ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
28 mars 2000 (1)
«Agriculture - Organisation commune des marchés - Bananes - Demande
d'octroi de certificats d'importation supplémentaires - Article 30 du règlement
(CEE) n° 404/93 - Recours en annulation»
Dans l'affaire T-251/97,
T. Port GmbH & Co., établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Me G.
Meier, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me M.
Baden, 34 B, rue Philippe II,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. K.-D.
Borchardt et H. van Vliet, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant
élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même
service, Centre Wagner, Kirchberg,
soutenue par
Royaume d'Espagne, représenté par Mme R. Silva de Lapuerta, abogado del Estado,
en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade
d'Espagne, 4-6, boulevard Emmanuel Servais,
et
République française, représentée par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur du
droit international économique et du droit communautaire à la direction des
affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, ayant
élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard
Joseph II,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du
9 juillet 1997 refusant d'octroyer à la requérante des certificats d'importation
supplémentaires par la voie de mesures transitoires dans le cadre de l'organisation
commune des marchés dans le secteur de la banane,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),
composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh,
juges,
greffier: M. H. Jung,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 24 juin 1999,
rend le présent
Arrêt
Cadre réglementaire
- 1.
- Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation
commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1), a mis en place
un régime commun d'importation de bananes qui s'est substitué aux différents
régimes nationaux.
- 2.
- L'article 18, paragraphe 1, du règlement n° 404/93, placé sous le titre IV relatif au
régime des échanges avec les pays tiers, tel que modifié par le règlement (CE)
n° 3290/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures
transitoires nécessaires dans le secteur de l'agriculture pour la mise en oeuvre des
accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycled'Uruguay (JO L 349, p. 105), prévoyait qu'un contingent tarifaire de 2,1 millions
de tonnes/poids net serait ouvert pour l'année 1994 et de 2,2 millions de
tonnes/poids net pour les années suivantes, pour les importations de bananes en
provenance des pays tiers autres que les États ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique)
(ci-après les «bananes pays tiers») et les importations non traditionnelles de
bananes en provenance des États ACP (ci-après les «bananes non traditionnelles
ACP»). Dans le cadre de ce contingent, les importations de bananes non
traditionnelles ACP étaient soumises à un droit nul et celles de bananes pays tiers
à un droit de 75 écus par tonne. Les modifications ultérieures apportées à
l'organisation commune des marchés dans ce secteur ne sont pas pertinentes aux
fins de ce recours.
- 3.
- L'article 19, paragraphe 1, opérait une répartition du contingent tarifaire, l'ouvrant
à concurrence de 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé
des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A),
30 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes
communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et 3,5 % à
la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui avaient commencé à
commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou
traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C).
- 4.
- D'après l'article 19, paragraphe 2:
«Sur la base de calculs séparés pour chacune des catégories d'opérateurs visés au
paragraphe 1 [...] chaque opérateur obtient des certificats d'importation en fonction
des quantités moyennes de bananes qu'il a vendues dans les trois dernières années
pour lesquelles des chiffres sont disponibles.
[...]
Pour le second semestre de l'année 1993, chaque opérateur obtient la délivrance
de certificats sur la base de la moitié de la quantité moyenne annuelle
commercialisée pendant les années 1989-1991.»
- 5.
- L'article 30 prévoyait:
«Si des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour
faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du présent
règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des
difficultés sensibles, la Commission [...] prend toutes les mesures transitoires jugées
nécessaires.»
Faits et procédure
- 6.
- La requérante est une entreprise importatrice de fruits établie en Allemagne qui
pratique le commerce des bananes pays tiers depuis le début du siècle.
- 7.
- En 1990, elle a conclu avec la société colombienne Proban (ci-après «Proban») un
avant-contrat (intitulé «carta de intención») portant sur la livraison hebdomadaire
de bananes en vue de leur commercialisation en Allemagne. Tout litige concernant
l'exécution de cet accord devait être soumis à des arbitres désignés conformément
aux règles d'arbitrage amical de Hambourg («Hamburger freundschaftliche
Arbitrage»). Proban n'aurait pas respecté les termes de cet avant-contrat et aurait
choisi de livrer des bananes à une autre entreprise, obligeant ainsi la requérante
à rechercher un nouveau fournisseur.
- 8.
- La requérante a donc conclu en 1991 un contrat (parfois décrit comme
«agreement», «projet de contrat», «précontrat» ou «contrat préparatoire») avec
la société McKenza organisation de Paris (ci-après «McKenza»). Cette convention
était soumise au droit allemand et prévoyait également que tout litige concernant
son exécution devait être soumis à des arbitres désignés conformément aux règles
d'arbitrage amical de Hambourg. En novembre 1991, le fournisseur principal de
McKenza, la société équatorienne Sembriosa (ci-après «Sembriosa») a fait faillite
et son dirigeant a été assassiné.
- 9.
- Le 7 novembre 1991, la requérante a signé un avant-contrat (également intitulé
«carta de intención») avec la société équatorienne Carrión Internacional (ci-après
«Carrión»), qui a été absorbée ultérieurement par le groupe équatorien Bananor
(ci-après «Bananor»). Un contrat de distribution a été conclu par la requérante
avec Carrión le 11 mars 1993 et a été remplacé par un autre de même teneur,
passé avec Bananor, le 1er juin 1993.
- 10.
- A la suite de l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés de la
banane le 1er juillet 1993, la requérante a tenté de se faire attribuer les quantités
de référence lui permettant de survivre économiquement en tant qu'importatrice
de bananes.
