Language of document : ECLI:EU:F:2012:171

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE
(troisième chambre)

5 décembre 2012

Affaires jointes F‑88/09 et F‑48/10

Z

contre

Cour de justice de l’Union européenne

« Fonction publique – Fonctionnaires – Réaffectation – Intérêt du service – Règle de la correspondance entre le grade et l’emploi – Droits de la défense – Harcèlement moral – Article 12 du statut – Devoir de sollicitude – Principe de bonne administration – Procédure disciplinaire – Sanction disciplinaire – Avertissement par écrit – Droits de la défense et principe du contradictoire »

Objet : Recours introduit, d’une part, au titre des articles 236 CE et 152 EA, et, d’autre part, au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis, par lequel Z demande, à titre principal, l’annulation, respectivement, de la décision du 18 décembre 2008, procédant à sa réaffectation et de la décision du 10 juillet 2009 lui infligeant la sanction de l’avertissement par écrit.

Décision : Les recours dans les affaires jointes F‑88/09 et F‑48/10 sont rejetés. Dans l’affaire F‑88/09, Z supporte trois quarts de ses dépens et dans l’affaire F‑48/10, Z supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter ceux exposés par la Cour de justice. Dans l’affaire F‑88/09, la Cour de justice supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter un quart des dépens exposés par Z.

Sommaire

1.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Portée – Contrôle juridictionnel – Limites – Droit du fonctionnaire d’exercer des fonctions spécifiques – Absence

(Statut des fonctionnaires, art. 7)

2.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Réaffectation d’un fonctionnaire dans l’intérêt du service pour cause de difficultés relationnelles – Détournement de pouvoir – Absence

(Statut des fonctionnaires, art. 7, § 1)

3.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Réaffectation – Respect de l’équivalence des emplois – Portée – Prise en compte des fonctions visées par le concours réussi par l’intéressé – Limites

(Statut des fonctionnaires, art. 7 ; annexe I)

4.      Fonctionnaires – Principes – Droits de la défense – Obligation d’entendre l’intéressé avant l’adoption d’un acte lui faisant grief – Portée – Application aux mesures de réaffectation

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2)

5.      Recours des fonctionnaires – Réclamation administrative préalable – Concordance entre la réclamation et le recours – Identité d’objet et de cause

(Statut des fonctionnaires, art. 90 et 91)

6.      Fonctionnaires – Droits et obligations – Liberté d’expression – Divulgation de faits pouvant laisser présumer l’existence d’une activité illégale ou d’un manquement grave – Protection contre des poursuites disciplinaires – Conditions

(Statut des fonctionnaires, art. 22 bis et 22 ter)

7.      Fonctionnaires – Droits et obligations – Obligation d’indépendance et d’intégrité – Risque de conflit d’intérêts en cas d’existence de relations professionnelles entre un fonctionnaire appelé à se prononcer sur une affaire et un tiers impliqué dans celle-ci – Absence

(Statut des fonctionnaires, art. 11 bis)

8.      Fonctionnaires – Réaffectation – Devoir de sollicitude incombant à l’administration – Principe de bonne administration – Conciliation avec l’intérêt du service

(Statut des fonctionnaires, art. 24)

9.      Fonctionnaires – Droits et obligations – Liberté d’expression – Exercice – Limites – Dignité des fonctions – Actes de nature à porter atteinte à la dignité des fonctions – Notion – Dénonciation de faits prétendument illicites – Obligations du fonctionnaire

(Statut des fonctionnaires, art. 12)

10.    Fonctionnaires – Droits et obligations – Respect de la dignité des fonctions – Portée – Dénonciation des faits d’un prétendu harcèlement moral – Diffusion publique de nature à jeter le discrédit sur le prétendu auteur – Inadmissibilité

(Statut des fonctionnaires, art. 12 et 22 bis)

11.    Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Enquête préalable à l’ouverture de la procédure disciplinaire – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Portée

(Statut des fonctionnaires, art. 86 ; annexe IX, art. 1er, 2, § 1, et 3)

