Language of document : ECLI:EU:T:2023:779

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 décembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur la liste – Notion de “femme ou homme d’affaires influents” – Article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement (UE) no 269/2014 – Exception d’illégalité – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Droit de propriété – Liberté d’entreprise – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑359/22,

Evgeny Borisovich Zubitskiy, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes P. Zeller et D. Reingewirtz, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Lejeune, M. V. Piessevaux et Mme X. Chamodraka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. D. Spielmann (rapporteur), président, Mme M. Brkan et M. I. Gâlea, juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 13 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Evgeny Borisovich Zubitskiy, demande l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil, du 8 avril 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 3, ci-après le « règlement d’exécution attaqué »), en tant que cet acte le concerne.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

4        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

5        Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

6        Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1) et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

7        L’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2022/329 a introduit le critère d’inscription prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145. Cette dernière disposition prévoit ce qui suit :

« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

8        De même, l’article 1er du règlement 2022/330 a introduit le critère d’inscription prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 [ci-après le « critère g) »]. Cette dernière disposition prévoit ce qui suit :

« L’annexe I [du règlement no 269/2014] comprend :

[…]

g)      les femmes et hommes d’affaires influents, les personnes morales, les entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

9        Le 8 avril 2022, le Conseil a adopté le règlement d’exécution attaqué, par lequel le nom du requérant a été ajouté sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 (ci-après la « liste litigieuse »). Les motifs d’inscription du nom du requérant sur ladite liste sont les suivants :

« [Le requérant] est copropriétaire, président du conseil d’administration et PDG d’Industrial Metallurgical Holding (PMH). Il est actionnaire du groupe Koks, la société mère de PMH et le plus grand producteur russe de coke commercialisable, fondée par Boris Zubitsky, député à la Douma d’État. Il est donc un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. »

10      Le 11 avril 2022, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 modifiée par la décision (PESC) 2022/582 du Conseil et par le règlement no 269/2014 mis en œuvre par le règlement d’exécution attaqué (JO 2022, C 157, p. 11).

11      Par courriel du 4 mai 2022, le requérant a demandé au Conseil de lui communiquer le dossier de preuves sur la base duquel celui-ci avait décidé de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse. Le Conseil a communiqué au requérant ce dossier, portant la référence WK 5057/2022 (ci-après le « dossier de preuves »), le 19 mai 2022.

 Conclusions des parties

12      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement d’exécution attaqué en ce qu’il le concerne ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

13      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

14      À l’appui du recours, le requérant invoque quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une exception d’illégalité de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2022/329. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré d’erreurs de droit, d’erreurs manifestes d’appréciation et d’inexactitudes matérielles. Le quatrième moyen est tiré d’une violation du droit de propriété, de la liberté d’entreprise et du principe de proportionnalité.

 Sur le premier moyen, tiré d’une exception d’illégalité de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2022/329

15      Le requérant soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2022/329 et demande que cette disposition soit déclarée inapplicable à son égard, pour autant qu’elle a introduit le critère d’inscription prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, tel que modifié par la décision 2022/329, sur le fondement duquel aurait été adopté le règlement d’exécution attaqué.

16      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

17      Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

18      L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’un acte contre lequel elle peut former un recours, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui constituent la base juridique de l’acte attaqué, si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).

19      En l’espèce, à l’appui de sa demande d’annulation du règlement d’exécution attaqué, le requérant excipe, à la fois dans la requête, dans la réplique et lors de l’audience, de l’illégalité de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2022/329, en tant que cette disposition introduit le critère d’inscription prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée.

20      Or, bien que, à la fois l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, tel que modifié par la décision 2022/329, et l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, énoncent, dans des termes quasiment identiques, un même critère d’inscription sur les listes des personnes ou des entités faisant l’objet de mesures restrictives, le règlement d’exécution attaqué a été adopté sur le fondement du critère prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330.

21      Il s’ensuit qu’il n’existe pas de lien juridique direct, au sens de la jurisprudence rappelée au point 18 ci-dessus, entre la disposition contre laquelle l’exception d’illégalité est dirigée, à savoir l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2022/329, et le règlement d’exécution attaqué [voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 146 (non publié)].