- 11.
- Par ordonnance de référé du 9 février 1995, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof
(Allemagne) lui a attribué des certificats d'importation supplémentaires et a posé,
en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), des questions
préjudicielles concernant, entre autres points, l'interprétation de l'article 30 du
règlement n° 404/93.
- 12.
- Par arrêt du 26 novembre 1996, T. Port (C-68/95, Rec. p. I-6065, ci-après l'«arrêt
T. Port»), la Cour a jugé, notamment, que «l'article 30 du règlement n° 404/93
autorise la Commission et, selon les circonstances, lui impose de réglementer les
cas de rigueur excessive dus au fait que des importateurs de bananes pays tiers ou
de bananes non traditionnelles ACP rencontrent des difficultés menaçant leur
survie, lorsqu'un contingent exceptionnellement bas leur a été attribué sur la base
des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu del'article 19, paragraphe 2, du même règlement, dans l'hypothèse où ces difficultés
sont inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur
de ce règlement à l'organisation commune des marchés et ne sont pas dues à
l'absence de diligence des opérateurs concernés».
- 13.
- Par lettre recommandée datée du 16 décembre 1996, reçue par la Commission le
23 décembre 1996, la requérante a sollicité l'adoption par celle-ci, à brève
échéance, de dispositions applicables aux cas de rigueur excessive et, en particulier,
a demandé l'attribution de certificats d'importation supplémentaires pour des
bananes en provenance de pays tiers, dans le cadre du contingent tarifaire.
- 14.
- La Commission n'ayant pas pris position sur cette demande dans les deux mois qui
ont suivi, la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 février
1997, introduit au titre de l'article 175 du traité CE (devenu article 232 CE) un
recours en carence (affaire T-39/97).
- 15.
- Par acte séparé, déposé le même jour au greffe du Tribunal, la requérante a
introduit une demande de mesures provisoires au titre des articles 185 et 186 du
traité CE (devenus articles 242 CE et 243 CE) (affaire T-39/97 R). La requérante
s'étant ensuite désistée de sa demande en référé, l'affaire a été radiée du registre
du Tribunal par ordonnance du président du Tribunal du 13 juin 1997.
- 16.
- Par décision du 9 juillet 1997, la Commission a rejeté les demandes formulées par
la requérante dans sa lettre du 16 décembre 1996 (ci-après la «décision attaquée»).
- 17.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 septembre 1997, la requérante a
introduit le présent recours.
- 18.
- Le Tribunal a, par ordonnance datée du 26 novembre 1997, T. Port/Commission
(T-39/97, Rec. p. II-2125), décidé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur le recours
en carence.
- 19.
- Par ordonnances du 17 juin 1998, le président de la quatrième chambre du
Tribunal a admis le royaume d'Espagne et la République française à intervenir au
soutien des conclusions de la Commission dans la présente affaire. Les mémoires
des parties intervenantes ont été déposés, respectivement, les 30 juillet et 3
septembre 1998.
- 20.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions du Tribunal lors de l'audience du 24 juin 1999.
Décision attaquée
- 21.
- Dans la décision attaquée, la Commission a considéré, en ce qui concerne l'avant-contrat conclu avec Proban, qu'aucun engagement définitif n'existait avec cette
entreprise et que cet avant-contrat n'était qu'une déclaration d'intention sans valeur
juridique contraignante. Elle a souligné, en outre, que la requérante en avait tout
d'abord fourni une version signée uniquement par elle-même, puis une autre
comportant une seconde signature attribuée au représentant de Proban, et que des
éléments essentiels tels que le début des livraisons ainsi que les ports
d'embarquement et de débarquement ne figuraient dans aucune des deux versions.Dans ces circonstances, il n'était pas démontré l'existence d'un contrat dont la
rupture pourrait être considérée comme un cas de rigueur excessive au sens de
l'arrêt T. Port.
- 22.
- En ce qui concerne le contrat avec McKenza, la Commission a considéré qu'il
n'était pas possible de reconnaître comme cas de rigueur excessive la faillite de
Sembriosa le 4 novembre 1991. En effet, la date du 22 octobre 1991 portée sur ce
contrat, antérieure de quelques jours à cette faillite, était douteuse en ce qu'elle
avait été ajoutée à la main et ne figurait pas à côté des signatures. De même, dans
sa lettre du 16 décembre 1996, la requérante avait indiqué que cet engagement
avait été signé le 17 octobre 1991. Ensuite, la durée d'application de cette
convention ne pouvait être déterminée. En outre, le contrat mentionnait que
d'autres producteurs que Sembriosa étaient susceptibles d'approvisionner McKenza.
Or, la requérante n'avait pas démontré que ceux-ci aient été dans l'incapacité de
fournir la même quantité de bananes ni qu'elle ait entrepris une quelconque
démarche vis-à-vis de McKenza en vue d'obtenir l'exécution du contrat, alors qu'il
était stipulé qu'elle avait la possibilité de saisir en cas de litige un tribunal arbitral
à Hambourg. La requérante n'avait donc pas fait preuve de la diligence exigée par
l'arrêt T. Port.
- 23.
- En ce qui concerne les contrats du 11 mars et du 1er juin 1993 avec, respectivement,
Carrión et Bananor, la Commission a considéré qu'ils ne pouvaient pas être pris
en considération, parce qu'ils avaient été conclus alors que le règlement n° 404/93
avait déjà été publié au Journal officiel des Communautés européennes. Les effets
restrictifs de ce règlement en ce qui concerne les possibilités d'importation des
bananes en provenance de pays tiers à un taux réduit étaient, par conséquent, déjà
connus lors de leur conclusion. En outre, le contrat du 1er juin 1993 prévoyait
explicitement que des problèmes de licences constitueraient un cas de force
majeure pouvant entraîner sa résiliation. La requérante n'était donc pas obligée de
commercialiser les bananes de Carrión et Bananor et de les vendre à perte.
