Language of document : ECLI:EU:C:2012:394

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

28 juin 2012 (*)

«Pourvoi — Accès aux documents des institutions — Règlement (CE) no 1049/2001 — Documents concernant une procédure de contrôle d’une opération de concentration entre entreprises — Règlement (CE) no 139/2004 — Refus d’accès — Exceptions relatives à la protection des objectifs des activités d’enquête, des intérêts commerciaux, des avis juridiques et du processus décisionnel des institutions»

Dans l’affaire C‑477/10 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 septembre 2010,

Commission européenne, représentée par M. B. Smulders, Mme P. Costa de Oliveira et M. V. Bottka, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Agrofert Holding a.s., établie à Prague (République tchèque), représentée par Mes R. Pokorný et D. Šalek, advokáti,

partie demanderesse en première instance,

Polski Koncern Naftowy Orlen SA, établie à Płock (Pologne), représentée par Mes S. Sołtysiński, K. Michałowska et A. Krasowska‑Skowrońska, avocats,

Royaume de Danemark, représenté par M. S. Juul Jørgensen, en qualité d’agent,

République de Finlande,

Royaume de Suède, représenté par Mmes K. Petkovska et S. Johannesson, en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur), G. Arestis, T. von Danwitz et D. Šváby, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 septembre 2011,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 décembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 juillet 2010, Agrofert Holding/Commission (T‑111/07, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision D (2007) 1360 de la Commission, du 13 février 2007 (ci-après la «décision litigieuse»), refusant l’accès aux documents de l’affaire COMP/M.3543 concernant l’opération de concentration entre la société polonaise Polski Koncern Naftowy Orlen SA (ci-après «PKN Orlen») et la société tchèque Unipetrol, menée en application du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises («le règlement CE sur les concentrations») (JO L 24, p. 1).

 Le cadre juridique

2        Fondé notamment sur l’article 255, paragraphe 2, CE (devenu, après modification, article 15 TFUE), le règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), définit les principes, les conditions et les limites du droit d’accès aux documents de ces institutions.

3        L’article 4 de ce règlement, intitulé «Exceptions», est libellé comme suit:

«[...]

2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection:

–        des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle,

–        des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

–        des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

3.      L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

4.      Dans le cas de documents de tiers, l’institution consulte le tiers afin de déterminer si une exception prévue au paragraphe 1 ou 2 est d’application, à moins qu’il ne soit clair que le document doit ou ne doit pas être divulgué.

[...]

6.      Si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées.

7.      Les exceptions visées aux paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document. Les exceptions peuvent s’appliquer pendant une période maximale de trente ans. Dans le cas de documents relevant des exceptions concernant la vie privée ou les intérêts commerciaux et de documents sensibles, les exceptions peuvent, si nécessaire, continuer de s’appliquer au-delà de cette période.»

4        L’article 17 du règlement no 139/2004, intitulé «Secret professionnel», est libellé comme suit:

«1.      Les informations recueillies en application du présent règlement ne peuvent être utilisées que dans le but poursuivi par la demande de renseignements, le contrôle ou l’audition.

2.      Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 3, et des articles 18 et 20, la Commission et les autorités compétentes des États membres ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents et les autres personnes travaillant sous le contrôle de ces autorités, ainsi que les fonctionnaires et agents d’autres autorités des États membres sont tenus de ne pas divulguer les informations qu’ils ont recueillies en application du présent règlement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel.

[…]»

5        L’article 18, paragraphe 3, de ce règlement prévoit:

«La Commission ne fonde ses décisions que sur les objections au sujet desquelles les intéressés ont pu faire valoir leurs observations. Les droits de la défense des intéressés sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. L’accès au dossier est ouvert au moins aux parties directement intéressées tout en respectant l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués.»

6        Le règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 139/2004 (JO L 133, p. 1), a été adopté sur la base de l’habilitation accordée à l’article 23, paragraphe 1, de ce dernier. L’article 17 du règlement no 802/2004, intitulé «Accès au dossier et utilisation des documents», dispose:

«1.      Sur demande, la Commission accorde l’accès au dossier aux parties auxquelles elle a fait part de ses objections, afin qu’elles puissent exercer leurs droits de la défense. L’accès est accordé après notification de la communication des griefs.

2.      La Commission peut aussi, sur demande, donner accès au dossier aux autres parties intéressées qui ont été informées des objections retenues, dans la mesure où cela leur est nécessaire pour présenter leurs observations.

3.      Le droit d’accès au dossier ne s’étend pas aux informations confidentielles ni aux documents internes de la Commission ou des autorités compétentes des États membres. Il ne s’étend pas non plus à la correspondance entre la Commission et les autorités compétentes des États membres ou entre ces dernières.

4.      Les documents obtenus par le biais de l’accès au dossier en application du présent article ne peuvent être utilisés que pour les besoins de la procédure concernée conformément au [règlement no 139/2004].»

 Les antécédents du litige et la décision de refus d’accès aux documents

7        L’arrêt attaqué comporte les constatations suivantes:

«1      Par décision du 20 avril 2005, la Commission [...] a autorisé, en application de l’article 6, paragraphe 1, sous b), [du règlement no 139/2004], le projet de prise de contrôle, par achat d’actions, de la société tchèque Unipetrol par la société polonaise [PKN Orlen], qui lui avait été notifié le 11 mars 2005.

2      Par lettre du 28 juin 2006, la requérante, Agrofert Holding a.s. [ci‑après ‘Agrofert’], a demandé à la Commission, sur le fondement du [règlement no 1049/2001], l’accès à tous les documents non publiés concernant la procédure de notification et de prénotification de l’opération d’acquisition d’Unipetrol par PKN Orlen.

[...]

4      Par lettre du 2 août 2006, [...] la [direction générale (DG) ‘Concurrence’ de la Commission] a refusé de faire droit à la demande d’accès aux documents. Après avoir souligné le caractère général de la demande, elle a considéré que les documents en cause étaient couverts par les exceptions prévues à l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1049/2001. Elle ajoutait que la divulgation des documents émanant des parties notifiantes et des parties tierces serait contraire à l’obligation de secret professionnel, prévue à l’article [339 TFUE] et à l’article 17, paragraphes 1 et 2, du règlement [no 139/2004]. Elle précisait également que l’accès partiel aux documents était impossible et qu’aucun argument susceptible d’établir l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation n’avait été avancé.

5      Par lettre du 18 août 2006, la requérante a adressé à la Commission une demande confirmative [...] Elle a contesté le refus de la Commission, en soutenant, notamment, que l’accès partiel aux documents demandés aurait dû lui être accordé. Elle a, par ailleurs, invoqué l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation des documents en cause, constitué du préjudice subi par elle et par les actionnaires minoritaires d’Unipetrol.

[...]

9      Par [la décision litigieuse,] le secrétariat général de la Commission a confirmé le refus d’accès aux documents pour les quatre catégories de documents identifiées.

