Language of document : ECLI:EU:T:2021:795

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

17 novembre 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne tridimensionnelle – Forme d’une tasse – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] – Absence de caractère distinctif acquis par l’usage – Article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001) »

Dans l’affaire T‑658/20,

Philip Jakober, demeurant à Stuttgart (Allemagne), représenté par Me J. Klink, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. M. Fischer, D. Hanf et M. Eberl, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 20 août 2020 (affaire R 554/2020-5), concernant une demande d’enregistrement d’un signe tridimensionnel constitué par la forme d’une tasse comme marque de l’Union européenne,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de M. A. Kornezov, président, Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. G. Hesse (rapporteur), juges,

greffier : Mme J. Pichon, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 2 novembre 2020,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 22 décembre 2020,

à la suite de l’audience du 10 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 21 octobre 2016, le requérant, M. Philip Jakober, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)]. La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe tridimensionnel suivant :

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2        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 21, 30 et 32 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 21 : « Verres à boire ; verrerie à usage domestique ; verrerie non comprise dans d’autres classes ; chopes en verre ; verres [récipients] ; verres [récipients pour boire] ; cruchons ; carafes ; assortiments de boîtes de cuisine ; tasses à thé ; théières ; services à thé ; vaisselle pour le service de boissons » ;

–        classe 30 : « Café, thés, cacao et leurs succédanés ; boissons à base de thé ; thé soluble [autre qu’à usage médicinal] ; thés aromatiques [à usage non médicinal] ; fleurs ou feuilles en tant que succédanés de thé » ;

–        classe 32 : « Boissons sans alcool ; cocktails sans alcool ; bières ».

3        Par décision du 7 mai 2018, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits concernés sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001]. L’examinateur a également rejeté la demande d’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001), au motif qu’aucune preuve que la marque demandée avait acquis par l’usage un caractère distinctif dans l’ensemble de l’Union européenne n’avait été apportée.

4        Le 19 juin 2018, le requérant a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de l’examinateur.

5        Par décision du 11 février 2019, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a déclaré irrecevable le recours formé contre la décision de l’examinateur. Elle a estimé que, conformément à l’article 23, paragraphe 1, sous c), du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), ce recours devait être rejeté pour cause d’irrecevabilité, au motif que l’acte de recours ne contenait pas toutes les informations requises au titre de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du même règlement, alors que la possibilité de remédier à cette irrégularité avait été offerte à l’auteur du recours.

6        Le 17 avril 2019, le requérant a formé un recours auprès du Tribunal contre la décision de la quatrième chambre de recours.

7        Par arrêt du 11 février 2020, Jakober/EUIPO (Forme d’une tasse) (T‑262/19, non publié, EU:T:2020:41), le Tribunal a annulé la décision de la quatrième chambre de recours. L’affaire a été renvoyée à la cinquième chambre de recours sous le numéro R 554/2020-5.

8        Par décision du 20 août 2020 (ci-après la décision attaquée), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, s’agissant du caractère distinctif intrinsèque de la marque demandée, la chambre de recours a estimé que cette marque se confondait, d’une part, avec l’apparence même des récipients pour boire et, d’autre part, avec le conditionnement ou l’emballage des boissons et de leur ingrédient. Dès lors, dans la mesure où la marque demandée ne divergeait pas, de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur, la chambre de recours en a conclu que celle-ci était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque. S’agissant du caractère distinctif que la marque demandée aurait acquis par l’usage, la chambre de recours a considéré que les preuves produites par le requérant étaient insuffisantes pour démontrer une telle acquisition.

 Conclusions des parties

9        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        réformer la décision attaquée en ce sens que le recours est fondé et que la marque demandée doit donc être admise à l’enregistrement dans le registre de l’EUIPO ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

11      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 21 octobre 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée). Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, du « RMUE » et par les parties dans leurs écritures à l’article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, du règlement 2017/1001 comme visant l’article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, du règlement no 207/2009, d’une teneur identique.

12      À l’appui du recours, le requérant soulève deux moyens, tirés, respectivement, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 et, le second, de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009

13      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif.

