un motif relatif de refus et, notamment, de la matérialité des faits avancés ou de la force probante des pièces présentées (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2014, OHMI/National Lottery Commission, C‑530/12 P, EU:C:2014:186, point 45). Cette obligation de s’informer d’office sur le droit national pèse, le cas échéant, sur l’EUIPO dans l’hypothèse où il dispose déjà d’indications relatives au droit national, soit sous forme d’allégations quant à son contenu, soit sous forme d’éléments versés aux débats et dont la force probante a été alléguée [arrêt du 20 mars 2013, El Corte Inglés/OHMI – Chez Gerard (CLUB GOURMET), T‑571/11, EU:T:2013:145, point 41].

34      L’EUIPO doit donc user de tous les moyens mis à sa disposition dans le cadre de son pouvoir de vérification afin de s’informer sur le droit national applicable et de procéder à des recherches plus approfondies sur la teneur et la portée des dispositions du droit national invoqué, à la lumière des arguments soumis par la partie requérante, soit d’office, soit en invitant la requérante à corroborer les informations concernant le droit national soumises devant lui [arrêt du 28 octobre 2015, Rot Front/OHMI – Rakhat (Маска), T‑96/13, EU:T:2015:813, point 35].

35      C’est à la lumière de la jurisprudence relative au droit d’être entendu et au rôle qu’est tenu de jouer l’EUIPO pour garantir l’application correcte du droit national que le deuxième moyen doit être analysé.

36      En premier lieu, il convient de déterminer si la chambre de recours a omis d’inviter la requérante à prendre position sur un élément sur lequel elle a fondé la décision attaquée – en l’occurrence l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques – et si elle a ainsi violé le droit d’être entendu de celle-ci.

37      Pour ce faire, il y a lieu, premièrement, d’examiner si, au cours de la procédure devant les instances de l’EUIPO, les parties se sont exprimées sur l’application et la portée de l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques.

38      En l’espèce, il ressort du dossier administratif de la procédure devant l’EUIPO que, par courrier du 25 juillet 2019, M. Iliev a fait essentiellement valoir que l’article 12, paragraphe 6, de la loi sur les marques et les indications géographiques ne portait pas sur le droit d’interdire l’usage d’une marque plus récente, mais uniquement sur le droit de s’opposer à l’enregistrement d’une marque plus récente et que, partant, le droit d’opposition fondé sur une marque non enregistrée régi par l’article 12, paragraphe 6, de la loi précitée ne relevait pas du champ d’application de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 et ne donnait donc pas le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente.

39      M. Iliev a simplement annexé, à ses observations devant la chambre de recours, une traduction en anglais de l’intégralité de la loi sur les marques et les indications géographiques et, par voie de conséquence, de l’article 38 ter, paragraphe 1, de celle-ci, mais n’a, à aucun moment, évoqué cette disposition. Il a également présenté l’arrêt no 7883, du 27 mai 2019, du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), dans l’affaire administrative no 11410/2018 au soutien d’un raisonnement qui ne concernait pas la question de l’exigence imposée par l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques d’une demande d’enregistrement préalable de la marque non enregistrée.

40      Il s’ensuit que ce n’est qu’en raison de la présence de la version anglaise de la loi sur les marques et les indications géographiques, transmise par M. Iliev, que figure au dossier de la procédure l’article 38 ter, paragraphe 1, de cette loi, au même titre d’ailleurs que tous les autres articles mentionnés dans ladite loi.

41      Force est donc de constater que M. Iliev n’a pas présenté d’argument se fondant sur l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques ni aucun raisonnement s’y référant.

42      Quant à la requérante, il ne ressort pas du dossier de la procédure devant l’EUIPO que, lorsqu’elle a invoqué la marque non enregistrée au soutien de son opposition, elle aurait fait mention de l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques. En effet, dans le cadre de l’opposition formée au titre de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001, la requérante ne s’est référée qu’à l’article 12, paragraphe 6, de la loi sur les marques et les indications géographiques, combiné au paragraphe 1 de cette même disposition.

43      Tout au plus, l’article 12, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques renvoie expressément à l’article 38 ter de cette même loi. Toutefois, cette seule référence ne permet pas de considérer que la requérante ait reconnu, même implicitement, que cette dernière disposition constituait ou aurait pu constituer un élément pertinent du droit national qu’elle avait invoqué au fondement de son opposition, ni qu’elle connaissait le champ d’application et la portée de cette disposition.

44      Deuxièmement, il convient d’examiner en l’espèce si, en raison du fait que l’article 12, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques mentionne que, « [l]orsque l’opposition a été formée conformément à l’article 38 ter de la présente loi [sur les marques et les indications géographiques], la marque est refusée à l’enregistrement […] lorsqu’elle est identique à une marque antérieure, lorsque les produits ou les services de la marque demandée et de la marque antérieure sont identiques […] », ou « lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services des deux marques, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion […] », la requérante aurait dû d’office s’exprimer sur l’application éventuelle dudit article et sur sa portée lorsque la chambre de recours lui a demandé de présenter ses observations sur l’application du droit national.