10      Premièrement, la Commission considère que les documents échangés entre elle et les parties notifiantes contiennent des informations commerciales sensibles, relatives aux stratégies commerciales des parties notifiantes, aux montants de leurs ventes, à leurs parts de marché ou à leurs relations avec leur clientèle. Dès lors, l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, concernant la protection des intérêts commerciaux, serait applicable. [...] Elle se réfère également à l’article 17 du règlement [no 139/2004] concernant l’obligation de secret professionnel [...] La Commission ajoute que, dès lors que l’objectif des procédures de contrôle des concentrations est de vérifier si une opération notifiée donne ou non aux parties notifiantes un pouvoir de marché susceptible d’affecter de manière significative la concurrence, tous les documents fournis par les parties notifiantes dans le cadre d’une telle procédure concernent nécessairement des informations commerciales sensibles.

11      La Commission estime également que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, concernant notamment la protection des activités d’enquête, est applicable. Selon la Commission, les parties impliquées dans une procédure concernant une concentration doivent disposer d’une confiance légitime dans l’absence de divulgation des informations sensibles contenues dans les documents communiqués. La Commission estime que la divulgation des documents en cause amoindrirait le climat de confiance mutuelle existant entre elle et les entreprises [...]

12      Deuxièmement, la Commission considère que les documents échangés entre elle et les parties tierces relèvent des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, pour les mêmes raisons que celles invoquées à propos des documents échangés entre elle et les parties notifiantes.

[…]

14      Quatrièmement, la Commission identifie les documents internes suivants:

–        [...] (document no 1);

–        une note de consultation interservices contenant un projet de décision relatif à la notification (document no 2);

–        une réponse du service juridique concernant la note de consultation évoquée ci-dessus (document no 3);

–        un échange de courriers électroniques concernant ce projet entre le service compétent et le service juridique (document no 4);

–        les réponses des autres services concernés concernant la note de consultation évoquée ci-dessus (document no 5);

–        [...] (document no 6);

–        [...] (document no 7).

15      [Les documents nos 1, 6 et 7 n’ont pas fait l’objet de la procédure.]

16      Concernant les documents nos 2 à 5, la Commission considère que leur divulgation porterait gravement atteinte à la protection de son processus décisionnel, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001. Elle souligne le caractère collectif dudit processus décisionnel et la nécessité de maintenir la confiance de ses services. Selon la Commission, ces documents reflètent les avis et les discussions internes aux services, librement exprimés. Leur divulgation en l’espèce porterait gravement atteinte à l’indépendance d’expression des avis [...] En outre, elle réduirait la volonté de coopérer des [...] entreprises concernées par la notification et les tiers.

17      La Commission estime que les documents nos 3 et 4 étaient également couverts par l’exception tirée de la protection des avis juridiques, prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 [...]

18      La Commission ajoute enfin qu’aucun intérêt public supérieur ne pouvait justifier la divulgation des documents visés en l’espèce et qu’un accès partiel ne pouvait pas plus être accordé. À cet égard, elle expose que, dans la mesure où l’objectif de l’enquête de la Commission était l’examen des conditions du marché concernant la concentration envisagée [...], il serait donc impossible d’identifier les parties des documents échangés entre elle et les parties concernées ‘qui ne contiennent pas d’information [...] commerciale ou qui ne sont pas en relation avec l’enquête et qui seraient en soi compréhensibles’ [...] Enfin, elle mentionne le fait que la version publiée de la décision relative à l’opération de concentration en cause contient par définition les informations communicables et constitue un accès partiel aux parties des documents demandés non couvertes par les exceptions applicables.»

 L’arrêt attaqué

8        Par requête déposée le 13 avril 2007, Agrofert a demandé au Tribunal d’annuler la décision litigieuse et d’ordonner à la Commission de lui communiquer les documents sollicités.

9        Aux points 39 à 41 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté cette seconde demande comme irrecevable, étant donné que, lorsqu’il annule un acte d’une institution, cette dernière est tenue, en vertu de l’article 266 TFUE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt.

10      La demande d’annulation de la décision litigieuse était fondée, à titre principal, sur le moyen tiré de la violation du règlement no 1049/2001. À l’appui de ce moyen, Agrofert soutenait que l’application des exceptions prévues à l’article 4, paragraphes 2 et 3, de ce règlement aux documents en cause était erronée. Le Tribunal a examiné chaque catégorie de ces documents à la lumière de chacune des exceptions sur lesquelles la décision litigieuse était fondée.

 Sur le refus d’accès aux documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers

 Sur l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux, prévue à article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001

11      Le Tribunal a constaté, en premier lieu, aux points 54 et 55 de l’arrêt attaqué, que les documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers étaient susceptibles de contenir des informations commercialement sensibles qui pouvaient, le cas échéant, être couvertes par l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux, visée à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

12      En second lieu, le Tribunal a relevé, aux points 57 à 60 de l’arrêt attaqué, que, les exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001 devant être interprétées et appliquées strictement, l’examen requis pour le traitement d’une demande d’accès à des documents devait revêtir un caractère concret et que la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception ne saurait suffire à en justifier l’application. Il résulterait de l’article 4, paragraphes 1 à 3, de ce règlement que toutes les exceptions y mentionnées sont énoncées comme devant s’appliquer à «un» document. Par conséquent, seul un examen concret et individuel de chaque document pourrait permettre à l’institution d’apprécier la possibilité d’accorder un accès partiel aux demandeurs.

13      Or, selon les points 61 à 64 de l’arrêt attaqué, il ne ressortirait aucunement des motifs de la décision litigieuse qu’un tel examen a effectivement eu lieu. Cette décision énoncerait de façon générale et abstraite que, eu égard à la nature d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration entre entreprises, tous les documents fournis par les parties notifiantes concernent nécessairement des informations commerciales sensibles. Or, de telles affirmations seraient trop vagues et générales et ne sauraient être considérées comme démontrant à suffisance de droit le fait qu’un examen concret et effectif de chaque document en cause a eu lieu en l’espèce. Le Tribunal a considéré, au point 65 de l’arrêt attaqué, qu’il était tout à fait possible de dresser en l’occurrence un inventaire des documents échangés entre la Commission et les parties et de décrire le contenu de chaque document, sans pour autant révéler les informations devant rester confidentielles.

14      Aux termes des points 68 à 70 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argument de la Commission tiré de l’obligation de secret professionnel et de la protection des secrets d’affaires résultant de l’article 339 TFUE et de l’article 17 du règlement no 139/2004. Il a considéré que seules certaines informations relevaient des secrets d’affaires et que l’obligation de secret professionnel ne revêtait pas une portée telle qu’elle puisse justifier un refus d’accès aux documents général et abstrait. Étant donné que toutes les informations recueillies dans le cadre d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration entre entreprises ne sont pas nécessairement couvertes par le secret professionnel, l’obligation de secret professionnel et la protection des secrets d’affaires, résultant des dispositions susvisées, ne seraient pas de nature à dispenser la Commission de l’examen concret de chaque document en cause, requis par l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. Aux termes du point 77 de l’arrêt attaqué, le fait que, dans le cadre d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration, les documents sont envoyés par les parties de façon confidentielle, conformément au règlement no 139/2004, ne dispenserait pas non plus la Commission de l’obligation de procéder, en présence d’une demande d’accès au titre du règlement no 1049/2001, à un examen concret de chaque document.