14      Le caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 33 et jurisprudence citée).

15      Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (voir arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 35 et jurisprudence citée).

16      En l’espèce, les produits concernés compris dans la classe 21 sont, comme l’a relevé la chambre de recours, de la verrerie à usage domestique et sont utilisés, pour la plupart, pour boire. Les produits concernés compris dans les classes 30 et 32 sont des produits alimentaires et des boissons de consommation courante. Dans l’ensemble, ces produits s’adressent ainsi au grand public, ce que le requérant ne conteste pas.

17      En l’absence d’éléments de nature à montrer que la marque demandée, dépourvue d’éléments verbaux, serait perçue différemment au sein de l’Union, la chambre de recours a estimé que le public pertinent était composé de « tous les consommateurs de l’Union », ce que le requérant ne conteste pas non plus.

18      Il convient, dès lors, d’examiner si la chambre de recours a pu conclure à bon droit que la marque demandée était dénuée de caractère distinctif par rapport, d’une part, aux produits concernés, qu’ils s’agissent de verreries, d’aliments ou de boissons, et, d’autre part, à la perception du grand public dans toute l’Union.

19      À cet égard, il ressort sans ambiguïté du dossier de l’EUIPO que la demande d’enregistrement concernait un signe tridimensionnel. Bien que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne soient pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques, la perception du public pertinent n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par la forme du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne. En effet, les consommateurs moyens de la catégorie des produits concernés n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif s’agissant d’une telle marque tridimensionnelle que s’agissant d’une marque verbale ou figurative [arrêts du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 38, et du 25 septembre 2014, Giorgis/OHMI – Comigel (Forme de deux gobelets emballés), T‑474/12, EU:T:2014:813, point 19].

20      Dans ces conditions, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’identification de l’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 (voir arrêt du 25 septembre 2014, Forme de deux gobelets emballés, T‑474/12, EU:T:2014:813, point 20 et jurisprudence citée).

21      En l’espèce, la chambre de recours a considéré que la marque demandée se confondait, d’une part, avec l’apparence même des produits concernés utilisés pour boire compris dans la classe 21 et, d’autre part, avec le conditionnement ou l’emballage des boissons et des produits permettant leur préparation compris, respectivement, dans les classes 32 et 30. La chambre de recours a alors estimé que, pour apprécier le caractère distinctif intrinsèque de la marque demandée, elle devait vérifier si celle-ci divergeait, de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur, ce qui en définitive n’était pas le cas selon elle.

22      Le requérant conteste ces considérations. En particulier, il fait valoir que la plupart des produits visés par la demande d’enregistrement ne concernent pas des tasses. Selon le requérant, la marque demandée ne se confond d’aucune manière avec la forme des « cruchons ; carafes ; assortiments de récipients ; théières ; services à thé ; récipients pour boissons (ménage et cuisine) » relevant de la classe 21 et avec les produits relevant des classes 30 et 32. Il précise que la forme en cause ne se confondrait ni avec la forme des « café, thé, boissons sans alcool » ni avec l’apparence de la « bière », du « thé soluble » ou des « feuilles de thé ». Les seuls produits pour lesquels cette considération de la chambre de recours serait correcte seraient les tasses et les verres.

23      S’agissant des récipients pour boire relevant de la classe 21, il convient de rappeler que la marque demandée consiste en une représentation, en trois dimensions et sous cinq différentes perspectives, d’un récipient pour boire transparent à double paroi, muni d’une anse, et dont la paroi intérieure « flottante » a la forme d’un cœur.

24      Comme l’a relevé la chambre de recours à juste titre, le public pertinent qui achète ces produits percevra la marque demandée comme un verre, une tasse ou un récipient pour boire, à double paroi, dont la configuration intérieure est celle d’une forme de cœur. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, la chambre de recours a considéré à bon droit que la marque demandée était une marque tridimensionnelle constituée par l’apparence du produit lui‑même et a vérifié si cette marque divergeait de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur.

