Language of document : ECLI:EU:C:2020:756

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 29 septembre 2020 (1)

Affaires jointes C422/19 et C423/19

Johannes Dietrich (C422/19)

Norbert Häring (C423/19)

contre

Hessischer Rundfunk

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Union économique et monétaire – Article 2, paragraphe 1, et article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE – Compétence exclusive de l’Union – Politique monétaire – Monnaie unique – Article 128, paragraphe 1, TFUE – Règlement (CE) no 974/98 – Notion de “cours légal” – Obligation d’accepter les billets de banque libellés en euros – Limitations des paiements en espèces décidées par les États membres – Réglementation nationale imposant l’acceptation des billets de banque pour le règlement d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics – Réglementation régionale qui exclut le paiement en espèces de la redevance audiovisuelle »






1.        Quelle est l’étendue de la compétence exclusive attribuée à l’Union européenne dans le domaine de la politique monétaire ? Plus particulièrement, cette compétence exclusive comprend-elle le droit monétaire et la détermination du cours légal de la monnaie unique ? Quelles sont la signification et la portée de la notion de « cours légal » des billets de banque en euros ? Dans ce contexte, les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent-ils adopter des réglementations nationales qui limitent l’utilisation des billets de banque libellés en euros et, si c’est le cas, dans quelle mesure ?

2.        Ce sont là, pour résumer, les questions soulevées par la présente demande de décision préjudicielle dont la Cour a été saisie par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne).

3.        La présente affaire revêt une importance considérable, tout d’abord, en raison de ses implications de nature constitutionnelle. En effet, cette affaire implique la détermination de l’étendue de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire et soulève, dès lors, des questions relatives à la répartition des compétences entre l’Union et les États membres et aux modalités d’exercice des compétences respectives. Elle suppose, en particulier, la définition de critères permettant de délimiter l’action des États membres lorsque, dans l’exercice de compétences qui leur sont propres, cette action, bien qu’elle n’empiète pas sur un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union, entre néanmoins en contact avec des notions relevant d’un tel domaine.

4.        En outre, la présente affaire soulève des questions inédites et d’une importance pratique considérable, actuelle et future, concernant la monnaie unique, l’euro. La Cour est appelée à interpréter des notions de « droit monétaire » sur lesquelles elle n’a pas encore eu l’occasion de se pencher et, plus particulièrement, celle de « cours légal ». Tout cela se produit dans un contexte complexe, où l’avènement de la monnaie scripturale et de celle électronique ainsi que le progrès technologique, doté d’effets retentissants également sur l’utilisation de la monnaie, vont de pair avec l’existence d’un nombre encore non négligeable de personnes vulnérables qui n’ont pas accès aux services financiers de base.

I.      Le contexte juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        L’article 128, paragraphe 1, TFUE, dont le libellé est repris, presque littéralement, par l’article 16, premier alinéa, du protocole no 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) (ci-après les « statuts du SEBC »), dispose :

« La Banque centrale européenne est seule habilitée à autoriser l’émission de billets de banque en euros dans l’Union. La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales peuvent émettre de tels billets. Les billets de banque émis par la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales sont les seuls à avoir cours légal dans l’Union. »

6.        Le considérant 19 du règlement (CE) no 974/98 du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’euro (2) est ainsi formulé :

« [C]onsidérant que les billets et les pièces libellés dans les unités monétaires nationales perdent leur cours légal au plus tard six mois après l’expiration de la période transitoire ; que les restrictions aux paiements au moyen de billets et de pièces, définies par les États membres en considération de motifs d’intérêt public, ne sont pas incompatibles avec le cours légal des billets et pièces libellés en euros, pour autant que d’autres moyens légaux soient disponibles pour le règlement des créances de sommes d’argent » (mise en italique par mes soins).

7.        L’article 10 du règlement no 974/98 dispose :

« La BCE et les banques centrales des États membres participants mettent en circulation les billets libellés en euros dans les États membres participants à compter de leur date respective de basculement fiduciaire.

Sans préjudice de l’article 15, ces billets libellés en euros sont les seuls billets à avoir cours légal dans les États membres participants. »

8.        En vertu de l’article 11 du règlement no 974/98, « [à] compter de leur date respective de basculement fiduciaire, les États membres participants émettent des pièces libellées en euros ou en cents et conformes aux valeurs unitaires et aux spécifications techniques que le Conseil peut adopter conformément à l’article [128, paragraphe 2, seconde phrase, TFUE]. Sans préjudice de l’article 15 et des dispositions de tout accord au titre de l’article [219, paragraphe 3, TFUE], en matière monétaire, ces pièces sont les seules à avoir cours légal dans les États membres participants. À l’exception de l’autorité émettrice et des personnes spécifiquement désignées par la législation nationale de l’État membre émetteur, nul n’est tenu d’accepter plus de 50 pièces lors d’un seul paiement. »

9.        En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 98/415/CE du Conseil, du 29 juin 1998, relative à la consultation de la Banque centrale européenne par les autorités nationales au sujet de projets de réglementation (3) :

« Les autorités des États membres consultent la BCE sur tout projet de réglementation relevant de son domaine de compétence en vertu du traité, et notamment en ce qui concerne :

–        les questions monétaires,

–        les moyens de paiement,

–        les banques centrales nationales,

–        la collecte, l’établissement et la diffusion de données statistiques en matière monétaire, financière, bancaire, de systèmes de paiement et de balance des paiements,

–        les systèmes de paiement et de règlement,

–        les règles applicables aux établissements financiers dans la mesure où elles ont une incidence sensible sur la stabilité des établissements et marchés financiers. »

10.      Les considérants 3 et 4 de la recommandation 2010/191/UE de la Commission, du 22 mars 2010, concernant l’étendue et les effets du cours légal des billets de banque et pièces en euros (4) énoncent, respectivement, qu’« [i]l plane actuellement une incertitude au niveau de la zone euro concernant l’étendue du cours légal et ses conséquences » et que « [l]a présente recommandation repose sur les principales conclusions d’un rapport établi par un groupe de travail constitué de représentants des ministères des [F]inances et des banques centrales nationales de la zone euro. »

11.      Les points 1 à 4 de la recommandation 2010/191 prévoient :

« 1.      Définition commune du cours légal

Lorsqu’il existe une obligation de paiement, le cours légal des billets de banque et pièces en euros devrait impliquer :

a)      l’acceptation obligatoire :

le bénéficiaire d’une obligation de paiement ne peut refuser les billets de banque et pièces en euros, sauf si les parties sont convenues d’un autre mode de paiement ;

b)      l’acceptation à la valeur nominale :

la valeur monétaire des billets de banque et pièces en euros est égale au montant indiqué sur les billets de banque et les pièces ;

c)      le pouvoir libératoire :

un débiteur peut s’acquitter d’une obligation de paiement en offrant des billets de banque et pièces en euros à son créancier.

2.      Acceptation des paiements en billets de banque et pièces en euros dans les transactions de détail

L’acceptation de billets de banque et pièces en euros comme moyen de paiement devrait être la règle dans les transactions de détail. Un refus ne devrait être possible que s’il est fondé sur des raisons liées au “principe de bonne foi” (si le commerçant ne dispose pas des espèces suffisantes pour rendre la monnaie, par exemple).

3.      Acceptation de billets de banque de valeur élevée dans les transactions de détail

Les billets de banque de valeur élevée devraient être acceptés comme moyen de paiement dans les transactions de détail. Ils ne devraient pouvoir être refusés que pour des raisons liées au “principe de bonne foi” (par exemple, si la valeur nominale du billet de banque est disproportionnée par rapport au montant dû au bénéficiaire du paiement).

4.      Absence de frais supplémentaires pour l’utilisation de billets de banque et de pièces en euros

Aucun frais supplémentaire ne devrait être imposé pour les paiements effectués en billets de banque et pièces en euros. »

B.      Le droit allemand

12.      L’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du Gesetz über die Deutsche Bundesbank (loi sur la banque centrale fédérale allemande, ci-après le « BBankG ») (5) dispose :

« Sans préjudice de l’article 128, paragraphe 1, TFUE, la Deutsche Bundesbank [banque centrale fédérale allemande] a le droit exclusif d’émettre des billets de banque dans le champ d’application de la présente loi. Les billets de banque libellés en euros sont les seuls à avoir cours légal illimité [...] » (6).

13.      Le Rundfunkbeitragsstaatsvertrag (traité entre les États fédérés sur la contribution audiovisuelle, ci-après le « RBStV ») (7) prévoit, à son article 2, paragraphe 1, une redevance audiovisuelle devant être acquittée pour tout logement par le détenteur de celui-ci.

14.      L’article 9, paragraphe 2, du RBStV habilite les organismes régionaux de radiodiffusion (Landesrundfunkanstalt) à fixer par voie de règlement corporatif (« Satzung ») les modalités de la procédure de paiement de la redevance audiovisuelle.

15.      L’article 10, paragraphe 2, de la Satzung des Hessischen Rundfunks über das Verfahren zur Leistung der Rundfunkbeiträge (règlement de l’organisme de radiodiffusion de la Hesse concernant la procédure de paiement des redevances audiovisuelles, ci-après le « règlement sur les procédures de paiement »), adopté en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du RBStV, dispose :

« Le débiteur de contributions audiovisuelles ne peut pas acquitter celles-ci en espèces, mais uniquement par le biais des moyens de paiement suivants :

1.      autorisation de débit par prélèvement ou futur prélèvement SEPA de base,

2.      virement individuel,

3.      ordre de virement permanent. »

II.    Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

16.      MM. Johannes Dietrich et Norbert Häring, requérants dans la procédure au principal, sont tenus, en application de l’article 2, paragraphe 1, du RBStV, de verser au Hessischer Rundfunk la redevance audiovisuelle.

17.      Ils ont proposé au Hessischer Rundfunk de payer cette redevance en espèces. Sur la base de l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les procédures de paiement, en vertu duquel la redevance en question ne peut être payée que moyennant prélèvement automatique ou par virement individuel ou par ordre de virement permanent, le Hessischer Rundfunk a rejeté l’offre de paiement et, par décision du 1er septembre 2015, a envoyé à MM. Dietrich et Häring des avis de recouvrement fixant les arriérés échus à 52,50 euros, majorés de 8 euros à titre de pénalité de retard.

18.      MM. Dietrich et Häring ont attaqué en justice les avis de recouvrement envoyés par le Hessischer Rundfunk, mais leurs recours ont été rejetés tant en première qu’en seconde instance.

19.      MM. Dietrich et Häring ont alors formé un recours devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale), auteur du renvoi préjudiciel. Ils font valoir, dans leurs requêtes, que tant l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG que l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE prévoient une obligation inconditionnelle et illimitée d’acceptation des billets de banque libellés en euros en tant que moyen de règlement des créances de sommes d’argent. Cette obligation ne pourrait être limitée qu’au moyen d’un accord contractuel entre les parties ou en vertu d’une habilitation prévue par la loi fédérale ou par le droit de l’Union. Des raisons pratiques liées à des paiements dans le cadre de « procédures de masse », c’est-à-dire des situations dans lesquelles il y a un nombre très important de contribuables, ne sauraient justifier l’exclusion du paiement en espèces.

20.      Le juge de renvoi affirme, à titre liminaire, qu’en application du droit national il y aurait lieu de faire droit aux recours introduits devant lui. En effet, l’exclusion de la possibilité de payer la redevance audiovisuelle en espèces, prévue par le règlement sur les procédures de paiement du Hessischer Rundfunk, serait contraire à la disposition de droit fédéral de rang supérieur visée à l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG (8).

21.      Le juge de renvoi relève que cette dernière disposition doit être interprétée dans le sens qu’elle oblige les organismes publics à accepter les billets de banque en euros pour l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics. Des exceptions à cette règle ne sauraient se fonder simplement sur des raisons pratiques d’organisation administrative ou de réduction des coûts, mais exigent l’existence d’une habilitation législative fédérale, une habilitation prévue, comme en l’espèce, par la loi d’un Land n’étant pas suffisante.

22.      Dans ce contexte, le juge de renvoi considère toutefois que la procédure au principal soulève trois questions sur lesquelles il est nécessaire que la Cour statue à titre préjudiciel.

23.      En premier lieu, le juge de renvoi s’interroge sur la conformité de l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG avec l’attribution à l’Union de la compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE.

24.      Le juge de renvoi relève que la notion de « politique monétaire » n’est pas définie dans les traités et que son contenu et, par conséquent, l’étendue de la compétence exclusive de l’Union n’ont pas encore été définitivement clarifiés. Sur la base de la jurisprudence existante de la Cour, il estime ne pas être en mesure d’établir si la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire s’étend également au régime des conséquences juridiques liées au cours légal des billets de banque en euros et, en particulier, à l’obligation faite aux entités publiques d’accepter les billets de banque libellés en euros pour l’exécution d’obligations de paiement de droit public.

25.      Le juge de renvoi observe que, d’une part, cette obligation ne concerne pas l’objectif du maintien de la stabilité des prix, pas plus qu’il n’existe de lien direct avec les moyens énumérés dans le droit primaire pour atteindre les objectifs de la politique monétaire. En particulier, le droit d’émettre des billets de banque en euros accordé par l’article 128, paragraphe 1, TFUE à la BCE et aux banques centrales nationales ne serait pas limité ou modifié par une telle obligation. D’autre part, néanmoins, ce juge estime que la jurisprudence de la Cour permet de considérer qu’il y a lieu de qualifier comme relevant du domaine de la politique monétaire également les réglementations qui tendent à assurer l’acceptation des billets de banque en euros en tant que moyens de paiement ayant cours légal et, par conséquent, le fonctionnement de la circulation monétaire. En particulier, il ne serait pas exclu qu’un acte juridique régissant le cours légal des billets de banque en euros puisse se fonder sur l’article 133 TFUE, en tant que mesure nécessaire pour l’utilisation de l’euro comme monnaie unique, et que, partant, il y ait lieu de supposer l’existence d’une compétence exclusive de l’Union en ce sens également.