15      Le Tribunal a considéré, aux points 73 à 76 de l’arrêt attaqué, que l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), concernant l’obligation de respect de la vie privée, à supposer qu’il puisse être invoqué en l’espèce, ne saurait dispenser la Commission de l’examen concret et effectif de chaque document en cause. Aux termes des points 78 à 80 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas non plus accepté, à la lumière de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 qui consacre l’accès du public à tous les documents détenus ou reçus par une institution, de considérer que les documents fournis dans le cadre d’une opération de concentration étaient manifestement couverts par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, de ce règlement.

16      Aux points 81 à 89 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également écarté l’argument tiré de la confiance légitime de PKN Orlen dans le fait que les documents communiqués dans le cadre de la procédure de contrôle de l’opération de concentration ne seraient pas divulgués, en application de l’article 17 du règlement no 139/2004. Il a constaté que cette disposition ne consacrait pas un droit absolu à la confidentialité de l’ensemble des documents communiqués par les entreprises et a considéré que les motifs invoqués au soutien du refus d’accès à ces documents devaient être examinés dans le seul cadre des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001. Il a également considéré que l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne visait que la manière dont la Commission peut utiliser les informations fournies et ne régissait pas l’accès aux documents garanti par le règlement no 1049/2001.

 Sur l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête, prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001

17      Le Tribunal a admis, aux points 96 à 99 de l’arrêt attaqué, que les documents déposés dans le cadre d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration avaient trait à une activité d’enquête au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 et a rappelé que cette disposition devait être interprétée comme n’étant applicable que si la divulgation des documents en question risquait de mettre en péril l’achèvement des activités d’enquête. Or, en l’espèce, selon le Tribunal, les activités d’enquête de la Commission ayant donné lieu à la décision, du 20 avril 2005, de non‑opposition à l’opération de concentration avaient déjà été clôturées au moment de l’adoption de la décision litigieuse. Partant, la divulgation de ces documents ne pourrait pas mettre en péril l’achèvement des activités d’enquête. Quant à l’argument de la Commission suivant lequel la divulgation de ces documents amoindrirait le climat de confiance mutuelle entre cette institution et les entreprises et porterait atteinte à l’efficacité des procédures de contrôle des opérations de concentration, le Tribunal a objecté, aux points 100 à 103 de l’arrêt attaqué, que de telles considérations étaient très vagues, générales et hypothétiques et ne permettaient pas de considérer que l’argumentation de la Commission valait effectivement pour chacun des documents en cause.

 Sur le refus d’accès partiel aux documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers, fondé sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001

18      Le Tribunal a considéré, aux points 107 à 113 de l’arrêt attaqué, que, si l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001 n’impose pas que l’accès partiel aux documents soit possible dans tous les cas, cette disposition implique cependant un examen concret et individuel du contenu de chacun de ceux-ci. Ainsi, une appréciation des documents réalisée par catégories plutôt que par rapport aux éléments d’information concrets qu’ils contiennent s’avérerait insuffisante. Par conséquent, l’argumentation de la Commission suivant laquelle les informations fournies par les parties notifiantes et par les tiers seraient toutes reliées les unes aux autres, de sorte qu’il n’aurait pas été possible d’identifier des passages auxquels l’accès pouvait être accordé, devrait être rejetée, dans la mesure où la Commission semblerait ainsi présumer, de façon globale et sans procéder à un examen concret et individuel du contenu de chaque document, que la divulgation, même partielle, de tous les documents sollicités porterait atteinte aux intérêts protégés.

19      Dans ces conditions, le Tribunal a conclu, au point 116 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse devait être annulée en ce qu’elle refuse l’accès aux documents échangés, d’une part, entre la Commission et les parties notifiantes et, d’autre part, entre la Commission et les tiers, dès lors que la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit que la divulgation de ces documents porterait concrètement et effectivement atteinte aux intérêts protégés.

 Sur le refus d’accès aux avis juridiques, fondé sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001

20      Étaient en l’espèce concernés la réponse du service juridique de la Commission sur la note de consultation interservices (document interne no 3) et l’échange de courriers électroniques concernant le projet de concentration entre le service compétent et le service juridique (document interne no 4). Le Tribunal a relevé, au point 123 de l’arrêt attaqué, que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 visait à protéger l’intérêt des institutions à recevoir des avis juridiques francs, objectifs et complets, mais qu’il ressortait des points 42 et 43 de l’arrêt de la Cour du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, Rec. p. I‑4723), que le risque d’atteinte à cet intérêt devait, pour pouvoir être invoqué, être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique.

21      Le Tribunal a souligné, aux points 125 à 128 de l’arrêt attaqué, que, s’il était en principe loisible à la Commission de se fonder sur des présomptions générales et des considérations d’ordre général s’appliquant à certaines catégories de documents, il lui incombait toutefois, conformément à ce que la Cour a jugé au point 50 de son arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, de vérifier dans chaque cas si de telles considérations d’ordre général sont effectivement applicables à un document donné dont la divulgation est demandée. Or, dans la décision litigieuse, la Commission se fonderait sur une considération d’ordre général, sans concrètement vérifier, pour chacun des avis sollicités, si cette considération était effectivement applicable dans les circonstances de l’espèce. Ainsi, la Commission ne démontrerait pas en quoi la divulgation des avis juridiques en cause constituerait dans le cas d’espèce un véritable risque, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, pour la protection de ces avis. Le Tribunal a estimé, en outre, aux points 129 à 131 de l’arrêt attaqué, que la transparence était également de mise lorsque la Commission agit, comme en l’occurrence, en tant qu’autorité administrative et non en tant que législateur et que l’obligation d’examen concret au cas par cas était également valable lorsqu’il s’agit de documents très brefs.

22      Dans ces conditions, le Tribunal a conclu, au point 132 de l’arrêt attaqué, que le refus d’accès aux avis juridiques sollicités devait être annulé au motif que la Commission n’avait pas démontré que la divulgation des documents en cause porterait concrètement et effectivement atteinte à la protection des avis juridiques.

 Sur le refus d’accès aux documents internes de la Commission, fondé sur l’exception tirée de la protection du processus décisionnel prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

23      Étaient en l’espèce concernés les documents internes nos 2 à 5. Le Tribunal a constaté, aux points 138 et 139 de l’arrêt attaqué, qu’il s’agissait de documents préparatoires à la décision finale de la Commission contenant des avis et qu’ils relevaient ainsi du champ d’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, exception pouvant être invoquée même après que la décision de l’institution concernée a été prise. Aux points 141 à 144 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que l’application de cette exception supposait toutefois qu’il soit démontré que l’accès aux documents sollicités était susceptible de porter concrètement, effectivement et gravement atteinte à la protection du processus décisionnel de l’institution concernée et que ce risque d’atteinte était raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Or, l’allégation de la Commission selon laquelle la divulgation des documents sollicités porterait gravement atteinte à la protection du processus décisionnel de l’institution vu le caractère collectif de ce processus aurait été invoquée de façon générale et abstraite, sans être étayée par des argumentations circonstanciées au regard du contenu des documents en cause.