25      À cet égard, la chambre de recours a remarqué, à juste titre, que le marché des verres et des tasses se caractérisait par une grande diversité de formes qui allaient des récipients cylindriques avec des parois intérieures simples à ceux avec des parois intérieures « flottantes » de formes plus complexes, telles des têtes de mort, des bouteilles de bière renversées, des têtes d’ourson, des bustes humains ou des queues de poisson. L’argument du requérant selon lequel la chambre de recours aurait erronément comparé la marque demandée avec des tasses inhabituelles de fournisseurs spécialisés ne modifie pas ce constat. En effet, il ressort du dossier, y compris des éléments soumis par le requérant, que le marché des verres et des tasses ne se limite pas aux formes cylindriques mentionnées dans la requête. Comme le montrent les nombreuses illustrations présentes dans le dossier, il existe, sur ce marché, une importante diversité de formes.

26      En l’espèce, force est de constater que les caractéristiques auxquelles le requérant se réfère pour considérer la marque demandée comme ayant la capacité intrinsèque de distinguer les produits susmentionnés de ceux de ses concurrents apparaissent comme de simples variantes habituelles des récipients pour boire tels que les tasses et les verres. Ces caractéristiques ne sont donc pas de nature à individualiser les produits en cause et à signaler, à elles seules, une origine commerciale déterminée.

27      En effet, il est constant que les verres et les tasses à double paroi sont déjà proposés sur le marché par différents fabricants. Comme l’a constaté la chambre de recours, ces verres ou tasses à double paroi ont des aspects esthétiques et fonctionnels. Ainsi, la double paroi de la marque demandée ne diverge pas significativement des formes courantes sur le marché, dans la mesure où ce type de paroi est utilisé, dans ce secteur, à des fins fonctionnelles pour son effet isolant qui permet de maintenir les boissons chaudes plus longtemps.

28      Pour autant, contrairement à ce que fait valoir le requérant, il ne ressort pas de la décision attaquée que la chambre de recours aurait considéré que la forme de la marque demandée serait uniquement due à des raisons techniques. La chambre de recours s’est contentée de constater que cette caractéristique de la marque demandée était courante dans ce secteur. Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, le public pertinent, habitué à voir sur le marché des récipients pour boire à double paroi dans toutes les variantes et configurations possibles de parois intérieures « flottantes », sera tout aussi habitué à voir le liquide « flotter librement » dans la tasse « comme par magie » et n’y verra pas une indication de l’origine commerciale des produits concernés.

29      En outre, il est constant que la forme de cœur est souvent utilisée en ce qui concerne des tasses et des verres. Néanmoins, le requérant fait valoir que la forme en cause est unique, en ce qu’elle possède un « cœur flottant comme par magie à l’intérieur ». Il reproche à la chambre de recours d’avoir classé la forme en cause parmi celles qui sont habituelles dans le secteur, quand bien même la marque demandée serait en réalité inhabituelle, simplement parce que celle-ci relèverait de l’« idée générale » de « tasses avec des cœurs ».

30      Il importe de constater que la chambre de recours a fondé ses appréciations non sur l’idée générale de « tasses avec des cœurs », mais sur les éléments concrets en sa possession, notamment ceux auxquels se sont référés l’examinateur et le requérant, ainsi que cela ressort des points 36 et 37 de la décision attaquée. Au regard de ces éléments, force est de constater que la chambre de recours a relevé à juste titre que, dans le secteur concerné, le cœur constituait habituellement aussi bien une décoration, apposée sur la partie externe des tasses ou des verres, que la forme de base des produits eux-mêmes. La chambre de recours a également relevé, à juste titre, sur la base de ces éléments, que les formes de cœur étaient notamment utilisées à des occasions telles que la Saint-Valentin ou la fête des Mères. La figure du cœur est ainsi couramment utilisée, de manière décorative, pour exprimer l’affection. Dès lors, le public pertinent confronté à la forme de cœur en cause, quand bien même celle-ci est « flottante », n’y verra vraisemblablement pas une indication de l’origine commerciale des produits concernés, mais, au contraire, comme le souligne l’EUIPO, une configuration attractive de ces produits dont le but est de susciter des émotions positives chez l’acheteur ou le destinataire.

