Language of document : ECLI:EU:T:2000:261

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

8 novembre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Allocation pour enfant à charge - Allocation double pour enfant atteint d'un handicap mental ou physique - Suspension - Répétition de l'indu»

Dans l'affaire T-210/98,

E, ancienne fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée initialement par Me C. Revoldini, puis par Me J. Choucroun, avocats au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile en l'étude de cette dernière, 84, Grand-Rue,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes C. Berardis-Kayser et F. Clotuche-Duvieusart, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistées de Me B. Wägenbaur, avocat à Hambourg, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet des demandes visant à l'annulation, d'une part, d'une décision de la Commission du 14 juillet 1998, portant suspension du versement d'une double allocation pour enfant à charge et suppression rétroactive du bénéfice de celle-ci pour la période du 1er janvier 1997 au 14 juillet 1998, et, d'autre part, d'une décision de la Commission du 22 juillet 1998 portant récupération sur la pension d'ancienneté de la requérante, à hauteur d'un montant de 181 446 francs luxembourgeois, des sommes prétendument versées indûment au titre de ladite allocation, ainsi qu'à la condamnation de la Commission à rembourser à la requérante les montants retenus sur sa pension,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. Potocki et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 4 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    L'article 67 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») dispose:

«1. Les allocations familiales comprennent:

a)    l'allocation de foyer;

b)    l'allocation pour enfant à charge;

c)    l'allocation scolaire

[...]

3. L'allocation pour enfant à charge peut être doublée par décision spéciale et motivée de l'autorité investie du pouvoir de nomination prise sur la base de documents médicaux probants établissant que l'enfant en cause impose au fonctionnaire de lourdes charges résultant d'un handicap mental ou physique dont est atteint l'enfant.

[...]»

2.
    Par sa conclusion 177/87, le collège des chefs d'administration a précisé les conditions d'octroi de la double allocation pour enfant à charge comme suit:

«L'existence des 'lourdes charges‘ est constatée par l'[autorité investie du pouvoir de nomination] lorsque la différence entre les revenus de toute nature de l'enfant et les dépenses non remboursables pour son entretien excède 20 % du montant imposable de la rémunération du fonctionnaire avec comme minimum le montant de la double allocation pour enfant à charge.

L'[autorité investie du pouvoir de nomination] contrôle l'existence des conditions dont dépend le doublement de l'allocation pour enfant à charge. Quand le médecin-conseil estime que le handicap n'entraîne pas manifestement de lourdes charges, il appartient au fonctionnaire de prouver que cette condition est remplie.»

3.
    L'article 2 de l'annexe VII du statut dispose:

«1. Le fonctionnaire ayant un ou plusieurs enfants à charge bénéficie, dans les conditions énumérées aux paragraphes 2 et 3, d'une allocation de 219,38 euros par mois pour chaque enfant à sa charge.

[...]

3. L'allocation est accordée:

a)    d'office, pour l'enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de 18 ans;

b)    sur demande motivée du fonctionnaire intéressé, pour l'enfant âgé de 18 à 26 ans qui reçoit une formation scolaire ou professionnelle.

[...]

5. La prorogation du versement de l'allocation est acquise sans aucune limitation d'âge si l'enfant se trouve atteint d'une maladie grave ou d'une infirmité qui l'empêche de subvenir à ses besoins, et pour toute la durée de cette maladie ou infirmité.»

Les faits

4.
    La requérante, fonctionnaire de la Commission pendant de nombreuses années, a été mise à la retraite en 1993. Son fils A., né en 1958, est atteint d'une maladie psychique évolutive.

5.
    À compter de 1982, la requérante a perçu, pour son fils A., une allocation pour enfant à charge en application de l'article 2, paragraphe 5, de l'annexe VII du statut.

6.
    Les droits à pension et aux allocations familiales de la requérante ont été fixés par décision du 24 mai 1993. Le 22 juin 1993, la requérante a demandé la prorogation du bénéfice de l'allocation pour enfant à charge pour l'entretien de son fils A. Cette demande était accompagnée d'un certificat médical.

7.
    Selon l'«avis de modification n° 1» du 18 août 1993, la Commission a décidé de proroger le versement de l'allocation précitée pour la période du 1er juin 1993 au 31 mai 1997. À tout le moins à dater de ce jour, elle a versé à la requérante une double allocation pour enfant à charge.