- 24.
- En ce qui concerne la déclaration d'intention avec Carrión du 7 novembre 1991,
la Commission a considéré qu'elle ne comportait aucun engagement juridique
contraignant et qu'elle ne prévoyait rien sur la question éventuelle d'un
dédommagement au cas où un contrat ne serait pas conclu. En outre, la requérante
devait subir les conséquences du fait que, faute d'avoir pris les dispositions
nécessaires en temps utile, elle n'avait pu commencer les importations de bananes
fournies par Carrión qu'au premier semestre de l'année 1993.
- 25.
- Au vu de toutes ces considérations, la Commission a refusé d'admettre que la
requérante se trouvait confrontée à un cas de rigueur excessive et a refusé, dès lors,
sa demande d'octroi de certificats d'importation supplémentaires.
Conclusions des parties
- 26.
- La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision attaquée;
- condamner la Commission aux dépens.
- 27.
- La Commission, soutenue par le royaume d'Espagne et la République française,
conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner la requérante aux dépens.
En droit
- 28.
- La requérante fonde son recours sur deux moyens, tirés, respectivement, d'une
violation de l'article 30 du règlement n° 404/93 et d'un excès de pouvoir de la
Commission. La défenderesse soutient à titre liminaire que les documents joints en
annexes K1 et K4 à la requête ne peuvent être pris en compte dans le cadre du
présent recours. La République française soulève la même objection en ce qui
concerne les documents joints en annexe K1 à la requête. Il convient d'examiner,
tout d'abord, la demande de la défenderesse et de la République française tendant
à ce que certaines pièces soient écartées des débats.
Sur la prise en compte des documents joints en annexes K1 et K4 à la requête
Argumentation de la Commission et de la République française
- 29.
- Selon la Commission, l'avant-contrat avec Proban joint en annexe K1 à la requête
n'est identique ni à la version communiquée avec la demande du 16 décembre
1996, ni à celle produite dans le cadre des litiges antérieurs devant le Tribunal de
première instance (affaires T-39/97 et T-39/97 R).
- 30.
- La version jointe à la requête contiendrait, à la différence des précédentes, des
mentions relatives à la date du début des livraisons de bananes ainsi qu'aux ports
d'embarquement et de destination. Ces points ne seraient pas dénués d'importance,
en ce qui concerne la réfutation par la Commission de la valeur juridique de cet
avant-contrat dans la décision attaquée.
- 31.
- Conformément à une jurisprudence constante, la légalité d'un acte attaqué
s'apprécierait en fonction des éléments de fait et de droit existants au moment de
son adoption. Dans la présente procédure, la version de l'avant-contrat avec Proban
qui figure en annexe K1 constituerait un nouvel élément de fait et devrait donc être
écarté du dossier. La République française soutient l'argument de la Commission
à cet égard.
- 32.
- De même, la déclaration sur l'honneur datée du 11 juillet 1997 de M. Nazzari, qui
représentait McKenza dans les négociations avec la requérante, jointe en annexe
K4 à la requête, devrait être écartée du dossier. En effet, la date de conclusion du
contrat avec McKenza ne serait pas certaine, puisque celle du 22 octobre 1991
aurait été ajoutée à la main et ne figurerait pas à côté des signatures, et l'avocat
de la requérante aurait affirmé que ce contrat avait été signé le 17 octobre 1991.
- 33.
- De même, il n'y aurait pas de certitude quant aux éléments essentiels de ce contrat.
Ainsi, en ce qui concerne sa durée de validité, M. Nazzari indiquerait qu'elle avait
été fixée à cinq ans alors que M. Port, dans une déclaration sur l'honneur du 14
mars 1997, aurait affirmé qu'elle était de trois ans au minimum. Le contrat, tel qu'il
a été communiqué à la Commission avec la demande du 16 décembre 1996, ne
stipulerait aucune durée de validité.
- 34.
- La Commission ne pouvant se fonder au moment de la considération de la
demande de réglementation d'un cas de rigueur excessive que sur les éléments
fournis par l'auteur de celle-ci, toute correction apportée au contrat au cours de
la procédure serait tardive.
Argumentation de la requérante
- 35.
- La requérante admet qu'elle a produit deux versions différentes de l'avant-contrat
avec Proban aux fins du présent recours. La version qu'elle avait envoyée à la
Commission dans sa lettre du 16 décembre 1996 ne préciserait pas la date du début
des livraisons ni le port d'embarquement. Ensuite, elle aurait joint, en annexe K1
à la requête, un exemplaire complété de l'avant-contrat qui stipulerait ces deux
éléments. La présentation du document à des stades différents serait due au fait
que la requérante disposerait d'un système d'archivage à trois niveaux et que
différentes personnes auraient fait parvenir des documents à la Commission. Elle
laisse au Tribunal le soin d'apprécier la question de savoir si un moyen de preuve
produit en annexe à la requête ne peut être pris en considération que dans la
version dont disposait la Commission lors de l'adoption de la décision attaquée.
- 36.
- La requérante fait valoir que le contrat avec McKenza a été conclu sur la base de
l'accord passé par les parties le 17 octobre 1991, ainsi qu'il ressort de la déclaration
sur l'honneur de M. Nazzari jointe en annexe K4 à la requête. Le 22 octobre 1991
serait la date à laquelle la requérante a reçu en retour le document signé par
McKenza.