31      Il résulte de ce qui précède que, globalement, la marque demandée se présente sous la forme d’un récipient pour boire transparent à double paroi, avec une paroi intérieure « flottante » en forme de cœur, dont les caractéristiques précédemment mentionnées s’apparentent à des variantes de ce type de récipients habituellement disponibles sur le marché et ne permettent pas de considérer que ladite marque, dans son ensemble, diverge, de manière significative, des formes habituelles de tels produits.

32      Si, certes, comme le soutient le requérant, la nouveauté ou l’originalité ne sont pas des critères pertinents pour l’appréciation du caractère distinctif d’une marque [arrêt du 26 octobre 2017, Erdinger Weißbräu Werner Brombach/EUIPO (Forme d’un grand verre), T‑857/16, non publié, EU:T:2017:754, point 23], il n’en demeure pas moins que la marque demandée doit permettre au public pertinent de distinguer, sans procéder à une analyse et sans faire preuve d’une attention particulière, les produits concernés de ceux d’autres entreprises. Or, dans le cas présent, il est exclu que, au-delà de l’effet décoratif, affectif ou laudatif de la forme en cause, le public pertinent attribue à la marque demandée une fonction d’identification de l’origine des produits concernés.

33      Le fait que la chambre de recours n’a pas établi qu’il existait, sur le marché, des formes de tasses ou de verres identiques à celle faisant l’objet de la demande d’enregistrement n’est pas de nature à infirmer ces conclusions. En effet, cette circonstance ne suffit pas en soi à établir que celle-ci s’écarte de manière significative des normes et des habitudes du secteur concerné et qu’elle revêt, de ce fait, un caractère distinctif.

34      S’agissant en particulier des « cruchons », des « carafes » et des « théières » compris dans la classe 21, force est de constater qu’il s’agit, tout comme la forme dont l’enregistrement est demandé, de récipients destinés à contenir un liquide et utilisés pour boire. Dans ces circonstances, la chambre de recours pouvait, comme elle l’a fait, considérer que la marque demandée se confondait avec l’apparence du produit lui-même. Il y a lieu de rappeler à cet égard que le public pertinent n’a pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme (point 18 ci-dessus). En l’espèce, comme l’a relevé la chambre de recours au point 41 de la décision attaquée, les récipients pour boire configurés en forme de cœur sont usuels. En outre, ces produits sont souvent commercialisés en combinaison avec des tasses et des verres, en tant qu’élément d’un service ou d’un assortiment. Dès lors, pour ces produits également, le public pertinent, confronté à la marque demandée, ne verra ses différentes caractéristiques que pour leurs fonctions laudatives, décoratives et techniques. Il n’y verra pas une indication de leur origine commerciale.

35      Partant, c’est à bon droit que la chambre de recours a conclu que la marque demandée n’avait pas de caractère distinctif intrinsèque en ce qui concerne les « verres à boire ; verrerie à usage domestique ; verrerie non comprise dans d’autres classes ; chopes en verre ; verres [récipients] ; verres [récipients pour boire] ; cruchons ; carafes ; assortiments de boîtes de cuisine ; tasses à thé ; théières ; services à thé ; vaisselle pour le service de boissons » relevant de la classe 21.

36      S’agissant des produits relevant des classes 30 et 32, y compris le « café », le « thé », le « thé soluble », les « fleurs ou feuilles en tant que succédanés de thé », les « boissons sans alcool » et les « bières », la lecture de la décision attaquée permet de constater que, contrairement à ce que soutient le requérant, la chambre de recours n’a pas considéré que ces produits se confondaient avec la forme en cause. En effet, la chambre de recours a considéré, en particulier au point 43 de la décision attaquée, que la marque demandée était constituée par la forme du conditionnement de ces produits. À cet égard, au regard des produits en cause et compte tenu du fait que la marque demandée est constituée par la forme d’un récipient pour boire transparent, force est de constater, à l’instar de la chambre de recours, que ladite marque doit être considérée comme étant la forme tridimensionnelle du conditionnement de ces produits.