8.
    Dans ses déclarations annuelles pour les années 1994-1995 et 1996-1997, la requérante a fourni certaines indications concernant son fils A. Dans la rubrique prévue pour la mention de la date de naissance et, le cas échéant, la date du mariage, elle a indiqué la seule date de naissance de son fils, ce dernier étant toutefois marié depuis le 27 juin 1991.

9.
    Par lettre du 22 mai 1997, la requérante a demandé à la Commission «la prolongation d'affiliation» de son fils.

10.
    Selon l'«avis de modification n° 3», non daté, la Commission a décidé d'accorder la double allocation pour enfant à charge pour la période du 1er juin 1997 au 31 mai 2000. La rubrique relative à ladite allocation contenait la mention «OUI*», l'astérisque se référant à la note suivante: «Selon l'article 67, [paragraphe] 3, de l'annexe VII du statut.»

11.
    Le 18 février 1998, la requérante a envoyé à la Commission un formulaire de demande de prorogation du bénéfice de l'allocation pour enfant à charge sur lequel elle a indiqué que son fils était marié depuis 1991 et que l'épouse de celui-ci avait des revenus de 40 000 francs luxembourgeois (LUF) par mois.

12.
    Par courrier du 19 mai 1998, les services de la Commission ont adressé à la requérante une demande de renseignements concernant son fils A., ainsi que sa belle-fille. Elle a été invitée à produire une copie du certificat de mariage, des documents justificatifs des revenus annuels de sa belle-fille et la preuve que A. ne pouvait pas bénéficier du remboursement des frais médicaux par le biais du régime d'assurance maladie de son épouse.

13.
    Par lettre du 28 mai 1998, la requérante a communiqué à la Commission une copie du certificat de mariage, un certificat de salaires de sa belle-fille au titre de l'année 1997, ainsi qu'une copie d'une lettre de la caisse nationale des prestations familiales du Luxembourg, établie en 1990, selon laquelle son fils ne pouvait pas bénéficier de l'allocation familiale pour infirmes prévue par la législation luxembourgeoise.

14.
    Le 14 juillet 1998, la Commission a adressé à la requérante une lettre contenant, notamment, le paragraphe suivant:

«[V]ous trouverez, en annexe, l'avis de modification n° 4 vous notifiant la suspension, dans un premier temps, du bénéfice de l'article 67, paragraphe 3, du statut à partir du 1er janvier 1997.»

15.
    La Commission indiquait également que les documents fournis par la requérante n'étaient pas suffisants pour examiner si la double allocation pouvait être maintenue depuis le mariage de son fils. Elle demandait dès lors à la requérante d'envoyer la déclaration des revenus annuels de sa belle-fille pour les années 1993, 1994, 1995 et 1996, ainsi que la preuve que son fils ne bénéficiait pas du régime d'assurance maladie de son épouse.

16.
    Dans l'«avis de modification n° 4», joint à cette lettre et daté également du 14 juillet 1998, figurait la mention «OUI*» au titre de l'allocation pour enfant à charge, pour la période du 1er janvier 1997 au 31 mai 2000. La rubrique dont ressort cet octroi contient un astérisque qui se réfère à la note suivante: «Article 2, [paragraphe] 5.»

17.
    Le 23 juillet 1998, la Commission a adressé à la requérante une lettre (rédigée en italien) selon laquelle, «suite à l'avis de modification n° 5 [notifiant] la suppression» de la double allocation pour enfant à charge à partir du mois de janvier 1997, un montant de 181 446 LUF a été indûment perçu. La requérante était informée que, conformément à l'article 85 du statut, cette somme serait retenue sur sa pension et que la récupération serait étalée sur une période de onze mois.

18.
    Le 3 août 1998, la requérante a saisi la Commission d'une réclamation.

19.
    Par lettre du 28 septembre 1998, la Commission a rejeté la réclamation en indiquant que le bénéfice de l'article 67, paragraphe 3, du statut pourrait être rétabli au profit de la requérante avec effet rétroactif pour autant que cette dernière présente les pièces justificatives réclamées.

20.
    Par lettre de son avocat du 3 décembre 1998, la requérante s'est plainte de ce que le délai fixé pour la production des documents réclamés par la Commission était trop court.

Procédure et conclusions des parties

21.
    Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 24 décembre 1998, la requérante a introduit le présent recours.

22.
    La procédure écrite s'est terminée le 16 juin 1999.

23.
    Par décision du Tribunal du 6 juillet 1999, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle l'affaire a, par la suite, été attribuée.

