Language of document : ECLI:EU:T:2023:136

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

15 mars 2023 (*)

« Recours en annulation et en indemnité – Fonction publique – Agents temporaires – Recrutement – Avis de vacance externe [confidentiel]1 Données confidentielles occultées. – Décision de ne pas proroger la validité d’une liste de réserve – Délai de réclamation – Publication sur Internet – Absence d’erreur excusable – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑727/21,

TO, représentée par Me É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

contre

Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), représentée par Mmes P. Eyckmans et M. Stamatopoulou, en qualité d’agents, assistées de Mes T. Bontinck, A. Guillerme et T. Payan, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. L. Madise et P. Nihoul (rapporteur), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 23 novembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, TO, demande, d’une part, l’annulation de la décision EASO/HR/2020/2331 de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), du 18 décembre 2020, de ne pas proroger, d’une année supplémentaire, la validité de la liste de réserve constituée à la suite de la procédure de sélection [confidentiel] sur laquelle son nom figurait (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, la réparation des préjudices prétendument subis.

 Antécédents du litige

 Faits antérieurs à l’introduction du recours

2        La requérante a été recrutée le [confidentiel] par le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), devenu l’AUEA le 19 janvier 2022, en tant qu’agent temporaire, à un poste d’assistante administrative de grade AST 1, pour une durée de cinq ans renouvelable.

3        En 2019, l’EASO a publié l’avis de vacance externe [confidentiel] (ci-après l’« avis de vacance ») ayant pour objet la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants administratifs de grade AST 3 (ci-après la « liste de réserve [confidentiel] »). L’avis de vacance indiquait que la liste de réserve [confidentiel] ainsi constituée serait valide jusqu’au 31 décembre 2020, période qui pourrait être prorogée à la discrétion de l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement.

4        La requérante a soumis sa candidature à la suite de l’avis de vacance. À l’issue de la procédure de sélection, elle a été informée, par lettre du 7 janvier 2020, notifiée par courriel le lendemain, que son nom avait été inscrit sur la liste de réserve [confidentiel].

5        Au cours de l’année 2020, la requérante a rencontré, dans le cadre de son travail, des difficultés de communication avec une de ses collègues et a sollicité, à plusieurs reprises, l’intervention de son supérieur hiérarchique, afin qu’il s’assure que sa collègue adopte une attitude respectueuse à son égard et lui transmette ses excuses pour les propos injurieux tenus.

6        Par courriel du 16 décembre 2020, le supérieur hiérarchique a décidé que la requérante ne travaillerait plus avec la collègue avec laquelle elle rencontrait des difficultés sans toutefois donner une suite favorable à sa demande d’excuses.

7        En parallèle, la date d’expiration de la liste de réserve [confidentiel] approchant, la requérante a, par courriel du 3 décembre 2020, interrogé son supérieur hiérarchique quant au sort de ladite liste et à la possibilité d’être nommée à un poste de grade AST 3. Le même jour, son supérieur hiérarchique lui a répondu que la validité de la liste de réserve [confidentiel] allait être prorogée et qu’il n’avait pas de postes à lui proposer à ce moment-là.

8        Le 18 décembre 2020, la directrice exécutive de l’EASO a adopté la décision attaquée. La liste de réserve [confidentiel], sur laquelle figurait le nom de la requérante, ne faisait pas partie des listes concernées par la prorogation.

9        Par courriels des 6, 21 et 29 janvier 2021, la requérante a pris contact avec la directrice exécutive de l’EASO pour l’informer, d’une part, du différend qui l’opposait à l’une de ses collègues ainsi que de la passivité de ses supérieurs hiérarchiques dans le traitement de ce conflit et, d’autre part, de sa volonté de s’entretenir avec elle au sujet de l’absence de prorogation de la validité de la liste de réserve [confidentiel].