37      Ainsi que cela a été relevé à juste titre dans la décision attaquée, une telle marque ne possède un caractère distinctif que si elle permet aux consommateurs moyens des produits en cause de distinguer, sans procéder à une analyse ou à une comparaison, et sans faire preuve d’une attention particulière, le produit concerné de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 25 septembre 2014, Forme de deux gobelets emballés, T‑474/12, EU:T:2014:813, point 21 et jurisprudence citée).

38      En l’espèce, force est de constater, à l’instar de la chambre de recours, que la forme en cause sera perçue par le public pertinent uniquement comme une variante parmi les formes de récipients pour boire disponibles sur le marché, visant à la consommation ou à la conservation des boissons et des ingrédients nécessaires à leur préparation.

39      Les caractéristiques de la marque demandée, notamment celles mises en avant par le requérant, ne sont pas susceptibles de transmettre un message quant à l’origine des produits dont le public pertinent pourra se souvenir, de sorte que la marque demandée se bornera à indiquer au public pertinent que les boissons et les ingrédients pour ces boissons sont proposés, consommés ou conservés dans le récipient en cause.

40      Dans la mesure où la marque demandée ne permet pas au public pertinent de distinguer, sans procéder à une analyse ou à une comparaison, et sans faire preuve d’une attention particulière, les produits concernés, à savoir les « café, thés, cacao et leurs succédanés ; boissons à base de thé ; thé soluble [autre qu’à usage médicinal] ; thés aromatiques [à usage non médicinal] ; fleurs ou feuilles en tant que succédanés de thé » et les « boissons sans alcool ; cocktails sans alcool ; bières », de ceux d’autres entreprises, c’est à bon droit que la chambre de recours a conclu que la marque demandée n’avait pas de caractère distinctif intrinsèque au regard de ces produits.

41      S’agissant des demandes d’enregistrement admises par le Deutsches Patent- und Markenamt (Office allemand des brevets et des marques), il y a lieu de rappeler que le régime des marques de l’Union européenne est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national et la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO devant être appréciée uniquement sur le fondement du règlement n° 207/2009, tel qu’il est interprété par le juge de l’Union (voir arrêt du 17 juillet 2008, L & D/OHMI, C‑488/06 P, EU:C:2008:420, point 58 et jurisprudence citée). Dès lors, l’EUIPO et, le cas échéant, le juge de l’Union ne sont pas liés par une décision intervenue au niveau d’un État membre admettant le caractère enregistrable de ce même signe en tant que marque nationale [arrêt du 27 février 2002, Streamserve/OHMI (STREAMSERVE), T‑106/00, EU:T:2002:43, point 47].

42      En l’espèce, au regard des éléments fournis par le requérant aux points 43 et 44 de la requête, il y a lieu de constater que le fait que l’Office allemand des brevets et des marques ait accepté l’enregistrement d’une forme de verre dont la paroi intérieure « flottante » a une forme de « cône simple » n’est pas susceptible d’infirmer l’ensemble des considérations qui précèdent. Ces éléments confirment, au contraire, la grande diversité de formes qui existe sur ce marché.

43      Il s’ensuit que la chambre de recours a établi à suffisance de droit que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif par rapport aux produits concernés. Par conséquent, il y a lieu d’écarter le premier moyen.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009

44      En vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, les motifs absolus visés à l’article 7, paragraphe 1, sous b) à d), du même règlement ne s’opposent pas à l’enregistrement d’une marque si celle-ci a acquis, pour les produits ou les services pour lesquels l’enregistrement est demandé, un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.

45      La charge de la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage en application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009 repose sur le titulaire de la marque en cause [voir arrêt du 10 juin 2020, Louis Vuitton Malletier/EUIPO – Wisniewski (Représentation d’un motif à damier), T‑105/19, non publié, EU:T:2020:258, point 61 et jurisprudence citée ; voir également, par analogie, arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a., C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 68].

