Language of document : ECLI:EU:T:2000:295

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

12 décembre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Révocation - Inexécution d'un arrêt d'annulation - Article 233 CE - Responsabilité non contractuelle de la Communauté - Préjudice moral - Indemnisation»

Dans l'affaire T-11/00,

Michel Hautem, agent de la Banque européenne d'investissement, demeurant à Schouweiler (Luxembourg), représenté par Mes M. Karp et J. Choucroun, avocats au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Karp, 84, Grand-Rue,

partie requérante,

contre

Banque européenne d'investissement, représentée par M. J.-P. Minnaert, conseiller juridique principal à la direction des affaires juridiques, en qualité d'agent, assisté de Me G. Vandersanden, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à la réparation du préjudice moral que le requérant estime avoir subi du fait du refus de la Banque européenne d'investissement d'exécuter l'arrêt du Tribunal du 28 septembre 1999, Hautem/BEI (T-140/97, RecFP p. I-A-171 et II-897),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de M. R. García-Valdecasas, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 12 septembre 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le requérant est entré au service de la Banque européenne d'investissement (BEI) le 16 décembre 1994, en tant qu'huissier rattaché à la fonction K avec l'échelon K004.

2.
    Le 31 janvier 1997, le président de la BEI a pris, sur la base de l'article 38, paragraphe 3, du règlement du personnel de la BEI, et conformément à l'avis motivé de la commission paritaire prévue à l'article 40 du même règlement, la décision de licencier le requérant sans préavis pour motif grave, avec maintien de l'allocation de départ, pour violation des articles 1er, 4 et 5 du règlement du personnel (ci-après la «décision de licenciement»).

3.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 avril 1997, le requérant a introduit un recours en annulation (T-140/97) contre la décision de licenciement.

4.
    Par arrêt du 28 septembre 1999, Hautem/BEI (T-140/97, RecFP p. I-A-171 et II-897, ci-après l'«arrêt Hautem»), le Tribunal a annulé la décision de licenciement. Le dispositif dudit arrêt est libellé comme suit:

«1)     La décision de la Banque européenne d'investissement du 31 janvier 1997, par laquelle le requérant a été révoqué sans perte de l'allocation de départ, est annulée.

2)     La Banque européenne d'investissement est condamnée à payer au requérant l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement.

3)     Les demandes en indemnité introduites par le requérant sont rejetées.

4)     La demande en indemnité introduite par la Banque européenne d'investissement est rejetée comme irrecevable.

5)     La Banque européenne d'investissement supportera ses propres dépens, ainsi que ceux du requérant.»

5.
    Par courrier du 18 octobre 1999, le conseil du requérant a demandé à la BEI de prendre position quant à l'exécution de l'arrêt Hautem. Le conseil de la BEI a répondu, par courrier du 22 novembre 1999, que celle-ci avait l'intention d'introduire un pourvoi contre cet arrêt, ledit courrier ne comportant, par ailleurs, aucune prise de position quant à la question de l'exécution de l'arrêt.

6.
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 novembre 1999, la BEI a formé un pourvoi contre l'arrêt Hautem (affaire C-449/99 P). Elle se fondait, notamment, sur le fait que tant la réintégration du requérant que le paiement de l'arriéré des rémunérations aboutiraient à reconnaître aux agents de la BEI le statut de fonctionnaires alors qu'il s'agit d'agents contractuels.

7.
    La BEI n'a pas introduit de demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de l'arrêt Hautem.

8.
    Par télécopie du 30 novembre 1999, le conseil du requérant a demandé à la BEI de lui communiquer les barèmes des salaires et d'établir le montant des arriérés dus en vertu du dispositif de l'arrêt Hautem.

9.
    Par courrier du 8 décembre 1999, le conseil de la BEI a répondu ce qui suit:

«[L]a Banque estime [...] pour le moins prématuré, sinon contraire à une bonne administration de la justice, de donner suite à [cette] demande, qui, dans la mesure où elle porte précisément sur les deux points du dispositif de l'arrêt du Tribunal, devra être éclairée par l'arrêt que la Cour de justice est appelée à rendre sur pourvoi.Effectuer le paiement des arriérés de rémunérations pourrait, en effet, donner lieu à remboursement, si la Cour de justice devait annuler l'arrêt du Tribunal sur ce point.»