10      Par courriel du 7 janvier 2021, la requérante a également demandé à s’entretenir avec son supérieur hiérarchique au sujet de l’absence de prorogation de la validité de la liste de réserve [confidentiel]. Dans ce courriel, elle évoquait le cas d’une autre collègue, figurant sur cette même liste, qui avait été nommée à un poste de grade AST 3 peu de temps avant l’expiration de ladite liste. À cette occasion, elle indiquait ne pas comprendre les raisons pour lesquelles elle n’avait pas pu bénéficier d’un même traitement avant l’expiration de la liste de réserve [confidentiel].

11      Par courriel du 12 janvier 2021, le supérieur hiérarchique de la requérante lui a répondu qu’aucun poste de grade AST 3 n’était vacant et qu’il ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel sur les listes de réserve constituées par l’EASO ainsi que sur leur éventuelle prorogation.

12      De son côté, par courriel du 2 février 2021, la directrice exécutive de l’EASO a répondu à la requérante que les différends allégués devaient être résolus avec l’aide des responsables hiérarchiques des personnes concernées, que les décisions de prorogation de la validité des listes de réserve étaient prises dans l’intérêt du service et que, à ce titre, la décision attaquée reflétait les besoins actuels et futurs de l’EASO qui étaient connus et/ou pouvaient être prévus au moment où la décision avait été adoptée.

13      Le 22 février 2021, sur demande de la directrice exécutive de l’EASO, une réunion a eu lieu entre la requérante, son supérieur hiérarchique ainsi que deux responsables du service des ressources humaines de l’EASO au sujet, d’une part, de l’absence de prorogation de la validité de la liste de réserve [confidentiel] et, d’autre part, des excuses attendues par la requérante à la suite des propos injurieux tenus à son égard par une de ses collègues. À l’issue de la réunion et par courriel du même jour, la requérante a fait valoir que les informations transmises et les propositions faites lors de ladite réunion eu égard aux deux problématiques abordées n’étaient, selon elle, pas satisfaisantes.

14      À deux reprises, par courriels des 1er et 11 mars 2021, la requérante a demandé à la directrice exécutive de l’EASO de réexaminer la décision attaquée et l’a informée de sa volonté d’introduire une réclamation en cas de refus. Plus particulièrement, dans ses courriels, la requérante a demandé à la directrice exécutive de l’EASO de proroger la validité de la liste de réserve [confidentiel] et de lui offrir un poste visé par ladite liste.

15      Le 31 mars 2021, la requérante a introduit, par l’intermédiaire de son conseil, une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») contre la décision attaquée. Cette réclamation a été rejetée par une décision du 29 juillet 2021, notifiée à la requérante le lendemain.

16      Le 26 août 2021, la requérante a fait appel de son rapport d’évaluation pour l’année 2020 qui concluait au caractère non satisfaisant de ses performances. Le 22 octobre 2021, la directrice exécutive de l’EASO, en tant qu’évaluateur d’appel, a confirmé les conclusions de l’évaluateur.

17      Le 27 août 2021, la requérante a introduit une demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut (ci-après la « demande d’assistance »), pour des faits allégués de harcèlement moral de la part de quatre membres du personnel de l’EASO, y compris son supérieur hiérarchique. À l’appui de cette demande, la requérante a fourni, par courriels des 7, 20 et 27 septembre 2021, une description détaillée des faits et des personnes concernées par ses allégations.

18      Le 25 octobre 2021, la requérante a introduit une nouvelle réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut à l’encontre de la décision de l’EASO de ne pas retenir sa candidature dans le cadre du processus de sélection résultant de l’avis de vacance [confidentiel] débuté en mars 2021 en vue de la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants administratifs de grade AST 3, auquel elle s’était à nouveau portée candidate.

 Faits postérieurs à l’introduction du recours

19      Par décision du [confidentiel], après avoir recueilli les observations de la requérante, la directrice exécutive de l’AUEA, en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement, a résilié le contrat d’agent temporaire de la requérante, sur le fondement de l’article 47, sous b), ii), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, avec un préavis de trois mois, tout en la dispensant de prester ce préavis.

