Language of document : ECLI:EU:T:2000:281

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

5 décembre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Devoir d'assistance - Harcèlement sexuel»

Dans l'affaire T-136/98,

Anna Maria Campogrande, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Me A. Krywin, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me A. Lutgen, 1, rue Jean-Pierre Brasseur,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes C. Berardis-Kayser et F. Clotuche-Duvieusart, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision implicite de la Commission portant rejet de la demande d'assistance de la requérante du 27 juin 1997 et, d'autre part, une demande en réparation du préjudice subi,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 25 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le paragraphe 1 de la résolution 90/C 157/02 du Conseil, du 29 mai 1990, concernant la protection de la dignité de la femme et de l'homme au travail (JO C 157, p. 3), contient la première définition communautaire de la notion de harcèlement sexuel. Il précise:

«[...] tout comportement à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe, qui affecte la dignité de la femme et de l'homme au travail, qu'il soit le fait de supérieurs hiérarchiques ou de collègues, constitue une violation intolérable de la dignité des travailleurs ou des stagiaires et est inacceptable lorsque:

a)     ce comportement est intempestif, abusif ou blessant pour la personne qui en fait l'objet;

b)     le fait qu'une personne refuse ou accepte un tel comportement de la part d'un employeur ou travailleur (y compris un supérieur hiérarchique ou collègue) justifie explicitement ou implicitement une décision affectant les droits de cette personne en matière de formation professionnelle, d'emploi,de maintien de l'emploi, de promotion, de salaire ou toute autre décision relative à l'emploi

    et/ou

c)    un tel comportement crée un climat d'intimidation, d'hostilité ou d'humiliation à l'égard de la personne qui en fait l'objet.»

2.
    Le paragraphe 3 invite la Commission à élaborer «un code de bonne conduite concernant la protection de la dignité des femmes et des hommes au travail, qui fournisse des lignes directrices fondées sur des exemples et des pratiques ayant fait leurs preuves dans les États membres en ce qui concerne la mise en oeuvre et la poursuite de mesures positives visant à créer un climat de travail dans lequel femmes et hommes se respectent mutuellement dans leur intégrité humaine».

3.
    Enfin, le paragraphe 4 invite également les institutions et organes des Communautés européennes à respecter le principe énoncé au paragraphe 1 et à mettre en oeuvre des mesures positives visant à créer un climat de travail exempt de tout comportement intempestif à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe, qui affecte la dignité de la femme et de l'homme au travail, et visant à prévenir toutes représailles à l'encontre d'un plaignant ou d'une personne qui souhaiterait fournir ou qui fournirait des preuves en cas de plainte.

4.
    Le 27 novembre 1991, en exécution du mandat qui lui avait été conféré par le Conseil, la Commission a adopté la recommandation 92/131/CEE sur la protection de la dignité des femmes et des hommes au travail (JO 1992, L 49, p. 1). Cette recommandation comporte, en annexe, un code de pratique visant à combattre le harcèlement sexuel (ci-après le «code de pratique»), que les États membres sont invités à mettre en oeuvre.

5.
    Le point 2 du code de pratique, après avoir repris la définition de la notion de harcèlement sexuel contenue dans la résolution 90/C 157/02, énonce:

«La caractéristique essentielle du harcèlement sexuel réside dans le fait qu'il est ressenti comme indésirable par celui qui en fait l'objet, qu'il appartient à chaque individu de déterminer quel comportement il peut accepter et quelle conduite il juge offensante. L'intérêt sexuel ne devient harcèlement sexuel qu'après que celui qui en fait l'objet a clairement montré qu'il le considère comme offensant, bien qu'un seul incident de harcèlement puisse constituer à lui seul un harcèlement sexuel s'il est suffisamment grave. C'est la nature indésirable du comportement qui distingue le harcèlement sexuel d'un comportement amical, bien accueilli et mutuel.»

6.
    Le point 3 du code de pratique rappelle que, selon les circonstances, le harcèlement sexuel peut être considéré soit comme une violation des principes d'égalité de traitement au sens des articles 3, 4 et 5 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), soit comme une infraction aux obligations imposées par les législations nationales en matière de santé et sécurité au travail, soit, enfin, comme un abus de pouvoir. Il s'ensuit que les employeurs, tenus de réduire au minimum les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ainsi que d'éviter toute discrimination fondée sur le sexe et tout mauvais usage de l'autorité qu'ils délèguent, sont investis de responsabilités évidentes en ce qui concerne la protection contre le harcèlement sexuel au travail.

7.
    À cet égard, le code de pratique, au point 5, recommande aussi bien l'adoption de mesures de prévention que l'établissement de procédures à suivre pour dénoncer les actes de harcèlement sexuel. Au nombre des premières figure l'adoption d'une déclaration de principe qui témoigne de l'engagement de l'employeur à combattre le harcèlement sexuel. Cette déclaration devrait notamment garantir aux travailleurs que leurs plaintes seront examinées avec le sérieux, la célérité et la discrétion absolue qui s'imposent, qu'ils seront protégés contre tout acte de représailles éventuel consécutif au dépôt d'une plainte et que ceux qui se seront rendus coupables d'actes de harcèlement sexuel feront l'objet de mesures disciplinaires adéquates.

