Language of document : ECLI:EU:T:2024:335

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

29 mai 2024 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Procédure disciplinaire – Sanction disciplinaire – Retenue sur le montant de la pension – Droit d’être entendu – Responsabilité »

Dans l’affaire T‑49/23,

Angel Angelidis, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes M. Maes et J.-N. Louis, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mmes S. Seyr, K. Zejdová et M. I. Lázaro Betancor, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. L. Madise et P. Nihoul (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la requête déposée au greffe du Tribunal le 16 février 2023,

–        le mémoire en défense déposé au greffe du Tribunal le 2 juin 2023,

–        la mesure d’organisation de la procédure du 6 octobre 2023 et la réponse du Parlement déposée au greffe du Tribunal le 26 octobre 2023,

à la suite de l’audience du 24 janvier 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant, M. Angel Angelidis, demande, premièrement, l’annulation de la décision du secrétaire général du Parlement européen (ci-après le « secrétaire général ») du 15 juillet 2022 par laquelle celui-ci lui a infligé une sanction disciplinaire (ci-après la « décision attaquée »), deuxièmement, le retrait de la décision attaquée de son dossier personnel, troisièmement, le remboursement des sommes prélevées au titre de la décision attaquée sur sa pension de retraite, y inclus un intérêt moratoire depuis la date du premier prélèvement et, quatrièmement, la réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait de la décision attaquée. 

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        Le requérant s’est marié le [confidentiel](1).

3        Le 1er janvier 1988, il est entré en service au Parlement.

4        Le [confidentiel], le requérant a eu un quatrième fils. En raison d’un handicap affectant ce dernier à vie, il a bénéficié d’allocations pour enfant à charge majorées en vertu de l’article 67, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») et de l’article 2, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut ainsi que d’allocations scolaires en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la même annexe.

5        Le fils concerné du requérant a fait des études à [confidentiel] de 2008 à 2015.

6        Le 1er novembre 2011, le requérant a pris sa retraite.

7        À partir du 15 décembre 2011, il a officiellement changé de domicile et s’est installé à Bruxelles (Belgique).

8        Son divorce a été prononcé par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg) le [confidentiel] et confirmé par la cour d’appel du Luxembourg (Luxembourg) le [confidentiel]. Ces deux décisions ont été transcrites le 10 février 2015. Aucune d’elles ne contenait de dispositions relatives à la garde et à l’entretien des enfants du requérant, qui étaient tous majeurs.

9        Le [confidentiel], le requérant s’est remarié.

10      Le 19 mai 2017, il a été invité par le Parlement à apporter les preuves de l’entretien effectif de son fils handicapé depuis le 1er novembre 2011, date effective de son départ à Bruxelles. Cette invitation faisait suite à la notification du changement de sa situation familiale par son ex‑conjointe.

11      Estimant que de telles preuves n’avaient pas été rapportées pour la période postérieure au 1er juin 2014, le Parlement a décidé, ainsi qu’il résulte de l’avis de modification no 15 des droits à pension du requérant du 10 août 2017, que les allocations pour enfant à charge et scolaires lui restaient acquises pour la période antérieure au 31 mai 2014, mais qu’elles devaient être versées à son ex-conjointe par prélèvement sur sa pension pour la période comprise entre le 1er juin 2014 et le 31 août 2017 en ce qui concerne les allocations pour enfant à charge et entre le 1er juin 2014 et le 31 juillet 2015 en ce qui concerne les allocations scolaires. Selon le même avis, à partir du 1er septembre 2017, les allocations pour enfant à charge devaient être versées directement au fils du requérant.

12      Le 18 janvier 2018, le requérant a introduit une réclamation contre cette décision en ce qu’elle concernait les allocations pour enfant à charge et les allocations scolaires ainsi que les retenues sur sa pension des sommes indues. La réclamation a été rejetée par la décision du 18 juin 2018.

13      Le 28 septembre 2018, le requérant a introduit auprès du Tribunal un recours, enregistré sous le numéro T‑593/18, visant à l’annulation de l’avis de modification no 15 et, « pour autant que de besoin », de la décision de « procéder à une répétition de l’indû de 1 589,16 euros, pour les mois de septembre, d’octobre et de novembre 2017, et de 4 815,16 euros, telle qu’elle [ressortait] du bulletin de pension de décembre 2017 ».

14      Le 19 novembre 2018, le Parlement a, sur le fondement de l’article 2, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, ordonné l’ouverture d’une enquête administrative à l’égard du requérant concernant la perception des allocations pour enfant à charge majorées durant la période comprise entre le 1er août 2015 et le 30 juin 2017.