24.
    Conformément à l'article 64, paragraphe 3, de son règlement de procédure, le Tribunal a posé, le 11 novembre 1999, des questions à la Commission qui y a répondu par mémoire du 3 décembre 1999.

25.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Conformément à l'article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Commission a été invitée à répondre à des questions et à produire certains documents. Elle a satisfait à ces demandes dans le délai imparti.

26.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 4 mai 2000.

27.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision de la Commission de suspendre avec effet rétroactif au 1er janvier 1997 l'allocation pour enfant à charge doublée en vertu de l'article 67, paragraphe 3, du statut;

-    annuler la décision portant récupération du montant de 181 446 LUF;

-    condamner la Commission à lui rembourser les montants retenus sur sa pension à partir du mois de juillet 1998 jusqu'à concurrence de 181 446 LUF;

-    condamner la Commission aux dépens.

28.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante à l'intégralité des dépens.

Sur les demandes d'annulation

Sur le contenu des décisions attaquées

Arguments des parties

29.
    La requérante est d'avis que l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a pris des mesures contradictoires. D'une part, elle aurait informé la requérante, le 14 juillet 1998, de la suspension du bénéfice de l'article 67, paragraphe 3, du statut à partir du 1er janvier 1997. D'autre part, elle aurait notifié, le 23 juillet 1998, la suppression de la double allocation à partir du 1er janvier 1997.

30.
    Dans son mémoire du 3 décembre 1999, la Commission a indiqué, en réponse à une question du Tribunal, que le terme «suspension» figurant dans le paragraphe 1 de la décision du 14 juillet 1998 procède d'une erreur de plume et que cette décision vise à supprimer définitivement le versement de l'allocation accordée au titre de l'article 67, paragraphe 3, du statut, et ce rétroactivement à partir du 1er janvier 1997. Selon la Commission, cela ressort de l'avis de modification n° 4, annexé à cette décision, ainsi que de la lettre du 23 juillet 1998, par laquelle l'administration a informé la requérante qu'elle allait procéder à la répétition de l'indu concernant la période en cause.

31.
    À l'audience, la Commission a reconnu, en réponse aux questions du Tribunal, l'existence d'une certaine imprécision, née de l'utilisation des termes «suspension» et «suppression», quant au sens exact des lettres des 14 et 23 juillet 1998. Cela s'expliquerait par la patience et l'indulgence dont les services de la Commission auraient fait preuve à l'égard de la requérante, en raison de l'aspect humain particulier de la présente affaire. Au lieu de supprimer directement le bénéfice de la double allocation dès lors qu'elle avait constaté que la requérante n'avait pas fourni toutes les pièces demandées, l'administration aurait évoqué une suspension afin de laisser une dernière chance à la requérante de fournir les éléments demandés. Cette suspension se serait ensuite transformée en suppression, l'administration s'étant rendu compte qu'une décision de suspension ne permettait pas de clore l'affaire. En réalité, il s'agirait d'une décision de suppression de l'allocation litigieuse, assortie d'une condition. L'utilisation du terme «suspension» se serait révélée a posteriori être une erreur.

Appréciation du Tribunal

32.
    La lettre du 14 juillet 1998 et l'avis de modification n° 4 annexé à celle-ci constituent ensemble la première des décisions attaquées. Il est indiqué dans cette lettre que l'avis de modification n° 4 porte «suspension, dans un premier temps, du bénéfice de l'article 67, [paragraphe] 3, du statut à partir du 1er janvier 1997». La double allocation pour enfant à charge étant une prestation périodique octroyée par décision administrative, le terme «suspension» désigne une mesure temporairequi met fin au paiement de l'allocation jusqu'à l'adoption d'une décision définitive sur le maintien ou le retrait de celle-ci. Une telle mesure temporaire ne produit ses effets qu'à partir de la date de son adoption. Selon ses termes, la décision du 14 juillet 1998 porte donc, dans un premier temps, suspension du versement de la double allocation pour enfant à charge à partir de cette date.