20      Par décision du 23 février 2022, notifiée à la requérante par courriel le lendemain, l’AUEA a rejeté sa réclamation à l’encontre de la décision de ne pas retenir sa candidature dans le cadre du processus de sélection résultant de l’avis de vacance EASO/2021/TA/007.

21      Par lettre du 21 mars 2022, notifiée par courriel à l’AUEA le même jour, la requérante a introduit une réclamation contre la décision de rejet de sa demande d’assistance, adoptée le 22 décembre 2021.

 Conclusions des parties

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’AUEA au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice matériel et moral subi ;

–        condamner l’AUEA à lui verser un euro provisionnel au titre de la perte de la couverture de la caisse de maladie ;

–        condamner l’AUEA aux dépens.

23      L’AUEA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours, à titre principal, comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

24      Le présent recours comprend deux chefs de conclusions, à savoir des conclusions en annulation et des conclusions indemnitaires.

25      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité par acte séparé sur le fondement de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, l’AUEA conteste, à titre principal, la recevabilité du recours.

 Sur les conclusions en annulation

26      L’AUEA estime que les conclusions en annulation introduites par la requérante sont irrecevables faute d’avoir été précédées d’une procédure administrative préalable régulière. Plus particulièrement, l’AUEA considère que la requérante a introduit sa réclamation au-delà du délai de trois mois prévu par l’article 90, paragraphe 2, du statut, qui commençait à courir à la date de la mise en ligne de la décision attaquée sur son site Internet, à savoir le 21 décembre 2020. Par conséquent, ce délai aurait pris fin le 21 mars 2021 et la réclamation, introduite le 31 mars 2021, devrait être considérée comme tardive.

27      Cette argumentation est contestée par la requérante.

28      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit devant le Tribunal, au titre de l’article 270 TFUE et de l’article 91 du statut, est subordonnée au déroulement régulier de la procédure précontentieuse et au respect des délais qu’elle prévoit (ordonnance du 17 décembre 2019, AG/Europol, T‑756/18, non publiée, EU:T:2019:867, point 41).

29      Selon l’article 91, paragraphe 2, du statut, un recours à l’encontre d’un acte faisant grief n’est recevable que si l’autorité investie du pouvoir de nomination a été préalablement saisie d’une réclamation dans le délai prévu et si cette réclamation a fait l’objet d’une décision explicite ou implicite de rejet.

30      Conformément à l’article 90, paragraphe 2, du statut, la réclamation dirigée contre un acte faisant grief doit être introduite dans un délai de trois mois courant à partir soit du jour de la publication de l’acte s’il s’agit d’une mesure de caractère général, soit du jour de la notification de la décision au destinataire ou du jour où l’intéressé en a connaissance s’il s’agit d’une mesure de caractère individuel.

31      Selon la jurisprudence, la recevabilité d’un recours peut être mise en cause devant le juge de l’Union européenne au motif que la réclamation a été introduite de manière tardive, et ce même lorsque, après avoir signalé cette tardivité, l’institution a répondu aux arguments de fond soulevés dans cette réclamation (voir, en ce sens, ordonnance du 30 octobre 2020, Gáspár/Commission, T‑827/19, non publiée, EU:T:2020:517, point 19 et jurisprudence citée).

32      En l’espèce, la décision attaquée constitue un acte faisant grief à la requérante dès lors que, par celle-ci, l’AUEA a écarté implicitement une éventuelle prorogation de la validité de la liste de réserve [confidentiel] sur laquelle le nom de la requérante était inscrit et a ainsi clos cette liste de manière définitive, mettant fin aux perspectives d’évolution et à une éventuelle nomination de la requérante à un poste de grade AST 3.

33      De plus, la décision attaquée ne constitue pas une mesure individuelle prise à l’égard de la requérante, mais présente une portée générale dès lors qu’elle a un impact sur tous les lauréats dont le nom est inscrit sur la liste de réserve [confidentiel] dont la durée de validité n’est pas prorogée.

34      Il découle de l’analyse qui précède que, étant une mesure de caractère général faisant grief à la requérante, la décision attaquée ne pouvait faire l’objet d’un recours devant le Tribunal qu’à la condition qu’une réclamation préalable ait été introduite dans un délai de trois mois à compter de la date de sa publication.