26.      En deuxième lieu, le juge de renvoi se demande si le droit de l’Union ne contient pas, déjà, une interdiction faite aux entités publiques des États membres de refuser le règlement en billets de banque en euros d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics. Si c’était le cas, indépendamment de la conformité de l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG au droit de l’Union, l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les procédures de paiement du Hessischer Rundfunk serait en tout état de cause illégal en ce qu’il serait contraire à une source de droit de rang supérieur et, par conséquent, il y aurait lieu de faire droit aux recours introduits devant le juge de renvoi.

27.      Le juge de renvoi relève qu’une obligation d’accepter les billets de banque libellés en euros ne ressort pas de manière évidente de la notion de « cours légal » visée à l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, à l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, des statuts du SEBC et de la BCE et à l’article 10, deuxième phrase, du règlement no 974/98. Cette notion n’est définie ni par le droit primaire ni par le droit dérivé de l’Union. Le considérant 19 de ce règlement ne fait que suggérer que, du point de vue du législateur de l’Union, les éventuelles limitations de la possibilité de payer en espèces n’affectent pas, à elles seules, le cours légal des espèces en euros. Selon le juge de renvoi, l’importance à attribuer à cet égard à la recommandation 2010/191 ne serait pas non plus claire. S’il est vrai que cette recommandation prévoit une « définition commune du cours légal », toutefois, en vertu de l’article 288, paragraphe 5, TFUE, les recommandations des institutions de l’Union ne lient pas.

28.      En troisième lieu, même dans le cas où, en réponse à la première question préjudicielle, la Cour devant considérer que, en raison de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire, le législateur allemand ne serait pas habilité à adopter une disposition comme celle de l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG, le juge de renvoi se demande si cette disposition ne doit pas toutefois être appliquée dès lors et aussi longtemps que l’Union n’a pas épuisé sa compétence exclusive. Il estime, en effet, que la jurisprudence existante ne permet pas de savoir avec certitude si l’application d’un acte législatif national doit être écartée lorsque, en l’absence d’une intervention du législateur de l’Union, il a été adopté en violation de l’exclusion découlant de l’existence, dans ce domaine, de la compétence exclusive de l’Union.

29.      Dans ce contexte, le juge de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La compétence exclusive dont jouit l’Union en vertu de l’article 2, paragraphe 1, TFUE lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro s’oppose-t-elle à l’adoption, par l’un de ces États membres, d’un acte législatif qui prévoit une obligation pour les entités publiques de cet État membre d’accepter les billets de banque libellés en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics ?

2)      Le cours légal qu’ont les billets de banque libellés en euros en vertu de l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, de l’article 16, paragraphe 1, troisième phrase [des statuts du SEBC et de la BCE], ainsi que de l’article 10, deuxième phrase, du [règlement no 974/98] emporte-t-il une interdiction pour les entités publiques d’un État membre de refuser l’exécution, avec de tels billets, d’une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics, ou le droit de l’Union permet-il des réglementations qui excluent le paiement avec des billets de banque en euros de certaines obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics ?

3)      Dans l’hypothèse où il serait répondu par l’affirmative à la première question et par la négative à la deuxième question :

Un acte législatif d’un État membre dont la monnaie est l’euro, adopté dans le domaine de la compétence exclusive de l’Union pour la politique monétaire, peut-il être appliqué dès lors et aussi longtemps que l’Union n’a pas fait usage de sa compétence ? »

III. Analyse juridique

A.      Observations liminaires

30.      Comme mentionné en introduction, la présente demande de décision préjudicielle soulève, d’une part, des questions délicates concernant l’étendue de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire et donc des questions relatives à la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, et aux modalités d’exercice des compétences respectives. Plus particulièrement, elle soulève la question sensible de la possibilité, pour les États membres de la zone euro, d’adopter des mesures restreignant l’utilisation des espèces, et de ses limites éventuelles. D’autre part, la présente affaire concerne également l’interprétation de notions complexes et indéfinies du droit monétaire sur lesquelles la Cour n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer.

31.      Dans un tel contexte, j’estime qu’il convient de clarifier, à titre liminaire, la portée de certaines notions essentielles pour pouvoir répondre aux questions préjudicielles posées par le juge de renvoi. Partant, je commencerai l’analyse par un certain nombre de considérations concernant les compétences exclusives de l’Union dans le cadre de la catégorisation des compétences, formalisée par le traité de Lisbonne (section B). J’aborderai ensuite la question de l’étendue de la compétence exclusive accordée à l’Union dans le domaine de la politique monétaire, en vérifiant notamment si celle-ci comprend ou non une dimension normative relative au droit monétaire (la lex monetae ; section C). J’analyserai par la suite la portée de la notion de « cours légal » en droit de l’Union et, en particulier, du cours légal des billets de banque et des pièces ; dans ce contexte, j’examinerai la question de la possibilité d’adopter des dispositions qui restreignent l’utilisation des espèces, et des limites de cette possibilité (section D). Enfin, sur la base de ces considérations, je proposerai une réponse aux questions préjudicielles posées à la Cour par le juge de renvoi (section E).

B.      Les compétences exclusives de l’Union

32.      Comme on le sait, en vue d’apporter davantage de clarté dans le système des compétences de l’Union (9), le traité de Lisbonne a introduit pour la première fois dans le droit primaire, plus précisément au début du traité FUE (10), un régime des différentes catégories de compétences attribuées à l’Union (article 2 TFUE) ainsi qu’une énumération ponctuelle des différents domaines dans lesquels des compétences ont été attribuées à l’Union (articles 3 à 6 TFUE).

33.      Les dispositions initiales du traité FUE sur la répartition des compétences, qui reflètent et, en grande partie, codifient la jurisprudence antérieure de la Cour, portent sur la question de nature constitutionnelle relative à la répartition des pouvoirs entre l’Union et les États membres qui la composent, répartition qui se fonde sur le principe d’attribution, consacré par l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE (ainsi que par l’article 4, paragraphe 1, TUE), à la lumière duquel ces dispositions doivent être interprétées. La finalité poursuivie est celle de clarifier, au niveau du droit primaire, les domaines de compétence respectifs de l’Union, d’une part, et des États membres, toujours souverains, qui la constituent, d’autre part, avec l’objectif d’assurer l’existence d’un équilibre entre ceux-ci (11).

34.      À cet effet, les dispositions initiales du traité FUE subdivisent les compétences de l’Union, en fonction de leur relation avec celles des États membres, en « compétences exclusives » (mentionnées à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 3 TFUE) et en « compétences non exclusives », constituées, plus précisément, par les compétences partagées (mentionnées à l’article 2, paragraphe 2, et à l’article 4 TFUE) et par les compétences complémentaires tendant à appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres (mentionnées à l’article 2, paragraphe 5, et à l’article 6 TFUE) (12).

35.      Il ressort ensuite de l’article 2, paragraphe 6, TFUE que, concrètement, l’étendue et les modalités d’exercice des compétences attribuées à l’Union, qu’elles soient exclusives ou non exclusives, sont déterminées par les dispositions des traités relatives à chaque domaine.

36.      Pour ce qui concerne spécifiquement les compétences exclusives, il ressort de l’article 2, paragraphe 1, TFUE que, lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants. Les États membres ne peuvent le faire par eux-mêmes que s’ils sont habilités par l’Union ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union.

37.      Pour ce qui concerne, en revanche, les compétences non exclusives, il découle de l’article 2, paragraphe 2, TFUE que, lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence partagée avec les États membres dans un domaine déterminé, tant l’Union que les États membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans ce domaine, mais, d’une part, les États membres exercent leur compétence seulement dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne et, d’autre part, ils peuvent exercer à nouveau leur compétence seulement dans la mesure où l’Union a décidé de cesser d’exercer la sienne. Quant aux compétences complémentaires, en vertu de l’article 2, paragraphe 5, TFUE, lorsque l’Union dispose d’une compétence pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres dans certains domaines, cette compétence ne remplace pas celle de ces derniers dans ces domaines.

38.      Il ressort du régime des compétences de l’Union, codifié par le traité de Lisbonne que nous venons de mentionner, que, contrairement à l’attribution de compétences non exclusives, lorsqu’une compétence est attribuée à l’Union à titre exclusif, les États membres perdent immédiatement et de manière irréversible toute prérogative en ce qui concerne le domaine de compétence attribué à l’Union. L’attribution de compétence exclusive à l’Union enlève aux États membres toute compétence dans le domaine en question et toute activité normative des États membres dans ce domaine est, dès lors, a priori, en conflit avec les traités.

39.      La perte de compétences par les États membres se produit de manière immédiate dans le sens que, contrairement à ce qui est le cas pour l’attribution d’une compétence partagée (13), il est sans importance que l’Union ait ou non exercé sa propre compétence aux fins de la perte, par les États membres, de leurs prérogatives dans le domaine de compétence attribué à l’Union à titre exclusif.

40.      Cette perte est irréversible, dans le sens que seul un amendement formel aux traités peut modifier le caractère exclusif de l’attribution de compétence à l’Union, en restituant des compétences aux États membres dans un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union.

41.      Le caractère immédiat et irréversible de la perte de compétences nationales dans les domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union est, du reste, intrinsèquement lié à la fonction, telle que reconnue par la Cour, du caractère exclusif de l’attribution de compétence à l’Union, attribution qui permet de remplacer l’action unilatérale des États membres, dans le domaine en cause, par une action commune fondée sur des principes uniformes pour toute l’Union, dans le but de défendre l’intérêt global de cette dernière, à l’intérieur duquel les intérêts particuliers des États membres doivent trouver à s’ajuster mutuellement (14).

42.      Toute exception au caractère constitutionnellement exclusif d’une compétence attribuée à l’Union doit découler du droit primaire lui-même. En ce sens, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE, il n’existe que deux cas dans lesquels les États membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union : s’ils sont habilités par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union.

43.      Pour ce qui concerne, en particulier, la possibilité pour l’Union d’habiliter les États membres à adopter des actes normatifs dans des domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union, l’article 2, paragraphe 1, TFUE ne fixe ni les modalités ni l’étendue de l’habilitation. Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour antérieure à l’adoption du traité de Lisbonne que des actes normatifs des États membres dans des domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union ne sont admissibles qu’en vertu d’une habilitation « spécifique » de la part de l’Union (15). En outre, pour être compatible avec la configuration constitutionnelle des compétences susmentionnée, une telle habilitation ne peut avoir qu’un caractère limité et ne pourra donner lieu à une modification permanente de la répartition des compétences entre l’Union et les États membres résultant de cette configuration (16).

44.      À cet égard, il convient encore de relever que, conformément au régime des compétences exclusives attribuées à l’Union, l’inaction du législateur de l’Union dans un domaine relevant de sa compétence exclusive n’a en aucune façon pour conséquence de restituer aux États membres la compétence et la liberté d’agir unilatéralement dans ce domaine (17). Même en l’absence d’une action appropriée de la part du législateur de l’Union dans un domaine relevant de sa compétence exclusive, et même s’il se révèle par ailleurs nécessaire d’adopter des mesures, une habilitation spécifique sera toujours nécessaire pour qu’un État membre qui ne peut agir, désormais, qu’en gestionnaire de l’intérêt commun puisse adopter des mesures, fussent-elles seulement de nature conservatoire et intérimaire dans le cadre d’une compétence exclusive de l’Union (18).

45.      Bien que le système formalisé par le traité de Lisbonne donne lieu à des catégorisations de compétences précises, dans la pratique il peut se révéler difficile de déceler les frontières exactes entre les domaines de compétence de l’Union et les domaines de compétence maintenus par les États membres, notamment dans des situations où il existe des interférences entre ces domaines de compétence. Ces considérations paraissent particulièrement pertinentes, comme il ressort du reste de la jurisprudence de la Cour, dans le domaine de l’Union économique et monétaire (19), laquelle, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’observer, est régie par un équilibre institutionnel qui lui est propre (20).

46.      Du reste, comme les spécialistes des systèmes fédéraux le savent bien, des situations d’interférence entre l’exercice des compétences dévolues aux différents niveaux de gouvernement ou de superposition de compétences sont fréquentes dans les systèmes de gouvernement multiniveaux, même en présence d’une distinction et d’une séparation nettes des compétences entre l’État fédéral et les autres unités étatiques, selon les critères de ce qu’on appelle le « fédéralisme dual », à travers des catalogues constitutionnels qui distinguent de manière analytique les compétences de l’État fédéral et celles des autres unités étatiques.

47.      Dans l’ordre juridique de l’Union, dans de telles situations, le problème principal consiste à trouver des modes de coordination entre la sphère de compétence (exclusive) de l’Union et l’exercice des compétences qui sont restées aux États membres. Dans ces cas, il convient de mettre en balance deux exigences différentes : d’une part, celle d’éviter que le droit de l’Union subisse des interférences qui compromettent son efficacité lorsque les États membres exercent des compétences qui leur appartiennent et, d’autre part, celle de garantir aux États membres une certaine marge d’appréciation dans l’encadrement de situations qui ne relèvent pas des compétences dévolues à l’Union.

48.      Une telle mise en balance pourra s’opérer, toujours dans le respect des traités et des rôles respectifs attribués à chaque acteur, suivant des modalités différentes selon le caractère et le type de positions juridiques prévues par le droit de l’Union avec lesquelles l’exercice des compétences étatiques entre en contact. Elle devra toutefois être guidée par le principe dégagé par la Cour dans sa jurisprudence selon lequel « si le droit de l’Union ne porte pas atteinte [aux] compétence[s] des États membres [...], les États membres doivent toutefois, dans l’exercice de ce[s] compétence[s], respecter le droit de l’Union » (21).

C.      L’étendue des compétences de l’Union en ce qui concerne la politique monétaire

49.      Les questions préjudicielles posées à la Cour par le juge de renvoi, notamment la première et la deuxième, appellent une clarification de l’étendue de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire. En particulier, ces questions exigent d’établir si, et dans quelles limites, l’adoption de dispositions de droit monétaire concernant l’euro relève du domaine de compétence exclusive de l’Union, de sorte que, en application des principes mentionnés aux points 37 à 44 des présentes conclusions, toute intervention législative des États membres dans ce domaine est à exclure, à moins qu’ils n’aient été spécifiquement habilités par l’Union.