12.    Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Procédure disciplinaire – Audition de l’intéressé par l’autorité investie du pouvoir de nomination – Obligation d’établir un procès-verbal – Portée

1.      Compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont jouissent les institutions dans l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l’affectation, en vue de celles-ci, du personnel qui se trouve à leur disposition, sous réserve du respect de la condition que cette affectation se fasse dans l’intérêt du service et de la règle de la correspondance entre le grade et l’emploi, le contrôle du juge de l’Union portant sur le respect de la condition relative à l’intérêt du service doit se limiter à la question de savoir si l’autorité investie du pouvoir de nomination s’est tenue dans des limites raisonnables, non critiquables, et n’a pas usé de son pouvoir d’appréciation de manière manifestement erronée.

Par conséquent, dès lors qu’une mesure de réaffectation est dans l’intérêt du service et qu’elle respecte la règle de la correspondance entre le grade et l’emploi, il n’appartient pas au juge de l’Union de déterminer si d’autres mesures auraient été plus opportunes. En effet, s’il est vrai que l’administration a tout intérêt à affecter les fonctionnaires en fonction de leurs aptitudes spécifiques et de leurs préférences personnelles, il ne saurait être reconnu pour autant à un fonctionnaire le droit d’exercer des fonctions spécifiques.

(voir points 121, 122 et 202)

Référence à :

Cour : 21 juin 1984, Lux/Cour des comptes, 69/83, point 17 ; 7 mars 1990, Hecq/Commission, C‑116/88 et C‑149/88, point 11

Tribunal de première instance : 18 juin 1992, Turner/Commission, T‑49/91, point 34 ; 16 décembre 1993, Turner/Commission, T‑80/92, point 53 ; 28 mai 1998, W/Commission, T‑78/96 et T‑170/96, point 105 ; 12 décembre 2000, Dejaiffe/OHMI, T‑223/99, point 53 ; 21 septembre 2004, Soubies/Commission, T‑325/02, point 50

2.      Des difficultés relationnelles, lorsqu’elles causent des tensions préjudiciables au bon fonctionnement du service, peuvent justifier, précisément dans l’intérêt du service, le transfert d’un fonctionnaire, et ce, sans qu’il soit nécessaire de déterminer l’identité du responsable des incidents en cause ou le degré de véracité des reproches formulés de part et d’autre.

À cet égard, le fait qu’un fonctionnaire possède de hautes qualités ou qu’un service connaisse un taux de rotation élevé ne signifie pas que l’intéressé ne puisse pas faire l’objet d’une mesure de réaffectation, car, s’il est vrai que l’administration a tout intérêt à affecter un fonctionnaire à un poste correspondant à ses compétences et à ses aspirations, d’autres considérations, tenant notamment à la nécessité d’assurer un fonctionnement paisible du service, peuvent l’amener, sous réserve du respect de la règle de la correspondance entre le grade et l’emploi, à affecter un fonctionnaire à un autre poste. Il en est d’autant plus ainsi que si l’intéressé s’est bien acquitté de ses responsabilités dans un emploi, l’administration peut s’attendre à ce qu’il en fasse autant dans un autre emploi qui pourrait lui être confié.

Par ailleurs, lorsqu’une mesure de réaffectation n’a pas été jugée comme étant contraire à l’intérêt du service, il ne saurait être question de détournement de pouvoir. En effet, la notion de détournement de pouvoir a une portée bien précise qui se réfère à l’usage de ses pouvoirs par une autorité administrative dans un but autre que celui en vue duquel ils ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par les textes applicables pour parer aux circonstances de l’espèce.