8.
    En ce qui concerne les procédures à suivre, le code de pratique suggère deux étapes. Il est tout d'abord recommandé au travailleur de tenter, si possible, de résoudre le problème de façon informelle, par exemple, en expliquant clairement à la personne responsable d'actes de harcèlement sexuel que son comportement est gênant, offensant, ou qu'il met mal à l'aise et perturbe le travail. Si le comportement incriminé persiste ou s'il ne semble pas approprié de résoudre le problème de façon informelle, il y a lieu de suivre la procédure formelle de dépôt de plainte. Cette procédure devrait donner toute confiance au travailleur quant à la prise au sérieux de ses affirmations en matière de harcèlement sexuel et tout effort devrait être fait pour que les plaintes aboutissent rapidement. Celles-ci devraient être examinées en priorité et la procédure devrait fixer un délai pour l'examen des plaintes, compte tenu également de tout délai fixé par la législation nationale en ce qui concerne le dépôt d'une plainte par voie légale.

9.
    La Commission, en tant qu'employeur, a suivi les principes énoncés dans la résolution 90/C 157/02 et dans la recommandation 92/131. À cette fin, elle a adopté une déclaration de principe qui, sous le titre «politique et procédure concernant la protection de la dignité de la personne», reprend pour l'essentiel le contenu du code de pratique. Cette déclaration (ci-après la «déclaration de principe du 29 février 1996»), accompagnée d'une communication au personnel de M. Frans De Koster, directeur général de la direction générale «Personnel et administration»(DG IX), a été publiée dans un numéro spécial des Informations administratives de la Commission, daté du 29 février 1996.

Faits et procédure

10.
    La requérante est fonctionnaire de grade A 4 auprès de la Commission. À l'époque des faits à l'origine du présent litige, elle était affectée à la direction B «Amérique latine», de la direction générale «Relations extérieures: Méditerranée du Sud, Moyen et Proche-Orient, Amérique latine, Asie du Sud et du Sud-Est et coopération Nord-Sud» (DG IB) de la Commission.

11.
    Le 27 février 1997, au cours d'une réunion convoquée par M. R., directeur général adjoint de la DG IB, M. A., directeur de la direction B, a donné une tape sur le bas du dos à Mme Campogrande.

12.
    Le 27 juin 1997, après différentes démarches informelles, y compris un entretien avec le médiateur de la Commission, Mme Ebert, la requérante a adressé à la Commission une demande d'assistance au titre de l'article 24 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), valant également demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut. Dans cette demande, Mme Campogrande, en dénonçant l'incident du 27 février 1997, soutenait que M. A. avait commis le geste incriminé lors de la présentation de sa direction à M. R. et qu'il avait accompagné ce geste de l'affirmation suivante: «Comme vous pouvez le constater, ma direction est très bien représentée par les femmes.» Selon la requérante, l'incident du 27 février 1997 n'était pas un épisode isolé mais devait être mis en rapport avec une série de «commentaires sur [sa] personne et d'avances inopportunes, répétés et tout à fait hors du cadre d'une relation professionnelle normale» par lesquels, «des années durant», M. A. l'avait «banalisée et poursuivie», ainsi qu'avec la progressive détérioration des conditions logistiques de son travail, l'apparition de difficultés dans la poursuite de sa carrière et sa marginalisation dans le cadre des activités de la direction générale. La requérante affirmait aussi avoir cru, pendant longtemps, pouvoir se sortir de cette situation «en prenant toutes les avances de M. A. comme des blagues et en [...] ripostant par de l'ironie». De cette manière, la requérante affirmait lui avoir vraiment donné l'opportunité, jusqu'au bout, de se ressaisir et de changer d'attitude, sans perdre la face, mais que celui-ci n'avait pas compris et avait fini par aller trop loin. Selon la requérante, l'épisode du 27 février 1997 avait été «la goutte qui [avait] fait déborder le vase». Elle concluait en demandant à la Commission de lui octroyer les «réparations morales, matérielles et de carrière» qui s'imposaient en l'espèce.

13.
    N'ayant reçu aucune réponse à sa demande d'assistance, la requérante a, par lettre du 21 janvier 1998, introduit à l'encontre de la décision implicite de rejet de cette demande une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

14.
    Par note du 26 janvier 1998, M. Smidt, directeur général de la DG IX, a confié à Mme Souka, chef d'unité à la direction générale «Concurrence» (DG IV), la tâche de mener une enquête administrative à l'encontre de M. A.

15.
    Dans le cadre de cette enquête, Mme Campogrande a été entendue à plusieurs reprises. Sa première audition, initialement fixée au 20 avril 1998, a été reportée, à la demande de la requérante, au 4 mai 1998.

16.
    M. A. a été à son tour entendu le 1er mai 1998. Il a admis avoir commis le geste incriminé, mais a donné une version des faits différente de celle de Mme Campogrande. Il a affirmé que ledit geste avait été dicté par l'enthousiasme et visait à attirer l'attention de la requérante, assise à côté de lui, les deux coudes appuyés sur la table, sur le contenu de l'exposé de M. R. qui abordait un problème de manière identique à celle qu'il avait retenue à ce propos quelques jours auparavant.

