ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
5 mars 1998 (1)
«Fonctionnaires Refus de promotion Examen comparatif des mérites Prise
en considération de l'âge et de l'ancienneté»
Dans l'affaire T-221/96,
Immacolata Manzo-Tafaro, fonctionnaire de la Commission des Communautés
européennes, demeurant à Bruxelles, représentée par Me Lucas Vogel, avocat au
barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Christian
Kremer, 8-10, rue Mathias Hardt,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. Julian Currall et
Mme Christine Berardis-Kayser, membres du service juridique, en qualité d'agents,
ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre
du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission
publiée le 9 avril 1996, en ce qu'elle porte refus de promouvoir la requérante au
grade C 1 dans le cadre de l'exercice de promotion 1996,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
composé de Mme P. Lindh, président, MM. K. Lenaerts et J. D. Cooke, juges,
greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 18 décembre 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige
- 1.
- La requérante est entrée au service de la Commission le 1er avril 1974. Elle a été
nommée au grade C 2 le 1er janvier 1989.
- 2.
- Dans le cadre de l'exercice de promotion 1996, sa direction générale l'a proposée
pour une promotion au grade C 1. Sur recommandation du comité de promotion
C (ci-après «comité de promotion»), l'autorité investie du pouvoir de nomination
(ci-après «AIPN») l'a inscrite sur la liste des fonctionnaires les plus méritants pour
obtenir la promotion susvisée.
- 3.
- Toutefois, elle n'a pas été reprise sur la liste des fonctionnaires promus, publiée
aux Informations administratives n° 933 du 9 avril 1996.
- 4.
- Le 17 juin 1996, elle a introduit une réclamation au titre de l'article 90,
paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après
«statut») contre ce refus de promotion.
- 5.
- Par décision du 25 septembre 1996, notifiée à la requérante le 30 septembre 1996
(ci-après «décision attaquée»), la Commission a rejeté sa réclamation en précisant:
«[L']AIPN a pris en considération, non seulement les mérites relatifs des candidats,
qui avaient déjà été appréciés afin d'établir la liste des plus méritants, mais aussi
le profil de carrière des candidats, soit l'âge et l'ancienneté dans le grade. En effet,
si l'appréciation des mérites des fonctionnaires constitue le critère déterminant en
matière de promotion, l'AIPN peut pourtant, à titre subsidiaire, prendre en
considération l'ancienneté et l'âge des candidats dans le grade ou dans le service
[...].
Or, il s'avère que Mme Manzo-Tafaro a huit ans d'ancienneté dans le grade C 2,
alors que la moyenne d'attente est de dix ans. En ce qui concerne la question
d'âge, Mme Manzo-Tafaro a 44 ans alors que la moyenne des promus en 1996 est
de 50 ans.
Ainsi, [...] l'AIPN a décidé de ne pas la promouvoir au grade C 1 dans le cadre de
l'exercice de promotion 1996, tout en préférant d'autres fonctionnaires qui,
disposant d'appréciations comparables aux siennes, ont toutefois une ancienneté
et/ou un âge supérieur.»
- 6.
- La requérante a été promue au grade C 1 dans le cadre de l'exercice de promotion
1997.
Procédure et conclusions des parties
- 7.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 1996, la requérante a
introduit le présent recours. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième
chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures
d'instruction préalables. Toutefois, par lettre du 24 novembre 1997, le Tribunal a
invité la Commission à produire la liste des 98 fonctionnaires jugés les plus
méritants en indiquant, pour chaque fonctionnaire, son âge et son ancienneté dans
le grade C 2 à la date du 21 mars 1996. Par lettre déposée au greffe le 10
décembre 1997, la Commission a produit cette liste dans le délai imparti.
- 8.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions posées par le Tribunal à l'audience du 18 décembre 1997.
- 9.