35      Devant le Tribunal, l’AUEA a fait valoir que la publication de la décision attaquée était intervenue le 21 décembre 2020 par sa mise en ligne sur son site Internet ce même jour. À l’appui de son allégation, l’AUEA a produit, au cours de la phase écrite de la procédure, deux extraits de son site Internet montrant que la décision attaquée avait été téléchargée, puis mise en ligne sur son site Internet le 21 décembre 2020. Lors de l’audience, l’AUEA a apporté des précisions quant à la portée de ces éléments de preuve et a expliqué que ces extraits attestaient, d’une part, du téléchargement, le 21 décembre 2020, de la décision attaquée sur l’interface administrateur de son site Internet et, d’autre part, de la mise en ligne de cette décision, le même jour, sur l’interface utilisateur de son site Internet.

36      La requérante conteste le fait que la mise en ligne de la décision attaquée sur le site Internet de l’AUEA constitue un mode de publication valable, pouvant servir de point de départ au délai pour introduire une réclamation. Selon elle, il en irait différemment pour une mise en ligne sur l’intranet d’une institution ou d’un organisme de l’Union, celle-ci pouvant être considérée comme un mode valable de publication en matière de fonction publique.

37      À cet égard, il convient de relever que la mise en ligne sur Internet des listes de réserve établies par les institutions et agences de l’Union et, a fortiori, des décisions de prorogation de la validité de ces listes constitue désormais une pratique établie, qui s’est substituée à la publication au Journal officiel de l’Union européenne.

38      À l’instar de l’Office européen de sélection du personnel (EPSO), l’AUEA publie dorénavant exclusivement ses listes de réserve ainsi que les éventuelles décisions de prorogation de la validité desdites listes sur son site Internet.

39      Une telle pratique est rendue possible, notamment, par le fait que ces décisions n’entrent pas dans la catégorie des actes dont l’article 297 TFUE exige la publication au Journal officiel. De plus, il n’apparaît pas que l’AUEA ait adopté des règles, ou qu’il existerait une pratique interne, quant à une forme ou une formalité pré-requise pour la « publication » de ce type d’actes, autre que leur mise en ligne sur Internet. Au contraire, il ressort de la décision adoptée par l’AUEA, le 15 décembre 2020, en matière de procédure de recrutement du personnel, que la publication sur Internet des décisions relatives à des procédures de recrutement impliquant des candidats externes constitue une pratique annoncée, établie et prévisible de sa part.

40      Ainsi que l’a constaté le Tribunal, la prise en compte de la date de la mise en ligne d’une décision sur Internet en tant que date de publication présente l’avantage de garantir l’égalité de traitement entre tous les intéressés en assurant que la décision adoptée soit accessible à tous en même temps et que le délai pour introduire un recours contre cette décision soit calculé de la même manière pour tous (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 17 mars 2021, 3M Belgium/ECHA, T-160/20, EU:T:2021:149, point 51).

41      Il en résulte que, en l’espèce, la publication sur Internet de la décision attaquée était non seulement un mode valable de publication, mais, par ailleurs, que, dans les circonstances de l’espèce, cette modalité de publication devait être préférée à une mise en ligne sur l’intranet, car elle fournissait un moyen plus approprié pour informer les personnes concernées par ladite décision dès lors que celle-ci concernait non seulement des personnes qui travaillaient au sein de l’AUEA, mais également des personnes extérieures à celle-ci.

42      Compte tenu des documents fournis par l’AUEA ainsi que des précisions ayant été apportées à l’audience, il y a lieu de considérer que la publication de la décision attaquée est intervenue le 21 décembre 2020 par sa mise en ligne sur le site Internet de l’AUEA ce même jour et que, par conséquent, la réclamation aurait dû être introduite par la requérante le 21 mars 2021 au plus tard.

43      Ayant été introduite le 31 mars 2021, soit dix jours plus tard, la réclamation doit donc être considérée comme tardive.