46      Selon la jurisprudence, pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait, l’autorité compétente doit procéder à un examen concret et apprécier globalement les éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à identifier le produit ou le service concerné comme provenant d’une entreprise déterminée (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a., C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 40 et jurisprudence citée).

47      À cet égard, il convient de prendre en considération, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque, les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles ainsi que les sondages d’opinion (voir arrêt du 10 juin 2020, Représentation d’un motif à damier, T‑105/19, non publié, EU:T:2020:258, point 63 et jurisprudence citée).

48      Si, sur la base de tels éléments, les milieux intéressés ou, à tout le moins, une fraction significative de ceux-ci, identifient grâce à la marque le produit comme provenant d’une entreprise déterminée, il convient d’en conclure que la condition exigée par l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 est remplie (voir, par analogie, arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, point 52).

49      Par ailleurs, en ce qui concerne l’étendue géographique de la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage, il convient de rappeler que, dans le cas des marques non verbales, telles que celle en cause en l’espèce, il y a lieu de présumer que l’appréciation du caractère distinctif est la même dans toute l’Union, à moins qu’il n’existe des indices concrets en sens inverse. Dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que tel soit le cas, il convient de considérer que le motif absolu de refus visé à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 existe, à l’égard de la marque demandée, dans toute l’Union. C’est donc dans l’ensemble de l’Union que cette marque doit avoir acquis un caractère distinctif par l’usage pour être enregistrable en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009 [voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Eurocermex/OHMI (Forme d’une bouteille de bière), T‑399/02, EU:T:2004:120, point 47, et du 21 avril 2015, Louis Vuitton Malletier/OHMI – Nanu-Nana (Représentation d’un motif à damier gris), T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 87].

50      Il s’ensuit qu’il appartenait au requérant de prouver que, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, soit le 21 octobre 2016, la marque demandée avait acquis, dans toute l’Union, un caractère distinctif par l’usage.

51      En substance, le requérant fait valoir qu’il lui suffisait de prouver l’usage auprès « d’une proportion pertinente de consommateurs européens, indépendamment des frontières nationales ». La chambre de recours aurait donc commis une erreur de droit en ce qu’elle aurait considéré que l’acquisition du caractère distinctif par l’usage n’aurait pas été apportée pour tout le territoire de l’Union, parce que les preuves concernaient seulement cinq États de ce territoire.

52      À cet égard, force est de constater que, certes, la chambre de recours a relevé que les preuves produites ne concernaient que cinq États membres – ce que le requérant a lui-même admis à l’audience –, toutefois, elle a considéré que, de toute façon, la simple preuve que des ventes avaient eu lieu ne permettait pas de conclure à l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage.

53      Dès lors, en toute hypothèse, il y a lieu de constater, à l’instar de la chambre de recours, que les éléments de preuve produits par le requérant ne fournissent pas suffisamment d’informations sur la perception de la marque demandée par le public pertinent. En effet, ces éléments de preuve consistent principalement en des captures d’écran, en partie illisibles, établissant au mieux que des tasses ayant la forme en cause ont été proposées à la vente en ligne depuis 2014, principalement en Allemagne. Or, la simple preuve que des tasses ayant ladite forme ont été proposées à la vente ne suffit pas pour apprécier la perception de la marque demandée par le public pertinent. En outre, les autres preuves isolées ne sont pas susceptibles de combler la lacune tenant à l’insuffisance de preuve. À cet égard, le requérant a d’ailleurs confirmé à l’audience qu’il n’avait présenté aucune preuve, telle que des sondages d’opinion, des études de marché ou autres, indiquant la proportion du public pertinent qui, du fait de la marque demandée, identifiait les produits concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

54      Dans ces circonstances, il ne peut être reproché à la chambre de recours d’avoir conclu qu’il ne pouvait être reconnu à la marque demandée un caractère distinctif acquis par l’usage, au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, pour les produits concernés, sur le fondement des preuves produites.

55      Il s’ensuit que le second moyen doit être écarté.

56      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Philip Jakober est condamné aux dépens.

Kornezov

Kowalik-Bańczyk

Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 novembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.