45      Dans les circonstances de l’espèce, il serait excessif d’estimer que la requérante aurait dû savoir que la chambre de recours avait l’intention de faire application de l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques dès lors que, à aucun moment de la longue procédure d’opposition dont il importe de rappeler qu’elle a commencé en juillet 2012, aucune des parties ne s’est exprimée sur cette disposition. Dans le même sens, il serait tout aussi excessif de considérer que, invitée par la chambre de recours à présenter ses observations sur le droit national bulgare, la requérante aurait dû, de sa propre initiative, faire référence à l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques pour démontrer, le cas échéant, que cette disposition était dénuée de pertinence pour une opposition formée sur la base de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001.

46      Troisièmement, il s’ensuit que, comme le souligne la requérante, le contenu du droit national qui a été établi à la suite de l’exercice d’office par la chambre de recours de son droit de vérification présentait une portée plus large que le droit national qu’elle avait invoqué. La décision attaquée intervenue à la suite de l’annulation de la décision de la chambre de recours du 2 juin 2014 comportait ainsi de nouveaux points de droit et de fait qui n’avaient pas fait l’objet d’un débat entre les parties.

47      À cet égard, il importe de relever que ces nouveaux éléments de droit et de fait, à savoir l’application de l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques et ses conséquences en l’espèce, ont pesé de manière substantielle sur l’issue du litige devant la chambre de recours, puisque celle-ci s’est fondée sur cette disposition pour conclure au rejet du recours et, partant, à celui de la demande d’opposition.

48      La situation n’est donc pas celle, rappelée au point 31 ci-dessus, selon laquelle la requérante serait à nouveau invitée à présenter ses observations sur des points de droit et de fait sur lesquels elle avait déjà eu l’occasion de s’exprimer dans le cadre de la procédure écrite menée antérieurement, mais bien celle dans laquelle la requérante n’a pas eu la possibilité de s’exprimer sur de nouveaux points de droit et de fait décisifs sur l’issue du litige.

49      Dès lors, afin de respecter le droit des parties d’être entendues, la chambre de recours était tenue, en l’espèce, de leur permettre de prendre position et de présenter ainsi leurs observations sur le contenu, le champ d’application et la pertinence de l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques.

50      Dans ce contexte, il convient, d’une part, de rejeter l’argument de l’EUIPO selon lequel la chambre de recours n’avait pas à dévoiler la position juridique qu’elle allait adopter avant de rendre de façon effective sa décision. En effet, si, comme il a été rappelé au point 30 ci-dessus, le respect des droits de la défense ne s’étendait pas à la position finale que la chambre de recours entendait adopter, il concernait cependant l’élément de droit que constituait l’article 38 ter de la loi sur les marques et les indications géographiques ainsi que l’élément de fait que représentait la question du dépôt éventuel d’une demande d’enregistrement de la marque non enregistrée.

51      D’autre part, il y a lieu de considérer que, dans les circonstances de l’espèce, l’obligation, qui pesait sur les instances de l’EUIPO, de s’informer d’office sur le droit national et d’user à cet égard de tous les moyens mis à leur disposition dans le cadre de leur pouvoir de vérification aurait dû être davantage conciliée avec celle prévue à l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, qui pesait sur ces mêmes instances.

52      Dès lors, il y a lieu de considérer que, en omettant d’inviter la requérante à prendre position sur l’article 38 ter, de la loi sur les marques et les indications géographiques, la chambre de recours a adopté une approche qui se heurte à l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001.

53      En second lieu, l’irrégularité commise par la chambre de recours ayant été constatée, il importe de vérifier si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent si la requérante avait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité.

54      Il doit être constaté que si la requérante avait été invitée à s’exprimer sur le champ d’application de l’article 38 ter, paragraphe 1, de la loi sur les marques et les indications géographiques et sur les conséquences éventuelles de cette disposition sur le cas d’espèce, elle aurait, d’une part, eu l’occasion de présenter les arguments qu’elle a avancés devant le Tribunal dans le cadre du premier moyen et de soutenir que cette disposition ne pouvait trouver application que dans le cadre d’une opposition à l’enregistrement d’une marque, introduite devant l’Office des brevets de la République de Bulgarie sur le fondement d’une marque non enregistrée utilisée dans la vie des affaires, et non dans le cadre de demandes d’opposition introduites, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001, devant les instances de l’EUIPO.

55      D’autre part, il ne saurait être exclu que la requérante ait été en mesure de produire une preuve du dépôt de la demande d’enregistrement de sa marque non enregistrée, si celle-ci lui avait été demandée.

56      Il convient donc de constater que, conformément aux principes rappelés au point 32 ci-dessus, l’absence de prise en compte de la position de la requérante a eu une incidence concrète sur la possibilité pour celle-ci de se défendre.

57      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen et, partant, d’annuler la décision attaquée sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’examen des premier et troisième moyens.

 Sur les dépens

58      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 8 novembre 2019 (affaire R 2059/20185) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens.

Tomljenović

Schalin

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 novembre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.