Language of document : ECLI:EU:T:2010:479

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

24 novembre 2010 (*)

« Recours en annulation – Marché intérieur du gaz naturel – Article 22 de la directive 2003/55/CE – Lettre de la Commission demandant à une autorité de régulation de modifier sa décision relative à l’octroi d’une dérogation – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑317/09,

Concord Power Nordal GmbH, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Mes C. von Hammerstein, C.-S. Schweer et C. Wünschmann, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. G. Wilms, Mme O. Beynet et M. B. Schima, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

OPAL NEL Transport GmbH, établie à Kassel (Allemagne), représentée par Mes U. Quack et O. Fleischmann, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre de la Commission du 12 juin 2009, adressée à la Bundesnetzagentur (autorité allemande de régulation) sur le fondement de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé, lors du délibéré, de MM. N. J. Forwood, président, E. Moavero Milanesi (rapporteur) et J. Schwarcz, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        Selon l’article 22 de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57), les nouvelles grandes infrastructures gazières, c’est-à-dire les interconnexions entre États membres, les installations de gaz naturel liquéfié (GNL) ou de stockage peuvent, sur demande et dans certaines conditions, bénéficier d’une dérogation aux dispositions figurant aux articles 18 à 20 et à l’article 25, paragraphes 2 à 4, de cette même directive. La décision de dérogation est adoptée par l’autorité nationale de régulation visée audit article 25, ou par l’instance compétente de l’État membre, et doit être dûment motivée et publiée.

2        Aux termes de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55 :

« L’autorité compétente notifie sans retard à la Commission la décision de dérogation ainsi que toutes les informations utiles s’y référant. Ces informations sont communiquées à la Commission sous une forme agrégée pour lui permettre de fonder convenablement sa décision.

[…]

Dans un délai de deux mois suivant la réception de la notification, la Commission peut demander à l’autorité de régulation ou à l’État membre concerné de modifier ou d’annuler la décision d’accorder une dérogation. Ce délai de deux mois peut être prolongé d’un mois supplémentaire si la Commission sollicite un complément d’informations.

Si l’autorité de régulation ou l’État membre concerné ne se conforme pas à cette demande dans un délai de quatre semaines, la Commission prend une décision définitive conformément à la procédure visée à l’article 30, paragraphe 2.

La Commission respecte la confidentialité des informations sensibles d’un point de vue commercial. »

 Antécédents du litige

3        Afin d’approvisionner l’Union européenne en gaz provenant de gisements russes, il est projeté de construire le gazoduc sous-marin Nord Stream, visant à relier la ville russe de Vyborg à la ville allemande de Lubmin en passant par les eaux internationales de la mer Baltique. Il est également projeté de construire notamment les gazoducs Nordal et OPAL afin que les volumes de gaz transportés par le gazoduc Nord Stream jusqu’à Lubmin puissent être recueillis et acheminés dans les réseaux gaziers allemands et européens.

4        La requérante, Concord Power Nordal GmbH, distributeur d’énergie indépendant, est le maître d’ouvrage du projet de gazoduc Nordal.

5        Concernant le projet OPAL, deux exploitants, OPAL NEL Transport GmbH et E.ON Ruhrgas Nord Stream Anbindungsgesellschaft mbH, ont chacun déposé, auprès de la Bundesnetzagentur (autorité de régulation allemande, ci‑après la « BNetzA »), des demandes de dérogation visant à soustraire le projet à la réglementation visée à l’article 28 bis de l’Energiewirtschaftsgesetz (loi allemande sur l’approvisionnement en gaz et en électricité, ci‑après l’« EnWG »), du 7 juillet 2005 (BGBl. 2005 I, p. 1970), qui a transposé en Allemagne la directive 2003/55.

6        Le 25 février 2009, la BNetzA a rendu deux décisions qui accordent, pour une période de 22 ans, les dérogations demandées aux dispositions des articles 20 à 25 de l’EnWG relatives à l’accès réglementé au réseau de tiers et la fixation des tarifs (ci-après les « décisions de dérogation »), au motif que, en substance, le gazoduc représentait une interconnexion au sens de la directive 2003/55 et qu’il remplissait les conditions du droit national transposant l’article 22 de ladite directive.