50.      À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, l’Union dispose d’une compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro (22).

51.      Les compétences attribuées à l’Union concernant la politique monétaire s’inscrivent dans le cadre de l’Union économique et monétaire, dont la monnaie est l’euro, instituée en vertu de l’article 3, paragraphe 4, TUE.

52.      Le TFUE reconnaît ces compétences dans sa troisième partie, titre VIII (articles 119 à 144 TFUE), concernant la politique économique et monétaire, et, plus particulièrement, dans le chapitre 2 de ce titre (articles 127 à 133 TFUE), concernant spécifiquement la politique monétaire.

53.      À cet égard, il importe de souligner que la Cour a déjà eu l’occasion de relever que le traité FUE ne contient aucune définition précise de la politique monétaire, mais définit à la fois les objectifs de cette politique et les moyens dont dispose le SEBC pour sa mise en œuvre (23).

54.      Comme l’a observé la Cour, en vertu de l’article 282, paragraphe 1, TFUE, la BCE et les banques centrales des États membres dont la monnaie est l’euro, qui constituent l’Eurosystème, conduisent la politique monétaire de l’Union. Selon l’article 282, paragraphe 4, TFUE, la BCE adopte les mesures nécessaires à l’accomplissement de ses missions conformément aux articles 127 à 133 et 138 TFUE, ainsi qu’aux conditions prévues par les statuts du SEBC et de la BCE (24).

55.      La Cour a également relevé que, en vue de déterminer si une mesure relève de la politique monétaire, il convient de se référer principalement aux objectifs de cette mesure, et que les moyens que celle-ci met en œuvre en vue d’atteindre ces objectifs sont également pertinents (25).

56.      C’est dans ce contexte qu’il y a lieu de clarifier l’étendue de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire.

57.      À cet égard, j’estime qu’il ressort d’une analyse littérale, systématique et téléologique des dispositions pertinentes des traités que la notion de « politique monétaire » (en langue allemande, Währungspolitik), que l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE attribue à la compétence exclusive de l’Union pour les États membres dont la monnaie est l’euro, doit être comprise dans le sens qu’elle n’est pas limitée à la définition et à la conduite d’une politique monétaire en termes opérationnels (politique monétaire « au sens strict », en langue allemande, Geldpolitik), dans le sens visé à l’article 127, paragraphe 2, premier tiret, TFUE. Elle doit plutôt être comprise au sens large, c’est-à-dire dans le sens où elle comprend également une dimension normative relative à la monnaie unique, dans laquelle sont incluses des dispositions de droit monétaire (26).

58.      À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de prendre en considération l’article 119 TFUE, disposition d’ouverture du titre VIII concernant la politique économique et monétaire et jouant, de ce fait, un rôle important de nature systématique. On peut déduire de la structure de cette disposition que, tandis que le paragraphe 1 énonce, dans des termes généraux, des critères à suivre en ce qui concerne l’action des États membres et de l’Union en matière de politique économique (développée dans le chapitre 1 ), le paragraphe 2 concerne l’action des États membres et de l’Union en matière de politique monétaire (Währungspolitik), développée dans le chapitre 2.

59.      Aux termes de l’article 119, paragraphe 2, TFUE, l’action des États membres et de l’Union comprend une monnaie unique, l’euro, ainsi que la définition et la conduite d’une politique de change unique (27). Il ressort partant de cette disposition que l’action en question comprend trois éléments : une monnaie unique, l’euro, la définition et la conduite d’une politique monétaire unique (comprise dans le sens opérationnel, comme Geldpolitik) et la définition et la conduite d’une politique de change unique.

60.      Il ressort, à mon avis, de de l’article 119, paragraphe 2, TFUE que les compétences de l’Union relatives à la politique monétaire comprises dans le titre VIII, chapitre 2, susmentionné ne peuvent s’entendre au sens strict comme étant limitées à la seule définition et à la conduite d’une politique monétaire en termes opérationnels (Geldpolitik), mais comprennent également la compétence exclusive relative à la monnaie unique, c’est-à-dire l’euro (et à la politique de change). En outre, la référence au caractère unique de la monnaie faite à l’article 119, paragraphe 2, TFUE suppose l’attribution à l’Union d’une compétence de nature exclusive, laquelle, afin de pouvoir garantir ce caractère unique, doit inclure le pouvoir d’encadrement des aspects de régulation de la monnaie et doit donc inclure le droit monétaire.

61.      Cette interprétation est, du reste, confirmée par les dispositions du titre VIII, chapitre 2, relatif à la politique monétaire, à la lumière desquelles, en vertu de l’article 2, paragraphe 6, TFUE, doit être déterminée l’étendue des compétences exclusives de l’Union relatives à la politique monétaire (Währungspolitik).

62.      Ce chapitre inclut, en effet, d’une part, l’article 128 TFUE qui concerne, en son paragraphe 1, l’émission de billets de banque en euros dans l’Union, ainsi que leur cours légal et, en son paragraphe 2, l’émission de pièces.

63.      Ledit chapitre inclut, d’autre part, l’article 133 TFUE, lequel habilite expressément le législateur de l’Union à établir les mesures à caractère législatif nécessaires à l’utilisation de l’euro comme monnaie unique (28).

64.      La présence de ces dispositions dans le chapitre en cause et l’inclusion des compétences qui y sont prévues dans le domaine de compétence exclusive attribué à l’Union en ce qui concerne la politique monétaire se révèlent, du reste, nécessaires pour garantir l’unicité de la monnaie unique, l’euro.

65.      En effet, la compétence pour émettre et habiliter à l’émission de billets de banque en euros et pour encadrer l’émission des pièces en euros, la compétence pour définir le cours légal et la compétence pour adopter les mesures nécessaires en vue de l’utilisation de cette monnaie, l’euro, sont le fondement du caractère unique de cette monnaie et constituent, d’ailleurs, une condition préalable à la conduite d’une politique monétaire unique.

66.      L’absence de compétence exclusive à l’égard de l’Union sur ces aspects aurait comme conséquence que chaque État membre de la zone euro pourrait adopter une approche différente à l’égard de la monnaie unique, ce qui serait à l’évidence susceptible de remettre en cause le caractère unique de l’euro en tant que monnaie de l’Union économique et monétaire et risquerait, en outre, de compromettre le caractère effectif de la politique monétaire opérationnelle menée par le SEBC et des mesures adoptées à cet effet.

67.      De manière cohérente avec ce qui a été énoncé au point 41 des présentes conclusions, l’attribution d’une compétence exclusive à l’Union au regard de ces aspects de la monnaie unique reflète l’exigence d’établir des principes uniformes en la matière pour tous les États membres dont la monnaie est l’euro en vue de sauvegarder l’intérêt global de l’Union économique et monétaire et de l’euro comme monnaie unique. La création d’une monnaie unique entre les États membres de la zone euro et son bon fonctionnement supposent le transfert total, complet et à titre exclusif de leur souveraineté monétaire à l’Union, dans le cadre de l’Union économique et monétaire instituée par cette dernière.

68.      Il y a lieu, partant, de considérer que toutes les compétences et tous les pouvoirs nécessaires à la création et au bon fonctionnement de la monnaie unique, l’euro, relèvent de la compétence exclusive de l’Union visée à l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE.

69.      Pour ce qui concerne plus spécifiquement le cours légal, comme je le montrerai de manière plus détaillée dans la prochaine section, il reflète le caractère officiel de la monnaie unique dans la zone euro, en excluant que d’autres monnaies puissent en bénéficier. La définition et le régime du cours légal constituent partant un élément essentiel pour garantir le caractère unique de l’euro en tant que monnaie des États membres de la zone euro. En effet, ce n’est pas un hasard si le cours légal, qui constitue une notion de droit public et, plus précisément, de droit monétaire (29), a été mentionné, au niveau du droit primaire de l’Union, à l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, sur l’interprétation duquel je reviendrai sous peu.

70.      À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime qu’il y a lieu de conclure que la compétence exclusive de l’Union concernant la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, doit être entendue dans le sens qu’elle comprend toutes les compétences et tous les pouvoirs nécessaires à la création et au bon fonctionnement de la monnaie unique, l’euro, y compris une dimension normative relative à cette monnaie unique, laquelle inclut la définition et l’encadrement du statut et du cours légal de celle-ci.

71.      Cela étant dit, de manière cohérente avec mes observations exposées aux points 45 à 48 des présentes conclusions, l’exercice de cette compétence de la part de l’Union doit nécessairement tenir compte de la nécessité de trouver un juste équilibre avec l’exercice, par les États membres, des compétences restées du ressort de ces derniers, parmi lesquelles celles en matière de droit civil concernant l’exécution des obligations, celles en matière d’organisation et de fonctionnement des administrations publiques, et celles en matière fiscale et pénale peuvent être pertinentes dans ce domaine.

D.      Sur la notion de « cours légal »

72.      Une fois clarifié que la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire comprend une dimension normative relative à la monnaie unique qui inclut la définition et l’encadrement de son statut et de son cours légal, pour répondre aux questions posées par le juge de renvoi, il est nécessaire de déterminer la portée, en droit de l’Union, de la notion de « cours légal » et, spécifiquement, du cours légal des billets de banque en euros.

73.      À cet effet, j’estime qu’il est nécessaire, toutefois, d’exposer certaines considérations liminaires concernant la monnaie unique.

1.      Considérations liminaires concernant la monnaie unique

74.      Comme je l’ai déjà relevé, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, TUE, l’euro est la monnaie de l’Union économique et monétaire instituée par l’Union. Différentes dispositions des traités, dont notamment l’article 119, paragraphe 2, et l’article 133 TFUE (30), qualifient l’euro de « monnaie unique ». L’article 282, paragraphe 3, deuxième phrase, TFUE mentionne, en outre, l’euro en tant que tel.

75.      Le législateur de l’Union – comme d’ailleurs beaucoup de législateurs nationaux, sinon tous – ne fournit aucune définition de la notion de « monnaie » (31).

76.      En droit matériel de l’Union, la notion qui semble se rapprocher le plus du concept de monnaie est celle de « fonds », telle que prévue par la directive (UE) 2015/2366 concernant les services de paiement (32). Dans le cadre de cette directive, l’objet du régime harmonisé en matière de services de paiement est le transfert de « fonds », notion dont la directive elle-même ne fournit pas de définition légale précise. L’article 4, point 25, de ladite directive fournit, toutefois, une énumération des « fonds » qui peuvent faire l’objet des services de paiement, en indiquant que ce sont « les billets de banque et les pièces, la monnaie scripturale ou la monnaie électronique au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2009/110/CE » (33).

77.      Dans la théorie économique, on utilise généralement une définition de la monnaie – comprise dans le sens plus général de « money » ou « Geld » (34) – de type fonctionnel qui, selon une conception remontant à Aristote (35), fait apparaître les trois fonctions exercées par celle-ci, à savoir : i) la fonction d’unité de compte ; ii) la fonction de moyen de paiement (ou d’échange) ; et iii) la fonction de réserve de valeur.

78.      D’un point de vue juridique, cette définition économique semble devoir être complétée par des éléments issus de la théorie étatique de la monnaie (36), en ce sens que la monnaie est une création de l’État ou, dans le cas de l’euro, de l’Union économique et monétaire, et que son existence ne peut qu’être comprise à l’intérieur d’un système juridique déterminé.

79.      D’un point de vue historique, la nature de la monnaie a évolué dans le temps (37). De nos jours, les économies modernes, y compris l’Union économique et monétaire, sont fondées sur la « monnaie fiduciaire », c’est-à-dire une monnaie ayant cours légal et émise par une banque centrale, mais qui ne peut être convertie, par exemple en un poids fixe d’or (38).

80.      Comme cela ressort, du reste, de la notion de « fonds » susmentionnée, la monnaie – représentée au sein de l’Union économique et monétaire par la monnaie unique, l’euro – existe, en tant que telle, tant sous la forme physique des billets de banque et des pièces (c’est-à-dire les espèces) que sous la forme scripturale ou électronique (celle, par exemple, du solde d’un compte bancaire). La monnaie, et donc, dans la zone euro, l’euro, existe et circule dans la vie économique sous diverses formes.

81.      La forme de monnaie qui est certainement la plus importante, historiquement, est la forme physique des espèces (billets de banque et pièces), qui constituent la plus haute expression de la souveraineté monétaire de l’État. Les espèces, comme il ressort de données récentes, jouent un rôle encore important dans l’économie, dans la zone euro considérée dans son ensemble. Une récente étude publiée par la BCE (39) montre, en effet, qu’au sein de l’Union, les espèces représentent environ 79 % des paiements journaliers des Européens et environ 54 % en valeur. Cela vaut surtout pour les paiements en petites coupures, seuls 10 % des transactions en espèces analysées concernant, en effet, des biens ou des services d’une valeur supérieure à 100 euros. Cette étude fait apparaître, par ailleurs, des habitudes et des préférences très différentes dans les divers États membres.

82.      Si, comme le confirme clairement cette étude et comme l’a confirmé du reste la BCE à l’audience, les espèces jouent encore un rôle important dans l’économie de la zone euro, et, partant, si l’avènement d’une société sans espèces (cashless society) ne semble pas, contrairement à ce que certains soutiennent, imminente, pour le moins en Europe, il n’en reste pas moins, toutefois, que le processus de modernisation de l’économie et, plus récemment encore, le développement technologique ont mené à la création d’autres formes, non physiques, de monnaie, lesquelles ont acquis une importance toujours croissante avec le temps (40) et sont destinées à en acquérir toujours davantage (41). L’innovation technologique est devenue, ces dernières années, tellement rapide et fulgurante qu’elle est potentiellement susceptible de transformer radicalement le secteur financier, en menaçant même les souverainetés monétaires (nationales ou, dans la zone euro, de l’Union) (42). Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que, tout comme dans les plus grandes économies du monde (43), au niveau de l’Union un débat ait été ouvert sur la possibilité d’introduire une monnaie digitale (la CBDC) (44), laquelle a potentiellement un impact très important tant sur le système monétaire et financier européen que sur le rôle international joué par l’euro (45).