10.
    Par télécopie du 21 décembre 1999 adressée au conseil de la BEI, le conseil du requérant a demandé à celle-ci de prendre les mesures nécessaires à la réintégration de son client ainsi qu'au paiement de l'arriéré des rémunérations. Il a également précisé que, en l'absence de réponse satisfaisante de la BEI, il introduirait une demande en référé aux fins d'obtenir l'exécution sous astreinte de l'arrêt Hautem.

11.
    Par télécopie du 22 décembre 1999, le conseil de la BEI a confirmé au conseil du requérant que celle-ci estimait, «pour des raisons de bonne administration de la justice, ainsi que pour des questions de fond portant sur la légalité de l'arrêt [Hautem], ne pas devoir procéder à la réintégration de M. Hautem ni au paiement des arriérés de rémunération fixés dans l'arrêt entrepris».

12.
    Par télécopie du 30 décembre 1999, le conseil de la BEI a indiqué que celle-ci estimait «ne pas devoir réserver, pour l'instant, une suite utile» aux demandes du requérant et restait sur sa position, telle qu'exposée dans les lettres des 8 et 22 décembre 1999.

Procédure et conclusions des parties

13.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 janvier 2000, le requérant a introduit le présent recours.

14.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 26 janvier 2000, le requérant a introduit une demande en référé tendant essentiellement à obtenir l'exécution, sous astreinte, de l'arrêt Hautem.

15.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 17 mars 2000, le requérant a introduit une demande d'assistance judiciaire.

16.
    Par ordonnance du 7 avril 2000, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé comme irrecevable au motif que le juge des référés n'était pas compétent pour connaître de ladite demande.

17.
    Le 11 avril 2000, les parties ont tenu une réunion informelle avec le président de la cinquième chambre du Tribunal en vue d'un règlement à l'amiable. Les parties ne sont pas parvenues à un accord.

18.
    Par lettre du 5 juin 2000, le requérant a renoncé à déposer une réplique.

19.
    Par ordonnance du 26 juin 2000, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis le requérant au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite.

20.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

21.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 12 septembre 2000.

22.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    condamner la BEI à lui verser, à titre de réparation du préjudice moral subi du fait de l'inexécution de l'arrêt Hautem, la somme de 60 000 euros;

-    condamner la BEI aux dépens.

23.
    La BEI conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours non fondé;

-    condamner le requérant aux dépens.

Sur le fond

24.
    Selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 42, et du Tribunal du 28 septembre 1999, Frederiksen/Parlement, T-48/97, RecFP p. I-A-167 et II-867, point 44).

Sur le comportement illégal de la BEI

Arguments des parties

25.
    Le requérant fait valoir que la BEI a manqué gravement à ses obligations en refusant obstinément d'exécuter un arrêt, alors que celui-ci est exécutoire. Cette attitude de la BEI serait contraire non seulement aux intérêts du requérant, mais également à l'ordre public.

26.
    Pour ce qui est de la partie du dispositif de l'arrêt Hautem concernant l'obligation, pour la BEI, de payer au requérant l'arriéré des rémunérations qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement, le requérant soutient que, tant sa demande visant à connaître le montant exact auquel il a droit que celle visant à se voir communiquer les barèmes des salaires afin de lui permettre de calculer ledit montant, ont été rejetées par la BEI. Cette dernière aurait également refusé de réintégrer le requérant.

27.
    La BEI soutient avoir expliqué au requérant les raisons pour lesquelles elle estimait qu'il était de bonne administration de la justice d'attendre l'arrêt que la Cour était appelée à rendre à la suite du pourvoi formé contre l'arrêt Hautem, tout en lui assurant qu'elle respecterait ses engagements, lesquels découleraient, en définitive, de l'arrêt de la Cour, quel que soit son contenu. Il serait, dès lors, faux de prétendre que la BEI s'est rendue coupable d'inertie dans l'exécution de l'arrêt Hautem ou qu'elle a manifesté un refus d'exécuter ce dernier.

28.
    En effet, la BEI se serait abstenue de toute action susceptible de contrarier l'exécution future de l'arrêt Hautem et aurait offert au requérant toutes les garanties d'une exécution conforme, une fois la question de fond définitivement résolue. Elle aurait ainsi proposé au requérant la mise sous séquestre de la somme correspondant à l'arriéré des rémunérations.

