Language of document : ECLI:EU:T:2000:265

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

15 novembre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Promotion - Avis de vacance - Examen comparatif des mérites - Égalité des chances»

Dans l'affaire T-261/99,

Jean Dehon, fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Hagen (Luxembourg), représenté par Mes J.-N. Louis, G.-F. Parmentier et V. Peere, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire SARL, 13, avenue du Bois,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. H. von Hertzen, chef de division au service juridique, et J. Sant'Anna, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation, d'une part, de la décision du Parlement européen portant rejet de la candidature du requérant à l'emploi de chef de division adjoint à la division de la traduction française visé par l'avis de vacance n° 8503 et, d'autre part, de la décision de nommer Mme W. à cet emploi,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 5 avril et 16 juin 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du recours

1.
    Le 30 septembre 1998, le Parlement européen a publié l'avis de vacance n° 8503 en vue de pourvoir le poste de chef de division adjoint de grade LA 3 à la division de la traduction française de la direction B «Traduction» de la direction générale de la traduction et des services généraux (DG VII). Au titre des qualifications et connaissances requises, cet avis de vacance se lit comme suit:

«-    formation de niveau universitaire sanctionnée par un diplôme ou expérience professionnelle garantissant un niveau équivalent;

-    expérience professionnelle dans le domaine de la traduction et de la révision;

-    aptitude à la gestion du personnel et à l'organisation d'une unité administrative;

-    connaissances linguistiques: parfaite maîtrise de la langue française; connaissance approfondie de deux autres langues officielles de l'Union européenne; bonne connaissance d'une quatrième de ces langues; la connaissance d'autres langues sera prise en considération.

[...]»

2.
    Le requérant, fonctionnaire de grade LA 4, échelon 7, appelé, depuis le 1er janvier 1992, à exercer des fonctions de réviseur à la DG VII, a posé sa candidature à cet emploi, de même que sept autres fonctionnaires de la DG VII, parmi lesquels Mme W., traductrice principale de grade LA 4, échelon 4.

3.
    Les candidats ont été entendus par le directeur de la direction B de la DG VII ainsi que par le directeur général de cette dernière. L'objet de ces entretiens était d'évaluer les compétences, les connaissances et les qualifications des candidats au regard des conditions requises par l'avis de vacance.

4.
    Dans une note du 1er décembre 1998 adressée, à la suite de ces entretiens, au directeur général de la direction générale du personnel, du budget et des finances (DG V) du Parlement, le directeur général de la DG VII a procédé à l'évaluation de chacun des candidats et a recommandé la nomination du requérant.

5.
    Par note du 8 janvier 1999, le secrétaire général du Parlement a communiqué l'ensemble du dossier au président du Parlement qui était, en l'occurrence, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN»). Dans sa note, le secrétaire général a fait un récapitulatif de la procédure suivie et a notamment exposé:

«Après avoir procédé à l'examen comparatif des mérites des candidats et des rapports dont ils ont fait l'objet, ainsi que sur [la] base des résultats des entretiens, la [DG VII] recommande la promotion à ce poste de M. Jean Dehon, actuellement réviseur à la division de la traduction française. Elle relève que M. Dehon est un des réviseurs les plus respectés tant pour la qualité de son travail que pour sa productivité et qu'il a démontré un grand engagement dans le service. Il remplace avec efficacité le chef de division et, lors de l'entretien, [il] a présenté un programme d'actions pour l'évolution des méthodes de travail.

Une deuxième candidature extrêmement valable a également été relevée par la DG VII. Il s'agit de celle de [Mme W.], réviseur expérimenté, qui a fait preuve de dynamisme, d'un très bon sens de l'organisation et de l'initiative, notamment dans le domaine de l'informatique et de la formation. Elle a un excellent sens des relations humaines et démontre une approche enthousiaste et constructive.

Étant donné que ces deux candidats ont un mérite comparable, il me paraît opportun de saisir cette occasion pour contribuer à promouvoir l'égalité des chances, notamment au niveau de l'encadrement. C'est la raison pour laquelle je vous propose de procéder à la nomination de [Mme W.].»