83.      En tout état de cause, quelle que soit sa forme (physique, concrétisée par les espèces, ou non physique), la monnaie, représentée dans la zone euro par la monnaie unique, l’euro, existe et peut, sous toutes ses formes, exercer les trois fonctions mentionnées au point 77 des présentes conclusions, dont celle qui nous intéresse aux fins de la présente affaire, à savoir celle de moyen de paiement (46).

84.      C’est donc à la lumière des considérations qui précèdent et en accordant une attention particulière à cette dernière fonction qu’il convient d’analyser la façon dont l’Union a exercé sa compétence exclusive en ce qui concerne la monnaie unique, mentionnée dans la section précédente, et notamment au regard de la détermination du cours légal.

2.      Sur l’exercice, par l’Union, de sa compétence exclusive en matière de cours légal

85.      Dans l’exercice de sa compétence exclusive, le législateur de l’Union a réglementé certains aspects juridiques de la monnaie unique, mais il n’a pas adopté de régime global et exhaustif à cet égard.

86.      Pour ce qui concerne, notamment, le cours légal, les dispositions du droit de l’Union qui le mentionnent sont, au niveau du droit primaire, l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, repris par l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, des statuts du SEBC et de la BCE et, au niveau du droit dérivé, le règlement no 974/98, et plus particulièrement ses articles 10 et 11.

87.      Ces dispositions concernent l’émission et le cours légal des billets de banque et pièces, mais elles ne fournissent pas une définition précise de la notion juridique de « cours légal ». Cette lacune n’est pas accidentelle, eu égard au caractère sensible de cette matière et à la différence d’approche existant au niveau des divers États membres concernés (47).

88.      À la lumière des considérations exposées aux points 59 à 70 des présentes conclusions, la notion de « cours légal » est, à mon avis, une notion de droit monétaire propre au droit de l’Union qui, en tant que telle, doit faire l’objet, dans toute l’Union, d’une interprétation autonome et uniforme (48).

89.      J’observerai, à cet égard, que, même si le législateur de l’Union n’a pas fourni une définition précise de la notion de « cours légal », il reste libre de le faire à tout moment, en définissant de manière précise, par la voie législative, la signification exacte qu’il convient d’attribuer à cette notion.

90.      Il convient, en outre, de rappeler que, du moment que la détermination de la portée de cette notion relève du domaine de compétence exclusive du droit de l’Union, il est, en revanche, exclu que les États membres, lesquels, comme il ressort des points 38 à 44 des présentes conclusions, ont perdu toute prérogative à cet égard, puissent adopter des dispositions législatives qui, de par leur objectif et leur contenu, mettent en place un encadrement du cours légal, et ce même en cas d’inertie du législateur de l’Union. Les États membres dont la monnaie est l’euro n’ont plus aucune compétence pour déterminer la notion de « cours légal ».

91.      Pour ce qui concerne spécifiquement la disposition qui confère au cours légal la portée de notion de droit primaire, à savoir l’article 128, paragraphe 1, TFUE, celle-ci énonce, dans ses deux premières phrases, que la BCE a le droit exclusif d’autoriser l’émission de billets de banque en euros dans l’Union et que la BCE et les banques centrales nationales peuvent émettre des billets de banque (49). La troisième phrase de ce paragraphe énonce que les billets de banque émis par la BCE et par les banques centrales nationales sont les seuls billets de banque à avoir cours légal dans l’Union.

92.      Cette disposition, qui reprend textuellement l’article 106 CE, bien que ne définissant pas de manière précise la notion de « cours légal », revêt une importance fondamentale.

93.      En premier lieu, elle est l’expression du pouvoir souverain, attribué à l’Union à titre exclusif par les États membres dont la monnaie est l’euro, de définir quel bien ou instrument (tangible ou non tangible) a cours légal dans la zone euro.

94.      En deuxième lieu, elle remplit fondamentalement une fonction de garantie. Comme l’a relevé, à juste titre, la République fédérale d’Allemagne, cette disposition tend à la création d’un « monopole » en faveur de la BCE et des banques centrales nationales pour l’émission de billets de banque ayant cours légal, et interdit, au niveau constitutionnel, la création par n’importe quelle autre entité, qu’elle soit publique ou privée, de billets de banque ou d’autres formes de monnaie parallèle ayant cours légal (50).

95.      En troisième lieu, cette disposition garantit, au niveau constitutionnel, l’existence même des billets de banque libellés en euros, ce qui porte à considérer que leur abolition totale serait contraire au droit de l’Union.

96.      Cela étant dit, il ne ressort cependant, à mon avis, en aucune façon de l’article 128, paragraphe 1, TFUE ni d’aucune autre disposition du droit de l’Union que le législateur constitutionnel de l’Union a entendu exclure la possibilité, pour l’Union, de donner cours légal, parallèlement aux billets de banque (et aux pièces) en euros (51), également à d’autres formes de monnaie, pas nécessairement physiques (52). Le pouvoir souverain de l’Union de définir le cours légal inclut, en effet, celui de déterminer, à sa discrétion et dans le respect du droit de l’Union, le ou les instruments ayant cours légal dans la zone euro (53).

97.      Dans ce contexte, il convient également d’observer que, si l’Union n’a pas attribué de cours légal à des formes de monnaie différentes des espèces, elle a toutefois réglementé de manière analytique, dans le cadre de la législation relative au marché intérieur, les services de paiement (dans la directive 2015/2366 susmentionnée) ainsi que l’émission de monnaie électronique (dans la directive 2009/110). Dans ce contexte, l’Union a elle-même favorisé l’utilisation de moyens de paiement électroniques (54). Cette réglementation analytique tendant à assurer la sécurité des paiements avec de la monnaie scripturale et électronique a contribué, eu égard à la sécurité et à la diffusion de ces moyens de paiement, à une réduction de l’utilisation des espèces (55).

98.      Cela étant dit, il convient de relever également que, si la compétence exclusive attribuée à l’Union en ce qui concerne la monnaie unique lui permet de déterminer la notion de « cours légal », laquelle, comme nous le verrons de plus près dans la prochaine section, concerne directement l’utilisation de la monnaie comme moyen de règlement des créances de sommes d’argent, cette compétence exclusive ne va pas jusqu’à inclure une compétence générale pour réglementer les modalités d’exécution des obligations de paiement, de droit public comme de droit privé, cette dernière étant restée la prérogative des États membres. Dans ce contexte, il se révèle donc nécessaire de coordonner, dans les sens envisagés aux points 45 à 48 et 71 des présentes conclusions, la compétence exclusive de l’Union en matière de définition du cours légal avec celles propres des États membres, notamment en matière de droit civil, pour ce qui concerne le règlement des créances de sommes d’argent de nature privée, en matière d’organisation et de fonctionnement des administrations publiques et en matière de droit fiscal, pour ce qui concerne l’exécution d’obligations de paiement de nature publique, ainsi qu’en matière pénale, pour ce qui concerne l’interrelation entre la circulation de la monnaie et la lutte contre la criminalité.

3.      Sur la notion de « cours légal » des billets de banque en euros en droit de l’Union

99.      Afin de pouvoir répondre aux questions posées par le juge de renvoi, il est nécessaire de déterminer la portée de la notion de « cours légal » des billets de banque en euros, et ce même en l’absence d’une définition précise de la notion de « cours légal » de la part du législateur de l’Union dans l’exercice de sa compétence exclusive en la matière. S’agissant d’une notion de droit de l’Union, il incombe à la Cour de procéder, par voie d’interprétation, à la détermination de la portée de cette notion en l’état actuel du droit (56).

100. Nonobstant l’absence d’une définition précise, le droit de l’Union fournit par ailleurs certains éléments d’interprétation qui permettent d’esquisser les contours de la notion de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal » des billets de banque et des pièces en euros. Ces éléments sont : d’une part, la recommandation 2010/191 de la Commission et, d’autre part, le considérant 19 du règlement no 974/98.

101. Pour ce qui concerne le premier élément d’interprétation, à savoir la recommandation 2010/191, celle-ci concerne spécifiquement la portée des effets du cours légal des billets de banque et des pièces en euros. Comme il ressort de son considérant 4, la recommandation en question se fonde sur les principales conclusions du rapport établi par un groupe de travail constitué, sous l’égide de la Commission et de la BCE, de représentants des ministères des Finances et des banques centrales nationales des États membres de la zone euro.

102. Dans sa décision de renvoi, le juge national s’interroge expressément sur la portée à attribuer à cette recommandation.

103. À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que, même si, en vertu de l’article 288, paragraphe 5, TFUE, les recommandations ne visent pas à produire des effets contraignants et ne sont pas en mesure de créer des droits que les particuliers peuvent invoquer devant un juge national, elles ne sont cependant pas dépourvues de tout effet juridique. En effet, les juges nationaux sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsqu’elles éclairent l’interprétation de dispositions nationales prises dans le but d’assurer leur mise en œuvre ou lorsqu’elles ont pour objet de compléter des dispositions communautaires ayant un caractère contraignant (57).

104. La Cour a également reconnu que, dans la mesure où il a été élaboré par un groupe d’experts nationaux et des services de la Commission, comme c’est le cas de la recommandation 2010/191, un document peut fournir des éléments utiles pour l’interprétation des dispositions du droit de l’Union pertinentes, et ainsi contribuer à assurer une application uniforme de celles-ci (58).

105. La recommandation 2010/191 constitue partant un élément important d’interprétation en vue de la détermination du contenu de la notion de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal » des billets de banque et des pièces en euros, et ce a fortiori dans la mesure où elle se fonde sur le rapport élaboré par le groupe de travail des représentants des États membres de la zone euro.

106. Il ressort de la définition commune du « cours légal » des billets de banque et des pièces en euros contenue dans le point 1 de la recommandation 2010/191 que, lorsqu’il existe une obligation de paiement, le cours légal des billets de banque et pièces en euros comporte trois éléments : en premier lieu, l’acceptation obligatoire ; en deuxième lieu, l’acceptation à la valeur nominale ; et, en troisième lieu, le pouvoir libératoire.

107. Pour ce qui concerne spécifiquement l’acceptation obligatoire, le point 1, sous a), de la recommandation 2010/191 précise que le bénéficiaire d’une obligation de paiement ne peut refuser les billets de banque et pièces en euros, sauf si les parties sont convenues d’un autre mode de paiement.

108. Il y a donc lieu de considérer, conformément à la définition du cours légal résultant de la recommandation 2010/191, que la notion de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal » des billets de banque et des pièces comporte, à l’égard du créancier, une obligation générale de principe d’acceptation des espèces à titre d’exécution de l’obligation de paiement, mais que cette obligation n’est pas absolue et qu’il peut y être dérogé en application de l’autonomie contractuelle des parties.

109. À cet égard, comme le relève à juste titre la Commission, il convient de souligner que, sur cette définition, il y a eu unanimité au sein du groupe de travail constitué par les représentants des différents États membres (59), ce qui permet de considérer qu’une notion de « cours légal » comme celle déterminée précédemment peut être considérée comme une conception commune aux ordres juridiques des États membres de la zone euro.

110. En l’état actuel du droit, la notion autonome de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal » doit être, toutefois, interprétée également à la lumière d’un second élément interprétatif, à savoir le considérant 19 du règlement no 974/98.

111. Il ressort de ce considérant que les éventuelles restrictions aux paiements au moyen de billets et de pièces, définies par les États membres en considération de motifs d’intérêt public, ne sont pas incompatibles avec le cours légal des billets et pièces libellés en euros, pour autant que d’autres moyens légaux soient disponibles pour le règlement des créances de sommes d’argent.

112. Avant d’analyser l’influence dudit considérant sur la notion de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal », il convient de clarifier la valeur à attribuer à un considérant d’un acte normatif de l’Union, question sur laquelle une discussion a eu lieu lors de l’audience.

113. À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le préambule d’un acte de l’Union est susceptible de préciser le contenu des dispositions de cet acte et que les considérants d’un acte de l’Union constituent, en effet, des éléments d’interprétation importants, qui sont de nature à éclairer sur la volonté de l’auteur dudit acte (60).

114. Il s’ensuit que, bien qu’un considérant ne constitue pas, en soi, une norme juridique et qu’il n’ait, partant, pas de valeur juridique propre, il permet d’éclairer l’interprétation qu’il convient de donner d’une règle de droit ou d’une notion juridique prévue par l’acte qui le contient (61).

115. Il ressort de cette jurisprudence que le considérant 19 du règlement no 974/98, contenu dans un acte législatif qui régit le cours légal des billets de banque et des pièces en euros – respectivement à son article 10, deuxième phrase, et à son article 11, deuxième phrase –, fournit une indication interprétative qualifiée qui, en tant que telle, doit être prise en considération pour déterminer la portée exacte de la notion unitaire de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal ». Cette notion est utilisée tant dans le règlement no 974/98 que dans le droit primaire, à l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, repris par l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, des statuts du SEBC et de la BCE (62).

116. Il découle du considérant 19 du règlement no 974/98 que, bien que ne donnant pas de définition précise de la notion de « cours légal » des billets de banque et des pièces, le législateur de l’Union a reconnu l’existence d’une certaine marge de manœuvre pour la poursuite de motifs d’intérêt public (63), qui ne sont pas nécessairement limités à l’ordre public (64). Ainsi, non seulement l’autonomie privée, mais aussi, et a fortiori, la poursuite de motifs d’intérêt public peuvent justifier des dérogations à l’obligation (non absolue) d’acceptation des billets de banque et des pièces en euros ayant cours légal par les créanciers pour le règlement des créances de sommes d’argent.

117. La poursuite de l’intérêt public incombe, dans les domaines de compétence respectifs, tant à l’Union qu’aux États membres.