29.
    Dès lors, la contestation du requérant ne pourrait pas porter sur l'engagement de la BEI d'exécuter de bonne foi et entièrement l'arrêt Hautem. Une telle contestation pourrait porter uniquement sur le délai dans lequel cette exécution devrait intervenir.

30.
    Or, la BEI soutient que le délai raisonnable dans lequel l'exécution de l'arrêt Hautem doit intervenir est, en l'occurrence, à apprécier au regard de l'objection fondamentale formulée, dans le cadre du pourvoi, contre la solution adoptée dans cet arrêt et actuellement soumise à l'appréciation de la Cour. Il serait primordial, en effet, que la Cour détermine si le lien entre la BEI et son personnel est statutaire ou contractuel. En outre, la BEI prétend avoir pris en considération la sécurité juridique du requérant dont les droits ne seront définitivement fixés qu'après l'arrêt de la Cour.

31.
    La BEI conclut que, en tenant compte de tous les éléments d'espèce et en veillant à ce que les droits du requérant soient intégralement préservés au cas où la Cour viendrait à rejeter le pourvoi, elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.

Appréciation du Tribunal

32.
    Il convient, d'abord, de rappeler que l'article 41 du règlement du personnel de la BEI dispose que «[l]es différends de toute nature d'ordre individuel entre la Banque et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice des communautés européennes».

33.
    En outre, dans son arrêt du 15 juin 1976, Mills/BEI (110/75, Rec. p. 955), la Cour a indiqué que toute résiliation du contrat d'un agent de la BEI faite en violation des règles dudit contrat ou des principes généraux du droit du travail peut être déclarée nulle et qu'il lui incombe de constater, le cas échéant, cette nullité (points 25 et 26). La Cour a, également, précisé qu'«une résiliation du contrat intervenue sous forme de 'licenciement pour motif grave‘, sanction prévue à l'article 38 du règlement [du personnel], pourrait éventuellement être déclarée nulle si le juge constatait l'inexistence de ce motif» (point 27).

34.
    Il importe, ensuite, de souligner que, aux termes de l'article 233 CE, «[l]'institution ou les institutions dont émane l'acte annulé, ou dont l'abstention a été déclarée contraire au présent traité, sont tenues de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour».

35.
    En outre, l'article 242 CE dispose que «[l]es recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif. Toutefois, la Cour de justice peut, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué».

36.
    En l'espèce, il ressort du dossier non seulement que la BEI n'a pas exécuté l'arrêt Hautem, mais surtout qu'elle refuse de le faire avant le prononcé par la Cour de l'arrêt dans l'affaire C-449/99 P.

37.
    En effet, par lettres des 8, 22 et 30 décembre 1999, la BEI a refusé de donner suite aux demandes du conseil du requérant d'exécuter l'arrêt Hautem au motif qu'une telle exécution serait contraire à une bonne administration de la justice, dans la mesure où deux points du dispositif dudit arrêt devaient être éclairés par l'arrêt à venir de la Cour dans l'affaire C-449/99 P.

38.
    Or, force est de constater que la BEI n'a pas introduit de demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de l'arrêt attaqué. Elle ne peut, dès lors, pas prétendre qu'il est de bonne administration de la justice d'attendre l'arrêt de la Cour. En effet, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, l'institution dont émane l'acte annulé est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt d'annulation. C'est uniquement à la Cour qu'il appartient, si elle estime que les circonstances l'exigent, d'ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué.

39.
    À cet égard, la BEI a fait valoir que la raison pour laquelle elle n'avait pas cru opportun d'introduire une demande de sursis à exécution était que, compte tenu de la jurisprudence existante en la matière, le sursis ne lui aurait pas été accordé parce qu'un organisme comme la BEI ne pourrait jamais justifier l'existence d'un préjudice irréparable. En effet, cette condition du sursis à exécution ferait certainement défaut, la BEI pouvant se voir utilement répondre que, dans l'hypothèse d'un arrêt faisant droit à son pourvoi, elle pourrait utiliser les moyens légaux qui s'offrent à elle pour récupérer toute somme éventuellement versée au requérant. Dans ces conditions, il apparaît que la BEI s'est délibérément comportée de façon à bénéficier, de fait, d'un sursis à exécution qu'elle estimait ne pas pouvoir obtenir par la voie légale et que, dès lors, son comportement constitue une violation des dispositions du traité.