(voir points 123, 127, 155, 156, 201, 311 et 312)

Référence à :

Cour : 14 juillet 1983, Nebe/Commission, 176/82, point 25 ; 5 juin 2003, O’Hannrachain/Parlement, C‑121/01 P, point 46

Tribunal de première instance : 10 juillet 1992, Eppe/Commission, T‑59/91 et T‑79/91, point 57 ; 11 juin 1996, Anacoreta Correia/Commission, T‑118/95, point 25 ; W/Commission, précité, point 91 ; 17 novembre 1998, Gómez de Enterría y Sanchez/Parlement, T‑131/97, point 62 ; 6 juillet 1999, Séché/Commission, T‑112/96 et T‑115/96, point 139 ; 6 mars 2001, Campoli/Commission, T‑100/00, points 62 et 63 ; 14 octobre 2004, Sandini/Cour de justice, T‑389/02, point 123 ; 7 février 2007, Clotuche/Commission, T‑339/03, point 71 ; 7 février 2007, Caló/Commission, T‑118/04 et T‑134/04, points 99, 115 et 116

Tribunal de la fonction publique : 25 janvier 2007, de Albuquerque/Commission, F‑55/06, points 60 et 61, et la jurisprudence citée

3.      La règle de la correspondance entre le grade et l’emploi implique uniquement, en cas de modification des fonctions attribuées à un fonctionnaire, une comparaison entre ses fonctions actuelles et son grade dans la hiérarchie. Par conséquent, une diminution effective des attributions d’un fonctionnaire n’enfreint la règle de correspondance entre le grade et l’emploi que si ses nouvelles fonctions sont, dans leur ensemble, nettement en deçà de celles correspondant à ses grade et emploi, compte tenu de leur nature, de leur importance et de leur ampleur, et ce, indépendamment de la manière dont les nouvelles fonctions sont perçues par l’intéressé.

Ce constat n’est pas remis en cause par le fait que les nouvelles fonctions de la partie requérante seraient sans lien avec ses anciennes fonctions, par l’avis de concours auquel elle a été reçue ou par l’annexe I du statut ou encore par la circonstance que des fonctionnaires exerçant des fonctions similaires aux siennes ont des grades inférieurs. En effet, en cas de modification des fonctions attribuées à un fonctionnaire, la règle de la correspondance entre le grade et l’emploi implique uniquement une comparaison entre les fonctions actuelles et le grade dans la hiérarchie et non, entre les fonctions actuelles et antérieures de l’intéressé. À cet égard, il peut être déduit du large pouvoir d’appréciation dont jouissent les institutions pour affecter les fonctionnaires à leur disposition que les fonctions visées par un avis de concours sont nécessairement mentionnées à titre informatif, pourvu que la règle de la correspondance entre le grade et l’emploi soit respectée.

De même, des fonctions identiques ou similaires peuvent être exercées par des personnes de grades différents, ainsi qu’il ressort de l’annexe I du statut, laquelle prévoit, pour la plupart des fonctions qui y sont énumérées, que celles-ci peuvent être exercées par des fonctionnaires de grades différents. Ainsi, la règle de la correspondance entre le grade et l’emploi n’est enfreinte que si les fonctions exercées sont, dans leur ensemble, nettement en deçà de celles correspondant aux grade et emploi du fonctionnaire concerné.

(voir points 131, 135, 136 et 138)

Référence à :

Tribunal de première instance : Eppe/Commission, précité, point 49 ; 16 avril 2002, Fronia/Commission, T‑51/01, point 53 ; Clotuche/Commission, précité, point 91, et la jurisprudence citée

4.      Dès lors qu’une mesure de réaffectation, dont il n’est pas établi qu’elle n’a pas été adoptée dans l’intérêt du service, ne relève pas d’une procédure ouverte à l’encontre du fonctionnaire concerné, il ne saurait être déduit automatiquement du fait qu’un acte affecte la position statutaire d’un fonctionnaire qu’il y a lieu de faire application des droits de la défense, sans prendre en compte la nature de la procédure ouverte à l’encontre de l’intéressé.

Toutefois, les droits de la défense recouvrent assurément, tout en étant plus étendus, le droit procédural pour toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard, tel qu’il est énoncé à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Néanmoins, dans le cas où il y a eu une violation du droit d’être entendu, comme d’ailleurs de façon plus large des droits de la défense, il faut, pour que le moyen puisse aboutir à l’annulation de la décision attaquée, que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent. À cet égard, lorsque le fonctionnaire concerné reconnaît lui-même qu’il est en situation de conflit ouvert avec son supérieur hiérarchique, l’administration peut légitimement considérer qu’il n’y a pas lieu de l’entendre sur l’existence même de ce conflit avant de prendre toute mesure de réaffectation qu’elle est en droit de prendre, dans l’intérêt du service, en raison dudit conflit. Les éventuelles explications que ledit fonctionnaire aurait pu fournir préalablement à l’adoption de la décision de réaffectation quant aux circonstances de l’espèce n’auraient pas pu avoir pour effet de modifier la décision de l’administration.

