Language of document : ECLI:EU:T:2018:1028

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT
DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

17 décembre 2018 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Recherche générale et recherche spécialisée pour l’achat de produits sur Internet – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE et à l’article 54 de l’accord EEE – Recours en annulation – Intervention – Intérêt à la solution du litige – Entreprise concurrente de l’entreprise objet de la décision attaquée »

Dans l’affaire T‑612/17,

Google LLC, anciennement Google Inc., établie à Mountain View, Californie (États-Unis d’Amérique),

Alphabet Inc., établie à Mountain View, Californie,

représentées par Mes T. Graf, R. Snelders et C. Thomas, avocats, M. K. Fountoukakos-Kyriakakos, solicitor, et par MM. R. O’Donoghue (QC) et D. Piccinin, barrister,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, N. Khan, A. Dawes, H. Leupold et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission, du 27 juin 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.39740 – Moteur de recherche Google (Shopping)] et, subsidiairement, l’annulation ou la réduction de l’amende infligée au titre de cette décision,

LE PRÉSIDENT DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Procédure

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2017, Google LLC, anciennement Google Inc., et Alphabet Inc. (ci-après, ensemble, « Google ») ont introduit un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation, de la décision de la Commission, du 27 juin 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.39740 – Moteur de recherche Google (Shopping)], constatant de leur part un abus de position dominante sur plusieurs marchés nationaux et leur infligeant de ce fait une sanction pécuniaire (ci-après la « décision attaquée »).

2        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 décembre 2017, Visual Meta GmbH (ci-après « Visual Meta ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

3        La demande d’intervention a été signifiée aux parties principales. Le 23 mars 2018 Google et la Commission ont indiqué au Tribunal qu’elles ne s’opposaient pas à l’intervention de Visual Meta. Les parties principales ont, toutefois, demandé, conformément à l’article 144 du règlement de procédure du Tribunal, que certains éléments confidentiels du dossier ne soient pas communiqués à Visual Meta dans l’hypothèse où elle serait admise à intervenir.

4        À la suite d’une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal, la Commission et Google ont présenté des demandes de traitement confidentiel révisées concernant la requête et le mémoire en défense le 28 septembre 2018 et des demandes de traitement confidentiel concernant la réplique et la duplique le 12 octobre 2018.

 Sur la demande d’intervention

5        À l’appui de sa demande d’intervention, Visual Meta expose, en substance, qu’elle remplit les exigences auxquelles est soumis le droit à intervenir au litige, prévu à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, tel qu’applicable aux entreprises.

6        À cet égard, Visual Meta indique qu’elle propose sur Internet un service de recherche spécialisée de comparaison pour l’achat de produits concurrent de celui de Google dans treize pays européens et au Brésil. Elle souligne notamment qu’elle a plus de 3 500 vendeurs partenaires, dont des plateformes de vente en ligne comme Otto, Amazon, ebay et Zalando et qu’elle compte parmi les premiers comparateurs pour l’achat de produits en Allemagne pour la mode et le mobilier. Sa position commerciale aurait été particulièrement affectée par le comportement de Google incriminé dans la décision attaquée qui aurait entraîné, particulièrement depuis janvier 2011, des chutes de fréquentation de son site Internet de comparaison pour l’achat de produits, au profit de celui de Google (Google Shopping). Elle aurait en outre joué un rôle actif dans la procédure administrative ayant conduit à la décision attaquée, au fur et à mesure de l’évolution de cette procédure, en complétant sa plainte déposée auprès de la Commission par de nombreuses contributions, dont elle cite plusieurs exemples, notamment un commentaire sur les griefs notifiés. Son intérêt direct à la solution du litige serait renforcé par le fait que le succès d’actions en responsabilité qu’elle pourrait engager à l’encontre de Google serait facilité par la confirmation de la décision attaquée. La prise en compte de cette éventualité serait possible dans la mesure où sa situation ne serait pas assimilable à celle de multiples entreprises victimes des conséquences d’un cartel dont l’intérêt direct à la solution d’un litige portant sur l’existence de celui-ci n’est pas nécessairement reconnu. Elle serait en l’espèce en effet un des seuls concurrent directs de Google qui, par ses apports pendant la procédure administrative, a permis à la Commission d’étayer la décision attaquée.