40.
    Quant à l'offre faite par la BEI de mise sous séquestre de la somme correspondant à l'arriéré des rémunérations que le requérant aurait dû percevoir depuis son licenciement, il suffit de constater qu'une telle mesure ne correspond pas au dispositif de l'arrêt Hautem et ne peut, dès lors, pas être considérée comme une mesure d'exécution dudit arrêt. Le fait que, selon la BEI, une telle mesure offrirait au requérant toutes les garanties d'une exécution conforme ne modifie en rien cetteconclusion. En effet, il convient de rappeler qu'il appartient uniquement à la Cour de prescrire, sur le fondement de l'article 243 CE, les mesures provisoires qu'elle estime nécessaires, prérogative que la BEI ne saurait s'arroger.

41.
    La BEI ne saurait non plus invoquer le fait que le délai raisonnable, dans lequel l'exécution de l'arrêt Hautem doit intervenir, n'est pas encore expiré. En effet, un tel argument pourrait être pris en considération uniquement si la BEI avait soit commencé à prendre les mesures nécessaires à l'exécution dudit arrêt, soit manifesté l'intention de les prendre sans avoir encore eu le temps nécessaire de le mettre en oeuvre pour des raisons matérielles ou administratives. Or, de telles circonstances n'ont pas été invoquées par la BEI. Tout au contraire, ainsi qu'il ressort des courriers précités et des déclarations du conseil de la BEI lors de l'audience, la BEI a clairement manifesté son intention de ne pas exécuter l'arrêt Hautem dans l'attente du prononcé de l'arrêt de la Cour.

42.
    Enfin, quant à l'argument selon lequel il serait primordial que la Cour détermine si le lien entre la BEI et son personnel est statutaire ou contractuel, il convient de souligner que l'exécution de l'arrêt Hautem ne préjuge pas la solution que la Cour pourrait donner à une telle question dans le cadre de l'arrêt sur pourvoi. En outre, il y a lieu de constater que, dans l'arrêt Mills/BEI, précité (point 22), la Cour a jugé que «le régime adopté pour les relations entre la Banque et ses agents [était ...] de nature contractuelle».

43.
    Il résulte de ce qui précède que le comportement de la BEI, consistant à refuser d'adopter toute mesure concrète pour exécuter l'arrêt Hautem, constitue une violation de l'article 233 CE et, dès lors, un comportement illégal susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 1992, Meskens/Parlement, T-84/91, Rec. p. II-2335, point 81, confirmé par arrêt de la Cour, du 9 août 1994, Parlement/Meskens, C-412/92 P, Rec. p. I-3757, et arrêt Frederiksen/Parlement, précité, point 96).

Sur l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité

Arguments des parties

    

44.
    Le requérant fait valoir qu'il a subi un préjudice moral du fait de l'inexécution, par la BEI, de l'arrêt Hautem.

45.
    Il fait observer qu'il se trouve, ainsi que sa famille, dans une situation d'incertitude. En effet, bien que bénéficiant d'un arrêt favorable dont l'exécution lui permettrait de voir ses droits rétablis, il serait en attente de l'issue du pourvoi alors que la BEI n'a pas demandé le sursis à l'exécution de cet arrêt.

46.
    À cet égard, le requérant soutient que sa situation actuelle est des plus précaires, car, outre les problèmes financiers engendrés par la décision de licenciement qui ne cesseraient de s'aggraver et malgré le fait qu'il est en droit de ne pas se retrouver dansla situation de demandeur d'emploi, il ne se retrouve pas non plus dans celle d'agent de la BEI.

47.
    En outre, l'inexécution de l'arrêt Hautem laisserait planer un doute sur les capacités et l'honorabilité professionnelles du requérant. En effet, les employeurs potentiels qu'il pourrait être amené à contacter seraient en droit d'émettre des doutes sur ses qualités professionnelles (arrêt du Tribunal du 26 octobre 1993, Renato Caronna/Commission, T-59/92, Rec. p. II-1129).

48.
    D'une part, la BEI conteste la réalité de tout préjudice moral. Elle fait valoir qu'il paraît, pour le moins, audacieux de la part du requérant de se prévaloir de son honorabilité alors qu'il s'est rendu coupable de comportements qui, s'ils ne justifiaient pas, selon le Tribunal, un licenciement, ont néanmoins été reconnus comme graves. En tout état de cause, la BEI prétend qu'elle n'a pas mis en cause, fût-ce indirectement, l'honorabilité du requérant, en particulier auprès des employeurs qu'il a sollicités pour trouver un travail.