17.
    Le 16 juin 1998, Mme Souka a auditionné M. H., chef de division à la DG IB et ancien supérieur hiérarchique de la requérante, ainsi que M. G., assistant du directeur général de la DG IB, et Mme Q., fonctionnaire à la même direction générale, qui avaient participé à la réunion du 27 février 1997. Aucune des personnes auditionnées ne se souvenait ni avait entendu parler de l'incident du 27 février 1997.

18.
    Enfin, le 9 juillet 1998, s'est tenue l'audition de Mme P., ancienne assistante de Mme Campogrande, que la requérante avait indiquée comme étant le seul témoin de l'une des prétendues avances dont elle avait été victime. Mme P. a déclaré ne se souvenir d'aucun comportement déplacé ou équivoque de M. A. à l'égard de Mme Campogrande.

19.
    Le 20 août 1998, la requérante, n'ayant reçu aucune réponse à sa réclamation du 21 janvier 1998, a introduit le présent recours.

20.
    Deux mois plus tard, le 29 octobre 1998, le directeur général de la DG IX, M. Smidt, a communiqué à la requérante le rapport de l'enquête administrative. Dans ce rapport, Mme Souka concluait que:

-     rien ne permettait d'affirmer avec certitude que le geste incriminé avait été commis par M. A. avec l'intention d'humilier Mme Campogrande en tant que femme;

-     rien ne permettait d'affirmer avec certitude qu'elle aurait fait l'objet d'avances de la part de M. A.;

-    la question du harcèlement administratif pouvait elle aussi être écartée;

-    en revanche, le contexte général lié à l'environnement apparemment très convivial au sein de la direction aurait certainement pu favoriser certains malentendus.

21.
    À la suite de la conclusion de l'enquête, aucune décision explicite sur la demande d'assistance de la requérante et sur sa réclamation n'a été adoptée.

22.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a demandé à la défenderesse de produire certains documents que celle-ci a déposés au greffe du Tribunal dans le délai imparti.

Conclusions des parties

23.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours recevable et fondé;

-    annuler la décision implicite de rejet de sa réclamation du 21 janvier 1998;

-    condamner la défenderesse à réparer le préjudice moral qu'elle a subi du fait de la décision attaquée;

-    lui donner acte qu'en cas de contestation par la défenderesse des faits affirmés, elle se réserve de formuler toute offre de droit propre à établir la réalité de ces faits;

-    condamner la défenderesse aux frais et dépens de l'instance.

24.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme partiellement irrecevable et pour le reste non fondé;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

25.
    Lors de la procédure orale, après qu'il eut été rappelé par le Tribunal qu'il n'appartient à celui-ci que d'annuler éventuellement les actes des institutions et de condamner si besoin est ces dernières à réparer les conséquences dommageables de ceux-ci, la requérante a renoncé aux conclusions tendant à ce qu'il plaise au Tribunal lui donner acte qu'en cas de contestation par la défenderesse des faits affirmés elle se réservait de formuler toute offre de droit propre à établir la réalité des faits en cause.

Sur la demande d'annulation

26.
    Au soutien de sa demande d'annulation, la requérante invoque trois moyens. Le premier est tiré, en substance, de la violation des articles 12, 24 et 25 du statut, de la directive 76/207, de la résolution 90/C 157/02 et de la recommandation 92/131. Le deuxième est pris de la violation du principe général de confiance légitime et de sécurité juridique. Le troisième est tiré de la violation des droits de la défense.

Observations liminaires sur l'objet du litige

27.
    À titre liminaire, il y a lieu d'observer que, bien que les conclusions de la requérante visent à l'annulation de la décision portant rejet de sa réclamation, le présent recours a pour effet, conformément à une jurisprudence constante, de saisir le Tribunal de l'acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, à savoir la décision implicite de rejet de sa demande d'assistance du 27 juin 1997 (arrêts de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, point 8, et du Tribunal du 6 juin 1990, Gouvras-Laycock/Commission, T-44/89, Rec. p. II-217, point 15).

Sur le premier moyen, tiré de la violation des articles 12, 24 et 25 du statut, de la directive 76/207, de la résolution 90/C 157/02 et de la recommandation 92/131

Arguments des parties

28.
    Selon la requérante, la Commission, quoique dûment informée des actes de harcèlement sexuel commis par M. A., s'est abstenue d'intervenir et a ainsi toléré, en connaissance de cause, un comportement de nature à porter atteinte à la dignité de la fonction publique européenne. De ce fait, la Commission aurait enfreint tant l'obligation d'assistance prévue à l'article 24 du statut que le devoir de respecter la dignité de la fonction qui, en vertu de l'article 12 du même statut, incombe à tout fonctionnaire et, indirectement, à elle-même.

29.
    De plus, le comportement de la défenderesse serait incompatible avec les obligations qui lui incombent en tant qu'employeur selon la directive 76/207, la résolution 90/C 157/02, la recommandation 92/131 et le code de pratique. Plus particulièrement, la Commission aurait violé l'obligation, prévue par ce code, de mettre en place une procédure claire, précise et efficace pour prévenir et sanctionner tout comportement portant atteinte à la dignité de la personne, ainsi que l'engagement, pris dans sa déclaration de principe du 29 février 1996, de sanctionner, au titre du statut et de la réglementation communautaire en vigueur, tout acte susceptible d'être qualifié de harcèlement sexuel.