118. Quant à l’Union, dans l’exercice de compétences qui lui sont propres autres que celles dans le domaine de la politique monétaire, elle a déjà adopté, dans la poursuite de l’intérêt public, des dispositions qui, bien que ne visant pas, de par leur objectif et leur contenu (65), à réglementer le cours légal des billets de banque et des pièces en euros, ont néanmoins une incidence sur l’utilisation des espèces comme moyen de paiement. À cet égard, la Commission a cité la directive dite « antiblanchiment » (66) et la réglementation relative aux contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou sortant de l’Union (67).

119. Dans le même sens, j’estime que, comme cela a été reconnu dans le considérant 19 du règlement no 974/98, dans l’exercice de compétences qui leur sont propres, les États membres peuvent, pour des motifs d’intérêt public, adopter des mesures qui, de par leur objectif et leur contenu, ne mettent pas en place un encadrement du cours légal de l’euro, mais peuvent néanmoins réglementer l’exécution d’obligations, de nature privée ou publique, en limitant, sous certaines conditions et dans certaines limites, l’utilisation des espèces pour le paiement de telles obligations. Des réglementations de ce type doivent être considérées, dans les limites qui seront indiquées dans la section suivante, comme compatibles avec la notion unitaire de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal » des billets de banque et des pièces en euros (68). Cette compatibilité se déduit de la notion même de « cours légal », telle qu’elle existe en l’état actuel du droit de l’Union.

120. Une telle interprétation de la notion de « cours légal » résultant des éléments d’interprétation existants, en l’état actuel du droit de l’Union, n’est pas contraire à la systématisation des compétences de l’Union exposée précédemment, dans la section B des présentes conclusions, et n’est pas en conflit avec la notion de « compétence exclusive » de l’Union qui y est esquissée.

121. En effet, il ne ressort en aucune façon de cette interprétation de la notion de « cours légal » que les États membres disposent de la compétence législative pour encadrer le cours légal des billets de banque ou des pièces en euros, notion relevant de la politique monétaire au sens large et, donc, du domaine de compétence exclusive de l’Union.

122. Plus particulièrement, le considérant 19 du règlement no 974/98 ne constitue en aucune façon une habilitation spécifique, au sens de l’article 2, paragraphe 1, TFUE, telle qu’exposée aux points 42 et 43 des présentes conclusions. Déjà, d’un point de vue formel, je doute fortement qu’une telle habilitation puisse être contenue dans un considérant d’un acte législatif et non dans une disposition normative de ce dernier. Quoi qu’il en soit, il ne ressort en aucune façon du considérant en question que les États membres seraient habilités à adopter des dispositions réglementant le cours légal. Une disposition nationale qui, de par son objectif et son contenu, mettrait en place une réglementation du cours légal empiéterait sur le domaine de compétence exclusive de l’Union.

123. Le considérant en cause prend simplement acte du fait qu’il est possible que des réglementations adoptées par les États membres, dans l’exercice de leurs compétences souveraines – par exemple en matière de droit civil en ce qui concerne l’exécution des obligations, ou en matière d’organisation de leur administration publique, ou en matière fiscale ou de lutte contre la criminalité – qui ne sont pas dévolues à l’Union, puissent entrer en contact avec la notion de « cours légal » des billets de banque ou des pièces et interférer avec cette notion. Ce considérant, en tant qu’indication interprétative qualifiée de la notion de « cours légal », reconnaît que, bien que les États membres ne puissent pas définir la notion de « cours légal », des réglementations adoptées par ces derniers – dans l’exercice de leurs compétences, dans les conditions et les limites qui seront précisées dans la prochaine section – qui restreindraient l’utilisation des espèces comme moyen de paiement ne sont pas incompatibles avec la notion de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal » des billets de banque en euros.

124. Pour conclure, il ressort de ce qui précède que, en l’état actuel du droit de l’Union, la notion de « cours légal » des billets de banque et des pièces doit être comprise dans le sens qu’elle comporte une obligation de principe d’acceptation des billets de banque et des pièces par le créancier d’une obligation de paiement, à moins que les parties au contrat, dans l’exercice de leur autonomie privée, n’aient convenu d’autres moyens de paiement ou à moins qu’une réglementation adoptée par l’Union ou par un État membre dans l’exercice de leurs compétences respectives, laquelle, de par son objectif et son contenu, ne constitue pas un encadrement du cours légal, prévoie des limitations au paiement en billets de banque pour des motifs d’intérêt public.

125. La notion de « cours légal » implique donc que les billets de banque et les pièces en euros constituent des moyens de paiement « par défaut » (69): ils doivent être acceptés sauf s’il en est prévu autrement par l’autonomie des parties ou par des réglementations qui en restreignent l’utilisation comme moyen de paiement pour des raisons d’intérêt public.

4.      Conditions et limites à l’utilisation des espèces

126. Il reste à aborder la question des conditions et des limites dans lesquelles l’Union et les États membres, dans l’exercice de leurs compétences respectives, peuvent adopter des réglementations qui prévoient des limitations à l’utilisation des espèces comme moyen de paiement.

127. En premier lieu, il ressort des points 93 à 95 des présentes conclusions qu’il y a lieu de considérer comme non compatibles avec l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE des dispositions qui conduiraient de jure ou de facto à une abolition complète des billets de banque en euros ou qui sont susceptibles de vider de son contenu la qualification de monnaie ayant cours légal attribuée aux billets de banque en euros.

128. En deuxième lieu, comme cela est expressément reconnu par le libellé du considérant 19 du règlement no 974/98, pour être compatibles avec la notion de « cours légal » des billets de banque et des pièces, des réglementations limitant l’utilisation des espèces comme moyen de paiement doivent, d’une part, être fondées sur des motifs d’intérêt public, motifs qui, comme je l’ai déjà précisé, ne doivent pas nécessairement être liés à l’ordre public (70), et peuvent, d’autre part, être adoptées seulement à la condition qu’il existe d’autres moyens légaux de règlement des créances de sommes d’argent.

129. En troisième lieu, j’estime que des réglementations adoptées dans l’exercice de compétences différentes de celles relevant du droit monétaire, lesquelles, afin de poursuivre des motifs d’intérêt public, limitent l’utilisation des espèces comme moyen de paiement, doivent prévoir une restriction proportionnelle à l’objectif poursuivi.

130. Il convient de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union. Il exige que les mesures soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de ces objectifs (71). C’est pourquoi, lorsqu’un choix est possible entre plusieurs mesures appropriées, il y a lieu de recourir à la mesure la moins restrictive.

131. Le principe de proportionnalité, en tant que principe qui limite les autorités dans l’exercice de leur pouvoir en exigeant de parvenir à un équilibre entre les mesures adoptées et l’objectif poursuivi, affecte tant le contenu et la forme de l’action de l’Union dans l’exercice de ses compétences, comme cela découle expressément de l’article 5, paragraphe 4, TUE, que l’action des États membres, lorsque cette action, engagée dans l’exercice de compétences qui leur sont propres, entre en contact ou interfère avec des situations juridiques régies par le droit de l’Union (72).

132. Une limitation de l’utilisation des espèces comme moyen de paiement doit partant être propre à atteindre l’objectif d’intérêt public poursuivi par la réglementation en question et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

133. Il convient également de relever, à cet égard, que, comme il ressort de la notion de « cours légal » définie dans la précédente section, l’Union ne prévoit pas un droit absolu au paiement en espèces dans tous les cas. Même en admettant qu’il découle du droit de l’Union un droit subjectif d’utiliser les espèces pour les paiements, avec un pouvoir libératoire pour le débiteur, cette thèse ayant d’ailleurs été contestée, notamment par la République fédérale d’Allemagne, il s’agirait, en tout état de cause, comme l’a relevé la Commission à l’audience, d’un droit subjectif ne relevant certainement pas de la liste des droits fondamentaux garantis par le droit primaire de l’Union.

134. Le cours légal attribué aux espèces peut avoir un lien avec l’exercice de certains droits fondamentaux, mais, à mon avis, ce lien est seulement indirect. En effet, s’il ne fait aucun doute que les espèces peuvent être utilisées dans l’exercice de certains droits fondamentaux qui présentent un lien avec l’utilisation de la monnaie, son utilisation, toutefois, n’est généralement pas nécessaire à la jouissance de ces droits fondamentaux, laquelle peut être obtenue en utilisant d’autres formes de monnaie ou d’autres moyens de paiement différents des espèces (73).

135. Cependant, le lien entre les espèces et l’exercice de droits fondamentaux devient, en revanche, direct dans les cas où l’utilisation des espèces fait fonction d’élément d’inclusion sociale. En effet, l’utilisation d’une monnaie différente de celle sous la forme physique des espèces suppose actuellement l’existence d’un compte qui permet d’exécuter des opérations de paiement, ouvert auprès d’un établissement de crédit ou d’un établissement financier de nature similaire.

136. Bien que la directive 2014/92/UE (74) ait reconnu que quiconque réside légalement dans l’Union a le droit d’ouvrir un compte de paiement assorti de prestations de base dans n’importe quel pays de l’Union – compte qui doit comprendre le service d’exécution d’opérations de paiement telles que des virements et des prélèvements à l’intérieur de l’Union –, et bien que cette directive vise expressément à encourager les consommateurs vulnérables non bancarisés à prendre part au marché de la banque de détail (75), des données récentes montrent que le nombre de personnes qui n’ont pas encore accès à des services financiers de base au sein de l’Union et dans la zone euro, bien que minoritaire, est numériquement non négligeable (76).

137. Pour ces personnes vulnérables, effectivement, les espèces constituent la seule forme de monnaie accessible et donc le seul moyen d’exercer leurs droits fondamentaux qui présentent un lien avec l’utilisation de la monnaie.

138. Les mesures de limitation de l’utilisation des espèces comme moyen de paiement doivent, partant, tenir compte de la fonction d’inclusion sociale que celles-ci remplissent pour ces personnes vulnérables et doivent garantir l’existence effective d’autres moyens légaux de règlement des créances de sommes d’argent, au sens du considérant 19 du règlement no 974/98. Cette fonction d’inclusion sociale doit, en outre, être dûment prise en considération dans l’analyse de la proportionnalité des mesures en cause. Plus particulièrement, j’estime qu’il existe une obligation d’adopter des mesures propres à permettre que des personnes vulnérables qui n’ont pas accès à des services financiers de base puissent exécuter leurs obligations, notamment de nature publique, sans supporter de coûts supplémentaires.

139. Dans ce contexte, il incombe préventivement à la BCE, dans le cadre de son pouvoir de consultation prévu à l’article 127, paragraphe 4, et à l’article 282, paragraphe 5, TFUE, ainsi que, pour les projets de réglementations nationales, par la décision 98/415 (77), d’apprécier la compatibilité de mesures limitant l’utilisation des espèces comme moyen de paiement – adoptées dans l’exercice de compétences différentes de celles de l’Union en matière de droit monétaire – avec les exigences découlant de la notion de « cours légal » propre au droit de l’Union, telle qu’esquissée dans la section précédente, ainsi que le respect des conditions et des limites indiquées dans la présente section. Il incombe ensuite éventuellement à la Commission, en tant que gardienne des traités, dans le cadre des procédures d’infraction, ainsi qu’aux juges nationaux et à la Cour de garantir le respect de ces exigences, conditions et limites.

E.      Sur les questions préjudicielles

140. C’est à la lumière du cadre juridique déterminé et des considérations exposées dans les sections précédentes que je vais à présent me pencher sur la réponse à donner à chacune des questions préjudicielles posées par le juge de renvoi.

1.      Sur la première question préjudicielle

141. Par sa première question préjudicielle, le juge de renvoi demande si la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, s’oppose à l’adoption, par l’un de ces États membres, d’un acte législatif qui prévoit une obligation pour les entités publiques de cet État membre d’accepter les billets de banque libellés en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics.

142. Comme je l’ai observé aux points 23 à 25 des présentes conclusions, il ressort de la décision de renvoi que le juge national a soulevé la première question préjudicielle au regard de la disposition de l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG. Ce juge se demande si, dans la mesure où l’on peut considérer que cette disposition de droit national régit les conséquences juridiques du cours légal des billets de banque en euros, elle peut ne pas être conforme à l’attribution de compétences exclusives à l’Union en ce qui concerne la politique monétaire prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE.

143. À cet égard, il ressort des points 57 à 70 des présentes conclusions que la compétence exclusive attribuée à l’Union dans le domaine de la politique monétaire, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, inclut, dans le cadre des pouvoirs nécessaires à la création et au fonctionnement de la monnaie unique, une dimension normative relative à cette monnaie unique, laquelle comprend la définition et l’encadrement du statut et du cours légal de celle-ci. Il s’ensuit que, comme je l’ai relevé aux points 90 et 122 des présentes conclusions, conformément aux principes pour la répartition des compétences entre l’Union et les États membres exposés aux points 38 à 44 des présentes conclusions, les États membres de la zone euro ne disposent d’aucune compétence à cet égard et ne peuvent, partant, adopter de dispositions qui, de par leur objectif et leur contenu, réglementent le cours légal de l’euro et, plus spécifiquement, des billets de banque en euros.

144. Il incombe, concrètement, au juge de renvoi, seul compétent pour déterminer la portée exacte de la réglementation nationale, d’établir si l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG constitue une disposition qui, de par son objectif et son contenu, introduit une réglementation du cours légal des billets de banque en euros.

145. À cet égard, toutefois, j’estime que les considérations suivantes sont pertinentes.

146. Il convient de rappeler que l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG dispose que les billets de banque libellés en euros sont le seul moyen de paiement ayant cours légal illimité.

147. Il y a lieu, partant, de constater que le libellé de cette disposition ne se borne pas à reprendre littéralement le libellé de l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, mais s’en écarte.

148. Tout d’abord, la qualification du cours légal d’« illimité » ne se trouve en aucune façon dans la disposition de droit de l’Union.