49.
    D'autre part, la BEI fait valoir qu'il n'existe aucun lien de causalité direct entre la faute présumée et le préjudice dont le requérant se prévaut.

50.
    En effet, étant donné que le préjudice invoqué par le requérant se référerait aux conséquences de la décision de licenciement et non à celles de la non-exécution de l'arrêt Hautem, il ne serait pas prouvé qu'un tel préjudice ne serait pas survenu si la BEI avait correctement exécuté cet arrêt.

Appréciation du Tribunal

51.
    S'agissant du préjudice, il importe de relever que le refus par une institution ou un organisme communautaire d'exécuter un arrêt du Tribunal, même si un tel refus est limité à la période comprise entre le prononcé de cet arrêt et celui de l'arrêt que la Cour est appelée à rendre sur pourvoi, constitue une atteinte à la confiance que tout justiciable doit avoir dans le système juridique communautaire, fondé, notamment, sur le respect des décisions rendues par les juridictions communautaires. Dès lors, indépendamment de tout préjudice matériel qui pourrait découler de l'inexécution d'un arrêt, le refus explicite de l'exécuter entraîne, à lui seul, un préjudice moral pour la partie qui a obtenu un arrêt favorable.

52.
    En outre, le comportement illégal de la BEI a incontestablement placé le requérant dans un état prolongé d'incertitude et d'inquiétude quant à la reconnaissance de ses droits et à son avenir professionnel, le caractère indéterminé de sa position professionnelle actuelle étant également à l'origine des difficultés de l'intéressé pour trouver un emploi. Cette situation est manifestement constitutive d'un préjudice moral (arrêts Meskens/Parlement, précité, point 89, et Frederiksen/Parlement, précité, points 110 et 112).

53.
    S'agissant du lien de causalité, il suffit de constater que le préjudice moral subi par le requérant trouve sa cause directe dans la décision de la BEI de ne pas exécuter l'arrêt Hautem et ne serait pas survenu si la BEI avait correctement exécuté cet arrêt.

54.
    Il s'ensuit que l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal de la BEI et le préjudice est établie.

Conclusion

55.
    Au vu des circonstances particulières de l'espèce et compte tenu de l'importance du préjudice moral subi par le requérant, il convient de considérer que l'allocation à ce dernier d'une somme de 25 000 euros constitue une réparation appropriée dudit préjudice.

Sur les dépens

56.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

57.
    Dans le cadre du recours principal, la BEI ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter l'ensemble des dépens conformément aux conclusions du requérant.

58.
    Quant aux dépens afférents à la procédure en référé, le requérant ayant succombé, il y a lieu de conclure que chaque partie supportera ses propres dépens.

59.
    Conformément à l'article 97, paragraphe 3, du règlement de procédure, la décision qui statue sur les dépens peut prononcer la distraction au profit de la caisse du Tribunal de sommes versées au titre de l'assistance judiciaire. Ces sommes sont récupérées par les soins du greffier contre la partie qui a été condamnée à les payer.

60.
    Par ordonnance du 26 juin 2000, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis le requérant au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite à concurrence d'un montant maximal de 8 000 euros. Une avance d'un montant de 3 000 euros a été accordée à l'avocat du requérant au titre de ses débours et honoraires. Il y a lieu, dès lors, de décider que la BEI doit verser à la caisse du Tribunal la somme de 3 000 euros, ou toute autre somme inférieure justifiée par le requérant comme dépens liés au recours principal. Si les dépens afférents à la procédure principale devaient être supérieurs à 3 000 euros, le montant restant devrait être payé directement par la BEI au requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    La Banque européenne d'investissement est condamnée à verser au requérant la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

2)    La Banque européenne d'investissement est condamnée aux dépens afférents à la procédure principale.

3)    La Banque européenne d'investissement doit verser à la caisse du Tribunal un montant de 3 000 euros ou toute autre somme inférieure justifiée par le requérant comme dépens afférents à la procédure principale.

4)    Chaque partie supportera ses propres dépens afférents à la procédure en référé.

García-Valdecasas

Lindh
Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: le français.