7        Le 5 mars 2009, la requérante a déposé une plainte auprès de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) contre les décisions de dérogation, conformément à l’article 75 de l’EnWG, au motif que les conditions pour l’octroi d’une dérogation n’auraient pas été pas remplies.

8        Le 13 mars 2009, conformément à l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, la BNetzA a notifié à la Commission des Communautés européennes les décisions de dérogation. Le 26 mars 2009, la Commission a publié une communication relative à la notification des décisions de dérogation, invitant les tiers à présenter des observations à ce sujet dans un délai de deux semaines, c’est-à-dire au plus tard le 9 avril 2009. La requérante a présenté ses observations le 27 mars 2009 en indiquant que, selon elle, les conditions pour l’octroi d’une autorisation de dérogation conformément à l’article 22 de la directive n’étaient pas remplies.

9        Par lettre du 12 juin 2009 (ci‑après la « lettre attaquée »), la Commission a, au titre de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, demandé à la BNetzA ce qui suit :

« Afin d’améliorer la concurrence en matière d’approvisionnement en gaz, la BNetzA est invitée à modifier sa décision de dérogation de sorte à prendre en compte les conditions suivantes :

Les commandes de capacité des entreprises dominantes sur le marché doivent être limitées selon les principes suivants :

a)      Une entreprise occupant une position dominante sur l’un ou plusieurs des marchés pertinents du gaz naturel en amont ou en aval qui englobent la République tchèque ou la livraison de gaz dans ce pays ne peut pas, sous réserve de la règle visée [sous] b), commander annuellement plus de 50 % de la capacité de sortie du gazoduc OPAL à la frontière tchèque. Les commandes d’entreprises appartenant au même groupe telles que Gazprom et Wingas sont considérées conjointement. Les commandes d’entreprises ou de groupes d’entreprises dominantes sur le marché et ayant conclu entre elles des contrats de livraison de gaz essentiels et à long terme (comme entre RWE Transgas et Gazprom) sont considérées en bloc, c’est-à-dire que les commandes des deux entreprises ne doivent pas dépasser ensemble 50 %.

b)      Le plafond de 50 % peut être dépassé si l’entreprise concernée (ou les entreprises concernées) offrent sur le marché, via OPAL, une quantité de gaz de 3 milliards m³/a dans le cadre d’une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire (‘programme de cession de gaz’). L’exploitant ou l’(les) entreprise(s) qui est (sont) chargée(s) de l’exécution du programme de cession de gaz doit (doivent) garantir la disponibilité de la capacité de transport correspondante avec un point de sortie librement choisi (‘programme de cession de capacité’). L’aménagement du programme de cession de gaz et du programme de cession de capacité doit être autorisé par la BNetzA. »

10      La requérante a pris connaissance de la lettre attaquée par un courriel de la BNetzA du 17 juin 2009.

11      Par décision du 7 juillet 2009, la BNetzA a repris littéralement les clauses accessoires évoquées par la Commission dans la lettre attaquée. Par mémoire du 13 juillet 2009, la requérante a pris en compte ces modifications dans le cadre de son recours devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 août 2009, la requérante a introduit le présent recours.

13      Le 25 novembre 2009, la Commission a soulevé, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une exception d’irrecevabilité.

14      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 décembre 2009, l’intervenante, OPAL NEL Transport GmbH, a demandé à intervenir au présent litige au soutien des conclusions de la Commission. Cette demande d’intervention a, conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure, été signifiée aux parties, qui ont présenté leurs observations dans les délais impartis.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 janvier 2010, la requérante a demandé que, conformément à l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure, certains éléments confidentiels du dossier soient exclus de la communication à l’intervenante et a produit, aux fins de cette communication, une version non confidentielle des pièces en question.

16      Par ordonnance du président de la septième chambre du Tribunal du 4 mars 2010, l’intervenante a été admise à intervenir dans le présent litige au soutien des conclusions de la Commission. S’agissant de la demande de traitement confidentiel, le président de la septième chambre a ordonné que, à ce stade, la communication à l’intervenante des actes de procédure signifiés et, le cas échéant, à signifier aux parties devait être limitée à une version non confidentielle et qu’une décision sur le bien-fondé de ladite demande serait, le cas échéant, prise ultérieurement, au vu des objections qui pourraient être présentées à ce sujet.