33.
    Pour ce qui est, en revanche, de la période située entre le 1er janvier 1997 et le 14 juillet 1998, il y a lieu de relever qu'il n'est pas possible de suspendre le paiement d'une prestation qui a déjà été versée. En substance, la décision vise à mettre fin à l'octroi de la double allocation à partir du 1er janvier 1997 jusqu'au 14 juillet 1998. La décision du 14 juillet 1998 s'analyse donc également comme le retrait partiel de l'octroi de la double allocation, avec effet rétroactif pour la période concernée. Une telle mesure rétroactive n'est pas de nature conservatoire, mais revêt un caractère définitif. Cela est confirmé par la deuxième décision attaquée, datée du 23 juillet 1998, dans laquelle la Commission, après avoir indiqué que la requérante s'était vu notifier la «suppression» de la double allocation, tire les conséquences de ce retrait rétroactif partiel en procédant à la récupération des montants versés à la requérante, au titre de la double allocation pour enfant à charge, pendant la période située entre le 1er janvier 1997 et le 14 juillet 1998.

34.
    Certes, dans ses explications fournies en réponse à une question du Tribunal, la Commission ne fait pas de distinction entre les deux périodes concernées par la décision du 14 juillet 1998. Selon la défenderesse, l'utilisation du terme «suspension» résulte d'une erreur de plume et la décision précitée vise à supprimer définitivement le bénéfice de l'allocation à partir du 1er janvier 1997. Cependant, cette explication est contredite par le libellé de la décision elle-même et par la lettre du 28 septembre 1998, portant rejet de la réclamation, qui contient, notamment, les paragraphes suivants:

«[...] dans l'attente, et [en] l'absence des pièces justificatives demandées, nous avons suspendu à titre conservatoire l'octroi du bénéfice de l'article 67, paragraphe 3, du statut (double allocation enfant à charge) à partir du 1er janvier 1997. L'octroi de l'allocation au titre de l'article 2, paragraphe 5, de l'annexe VII du statut (simple allocation enfant à charge) a été maintenu.

[...]

Le bénéfice de l'article 67, paragraphe 3, [du statut] pourra être rétabli avec effet rétroactif pour autant que [E] présente les pièces justificatives réclamées.»

35.
    En outre, les mémoires de la Commission antérieurs à la question du Tribunal contiennent le terme «suspension». Eu égard à ces éléments, l'explication fournie par la Commission dans sa réponse à la question du Tribunal ne saurait être décisive pour apprécier le contenu de la décision concernée.

36.
    Il y a donc lieu de considérer que la décision du 14 juillet 1998 porte, d'une part, suspension du versement de l'allocation litigieuse à partir de cette date, et, d'autre part, retrait rétroactif du bénéfice de la double allocation pour la période située entre le 1er janvier 1997 et le 14 juillet 1998. La décision du 23 juillet 1998 porte, quant à elle, récupération des sommes prétendument perçues indûment au titre de l'allocation litigieuse entre le 1er janvier 1997 et le 14 juillet 1998.

Sur la suspension du versement de l'allocation litigieuse à partir du 14 juillet 1998

37.
    La requérante invoque, en substance, trois moyens d'annulation. Les deux premiers sont présentés ensemble et sont tirés d'une violation de l'article 67, paragraphe 3, du statut et de l'obligation de motivation. Le troisième moyen, avancé dans la réplique, est tiré du non-respect des règles de procédure applicables et plus particulièrement du droit d'être entendu.

Sur les premier et deuxième moyens

- Arguments des parties

38.
    La requérante fait valoir que l'octroi de la double allocation, au titre de l'article 67, paragraphe 3, du statut, doit être spécialement motivé. Elle en déduit qu'une décision de modification concernant cette allocation doit présenter la même forme et être, elle aussi, spécialement motivée. La requérante fait observer que la décision du 14 juillet 1998 est fondée sur l'insuffisance de la force probante des documents qu'elle a fournis. Elle reproche à la Commission de ne pas avoir indiqué en quoi lesdits documents étaient insuffisants ni précisé la force probante pouvant être reconnue à ces derniers.

39.
    Selon la requérante, la Commission s'était livrée à une enquête approfondie avant de lui accorder l'allocation au titre de l'article 67, paragraphe 3, du statut et elle a été régulièrement tenue informée de l'évolution de l'état de santé de son fils A. et de la situation familiale en général. La requérante n'aurait jamais refusé de donner les informations qui lui étaient demandées par l'AIPN.

40.
    La requérante souligne que le mariage de son fils ne change rien aux lourdes charges qu'il lui impose en raison de sa maladie. Elle fait valoir que A. était déjà marié au moment où l'allocation prévue à l'article 67, paragraphe 3, du statut lui a été octroyée en 1993, et que l'AIPN connaissait probablement cette situation.