- 37.
- Elle ajoute que les parties étaient convenues d'une durée de validité du contrat de
cinq ans, en se référant à la même déclaration sur l'honneur de M. Nazzari. Il n'y
aurait pas de contradiction entre cette déclaration et celle de M. Port (voir point
33 ci-dessus).
Appréciation du Tribunal
- 38.
- Selon une jurisprudence constante, la légalité d'un acte attaqué s'apprécie en
fonction des éléments de fait et de droit existant au moment de l'adoption de celui-ci (arrêts de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, Rec.
p. 321, point 7, et du 5 juillet 1984, Société d'initiatives et de coopération agricoles
et Société interprofessionnelle des producteurs et expéditeurs de fruits, légumes,
bulbes et fleurs d' llle-et-Vilaine/Commission, 114/83, Rec. p. 2589, point 22; arrêt
du Tribunal du 22 octobre 1996, SNCF et British Railways/Commission, T-79/95 et
T-80/95, Rec. p. II-1491, point 48). En particulier, il ressort de la jurisprudence que
les appréciations complexes portées par la Commission doivent être examinées en
fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a
effectuées (arrêt de la Cour du 26 septembre 1996, France/Commission, C-241/94,
Rec. p. I-4551, point 33, et arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a.
et British Midland Airways/Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405,
point 81).
- 39.
- Il s'ensuit que la requérante ne peut pas se prévaloir de la version de l'avant-contrat avec Proban qui est jointe à la requête afin de soutenir son recours, mais
seulement de celle dont disposait la Commission au moment de l'examen de sa
demande du 16 décembre 1996.
- 40.
- De même, la requérante ne peut se fonder sur la déclaration de M. Nazarri afin
de compléter les dispositions du contrat passé avec McKenza, étant donné que M.
Nazarri donne du contenu de cette convention une version différente de celle dont
disposait la Commission lors de l'adoption de la décision attaquée.
- 41.
- Il s'ensuit que les annexes K1 et K4 ne peuvent être prises en considération aux
fins du présent recours.
Sur le premier moyen, tiré d'une violation de l'article 30 du règlement n° 404/93
Argumentation de la requérante
- 42.
- La Commission n'aurait pas apprécié correctement le caractère et les conséquences
juridiques de l'avant-contrat passé avec Proban. Un avant-contrat constituerait un
engagement anticipé des parties, lorsque des obstacles de fait ou de droit
s'opposent encore à la conclusion du contrat proprement dit.
- 43.
- Ni la dénomination de l'accord ni l'appréciation de déclarations d'intention en
général ne seraient pertinentes. Seuls seraient déterminants la volonté des parties
et, en l'absence de volonté déclarée, les usages du lieu d'exécution, qui était
Hambourg en l'espèce. L'avant-contrat avec Proban ferait la preuve de la volonté
des deux parties de s'obliger et il comprendrait tous les éléments essentiels à cet
effet. La date du début des livraisons et les ports d'embarquement et de
débarquement ne seraient pas des éléments essentiels d'un avant-contrat,
contrairement à ce qu'affirme la Commission. Les seuls éléments essentiels seraient
la quantité et la qualité des marchandises, leur prix et la répartition de la charge
des frais de mise sur le marché ainsi que la durée minimale de la convention.
- 44.
- Une «carta de intención», comme les avant-contrats signés avec Proban et Carrión
(voir point 49 ci-dessous), serait un contrat valable selon les usages commerciaux
de la place de Hambourg, lorsqu'elle est suffisamment précise et détaillée pour
qu'il soit possible d'en obtenir l'exécution en justice. Le non-respect par une partie
d'une telle convention permettrait également au cocontractant lésé d'intenter une
action en réparation du préjudice résultant de cette inexécution.
- 45.
- Il existerait donc avec Proban un contrat de commercialisation ayant une valeur
juridique contraignante en exécution duquel la requérante aurait dû recevoir des
livraisons pendant la période de référence si la partie cocontractante n'avait pas été
incitée par la concurrence à agir en violation de ses engagements.
- 46.
- Compte tenu de ce qu'un recours en justice ne lui aurait pas permis d'obtenir des
marchandises de Proban pendant la période de référence, la requérante aurait donc
décidé de trouver un autre partenaire.
- 47.
- En ce qui concerne le contrat avec McKenza, le fournisseur de celle-ci aurait été
exclusivement Sembriosa et ses plantations. Ces dernières n'auraient pas été
juridiquement en mesure de livrer directement McKenza en l'absence de licences
d'exportation. McKenza n'ayant pas passé de convention avec un autre exportateur
en Équateur et les autres producteurs n'ayant pas la possibilité d'exporter, l'accord
de McKenza et de la requérante aurait été caduc après la faillite de Sembriosa.
Une procédure contre McKenza aurait été dénuée de sens, aussi bien d'un point
de vue économique que juridique, puisqu'elle n'aurait pas permis à la requérante
d'importer des quantités entrant en ligne de compte pour la période de référence.
- 48.
- Pour ce qui est de la faillite de Sembriosa, la requérante fait valoir qu'elle en a été
informée à la fin d'octobre ou au début de novembre 1991, par téléphone, par M.
Nazzari, selon lequel, de ce fait, le contrat avec McKenza ne pouvait pas être
exécuté.
- 49.