24      Le Tribunal a constaté, au point 146 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait fondé ses appréciations sur la nature des documents demandés plutôt que sur les éléments d’information qui s’y trouvaient réellement alors que de telles appréciations devaient être fondées sur un examen concret et effectif de chaque document sollicité. Il a également rejeté l’argument de la Commission tiré de la confiance et de la liberté d’expression de ses services, considérant que ces allégations apparaissaient comme trop hypothétiques. Le Tribunal a conclu de ce qui précède, au point 147 de l’arrêt attaqué, que le fait que des avis étaient exprimés par les services de la Commission dans le cadre d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration entre entreprises ne faisait pas bénéficier, par principe, de l’exception considérée tous les actes internes qui contiennent de tels avis.

25      Dans ces conditions, le Tribunal a conclu, au point 150 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 s’appliquait aux documents internes sollicités.

26      Sur la base de toutes ces considérations, le Tribunal a conclu, au point 154 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse devait être annulée.

 Les conclusions des parties au pourvoi

27      La Commission demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de statuer définitivement sur les questions faisant l’objet du présent pourvoi, et

–        de condamner Agrofert aux dépens des deux instances.

28      Agrofert demande à la Cour:

–        de rejeter entièrement le pourvoi, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

29      Le Royaume de Suède demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi, et

–        de condamner la Commission aux dépens supportés par le Royaume de Suède.

30      PKN Orlen demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de statuer en dernier ressort sur les questions faisant l’objet du pourvoi, et

–        de condamner Agrofert aux dépens incombant à PKN Orlen dans le cadre des deux instances.

 Sur le pourvoi

 L’argumentation de la Commission

31      La Commission relève, à titre liminaire, que le Tribunal n’a pas cherché, dans son arrêt, à établir un équilibre réel et harmonieux entre les régimes juridiques instaurés par les règlements no 139/2004 et no 1049/2001, pertinents en l’espèce, et a ainsi rendu inapplicables les règles de confidentialité des documents en matière de contrôle des concentrations.

 Premier moyen: interprétation erronée du règlement no 1049/2001, en raison du fait que certaines dispositions du règlement no 139/2004 n’auraient pas été prises en considération aux fins de l’interprétation des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001

32      La Commission réitère son argumentation exposée devant le Tribunal selon laquelle l’article 339 TFUE et l’article 17 du règlement no 139/2004, qui comportent l’obligation de respecter le secret professionnel, sont pertinents aux fins de l’interprétation et de l’application des exceptions au droit d’accès prévues par le règlement no 1049/2001, afin de préserver l’unité de l’ordre juridique de l’Union par une interprétation cohérente et non contradictoire des différents textes législatifs.

33      Elle fait valoir que, si le règlement no 1049/2001 constitue une norme d’application générale, les limites au droit d’accès sont toutefois formulées dans des termes larges et doivent donc être interprétées de manière à protéger les intérêts légitimes, publics ou privés, dans tous les domaines d’activité des institutions, et ce à plus forte raison lorsque ces intérêts sont expressément protégés en vertu d’autres dispositions du droit de l’Union. Cela serait confirmé par les arrêts du 29 juin 2010, Commission/Bavarian Lager (C‑28/08 P, Rec. p. I‑6055, points 58, 59, 64 et 65), et Commission/Technische Glaswerke Ilmenau (C‑139/07 P, Rec. p. I‑5885, points 61 et 63), dans lesquels la Cour a rejeté l’interprétation du règlement no 1049/2001 donnée par le Tribunal au motif que ce dernier n’avait pas tenu compte d’autres instruments juridiques également applicables dans les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts. De même, par son arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, Rec. p. I‑8533, point 84), la Cour aurait confirmé que le droit applicable doit faire l’objet d’une interprétation harmonieuse.

34      Or, la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal dans l’arrêt attaqué créerait un conflit entre les règles de droit applicables. Le règlement no 139/2004 imposerait, en effet, aux entreprises qui participent à une procédure de contrôle d’une opération de concentration des obligations contraignantes et étendues en termes de communication d’informations et de divulgation de secrets d’affaires, ces obligations étant toutefois contrebalancées par les dispositions de ce règlement qui instaurent des garanties de protection renforcée. Ces garanties viseraient, d’une part, à assurer le bon fonctionnement du système de contrôle des concentrations dans l’intérêt public et, d’autre part, à protéger l’intérêt légitime des entreprises concernées à ce que les informations qu’elles communiquent à la Commission soient exclusivement utilisées aux fins de l’enquête.

35      Faisant référence à l’article 28 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO L 1, p. 1), la Commission souligne que l’obligation de respecter le secret d’affaires des entreprises, qui est valable dans tout le domaine de la concurrence, vise également à garantir les droits de la défense de celles‑ci, lesquels relèvent des principes fondamentaux du droit de l’Union et sont consacrés à l’article 6 de la CEDH, conformément à ce que la Cour a jugé au point 299 de son arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375). En outre, les informations communiquées à la Commission par les entreprises participant à une procédure de contrôle d’une opération de concentration devraient être considérées comme relevant de leur sphère d’activité privée au sens de l’article 8 de la CEDH. Étant donné que ces entreprises pourraient être obligées de transmettre leurs informations à la Commission, les conditions énoncées à cet article devraient être respectées.

36      Dans le cadre établi par le règlement no 139/2004, le droit d’accès au dossier ne serait ouvert qu’aux parties directement impliquées dans la procédure et, si nécessaire, à d’autres personnes physiques ou morales justifiant d’un intérêt suffisant. Tout autre demandeur qui ne justifierait pas d’un tel intérêt se verrait refuser l’accès aux documents. Or, selon l’interprétation du Tribunal, un tel demandeur jouirait en principe, sur la base du règlement no 1049/2001, d’un droit d’accès inconditionnel à chacun des documents concernés et pourrait, en outre, utiliser librement ceux-ci à quelque fin que ce soit, ce qui irait manifestement à l’encontre du règlement no 139/2004. Ainsi, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant, au point 88 de l’arrêt attaqué, que l’obligation, en vertu du règlement no 139/2004, de limiter au but poursuivi par la demande de renseignements l’usage des informations recueillies ne concerne que la manière dont la Commission peut utiliser les informations fournies et ne régit pas l’accès aux documents garanti par le règlement no 1049/2001.

37      La Commission soutient que, en ce qui concerne les documents afférents aux procédures de contrôle des concentrations, il convient d’appliquer, par analogie, les considérations développées par la Cour aux points 54, 55, 61 et 62 de l’arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, rendu en matière de procédures de contrôle des aides d’État, et de reconnaître, ainsi, l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation des documents échangés pour les seuls besoins de la procédure de contrôle de l’opération de concentration, qui ne sont pas accessibles à des personnes ne justifiant pas d’un intérêt suffisant, porterait en principe atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête. Dès lors, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération les dispositions du règlement no 139/2004 et en accordant au règlement no 1049/2001 la primauté par rapport à d’autres règles du droit de l’Union, ce qui équivaudrait à supprimer l’effet utile des règles essentielles au bon fonctionnement du système de contrôle des concentrations. La Commission se réfère également, à cet égard, au point 56 de l’arrêt Commission/Bavarian Lager, précité.