30.
    La défenderesse s'étonne de la référence à l'article 12 du statut, disposition qui, à son avis, concerne les fonctionnaires des Communautés et non pas les institutions.

31.
    Quant à la violation des articles 24 et 25 du statut ainsi que des textes visant la protection de la dignité de la femme au travail, la défenderesse rappelle le contexte dans lequel est intervenu le rejet implicite de la demande d'assistance de la requérante. En premier lieu, il ressortirait de cette demande que, avant l'incident du 27 février 1997, Mme Campogrande n'aurait jamais clairement manifesté à M. A. qu'elle ressentait son comportement comme indésirable et offensant. Or, commele Tribunal l'aurait souligné dans son arrêt du 26 janvier 1995, D/Commission (T-549/93, RecFP p. I-A-13 et II-43, point 76), il découlerait du point 2, troisième alinéa, du code de pratique que, lorsque les faits reprochés ne portent que sur un simple intérêt sexuel, les victimes doivent montrer clairement que le comportement en cause est indésirable pour qu'il puisse être qualifié de harcèlement sexuel.

32.
    En second lieu, dans sa demande d'assistance, la requérante aurait déclaré que l'incident du 27 février 1997, n'était, pour elle, que «la goutte qui [avait] fait déborder le vase». Il s'ensuit, selon la défenderesse, que pour Mme Campogrande cet incident n'était pas en soi si grave pour justifier à lui seul l'introduction de la demande d'assistance. En outre, il y aurait lieu de considérer que, comme la requérante l'aurait elle-même admis, M. A. lui a présenté ses excuses, que le geste incriminé n'a entraîné aucun dommage matériel et que, enfin, rien ne permettait d'affirmer que ledit geste avait été commis dans le but d'humilier Mme Campogrande en tant que femme. Dans ces circonstances, la Commission aurait à juste titre considéré qu'une réparation suffisante avait été apportée au cas d'espèce et que, par conséquent, son intervention n'était pas nécessaire.

33.
    En troisième lieu, la défenderesse souligne qu'aucun élément du dossier ne permettait d'établir l'existence d'un lien de causalité entre le prétendu comportement sexiste de M. A. et les difficultés auxquelles la requérante s'est heurtée dans l'évolution de sa carrière. Au contraire, il ressortirait d'une note du directeur général de la DG IB, M. Prat, ainsi que des dépositions faites par MM. A., H. et G. lors de l'enquête administrative, que toute décision affectant les conditions de travail de la requérante, et notamment le retrait de certains dossiers importants dont elle se plaint, a été adoptée dans le seul intérêt du service. En effet, la requérante aurait toujours eu de réelles difficultés à travailler en équipe et aurait souvent créé des incidents avec les autorités nationales dans la gestion des dossiers.

34.
    En quatrième lieu, la défenderesse fait valoir que, comme la demande d'assistance a été introduite le 27 juin 1997 et que M. A. a quitté les services de la Commission le 17 juin 1997, l'ouverture d'une enquête n'était pas urgente et l'adoption de mesures préventives, visant à protéger la requérante, n'était pas nécessaire.

35.
    En cinquième lieu, la défenderesse fait observer que, malgré l'absence de réponse explicite, les motifs à la base du rejet implicite de sa demande étaient connus de la requérante. En effet, comme il ressortirait d'une note de Mme Ebert, médiateur de la Commission, à M. Frutuoso Melo, chef de division à la DG IX, cette dernière, lors de son entretien avec Mme Campogrande, aurait déjà attiré l'attention de celle-ci sur le fait que M. A. avait présenté ses excuses pour son geste déplacé. Il ne saurait donc être invoqué une violation de l'obligation de motivation prévue par l'article 25 du statut. En tout état de cause, la requérante n'aurait aucun intérêt à demander l'annulation de la décision de rejet de sa demande pour vice de forme, dans la mesure où cette annulation ne pourrait donner lieu qu'à l'adoption d'une nouvelle décision, identique, quant au fond, à celle annulée.

36.
    Dans sa réplique, la requérante s'étonne que la défenderesse ait pu conclure qu'elle-même n'avait jamais clairement réagi au comportement de son supérieur sur la base d'une simple lecture de sa demande d'assistance, sans effectuer la moindre vérification de ses allégations.

37.
    Il s'agirait, au surplus, d'une conclusion inexacte, étant donné que, comme il est amplement indiqué dans la demande d'assistance, la requérante, tout en cherchant à ne pas provoquer d'esclandre et à éviter ainsi une situation conflictuelle préjudiciable à l'intérêt du service, aurait toujours réagi au comportement de son directeur.

38.
    En outre, la requérante conteste la thèse de la défenderesse, selon laquelle les difficultés qu'elle-même a rencontrées dans la poursuite de sa carrière seraient dues à de prétendus incidents qu'elle aurait créés dans la gestion de certains dossiers. À ce propos, la requérante non seulement met en cause la fiabilité des documents présentés par la défenderesse et notamment celle de la note de M. Prat, dont, par ailleurs, elle ignorait l'existence, mais affirme aussi avoir toujours reçu des éloges pour la gestion de ses dossiers, si bien que, à un certain moment, M. A. lui-même l'aurait proposée au poste de chef d'unité adjoint.