- Quant à l'avant-contrat du 7 novembre 1991 avec Carrión, il aurait eu également
une valeur juridique contraignante. Il n'existerait aucun doute quant à la volonté
des parties de s'engager. Sur la base de cette convention, elles auraient commencé
leur commerce et les premières bananes auraient été effectivement livrées enfévrier 1993, comme il avait été prévu. De même, tous les éléments essentiels du
contrat auraient été réglés.
- 50.
- En tout état de cause, il faudrait considérer l'avant-contrat et les conventions
passées en 1993 avec Carrión et Bananor comme formant un tout, puisque ces
conventions ne contiendraient pas de dispositions supplémentaires par rapport à
cet avant-contrat, bien qu'elles aient été conclues après l'adoption du règlement
n° 404/93.
- 51.
- Il est vrai que les parties auraient eu le droit de résilier ces conventions, mais cette
possibilité serait sans rapport avec les conditions auxquelles l'adoption par la
Commission de mesures transitoires se trouve subordonnée.
- 52.
- L'attribution à la requérante d'un contingent de bananes exceptionnellement bas
menacerait sa survie. Si l'organisation commune des marchés n'était pas intervenue,
elle aurait commercialisé en Allemagne les quantités convenues dans l'avant-contrat
avec Carrión et celles-ci auraient été prises en compte à son profit en tant que
quantités de référence. Sa situation constituerait donc un cas de rigueur excessive
selon l'arrêt T. Port. La négligence que la Commission lui reproche n'aurait en rien
contribué à la survenance des difficultés auxquelles elle se trouve confrontée. Il ne
serait pas non plus réaliste de soutenir que, si elle avait fait preuve de diligence,
elle aurait pris les dispositions nécessaires à la commercialisation des bananes de
Carrión en Allemagne.
Argumentation de la Commission et des parties intervenantes
- 53.
- En ce qui concerne l'avant-contrat avec Proban, tel qu'il lui a été communiqué avec
la demande du 16 décembre 1996, la Commission rejette l'argumentation de la
requérante selon laquelle la volonté déclarée de ses auteurs ou, à défaut, les usages
en vigueur à Hambourg permettraient de supposer qu'il existait un contrat de
commercialisation liant les parties.
- 54.
- En premier lieu, elle considère que ni les négociations qui avaient précédé la
signature de l'avant-contrat, ni l'intention exprimée par les parties d'établir des
relations commerciales à long terme ne sont de nature à conférer à ce document
un caractère juridiquement obligatoire.
- 55.
- En deuxième lieu, selon le rapport de l'expert Walter Müller sur les usages à
Hambourg, en ce qui concerne le caractère contractuel et obligatoire d'un avant-contrat:
«Une 'carta de intencion est un contrat obligatoire dont la violation permet à la
partie loyale de réclamer des dommages-intérêts, si les dispositions sont
suffisamment précises pour que, appliquant les principes de l'interprétation
complémentaire des contrats, une action en exécution puisse être intentée.»
- 56.
- L'avant-contrat avec Proban ne réglerait pas tous les aspects essentiels d'un accord
et ne contiendrait pas, dès lors, des dispositions suffisamment précises au sens des
usages à Hambourg. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'avant-contrat
ne fournirait aucune indication sur la date de début des livraisons ni sur les ports
d'expédition et de débarquement.
- 57.
- En outre, la requérante méconnaîtrait la différence fondamentale entre les effets
juridiques d'une lettre d'intention et ceux d'un contrat. La Commission partage
l'avis de M. Müller selon lequel, si la teneur d'une lettre d'intention est
suffisamment concrète, le fait de ne pas la respecter peut ouvrir un droit à
réparation. Ce dernier serait toutefois limité à l'indemnisation du dommage subi
par l'autre partie du fait de la non-conclusion du contrat, eu égard aux mesures
déjà prises par celle-ci en vue de la passation de la convention. En revanche, une
lettre d'intention ne saurait permettre d'exiger l'exécution des obligations
contractuelles futures qu'elle prévoit. L'avant-contrat n'ouvrirait donc pas un droit
juridiquement contraignant à l'exécution des livraisons de bananes envisagées, de
telle sorte que l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés n'aurait
pas non plus porté atteinte à une relation commerciale déjà suffisamment établie
juridiquement concernant la livraison de bananes pays tiers. La requérante serait
manifestement consciente de ces faits, puisqu'elle suggère que l'avant-contrat, loin
de constituer une lettre d'intention, est déjà un contrat juridiquement valide, ce qui
n'est pas le cas.
- 58.
- Le rapport de M. Müller ne se prononcerait que sur les conditions minimales que
doit remplir une lettre d'intention pour pouvoir produire des effets juridiques
ouvrant un droit à réparation et non sur les règles de formation et de validité d'un
contrat.
- 59.
- Quelle que soit la qualification de cet avant-contrat, sa non-exécution par Proban
ne saurait constituer un cas de rigueur excessive puisque, de l'aveu même de la
requérante, cet acte ne lui assurait aucun droit à la livraison de bananes.
- 60.
- En ce qui concerne le contrat avec McKenza, son interprétation selon laquelle le
seul partenaire de cette société en Équateur était Sembriosa ne correspondrait pas
au texte de la convention ni à la situation existant au moment de sa signature. Rien
dans le contrat ne permettrait de conclure que seules les livraisons de Sembriosa
faisaient l'objet de l'accord conclu avec la requérante. En outre, la capacité de
livraison assez limitée de Sembriosa expliquerait que le contrat se référait à
d'autres fournisseurs afin d'assurer l'expédition par McKenza à la requérante des
quantités de bananes prévues.
- 61.