 Second moyen: interprétation erronée de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1049/2001

–       Première branche: sur l’obligation de procéder à un examen concret et individuel de chaque document

38      La Commission souligne que, selon le Tribunal, l’institution concernée devrait procéder à un examen concret et individuel de chaque document visé dans une demande d’accès, même dans l’hypothèse où il est clair qu’une telle demande vise des documents couverts par une exception. Cette obligation s’appliquerait à toutes les exceptions mentionnées à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001, quel que soit le domaine auquel appartiennent les documents sollicités et nonobstant la spécificité de ce domaine. Ainsi, le Tribunal ne tiendrait pas compte des règles applicables aux procédures de contrôle des concentrations, alors que la Cour, sur la base des spécificités de la procédure de contrôle des aides d’État, a reconnu dans son arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation au public des documents du dossier porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, de sorte que, conformément à cette présomption, il y avait lieu de refuser l’accès à l’ensemble des documents sollicités dans cette affaire. La Commission estime que cette conclusion s’impose également en l’espèce.

–       Deuxième branche: sur l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête, prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001

39      Quant à la position du Tribunal suivant laquelle cette exception ne peut plus être invoquée dès que la décision sur la concentration est adoptée et que la procédure administrative est clôturée, la Commission rétorque que, dans une procédure de contrôle d’une concentration, les exceptions relatives à la protection des intérêts commerciaux et des objectifs des activités d’enquête sont étroitement liées et que les informations données ne perdent pas leur caractère confidentiel lorsque la procédure administrative est clôturée. D’ailleurs, en vertu de l’article 4, paragraphe 7, du règlement no 1049/2001, les intérêts commerciaux pourraient même bénéficier d’une protection au‑delà de 30 ans. Une autre approche aurait des conséquences très préjudiciables sur la volonté des entreprises de coopérer avec la Commission. En soulignant que, conformément à la formulation de la disposition considérée, l’exception en question est censée protéger «les objectifs des activités d’enquête», et non uniquement les activités d’enquête en elles‑mêmes, la Commission fait valoir que la présomption générale établie dans l’arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, doit s’appliquer même après qu’une décision relative à une concentration est devenue définitive.

–       Troisième branche: sur l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux, prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001

40      Cette exception concerne les documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers. La Commission réitère sa position suivant laquelle les règles en matière de contrôle d’une opération de concentration entre entreprises nécessitent que lui soient transmises de nombreuses informations très confidentielles, qui sont manifestement couvertes par l’obligation de respect du secret professionnel, consacrée à l’article 339 TFUE et à l’article 17 du règlement no 139/2004. Cette considération suffirait à réfuter déjà l’approche du Tribunal suivant laquelle il conviendrait de déterminer, par un examen individuel de chaque document concerné, si sa divulgation était de nature à porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts protégés.

–       Quatrième branche: sur l’exception relative à la protection du processus décisionnel, prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

41      L’invocation de cette exception concerne les documents internes nos 2 à 5. La Commission fait observer que l’article 17, paragraphe 3, du règlement no 802/2004 exclut expressément les documents internes du droit d’accès au dossier lorsque celui‑ci est accordé pour permettre aux parties à la procédure d’exercer leur droit de la défense. La restriction de l’accès à ces documents se justifierait par la nature de la procédure et par le caractère collégial du processus décisionnel de la Commission, qui exigerait que les membres du collège des commissaires disposent de toutes les informations requises pour adopter une décision dans l’intérêt public. Si les services de la Commission devaient tenir compte du risque de divulgation, ils se sentiraient vraisemblablement moins libres de souligner les éventuelles lacunes d’un projet de décision ou d’exprimer des avis divergents, ce qui porterait atteinte au processus décisionnel. Pour cette raison, de tels documents ne devraient pas être accessibles même après que la décision sur la concentration est devenue définitive. En outre, l’interprétation du règlement no 1049/2001 faite par le Tribunal conférerait au public davantage de droits qu’aux parties directement concernées par la procédure de contrôle d’une opération de concentration.

–       Cinquième branche: sur l’exception relative à la protection des avis juridiques, prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001

42      L’invocation de cette exception concerne spécifiquement les documents internes nos 3 et 4. La Commission relève que ces deux avis ont fait l’objet d’un examen concret et individuel, à la suite duquel elle est parvenue à la conclusion qu’ils étaient, en tout état de cause, intégralement couverts par cette exception. Ensuite, la Commission aurait examiné l’existence d’un éventuel intérêt public supérieur justifiant la divulgation de ces mêmes documents et serait parvenue à la conclusion qu’il s’agissait en l’occurrence manifestement d’un intérêt privé, dans la mesure où Agrofert invoquait «le préjudice subi par elle et les actionnaires minoritaires d’Unipetrol».

 L’argumentation des autres parties

43      Agrofert, partie demanderesse dans la procédure devant le Tribunal, soutient que l’arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, est sans pertinence en l’espèce dès lors qu’il concerne la procédure relative aux aides d’État, laquelle organise différemment l’accès au dossier. Agrofert partage l’approche du Tribunal selon laquelle la circonstance qu’un document a trait à un intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1049/2001 ne saurait justifier à elle seule d’appliquer cette exception. Dès lors, la Commission aurait dû examiner la demande de divulgation au regard des informations contenues dans chaque document demandé, et non pas de manière générale.

44      PKN Orlen, qui était intervenue dans la procédure devant le Tribunal au soutien de la Commission, relève qu’elle a coopéré avec celle‑ci, pleinement confiante dans le fait que les documents contenant des secrets d’affaires communiqués à cette institution, ainsi que toutes les autres communications échangées dans le cadre de la procédure de contrôle de l’opération de concentration, seraient utilisés uniquement aux fins de l’enquête menée et ne seraient pas divulgués à des tiers. Elle aurait été pleinement fondée à nourrir cette confiance en vertu notamment du règlement no 139/2004. Le droit de l’Union ne pourrait offrir des garanties de protection d’informations et de documents en vertu d’une réglementation et, sur la base d’une autre, ôter à cette protection toute effectivité. La nature des informations communiquées ne changerait pas lorsque la procédure de concentration est achevée. Permettre au public d’accéder au dossier après la clôture de la procédure signifierait que les considérations ayant justifié la protection des activités d’enquête seraient totalement contournées.

45      Le Royaume de Suède, qui était intervenu dans la procédure devant le Tribunal au soutien d’Agrofert, fait valoir que, en vertu du règlement no 1049/2001, l’accès aux documents constitue la règle générale. Dès lors, les exceptions à cette règle devraient être interprétées strictement. Les modalités de la procédure que les institutions devraient suivre lors d’une demande d’accès auraient été précisées par la Cour dans son arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, où elle décrit les trois étapes qui doivent être normalement suivies pour déterminer si une demande d’accès peut être acceptée. Or, le Tribunal aurait à bon droit constaté, dans l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas en l’espèce respecté toutes les étapes de l’examen.