22      Les circonstances invoquées par le requérant, selon lesquelles, d’une part, le règlement 2022/330 n’est pas expressément visé dans le règlement d’exécution attaqué et, d’autre part, la décision 2022/329 est mentionnée dans les considérants dudit règlement d’exécution sont sans influence à cet égard.

23      En effet, d’une part, force est de constater que le règlement no 269/2014 est expressément visé dans le règlement d’exécution attaqué. Dès lors, le requérant, voire ses conseils, ne pouvaient ignorer que cette référence s’entendait comme étant faite à la version du règlement no 269/2014 en vigueur au jour de l’adoption du règlement d’exécution attaqué, c’est-à-dire tel que modifié par le règlement 2022/330.

24      D’autre part, indépendamment de la mention de la décision 2022/329 au considérant 5 du règlement d’exécution attaqué, il ressort expressément de l’article 1er dudit règlement que le nom du requérant a été inscrit sur la liste litigieuse, annexée au règlement no 269/2014.

25      Partant, le premier moyen doit être écarté comme irrecevable.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

26      Le requérant soutient que l’inscription de son nom sur la liste litigieuse est entachée de violations de l’obligation de motivation. Premièrement, l’existence d’une contradiction entre le considérant 11 de la décision 2022/329 et le libellé vague et imprécis du critère g) empêcherait le requérant de comprendre les véritables motifs justifiant l’inscription de son nom sur la liste litigieuse. Deuxièmement, la notion d’« homme d’affaires influent » serait purement abstraite et ne lui permettrait donc pas de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. Troisièmement, la motivation de l’inscription de son nom sur cette liste sur le fondement du critère g) ne viserait pas sa situation personnelle, mais serait, au contraire, formulée de manière générale et stéréotypée.

27      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

28      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 50 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 47 et jurisprudence citée).

29      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

30      Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 104 et jurisprudence citée).

31      En outre, la jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 105 et jurisprudence citée).

32      En l’espèce, il convient de rappeler que la motivation de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse est la suivante :

« [Le requérant] est copropriétaire, président du conseil d’administration et PDG d’Industrial Metallurgical Holding (PMH). Il est actionnaire du groupe Koks, la société mère de PMH et le plus grand producteur russe de coke commercialisable, fondée par Boris Zubitsky, député à la Douma d’État. Il est donc un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. »

33      Premièrement, s’agissant de l’argument tiré d’une prétendue contradiction entre le considérant 11 de la décision 2022/329, qui viserait les personnes et les entités qui fournissent elles-mêmes une source substantielle de revenus à ce gouvernement, et le libellé du critère g), il convient de rappeler que le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (voir arrêt du 24 novembre 2005, Deutsches Milch-Kontor, C‑136/04, EU:C:2005:716, point 32 et jurisprudence citée).

34      Au demeurant, il convient de considérer qu’aucune contradiction ne résulte de la comparaison du libellé du considérant 11 de la décision 2022/329 avec le libellé du critère g). En effet, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne ressort pas du libellé de ce considérant que celui-ci viserait seulement la fourniture directe et personnelle au gouvernement de la Fédération de Russie d’une source substantielle de revenus uniquement par les personnes et les entités visées par les mesures restrictives, ce qui exclurait la fourniture d’une telle source de revenus par le biais d’activités dans un secteur important pour l’économie de ce pays.

35      Partant, l’argument du requérant tiré d’une violation de l’obligation de motivation tirée de la différence de formulation entre les libellés du considérant 11 et du critère g) doit être écarté.

36      Deuxièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce que la notion d’« homme d’affaires influent » serait purement abstraite et ne permettrait donc pas au requérant de comprendre la portée de la mesure prise à son égard, il convient de constater que, ainsi que le souligne le Conseil, le contexte général l’ayant conduit à adopter les mesures restrictives en cause est exposé dans le préambule du règlement d’exécution attaqué.

37      En outre, le critère g), sur le fondement duquel le nom du requérant a été inscrit sur la liste litigieuse, vise une catégorie bien précise de personnes, à savoir les femmes et hommes d’affaires influents ou les personnes morales, les entités ou les organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe.

38      Par ailleurs, eu égard au libellé du critère g), il y a lieu de considérer que les personnes visées doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157 et jurisprudence citée).

39      Il en résulte que la notion d’« homme d’affaires influent » est, tout comme le critère g) dans son ensemble, d’un sens clair et aisément compréhensible. Partant, le requérant ne saurait utilement soutenir que le règlement d’exécution attaqué est entaché d’une violation de l’obligation de motivation en raison du caractère prétendument vague du libellé du critère g).