- En tout état de cause, après la faillite de Sembriosa, les bananes récoltées par les
entreprises de production de celle-ci devaient être disponibles sur le marché, de
sorte que McKenza aurait pu remplir ses obligations de livraison envers la
requérante, le marché équatorien étant manifestement en mesure d'assurer
l'approvisionnement en bananes de ce fournisseur.
- 62.
- Il s'ensuivrait que l'argument de la requérante selon lequel une procédure engagée
contre McKenza aurait été inopérante est dénué de fondement.
- 63.
- La Commission souligne que la date de conclusion du contrat est pertinente (voir
point 32 ci-dessus), puisque seule une convention conclue avec McKenza avant la
faillite de Sembriosa du 4 novembre 1991 pourrait servir de base à la
reconnaissance d'un cas de rigueur excessive. Or, les contradictions entre les dates
et les autres inexactitudes évoquées ci-dessus porteraient sensiblement atteinte à
la crédibilité de la thèse de la requérante.
- 64.
- En ce qui concerne les contrats et avant-contrat conclus avec Carrión et Bananor,
il conviendrait de distinguer les dispositions prises par la requérante avant qu'elle
ait pris connaissance de l'organisation commune des marchés de celles qu'elle a
arrêtées ensuite. L'avant-contrat du 7 novembre 1991 serait le seul élément
pouvant servir à apprécier si la requérante se trouvait confrontée à un cas de
rigueur excessive. Cet avant-contrat, dont la valeur juridique ne dépasserait pas
celle d'une lettre d'intention, ne constituerait pas une mesure économique
juridiquement pertinente que l'organisation commune des marchés aurait privée
d'effet. Il s'agirait d'une étape nécessaire dans la formation d'un contrat de
livraison, même au regard des dispositions du droit allemand invoquées par la
requérante.
- 65.
- A cet égard, les parties n'auraient pas estimé que les quantités et les conditions de
livraison prévues dans l'avant-contrat seraient reprises, sans aucune modification,
dans le contrat, mais auraient admis que ces éléments seraient de nouveau
examinés et, le cas échéant, réajustés au moment de la conclusion de la convention.
En conséquence, il ne saurait être déduit de l'avant-contrat que des dispositions
irrévocables susceptibles d'être annulées par l'organisation commune des marchés
avaient été arrêtées. La clause de résiliation contenue dans les contrats de 1993
montrerait, en outre, que les parties avaient pleinement conscience des difficultés
pouvant résulter de l'introduction de ce régime commun.
- 66.
- La requérante ne saurait non plus fonder sa demande sur les contrats de livraison
conclus le 11 mars 1993 avec Carrión et le 1er juin 1993 avec Bananor, étant donné
que le règlement n° 404/93 avait été publié au Journal officiel des Communautés
européennes du 25 février 1993. Aussi, les problèmes posés par l'exécution de ces
conventions ne seraient pas imputables à l'organisation commune des marchés,
mais à une décision d'entreprise, assumée par la requérante. De toute façon, cette
dernière aurait pu se soustraire à ces obligations en usant de sa faculté de
résiliation.
- 67.
- Le royaume d'Espagne fait valoir que les circonstances invoquées par la requérante
ne sauraient être analysées comme un cas de rigueur excessive obligeant la
Commission à arrêter des mesures transitoires. Une lettre d'intention, comme celle
signée avec Proban, constituerait une phase préalable à l'établissement d'un contratpréparatoire, phase au cours de laquelle les parties esquisseraient certains éléments
d'une relation contractuelle future. De même, le document élaboré avec McKenza
ne constituerait pas un contrat préparatoire valide, puisque des éléments aussi
essentiels que la durée ou la date d'entrée en application de la convention à
intervenir ne seraient pas précisés. Avant l'entrée en vigueur de l'organisation
commune des marchés, la requérante n'aurait donc eu que de simples expectatives,
mais n'aurait été titulaire d'aucun droit acquis dont la Commission aurait dû tenir
compte pour arrêter des mesures transitoires conformément à l'article 30 du
règlement n° 404/93. La requérante n'aurait pas non plus agi avec la diligence
requise, pour faire en sorte que tous ces accords avec les fournisseurs produisent
leurs effets.
- 68.
- La République française partage l'avis de la Commission quant à la valeur
juridique des lettres d'intention avec Proban et Carrión. De telles lettres
n'équivaudraient pas à un contrat et n'entraîneraient pas les mêmes conséquences,
sans quoi il serait permis de penser que leurs auteurs auraient conclu un contrat
en bonne et due forme. Les dates de conclusion des contrats avec Carrión etBananor seraient postérieures à la publication de la proposition de création de
l'organisation commune des marchés de la Commission, et la requérante aurait
donc eu connaissance du régime de contingent tarifaire instauré par le règlement
n° 404/93. Au surplus, elle n'aurait pas fait preuve de la diligence adéquate. Ainsi,
s'agissant du contrat avec McKenza, la requérante aurait pu, après la faillite de
Sembriosa, en poursuivre l'exécution en recourant aux autres producteurs
mentionnés dans la convention.
Appréciation du Tribunal
- 69.
- Il résulte de l'arrêt T. Port (voir point 12 ci-dessus), que l'article 30 du règlement
n° 404/93 permet à la Commission et, selon les circonstances, lui impose de
réglementer les cas de rigueur excessive lorsque certaines conditions cumulatives
sont remplies. Premièrement, l'importateur de bananes pays tiers ou de bananes
non traditionnelles ACP en question doit rencontrer des difficultés menaçant sa
survie. Deuxièmement, les difficultés connues par l'importateur doivent être
inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur du
règlement n° 404/93 à l'organisation commune des marchés. Troisièmement, il faut
qu'un contingent exceptionnellement bas lui ait été attribué sur la base des années
de référence devant être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe
2, susvisé. Quatrièmement, il faut que ces difficultés ne soient pas dues à l'absence
de diligence de l'importateur concerné.