- La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler la décision de la Commission du 25 septembre 1996 rejetant sa
réclamation contre la décision publiée le 9 avril 1996, en ce qu'elle porte
refus de la promouvoir au grade C 1 dans le cadre de l'exercice de
promotion 1996;
condamner la Commission aux dépens.
- 10.
- La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter le recours comme non fondé;
statuer sur les dépens comme de droit.
Sur le fond
Arguments des parties
- 11.
- A l'appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique. Elle soutient
que la décision de la Commission portant refus de la promouvoir au grade C 1 est
contraire à l'article 45, paragraphe 1, du statut et au principe d'égalité de
traitement. L'AIPN aurait omis de procéder à un examen comparatif des mérites
des fonctionnaires ayant vocation à la promotion ainsi que des rapports dont ils ont
fait l'objet.
- 12.
- En effet, l'appréciation des mérites des fonctionnaires constituerait le critère
déterminant dans le cadre d'une décision de promotion. A cet égard, les rapports
de notation joueraient un rôle décisif. Ce ne serait que lorsque les mérites des
candidats susceptibles d'être promus sont identiques que l'AIPN pourrait retenir
d'autres critères de sélection, tels que l'âge ou l'ancienneté de grade des candidats
(arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, points
16 et 17, et arrêt du Tribunal du 13 juillet 1995, Rasmussen/Commission, T-557/93,
RecFP p. II-603, points 48 et 49).
- 13.
- Or, en l'espèce, les mérites de la requérante seraient supérieurs à ceux d'autres
candidats promus. Son dernier rapport de notation, contenant neuf mentions
«excellent» et cinq mentions «très bon», serait plus favorable que celui desdits
candidats.
- 14.
- Dès lors, la Commission aurait à tort fondé sa décision de promotion sur des
critères tels que l'âge et l'ancienneté des candidats. A supposer même qu'elle ait
pu légitimement retenir de tels critères, elle aurait dû, en tout état de cause,
promouvoir la requérante. En effet, celle-ci aurait une ancienneté de grade plus
importante que celle d'autres candidats promus.
- 15.
- La Commission conteste ces arguments.
Appréciation du Tribunal
- 16.
- Il y a lieu de rappeler, premièrement, que, pour évaluer les mérites à prendre en
considération dans le cadre d'une décision de promotion au titre de l'article 45 du
statut, l'AIPN dispose d'un large pouvoir d'appréciation et le contrôle du juge
communautaire doit se limiter à la question de savoir si, eu égard aux voies et
moyens qui ont pu conduire l'administration à son appréciation, celle-ci s'est tenue
dans des limites non critiquables et n'a pas usé de son pouvoir de manière
manifestement erronée. Le Tribunal ne saurait donc substituer son appréciation des
qualifications et mérites des candidats à celle de l'AIPN (arrêt du Tribunal du 6
juin 1996, Baiwir/Commission, T-262/94, RecFP p. II-739, point 66).
- 17.
- Deuxièmement, l'obligation pour l'AIPN de procéder à un examen comparatif des
mérites des candidats à la promotion, prévu par l'article 45 du statut, est
l'expression à la fois du principe de l'égalité de traitement des fonctionnaires et de
leur vocation à la carrière. L'appréciation de ces mérites constitue ainsi le critère
déterminant de toute promotion, tandis que ce n'est qu'à titre subsidiaire que
l'AIPN peut prendre en considération l'âge des candidats et leur ancienneté dans
le grade ou le service (arrêt du Tribunal du 29 février 1996, Lopes/Cour de justice,
T-280/94, RecFP p. II-239, point 138).
- 18.
- Troisièmement, pour procéder à l'examen des mérites prévu par l'article 45 précité,
l'AIPN n'est pas tenu de se baser uniquement sur les rapports de notation des
candidats mais peut également fonder son appréciation sur d'autres aspects de
leurs mérites, tels que d'autres informations concernant leur situation administrative
et personnelle, de nature à relativiser l'appréciation portée uniquement au vu des
rapports de notation (arrêts du Tribunal du 25 novembre 1993, X/Commission,
T-89/91, T-21/92 et T-89/92, Rec. p. II-1235, points 49 et 50, et du 21 octobre 1997,
Patronis/Conseil, T-168/96, non encore publié au Recueil, point 35).