15      Le 29 avril 2019, le requérant a été informé de l’élargissement de l’enquête administrative à la question de la perception des allocations scolaires entre 2010 et 2015.

16      Par une ordonnance du 17 juin 2019, BS/Parlement (T‑593/18, non publiée, EU:T:2019:425), le Tribunal a rejeté le recours du requérant comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

17      Le 26 septembre 2019, l’enquête administrative a été clôturée par un rapport concluant que, à défaut d’avoir été en mesure d’apporter les preuves de l’entretien effectif de son fils, il avait, pendant la période allant du 1er juin 2014 au 30 juin 2017, perçu les allocations pour enfant à charge majorées en violation des obligations prévues par les articles 11, 12 et 81 du statut. Selon le même rapport, le requérant avait également indûment perçu les allocations scolaires pour son fils entre 2010 et 2014, étant donné que celui-ci avait bénéficié d’une bourse d’études de l’État luxembourgeois pendant la même période, dont il n’avait pas fait état dans une déclaration sur l’honneur, du 26 janvier 2011, transmise à l’administration du Parlement. Le requérant était donc considéré comme ayant, en outre, manqué à l’article 68 du statut.

18      Le 29 août 2019, le requérant a introduit un pourvoi contre l’ordonnance du 17 juin 2019, BS/Parlement (T‑593/18, non publiée, EU:T:2019:425).

19      Par ordonnance du 15 janvier 2020, BS/Parlement (C‑642/19 P, non publiée, EU:C:2020:32), la Cour a rejeté le pourvoi comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.

20      Le 11 février 2020, à la suite de la conclusion de l’enquête administrative, le secrétaire général a saisi le conseil de discipline du Parlement en application de l’article 3, paragraphe 1, sous c), ii), de l’annexe IX du statut.

21      Le 8 mai 2020, le requérant a introduit une réclamation contre cette décision. Celle-ci a été rejetée le 17 septembre 2020.

22      Le 13 septembre 2021, le conseil de discipline a émis un avis motivé, qui a été notifié au requérant le 4 octobre 2021. Dans cet avis, le conseil de discipline a considéré que le requérant avait agi en violation des articles 11, 12, 68 et 81 du statut et a suggéré de lui infliger une sanction en application de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe IX du statut, consistant en une retenue de 300 euros sur le montant de sa pension de base pendant une période d’un an.

23      Par lettre du 21 décembre 2021, le secrétaire général a informé le requérant de son intention de lui infliger, à titre de sanction disciplinaire, une retenue de 600 euros mensuels sur sa pension pendant une année en raison de la violation des articles 11, 12 et 81 et de l’annexe VII du statut. Il l’a, en outre, invité à transmettre par écrit ses commentaires éventuels sur cette sanction, étant donné que, en raison des mesures sanitaires mises en place, l’audition prévue par l’article 22 de l’annexe IX du statut ne pouvait avoir lieu.

24      Dans un courrier du 10 février 2022, le requérant a formulé ses observations. S’agissant du droit d’être entendu, il a indiqué :

« À titre préalable, je rappelle que l’article 22 de l’annexe IX du statut prévoit l’audition du fonctionnaire auquel l’application d’une sanction est envisagée : supprimer cette audition pour la remplacer par la remise d’observations écrites, pour le motif de restriction sanitaire, est injustifié d’autant plus que le pic des contaminations liées au virus OMICRON-variant de la COVID 19 est actuellement dépassé, que l’obligation de télétravail est levée et que les audiences des juridictions de l’Union européenne ont toujours été maintenues en présentiel.

[…]

Toute la procédure […] repose […] sur le non-respect par l’administration d’une règle de procédure (la non-audition préalable de mon client) et d’une règle de preuve (la présomption d’innocence) qu’elle a cependant elle-même formulée. »

25      Par lettre du 5 mai 2022, le secrétaire général a demandé au requérant de lui communiquer ses commentaires sur la violation de l’article 68 du statut qui, à la suite d’une erreur de dactylographie, n’avait pas été mentionné dans la lettre du 21 décembre 2021, concernant la déclaration sur l’honneur relative à l’allocation versée par l’État luxembourgeois (voir point 17 ci-dessus).

26      Le requérant a complété ses observations sur ce point par la lettre du 18 mai 2022.

27      Le 15 juillet 2022, le secrétaire général a, dans la décision attaquée, infligé au requérant une retenue de 600 euros mensuels sur sa pension pendant une année, en application de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe IX du statut. Il a, en outre, décidé que cette décision serait insérée dans son dossier personnel.