41.
    La requérante reproche enfin à la Commission de fonder sa décision de suppression du bénéfice de la double allocation sur le motif qu'elle n'a pas prouvé que son fils A. ne bénéficiait pas d'une couverture sociale par l'intermédiaire de son épouse. Elle est d'avis que ce renseignement n'est pas suffisamment important pour que son absence puisse entraîner la suspension ou la suppression de la double allocation.

42.
    La Commission est d'avis que la motivation doit être appréciée, en l'espèce, au regard de l'article 25, paragraphe 1, du statut et non pas de l'article 67, paragraphe 3, du statut. Elle fait valoir qu'il ressort de la décision du 14 juillet 1998 que les services compétents ont suspendu le versement de l'allocation litigieuse parce que la requérante n'avait pas fourni toutes les indications qui lui avaient été demandées par courrier du 19 mai 1998, mettant ainsi lesdits services dans l'impossibilité de vérifier si et dans quelle mesure le fils de la requérante génère pour celle-ci de «lourdes charges», justifiant le maintien de l'allocation litigieuse.

43.
    Selon la Commission, la requérante n'avait pas droit à la double allocation pour enfant à charge. Elle ajoute que la charge de la preuve en ce qui concerne la réunion des conditions d'octroi de cette allocation incombe à la requérante.

44.
    La Commission estime que la requérante n'a pas démontré que les conditions d'octroi de la double allocation sont remplies. D'une part, elle n'aurait pas justifié que son fils réside sous son toit. D'autre part, elle n'aurait pas prouvé que son fils lui impose de lourdes charges malgré les revenus de sa belle-fille. La requérante n'aurait jamais fourni aux services de la Commission le moindre chiffre, ni même la moindre indication concernant d'éventuelles dépenses non remboursables que l'entretien de son fils aurait entraînées pour elle.

- Appréciation du Tribunal

45.
    Il convient de relever que l'article 67, paragraphe 3, du statut contient une exigence spécifique de motivation uniquement pour la décision d'octroi d'une double allocation pour enfant à charge. En revanche, il ne contient pas de prescription particulière pour des décisions portant suspension du versement d'une telle allocation. Par conséquent, la motivation doit être appréciée, en l'espèce, au regard de l'article 25, deuxième alinéa, du statut.

46.
    La motivation d'une décision faisant grief, prescrite par l'article 25, deuxième alinéa, du statut, a pour but, d'une part, de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de la décision lui faisant grief et l'opportunité d'introduire un recours devant le Tribunal et, d'autre part, de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 11 février 1999, Leite Mateus/Commission, T-21/98, RecFP p. I-A-25 et II-107, point 18).

47.
    Il a déjà été relevé que les termes utilisés par la Commission dans la décision du 14 juillet 1998 sont partiellement inexacts. Malgré la confusion qui en résulte quant à l'objet de cette décision, les considérations ayant motivé la suspension de l'allocation litigieuse découlent, d'une part, de la décision attaquée du 14 juillet 1998 et de la correspondance antérieure à celle-ci et, d'autre part, du rejet de la réclamation.

48.
    Il ressort en effet de ces documents que l'information selon laquelle A. était marié depuis 1991 a amené les services de la Commission à demander, en vue de vérifier l'existence des conditions d'octroi de la double allocation, certaines pièces justificatives à la requérante. Celle-ci n'ayant produit qu'une partie des documents demandés, la Commission a considéré ceux-ci comme insuffisants pour pouvoir examiner s'il y avait lieu de maintenir la double allocation depuis le mariage de A. C'est pour cette raison qu'elle a procédé à la suspension du versement de la double allocation.

49.
    Ces indications sont suffisantes, en l'espèce, pour permettre à la requérante de comprendre et de critiquer les motifs de la décision de suspension et pour permettre au Tribunal d'exercer son contrôle sur la légalité de celle-ci.

50.
    Il y a donc lieu de vérifier si cette motivation justifie légalement la suspension du versement de l'allocation litigieuse au regard de l'article 67, paragraphe 3, du statut.