7        L’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, prévoit que toute personne peut intervenir dans un litige soumis au juge de l’Union, autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, si elle peut justifier d’un intérêt à la solution du litige.

8        Il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de cette disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés [ordonnances du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 53, et du 8 juin 2012, Schenker/Air France et Commission, C‑589/11 P(I), non publiée, EU:C:2012:332, point 10].

9        En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt [ordonnance du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 57, et ordonnance du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations Europe/Commission, T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926, point 11].

10      S’agissant d’une demande d’intervention émanant d’une entreprise, il convient, notamment, de vérifier que celle-ci est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir, en ce sens, ordonnances du 25 novembre 1964, Lemmerz-Werke/Haute Autorité, 111/63, EU:C:1964:82 et du 25 février 2003, BASF/Commission, T‑15/02, EU:T:2003:38, point 26).

11      À cet égard, les entreprises concurrentes, sur les marchés de produits affectés, de l’auteur d’une pratique qualifiée de contraire aux articles 101 ou 102 TFUE dans une décision de la Commission ont un intérêt direct et certain à la solution du litige mettant en cause la légalité de cette décision si cette solution peut affecter d’une manière suffisamment caractérisée leur position concurrentielle (voir ordonnance du 13 juin 1994, Reti Televisive Italiene/Commission, T‑542/93, non publiée, point 9).

12      En l’espèce, Visual Meta a exposé qu’elle était concurrente de Google sur plusieurs marchés nationaux des services de comparaison pour l’achat de produits sur lesquels la Commission a constaté un abus de position dominante de Google, en particulier en Allemagne, en Autriche, en France, en Espagne et en Pologne. Ces affirmations n’ont pas été contestées par les parties principales et sont étayées notamment par l’identification des sites Internet concernés de Visual Meta, une copie d’écran de l’un d’eux comparée à une copie d’écran de Google shopping pour le même produit et par un extrait d’un classement européen de fréquentation des services de comparaison pour l’achat de produits (Comscore report) qui place Visual Meta aux alentours de la cinquième place entre octobre 2016 et octobre 2017. Or, le comportement reproché à Google par la Commission dans la décision attaquée est en substance d’avoir favorisé, dans son moteur de recherche générale, au moyen d’un paramétrage de ses algorithmes, son propre service de comparaison pour l’achat de produits par rapport aux services concurrents. Dans ces conditions, Visual Meta a bien établi avoir un intérêt direct et certain à la solution du litige, puisqu’une annulation de la décision attaquée pourrait conduire Google à reprendre des pratiques similaires, susceptibles d’affecter de suffisamment caractérisée la position concurrentielle de Visual Meta.

13      Visual Meta doit par conséquent être admise à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

 Sur les demandes de traitement confidentiel

14      À ce stade, la communication à Visual Meta des actes signifiés et, le cas échéant, à signifier aux parties principales doit être limitée à une version non confidentielle. Une décision sur le bien-fondé des demandes de confidentialité sera, le cas échéant, prise ultérieurement au vu des objections qui pourraient être présentées à ce sujet.



Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Visual Meta GmbH est admise à intervenir dans l’affaire T612/17 au soutien des conclusions de la Commission européenne.

2)      Le greffier communiquera à Visual Meta une version non confidentielle de tous les actes de procédure signifiés aux parties principales.

3)      Un délai sera fixé à Visual Meta pour présenter ses objections éventuelles sur les demandes de traitement confidentiel. La décision sur le bien-fondé de ces demandes est réservée.

4)      Un délai sera fixé à Visual Meta pour présenter un mémoire en intervention, sans préjudice de la possibilité de le compléter ultérieurement, à la suite d’une décision sur le bien-fondé des demandes de traitement confidentiel.

5)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 17 décembre 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni


*      Langue de procédure : l’anglais.