149. En outre, tandis que la disposition de droit de l’Union prévoit que les billets de banque en euros sont les seuls billets de banque ayant cours légal [(Euro)Banknoten sind die einzige Banknoten, die in der Union als gesetzliches Zahnlungsmittel gelten], la disposition nationale exprime l’idée que les billets de banque en euros sont le seul instrument, le seul moyen de paiement (78), ayant cours légal illimité [(Euro)Banknoten sind das einzige unbeschränkte gesetzliche Zahlungsmittel]. Cette différence dans le libellé des dispositions en cause fait apparaître une différence dans leur objectif. Tandis que, comme je l’ai relevé aux points 92 et suivants des présentes conclusions, la disposition de l’Union poursuit fondamentalement des objectifs de garantie et tend à assurer le monopole de la BCE et des banques centrales nationales dans l’émission de billets de banque ayant cours légal, la disposition nationale semblerait, au contraire, avoir pour objectif spécifique de garantir le caractère illimité du cours légal des billets de banque en euros.

150. Cela semble d’ailleurs découler expressément des travaux préparatoires de la disposition nationale susmentionnée, dont il ressort que l’objectif du maintien de la référence au caractère « illimité » du cours légal des billets de banque en euros était précisément celui de compléter la portée de la législation de l’Union (79).

151. Le contexte institutionnel spécifique du SEBC dans lequel s’inscrit cette disposition constitue, dans le droit de l’Union, une construction juridique originale qui associe et fait coopérer étroitement des institutions nationales, à savoir les banques centrales nationales, et une institution de l’Union, la BCE, et à l’intérieur de laquelle il existe une interaction différente et une distinction moins prononcée entre l’ordre juridique de l’Union et les ordres juridiques internes (80). La Commission et la BCE soutiennent que ce contexte pourrait peut-être justifier le fait que, afin d’assurer la sécurité juridique, des dispositions du droit de l’Union soient reproduites de manière exacte dans des dispositions de droit national. Elles reconnaissent que cela constitue une exception par rapport au principe découlant de la jurisprudence selon lequel la reproduction, dans le droit national, d’une règle du droit de l’Union directement applicable dans l’ordre juridique des États membres est contraire aux traités, dans la mesure où cela peut donner lieu à confusion en ce qui concerne tant la nature juridique des dispositions applicables que le moment de leur entrée en vigueur (81). Il est clair qu’une telle reproduction exacte ne devrait pas, en tout état de cause, générer des doutes ou des méprises quant à la source normative des dispositions (82).

152. Toutefois, même en admettant que, dans le contexte particulier du SEBC, cela soit admissible, à la lumière de la lettre de la disposition nationale en cause et des éléments indiqués aux points 147 à 150 des présentes conclusions, il apparaît, sous réserve de l’analyse définitive qui sera menée par le juge de renvoi, que cette disposition ne constitue pas une simple reproduction exacte de dispositions du droit de l’Union, mais qu’elle a une signification et un objectif qui lui sont propres, tendant à compléter la notion de droit de l’Union qu’est la notion de « cours légal » des billets de banque (83).

153. Si le juge de renvoi devait parvenir à la conclusion que c’est le cas, il y aurait lieu, alors, de considérer que l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG est une disposition qui, en raison de son objectif et de son contenu, vient réglementer le cours légal des billets de banque en euros et que, en ce qu’elle empiète donc sur le domaine de compétence exclusive de l’Union en ce qui concerne la politique monétaire, il y a lieu d’écarter son application.

154. Cela dit, j’estime devoir encore observer que je partage la position de la Commission selon laquelle la compétence exclusive de l’Union en ce qui concerne la politique monétaire ne s’oppose pas à ce qu’un État membre, dans l’exercice de sa compétence spécifique pour réglementer le fonctionnement de sa propre administration publique, puisse prévoir – au moyen d’une réglementation qui, de par son objectif et son contenu, ne met pas en place un encadrement du cours légal des billets de banque en euros, mais un ensemble de règles d’organisation de l’administration publique – une obligation, pour cette administration, d’accepter les paiements en espèces de la part de ses administrés.

155. À la lumière de ce qui précède, j’estime qu’il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle posée par le juge de renvoi dans le sensque l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, lu à la lumière de l’article 2, paragraphes 1 et 6, et de l’article 128, paragraphe 1, TFUE, doit être interprété dans le sens que la compétence exclusive attribuée à l’Union dans le domaine de la politique monétaire inclut, dans le cadre des pouvoirs nécessaires à la création et au fonctionnement de la monnaie unique, une dimension normative relative à cette monnaie unique, laquelle comprend la définition et la réglementation du statut et du cours légal de celle-ci et, notamment, des billets de banque et des pièces en euros. Il s’ensuit qu’une disposition de droit national adoptée par un État membre dont la monnaie est l’euro qui, de par son objectif et son contenu, vient réglementer le cours légal des billets de banque en euros n’est pas conforme au droit de l’Union et son application doit donc être écartée. La compétence exclusive de l’Union relative à la politique monétaire ne s’oppose pas à ce qu’un État membre, dans l’exercice de la compétence spécifique pour réglementer le fonctionnement de sa propre administration publique, adopte une disposition de droit national qui, de par son objectif et son contenu, ne constitue pas une réglementation du cours légal des billets de banque en euros, mais une réglementation concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration publique qui prévoit une obligation pour cette administration d’accepter des paiements en espèces de la part de ses administrés.

2.      Sur la deuxième question préjudicielle

156. Par sa deuxième question préjudicielle, le juge de renvoi demande si le cours légal qu’ont les billets de banque libellés en euros en vertu de l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, de l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, des statuts du SEBC et de la BCE et de l’article 10, deuxième phrase, du règlement no 974/98, emporte une interdiction pour les entités publiques d’un État membre de refuser l’exécution, avec de tels billets, d’une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics, ou si le droit de l’Union permet des réglementations qui excluent le paiement avec des billets de banque en euros de certaines obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics.

157. Comme je l’ai observé aux points 26 et 27 des présentes conclusions, il ressort de la décision de renvoi que le juge de renvoi a soulevé la deuxième question préjudicielle en référence à la disposition de l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les procédures de paiement du Hessischer Rundfunk. Ce juge se demande, en effet, si cette disposition, qui prévoit que la redevance audiovisuelle due au Hessischer Rundfunk ne peut être payée que moyennant un prélèvement automatique ou par virement bancaire, ordinaire ou sur ordre permanent, en excluant donc son paiement en espèces, est conforme ou non à la notion de « cours légal » des billets de banque en euros telle qu’elle découle du droit de l’Union.

158. Je relève, à cet égard, que, comme il ressort des points 99 à 125 des présentes conclusions, en l’état actuel du droit de l’Union, la notion de « cours légal » des billets de banque en euros – notion de droit monétaire propre au droit de l’Union et dont la définition relève du domaine de compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire – doit être comprise dans le sens qu’elle comporte une obligation de principe d’acceptation des billets de banque par le créancier d’une obligation de paiement, à moins que les parties au contrat, dans l’exercice de leur autonomie privée, n’aient convenu d’autres moyens de paiement ou à moins qu’une réglementation adoptée par l’Union ou par un État membre, dans l’exercice de leurs compétences respectives, laquelle, de par son objectif et son contenu, ne constitue pas une réglementation du cours légal, prévoie des limitations au paiement en billets de banque pour des motifs d’intérêt public.

159. Il ressort, en outre, des points 127 à 138 des présentes conclusions que, pour être compatibles avec le cours légal des billets de banque en euros, ces limitations ne peuvent pas conduire de jure ou de facto à une abolition complète des billets de banque en euros, doivent être fondées sur des motifs d’intérêt public et ne peuvent être adoptées qu’à condition qu’il existe d’autres moyens légaux de règlement des créances de sommes d’argent. Elles doivent, en outre, être proportionnelles et doivent donc être propres à atteindre l’objectif d’intérêt public poursuivi par la législation et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

160. Il incombe au juge de renvoi, qui dispose de tous les éléments de droit et de fait nécessaires pour effectuer l’analyse à cet égard, de déterminer, sur la base des éventuelles indications fournies par la Cour, la compatibilité avec le droit de l’Union et avec le cours légal des billets de banque en euros d’une disposition nationale qui prévoit des limitations au paiement en espèces.

161. J’estime que, pour ce qui concerne la disposition de l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les procédures de paiement du Hessischer Rundfunk, les considérations suivantes sont pertinentes.

162. En premier lieu, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni d’aucun autre élément du dossier que cette disposition ait pour objectif de réglementer le cours légal des billets de banque en euros et qu’elle empiète, donc, sur le domaine de compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire. Cette disposition, dans la mesure où elle porte sur les modalités de paiement de la redevance audiovisuelle, semble avoir une nature fiscale ou « parafiscale ».

163. En deuxième lieu, bien qu’elle prévoie l’impossibilité absolue de payer en espèces la redevance audiovisuelle à l’organisme régional de radiodiffusion concerné, la disposition en question ne conduit pas manifestement à une abolition des billets de banque en euros et prévoit expressément d’autres moyens légaux de règlement de l’obligation de paiement en question.

164. En troisième lieu, la décision de renvoi n’indique pas expressément l’objectif poursuivi par la mesure de limitation de paiement en billets de banque prévue à l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les procédures de paiement du Hessischer Rundfunk. La décision de renvoi fait simplement référence à la perception de la redevance audiovisuelle dans le cadre de « procédures de masse », en choisissant des modalités de paiement fondées sur une exigence d’efficacité de l’administration publique, également mentionnée par le gouvernement allemand au cours de l’audience. Dans le dossier national et dans les observations des parties qui ont participé à la procédure devant la Cour, il a aussi été question de raisons liées à l’efficacité de la perception des dettes fiscales et de la lutte contre la criminalité.

165. À cet égard, j’estime que ces objectifs peuvent tous être qualifiés de motifs d’intérêt public pouvant justifier des limitations à l’utilisation des espèces.

166. En quatrième lieu, quant à la proportionnalité de la mesure en cause, je relèverai, d’une part, qu’elle prévoit une exclusion qui semble absolue et sans exception des billets de banque en euros pour le paiement de la redevance audiovisuelle. À cet égard, il ne ressort pas du dossier qu’il soit tenu compte de la fonction d’inclusion sociale que les espèces remplissent pour les personnes vulnérables mentionnées aux points 136 à 138 des présentes conclusions (84).

167. À la lumière de tout ce qui précède, j’estime qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle posée par le juge de renvoi dans le sens que la notion de « cours légal » des billets de banque en euros, visée à l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, à l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole no 4 sur les statuts du SEBC et de la BCE, et à l’article 10, deuxième phrase, du règlement no 974/98, doit être comprise dans le sens qu’elle comporte une obligation de principe d’acceptation des billets de banque en euros par le créancier d’une obligation de paiement, à moins que les parties au contrat, dans l’exercice de leur autonomie privée, n’aient convenu d’autres moyens de paiement ou à moins qu’une réglementation adoptée par l’Union ou par un État membre, dans l’exercice de leurs compétences respectives, laquelle, de par son objectif et son contenu, ne constitue pas un encadrement du cours légal, prévoie des limitations au paiement en billets de banque. De telles limitations sont compatibles avec la notion de « cours légal » des billets de banque en euros uniquement à la condition qu’elles ne conduisent pas de jure ou de facto à une abolition complète des billets de banque en euros, qu’elles soient fondées sur des motifs d’intérêt public et qu’il existe d’autres moyens légaux de règlement des créances de sommes d’argent. Elles doivent, en outre, être propres à atteindre l’objectif d’intérêt public poursuivi et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

3.      Sur la troisième question préjudicielle

168. Par sa troisième question préjudicielle, le juge de renvoi demande, en cas de réponse affirmative à la première question et de réponse négative à la deuxième question, si un acte législatif d’un État membre dont la monnaie est l’euro, adopté dans le domaine de compétence exclusive de l’Union pour la politique monétaire, peut être appliqué dès lors et aussi longtemps que l’Union n’a pas fait usage de sa compétence.

169. À la lumière des réponses apportées aux première et deuxième questions préjudicielles, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de répondre à la troisième question préjudicielle.

170. Quoi qu’il en soit, il ressort des points 38 à 44 des présentes conclusions que, dans un domaine de compétence exclusive de l’Union, indépendamment de la circonstance que l’Union ait ou non exercé sa compétence en la matière, les États membres ne disposent d’aucune prérogative et, partant, toute activité normative des États membres dans ce domaine est, a priori, contraire aux traités.

IV.    Conclusion

171. À la lumière de toutes les considérations exposées dans les présentes conclusions, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles soulevées par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) de la façon suivante :

1)      L’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, lu à la lumière de l’article 2, paragraphes 1 et 6, et de l’article 128, paragraphe 1, TFUE, doit être interprété dans le sens que la compétence exclusive attribuée à l’Union dans le domaine de la politique monétaire inclut, dans le cadre des pouvoirs nécessaires à la création et au fonctionnement de la monnaie unique, une dimension normative relative à cette monnaie unique, laquelle comprend la définition et la réglementation du statut et du cours légal de celle-ci et, notamment, des billets de banque et des pièces en euros. Il s’ensuit qu’une disposition de droit national adoptée par un État membre dont la monnaie est l’euro qui, de par son objectif et son contenu, vient réglementer le cours légal des billets de banque en euros n’est pas conforme au droit de l’Union et son application doit donc être écartée.

La compétence exclusive de l’Union relative à la politique monétaire ne s’oppose pas à ce qu’un État membre, dans l’exercice de la compétence spécifique pour réglementer le fonctionnement de sa propre administration publique, adopte une disposition de droit national qui, de par son objectif et son contenu, ne constitue pas une réglementation du cours légal des billets de banque en euros, mais une réglementation concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration publique qui prévoit une obligation pour cette administration d’accepter des paiements en espèces de la part de ses administrés.

2)      La notion de « cours légal » des billets de banque en euros, visée à l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, à l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole no 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, et à l’article 10, deuxième phrase, du règlement (CE) no 974/98 du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’euro, tel que modifié par le règlement (UE) no 827/2014 du Conseil, doit être comprise dans le sens qu’elle comporte une obligation de principe d’acceptation des billets de banque en euros par le créancier d’une obligation de paiement, à moins que les parties au contrat, dans l’exercice de leur autonomie privée, n’aient convenu d’autres moyens de paiement ou à moins qu’une réglementation adoptée par l’Union ou par un État membre, dans l’exercice de leurs compétences respectives, laquelle, de par son objectif et son contenu, ne constitue pas une réglementation du cours légal, prévoie des limitations au paiement en billets de banque. De telles limitations sont compatibles avec la notion de « cours légal » des billets de banque en euros uniquement à la condition qu’elles ne conduisent pas de jure ou de facto à une abolition complète des billets de banque en euros, qu’elles soient fondées sur des motifs d’intérêt public et qu’il existe d’autres moyens légaux de règlement des créances de sommes d’argent. Elles doivent, en outre, être propres à atteindre l’objectif d’intérêt public poursuivi et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.