28      Aux points 2 et 4 de cette décision, le secrétaire général a indiqué que « le défaut d’entretien financier [du fils du requérant], frappé d’un handicap à vie l’empêchant de subvenir à ses besoins, constituait en lui-même un comportement répréhensible et révélateur d’un manque de sensibilité à tout le moins », que « ce comportement [était] d’autant plus déplorable que [le requérant] recevait des allocations doublées financées par le budget de l’Union à de telles fins » et qu’il n’avait « manifesté aucun remords ni aucune compréhension du manquement à ses obligations jusqu’à ce moment ».

29      Par lettre du 13 octobre 2022, le requérant a introduit une réclamation contre la décision attaquée, dans laquelle il a réitéré le premier groupe des considérations qu’il avait émises dans le courrier du 10 février 2022 (voir point 24 ci-dessus).

30      Le 9 novembre 2022, le Parlement a émis un avis de modification selon lequel un montant de 600 euros par mois serait prélevé sur la pension de retraite du requérant du 15 juillet 2022 jusqu’au 14 juillet 2023.

31      Par courrier électronique du 13 janvier 2023, le requérant a été informé du fait que sa réclamation était en cours de traitement et que, en raison de changements organisationnels dans l’administration du Parlement ainsi que de la période des vacances de Noël, il se pouvait que, en raison d’un léger retard, la réponse à ladite réclamation ne lui arrive pas dans le délai de quatre mois prévu par l’article 90, paragraphe 1, du statut.

32      Le 13 février 2023, en l’absence de réponse du Parlement à cette réclamation à l’expiration du délai de quatre mois prévu par l’article 90, paragraphe 2, du statut, une décision implicite de rejet de la réclamation du requérant est intervenue conformément à cette même disposition.

33      Le 21 mars 2023, et donc postérieurement à l’introduction du présent recours, le Parlement a rejeté explicitement la réclamation du requérant.

 Conclusions des parties

34      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        ordonner le retrait de la décision attaquée de son dossier personnel ;

–        ordonner le remboursement des sommes prélevées au titre de la décision attaquée sur sa pension de retraite, assorties d’un intérêt moratoire depuis la date du premier prélèvement ;

–        condamner le Parlement à lui verser une indemnité de 50 000 euros pour le préjudice moral et financier qu’il lui a causé, y compris l’atteinte à la tranquillité de sa vie familiale alors qu’il devait au même moment soutenir son épouse atteinte d’une maladie grave ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

35      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande d’annulation de la décision attaquée  comme étant partiellement irrecevable et partiellement non fondée et, à titre subsidiaire, comme étant non fondée ;

–        rejeter la demande d’annulation de la « décision de procéder à la retenue de la somme de 600,00 euros par mois sur la pension de retraite du requérant à partir du 01.12.2022 » comme étant irrecevable et, subsidiairement, comme étant non fondée ;

–        rejeter comme irrecevable la demande visant à obtenir le retrait de la décision attaquée du dossier personnel du requérant ;

–        rejeter comme irrecevable la demande de remboursement des sommes prélevées sur la pension de retraite du requérant ;

–        rejeter la demande de réparation d’un préjudice matériel et moral comme non fondée ;

–        condamner le requérant à l’ensemble des dépens.

 En droit

 Sur la demande d’annulation de la décision attaquée

36      Le requérant invoque trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 2 de l’annexe VII du statut, le deuxième, de la violation du document intitulé « Conclusion no 274/15 adoptée par le collège des chefs d’administration le 25 février 2016 sur la notion d’entretien effectif de l’enfant à charge d’un fonctionnaire/agent au sens du statut (article 2, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut) » et, le troisième, de la violation de l’article 41, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

37      À l’audience, le requérant a déclaré qu’il se désistait de ses deux premiers moyens.

38      Le Tribunal limitera dès lors son examen au troisième moyen, tiré de la violation de l’article 41, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, selon lequel :

« 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union.

2. Ce droit comporte notamment :

a)      le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre[.] »

39      Le requérant estime, d’une part, que la décision attaquée viole son droit d’être entendu (premier grief) et, d’autre part, que, en adoptant cette décision, le secrétaire général a manqué à son devoir d’impartialité (second grief).

40      Le Parlement estime que le grief relatif au droit d’être entendu est irrecevable, parce qu’il ne satisfait pas aux conditions de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal, et que, en tout état de cause, il n’est pas fondé.