17      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 23 mars 2010, l’intervenante a demandé qu’il lui soit permis d’avoir accès à l’une des pièces visées par la demande de traitement confidentiel.

18      Le 15 mars 2010, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité déposée par la Commission.

19      Le 19 avril 2010, l’intervenante a déposé son mémoire en intervention limité à la question de la recevabilité du recours.

20      La Commission et la requérante ont respectivement présenté leurs observations sur ce mémoire en intervention le 12 mai et le 8 juin 2010. À cette dernière date, la requérante a demandé, par acté séparé, le traitement confidentiel de certaines annexes à ses observations.

21      Par acte du 5 août 2010, l’intervenante s’est opposée à la deuxième demande de traitement confidentiel.

22      Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la lettre attaquée en ce qu’elle concerne le projet de gazoduc OPAL ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité de la Commission.

25      Dans son mémoire en intervention limité à la question de la recevabilité du recours, l’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens ainsi qu’au paiement des frais de procédure extra-judiciaires exposés par l’intervenante.

 En droit

26      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond.

27      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu’il y a lieu d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par la Commission tirée de la nature de la lettre attaquée, sans ouvrir la procédure orale.

28      Par ailleurs, l’appréciation de ladite question ne nécessitant pas que le Tribunal examine les éléments visés par les demandes de traitement confidentiel déposées par la requérante, il n’y a pas lieu de se prononcer sur celles-ci.

 Arguments des parties

29      La Commission fait observer que la lettre attaquée ne constitue pas une décision au sens de l’article 230, paragraphe 4, CE, mais une simple demande, adressée à la BNetzA, l’invitant à modifier sa décision du 25 février 2009, conformément aux dispositions de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55.

30      Selon la Commission, la lettre attaquée s’inscrit dans un processus décisionnel en plusieurs étapes, qui débute par une décision de l’autorité nationale de régulation, en l’occurrence la BNetzA, qui décide d’octroyer une dérogation (première étape). Cette décision est notifiée à la Commission, qui peut, dans un délai de deux ou trois mois, demander à l’autorité concernée de modifier ou d’annuler la décision (deuxième étape). L’autorité nationale de régulation disposerait alors d’une certaine marge de manœuvre lui permettant soit de tenter de convaincre la Commission que la décision nationale de dérogation ne doit pas être modifiée ou annulée, soit de se rallier à la position de la Commission (troisième étape). La Commission fait valoir que, dans cette hypothèse, elle ne prend pas de décision définitive, au sens de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55 (quatrième étape), un simple dialogue se déroulant entre elle et l’autorité nationale.

31      Selon la Commission, nonobstant certaines différences de détail, la situation juridique visée par la directive 2003/55 est comparable à celle de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO L 108, p. 33). Or, le Tribunal aurait jugé que l’avis rendu par la Commission au titre de l’article 7, paragraphe 3, de cette dernière directive ne constituait pas un acte attaquable (ordonnance du Tribunal du 12 décembre 2007, Vodafone España et Vodafone Group/Commission, T‑109/06, Rec. p. II‑5151).

32      La Commission considère que la circonstance que la demande qu’elle a adressée à l’autorité nationale ne constitue pas un acte attaquable ne crée pas de lacune en matière de protection juridique. En effet, dès son adoption, la décision de l’autorité nationale de régulation pourrait être attaquée par les voies de recours du droit national. Par ailleurs, si la Commission est susceptible d’intervenir au moyen d’une demande de modification ou d’annulation adressée à ladite autorité, cela ne serait qu’une simple possibilité, la décision nationale pouvant également acquérir un caractère définitif vis-à-vis des intéressés. En outre, une modification de la décision de l’autorité de régulation nationale conformément à la demande de la Commission rouvrirait les délais pour l’introduction d’un recours national. La Commission fait observer que ce n’est que dans la mesure où elle prend une décision définitive au titre de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55 que la procédure conduit à l’adoption d’un acte de l’Union produisant des effets juridiques obligatoires et pouvant être attaqué devant les juridictions de l’Union.