44      Cette conclusion est contestée par la requérante.

45      En premier lieu, la requérante soutient n’avoir pu prendre connaissance de la décision attaquée, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, que le [confidentiel], à son retour, après les congés de fin d’année, ce qui aurait pour conséquence que, introduite le 31 mars 2021, soit moins de trois mois après cette date, la réclamation ne pourrait être considérée comme tardive.

46      Toutefois, ainsi que cela a été indiqué au point 33 ci-dessus, la décision attaquée étant une mesure de caractère général au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, seule la date de sa publication importe, tandis que les dates de prise de connaissance et d’entrée en vigueur sont indifférentes au regard de cette disposition pour déterminer le point de départ du délai.

47      Ainsi, la requérante ne saurait se prévaloir d’une prise de connaissance le [confidentiel] comme point de départ du délai pour introduire sa réclamation à l’encontre de la décision attaquée.

48      Le premier argument de la requérante doit donc être écarté.

49      En second lieu, la requérante, sans reconnaître explicitement qu’elle a dépassé le délai imparti pour introduire sa réclamation, soutient qu’elle n’a pas été en mesure d’introduire antérieurement sa réclamation en raison du comportement adopté par l’AUEA. L’introduction de sa réclamation le 31 mars 2021 alors que le délai expirait le 21 du même mois serait ainsi due à une erreur qui, selon elle, présente, en substance, un caractère excusable.

50      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la notion d’« erreur excusable » vise des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie (arrêt du 3 mars 2022, WV/SEAE, C‑172/20 P, non publié, EU:C:2022:155, point 65 et jurisprudence citée).

51      Pour déterminer si la requérante peut revendiquer l’application de cette jurisprudence, il convient de vérifier, d’une part, si l’AUEA a adopté un comportement tel que décrit dans la jurisprudence rappelée au point 50 ci-dessus et, d’autre part, si la requérante elle-même a agi de la manière requise.

52      Tout d’abord, s’agissant du comportement de l’AUEA, la requérante soutient qu’elle ne pouvait s’attendre à ce que la liste de réserve [confidentiel], sur laquelle son nom avait été inscrit, ne soit pas prorogée, dès lors que son supérieur hiérarchique lui avait indiqué le contraire dans un courriel envoyé le 3 décembre 2020.

53      Or, s’il est vrai que le courriel envoyé le 3 décembre 2020 par le supérieur hiérarchique de la requérante a pu susciter un espoir à son égard quant à la prorogation de la validité de la liste de réserve [confidentiel], l’AUEA n’a jamais par la suite confirmé cette information. Aucun élément du dossier ne permet de considérer que la requérante a pu recevoir, de la part de l’AUEA, une quelconque confirmation de l’information donnée par son supérieur hiérarchique dans son courriel envoyé le 3 décembre 2020. Or, comme l’a fait valoir à juste titre l’AUEA, sa directrice exécutive est seule compétente pour décider de la prorogation de la validité des listes de réserve établies par l’AUEA. Le supérieur hiérarchique de la requérante, à l’origine du courriel litigieux, ne dispose quant à lui d’aucun pouvoir décisionnel sur cette question et ne saurait ainsi être assimilé à une source autorisée et fiable. La requérante ne pouvait d’ailleurs pas ignorer la compétence exclusive dont dispose la directrice exécutive de l’AUEA en la matière, puisque cette compétence avait été rappelée dans l’avis de vacance ayant conduit à la constitution de la liste de réserve [confidentiel], ainsi que lors d’une réunion qui s’était tenue le 22 février 2021 en présence de son supérieur hiérarchique et de deux responsables du service des ressources humaines de l’AUEA.

54      La requérante souligne également qu’aucune information relative à l’adoption de la décision attaquée n’apparaissait sur l’intranet et que les personnes qu’elle avait contactées au sein de l’AUEA n’avaient jamais attiré son attention sur la publication à venir de ladite décision sur le site Internet de l’AUEA. Du reste, la décision attaquée, telle que mise en ligne sur ce site, était dépourvue de signature et de date, hormis celle de son entrée en vigueur.