1      Langue originale : l’italien.


2      JO 1998, L 139, p. 1, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement (UE) no 827/2014 du Conseil (JO 2014, L 228, p. 3), ci-après le « règlement 974/98 ».


3      JO 1998, L 189, p. 42.


4      JO 2010, L 83, p. 70.


5      BGBl. I, p. 1782.


6      La version originale de l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG prévoit que « Auf Euro lautende Banknoten sind das einzige unbeschränkte gesetzliche Zahlungsmittel ». L’expression « cours légal » (en langue italienne « corso legale »), qui possède une signification juridique spécifique, correspond, en langue allemande, à l’expression « Gesetzliches Zahlungsmittel », dont la traduction littérale serait toutefois « moyen légal de paiement » (en langue italienne, « mezzo di pagamento legale »). Il convient de bien garder à l’esprit cette différence terminologique dans les différentes langues, car elle complique le travail de traduction et, à défaut d’être dûment prise en considération, peut donner lieu à une confusion de nature linguistique.


7      Tel qu’adopté par le Land Hessen (Land de Hesse, Allemagne) par la loi du 23 août 2011 (GVBl. I, 2011, p. 382). La version applicable aux faits de l’espèce est celle du Fünfzehnter Rundfunkänderungsstaatsvertrag (quinzième traité entre les États fédérés modificatif en matière de radiodiffusion).


8      Le juge de renvoi rappelle qu’en vertu de l’article 31 du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne), le droit fédéral prime le droit du Land.


9      L’exigence de « rendre plus claire la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, la simplifier et l’ajuster » avait déjà été soulignée par la déclaration de Laeken sur le futur de l’Union européenne, jointe en annexe des conclusions de la Présidence du Conseil européen de Laeken des 14 et 15 décembre 2001 (SN 300/1/01, Rev. 1 ; voir p. 3 de la déclaration) et, avant cela, dans des termes similaires, par la déclaration 23 du traité de Nice (JO 2001, C 80, p. 1).


10      Voir titre I (« Catégories et domaines de compétences de l’Union ») de la première partie de ce traité (« Les principes »).


11      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’avis 2/15 (Accord de libre‑échange avec Singapour) (EU:C:2016:992, notamment points 55 et 57).


12      À ces compétences s’ajoutent celle en matière de définition des modalités de la coordination des politiques économiques et de l’emploi des États membres, prévue à l’article 2, paragraphe 3, et à l’article 5 TFUE et la compétence en matière de politique étrangère et de sécurité commune prévue à l’article 2, paragraphe 4, et par le titre V du traité UE.


13      En effet, comme il ressort de l’article 2, paragraphe 2, deuxième et troisième phrases, TFUE, mentionné au point 37 des présentes conclusions, dans ce cas, les États membres perdent leurs prérogatives dans le domaine de compétence en question médiatement, c’est-à-dire seulement dans la mesure où l’Union a exercé, expressément ou implicitement, la compétence qui lui était attribuée. Il ressort, ensuite, de la dernière phrase de ce paragraphe, que cette perte de compétence est réversible. À cet égard, voir conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’avis 2/15 (Accord de libre‑échange avec Singapour) (EU:C:2016:992, point 59).


14      Voir, à cet égard, avis 1/75 (Arrangement OCDE – Norme pour les dépenses locales), du 11 novembre 1975 (EU:C:1975:145/75, p. 1363 et 1364).


15      Voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 1976, Donckerwolcke et Schou (41/76, EU:C:1976:182, point 32) ; du 17 octobre 1995, Werner (C‑70/94, EU:C:1995:328, point 12), et du 17 octobre 1995, Leifer e.a. (C‑83/94, EU:C:1995:329, point 12).


16      Pour un exemple d’habilitation conférée par l’Union aux États membres dans un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union [en matière de conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche, compétence exclusive de l’Union conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous d), TFUE], voir article 5, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22).


17      Voir, à cet égard, arrêt du 5 mai 1981, Commission/Royaume Uni (804/79, EU:C:1981:93, point 20).


18      Voir, à cet égard, arrêt du 5 mai 1981, Commission/Royaume Uni (804/79, EU:C:1981:93, point 30). Il est clair que, dans le cas où l’adoption d’une mesure dans un domaine de compétence exclusive se révèle nécessaire, une éventuelle inaction de la part du législateur de l’Union est susceptible de créer des problèmes en l’absence d’une autre autorité compétente pour adopter cette mesure. C’est pourquoi le caractère exclusif d’une compétence de l’Union doit rester limité à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Union.


19      Dans le cadre de l’Union économique et monétaire, la Cour a en effet relevé à maintes reprises que des mesures de politique monétaire relevant du domaine de compétence exclusive de l’Union peuvent produire des effets indirects qui peuvent être aussi bien recherchés dans le cadre de la politique économique, qui demeure la compétence des États membres, et inversement [voir arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 56) ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 52), et du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 60 à 67)].


20      Voir point 44 de mes récentes conclusions dans les affaires jointes Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. et K. Chrysostomides & Co. e.a./Conseil e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:390). À cet égard, voir également point 151 des présentes conclusions.


21      À cet égard, voir, entre autres, arrêts du 13 avril 2010, Bressol e.a. (C‑73/08, EU:C:2010:181, point 28 et jurisprudence citée) ; du 5 juin 2018, Coman e.a. (C‑673/16, EU:C:2018:385, points 37 et 38, ainsi que jurisprudence citée), et du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite) (C‑451/16, EU:C:2018:492, point 29 et jurisprudence citée).


22      Arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 50), et du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 35).


23      Arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 53) ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 42), et du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 50).


24      Arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 49) ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 36), et du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 48).


25      Arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, points 53 et 55) ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 46), et du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 53).


26      L’existence, dans les traités, de deux notions différentes réunies sous la même expression de « politique monétaire » (« monetary policy », en langue anglaise ; « politica monetaria », en langue italienne), l’une « au sens large » et incluant l’autre « au sens strict », est confirmée par le fait que, dans la version en langue allemande, ces deux notions sont désignées par des termes différents, respectivement « Währungspolitik » et « Geldpolitik ».


27      Arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 48) ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 34), et du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 46).


28      Sur le fondement de cette disposition, différentes réglementations ont été adoptées, parmi lesquelles figure le règlement (UE) no 1210/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010, concernant l’authentification des pièces en euros et le traitement des pièces en euros impropres à la circulation (JO 2010, L 339, p. 1) ; le règlement (UE) no 651/2012, du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, concernant l’émission de pièces en euros (JO 2012, L 201, p. 135) ; le règlement (UE) no 331/2014, du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2014, établissant un programme d’action en matière d’échanges, d’assistance et de formation, pour la protection de l’euro contre le faux monnayage (programme Pericles 2020) et abrogeant les décisions du Conseil 2001/923/CE, 2001/924/CE, 2006/75/CE, 2006/76/CE, 2006/849/CE et 2006/850/CE (JO 2014, L 103, p. 1).


29      À cet égard, voir le rapport des représentants des ministères de Finances et des banques centrales nationales de la zone euro mentionné au considérant 4 de la recommandation 2010/191 et, notamment, le point 2.1.1(a), p. 3 de ce rapport.


30      Voir également préambule des traités et article 140, paragraphe 3, TFUE.


31      Déjà d’un simple point de vue terminologique, le terme « monnaie » (en langue italienne, « moneta ») peut donner lieu à des confusions, dans la mesure où dans d’autres langues il peut être traduit par des termes différents, à savoir, d’une part, dans le sens de « devise », c’est-à-dire de monnaie légale dans un pays ou une union monétaire déterminée (« currency », en langue anglaise ; « Währung », en langue allemande ; ce sont là les termes correspondant au terme « monnaie » utilisés pour désigner l’euro). D’autre part, le terme « monnaie » peut être traduit dans le sens, utilisé dans le langage courant dans l’acception plus générale d’« argent » (« money », en langue anglaise ; « Geld », en langue allemande). En réalité, les deux sens du terme « monnaie » sont liés entre eux [voir Siekmann, H., dans Freitag, R., et Omlor, S., The Euro as a Legal Tender – A Comparative Approach to a Uniform Concept (2020), p. 8 et 9].


32      Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64/CE (JO 2015, L 337, p. 35).


33      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE, et abrogeant la directive 2000/46/CE (JO 2009, L 267, p. 7). Voir, spécifiquement, article 2, point 2, de cette directive.


34      Voir note 31 des présentes conclusions.


35      Voir Éthique à Nicomaque, livre V, section 5, reprise, au Moyen Âge, par Thomas d’Aquin dans la Somme théologique  (II-II, argument 78, article 1.7).


36      Généralement attribuée à Knapp, G. F., Staatliche Theorie des Geldes (1905). À cet égard, voir, toutefois, Siekmann, H., « Restricting the Use of Cash in the European Monetary Union : Legal Aspects », dans Rövenkamp, F., Bälz, M., et Hilpert, H. G., Cash in East Asia (2017), p. 157 et suiv., où se trouvent de nombreuses autres références de doctrine. Sur la notion de « monnaie » et sur les différentes théories juridiques de la monnaie, voir également le premier chapitre de Proctor, C., Mann on the Legal Aspect of Money, Oxford University Press, Oxford, 6e éd. (2005), 2012.


37      Initialement, la monnaie était constituée par ce qu’on appelait la « monnaie marchandise », à savoir un objet fabriqué en un matériau qui avait une valeur de marché, notamment les pièces d’or ; ensuite, la monnaie est devenue une « monnaie représentative », c’est-à-dire une monnaie constituée par des billets de banque qui pouvaient être échangés contre une certaine quantité d’or ou d’argent. À cet égard, pour un aperçu rapide, voir le document explicatif de la BCE intitulé « Qu’est-ce que la monnaie ? » (https://www.ecb.europa.eu/explainers/tell-me-more/html/what_is_money.fr.html).


38      La monnaie fiduciaire n’a pas de valeur intrinsèque – le papier utilisé pour la fabrication des billets n’ayant en principe aucune valeur –, mais elle est acceptée en échange de biens et de services, car la population fait confiance à la banque centrale en ce qui concerne le maintien de la stabilité de la monnaie sur la durée. Si les banques centrales échouaient dans cette mission, la monnaie fiduciaire perdrait son « acceptabilité » en tant que moyen d’échange et son attrait comme réserve de valeur.


39      Voir, à cet égard, Esselink, H., et Hernández, L., The Use of Cash by Households in the Euro Area, Occasional Paper Series de la BCE, no 201 de novembre 2017 (téléchargeable grâce au présent lien hypertexte : https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpops/ecb.op201.en.pdf), p. 18 et suiv.


40      Au mois de novembre 2017, les dépôts dans les institutions financières monétaires (IFM) dans la zone euro s’élevaient à 17 500 milliards d’euros, contre les quelque 1 100 milliards d’euros d’espèces en circulation (voir, à cet égard, la leçon d’Yves Mersch, membre du comité exécutif de la BCE, intitulée Virtual or Virtueless ? The Evolution of Money in the Digital Age, téléchargeable à l’adresse https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2018/html/ecb.sp180208.en.html).


41      À cet égard, parmi de nombreuses études, voir celle, publiée par le Fonds monétaire international, de Adrian, T., et Mancini-Griffoli, T., The Rise of Digital Money, Fintech Notes, Notes 19/01, du mois de juillet 2019, téléchargeable à l’adresse https://www.imf.org/en/Publications/fintech-notes/Issues/2019/07/12/The-Rise-of-Digital-Money-47097, et les références qui y sont citées.


42      À cet égard, à titre d’exemples, voir communiqué commun de la République française et de la République fédérale d’Allemagne du 13 septembre 2019 sur Libra, et projet de cryptomonnaie lancé par Facebook avec un consortium d’autres entreprises et organismes non gouvernementaux.


43      Il ressort d’articles de presse très récents, d’une part, que la République populaire de Chine a entamé l’exécution d’un programme pilote dans différentes villes tendant à l’introduction d’une monnaie digitale – Central Bank Digital Currency (CBDC) –, lequel se trouve dans une phase déjà avancée, et, d’autre part, que, même à la suite de ce projet, le débat aux États-Unis concernant l’introduction d’un dollar digital s’est considérablement intensifié (le Sénat des États-Unis a tenu une audition à cet égard le 22 juillet 2020, voir https://www.banking.senate.gov/hearings/us-china-winning-the-economic-competition). Cette question présente sans aucun doute des aspects géopolitiques très importants et sensibles. Sur l’impact potentiellement foudroyant sur le système monétaire de l’introduction d’une CBDC, voir, entre autres, la très récente étude du mois de juin 2020 publiée par la Federal Reserve Bank of Philadelphia, Central Bank Digital Currency: Central Banking For All, téléchargeable à l’adresse https://www.philadelphiafed.org/-/media/research-and-data/publications/working-papers/2020/wp20‑19.pdf.


44      Cette discussion a eu lieu au Conseil Ecofin du mois de décembre 2019 (voir, à cet égard, note de la BCE préparée pour cette réunion et intitulée « Innovation and its impact on the European retail payment landscapecom », téléchargeable à l’adresse https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/ecb.other191204~f6a84c14a7.en.pdf). Voir également, à cet égard, discours tenu par Yves Mersch, membre du comité exécutif de la BCE, intitulé « An ECB digital currency  a flight of fancy ? », téléchargeable sur le site https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2020/html/ecb.sp200511~01209cb324.en.html.


45      À cet égard, voir la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen (sommet euro), au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Vers un renforcement du rôle international de l’euro, du 5 décembre 2018 [COM(2018) 796 final].