40      Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel la motivation de l’inscription du nom du requérant sur cette liste serait formulée de manière générale et stéréotypée, il convient de considérer que la motivation citée au point 32 ci-dessus a permis au requérant de comprendre que son nom avait été inscrit sur la liste litigieuse en raison du fait qu’il était le président du conseil d’administration et le président-directeur général d’une filiale d’un groupe industriel, dont il est par ailleurs actionnaire et qui est le plus grand producteur russe de coke commercialisable, fondé par son père, ancien député à la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie. Une telle motivation ne saurait être qualifiée de générale ou de stéréotypée.

41      Dès lors, il y a lieu de considérer que la motivation citée au point 32 ci-dessus a permis au requérant de comprendre suffisamment les circonstances étayant l’inscription de son nom sur la liste litigieuse au titre du critère g).

42      Il en résulte que le règlement d’exécution attaqué est suffisamment motivé et que, dès lors, le deuxième moyen doit être écarté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation, d’erreurs de droit et d’inexactitudes matérielles

43      Le requérant conteste le bien-fondé de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse au titre du critère g). En substance, il reproche au Conseil de n’avoir pas réuni d’éléments suffisamment concrets, précis et concordants pour justifier l’inscription de son nom sur cette liste, de s’être fondé sur des éléments de preuve dépourvus de fiabilité ou de crédibilité et d’avoir commis des erreurs manifestes d’appréciation ainsi que des erreurs de droit.

 Considérations liminaires

44      Selon une jurisprudence constante, le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis. Cependant, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, points 54 et 55 et jurisprudence citée).

45      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

46      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

47      L’appréciation du bien-fondé de ces motifs doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure restrictive et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

48      Toutefois, le contexte des mesures en cause doit être pris en compte et le degré de preuve pouvant être exigé du Conseil doit être adapté du fait de la difficulté d’accès à des preuves et à des éléments d’information objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, points 47 et 51 à 53).

49      À cet égard, il convient de rappeler que l’objectif des mesures restrictives en cause n’est pas de sanctionner certaines entités en raison de leurs liens avec la situation en Ukraine, mais d’imposer des sanctions économiques à la Fédération de Russie, afin d’accroître le coût des actions de celle-ci visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 160).

50      Par ailleurs, il convient de constater que le critère g) implique la notion de « femme ou homme d’affaires influent » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. La finalité poursuivie par ce critère est en effet d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163 et jurisprudence citée).

51      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse au titre du critère g), le Conseil a fourni le dossier de preuves visé au point 11 ci-dessus, comportant cinq documents, à savoir :

–        un extrait du site Internet de la société Industrial Metallurgical Holding (PMH) consulté le 10 mars 2022 (pièce no 1) ;

–        un extrait du site Internet russe du magazine économique Forbes consulté le 10 mars 2022 (pièce no 2) ;

–        un extrait du site Internet « rucompromat » du 22 décembre 2021 (pièce no 3) ;

–        un extrait du site Internet du projet InBets (Innovative Business Transfer Models for Small and Medium-Sized Enterprises in the Baltic Sea Region) (modèles innovants de transfert d’entreprise pour les petites et moyennes entreprises de la région de la mer Baltique), lequel se réfère à un article de presse daté de 2017, consulté le 21 mars 2022 (pièce no 4) ;

–        un extrait du site Internet « marketscreener », daté du 24 août 2020, consulté le 21 mars 2022 (pièce no 5).

 Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée de l’absence de fiabilité des éléments de preuve fournis par le Conseil

52      Le requérant remet en cause la fiabilité des éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’est appuyé pour décider d’inscrire son nom sur la liste litigieuse, jugeant ceux-ci souvent obsolètes ou provenant de sources non fiables.

53      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

54      Il y a lieu de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59).

55      En outre, conformément à une jurisprudence constante, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].

56      En l’espèce, premièrement, le requérant ne conteste pas la fiabilité de l’extrait du site Internet de la société PMH.

57      Deuxièmement, s’agissant de l’extrait du site Internet russe du magazine économique Forbes, le requérant fait valoir que ledit site est en langue russe, que le Conseil lui a fourni l’extrait en cause sans traduction, que ce dernier date de 2021 et qu’il n’est pas corroboré par un autre élément de preuve.