(voir points 144, 146, 149 et 299)

Référence à :

Cour : 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C‑32/95 P, point 21 ; 9 novembre 2006, Commission/De Bry, C‑344/05 P, point 37

Tribunal de première instance : 27 novembre 1997, Kaysersberg/Commission, T‑290/94, point 108 ; 3 juillet 2001, E/Commission, T‑24/98 et T‑241/99, point 93 ; 16 mars 2004, Afari/BCE, T‑11/03, point 90 ; 17 octobre 2006, Bonnet/Cour de justice, T‑406/04, point 76

Tribunal de la fonction publique : 11 septembre 2008, Bui Van/Commission, F‑51/07, point 81 ; 30 novembre 2009, Wenig/Commission, F‑80/08, point 48

Tribunal de l’Union européenne : 12 mai 2010, Bui Van/Commission, T‑491/08 P, point 24

5.      La règle de la concordance ne saurait intervenir que dans les cas où les conclusions présentées lors du recours contentieux n’ont pas le même objet que celui de la réclamation ou que les chefs de conclusions du recours contentieux ne reposent pas sur les mêmes causes que celles de la réclamation, notamment lorsqu’un grief présenté au stade contentieux repose sur des allégations et des considérations factuelles qui ne résultent pas du dossier de l’affaire au précontentieux.

(voir point 170)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : 1er juillet 2010, Mandt/Parlement, F‑45/07, point 119

6.      Si l’article 22 bis du statut accorde une protection aux fonctionnaires ou agents qui alertent leur institution sur la conduite d’un autre fonctionnaire ou agent susceptible de constituer un grave manquement à ses obligations, cette protection suppose que les fonctionnaires ou agents « donneurs d’alerte » aient eux-mêmes respecté la procédure prévue aux articles 22 bis et 22 ter du statut, laquelle vise à préserver l’honorabilité professionnelle du fonctionnaire ou agent visé par les informations communiquées à l’institution tant que l’autorité disciplinaire ne s’est pas prononcée. En effet, les articles 22 bis et 22 ter du statut n’offrent pas aux fonctionnaires qui ont recours à ces dispositions une protection contre toute décision susceptible de leur faire grief, mais uniquement contre les comportements et décisions préjudiciables qui sont adoptés en raison de la divulgation couverte par la procédure prévue par ces dispositions.

Partant, ne saurait bénéficier de la protection prévue par l’article 22 bis du statut un fonctionnaire qui, plutôt que de recourir à la procédure de l’article 22 ter du statut, a pris le parti de diffuser ses allégations à l’ensemble du personnel de son unité.

(voir points 184 et 253)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : 24 février 2010, Menghi/ENISA, F‑2/09, point 139 ; 13 janvier 2011, Nijs/Cour des comptes, F‑77/09, point 62

7.      En l’absence d’élément permettant de conclure à l’existence d’un conflit d’intérêts, l’existence de relations professionnelles entre le greffier de la Cour de justice et l’époux d’un tiers, voire avec le tiers lui-même, ne saurait suffire à impliquer que son indépendance a été compromise du seul fait qu’il a été appelé à se prononcer sur une affaire concernant indirectement ledit tiers. De même, le fait que ledit greffier a décidé, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination, de l’octroi et de la prolongation des contrats d’emploi dudit tiers, ainsi que d’une sanction disciplinaire envers un fonctionnaire ayant envoyé un courrier électronique au personnel de l’institution concernant ce prétendu conflit d’intérêts, ne permet pas d’établir que la relation professionnelle entre le tiers et lui ait excédé le cadre normal ou qu’il ait adopté une décision de réaffectation dudit fonctionnaire avec l’intention de punir celui-ci pour avoir révélé l’existence d’un prétendu traitement de faveur au bénéfice du tiers.