46      Le Royaume de Suède soutient que le fait qu’il existe, dans des réglementations spécifiques, des règles différentes en matière d’accès aux documents n’implique pas que ces réglementations, dont l’objectif est tout autre que celui des exceptions prévues dans le règlement no 1049/2001, doivent automatiquement prévaloir sur les dispositions de ce dernier, car une telle conception viderait le règlement no 1049/2001 de sa substance. Par conséquent, la portée de l’arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, serait limitée au domaine des aides d’État. En conclusion, il n’existerait pas de droit absolu à la confidentialité de l’ensemble des documents communiqués et un refus d’accès aux documents ne pourrait être fondé que sur les seules exceptions prévues dans le règlement no 1049/2001.

 L’appréciation de la Cour

47      Il convient de relever, à titre liminaire, que, dans la décision litigieuse, la Commission avait opéré une distinction entre, d’une part, les documents que cette institution avait échangés avec les parties notifiantes et avec les tiers dans le cadre de la procédure de contrôle de l’opération de concentration en cause, lesquels seraient couverts par l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, relatifs à la protection des intérêts commerciaux et à celle des objectifs des activités d’enquête, ainsi que par l’article 17 du règlement no 139/2004, et d’autre part, les documents internes, établis par les services de la Commission dans le cadre du contrôle de cette opération de concentration, qui relèveraient de l’article 4, paragraphes 2, deuxième tiret, et 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, relatifs respectivement à la protection des avis juridiques et du processus décisionnel de l’institution.

48      Cette distinction entre les documents échangés par la Commission avec les parties notifiantes ainsi qu’avec les tiers, d’une part, et les documents internes, d’autre part, a été suivie par cette institution dans son mémoire en défense déposé en première instance ainsi que par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. En outre, la même catégorisation des documents concernés constitue le schéma du raisonnement de la Commission dans son pourvoi. Par conséquent, l’appréciation de la Cour sera également opérée en fonction de cette même distinction.

 Sur le refus d’accès aux documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers

49      Par le premier moyen ainsi que par les première à troisième branches du second moyen de son pourvoi, la Commission reproche, en substance, au Tribunal de ne pas avoir pris en considération les dispositions pertinentes du règlement no 139/2004 relatives à l’accès aux documents d’une procédure de contrôle d’une concentration entre entreprises aux fins de l’interprétation des exceptions au droit d’accès prévues à l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, concernant, respectivement, la protection des intérêts commerciaux et celle des objectifs d’enquête.

50      À la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à la relation entre le règlement no 1049/2001 et certaines réglementations spécifiques du droit de l’Union, établie en particulier par les arrêts précités Commission/Bavarian Lager, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau ainsi que Suède e.a./API et Commission, ce grief s’avère fondé.

51      En effet, la présente espèce concerne les rapports entre le règlement no 1049/2001 et une autre réglementation, à savoir le règlement no 139/2004, qui régit un domaine spécifique du droit de l’Union. Ces deux règlements ont des objectifs différents. Le premier vise à assurer la plus grande transparence possible du processus décisionnel des autorités publiques ainsi que des informations qui fondent leurs décisions. Il vise donc à faciliter au maximum l’exercice du droit d’accès aux documents ainsi qu’à promouvoir de bonnes pratiques administratives. Le second vise à assurer le respect du secret professionnel dans les procédures de contrôle des opérations de concentrations entre entreprises de dimension communautaire.

52      Lesdits règlements ne comportent pas de disposition prévoyant expressément la primauté de l’un sur l’autre. Dès lors, il convient d’assurer une application de chacun de ces règlements qui soit compatible avec celle de l’autre et en permette ainsi une application cohérente.

53      Conformément à la jurisprudence de la Cour, même si le règlement no 1049/2001 vise à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible, ce droit est toutefois soumis, à la lumière du régime d’exceptions prévues à l’article 4 de ce règlement, à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé (voir, en ce sens, arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, point 51).

54      En l’espèce, la demande présentée par Agrofert concerne l’ensemble des documents non publiés relatifs à la procédure de contrôle de l’opération de concentration en cause. La Commission avait refusé de communiquer à Agrofert les documents afférents à cette procédure, échangés entre elle et les parties notifiantes ou les tiers, en invoquant les exceptions au droit d’accès prévues à l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, tirées, respectivement, de la protection des intérêts commerciaux et de celle des objectifs des activités d’enquête.

55      À cet égard, il convient de relever qu’une institution de l’Union, aux fins d’apprécier une demande d’accès à des documents détenus par elle, peut prendre en compte plusieurs motifs de refus visés à l’article 4 du règlement no 1049/2001.

56      Il est constant que les documents en cause relèvent effectivement d’une activité d’enquête au sens du troisième tiret de la disposition visée au point 54 du présent arrêt. En outre, eu égard à l’objectif d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration, qui consiste à vérifier si une opération donne ou non aux parties notifiantes un pouvoir de marché susceptible d’affecter de manière significative la concurrence, la Commission recueille dans le cadre d’une telle procédure des informations commerciales sensibles, relatives aux stratégies commerciales des entreprises impliquées, aux montants de leurs ventes, à leurs parts de marché ou à leurs relations commerciales, de sorte que l’accès aux documents d’une telle procédure de contrôle peut porter atteinte à la protection des intérêts commerciaux desdites entreprises. Dès lors, les exceptions relatives à la protection des intérêts commerciaux et à celle des objectifs des activités d’enquête sont, en l’espèce, étroitement liées.

57      Certes, pour justifier le refus d’accès à un document, il ne suffit pas, en principe, que ce document relève d’une activité ou d’un intérêt mentionnés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, l’institution concernée devant également expliquer comment l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cet article. Toutefois, il est loisible à cette institution de se fonder, à cet égard, sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature (arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, points 53 et 54 ainsi que jurisprudence citée).

58      En ce qui concerne les procédures de contrôle des aides d’État, la Cour a considéré que de telles présomptions générales peuvent résulter du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), qui réglemente spécifiquement la matière des aides étatiques et qui contient des dispositions concernant l’accès à des informations et à des documents obtenus dans le cadre de la procédure d’enquête et de contrôle d’une aide (voir, en ce sens, arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, points 55 à 57).

59      De telles présomptions générales sont applicables, en matière de procédure de contrôle des opérations de concentration entre entreprises, en raison du fait que la réglementation qui régit cette procédure prévoit également des règles strictes quant au traitement des informations obtenues ou établies dans le cadre d’une telle procédure.

60      En effet, les articles 17 et 18, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 ainsi que l’article 17 du règlement no 802/2004 réglementent de manière restrictive l’usage des informations recueillies dans le cadre d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration entre entreprises, en limitant l’accès au dossier aux «parties directement intéressées» et «aux autres parties intéressées», sous réserve de l’intérêt légitime des entreprises impliquées à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués, et en exigeant que les informations recueillies ne soient utilisées que dans le but poursuivi par la demande de renseignements, le contrôle ou l’audience et que les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel ne soient pas divulguées.