39.
    La requérante conteste également l'affirmation de la défenderesse, selon laquelle M. A. aurait «quitté» les services de la Commission avant le dépôt de sa demande d'assistance. En effet, celui-ci, bénéficiant à cette époque d'un congé de convenance personnelle, participerait à plusieurs commissions internes et conserverait encore une certaine influence au sein de la Commission.

40.
    Enfin, la défenderesse ne pourrait pas se référer, pour exclure toute violation de l'obligation de motivation prévue par l'article 25 du statut, à la note de Mme Ebert à M. Frutuoso Melo concernant son entretien du 23 mai 1997 avec la requérante. En effet, cette note, rédigée le 24 novembre 1997, n'aurait jamais été communiquée à la requérante et, en tout cas, ne refléterait pas le contenu exact dudit entretien. En particulier, lors de son entrevue avec Mme Campogrande, Mme Ebert n'aurait jamais attiré l'attention de la requérante sur les excuses présentées par M. A.

Appréciation du Tribunal

41.
    Il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que, selon une jurisprudence constante, bien que l'article 24 du statut soit conçu avant tout en vue de protéger les fonctionnaires des Communautés européennes contre des attaques émanant de tiers, l'obligation d'assistance prévue par cet article existe également dans le cas où l'auteur des faits envisagés par cette disposition est un autre fonctionnaire des Communautés (arrêts de la Cour du 14 juin 1979, V/Commission, 18/78, Rec. p. 2093, point 15, et du Tribunal du 21 avril 1993, Tallarico/Parlement, T-5/92, Rec. p. II-477, point 30).

42.
    Il résulte également d'une jurisprudence constante que, en vertu de l'obligation d'assistance, l'administration doit, en présence d'un incident incompatible avec l'ordre et la sérénité du service, intervenir avec toute l'énergie nécessaire et répondre avec la rapidité et la sollicitude requises par les circonstances de l'espèce en vue d'établir les faits et d'en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées. À cette fin, il suffit que le fonctionnaire qui réclame la protection de son institution apporte un commencement de preuve de la réalité des attaques dont il affirme être l'objet. En présence de tels éléments, il appartient à l'institution en cause de prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête, afin d'établir les faits à l'origine de la plainte, en collaboration avec l'auteur de celle-ci (arrêt de la Cour du 26 janvier 1989, Koutchoumoff/Commission, 224/87, Rec. p. 99, points 15 et 16, et arrêt Tallarico/Parlement, précité, point 31).

43.
    En vertu de la déclaration de principe du 29 février 1996, qui a entériné le contenu essentiel de la résolution 90/C 157/02 et de la recommandation 92/131, l'obligation d'assistance comporte, notamment, le devoir de l'administration d'examiner sérieusement, avec rapidité et en toute confidentialité, les plaintes en matière de harcèlement sexuel et d'informer le plaignant de la suite réservée à sa plainte.

44.
    Dans le cas d'espèce, il y a lieu d'observer, en premier lieu, que, contrairement à ce que la défenderesse affirme, les faits allégués par la requérante dans sa demande d'assistance relevaient pleinement de la notion de harcèlement sexuel et, de ce fait, correspondaient à ceux imposant l'ouverture d'une enquête administrative.

45.
    En effet, l'incident du 27 février 1997, tel que décrit par la requérante dans sa demande d'assistance comme étant un «coup de patte sur la fesse» accompagné de l'affirmation «Comme vous pouvez le constater, ma direction est très bien représentée par les femmes», correspond, sans aucun doute, à un comportement physique et verbal à connotation sexuelle que la victime a considéré comme inopportun et blessant selon la définition de harcèlement sexuel donnée par le point 2 du code de pratique.

46.
    À l'encontre de cette conclusion, la défenderesse ne saurait soutenir que la requérante, en définissant l'incident du 27 février 1997 de «goutte qui [avait] fait déborder le vase», avait implicitement admis que ledit incident n'était pas assez grave pour justifier, en lui-même, l'ouverture d'une enquête. En effet, il ressort du point 2 du code de pratique que, pour qu'un comportement à connotation sexuelle puisse être qualifié de harcèlement, il n'est pas nécessaire qu'il soit considéré comme grave par la victime. Par ailleurs, dans le cas d'espèce, M. A. a lui-même reconnu, dans une note en date du 9 octobre 1997 relative à la demande de la requérante, la «non-orthodoxie» de son geste. Il s'ensuit que ce geste, pris dans le contexte de la version des faits contenue dans la demande d'assistance de la requérante et dénoncé à titre de harcèlement sexuel, correspondait, en lui-même, à ceux imposant l'ouverture d'une enquête.