6.
    Par note de son chef de cabinet au secrétaire général du Parlement du 11 janvier 1999, le président du Parlement a indiqué que, au vu des éléments contenus dans la note du 8 janvier 1999, précitée, il était prêt à prendre la décision de promotion de Mme W. Cette décision a été signée le 27 janvier 1999.

7.
    Par lettre du 16 février 1999, le chef de la division du personnel de la direction A «Personnel/affaires sociales» de la DG V a informé les autres candidats, et notamment le requérant, que l'AIPN avait décidé de nommer Mme W. au poste en cause.

8.
    Le 7 mai 1999, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), par laquelle il sollicitait, d'une part, le retrait des décisions de l'AIPN portant rejet de sa candidature et nomination de Mme W. à l'emploi en cause et, d'autre part, sa nomination audit emploi.

9.
    Cette réclamation a été rejetée par décision du bureau du Parlement, communiquée au requérant par lettre de la présidente du Parlement du 28 juillet 1999. En réponse à l'argument du requérant selon lequel la candidate nommée ne répondait pas à toutes les conditions requises par l'avis de vacance, notamment en ce qu'elle ne possédait aucune expérience de la révision, il est exposé dans cette décision:

«Dans votre réclamation, vous affirmez que Mme W. n'a pas d'expérience de la révision. Cette affirmation doit être démentie car depuis plusieurs années, il n'est fait aucune distinction, dans les services de la traduction, entre les traducteurs et les réviseurs. Les avis de vacance pour les emplois du cadre LA à la DG VII sont affichés comme traducteur adjoint/traducteur/traducteur principal-réviseur et chacun effectue des travaux de traduction et de révision en fonction de son domaine de compétence. Même si, dans les divisions les plus anciennes comme la division de la traduction française, les réviseurs font davantage de travaux de révision que les traducteurs, il n'en demeure pas moins que les traducteurs effectuent également des travaux de révision qui constituent une part secondaire mais non négligeable de leurs attributions. Dans ces conditions, il n'est pas possible d'affirmer que Mme W. n'a pas d'expérience de la révision, ce qui est d'ailleurs confirmé par le directeur général de la [DG VII].

Dès lors, la décision relative au pourvoi du poste de chef de division adjoint à la division de la traduction française ne s'écarte pas du cadre de légalité que constitue l'avis de vacance et respecte l'article 29 du statut.

[...]»

Procédure

10.
    Le requérant a introduit le présent recours par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 octobre 1999. Le Parlement a déposé son mémoire en défense le 3 décembre 1999. Par lettre du 20 janvier 2000, le requérant a renoncé à déposer une réplique et la procédure écrite a, dès lors, été clôturée.

11.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

12.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 5 avril 2000. Lors de cette audience, les agents du Parlement ont déposé, entre autres documents, la copie d'une lettre que leur a adressée M. Delmée, chef de la division de la traduction française de la direction B de la DG VII, en date du 14 février 2000.

13.
    Par ordonnance du 7 avril 2000, le Tribunal a ordonné au Parlement de lui transmettre tous documents de nature à établir que, à la date où elle a posé sa candidature au poste litigieux, Mme W. avait une expérience professionnelle dans le domaine de la révision.

14.
    Déférant à cette ordonnance, le Parlement a déposé un ensemble de documents au greffe du Tribunal, le 3 mai 2000.

15.
    Par ordonnance du 5 juin 2000, le Tribunal a décidé de procéder à une audition de MM. Wilson, directeur général de la DG VII, et Delmée, en tant que témoins, sur:

-    la question de savoir si, à la date où elle a posé sa candidature au poste litigieux, Mme W. avait une expérience professionnelle dans le domaine de la révision;

-    plus généralement, les pratiques qui ont cours, en matière de traduction et de révision, au sein de leur direction générale.

16.
    Les témoins ont été entendus par le Tribunal lors de l'audience du 16 juin 2000.

Conclusions des parties

17.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision du Parlement portant rejet de sa candidature à l'emploi litigieux;

-    annuler la décision du Parlement portant nomination de Mme W. à cet emploi;

-    condamner la partie défenderesse aux dépens.