- 19.
- C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'examiner les arguments de la
requérante.
- 20.
- D'une part, contrairement à ce que celle-ci soutient, l'AIPN a effectivement
procédé à un examen des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion
au grade C 1 ainsi que des rapports dont ils ont fait l'objet, conformément aux
exigences posées par l'article 45, paragraphe 1, du statut.
- 21.
- En effet, il résulte des explications fournies par la Commission lors de l'audience
que, dans le cadre de l'exercice de promotion 1996, 825 fonctionnaires étaient
susceptibles d'être promus. Le comité de promotion a opéré une première sélection
parmi ces candidats. Il a examiné tous les éléments concernant leur situation
administrative et personnelle et a procédé à l'audition des assistants des différents
services et directions générales concernés. Ensuite, il a établi une liste reprenant,
par ordre alphabétique, le nom des 98 fonctionnaires jugés les plus méritants pour
obtenir la promotion susvisée.
- 22.
- Cette liste ainsi que le dossier personnel desdits fonctionnaires ont été transmis à
l'AIPN. Compte tenu du nombre réduit de postes budgétaires disponibles, celle-ci
n'a pu promouvoir tous ces candidats. En conséquence, elle a opéré une nouvelle
sélection. A cet effet, elle a procédé, sur la base de leur dossier personnel et des
informations recueillies par le comité de promotion à leur égard, à un examen
comparatif de leurs mérites et de leurs rapports de notation. A titre subsidiaire, elle
a également pris en considération leur âge et leur ancienneté dans le grade C 2.
- 23.
- D'autre part, la liste des fonctionnaires les plus méritants communiquée par la
Commission au Tribunal (voir point 7 ci-dessus) a révélé que cinq candidats ont été
promus au grade C 1 alors qu'ils avaient une ancienneté de grade inférieure à celle
de la requérante. Toutefois, lors de l'audience, la Commission a justifié leur
promotion par le fait qu'ils avaient des mérites, des rapports de notation ou un âge
supérieurs aux siens, confirmant par là que l'AIPN a respecté l'ordre des critères
à prendre en considération dans le cadre d'une décision de promotion.
- 24.
- Enfin, s'agissant de l'argument de la requérante relatif à son dernier rapport denotation, le Tribunal constate que l'AIPN n'a pas uniquement fondé son
appréciation sur les rapports de notation des candidats à la promotion litigieuse
mais a également tenu compte des autres aspects de leurs mérites, conformément
à la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus. Or, aucun élément ne permet de
conclure que l'AIPN aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de ces
mérites.
- 25.
- Il résulte des considérations qui précèdent que le moyen de la requérante n'est pas
fondé.
- 26.
- Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
- 27.
- L'article 88 du règlement de procédure dispose que, dans les litiges entre les
Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la
charge de celles-ci, sans préjudice des dispositions de l'article 87, paragraphe 3,
premier alinéa. En vertu de ces dispositions, le Tribunal peut répartir les dépens
ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties
succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs
exceptionnels.
- 28.
- En l'espèce, les explications fournies par la Commission dans le cadre de la
procédure précontentieuse et, en particulier, dans la décision attaquée étaient de
nature à permettre à la requérante de douter du déroulement régulier de la
procédure de promotion litigieuse et, partant, d'estimer utile d'introduire le présent
recours. Ces explications n'ont été clarifiées par la Commission que dans le cadre
de la procédure contentieuse. En conséquence, il est fait une juste appréciation des
circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera, outre ses
propres dépens, ceux de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission est condamnée aux dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mars 1998.
Le greffier
Le président
H. Jung
P. Lindh