47.
    De même, la défenderesse ne saurait affirmer qu'une intervention de la Commission n'était pas nécessaire dans la mesure où M. A. avait présenté ses excuses à la requérante, où le geste incriminé n'avait entraîné aucun dommage matériel et où, enfin, rien ne permettait d'affirmer que ledit geste avait été commis dans le but d'humilier Mme Campogrande en tant que femme. En effet, rien dans le code de pratique ne suggère que l'ouverture d'une enquête et, le cas échéant, l'application d'une sanction à la personne incriminée ne sont pas nécessaires si le plaignant ne prouve pas avoir subi un dommage matériel à la suite des actes de harcèlement sexuel ou si la personne dénoncée n'entendait pas humilier sa victime. Au contraire, il ressort du libellé du point 2 du code de pratique que les motifs ou l'intention de l'auteur du comportement en cause ainsi que les conséquences matérielles de ce comportement n'ont aucune importance. S'agissant des excuses que M. A. aurait présentées à la requérante, il suffit d'observer que, les circonstances de l'incident du 27 février 1997 étant controversées, la Commission ne pouvait pas conclure, sans ouvrir une enquête visant à établir la réalité et la gravité des faits, que lesdites excuses constituaient une réparation adéquate du préjudice moral et professionnel allégué par la requérante.

48.
    Quant aux faits antérieurs à l'incident du 27 février 1997 - qui, dans la demande d'assistance, étaient décrits comme «des commentaires sur [sa] personne et des avances inopportunes, répétés et tout à fait hors du cadre d'une relation professionnelle normale», par lesquels M. A. aurait «banalisé et poursuivi» la requérante «des années durant» -, il y a lieu d'observer que, contrairement à ce que la défenderesse prétend, il ne s'agit pas, à les supposer établis, de comportements qu'une personne raisonnable du même sexe que la requérante considérerait comme la simple manifestation d'un intérêt sexuel. Par conséquent, il n'était pas nécessaire, aux fins de l'ouverture d'une enquête administrative, que la requérante prouve avoir montré clairement à la personne qui, à ses dires, l'avait harcelée que les comportements en cause étaient indésirables.

49.
    En tout état de cause, la Commission ne pouvait pas conclure, sur la base de la seule demande d'assistance de la requérante, que celle-ci, en ripostant au prétendu harcèlement par de l'ironie, n'avait pas clairement manifesté qu'elle n'acceptait pas ce comportement.

50.
    Ayant déterminé que les faits allégués par Mme Campogrande correspondaient à ceux imposant l'ouverture d'une enquête administrative, il importe de se demander, ensuite, si, dans sa demande d'assistance, la requérante avait apporté des éléments de preuve suffisants pour étayer ses affirmations. À cet égard, il convient d'observer que, dans cette demande, Mme Campogrande avait indiqué les noms des personnes participant à la réunion du 27 février 1997 qui auraient pu confirmer sa version des faits. Lors du dépôt de sa demande d'assistance, la requérante a donc apporté des éléments suffisants pour permettre à la Commission d'établir éventuellement la réalité des actes de harcèlement sexuel dont elle se plaignait.

51.
    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que, eu égard aux faits allégués et à l'indication des témoins susceptibles de confirmer ces faits, la demande présentée par la requérante imposait à la Commission d'ouvrir et de mener, avec la sollicitude, la rapidité et la diligence requises par les circonstances de l'espèce, une enquête administrative au titre de son obligation d'assistance. Une fois établie cette obligation dans le cas d'espèce, il convient d'examiner si la Commission s'est acquittée de celle-ci dans des conditions acceptables.

52.
    À cet égard, il y a lieu de constater qu'une enquête a effectivement été ouverte par la défenderesse sept mois après le dépôt de la demande d'assistance, que, avant cette date, la défenderesse s'est contentée, par note de M. Bonucci, assistant du directeur général de la DG IB, du 12 septembre 1997, de demander à M. A. sa version des faits, que la première audition de Mme Campogrande a été fixée trois mois après l'ouverture de l'enquête, que le rapport final de cette enquête lui a été communiqué deux mois après l'introduction du présent recours et, enfin, qu'aucune décision explicite n'est intervenue sur la base des résultats de l'enquête.

53.
    Ce comportement ne saurait être considéré comme conforme aux exigences de sollicitude, de rapidité et de diligence inhérentes à l'obligation d'assistance. À cet égard, il y a lieu d'observer que, dans sa jurisprudence, le Tribunal a déjà considéré comme contraire à ces exigences le comportement de la Commission qui, face à des accusations graves quant à l'honorabilité professionnelle d'un fonctionnaire, n'avait commencé à enquêter sur lesdites accusations que plus de sept mois après l'introduction de la demande d'assistance du requérant et, donc, après l'expiration des délais de réponse prévus à l'article 90 du statut (arrêts du 6 novembre 1997, Ronchi/Commission, T-223/95, RecFP p. I-A-321 et II-879, point 51, et du 17 mars 1998, Carraro/Commission, T-183/95, RecFP p. I-A-123 et II-329, point 33).

54.
    Cette jurisprudence est applicable, mutatis mutandis, au cas d'espèce. En effet, il est vrai que les délais de réponse prévus par l'article 90 du statut ont pour objet d'éviter que l'absence de réaction de l'autorité investie du pouvoir de nomination devienne un obstacle aux voies de recours et ne visent pas à imposer à l'administration une obligation de se prononcer sur toutes les demandes au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut. Toutefois, ne saurait, face à une demande d'assistance au titre de l'article 24 du statut, être qualifié de diligent - surtout au vu de l'obligation d'examiner avec rapidité les plaintes en matière de harcèlement sexuel et d'informer le plaignant de la suite réservée à sa plainte, obligation assumée par la Commission dans sa déclaration de principe du 29 février 1996 - le comportement d'une administration qui, sans aucune justification valable à l'appui, oblige l'un de ses fonctionnaires à présenter une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut pour connaître la suite réservée à sa demande d'assistance et, ensuite, à introduire un recours contentieux pour connaître les résultats de l'enquête ouverte sur la base de cette réclamation.