58      À cet égard, force est de constater que ces arguments ne sont pas de nature à remettre en cause, en tant que tels, la fiabilité ou la crédibilité de cette source.

59      Troisièmement, s’agissant de l’extrait du site Internet « rucompromat », le requérant soutient que ce site a pour objectif de publier des faits compromettants sur des personnes, sans aucune visée scientifique ni journalistique et sans être soumis à des règles de déontologie. Il ajoute que cet extrait n’est corroboré par aucun autre élément de preuve.

60      Or, force est de constater que le requérant se borne à contester la fiabilité du site Internet en cause, sans apporter d’éléments propres à étayer ses allégations, y compris quant à la nature des informations que ce site Internet diffuserait habituellement.

61      Quatrièmement, s’agissant de l’extrait du site Internet In Bets, le requérant fait valoir qu’il vise à transmettre des informations économiques à jour concernant la société PMH, mais qu’il date de 2017 et n’est corroboré par aucune autre pièce. Cinquièmement, s’agissant de l’extrait du site Internet « marketscreener », le requérant fait valoir qu’il contient des informations boursières qui datent du 24 août 2020 et qu’il n’est corroboré par aucun autre élément de preuve.

62      Or, force est de constater que ces arguments ne sont pas de nature à remettre en cause, en tant que tels, la fiabilité ou la crédibilité de ces sites Internet. Le requérant ne produit en outre aucun élément de nature à établir le caractère obsolète des informations y figurant.

63      Enfin, la circonstance que des informations contenues dans des documents figurant dans le dossier de preuves ne soient pas corroborées par le contenu d’autres documents figurant également dans le dossier de preuves n’est pas de nature à faire naître un doute sur la fiabilité de ces documents.

64      Au vu de ce qui précède, et en l’absence d’élément avancé par le requérant susceptible de remettre en cause la fiabilité des sources utilisées par le Conseil, il y a lieu de leur reconnaître un caractère sensé et fiable, au sens de la jurisprudence rappelée au point 55 ci-dessus.

 Sur les première et deuxième branches du troisième moyen, tirées d’erreurs de droit et d’appréciation

65      Le requérant conteste le bien-fondé de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse au titre du critère g) et soutient que la motivation du règlement d’exécution attaqué est entachée, d’une part, d’erreurs matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation et, d’autre part, d’erreurs de droit.

66      S’agissant des erreurs matérielles et des erreurs manifestes d’appréciation, premièrement, le requérant soutient que la société PMH n’est pas le plus grand producteur russe de coke commercialisable et que cette société n’a pas été fondée par Boris Zubitsky. Deuxièmement, il fait valoir que la motivation de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse laisse entendre à tort que la société PMH a été fondée lorsque Boris Zubitsky était député à la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, qu’il existait un lien de proximité élevée entre lui et son père, alors que ce dernier est décédé en 2017, qu’ils étaient en conflit et qu’il apporte une contribution financière substantielle au gouvernement russe du fait de son importante fortune. Le requérant impute ces erreurs au fait que l’instruction du Conseil repose sur des éléments de preuve contenant des informations parcellaires, erronées ou obsolètes, qui ont conduit celui-ci à émettre de simples hypothèses. Troisièmement, il ajoute que le Conseil a inscrit son nom sur la liste litigieuse en présumant, d’une part, qu’il entretenait des liens étroits avec le gouvernement russe en raison des décorations qu’il avait reçues et des ordres nationaux auxquels il appartenait et, d’autre part, qu’il apportait une source substantielle de revenus au gouvernement russe du fait de la valeur de son patrimoine. Il ajoute que le montant de son patrimoine et le fait qu’il ait été en 2021 la 199e fortune de Russie ne sont pertinents pour le qualifier d’homme d’affaires influent que si ce dernier terme est interprété comme un synonyme d’« important » et non comme une forme de prééminence, comme il résulterait des autres versions linguistiques du libellé du critère g).