61      Certes, le droit de consulter le dossier administratif dans le cadre d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration et le droit d’accès aux documents, en vertu du règlement no 1049/2001, se distinguent juridiquement, mais il n’en demeure pas moins qu’ils conduisent à une situation comparable d’un point de vue fonctionnel. En effet, indépendamment de la base juridique sur laquelle il est accordé, l’accès au dossier permet aux intéressés d’obtenir les observations et les documents présentés à la Commission (voir, en ce sens, arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, point 59).

62      Dans ces conditions, un accès généralisé, sur la base du règlement no 1049/2001, aux documents échangés, dans le cadre d’une telle procédure, entre la Commission et les parties notifiantes ou les tiers serait, ainsi que la Commission l’a souligné, de nature à mettre en péril l’équilibre que le législateur de l’Union a voulu assurer, dans le règlement CE sur les concentrations, entre l’obligation pour les entreprises concernées de communiquer à la Commission des informations commerciales éventuellement sensibles aux fins de permettre à celle-ci d’apprécier la compatibilité de l’opération de concentration projetée avec le marché commun, d’une part, et la garantie de protection renforcée s’attachant, au titre du secret professionnel et du secret des affaires, aux informations ainsi transmises à la Commission, d’autre part.

63      Si les personnes autres que celles habilitées à accéder au dossier par la réglementation sur le contrôle des concentrations ou celles qui pouvaient être considérées comme intéressées mais qui n’ont pas utilisé leur droit d’accès aux informations ou qui se sont vu refuser un tel droit étaient en mesure d’obtenir l’accès aux documents sur le fondement du règlement no 1049/2001, le régime institué par cette réglementation serait mis en cause.

64      Par conséquent, aux fins de l’interprétation des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, le Tribunal aurait dû reconnaître l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation des documents concernés porte, en principe, atteinte à la protection des intérêts commerciaux des entreprises impliquées dans l’opération de concentration ainsi qu’à la protection des objectifs des activités d’enquête relatives à la procédure de contrôle de celle‑ci (voir, en ce sens, arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, point 61).

65      La considération exposée par le Tribunal au point 88 de l’arrêt attaqué, suivant laquelle l’obligation, en vertu du règlement no 139/2004, de limiter l’usage des informations obtenues par les entreprises dans le cadre d’une procédure de contrôle d’une concentration ne concerne que la manière dont la Commission peut utiliser ces informations et ne régit pas l’accès aux documents garanti par le règlement no 1049/2001, est également erronée en droit.

66      Compte tenu de la nature des intérêts protégés dans le cadre du contrôle d’une opération de concentration, force est de considérer que la conclusion tirée au point 64 du présent arrêt s’impose indépendamment de la question de savoir si la demande d’accès concerne une procédure de contrôle déjà clôturée ou une procédure pendante. En effet, la publication des informations sensibles concernant les activités économiques des entreprises impliquées est susceptible de porter atteinte à leurs intérêts commerciaux indépendamment de l’existence d’une procédure de contrôle pendante. En outre, la perspective d’une telle publication après la clôture de la procédure de contrôle risquerait de nuire à la disponibilité des entreprises à collaborer lorsqu’une telle procédure est pendante.

67      Il importe d’ailleurs de souligner que, aux termes de l’article 4, paragraphe 7, du règlement no 1049/2001, les exceptions concernant les intérêts commerciaux ou les documents sensibles peuvent s’appliquer pendant une période de 30 ans, voire au-delà de cette période si nécessaire.

68      La présomption générale susvisée n’exclut pas la possibilité de démontrer qu’un document donné, dont la divulgation est demandée, n’est pas couvert par cette présomption ou qu’il existe un intérêt public supérieur justifiant la divulgation de ce document en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 (arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité, point 62).

69      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que le Tribunal, en omettant de prendre en considération le système réglementant l’accès aux documents dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations entre entreprises et en jugeant à tort, en substance, aux points 63, 64, 66, 80, 101, 103, 104 et 110 à 114 de l’arrêt attaqué, qu’il n’apparaissait pas de manière manifeste, en l’espèce, qu’il y avait lieu de refuser l’accès aux documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers visés dans la demande d’accès introduite par Agrofert sur le fondement du règlement no 1049/2001, sans procéder au préalable à un examen concret et individuel de ces documents, a commis une erreur d’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, de ce règlement.

70      En conséquence, il convient d’accueillir le premier moyen ainsi que les première à troisième branches du second moyen du pourvoi et, partant, d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où celui‑ci a annulé la décision litigieuse concernant le refus d’accès aux documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers.

 Sur le refus d’accès aux documents internes de la Commission

71      Ce refus d’accès concerne les documents identifiés sous les nos 2 à 5 sur la liste présentée par la Commission et reprise au point 14 de l’arrêt attaqué (voir point 7 du présent arrêt).

72      La position de la Commission à l’égard de ces documents, telle qu’elle ressort tant de la décision litigieuse que de son mémoire en défense devant le Tribunal, ainsi que des quatrième et cinquième branches du second moyen de son pourvoi, est fondée sur l’argument selon lequel le refus d’accès auxdits documents est justifié sur la base de l’exception tirée de la protection du processus décisionnel, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 et, de plus, en ce qui concerne les documents nos 3 et 4, sur la base de l’exception tirée de la protection des avis juridiques, conformément à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, de ce règlement.

73      Dans la présente affaire, il est constant que les documents internes auxquels l’accès est sollicité relèvent tous du champ d’application de l’exception tirée de la protection du processus décisionnel de l’institution et que deux de ces documents, à savoir les documents nos 3 et 4, relèvent également du champ d’application de l’exception concernant la protection des avis juridiques. Il est également constant que, au moment du dépôt de la demande d’accès aux documents, la procédure de contrôle de la concentration sur laquelle ces documents portaient était clôturée et que la décision y afférente de la Commission était devenue définitive.

74      À cet égard, il convient de relever que, dans une hypothèse où, au moment de la demande d’accès à des documents internes établis dans le cadre d’une procédure administrative de contrôle d’une opération de concentration, la décision de la Commission relative à l’opération en cause avait été annulée par un arrêt du Tribunal passé en force de chose jugée en l’absence de pourvoi dirigé contre ce dernier et où la Commission n’avait, à la suite de cet arrêt d’annulation, pas repris ses activités d’enquête aux fins de l’adoption éventuelle d’une nouvelle décision relative à ladite opération, la Cour a, dans l’arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission (C‑506/08 P, Rec. p. I‑6237, ci-après l’«arrêt MyTravel»), jugé, en substance, que, pour pouvoir refuser l’accès à un tel document interne, il incombe à l’institution concernée de procéder à un examen concret et individuel du document en cause et de fournir les raisons spécifiques pour lesquelles elle considère que sa divulgation porterait concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, ou par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001.

75      Une telle solution vaut également dans une situation, telle que celle de l’espèce, où la demande d’accès à des documents internes a été introduite alors que la décision de la Commission ayant clôturé la procédure de contrôle de l’opération de concentration à laquelle se rattachent lesdits documents était devenue définitive en l’absence de recours juridictionnel introduit à l’encontre de cette décision.