(voir points 190 et 281)

Référence à :

Tribunal de première instance : 11 septembre 2002, Willeme/Commission, T‑89/01, point 58 ; 12 mars 2008, Giannini/Commission, T‑100/04, point 224

8.      Si le devoir de sollicitude de l’administration à l’égard de ses agents reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public, les exigences de ce devoir ne sauraient pour autant empêcher l’autorité investie du pouvoir de nomination d’adopter les mesures de réaffectation qu’elle estime nécessaires dans l’intérêt du service. Partant, un fonctionnaire ne saurait reprocher à l’administration, sur le fondement du devoir de bonne administration ou du devoir de sollicitude, d’avoir pris une décision de réaffectation pour éviter qu’une situation relationnelle au sein de l’unité de l’intéressé ne se détériore davantage.

(voir point 200)

Référence à :

Cour : 25 novembre 1976, Küster/Parlement, 123/75, point 10

Tribunal de première instance : 13 décembre 1990, Moritz/Commission, T‑20/89, point 39 ; W/Commission, précité, point 95 ; 26 novembre 2002, Cwik/Commission, T‑103/01, point 52

9.      Méconnaît le devoir de s’abstenir de tout acte et de tout comportement qui peuvent porter atteinte à la dignité de sa fonction, tel que prévu à l’article 12 du statut, le fonctionnaire qui exprime publiquement des injures graves dans la mesure où elles portent atteinte à l’honneur des personnes visées, non seulement en raison des imputations susceptibles de nuire à leur dignité en tant que personnes, mais aussi en raison des allégations de nature à jeter le discrédit sur leur honorabilité professionnelle. La forme empruntée importe peu dès lors que sont couvertes tant les accusations directes que les allégations faites sous forme dubitative, indirecte, déguisée, par voie d’insinuation ou visant une personne non expressément mentionnée mais dont l’identification est rendue possible.

En effet, si la liberté d’expression constitue un droit fondamental dont le juge de l’Union assure le respect et qui comprend le droit pour les fonctionnaires et agents de l’Union européenne d’exprimer, verbalement ou par écrit, des critiques constructives, l’exercice de ce droit est limité, notamment, par l’article 12 du statut.

Par suite, pour déterminer si des accusations formulées par un fonctionnaire sont restées dans les limites de la liberté d’expression, il convient de mettre en balance, d’une part, les éléments susceptibles de caractériser une atteinte à la dignité, à savoir la gravité des accusations portées, la forme que celles-ci ont revêtue, le mode de diffusion utilisé, et, d’autre part, le contexte dans lequel les accusations ont été portées, l’impossibilité éventuelle de recourir à d’autres modes d’expression moins attentatoires à la dignité de la personne visée et le caractère constructif de la critique, lequel suppose que celle-ci puisse raisonnablement apparaître comme étant fondée, qu’elle soit formulée dans l’intérêt du service et qu’elle ne dépasse pas ce qui est nécessaire afin d’être comprise.

S’agissant de la dénonciation par un fonctionnaire d’une activité prétendument illégale, le fonctionnaire est tenu à la réserve et à la modération qui lui commandent les devoirs d’objectivité et d’impartialité, ainsi que le respect de la dignité de la fonction, de l’honneur des personnes et de la présomption d’innocence. Tel n’est pas le cas lorsque le fonctionnaire, plutôt que de recourir aux voies de droit qui lui sont ouvertes, au titre des articles 22 bis et 22 ter du statut, a adressé à l’ensemble du personnel de son unité des courriers électroniques comportant des accusations graves, portant atteinte à l’honneur et à l’honorabilité professionnelle de plusieurs fonctionnaires.