67      S’agissant des erreurs de droit, le requérant reproche au Conseil, premièrement, d’avoir inscrit son nom sur la liste litigieuse au titre du critère g) en interprétant ce dernier de manière extensive, à la lumière du considérant 11 de la décision 2022/329. Ainsi, le Conseil aurait retenu à l’encontre du requérant le seul fait d’être un homme d’affaires dont les activités économiques florissantes constituaient une source de revenus essentiellement fiscaux pour l’État russe. Or, ce faisant, le Conseil n’aurait, à tort, pas mis en évidence l’existence d’un lien privilégié entre le requérant et le gouvernement russe par l’influence que le premier pourrait exercer sur le second et par la fourniture à ce dernier d’une source substantielle de revenus. En particulier, la mention du père du requérant, décédé en 2017, serait insuffisante à cet égard. Deuxièmement, la notion d’« homme d’affaires influent » ne saurait être entendue comme visant seulement un homme d’affaires « important », mais viserait, ainsi qu’il résulterait de plusieurs versions linguistiques des textes, une certaine forme de « prééminence » des hommes d’affaires en cause. De surcroît, le Conseil n’aurait pas établi une quelconque influence du requérant sur le gouvernement russe. Troisièmement, il résulterait de la jurisprudence que la fourniture d’une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe, d’une part, ne pourrait pas résulter exclusivement du paiement par le requérant de ses impôts et, d’autre part, ne s’entend que dans la mesure où le secteur d’activités en cause est contrôlé par le gouvernement. Or, en l’espèce, le Conseil n’aurait pas démontré que les sociétés dont le requérant était l’actionnaire principal ou le dirigeant étaient détenues ou contrôlées par l’État russe.

68      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

69      À titre liminaire, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 45 ci-dessus, il y a lieu de considérer que le requérant doit être regardé comme invoquant, en plus d’erreurs de fait, des erreurs d’appréciation et non des erreurs manifestes d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Sberbank of Russia/Conseil, T‑732/14, EU:T:2018:541, points 73 et 74).

70      En l’espèce, il convient, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 47 ci-dessus, de vérifier si le Conseil a présenté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer le motif d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse au titre du critère g).

71      Eu égard au libellé du critère et à l’objectif des mesures restrictives en cause, il y a lieu de considérer que les personnes visées doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157 et jurisprudence citée). À cet égard, la notion d’« hommes d’affaires influents » doit donc être comprise comme visant l’importance de ces derniers au regard, notamment, de leurs statuts professionnels, de l’importance de leurs activités économiques, de l’ampleur de leurs possessions capitalistiques ou de leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités.

72      En premier lieu, concernant la qualité d’homme d’affaires influent du requérant, il y a lieu de relever que le requérant ne conteste pas être copropriétaire, président du conseil d’administration et président-directeur général de PMH. À cet égard, comme le Conseil le fait valoir à juste titre, sans que le requérant le conteste, il ressort des pièces nos 1, 3 et 4 du dossier de preuves que, au moment de l’adoption du règlement d’exécution attaqué, le requérant était, d’une part, le président et principal actionnaire de PMH et, d’autre part, un actionnaire important, à hauteur d’environ 36 % du capital du groupe Koks, société mère de PMH, qui regroupe des producteurs de charbon, de minerai de fer et de fonte brute.

73      Partant, au vu de l’ensemble de ces éléments, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que le requérant pouvait être qualifié d’homme d’affaires influent au sens du critère g).

74      Les autres arguments du requérant doivent être écartés.

75      Premièrement, bien que le requérant admette que PMH ait été fondée en 1993, il conteste qu’elle l’ait été par son père, Boris Zubitsky. Il fait valoir que les « actifs de production » de PMH existaient avant que celui-ci ne rachète une part substantielle du capital de cette société.

76      Il ressort de la pièce no 4 que Boris Zubitskiy est le fondateur de PMH et des pièces nos 3 et 6, cette dernière étant signée par Boris Zubitsky lui-même, que ce dernier est le fondateur du groupe Koks. Contrairement à ce que le requérant a allégué lors de l’audience, il ne ressort pas de l’annexe A.5 de la requête, qui détaille l’actionnariat du groupe Koks, que ce dernier ou PMH n’aient pas été fondés par Boris Zubitskiy, comme le soutient pourtant le requérant. En tout état de cause, la circonstance que les « actifs de production » de PMH existaient avant la création de cette société est sans influence sur l’identité de son fondateur. Dès lors, l’argument doit être écarté.