- 70.
- Il résulte du caractère exceptionnel des mesures que la Commission est habilitée
à adopter au titre de l'article 30 du règlement n° 404/93, par dérogation au régime
général d'attribution de certificats d'importation prévu par ce règlement, que celle-ci ne pourrait être obligée de prendre de telles mesures que s'il était démontré par
des preuves suffisantes que toutes les conditions susvisées sont remplies. A cetégard, la charge de la preuve incombe à l'entreprise qui demande l'adoption de ces
mesures.
- 71.
- Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que les circonstances invoquées
par la requérante concernant l'échec des contrats conclus avec Proban, McKenza
et Carrión/Bananor ne constituaient pas un cas de rigueur excessive au sens de
l'arrêt T. Port.
- 72.
- En ce qui concerne l'avant-contrat conclu avec Proban, il convient de constater que
c'est à juste titre que la Commission a considéré que la requérante n'avait pas
démontré que celui-ci était juridiquement contraignant. En effet, la Commission
était en droit d'avoir des doutes sur la conclusion effective d'un accord entre les
parties compte tenu des différences entre les versions produites. Elle était
également fondée à mettre en doute le caractère définitif de l'accord allégué étant
donné que celui-ci était qualifié d'«avant-contrat» et qu'il lui manquait certains
éléments essentiels. Enfin, la valeur juridique contraignante de l'accord est d'autant
plus douteuse que la requérante s'est abstenue d'exercer les droits prévus par la
convention en cas d'inexécution, par une des parties contractantes, de ses
obligations alors que Proban aurait violé de façon délibérée ses engagements.
- 73.
- Par ailleurs, la Commission était en droit de douter de la valeur juridique
contraignante de l'accord conclu avec McKenza au vu des interrogations sur la date
de sa conclusion et de l'absence de disposition relative à sa durée de validité. La
Commission était également fondée à se demander pourquoi l'exécution de ce
contrat avait échoué ou avait été abandonnée en raison de la faillite de Sembriosa,
étant donné que McKenza elle-même avait fait mentionner dans le texte de la
convention avoir passé un accord avec un groupe de producteurs et d'affréteurs et
qu'il est constant que ces autres sources d'approvisionnement auraient pu fournir
au moins une partie des quantités escomptées de Sembriosa. C'est donc à juste
titre que la Commission a considéré que la requérante n'avait pas fait preuve de
la diligence exigée par la quatrième condition identifiée par la Cour dans l'arrêt T.
Port en s'étant abstenue soit de poursuivre l'exécution du contrat par McKenza,
soit d'exercer les droits prévus dans cette convention en cas d'inexécution, par une
partie contractante, de ses obligations.
- 74.
- S'agissant des contrats passés avec Carrión le 11 mars 1993 et avec Bananor le 1er
juin 1993, c'est également à bon droit que la Commission a estimé qu'ils ne
pouvaient être pris en considération dès lors qu'ils avaient été conclus après que
le règlement n° 404/93 avait été publié au Journal officiel des Communautés
européennes.
- 75.
- En outre, il convient effectivement de constater que les obligations d'importation
mises à la charge de la requérante dans ces contrats ont été souscrites alors que
celle-ci avait parfaitement connaissance des règles de la nouvelle organisation
commune des marchés, ainsi que le démontrent les termes mêmes de cesconventions. Toutes les deux prévoient, en effet, la possibilité de résiliation du
contrat en cas de force majeure «lorsque l'état des échanges internationaux fait
obstacle à l'exportation de la production fruitière [...] en cas de problèmes
particuliers de quotas/licences».
- 76.
- Or, des difficultés dues aux obligations contractuelles conclues après l'adoption du
règlement n° 404/93 ne sauraient, en aucun cas, être assimilées à des difficultés
inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur de
ce règlement au système instauré par celui-ci. Il en découle que de telles difficultés
ne sauraient justifier l'octroi de mesures spéciales au titre d'un cas de rigueur
excessive. Le fait que la requérante avait déjà passé un avant-contrat avec Carrión
le 7 novembre 1991 ne saurait remettre en cause cette appréciation, étant donné
que cet avant-contrat n'obligeait pas la requérante à signer un contrat de
commercialisation.
- 77.
- Dans le même sens, il convient de relever que, à supposer même que les accords
passés avec Proban et McKenza aient été juridiquement contraignants, de sorte que
la requérante ait effectivement eu droit à la livraison des quantités prévues dans
ces accords durant les années 1991 à 1993, les difficultés connues par celle-ci en
raison de l'échec de ces contrats n'auraient pu être considérées comme inhérentes
au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur du règlement
n° 404/93 à l'organisation commune des marchés.
- 78.
- La requérante a, en effet, fait valoir, d'une part, que l'avant-contrat avec Proban
n'avait pas été respecté parce que cette dernière avait choisi de ne pas honorer ses
engagements et, d'autre part, que le contrat avec McKenza était devenu caduc à
la suite de la faillite du fournisseur principal de celle-ci. L'inexécution de ces deux
accords serait donc due à la survenance de risques commerciaux courants, lesquels
doivent être assumés par l'opérateur concerné. Le fait que la requérante avait déjà
commencé à traiter avec Carrión pendant que des négociations étaient en cours
avec McKenza montre d'ailleurs qu'elle était consciente du risque encouru. La
Commission ne peut être tenue d'adopter des mesures spéciales en vue de résoudre
des difficultés commerciales rencontrées par un importateur pour la seule raison
que des espérances nourries par lui concernant la possibilité d'entamer des
relations commerciales avec un fournisseur de bananes se trouvent anéanties.