(voir points 242, 246, 247, 251 et 252)

Référence à :

Cour : 13 décembre 1989, Oyowe et Traore/Commission, C‑100/88, point 16 ; 6 mars 2001, Connolly/Commission, C‑274/99 P, points 43 à 49

Tribunal de première instance : 7 mars 1996, Williams/Cour des comptes, T‑146/94, points 66 et 67 ; 12 septembre 2000, Teixeira Neves/Cour de justice, T‑259/97, points 29, 30 et 47 ; 28 octobre 2004, Meister/OHMI, T‑76/03, points 157 et 159

Tribunal de la fonction publique : 8 novembre 2007, Andreasen/Commission, F‑40/05, point 234 ; Nijs/Cour des comptes, précité, points 67, 70 et 73

10.    Il peut arriver qu’un fonctionnaire soit poussé, particulièrement lorsque ses supérieurs hiérarchiques n’ont pas réagi à ses plaintes, à dénoncer publiquement des faits de harcèlement moral dont il serait la victime, sans qu’un tel comportement soit répréhensible au regard de l’article 12 du statut, et ce même si la dénonciation publique de tels faits est par elle-même de nature à jeter le discrédit sur l’auteur du prétendu harcèlement, voire sur l’administration.

Tel n’est toutefois pas le cas lorsqu’en se livrant à cette description ou à ces critiques le fonctionnaire concerné, par la tonalité ou le contenu de ses propos, dépasse la description du cadre dans lequel les prétendus faits de harcèlement se seraient produits, du cercle des personnes impliquées dans celui-ci et du contexte qui l’a rendu possible.

Il en va d’autant plus ainsi que la procédure de l’article 22 bis du statut n’est pas particulièrement appropriée aux situations de harcèlement moral proprement dites, lesquelles appellent des mesures spécifiques de la part de l’administration.

(voir points 257 et 258)

11.    Conformément à l’article 86 du statut, l’autorité investie du pouvoir de nomination dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider si, eu égard aux éléments qui ont été portés à sa connaissance, il y a lieu d’ouvrir une enquête administrative pour vérifier l’existence d’un manquement, de la part d’un fonctionnaire, à ses obligations statutaires. Partant, sauf à remettre en cause ce pouvoir d’appréciation, un autre fonctionnaire ayant formulé des allégations de manquement à des obligations statutaires ne saurait tirer argument du seul fait que ladite autorité n’a pas jugé opportun d’ouvrir une enquête administrative sur ces allégations pour démontrer que cette dernière aurait manqué d’objectivité en adoptant une sanction disciplinaire à son égard.

Par contre, en cas d’ouverture d’une enquête administrative, s’il ressort de l’article 3 de l’annexe XI du statut que ladite autorité doit se fonder pour ouvrir la procédure disciplinaire sur un rapport d’enquête, ce qui suppose qu’elle mène une enquête impartiale et contradictoire afin d’établir la réalité des faits allégués et les circonstances entourant ces derniers, aucune disposition applicable ne prévoit que cette enquête doit être menée à charge et à décharge.

Certes, le principe de bonne administration fait obligation à ladite autorité d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce dont elle est saisie, mais l’administration n’est pas tenue de se substituer au fonctionnaire incriminé afin de rechercher à sa place tout élément susceptible de le disculper ou d’atténuer la sanction qui sera éventuellement adoptée.

Toutefois, il ressort des articles 1er et 2, paragraphe 1, combinés de l’annexe IX du statut que le fonctionnaire concerné doit avoir été mis en mesure de présenter ses observations sur les faits le concernant, après enquête, mais avant que des conclusions se rapportant à lui ne soient tirées par l’autorité investie du pouvoir de nomination.

(voir points 266, 267, 270 et 285)

Référence à :

Cour : 11 juillet 1968, Van Eick/Commission, 35/67 ; 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, point 11

Tribunal de première instance : 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T‑12/94, point 104 ; 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, point 99

12.    Dans l’hypothèse où l’administration est tenue d’établir un procès-verbal d’une audition, à savoir lorsqu’une norme lui en fait obligation, lorsque l’administration entend se fonder sur les échanges ayant eu lieu pendant ladite audition ou encore lorsque la personne en cause en fait la demande au plus tard au début de l’audition, l’administration est uniquement dans l’obligation de retranscrire par écrit l’essentiel et non l’ensemble des propos tenus lors de l’audition.

(voir point 305)