55.
    Dans le cas d'espèce, la principale justification avancée par la défenderesse consiste à affirmer que, puisque la personne mise en cause avait quitté les services de la Commission avant le dépôt de la demande d'assistance, l'ouverture d'une enquête sur les faits allégués par la requérante n'était pas considérée comme urgente. Or, abstraction faite de la question de savoir si M. A. a effectivement «quitté» les services de la Commission, cette justification ne saurait être retenue. Il est vrai que le départ de M. A. pouvait dispenser l'administration de l'adoption de mesures préventives - telle que la réaffectation ou la mutation provisoire de la victime - visant à protéger la requérante contre la répétition du comportement dénoncé. Il est vrai aussi qu'au point 5 B, sous i), du code de pratique il est dit: «La plupart des personnes faisant l'objet d'un harcèlement sexuel souhaitent simplement que cesse ce harcèlement.» Toutefois, il est à exclure que, par cette affirmation, le code de pratique viserait à limiter le devoir de sollicitude, de rapidité, et de diligence de l'administration dans l'ouverture d'une enquête en matière d'actes de harcèlement sexuel aux seules hypothèses où lesdits actes persistent et qu'un tel devoir n'existerait pas dans les cas où il s'agit plutôt de sanctionner la personne incriminée et de réparer les conséquences morales et matérielles de son comportement. Une telle interprétation du code de pratique ne serait pas compatible avec l'objectif de la résolution 90/C 157/02 et de la recommandation 92/131, visant, selon leur intitulé, à la «protection de la dignité de la femme et de l'homme au travail». En effet, en présence d'une plainte concernant des actes de harcèlement sexuel, une intervention rapide et énergique de la part de l'administration, visant, tout d'abord, à établir la réalité des faits dénoncés et, ensuite, le cas échéant, à réparer leurs conséquences matérielles et morales, est toujours nécessaire dans l'intérêt tant du plaignant, dont la dignité, si la plainte est retenue, est finalement reconnue, que de la personne incriminée, qui, en cas de rejet de la plainte, voit sa réputation sauvegardée. En d'autres termes, en matière de harcèlement sexuel, l'incertitude quant à la suite que l'administration entend réserver à une plainte est toujours préjudiciable, pour la dignité tant du plaignant que de la personne incriminée, et doit toujours être évitée, même dans les cas où, le comportement incriminé ayant entre-temps cessé, il n'est plus question de protéger la victime contre sa répétition.

56.
    Il est par ailleurs à exclure que le retard contesté soit imputable, comme la Commission l'a soutenu à l'audience, répondant à une question du Tribunal, aux besoins d'organisation de l'enquête, dans la mesure où celle-ci n'a comporté que quelques auditions.

57.
    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que la Commission a violé l'article 24 du statut, ainsi que la résolution 90/C 157/02 et la recommandation 92/131 telles qu'elles ont été entérinées dans la déclaration de principe du 29 février 1996.

58.
    Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que la Commission a finalement terminé son enquête administrative et que, par lettre du 29 octobre 1998 - c'est-à-dire après l'introduction du présent recours -, elle a communiqué à la requérante les résultats de ladite enquête. En effet, la Commission n'a adoptéaucune décision explicite sur la demande d'assistance de la requérante avec la rapidité nécessaire. Or, en présence d'une plainte concernant de prétendus actes de harcèlement sexuel, toute décision de l'administration quant à l'existence ou à l'inexistence de ces actes doit être rapide, explicite et motivée.

59.
    Il s'ensuit que la décision implicite de rejet de la demande d'assistance de la requérante doit être annulée sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le surplus du premier moyen et sur les deuxième et troisième moyens (arrêts Ronchi/Commission, précité, point 54, et Carraro/Commission, précité, point 37).

Sur la demande en indemnité

Arguments des parties

60.
    Selon la requérante, la Commission, à cause de la légèreté, du retard et de l'inefficacité dont elle a fait preuve dans le déroulement de l'enquête administrative, est responsable des atteintes particulièrement graves et répétées portées à sa dignité de femme, ainsi que des représailles qu'elle a subies à la suite du dépôt de sa plainte.

61.
    À titre de réparation, la requérante demande que des excuses officielles et publiques lui soient présentées, que sa carrière soit correctement reconstituée et qu'un montant adéquat au préjudice moral subi lui soit versé.

62.
    La défenderesse rétorque que, M. A. ayant quitté la DG IB au mois de juin 1997, aucun préjudice n'a pu résulter pour la requérante de la durée de l'enquête administrative.

63.
    S'agissant des prétendues représailles dont la requérante ferait actuellement l'objet, la Commission rappelle qu'elles proviennent de personnes non mentionnées dans la demande d'assistance ni dans la réclamation. Cette partie de la demande en indemnité, fondée sur des circonstances de faits invoquées pour la première fois au cours de la procédure écrite devant le Tribunal, serait dès lors manifestement irrecevable.