76      En effet, il appartient en pareil cas à la Commission d’exposer dans la décision de refus les raisons spécifiques, étayées par des éléments circonstanciés, au regard du contenu concret des différents documents sollicités, permettant de conclure que la divulgation de chacun de ceux‑ci porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution (voir, en ce sens, arrêt MyTravel, points 81, 82, 89, 90, 98, 102 et 103).

77      Il importe de relever à cet égard que l’invocation de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, applicable après qu’une décision a été prise, est encadrée par des conditions strictes (voir, en ce sens, arrêt MyTravel, points 78 à 80). En effet, elle couvre uniquement certains types de documents et la condition de nature à justifier le refus est que la divulgation serait de nature à porter «gravement» atteinte au processus décisionnel de l’institution.

78      Concernant l’invocation de l’exception tirée de la protection des avis juridiques, il convient également d’attacher une importance particulière au fait que, en l’espèce, la décision de la Commission était devenue définitive et qu’aucun recours portant sur sa légalité n’était plus envisageable devant les juridictions de l’Union. Dans de telles circonstances, il incombait à l’institution concernée d’expliciter de quelle manière l’accès à un document donné était susceptible, concrètement et effectivement, et non pas sur la base de considérations générales et abstraites, de porter atteinte à l’intérêt protégé par cette exception (voir, par analogie, arrêt MyTravel, points 110, 115 et 117).

79      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que, en l’espèce, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en considérant, en substance, aux points 120 à 132 et 137 à 147 de l’arrêt attaqué, que la Commission aurait dû démontrer que l’accès, y compris partiel, à chacun des documents internes sollicités était susceptible de porter concrètement, effectivement et gravement atteinte à la protection du processus décisionnel de l’institution et que, plus particulièrement, la divulgation des documents contenant des avis juridiques constituerait un risque, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, pour la protection de ces avis.

80      Par conséquent, les quatrième et cinquième branches du second moyen du pourvoi doivent être rejetées.

 Sur le recours devant le Tribunal

81      Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de l’arrêt attaqué, peut statuer elle‑même sur le litige, lorsque celui‑ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce en ce qui concerne le litige portant sur le refus d’accès aux documents relevant de la partie de l’arrêt attaqué qui doit être annulée par le présent arrêt.

82      En effet, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur les moyens du recours d’Agrofert dirigés contre le refus de la Commission d’accorder l’accès aux documents qu’elle a échangés avec les parties notifiantes et avec les parties tierces, en invoquant les exceptions tirées de la protection des intérêts commerciaux et des objectifs des activités d’enquête.

83      En ce qui concerne l’application de ces exceptions, Agrofert avait soutenu, en premier lieu, dans son recours devant le Tribunal, que l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001 devait être interprété en ce sens que l’institution concernée est tenue de procéder à un examen concret et individuel de chacun des documents visés dans la demande d’accès, que tous les documents et toutes les informations y figurant n’étaient pas couverts par ces exceptions et que, par conséquent ne pouvait être refusé que l’accès à certains passages d’un document. En outre, la Commission aurait invoqué à tort l’article 17 du règlement no 139/2004.

84      Or, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 57 à 67 du présent arrêt, l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, interprété à la lumière de la réglementation spécifique en matière de contrôle des concentrations entre entreprises, permet à la Commission d’appliquer une présomption générale suivant laquelle la divulgation des documents échangés avec les parties notifiantes et avec les parties tierces dans le cadre d’une telle procédure de contrôle porte, en principe, atteinte à la protection des intérêts commerciaux des entreprises impliquées et à celle des objectifs des activités d’enquête relatives à cette procédure, sans que la Commission soit tenue de procéder à un examen concret et individuel de ces documents. Par conséquent, cette argumentation d’Agrofert doit être écartée.

85      En second lieu, Agrofert a fait valoir devant le Tribunal qu’un intérêt public supérieur impose que soient divulgués les documents demandés, intérêt représenté en l’espèce par le préjudice que cette partie aurait subi en sa qualité d’actionnaire minoritaire d’Unipetrol, acquise par PKN Orlen dans le cadre de l’opération de concentration en cause.

86      À cet égard, si, certes, ainsi qu’il ressort du point 68 du présent arrêt, la présomption générale susvisée n’exclut pas le droit, pour l’intéressé, de démontrer l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation des documents sollicités, force est toutefois de constater que l’intérêt dont il est fait état par Agrofert ne constitue pas un intérêt public supérieur, au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. Dès lors, cette argumentation est non fondée.

87      Les autres arguments soulevés par Agrofert en première instance ne sont pas non plus fondés.

88      La violation alléguée de l’article 1er, deuxième alinéa, TUE n’est pas distincte du moyen tiré d’une application erronée des exceptions visées à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. En effet, le principe d’ouverture énoncé de manière générale audit article 1er, deuxième alinéa, est concrétisé par ce règlement.

89      Le moyen tiré d’une mauvaise administration dans le traitement de la demande d’accès, par lequel Agrofert reproche à la Commission d’avoir dépassé les délais prescrits pour répondre à sa demande confirmative, est inopérant. Étant donné que la Commission a répondu à cette demande avant qu’Agrofert n’ait tiré des conséquences de l’absence de réponse dans les délais conformément à l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001, ledit dépassement n’est pas susceptible d’entacher la réponse de la Commission d’une illégalité justifiant son annulation.

90      En conséquence, le recours introduit par Agrofert devant le Tribunal, visant à l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle porte refus d’accès aux documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers dans le cadre de la procédure de contrôle de la concentration de PKN Orlen et d’Unipetrol, doit être rejeté.

 Sur les dépens

91      Aux termes de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle‑même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

92      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Conformément à l’article 69, paragraphe 3, dudit règlement, la Cour peut, cependant, répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. L’article 69, paragraphe 4, de ce même règlement prévoit, à son premier alinéa, que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens et, à son troisième alinéa, que la Cour peut décider qu’une autre partie intervenante supportera ses propres dépens.

93      La Commission ayant succombé partiellement en ses moyens et le recours d’Agrofert ayant été partiellement rejeté, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens exposés tant en première instance qu’à l’occasion du présent pourvoi.

94      PKN Orlen et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      Le point 2 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 juillet 2010, Agrofert Holding/Commission (T‑111/07), est annulé dans la mesure où il annule la décision D (2007) 1360 de la Commission européenne, du 13 février 2007, refusant l’accès aux documents de l’affaire COMP/M.3543 concernant l’opération de concentration entre Polski Koncern Naftowy Orlen SA et Unipetrol, échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers.

2)      Le point 3 du dispositif de cet arrêt est annulé.

3)      Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

4)      Le recours introduit par Agrofert Holding a.s. devant le Tribunal de l’Union européenne et visant à l’annulation de la décision D (2007) 1360 de la Commission européenne, du 13 février 2007, refusant l’accès aux documents de l’affaire COMP/M.3543 concernant l’opération de concentration entre Polski Koncern Naftowy Orlen SA et Unipetrol, échangés entre la Commission et les parties notifiantes et entre la Commission et les tiers, est rejeté.

5)      La Commission européenne et Agrofert Holding a.s. supportent leurs propres dépens exposés tant en première instance qu’à l’occasion du présent pourvoi.

6)      Polski Koncern Naftowy Orlen SA et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.