18.
    Le Parlement conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

Sur le fond

19.
    Le requérant invoque, en substance, trois moyens tirés, premièrement, de la violation des articles 7, 29 et 45 du statut ainsi que des principes de vocation à la carrière et d'égalité de traitement, deuxièmement, d'une erreur manifeste d'appréciation et, troisièmement, d'un défaut de motivation. Il convient d'examiner le premier moyen.

Arguments des parties

20.
    Le requérant fait grief à l'AIPN d'avoir, dans les décisions attaquées, violé les articles 7, 29 et 45 du statut ainsi que les principes de vocation à la carrière et d'égalité de traitement en ne procédant pas à un examen comparatif effectif des mérites des candidats à l'emploi en cause et en sortant du cadre de légalité qu'elle s'était imposé en arrêtant l'avis de vacance.

21.
    En premier lieu, le requérant soutient que l'AIPN a nommé à l'emploi en cause une candidate qui ne répondait pas aux qualifications requises par l'avis de vacance.

22.
    D'une part, en effet, Mme W. ne posséderait aucune expérience professionnelle véritable dans le domaine de la révision, même si, à titre tout à fait secondaire et occasionnel, elle a pu effectuer, en tant que traducteur, des travaux de révision.

23.
    D'autre part, si l'AIPN a pu relever une certaine aptitude de Mme W. à la gestion, l'aptitude de celle-ci à exercer des fonctions d'encadrement n'aurait pas été démontrée.

24.
    Le requérant, par contre, posséderait toutes les qualifications requises pour occuper l'emploi vacant et, plus particulièrement, une expérience professionnelle tant dans le domaine de la traduction que dans celui de la révision, ainsi qu'une aptitude démontrée et une expérience professionnelle en gestion du personnel et en organisation d'une unité administrative.

25.
    En second lieu, le requérant allègue que l'AIPN a retenu comme déterminant un critère qui n'était pas visé dans l'avis de vacance, à savoir, les connaissances de Mme W. en informatique.

26.
    Le Parlement conteste, en premier lieu, que l'AIPN ait nommé à l'emploi en cause une candidate qui ne répondait pas aux qualifications requises par l'avis de vacance.

27.
    S'agissant, tout d'abord, de l'expérience de Mme W. en matière de révision, le Parlement fait valoir que, depuis 1992, les avis de vacance d'emploi de la DG VII, pour les grades LA 8 à LA 4, sont identiquement libellés «traducteur adjoint/traducteur/traducteur principal-réviseur» et indiquent, sous la rubrique «nature des fonctions»: «travaux de traduction et, le cas échéant, de révision de documents [...]».

28.
    En effet, depuis 1992, la distinction entre traducteurs principaux et réviseurs aurait été supprimée et chaque traducteur, quel que soit son grade, serait appelé à traduire et à réviser en fonction de ses domaines de compétence. Ce changement aurait été dicté par l'augmentation de la charge de travail, qui rendait difficile et peu efficace une séparation rigide entre les fonctions de traduction et de révision.

29.
    À l'appui de ses allégations, le Parlement produit, d'une part, l'avis émis en 1991 par l'actuel directeur général de la DG VII, M. Wilson, sur la restructuration des méthodes de travail des services de traduction et sur les fonctions des traducteurs et, d'autre part, la prise de position de M. Wilson sur la réclamation du requérant en l'espèce.

30.
    En ce qui concerne plus particulièrement Mme W., le Parlement se réfère aux rapports de notation de celle-ci pour les exercices 1995-1996 et 1997-1998. Le premier décrirait ses fonctions comme consistant en la «traduction [de textes] en français, sans révision». Le second indiquerait qu'elle «traduit [des textes] en français, sans révision» et qu'elle «révise des textes» à partir de certaines langues.

31.
    S'agissant, ensuite, de l'aptitude de Mme W. à la gestion du personnel et à l'organisation d'une unité administrative, le Parlement souligne que l'avis de vacance exigeait des candidats une aptitude, et non une expérience professionnelle en la matière. En l'occurrence, il ressortirait du dossier, et il aurait été confirmé par les supérieurs hiérarchiques de Mme W., que celle-ci possédait effectivement une telle aptitude.