64.
    En tout état de cause, la Commission estime que les excuses présentées à Mme Campogrande par M. A. constituent une réparation adéquate du préjudice qu'elle a subi.

65.
    Quant à la reconstitution de la carrière demandée par la requérante, la défenderesse affirme que, aucun lien de causalité n'ayant été établi entre le comportement de M. A. et les problèmes de carrière de la requérante, cette demande doit être déclarée irrecevable. D'autant plus que, en demandant la reconstitution de sa carrière, la requérante viserait à obtenir que le Tribunal adresse une injonction à la Commission, ce qui, selon une jurisprudence constante, excède les compétences de celui-ci.

Appréciation du Tribunal

66.
    Il y a lieu d'observer, tout d'abord, que, pour autant qu'elle vise à la réparation du préjudice subi du fait des prétendues représailles dont la requérante aurait fait l'objet après l'introduction de sa réclamation, la demande en indemnité est irrecevable pour défaut de procédure précontentieuse préalable régulière (arrêt du Tribunal du 15 juillet 1993, Camara Alloisio e.a./Commission, T-17/90, T-28/91 et T-17/92, Rec. II-841). En effet, la requérante a mentionné pour la première fois dans sa requête les mesures de rétorsion qu'elle avait prétendument subies de la part de ses supérieurs hiérarchiques, après le départ de M. A. Par ailleurs, rien dans le texte de la réclamation, même en l'interprétant dans un esprit d'ouverture, ne pouvait suggérer à la défenderesse que la requérante faisait l'objet de représailles à cause de sa plainte.

67.
    En outre, dans la mesure où elle vise à obtenir que le Tribunal ordonne à la défenderesse de reconstruire sa carrière, la demande en indemnité excède les compétences du juge communautaire qui, selon une jurisprudence constante, ne peut pas adresser d'injonctions aux institutions (arrêt du Tribunal du 9 juin 1998, Al e.a. et Becker e.a./Commission, T-171/95 et T-191/95, RecFP p. I-A-257 et II-803, point 37).

68.
    Pour ce qui est du préjudice moral subi par la requérante du fait de l'incertitude dans laquelle la Commission l'a laissée, en violation des obligations de sollicitude, de diligence et de rapidité dans l'examen des plaintes en matière de harcèlement sexuel, quant à la suite réservée à sa demande d'assistance et quant aux résultats de l'enquête administrative, il y a lieu d'observer que, dans les circonstances de l'espèce, l'annulation de la décision attaquée constitue, en elle-même, une réparation adéquate de ce préjudice.

69.
    Enfin, la requérante n'a pas prouvé à suffisance de droit avoir subi un préjudice moral du fait d'avoir été exposée, dans l'indifférence de la Commission, aux conséquences des actes de harcèlement sexuel dénoncés dans sa demande d'assistance. À cette fin, elle aurait dû, à tout le moins, apporter des éléments de preuve permettant de présumer qu'elle a effectivement subi lesdits actes.

70.
    Or, force est de constater que la requérante n'a pas apporté cette preuve. Au contraire, l'enquête administrative a démontré l'inconsistance des accusations contenues dans la demande d'assistance. Les faits antérieurs à l'incident du 27 février 1997, qui, dans cette demande, étaient décrits par Mme Campogrande comme «des commentaires sur [sa] personne et des avances inopportunes répétées et tout à fait hors du cadre d'une relation professionnelle normale», se sont ensuite révélés de simples affirmations amicales ou de simples coïncidences qui ne méritent même pas d'être appelées «incidents» (voir, notamment, l'exposé de ces faits contenu dans le compte rendu des auditions des 13 mai et 10 juin 1998 rédigé par Mme Campogrande elle-même et annexé au rapport de l'enquête). Quant àl'incident du 27 février 1997 (voir ci-dessus, point 12), aucun des participants à la réunion n'a pu confirmer la version des faits contenue dans la demande d'assistance.

71.
    S'agissant des difficultés professionnelles décrites dans cette demande, l'analyse de son dossier personnel démontre que, durant toute sa carrière auprès de la Commission, la requérante a toujours estimé que ses compétences n'étaient pas suffisamment reconnues (voir les observations de la requérante portées sur ses rapports de notation pour les périodes de référence 1966/1967 et 1981/1983). En outre, s'il est vrai que les rapports de notation de la requérante pour les périodes 1987/1989, 1989/1991, 1991/1993 et 1993/1995 contiennent des appréciations très favorables sur ses compétences, il est également vrai que les mêmes rapports de notation font état des difficultés relationnelles de Mme Campogrande et que les rapports de notation établis pour les périodes s'étendant de 1966 à 1985 ne sont pas aussi élogieux à l'égard de la requérante.

72.
    Dans ces circonstances, la demande en indemnité doit être rejetée.

Sur les dépens

73.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

74.
    La défenderesse ayant succombé en l'essentiel de ses conclusions en annulation, il y a lieu, au vu des conclusions de la requérante, de la condamner à supporter l'ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision implicite de la Commission portant rejet de la demande d'assistance introduite par la requérante le 27 juin 1997 est annulée.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission est condamnée aux dépens.

Tiili

Moura Ramos
Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 décembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi


1: Langue de procédure: le français.