- 79.
- Certes, des mesures spéciales, au titre d'un cas de rigueur excessive, pourraient
s'avérer nécessaires dans le cas où un importateur se serait engagé à importer des
quantités spécifiques de bananes avant de prendre connaissance des règles de la
nouvelle organisation commune des marchés et se trouverait ensuite dans
l'impossibilité d'honorer ses obligations, faute de pouvoir obtenir les certificats
d'importation indispensables. Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce.
- 80.
- Enfin, il convient d'ajouter que la requérante n'a prouvé ni devant la Commission
ni devant le Tribunal que les circonstances provoquées par le fait que les trois
contrats susvisés n'avaient pu être exécutés avant l'entrée en vigueur du nouveaurégime au mois de juillet 1993 étaient tellement graves qu'elles menaçaient sa
survie et qu'elle se trouvait, en conséquence, confrontée à un cas de rigueur
excessive.
- 81.
- A cet égard, il ressort des explications de la requérante à l'audience que, d'une
part, si les importations de bananes représentent, en général, plus de 50 % de son
chiffre d'affaires, elle importe également d'autres fruits et légumes. D'autre part,
elle avait également passé des contrats d'importation avec d'autres fournisseurs que
Proban et McKenza, de telle sorte qu'elle a pu importer des bananes pendant la
période de référence, malgré l'absence de livraisons de la part de ces deux sociétés.
- 82.
- En outre, en réponse à une question posée par le Tribunal à l'audience, la
requérante a reconnu que, à l'appui de sa demande, elle n'avait fourni aucun
document qui aurait permis à la Commission d'apprécier sa situation financière. De
même, s'il est vrai que, dans le cadre du présent recours, elle a fourni au Tribunal
certaines informations sur ce point, ces dernières ne démontrent nullement que sa
survie était menacée.
- 83.
- Il résulte des éléments qui précèdent que le premier moyen doit être déclaré non
fondé.
Sur le second moyen, tiré d'un excès de pouvoir de la Commission
Argumentation de la requérante
- 84.
- D'une manière globale, la requérante renvoie à ses mémoires dans l'affaire T-39/97.
Elle considère que ce renvoi doit suffire pour expliciter ce moyen.
- 85.
- Dans la réplique, elle expose, toutefois, que l'excès de pouvoir de la Commission
réside dans le fait que celle-ci aurait dû tenir compte de sa propre responsabilité.
En effet, par sa carence depuis le 1er juillet 1993, la Commission aurait commis une
violation du droit de propriété de la requérante et de son droit fondamental à
l'exercice d'une activité économique.
- 86.
- L'excès de pouvoir consisterait également dans le refus de la Commission
d'entendre la requérante au cours de la procédure relative à l'examen de sa
demande. La Commission n'aurait pas méconnu la signification en droit commercial
des accords conclus par la requérante si elle l'avait entendue avant de prendre la
décision attaquée.
Argumentation de la Commission
- 87.
- Ce moyen serait irrecevable étant donné que la requérante ne l'explicite nullement.
- 88.
- Même si le Tribunal devait considérer que le renvoi par la requérante à ses
mémoires dans son recours en carence dans l'affaire T-39/97 suffit pour expliciter
ce moyen, il serait dépourvu de fondement.
- 89.
- L'argument portant sur la violation du droit à être entendu serait tardif et donc
irrecevable, puisqu'il est invoqué pour la première fois dans la réplique et n'est pas
fondé sur des éléments de fait ou de droit qui se sont révélés pendant la procédure.
A titre subsidiaire, la Commission fait observer que le droit d'être entendu a été
respecté, dès lors que la requérante a présenté une demande de reconnaissance
d'un cas de rigueur excessive et que celle-ci a été examinée.
Appréciation du Tribunal
- 90.
- L'article 44 du règlement de procédure du Tribunal prévoit que la requête doit
contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués. Selon la
jurisprudence, cela signifie que la requête doit expliciter en quoi consiste le moyen
sur lequel le recours est basé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond
pas aux exigences dudit règlement (arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo
e.a./Commission, T-16/91, Rec. p. II-2417, point 130).
- 91.
- De plus, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie
défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas
échéant, sans autres informations à l'appui. Afin de garantir la sécurité juridique
et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable,
que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde
ressortent, au moins sommairement, mais de façon cohérente et compréhensible,
du texte de la requête elle-même (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso
Española/Commission, T-348/94, Rec. p. II-1875, point 143).
- 92.
- Ces conditions n'étant pas remplies en l'espèce, le second moyen doit être déclaré
irrecevable. Il convient d'ajouter que l'explicitation du moyen dans la réplique est
sans pertinence à cet égard.
- 93.
- Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
- 94.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante
ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner
la requérante aux dépens.
- 95.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, du même règlement, les États membres
qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. En conséquence, le royaumed'Espagne et la République française, qui sont intervenus au soutien des
conclusions présentées par la Commission, supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée à supporter ses dépens ainsi que ceux de la
Commission.
3) Le royaume d'Espagne et la République française supporteront leurs
propres dépens.
CookeGarcía-Valdecasas
Lindh
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 mars 2000.
Le greffier
Le président
H. Jung
R. García-Valdecasas