32.
    En second lieu, le Parlement considère que l'argument tiré de la prétendue prise en compte, en l'espèce, des connaissances en informatique de Mme W. procède d'une mauvaise compréhension de la réponse de l'AIPN à la réclamation du requérant. Renvoyant au texte de cette réponse, le Parlement souligne que l'AIPN n'y a nullement prétendu avoir choisi Mme W. en raison de ses connaissances en informatique.

Appréciation du Tribunal

33.
    À titre liminaire, il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence constante (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 30 octobre 1974, Grassi/Conseil, 188/73, Rec. p. 1099, point 38, et du 18 mars 1993, Parlement/Frederiksen, C-35/92 P, Rec. p. I-991, point 13; arrêt du Tribunal du 19 mars 1997, Giannini/Commission, T-21/96, RecFP p. I-A-69 et II-211, point 19) que, si l'AIPN dispose d'un large pouvoir d'appréciation lors de la comparaison des mérites et des notations des candidats et peut l'exercer, notamment, en vue du poste à pourvoir, elle est tenue de le faire dans le cadre qu'elle s'est imposé par l'avis de vacance d'emploi.

34.
    En effet, l'avis de vacance a pour but d'informer les intéressés, d'une façon aussi exacte que possible, des conditions requises pour occuper le poste dont il s'agit, afin de les mettre en mesure d'apprécier s'il y a lieu, pour eux, de faire acte de candidature (arrêts Grassi/Conseil, précité, point 40, et Parlement/Frederiksen, précité, point 14).

35.
    Ainsi, l'exercice du pouvoir d'appréciation dont dispose l'AIPN en matière de nomination ou de promotion suppose un examen scrupuleux du dossier de candidature et une observation consciencieuse des exigences énoncées dans l'avis de vacance, de sorte que celle-ci est tenue d'écarter tout candidat qui ne répond pas à ces exigences (arrêt Parlement/Frederiksen, précité, point 15).

36.
    En vue de contrôler si l'AIPN n'a pas dépassé les limites de ce cadre légal, il appartient au Tribunal de constater d'abord quelles sont, en l'occurrence, les conditions requises au titre de l'avis de vacance et de vérifier ensuite si la candidate choisie par l'AIPN pour occuper le poste vacant satisfait effectivement à ces conditions (voir arrêt Parlement/Frederiksen, précité, point 17).

37.
    En l'espèce, il y a lieu de constater, au vu du libellé de l'avis de vacance (voir point 1 ci-dessus), que le cadre de légalité au regard duquel devaient être appréciées les qualifications et connaissances requises des candidats consistait, notamment, dans l'exigence d'une expérience professionnelle dans le domaine de la traduction et dans celui de la révision.

38.
    Il convient donc de vérifier si Mme W. satisfaisait effectivement à cette double condition.

39.
    À cet égard, l'argument d'ordre général du Parlement selon lequel il ne serait plus fait aucune distinction, dans les services de la traduction, entre les traducteurs et les réviseurs, de sorte que tout traducteur est nécessairement amené à effectuer des travaux de révision, ne peut être retenu.

40.
    En effet, dans son témoignage, M. Delmée a exposé que, dans la division de la traduction française qu'il dirige, la révision, définie par lui comme une «correction en profondeur des textes traduits par les traducteurs sur les plans orthographique, grammatical et stylistique», est exclusivement confiée soit à des réviseurs en titre soit, sur décision du collège des réviseurs, à des traducteurs autonomes ayant une expérience prolongée de la traduction. Il a également indiqué que, si le nombre de textes donnés à la révision a diminué compte tenu de l'augmentation de la charge de travail, les textes traduits par les fonctionnaires stagiaires ou nouvellement nommés, ainsi que par les agents auxiliaires et temporaires, continuent à être systématiquement révisés par des personnes autorisées à le faire. Il a estimé à environ 20 % le pourcentage des traductions ainsi révisées.

41.
    Ni la circonstance que les avis de vacance d'emploi de la DG VII, pour les grades LA 8 à LA 4, sont identiquement libellés «traducteur adjoint/traducteur/traducteur principal-réviseur», ni l'avis émis par M. Wilson en 1991 sur la restructuration des méthodes de travail des services de traduction et sur les fonctions des traducteurs, ni sa prise de position sur la réclamation du requérant en l'espèce ne sont de nature à contredire ces éléments de faits. Dans son témoignage, M. Wilson a d'ailleurs reconnu que la révision demeure une pratique usuelle et utile à l'égard des traductions faites parles fonctionnaires stagiaires ou nouvellement nommés, ainsi que par les agents auxiliaires et temporaires.