51.
    À cet égard, il y a lieu de considérer que le mariage de A. est un élément pertinent pour apprécier les charges pesant sur la requérante du fait de la maladie de son fils, eu égard aux conséquences possibles de cette union concernant, notamment, l'assistance que le conjoint de A. est susceptible de lui fournir. L'affirmation de la Commission selon laquelle elle n'a eu connaissance de cette situation qu'en février 1998 n'a pas été contestée de manière circonstanciée par la requérante. En effet, celle-ci ne soutient pas avoir informé l'AIPN du mariage de A. avant cette date, mais se borne à faire valoir qu'il «semble peu probable pour ne pas dire improbable que cette situation [ait été] inconnue de l'AIPN».

52.
    Ayant pris connaissance de cet élément nouveau, il était légitime pour la Commission de réexaminer l'existence des conditions d'octroi de l'allocation prévue à l'article 67, paragraphe 3, du statut. Dans la mesure où la preuve de la réunion des conditions d'octroi de l'allocation litigieuse incombe à la requérante, et où cette dernière n'a pas produit toutes les pièces justificatives demandées à cet effet, la Commission était en droit de suspendre le versement de l'allocation jusqu'à la conclusion de son réexamen.

53.
    Partant, les deux premiers moyens soulevés par la requérante à l'encontre de la décision de suspension ne sont pas fondés.

Sur le troisième moyen

- Arguments des parties

54.
    Dans la réplique, la requérante fait valoir que l'AIPN n'a pas respecté la procédure prévue par la conclusion 177/87 du collège des chefs d'administration quant au contrôle de l'existence des conditions dont dépend le doublement de l'allocation pour enfant à charge. Elle estime que le médecin-conseil de la Commission auraitdû l'entendre avant d'émettre son avis, au cas où il estimait que le handicap de son fils n'entraînait pas manifestement de lourdes charges pour elle. Cette procédure n'aurait pas été suivie, de sorte que la requérante n'aurait pas eu la possibilité, prévue par la conclusion précitée, de rapporter la preuve contraire. Elle soutient, en outre, que le délai imparti par la Commission pour la production des documents concernant l'affiliation de A. au régime d'assurance maladie de son épouse était trop court.

55.
    La Commission est d'avis que la conclusion 177/87 du collège des chefs d'administration a été respectée.

- Appréciation du Tribunal

56.
    S'agissant de la décision de suspendre le versement de l'allocation litigieuse, le présent moyen doit être écarté comme inopérant sans qu'il soit nécessaire de vérifier si le Tribunal peut l'examiner malgré le fait qu'il n'ait été soulevé que dans la réplique. En effet, la suspension du versement de l'allocation litigieuse ne nécessite pas que la Commission ait constaté, au préalable, que les conditions d'octroi de ladite allocation n'étaient pas réunies. Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si la conclusion 177/87 du collège des chefs d'administration contient effectivement des règles de procédure pour le réexamen des conditions d'octroi de l'allocation litigieuse, ni si ces règles éventuelles ont été respectées.

57.
    Il convient d'ajouter que l'administration a demandé des pièces à la requérante avant de prendre sa décision de suspension, lui donnant ainsi la possibilité de faire valoir son point de vue. En outre, la requérante a toujours la possibilité d'obtenir le rétablissement, avec effet rétroactif, de l'allocation litigieuse en produisant des éléments de preuve susceptibles d'établir que les conditions d'octroi de celle-ci sont réunies.

58.
    Par conséquent, le recours en annulation n'est pas fondé pour autant qu'il est dirigé contre la suspension du versement de l'allocation litigieuse.

Sur le retrait rétroactif de l'octroi de l'allocation litigieuse pour la période du 1er janvier au 14 juillet 1998 et sur la récupération du montant en cause

59.
    Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque, en substance, les mêmes moyens et arguments que ceux développés à l'égard de la suspension provisoire. Il y a lieu de privilégier l'examen du moyen tiré d'une violation de l'article 67, paragraphe 3, du statut.

60.
    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le retrait rétroactif d'un acte administratif favorable est généralement soumis à des conditions très strictes. Parmi ces conditions figure, notamment, celle que l'institution ayant adopté l'acte constate que celui-ci est entaché d'une illégalité (voir arrêt de la Cour du 17 avril 1997, de Compte/Parlement, C-90/95, Rec. p. I-1999, point 35).

61.
    S'agissant d'une décision de l'AIPN portant octroi d'une double allocation pour enfant à charge au titre de l'article 67, paragraphe 3, du statut, le retrait rétroactif ne peut donc pas être justifié au seul motif que l'AIPN a eu connaissance de circonstances de nature à susciter des doutes sur le point de savoir si les conditions d'octroi de l'allocation sont remplies, mais présuppose que l'AIPN a constaté définitivement que, pendant la période visée par le retrait, l'octroi de l'allocation était illégal.