77      Deuxièmement, le requérant conteste que PMH soit le plus grand producteur russe de coke commercialisable et fait valoir que trois autres sociétés en produisent davantage. Force est de constater que cet argument doit être écarté comme étant inopérant, car, comme il ressort clairement de la motivation du règlement d’exécution attaqué, le Conseil a retenu que Koks, et non PMH, était le plus grand producteur russe de coke commercialisable. Cette affirmation est corroborée par le contenu de la pièce no 3. Quant aux pièces nos 4 et 5, il en ressort que PMH serait le premier exportateur, et non producteur, de coke commercialisable de Russie. En tout état de cause, même à la supposer pertinente, l’allégation selon laquelle trois entreprises produiraient davantage de coke commercialisable que PMH n’est pas étayée. Partant, elle n’est pas de nature à établir une erreur matérielle ou d’appréciation de la part du Conseil.

78      Troisièmement, il ne ressort pas des motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse que le Conseil ait retenu que Boris Zubitsky était député à la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie lorsqu’il a fondé PMH ou le groupe Koks en 1993. En particulier, le Conseil ne conteste pas que Boris Zubitsky ait été élu député en 1999. Dès lors, l’argument du requérant doit être écarté.

79      Quatrièmement, l’argument du requérant tiré de l’existence d’un conflit avec son père avant le décès de ce dernier est inopérant. En effet, d’une part, le Conseil ne s’est pas appuyé, dans la motivation du règlement d’exécution attaqué, sur une quelconque proximité entre celui-ci et son père et, d’autre part, ledit conflit est sans influence sur le contenu de cette motivation.

80      Cinquièmement, le requérant ne conteste pas avoir, ainsi qu’il ressort de la pièce no 1 du dossier de preuves, été décoré de l’Ordre du mérite pour la patrie, de deuxième classe, en 2014, ni avoir reçu le titre de Métallurgiste d’honneur de la Fédération de Russie en 2019. Il ne conteste pas davantage que, comme il ressort de la pièce no 2, sa fortune se soit élevée en 2021 à 550 millions de dollars américains (USD) (environ 465 millions d’euros), ce qui a fait de lui cette année-là la 199e fortune de Russie.

81      Toutefois, le requérant conteste la pertinence de la valeur de son patrimoine afin d’établir qu’il est un homme d’affaires « influent », si ce terme était entendu dans le sens de « prééminent » et non d’« important ».

82      Or, au regard de l’objectif des mesures restrictives en cause, rappelé au point 49 ci-dessus, il convient de considérer que le niveau du patrimoine du requérant est une donnée pertinente, parmi d’autres, pour apprécier s’il est un homme d’affaires influent au sens du critère g). Partant, l’argument de celui-ci doit être écarté.

83      Sixièmement, l’argument par lequel le requérant avance que son nom aurait été inscrit sur la liste litigieuse au motif que, du fait de son importante fortune, il apporterait une contribution financière directe au gouvernement russe est dénué de fondement. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 ci-dessus, le critère g) vise les personnes considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe. Ainsi, ce critère n’exige pas une contribution financière directe ou personnelle de ces personnes. De surcroît, aucune référence à une prétendue contribution de ce type ne peut être inférée de la motivation du règlement d’exécution attaqué.

84      Il résulte des points 71 à 83 ci-dessus que le requérant n’a pas établi l’existence d’erreurs matérielles ou d’appréciation affectant les circonstances factuelles avancées dans la motivation de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.

85      Eu égard à la mention de ces circonstances factuelles dans la motivation du règlement d’exécution attaqué et de l’absence d’erreur matérielle ou d’appréciation à cet égard, c’est à tort que le requérant soutient que le Conseil a inscrit son nom sur la liste litigieuse par le jeu de mécanismes de présomptions.

86      En second lieu, concernant le secteur économique en cause, il y a lieu de relever que le requérant ne conteste pas que les activités de PMH et du groupe Koks relèvent notamment des secteurs de la métallurgie, de la sidérurgie et de l’énergie, ni que ces secteurs fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. À cet égard, c’est à tort que le requérant fait valoir que seuls des secteurs économiques sous contrôle étatique peuvent être considérés comme fournissant une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe. Au demeurant, pareille condition ne ressort pas de la jurisprudence citée par le requérant, à savoir l’arrêt du 25 juin 2015, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil (T‑95/14, EU:T:2015:433, points 53 et 54).

87      Il en résulte que le Conseil a établi que PMH et le groupe Koks intervenaient dans un secteur économique fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe.