46      Une obligation de paiement peut légalement être exécutée soit en utilisant la monnaie unique sous sa forme physique (c’est-à-dire en espèces), soit au moyen de la monnaie unique sous une forme non physique (donc, notamment, moyennant un transfert de monnaie non physique au moyen d’un virement bancaire).


47      Voir, à cet égard, les débats qui ont eu lieu dans le cadre du groupe de travail constitué par les représentants des ministères des Finances et des banques centrales nationales de la zone euro, mentionné au considérant 4 de la recommandation 2010/191/UE (voir rapport mentionné à la note 29 des présentes conclusions). Ce rapport fait apparaître que les experts nationaux considéraient que la notion de « cours légal » était une notion généralement acceptée en droit national, mais qu’il existait des différences dans les traditions juridiques et dans les habitudes des consommateurs dans les différents États membres. À cet égard, voir Angel, B. et Margerit, A., « Quelle est la portée du cours légal de l’euro ? » dans Revue du Marché commun et de l’Union européenne, no 532/2009, en particulier, p. 589 et 590.


48      Voir, par analogie, arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 154).


49      À cet égard, voir décision 2011/67/UE de la Banque centrale européenne, du 13 décembre 2010, relative à l’émission des billets en euros (JO 2011, L 35, p. 26).


50      Historiquement, ladite disposition avait également pour fonction de garantir au niveau constitutionnel la substitution totale de l’euro aux monnaies nationales des États membres qui ont adopté l’euro comme monnaie unique.


51      Il convient de relever, à cet égard, que les pièces se sont vu accorder le cours légal, au niveau du droit secondaire, par l’article 11 du règlement no 974/98. Les pièces sont, par ailleurs, expressément prévues à l’article 128, paragraphe 2, TFUE.


52      Je relèverai, à cet égard, qu’il ressort de la lettre même de l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE que cette disposition prévoit que les billets de banque en euros émis par la BCE ou par les banques centrales nationales sont les seuls (die einzige Banknoten) à avoir cours légal dans l’Union. Il ne ressort pas de cette disposition que ces billets de banque sont le seul instrument à avoir cours légal dans l’Union, ce qui du reste est confirmé par l’attribution du cours légal également aux pièces.


53      Cette interprétation est conforme à l’exigence de flexibilité dont doit disposer le droit de l’Union pour s’adapter aux exigences découlant des mutations induites par le développement technologique qui, comme je le disais au point 82 des présentes conclusions, sont extrêmement rapides dans la réalité économique.


54      Voir, notamment, considérant 5 de la directive 2015/2366, ainsi que Livre vert de la Commission du 11 novembre 2012, « Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile » [COM(2011) 941 final].


55      Cette réglementation analytique a entraîné un niveau de sécurité des transactions et une diffusion de leur utilisation tels que certains ont pu considérer que la monnaie scripturale doit désormais être considérée comme ayant cours légal. Voir, notamment, De Stasio, V., « Verso un concetto europeo di moneta legale : valute virtuali, monete complementari e regole di adempimento », dans Banca borsa titoli di credito, 2018, en particulier p. 751.


56      La Cour n’a pas encore eu l’occasion de se pencher directement sur cette notion de droit de l’Union, mais elle l’a mentionnée incidemment dans des affaires relatives à la libre circulation des marchandises [arrêt du 23 novembre 1978, Thompson e.a. (7/78, EU:C:1978:209)], en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) [arrêts du 14 juillet 1998, First National Bank of Chicago (C‑172/96, EU:C:1998:354, point 25), et du 22 octobre 2015, Hedqvist (C‑264/14, EU:C:2015:718, points 25, 44 et suiv.)], et en matière de transports [arrêt du 15 novembre 2018, Verbraucherzentrale Baden-Württemberg (C‑330/17, EU:C:2018:916)].


57      Arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi (C‑322/88, EU:C:1989:646, points 7, 16 et 18) ; du 21 janvier 1993, Deutsche Shell (C‑188/91, EU:C:1993:24, point 18) ; du 11 septembre 2003, Altair Chimica (C‑207/01, EU:C:2003:451, point 41), et du 24 avril 2008, Arcor (C‑55/06, EU:C:2008:244, point 94).


58      Arrêt du 6 septembre 2012, Chemische Fabrik Kreussler (C‑308/11, EU:C:2012:548, point 25).


59      Voir p. 4 du rapport des experts nationaux cité à la note 29 des présentes conclusions.


60      Voir arrêt du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission (C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, point 75) et, dans le même sens, voir arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, EU:C:2006:10, point 76). Voir, également, arrêts du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 42 in fine), et du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar (C‑482/09, EU:C:2011:605, points 40 et suiv.).


61      Voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Mowi/Commission (C‑10/18 P, EU:C:2020:149, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée).


62      À cet égard, comme cela a d’ailleurs été indiqué à l’audience par toutes les parties intervenues et comme il ressort de la jurisprudence de la Cour mentionnée aux points 113 et 114 ci-dessus, un considérant ne saurait prévaloir sur une règle de droit à proprement parler, a fortiori de droit primaire. Toutefois, il peut être utilisé pour interpréter une notion de l’acte qui le contient, qui est prévue tant par le droit primaire que par le droit dérivé et qui, à ce titre, doit être entendue de manière unitaire et uniforme. Il y a lieu d’observer également, à cet égard, que l’article 10, deuxième phrase, du règlement no 974/98 reprend textuellement, d’une façon qui peut être définie comme déclaratoire, la disposition contenue dans l’article 106 CE, qui était en vigueur au moment de l’adoption de ce règlement et qui est devenue, ensuite, l’article 128 TFUE.


63      Il ne ressort d’aucun élément, pas même des travaux préparatoires du règlement no 974/98, que ce considérant doit avoir seulement une portée transitoire, comme l’ont soutenu les requérants devant le juge de renvoi.


64      Il convient de relever, à cet égard, que, comme l’a observé à juste titre la Commission à l’audience, le considérant 19 fait référence à des motifs « d’intérêt public » (en langue italienne, « interesse pubblico » ; en langue anglaise, « public reason » ; en langue espagnole, « interés público » ; en langue portugaise, « interesse público »). Dans la mesure où la version en langue allemande de ce considérant fait référence à des motifs d’ordre public (Gründen der öffentlichen Ordnung), elle utilise une notion trop restrictive qui n’est pas conforme à la signification de l’expression utilisée dans la majorité des versions linguistiques de l’acte normatif en question.


65      À cet égard, voir, par analogie, arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2005:542, points 41 à 53), et du 6 mai 2014, Commission/Parlement et Conseil (C‑43/12, EU:C:2014:298, points 32 à 42).


66      Directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73). En vertu de l’article 11, sous c), de cette directive, les États membres veillent à ce que les entités assujetties appliquent des mesures de vigilance à l’égard de leur clientèle, entre autres, inter alia, dans le cas de personnes négociant des biens, lorsqu’elles exécutent, à titre occasionnel, des transactions en espèces d’un montant égal ou supérieur à 10 000 euros, que la transaction soit exécutée en une seule ou en plusieurs opérations qui semblent être liées.


67      Voir règlement (UE) 2018/1672 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou sortant de l’Union et abrogeant le règlement (CE) no 1889/2005 (JO 2018, L 284 p. 6).


68      Une liste de réglementations de ce type en vigueur dans les différents États membres (d’ailleurs actualisée en 2016) se trouve dans le document du Bundestag (Parlement fédéral, Allemagne) concernant le débat sur les limitations au paiement en espèces (Diskussion über die Begrenzung von Bargeldzahlungen ; WD 4 – 3000 – 043/16, p. 8 et 9).


69      Comme l’a observé à juste titre le gouvernement allemand lorsque, à l’audience, il a qualifié la fonction des espèces de « Auffangfunktion » (fonction résiduelle).


70      Voir note 64 des présentes conclusions.


71      Voir, entre autres, arrêts du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 46) ; du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 67 et jurisprudence citée), ainsi que du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 72).


72      Comme cela ressort de la jurisprudence de la Cour portant sur le contrôle des mesures adoptées par un État membre, dans l’exercice de ses compétences, imposant des limitations à l’une des libertés fondamentales garanties par les traités pour poursuivre un intérêt général. Voir, à titre d’exemple, entre autres, arrêts du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative) (C‑78/18, EU:C:2020:476, point 76), et du 22 novembre 2018, Huijbrechts (C‑679/17, EU:C:2018:940, points 30 et 36). Sur l’application du principe de proportionnalité en ce qui concerne l’action étatique, voir également conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:440, point 48 et jurisprudence citée).


73      Ainsi, notamment, la fonction de réserve de valeur, qui est généralement mise en relation avec le droit de propriété, garanti en droit de l’Union par l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est remplie principalement par la monnaie sous une forme non physique (voir données mentionnées à la note 40 des présentes conclusions) et n’est pas nécessairement liée à la monnaie sous forme d’espèces. Il en va de même, selon moi, de l’exercice des droits fondamentaux existentiels tels que la liberté professionnelle ou la liberté d’action en général. À cet égard, il est vrai que c’est la monnaie sous la forme physique des espèces, et non celle scripturale ou électronique, qui constitue actuellement la seule forme de monnaie de banque centrale dans l’Union et qui n’est pas sujette, partant, au risque de faillite de l’établissement qui gère le compte. Toutefois, ce risque – lequel, notamment en raison des dispositions de régulation strictes qui s’appliquent à ces établissements, peut être considéré comme marginal – ne limite pas la possibilité d’utiliser d’autres formes de monnaie ou d’autres moyens de paiement pour la jouissance des droits fondamentaux en cause, comme le montre du reste l’utilisation très répandue, et toujours croissante, de formes de monnaie différentes des espèces dans les activités impliquant la jouissance de droits fondamentaux. En outre, l’utilisation des espèces tant comme réserve de valeur que comme moyen de paiement est elle‑même sujette à des risques (comme les risques de vol ou de vol aggravé), surtout dans le cas de paiements de montants importants. Pour ce qui concerne le respect de la vie privée, si dans certains cas l’utilisation des espèces peut garantir, en raison de son anonymat, un niveau de protection plus élevé de ce droit par rapport à d’autres moyens de paiement, ledit droit ne semble toutefois pas en jeu dans une situation comme celle dont est saisi le juge de renvoi, situation où l’autorité publique à laquelle doit être versée la redevance audiovisuelle a déjà connaissance des données relatives aux débiteurs de cette redevance.


74      Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (JO 2014, L 257, p. 214). Voir, en particulier, article 2, paragraphe 2, article 16 et considérants 9, 46 et 48 de cette directive.


75      Voir, spécifiquement, considérant 46 ainsi que article 18, paragraphe 4, et article 20, paragraphe 1, de la directive 2014/92.


76      Il ressort ainsi d’une étude de la BCE de 2017 que, dans la zone euro, 3,64 % des foyers n’avaient pas accès à des services bancaires ou financiers (en Allemagne : 0,96 % ; voir Ampudia, M., Ehrmann, M., Financial inclusion: what’s it worth ? Working Paper Series de la BCE, no 1990, janvier 2017, voir spécifiquement table 1 ; ce document peut être téléchargé à l’adresse https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecbwp1990.en.pdf). Une autre source fait apparaître qu’au cours de l’année 2016, dans l’Union, environ 36,5 millions de personnes (dont 850 000 personnes en Allemagne) n’avaient pas accès aux services financiers (unbanked persons – personnes non bancarisées). Voir https://www.wsbi-esbg.org/press/latest-news/Pages/Close-to-40-million-EU-citizens-outside-banking-mainstream.aspx.


77      En général, sur l’obligation de consultation de la BCE, voir points 131 et suiv. des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/BCE (C‑11/00, EU:C:2002:556).


78      Sur les différences terminologiques entre les versions en langues italienne, française et allemande, voir note 6 des présentes conclusions.


79      Il ressort ainsi des explications relatives au projet de loi sur la modification des dispositions de droit monétaire à la suite de l’introduction des espèces en euros [Entwurf eines Gesetzes über die Änderung währungsrechtlicher Vorschriften infolge der Einführung des Euro-Bargeldes (Drittes Euro-Einführungsgesetz – Drittes EuroEG) ; Deutscher Bundestag, Drucksache 14/673] que la référence au caractère « illimité » du cours légal a été maintenue pour des raisons de clarté du droit dans la mesure où une réglementation explicite dans le droit communautaire faisait défaut (voir « Zu Artikel 3 », p. 15, troisième alinéa).


80      Arrêt du 26 février 2019, Rimšēvičs et BCE/Lettonie (C‑202/18 et C‑238/18, EU:C:2019:139, point 69).


81      Voir, à cet égard, arrêts du 7 février 1973, Commission/Italie (39/72, EU:C:1973:13, points 16 et 17), ainsi que du 10 octobre 1973, Variola (34/73, EU:C:1973:101, points 9 à 11).


82      Il ressort des informations fournies par la Commission que, par le passé, les institutions ont accepté, dans le contexte particulier du SEBC, que certaines dispositions du droit de l’Union soient reproduites dans les statuts des banques centrales nationales. Voir, à cet égard, rapport de la BCE sur la convergence, de mai 2018, p. 19 (https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/conrep/ecb.cr201805.fr.pdf).


83      À cet égard, il convient également d’observer que, comme l’a relevé la Commission, dans le cadre de son pouvoir consultatif à titre liminaire, mentionné au point 139 des présentes conclusions, la BCE a analysé, à maintes reprises, le BBankG, sans d’ailleurs jamais prendre position sur le cours légal (voir avis CON/99/10, du 3 septembre 1999, ainsi que CON/2011/92, du 11 novembre 2011, et, auparavant, avis de l’Institut monétaire européen CON/97/10, du 30 mai 1997).


84      À cet égard, il convient également de relever que les requérants dans la procédure au principal ne semblent pas appartenir à cette catégorie de personnes, l’appréciation de cette circonstance incombant au juge de renvoi. Il ne ressort nullement du dossier que les requérants aient jamais fait valoir ne pas être en mesure de payer la redevance audiovisuelle faute d’avoir accès à des services financiers de base.