42.
    En ce qui concerne plus particulièrement Mme W., il y a lieu de relever tout d'abord que, dans la lettre qu'il a adressée le 14 février 2000 aux agents du Parlement (voir point 12 ci-dessus), M. Delmée a laissé entendre que Mme W. n'avait commencé à effectuer des travaux de révision qu'à compter du 13 novembre 1998. M. Delmée a ainsi relevé, d'une part, que, dans le rapport de notation de Mme W. pour l'exercice 1997-1998, à l'établissement duquel il a participé en qualité de premier notateur, la tâche de révision est mentionnée comme une tâche nouvelle et, d'autre part, que le nom de Mme W. n'apparaît qu'à compter du 13 novembre 1998 sur la «liste des personnes auxquelles pourra être désormais confiée la révision de textes» annexée à sa «note à l'attention des réviseurs» du même jour.

43.
    Lors de son audition en qualité de témoin, M. Delmée a confirmé les déclarations contenues dans cette lettre. En réponse à une question du Tribunal, il a affirmé que, pendant la période comprise entre le 1er juin 1997, date à laquelle il a commencé à exercer des responsabilités en matière de distribution du travail aux traducteurs et aux réviseurs, en sa qualité de chef de division faisant fonction, et le 13 novembre 1998, il n'avait personnellement confié aucun travail de révision à Mme W. M. Delmée a, par ailleurs, confirmé que sa note du 13 novembre 1998, précitée, rédigée à la suite d'une réunion du collège des réviseurs du 27 octobre 1998, avait pour objet d'ajouter, avec effet immédiat, certains traducteurs autonomes sur la liste des personnes autorisées à réviser des textes. Le Tribunal ayant fait observer au témoin que cette liste comprenait le nom de deux traducteurs, MM. Catuhe et Mary, dont les rapports de notation pour l'exercice 1995-1996 révèlent qu'ils effectuaient déjà des travaux de révision, M. Delmée a répondu que, s'agissant de ces deux personnes ainsi que de M. Boutefeu, la modification de la liste en question ne faisait que régulariser une situation de fait. Il n'a toutefois pas reconnu qu'il en allait de même en ce qui concerne Mme W.

44.
    Il convient de relever, ensuite, qu'aucun des rapports de notation de Mme W. antérieurs à celui de l'exercice 1997-1998 n'indique que celle-ci effectuait des travaux de révision, alors qu'il ressort des documents produits par le Parlement à la suite de l'ordonnance du 7 avril 2000 que les rapports de notation des traducteurs ou traducteurs principaux auxquels sont confiés de tels travaux le mentionnent généralement, en précisant, le cas échéant, qu'il s'agit pour eux d'une nouvelle tâche. Dans le rapport de notation de Mme W. pour l'exercice 1997-1998, signé par le premier notateur le 3 mai 1999, la mention «N» (pour «nouvelle tâche») a par ailleurs été apposée, au regard de la tâche de révision, dans le descriptif des fonctions attribuées et des travaux effectués. Non seulement l'intéressée n'a pas exprimé d'observations sur cette mention, mais, d'après le témoignage de M. Delmée, c'est à sa demande que ladite mention aurait été apposée sur le rapport en question.

45.
    Par ailleurs, en exécution de l'ordonnance du 7 avril 2000, le Parlement n'a été en mesure de produire qu'un seul texte effectivement révisé en partie par Mme W. Il s'agitd'un document de 37 pages, intitulé «L'accès de tiers au réseau - L'expérience américaine», qui a été traduit et révisé en juillet-août 1992. La feuille de route attachée à ce document indique que Mme W. en a traduit les pages 15 à 35 et révisé les pages 1 à 14, qui avaient été traduites par une autre personne. M. Wilson a confirmé, dans son témoignage, qu'aucun autre document effectivement révisé par Mme W. n'avait été porté à sa connaissance, et qu'il s'agissait du seul exemple que celle-ci avait clairement conservé en mémoire.