55      À cet égard, il convient de rappeler que, dès lors que, comme cela est constaté au point 33 ci-dessus, la décision attaquée présentait un caractère général, l’AUEA n’était pas tenue de la notifier à la requérante, ni d’attirer son attention sur sa publication sur son site Internet.

56      En effet, en présence d’une mesure de caractère général, le délai pour introduire une éventuelle réclamation court à compter de la publication sans que l’auteur de la mesure soit tenu d’accomplir des démarches afin d’assurer la notification ou la prise de connaissance de cette mesure par les personnes concernées. En outre, la publication sur Internet de la décision attaquée correspondant à une pratique établie et annoncée de l’AUEA (voir point 39 ci-dessus), la requérante ne saurait prétendre qu’elle ne pouvait prédire qu’un tel mode de publication serait utilisé s’agissant de la décision attaquée.

57      Il ne peut davantage être reproché à l’AUEA de ne pas avoir renseigné la requérante sur la date de publication de la décision attaquée dès lors que cette dernière ne l’a jamais interrogée à ce sujet. Dans plusieurs courriels adressés à son supérieur hiérarchique et à la directrice exécutive de l’AUEA, la requérante a d’ailleurs laissé entendre qu’elle était au fait du délai imparti lorsqu’elle a indiqué qu’elle souhaitait une réponse rapide de la part de l’AUEA quant à ses différentes demandes, au motif que l’expiration du délai pour introduire une réclamation allait expirer prochainement.

58      Ensuite, s’agissant du comportement de la requérante, celle-ci admet que, le 21 décembre 2020, elle était au travail et que, pendant ses congés, elle s’est connectée à sa messagerie professionnelle. Ainsi, aucun élément du dossier ne permet de comprendre pour quelle raison la requérante n’a pu prendre connaissance de la décision attaquée le 21 décembre 2020 ou pendant ses congés.

59      Surtout, il convient de relever que la requérante, après avoir pris connaissance de la décision attaquée, le 4 janvier 2021, et avoir pu constater que celle-ci ne contenait ni signature ni date, hormis celle de son entrée en vigueur, ne s’est pas renseignée sur la date de mise en ligne de celle-ci.

60      En définitive, au moment où la requérante a appris l’adoption de la décision attaquée, le délai n’était pas encore expiré pour introduire une réclamation et elle disposait de la possibilité d’interroger l’administration sur la date de publication, afin de calculer, en cas de doute, le délai imparti pour introduire la réclamation, ce qu’elle n’a pas fait.

61      Il résulte de ce qui précède que la requérante n’est pas fondée à se prévaloir d’une erreur excusable qui rendrait recevable sa réclamation même introduite en dehors des délais et, par conséquent, il y a lieu de rejeter le second argument.

62      Les conclusions en annulation doivent donc être considérées comme irrecevables en raison de la tardiveté de la réclamation préalable.

 Sur les conclusions indemnitaires

63      À l’appui de ses conclusions indemnitaires, la requérante fait valoir qu’elle a subi plusieurs dommages :

–        un dommage matériel résultant, à titre principal, d’une décision de nomination irrégulière adoptée par l’AUEA et, à titre subsidiaire, de la perte de chance d’être nommée à un poste de grade AST 3 ;

–        un dommage moral causé, en partie, par le fait d’avoir été « laissée pour compte » par la décision attaquée et, en partie, par les offenses et les comportements déplacés de l’AUEA à son égard ;

–        la perte de couverture de la caisse de maladie, pour laquelle elle demande le paiement d’un euro provisionnel.

64      L’AUEA conclut au rejet des conclusions en indemnité.

65      À cet égard, il convient de rappeler que les conclusions tendant à la réparation d’un préjudice doivent être rejetées lorsqu’elles présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation qui ont, elles-mêmes, été rejetées comme étant irrecevables ou non fondées (arrêt du 17 mai 2017, PG/Frontex, T‑583/16, non publié, EU:T:2017:344, point 94 ; voir également, en ce sens, arrêts du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C‑274/99 P, EU:C:2001:127, point 129, et du 14 septembre 2006, Commission/Fernández Gómez, C‑417/05 P, EU:C:2006:582, point 51).