88      En outre, contrairement à ce que soutient le requérant et ainsi qu’il ressort des points 34, 37, 38 et 50 ci-dessus, il n’incombait pas au Conseil d’établir, d’une part, l’exercice d’une influence effective du requérant sur le gouvernement russe ni, d’autre part, un « lien privilégié » de ce dernier avec les actions du gouvernement de la Fédération de Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

89      Il en résulte que le Conseil a présenté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, susceptibles de mettre en évidence le fait que, à la date du règlement d’exécution attaqué, le requérant était un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique qui constituait une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère g).

90      Dès lors, il y a lieu d’écarter les première et deuxième branches du troisième moyen et, partant, ce moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du droit de propriété, de la liberté d’entreprise et du principe de proportionnalité

91      Le requérant soutient que le Conseil a violé son droit de propriété ainsi que le libre exercice de ses activités professionnelles de façon injustifiée et disproportionnée. À cet égard, il fait valoir que l’inscription de son nom sur la liste litigieuse alors même qu’il n’a aucune relation avec le gouvernement russe résulte d’une interprétation démesurément extensive des objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union. Il ajoute que cette inscription a des conséquences manifestement démesurées par rapport à ces objectifs. Il soutient également que le Conseil n’a ni établi ni même allégué que cette inscription permettait d’atteindre l’objectif de réduire les revenus de la Fédération de Russie.

92      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

93      Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 133).

94      En outre, le droit de propriété fait partie des principes généraux de droit de l’Union et se trouve consacré à l’article 17 de la Charte. De même, aux termes de l’article 16 de la Charte, « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

95      En l’espèce, il y a lieu de relever que les mesures restrictives que comporte le règlement d’exécution attaqué entraînent des limitations dans l’exercice par le requérant de son droit de propriété et de son droit à la liberté d’entreprise.

96      Toutefois, les droits fondamentaux invoqués par le requérant ne constituent pas des prérogatives absolues et leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions répondent effectivement auxdits objectifs d’intérêt général et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 148, et du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 80).

97      Pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte aux droits fondamentaux en cause doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel desdits droits, viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, et ne pas être disproportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 222 et jurisprudence citée).

98      En l’espèce, ces quatre conditions sont remplies.

99      En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause que le règlement d’exécution attaqué comporte pour le requérant sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, ainsi que d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application au requérant.

100    En deuxième lieu, en ce qui concerne la question de savoir si la limitation en cause respecte le « contenu essentiel » des droits fondamentaux en cause, il y a lieu de constater que les mesures restrictives imposées sont limitées dans le temps et sont réversibles. Ainsi, en vertu de l’article 6 de la décision 2014/145 telle que modifiée, les listes des personnes et entités inscrites font l’objet d’un suivi constant afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées. En outre, l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 telle que modifiée, ainsi que l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 tel que modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

101    En troisième lieu, les mesures restrictives en cause répondent à un objectif d’intérêt général, rappelé au point 49 ci-dessus, reconnu comme tel par l’Union, de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150). Un tel objectif relève en outre de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.

102    En quatrième lieu, s’agissant du caractère approprié des mesures restrictives en cause, il convient de relever que, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que ceux mentionnés au point 101 ci-dessus, celles-ci ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 décembre 2020, Kalai/Conseil, T‑178/19, non publié, EU:T:2020:580, point 171 et jurisprudence citée).

103    Il en est d’autant plus ainsi que le Conseil a établi que le requérant remplissait les conditions pour voir son nom inscrit sur la liste litigieuse en application du critère g). À cet égard, contrairement à ce que soutient le requérant, le Conseil n’est aucunement tenu, aux fins de l’application de ce critère, de démontrer que l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse permettrait de manière effective de réduire les revenus de la Fédération de Russie.

104    En outre, en ce qui concerne leur caractère nécessaire, des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les soutiens du gouvernement russe ou sur les femmes ou hommes d’affaires influents, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 décembre 2020, Kalai/Conseil, T‑178/19, non publié, EU:T:2020:580, point 172 et jurisprudence citée).

105    Il résulte de ce qui précède que le règlement d’exécution attaqué n’a pas enfreint le principe de proportionnalité et n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprise du requérant.

106    Dès lors, le quatrième moyen doit être écarté et, partant, le recours rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

107    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Evgeny Borisovich Zubitskiy supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Spielmann

Brkan

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 décembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.