46.
    Du fait même de son unicité et de son ancienneté, alors que, d'après les témoignages de MM. Wilson et Delmée, les documents à traduire et leurs feuilles de route sont archivés pendant une période de trois à cinq ans, voire davantage dans les divisions plus «traditionalistes» comme la division de la traduction française, ce document ne permet pas d'établir que Mme W. possède une expérience professionnelle dans le domaine de la révision.

47.
    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les statistiques transmises par le Parlement à la suite de l'ordonnance du 7 avril 2000, desquelles il ressort que, pour la période courant de 1994 à 2000, sur un total de 799 textes législatifs classés dans les archives de la division de la traduction française, seuls 19 (soit 2,37 %) auraient été révisés, 593 auraient été traduits par des traducteurs sans être révisés, et 187 auraient été directement traduits par des réviseurs.

48.
    D'une part, en effet, ces statistiques sont, dans une certaine mesure, contredites par les témoignages de MM. Wilson et Delmée (voir points 40 et 41 ci-dessus) et, en tout état de cause, elles ne sont pas significatives pour la solution du présent litige. Il ressort en effet du témoignage de M. Wilson que 400 000 à 500 000 pages, représentant environ 50 000 documents, sont traduites chaque année, et que les 799 textes en question ne représentent que 50 à 60 % de l'ensemble des textes législatifs traduits au cours de la période concernée. En outre, s'agissant de documents d'une importance certaine, puisqu'ils ressortissent directement à l'activité politique du Parlement, ils sont les moins susceptibles d'avoir été confiés à des traducteurs peu expérimentés et, dès lors, d'avoir été soumis à révision.

49.
    D'autre part, il ressort du témoignage de M. Wilson que ces statistiques ont été élaborées par Mme W. elle-même et qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune vérification. Mme W. ayant un intérêt personnel à la solution du présent litige, et sans que sa bonne foi soit ici en cause, il ne paraît pas conforme aux exigences d'objectivité et d'impartialité qui s'imposent au Tribunal dans l'appréciation des preuves de se fonder sur des données qu'elle a elle-même traitées sans aucun contrôle extérieur.

50.
    Force est de conclure, dès lors, que ni le dossier soumis au Tribunal au cours de la procédure écrite, ni les documents transmis par le Parlement en exécution de l'ordonnance du 7 avril 2000, ni les témoignages de MM. Wilson et Delmée ne révèlent l'existence d'éléments sur la base desquels l'AIPN aurait pu raisonnablement considérer que, à la date limite fixée pour le dépôt des candidatures à l'emploilitigieux, Mme W. avait une réelle expérience professionnelle dans le domaine de la révision.

51.
    Dans ces conditions, il n'est pas permis de considérer que la candidate choisie par l'AIPN pour occuper le poste vacant satisfaisait effectivement à cette exigence énoncée dans l'avis de vacance.

52.
    Pour le surplus, il n'appartient pas au Tribunal d'apprécier dans quelle mesure l'exigence d'une expérience professionnelle dans le domaine de la révision se justifie encore au regard des caractéristiques du poste à pourvoir, compte tenu de l'évolution des méthodes de travail dans les services de traduction du Parlement. Si l'AIPN considère que cette exigence n'a plus de raison d'être, rien ne lui interdit de l'omettre, à l'avenir, dans les avis de vacance de tels emplois.

53.
    Dans la mesure, toutefois, où l'avis de vacance d'emploi litigieux énonçait bien une telle exigence, le Tribunal doit constater que le premier moyen d'annulation est fondé en sa première branche, tirée d'une violation du cadre de légalité que l'AIPN s'est imposé en adoptant ledit avis de vacance.

54.
    Les décisions attaquées doivent dès lors être annulées, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens et arguments du requérant.

Sur les dépens

55.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    Les décisions du Parlement européen portant rejet de la candidature du requérant et nomination de Mme W. à l'emploi de chef de division adjoint à la division de la traduction française visé par l'avis de vacance n° 8503 sont annulées.

2)    Le Parlement européen est condamné aux dépens.

Vesterdorf

Vilaras
Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.