66      En l’espèce, la requérante estime que les dommages qu’elle invoque sont en lien direct avec ses conclusions en annulation.

67      Ainsi, dans la mesure où, selon la requérante elle-même, les conclusions indemnitaires sont étroitement liées aux conclusions en annulation, l’irrecevabilité des conclusions en annulation entraîne donc celle des conclusions indemnitaires.

68      Cela étant, force est de constater que les dommages identifiés par la requérante ne sont pas tous étroitement liés aux griefs soulevés dans le cadre des conclusions en annulation, de sorte qu’il convient, pour certains, de les examiner comme des demandes autonomes et distinctes de celles contenues dans les conclusions en annulation.

69      Ainsi, il y a lieu de distinguer, d’une part, le dommage matériel allégué à titre subsidiaire, résultant de la perte de chance d’être nommée à un poste de grade AST 3, ainsi que la partie du dommage moral allégué qui se rattache au fait d’avoir été « laissée pour compte » par la décision attaquée en restant inscrite sur la liste de réserve [confidentiel] sans l’obtention d’un poste de grade AST 3. En effet, les conclusions portant sur ces deux catégories de dommages présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation et doivent, conformément à la jurisprudence citée au point 65 ci-dessus, être rejetées.

70      D’autre part, le dommage matériel allégué à titre principal en lien avec une prétendue décision de nomination irrégulière et l’autre partie du dommage moral allégué en lien avec les offenses et les comportements déplacés subis par la requérante doivent être regardés comme des demandes autonomes et non étroitement liées aux conclusions en annulation.

71      Les conclusions relatives à de tels dommages ne peuvent être considérées comme recevables indépendamment du recours en annulation qu’à condition d’avoir respecté le déroulement régulier de la procédure précontentieuse, telle que définie aux articles 90 et 91 du statut, sachant que, dans le cadre de cette analyse, il convient de distinguer les dommages allégués selon qu’ils résultent ou non d’un acte faisant grief. Si les conclusions indemnitaires tendent à la réparation d’un préjudice résultant d’un acte faisant grief, il appartient à l’intéressé d’introduire, dans les délais impartis, une réclamation administrative préalable contre cet acte, puis un recours dans un délai de trois mois à compter du rejet de cette réclamation. Si le préjudice allégué résulte de comportements qui, étant dépourvus d’effets juridiques, ne sauraient être qualifiés d’actes faisant grief, la procédure précontentieuse doit débuter par l’introduction d’une demande visant à obtenir un dédommagement. Ce n’est que le rejet explicite ou implicite de cette demande qui constitue une décision faisant grief contre laquelle une réclamation peut être dirigée et ce n’est qu’après l’intervention d’une décision rejetant explicitement ou implicitement cette réclamation qu’un recours en indemnité peut être formé devant le Tribunal (voir, en ce sens, ordonnance du 14 avril 2021, ZU/Commission, T‑462/20, non publiée, EU:T:2021:197, point 50 et jurisprudence citée).

72      En premier lieu, s’agissant du dommage matériel allégué à titre principal par la requérante résultant d’une prétendue décision de nomination irrégulière, il convient de constater qu’un tel dommage constitue un nouveau chef de préjudice ayant été introduit, par la requérante, pour la première fois, au stade de la réplique devant le Tribunal.

73      La requérante soutient que la demande concernant ce chef de préjudice est recevable, car elle est fondée sur un fait nouveau, à savoir l’adoption d’une décision devant être considérée comme irrégulière dès lors que celle-ci aurait conduit à la nomination au grade AST 3 de candidats moins bien classés qu’elle sur la liste de réserve [confidentiel].