33      La requérante admet que la procédure visée à l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55 peut comporter jusqu’à quatre étapes, mais, premièrement, elle souligne que la quatrième étape n’a pas lieu si l’autorité de régulation nationale se conforme à la demande de la Commission dans le cadre de la deuxième étape de la procédure. Dans de telles circonstances, qui correspondent à celles de l’espèce, la demande de la Commission ne serait pas une simple recommandation ou mesure intermédiaire préparatoire, mais une décision définitive relative à la question de savoir si la décision de dérogation adoptée par une autorité nationale est compatible avec le droit de l’Union.

34      Deuxièmement, la requérante fait valoir que, si la Commission omettait de se prononcer sur une décision de dérogation dans le délai de deux mois (prorogeable d’un mois en cas de demande de compléments d’information) prévu à l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55, elle ne pourrait plus remettre en cause ladite décision. Selon la requérante, cette circonstance montre que l’étape décisionnelle essentielle, en ce qui concerne le contrôle de la conformité de la décision de dérogation au droit de l’Union, coïncide avec la deuxième étape de la procédure, et non avec l’éventuel refus ultérieur de s’y conformer, ou avec la décision définitive de la Commission relevant de la quatrième étape.

35      Troisièmement, la requérante conteste que la situation juridique découlant de la directive 2003/55 soit comparable à celle résultant de la directive 2002/21 et, par suite, que la jurisprudence concernant cette dernière soit transposable à la présente espèce.

36      En effet, en application de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2002/21, l’autorité réglementaire nationale transmettrait à la Commission un projet de la mesure envisagée. La Commission pourrait alors soit adresser des observations à l’autorité réglementaire nationale concernée, dépourvues de caractère contraignant, pour indiquer qu’elle n’a pas de doutes sérieux quant à la compatibilité de la mesure avec le droit de l’Union, soit demander à ladite autorité de retirer son projet de mesure.

37      En revanche, en l’espèce, la décision de la BNetzA, notifiée à la Commission en application de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55, ne serait pas un simple projet, mais la décision initiale rendue par ladite autorité, après consultation des autorités nationales de régulation des autres États membres, conformément à l’article 22, paragraphe 3, sous e), de la directive 2003/55.

38      Selon la requérante, la lettre attaquée devrait plutôt être assimilée aux décisions de la Commission d’ouvrir la procédure d’examen contradictoire de la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, lesquelles constituent, selon la jurisprudence, des actes attaquables (arrêt de la Cour du 30 juin 1992, Espagne/Commission, C‑312/90, Rec. p. I‑4117, points 20 à 24).

39      Quatrièmement, la requérante fait valoir que, si la demande formulée par la Commission dans le cadre de la deuxième étape de la procédure ne devait pas être considérée comme une décision attaquable, la portée de la protection juridictionnelle dont bénéficient les acteurs économiques concernés dépendrait alors de la réaction de l’autorité nationale lors de la troisième étape de la procédure. Un recours en annulation devant le Tribunal ne serait ainsi possible qu’en cas de refus de l’autorité nationale de se conformer à la demande de la Commission suivi d’une décision définitive de celle-ci relevant de la quatrième étape de la procédure. En revanche, si l’autorité nationale décidait de se conformer à la proposition de la Commission, seul un recours devant le juge national serait envisageable. Or, il ne serait pas admissible que la voie de recours ouverte à un opérateur du marché concerné dépende de la seule volonté de l’autorité nationale de se conformer, ou pas, à la demande de la Commission. La cohérence de la protection juridictionnelle imposerait, au contraire, d’appliquer le même régime aux actes adoptés par la Commission dans le cadre des deuxième et quatrième étapes.

40      Par ailleurs, la requérante estime que la possibilité ouverte au juge national, saisi d’un recours contre la décision de l’autorité nationale, de poser une question préjudicielle à la Cour, au titre de l’article 234 CE, n’est pas un argument pertinent en l’espèce. En effet, il ressortirait de la jurisprudence qu’une juridiction nationale ne saurait saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question portant sur la validité d’un acte de l’Union lorsque cet acte est devenu définitif à l’égard des parties, faute d’avoir été attaqué par celles-ci dans le délai prévu à l’article 230 CE.