62.
    En l'espèce, une constatation définitive de la Commission sur l'illégalité de l'octroi de l'allocation pendant la période visée par le retrait fait cependant défaut. En effet, il ressort de la décision du 14 juillet 1998 que la Commission a procédé à la suppression rétroactive de l'allocation litigieuse alors qu'elle estimait ne pas être en mesure, sur la base des informations dont elle disposait, d'achever son examen concernant la réunion des conditions d'octroi de ladite allocation.

63.
    En décidant de retirer définitivement et avec effet rétroactif l'octroi de la double allocation, sans avoir préalablement procédé à un examen lui permettant de constater que les conditions d'octroi de l'allocation prévue à l'article 67, paragraphe 3, du statut n'étaient plus réunies, la Commission a donc enfreint cette disposition. Par conséquent, la décision du 14 juillet 1998 doit être annulée pour autant qu'elle porte retrait de l'octroi de l'allocation litigieuse du 1er janvier 1997 au 14 juillet 1998, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par la requérante.

64.
    La décision du 23 juillet 1998, portant récupération des montants versés au titre de la double allocation pour la période visée par la décision de retrait, n'est que la conséquence de celle-ci et doit également être annulée.

Sur la demande de remboursement

Sur la recevabilité

65.
    La Commission conteste la recevabilité de cette demande au motif que le juge communautaire n'est pas compétent pour adresser des injonctions aux institutions communautaires, et au motif qu'un tel remboursement interviendrait, le cas échéant, en application de l'article 176, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 233, paragraphe 1, CE), qui oblige l'institution à prendre les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt portant annulation de la décision litigieuse.

66.
    Conformément à l'article 91, paragraphe 1, deuxième phrase, du statut, le Tribunal dispose d'une compétence de pleine juridiction dans les litiges de caractère pécuniaire. Dès lors, il est compétent pour condamner l'institution défenderesse, le cas échéant, au paiement d'un montant déterminé (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 1998, Aquilino/Conseil, T-130/96, RecFP p. I-A-351 et II-1017, points 39 et 40).

67.
    Par conséquent, la demande visant au remboursement des montants retenus sur la pension de la requérante à concurrence de 181 446 LUF, est recevable.

Sur le fond

Arguments des parties

68.
    La requérante fait valoir que les conditions d'une répétition de l'indu posées par l'article 85 du statut ne sont pas remplies.

69.
    La Commission est d'avis que le versement de la double allocation était irrégulier et que cette irrégularité était évidente. Elle rappelle que tel est le cas lorsqu'il s'agit d'une irrégularité qui ne peut échapper à un fonctionnaire normalement diligent, lequel est censé connaître les règles régissant son traitement.

Appréciation du Tribunal

70.
    Il suffit de constater que la récupération des montants que la requérante a perçus au titre de l'allocation litigieuse entre le 1er janvier 1997 et le 14 juillet 1998 présuppose une décision valable portant retrait de l'octroi de ladite allocation. Or, les deux décisions attaquées étant entachées d'irrégularité en raison de la violation de l'article 67, paragraphe 3, du statut et devant, dès lors, être annulées, la base juridique permettant de procéder à une retenue desdits montants sur la pension de la requérante fait défaut. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir le chef des conclusions visant au remboursement des sommes récupérées sur la pension de la requérante jusqu'à concurrence d'un montant de 181 446 LUF.

Sur les dépens

71.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. En l'espèce, la Commission a succombé en l'essentiel de ses conclusions. En outre, l'imprécision de ses décisions à donné lieu à la naissance du présent litige. Par conséquent, il y a lieu de condamner la Commission à l'ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission du 14 juillet 1998 est annulée pour autant qu'elle porte retrait de l'octroi de la double allocation pour enfant à charge prévue à l'article 67, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes pour la période du 1er janvier 1997 au 14 juillet 1998.

2)    La décision de la Commission du 23 juillet 1998, portant récupération d'un montant de 181 446 LUF, est annulée.

3)    La Commission est condamnée à rembourser à la requérante les sommes récupérées sur la pension de celle-ci, à hauteur d'un montant de 181 446 LUF.

4)    Le recours est rejeté pour le surplus.

5)    La Commission supportera les dépens.

Pirrung Potocki Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 novembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langue de procédure: le français.