74      Toutefois, cet argument ne saurait être admis, car une nouvelle demande indemnitaire, dès lors qu’elle ne présente pas un lien étroit avec les conclusions en annulation, ne peut être introduite pour la première fois devant le Tribunal, mais doit faire l’objet d’une procédure précontentieuse conformément à la jurisprudence rappelée au point 71 ci-dessus. Une telle procédure n’ayant pas été suivie, la demande doit être rejetée comme irrecevable. Par ailleurs, l’argument manque en fait. La requérante ayant fait plusieurs fois référence à cette décision de nomination au stade de la requête, la demande indemnitaire concernant ce chef de préjudice ne saurait être considérée comme fondée sur un fait qui s’est révélé pendant la présente procédure juridictionnelle.

75      En deuxième lieu, s’agissant du dommage moral résultant des offenses et des comportements déplacés subis, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’une demande autonome par rapport aux conclusions en annulation dès lors que celle-ci se rapporte à des actes commis par l’AUEA avant même l’adoption de la décision attaquée et que la requérante n’est pas parvenue à démontrer le lien existant entre le prétendu harcèlement moral subi et la décision attaquée. Cependant, il convient de relever qu’un tel dommage ne résulte pas d’un acte faisant grief, mais de comportements qui, dépourvus de caractère décisionnel, ne sauraient être qualifiés d’actes faisant grief. Conformément aux principes cités au point 71 ci-dessus, la demande d’indemnisation de ce dommage ne peut être recevable que si elle a été précédée d’une demande invitant l’AUEA à réparer ce préjudice et, par la suite, le cas échéant, d’une réclamation.

76      Or, en l’espèce, il n’apparaît pas que la procédure contentieuse préalable en deux étapes ait été respectée. En effet, la requérante ne fait état d’aucune demande par laquelle elle aurait invité l’AUEA dans un premier temps à réparer ce dommage. Il convient donc de rejeter cette demande indemnitaire comme irrecevable.

77      En troisième et dernier lieu, la demande visant à condamner l’AUEA au paiement d’un euro à titre provisionnel pour la perte de la couverture de la caisse de maladie doit être rejetée dès lors qu’elle n’est étayée par aucun argument ou preuve.

78      En effet, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que la partie requérante reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’elle prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du 27 novembre 2018, Hebberecht/SEAE, T-315/17, EU:T:2018:842, point 100 et jurisprudence citée).

79      Or, la requérante, d’une part, n’a produit aucun élément permettant d’établir la réalité du préjudice qu’elle prétend avoir subi et, d’autre part, reste en défaut de fournir tout élément permettant d’établir que le préjudice qu’elle invoque est la conséquence de la décision attaquée ou d’un comportement illégal de l’administration.

80      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter les conclusions indemnitaires formulées par la requérante comme étant irrecevables.

81      Les conclusions en annulation et en indemnité ayant été rejetées, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les mesures d’organisation de la procédure sollicitées par la requérante

82      Au stade de la réplique, la requérante demande au Tribunal d’inviter l’AUEA, à titre de mesures d’organisation de la procédure, à produire un certain nombre de pièces administratives relatives aux titres et aux résultats obtenus aux examens écrits ainsi que les commentaires du comité de sélection et la grille d’évaluation des lauréats inscrits sur la liste de réserve [confidentiel], afin de rendre possible le contrôle juridictionnel de la décision attaquée.

83      L’AUEA conclut au rejet de la demande.

84      Le Tribunal estime, en l’espèce, qu’il a utilement pu se prononcer sur la recevabilité du recours sur la base des arguments développés par les parties et au vu des documents produits. En outre, les faits que les mesures d’organisation de la procédure sollicitées par la requérante visaient à établir ne sont pas pertinents étant donné qu’ils concernent le bien-fondé du recours et ne sauraient donc remettre en cause les considérations énoncées aux points 26 à 81 ci-dessus afférentes à la recevabilité de celui-ci.

85      Ainsi, il y a lieu de rejeter la demande de mesures d’organisation de la procédure qui a été formulée par la requérante.

 Sur les dépens

86      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

87      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’AUEA.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      TO est condamnée aux dépens.

Porchia

Madise

Nihoul

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mars 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.