41      En tout état de cause, la requérante fait valoir que la possibilité d’un renvoi préjudiciel dans le cadre d’un recours devant le juge national n’offre pas une protection juridique efficace dès lors que, d’une part, le justiciable n’est pas maître dudit renvoi et, d’autre part, la procédure préjudicielle ne sert la protection juridique du justiciable que de manière incidente.

42      L’intervenante ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la lettre attaquée est un acte susceptible de recours devant le Tribunal.

 Appréciation du Tribunal

43      Selon une jurisprudence constante, seuls les actes produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique, peuvent faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 230 CE. Plus particulièrement, lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, ne constituent en principe un acte attaquable que les mesures qui fixent définitivement la position de la Commission au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 10, et du 22 juin 2000, Pays-Bas/Commission, C‑147/96, Rec. p. I‑4723, point 26 ; ordonnance du Tribunal du 2 juin 2004, Pfizer/Commission, T‑123/03, Rec. p. II‑1631, point 22).

44      En outre, si des mesures de nature purement préparatoire ne peuvent en tant que telles faire l’objet d’un recours en annulation, les illégalités éventuelles qui les entachent peuvent être invoquées à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte définitif dont elles constituent un stade d’élaboration (arrêts de la Cour IBM/Commission, précité, point 12, et du 14 février 1989, Bossi/Commission, 346/87, Rec. p. 303, 333 ; arrêt du Tribunal du 24 février 1994, Caló/Commission, T‑108/92, RecFP p. I‑A-59 et II‑213, point 13, et ordonnance Pfizer/Commission, précitée, point 24).

45      En l’espèce, il y a lieu de considérer que la directive 2003/55 a voulu attribuer un rôle central aux autorités nationales de régulation qui contribuent au développement du marché intérieur du gaz et à la création de conditions de concurrence équitables en coopérant entre elles et avec la Commission dans la transparence. Il apparaît ainsi que, d’une part, lesdites autorités n’ont pas besoin d’une autorisation de la Commission pour l’exercice de leurs compétences découlant du droit de l’Union et, d’autre part, les possibilités d’intervention de la Commission ont pour objectif d’empêcher que des décisions prises au niveau national puissent avoir des répercussions négatives sur le marché intérieur. L’article 22 de la directive 2003/55 prévoit une participation directe de la Commission lorsqu’il dispose que l’autorité nationale de régulation lui notifie sans retard la décision accordant une dérogation, accompagnée de toutes les informations utiles, afin de lui permettre de fonder convenablement sa décision.

46      L’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55 prévoit, en son troisième alinéa, que la Commission, dans un délai de deux mois, ou de trois mois si des informations complémentaires sont demandées, peut demander à l’autorité de régulation de modifier ou d’annuler la décision d’accorder une dérogation. Ainsi, il ressort expressément de la directive que l’intervention de la Commission, à ce stade, est qualifiée de « demande » et non de « décision ». Selon le quatrième alinéa de ladite disposition, si l’autorité de régulation nationale ne se conforme pas à cette demande dans un délai d’un mois, la Commission prend une décision définitive, selon la procédure dite de « comitologie »

47      En l’espèce, il est constant que la lettre attaquée a été adoptée par la Commission au titre de l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55.

48      Par ailleurs, il ressort des termes de la lettre attaquée que, «[a]fin d’améliorer la concurrence en matière d’approvisionnement en gaz, la BNetzA est invitée à modifier sa décision de dérogation de sorte à prendre en compte [certaines] conditions ». Par le dernier paragraphe de cette même lettre, la Commission « invite donc la BNetzA, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, de la directive [2003/55], premièrement, à modifier sa décision dans le sens indiqué dans la présente lettre […] et, deuxièmement, à en informer la Commission, et ce dans les quatre semaines ».

49      Il convient de constater que les termes utilisés par la Commission dans la lettre attaquée soulignent le caractère non contraignant de la demande de modification adressée à la BNetzA. Cette demande ne constitue qu’une phase intermédiaire de la procédure en plusieurs étapes visée à l’article 22 de la directive 2003/55. En effet, il serait encore possible que l’autorité nationale de régulation, à la lecture de la demande de la Commission, entame un dialogue avec cette dernière lui permettant, le cas échéant, de parvenir à la convaincre du fait que la décision nationale d’accorder la dérogation ne doit être ni modifiée ni annulée.

50      Le caractère non contraignant de la lettre attaquée est confirmé par le fait que, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55, ce n’est que dans l’hypothèse où l’autorité nationale de régulation ne se conforme pas à la demande de modification de la Commission que celle-ci adopte une décision définitive.

51      Il convient encore de noter que le fait que la Commission puisse, dans les circonstances visées à l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la directive 2003/55, adopter une décision définitive, imposant à l’autorité nationale de régulation la modification ou l’annulation de la décision d’accorder une dérogation, n’implique pas pour autant que des effets juridiques contraignants découlent de la demande formulée par la Commission au titre du troisième alinéa du même article, et ce même si cette demande constitue un préalable nécessaire à l’adoption éventuelle de la décision définitive.

52      Il ressort de ce qui précède que la lettre attaquée, adoptée conformément à l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55, n’était pas un acte produisant des effets juridiques contraignants et pouvant être attaqué au titre de l’article 230 CE.

53      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel la lettre attaquée devrait être assimilée à une décision par laquelle la Commission ouvre la procédure d’examen contradictoire de la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur. En effet, lorsqu’elle établit qu’une telle décision est un acte attaquable, la Cour s’appuie sur la circonstance que cette décision implique un choix sur la qualification d’une aide de nouvelle ou d’existante et entraîne des effets irréversibles (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Espagne/Commission, précité, points 20 à 24, et du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, Rec. p. I‑7303, points 56 à 63). Or, force est de constater que la lettre attaquée ne présente pas de telles caractéristiques.

54      De la même manière, l’argument de la requérante selon lequel la reconnaissance du caractère non attaquable de la lettre attaquée créerait une lacune en matière de droit à une protection juridictionnelle effective ne saurait prospérer.

55      Certes, la demande de la Commission au titre de l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/55 ne conduit pas à l’adoption d’un acte de l’Union pouvant faire l’objet d’un recours direct devant le Tribunal, alors que tel serait le cas si la Commission adoptait une décision au titre du quatrième alinéa de ladite disposition. Toutefois, contrairement à ce que la requérante soutient, le droit à une protection juridictionnelle effective n’implique pas qu’un recours soit ouvert devant le Tribunal contre une demande de la Commission au titre de ladite disposition, mais qu’un système de protection juridictionnelle complet, incluant les voies de recours nationales, soit ouvert aux intéressés.

56      En l’occurrence, la décision de l’autorité nationale de régulation accordant la dérogation peut être soumise au contrôle du juge national, lequel pourrait saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel de la question de l’interprétation de l’article 22 de la directive 2003/55, ou être lui‑même amené à annuler ladite décision nationale au motif que la dérogation ne devait pas être accordée ou devait être accordée d’une manière différente. En outre, à la suite d’une demande de modification adressée par la Commission à l’autorité nationale de régulation, et si cette autorité se conforme à ladite demande, la décision nationale modifiée pourra être attaquée par les voies de recours nationales. Si, en revanche, l’autorité nationale de régulation ne se conforme pas à la demande de la Commission, cette dernière est compétente, au terme de la procédure, pour prendre une décision définitive, qui constitue un acte de l’Union produisant des effets juridiques obligatoires et qui peut être attaqué devant le Tribunal.

57      Il s’ensuit que le contexte dans lequel la lettre attaquée a été adoptée fait apparaître que celle-ci ne produit pas d’effets juridiques contraignants et que l’article 22 de la directive 2003/55 ne viole pas le droit à une protection juridictionnelle effective.

58      La lettre attaquée ne constituant pas une mesure qui fixe définitivement la position de la Commission, elle ne produit pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante et, partant, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE. Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

60      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supporte ses propres dépens. En l’espèce, OPAL NEL Transport, intervenue au soutien de la Commission, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de traitement confidentiel présentées par Concord Power Nordal GmbH.

2)      Le recours est rejeté.

3)      Concord Power Nordal supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

4)      OPAL NEL Transport GmbH supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 24 novembre 2010.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      N. J. Forwood


* Langue de procédure : l’allemand.