 Sur la recevabilité du grief relatif au droit d’être entendu

41      En ce qui concerne la recevabilité de ce premier grief, il résulte de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en application de l’article 53 dudit statut, ainsi que de l’article 76 du règlement de procédure que toute requête introductive d’instance doit indiquer de manière claire et précise l’objet du litige, les conclusions ainsi que l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cet exposé, même sommaire, doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Ainsi, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels sont fondés un recours et les moyens invoqués à son appui doivent ressortir à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir arrêt du 8 mai 2019, PT/BEI, T‑571/16, non publié, EU:T:2019:301, point 109 et jurisprudence citée).

42      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la requête, le requérant indique, après avoir reproduit l’article 41, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux :

« En l’espèce, la sanction a été décidée [le 15 juillet 2022] sans que le requérant n’ait été au préalable entendu, contrairement à ce qu’il avait sollicité. »

43      Cette formulation est certes concise. Elle permet néanmoins de comprendre que la violation du droit d’être entendu dont se plaint le requérant porte sur l’absence d’audition, compte tenu de ce que la décision attaquée fait référence, dans son sixième visa, à ses observations écrites.

44      De plus, il peut difficilement être exigé que le requérant conteste, dès le stade de la requête, les raisons pour lesquelles le Parlement a estimé qu’il pouvait se satisfaire d’observations écrites, dès lors que ces raisons n’étaient pas mentionnées dans la décision attaquée et qu’aucune information ne lui a été donnée à ce sujet entre l’adoption de cette décision et l’introduction de la requête.

45      Au vu de ces circonstances, il y a lieu de considérer que le grief relatif au droit d’être entendu est recevable.

 Sur le bien-fondé du grief relatif au droit d’être entendu

46      Quant au bien-fondé de ce grief, il importe de rappeler que la Cour a toujours affirmé l’importance du droit d’être entendu et sa portée très large dans l’ordre juridique de l’Union européenne, en considérant que ce droit devait s’appliquer à toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief (voir arrêt du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, point 85 et jurisprudence citée).

47      Le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (voir arrêt du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, point 87 et jurisprudence citée).

48      Le droit d’être entendu a notamment pour objet, afin d’assurer une protection effective de la personne concernée, que cette dernière puisse corriger une erreur ou faire valoir tels éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent dans le sens que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (arrêt du 11 décembre 2014, Boudjlida, C‑249/13, EU:C:2014:2431, point 37).

49      Le droit d’être entendu implique également que l’administration prête toute l’attention requise aux observations ainsi soumises par l’intéressé en examinant, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, point 88 et jurisprudence citée).

50      Le droit d’être entendu doit ainsi permettre à l’administration d’instruire le dossier de manière à prendre une décision en pleine connaissance de cause et de motiver cette dernière de manière appropriée, afin que, le cas échéant, l’intéressé puisse valablement exercer son droit de recours (voir, par analogie, arrêt du 11 décembre 2014, Boudjlida, C‑249/13, EU:C:2014:2431, point 59).

51      Enfin, l’existence d’une violation du droit d’être entendu doit être appréciée en fonction, notamment, des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 9 février 2017, M., C‑560/14, EU:C:2017:101, point 33 et jurisprudence citée).

52      En matière disciplinaire, le droit d’être entendu est rappelé à l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, dans ces termes :

« Après avoir entendu le fonctionnaire, l’autorité investie du pouvoir de nomination prend sa décision conformément aux articles 9 et 10 de la présente annexe, dans un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis du conseil [de discipline.] »

53      La Cour a déjà jugé que, en raison de la gravité des sanctions auxquelles pouvait conduire la procédure visée par l’annexe IX du statut, et compte tenu des termes employés, la disposition alors en vigueur, correspondant à l’article 22 de l’annexe IX du statut, était une disposition de droit strict (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1968, Van Eick/Commission, 35/67, EU:C:1968:39, p. 503 et 504, et du 20 septembre 2019, UZ/Parlement, T‑47/18, EU:T:2019:650, point 86).

54      L’article 4 de la même annexe précise en outre :

« Si, pour des raisons objectives, le fonctionnaire ne peut être entendu au titre des dispositions de la présente annexe, il peut être invité à formuler ses observations par écrit ou peut se faire représenter par une personne de son choix. »

55      Il résulte clairement de ces deux dispositions que ce n’est que lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») ne peut pas, pour des raisons objectives, auditionner la personne sur le point d’être sanctionnée qu’elle peut se contenter d’observations écrites de celle-ci.

56      Si besoin en était, cette hiérarchie entre l’audition et la transmission d’observations écrites a été confirmée par le Tribunal dans l’arrêt du 24 novembre 2021, CX/Commission (T‑743/16 RENV II, non publié, EU:T:2021:824). Au point 211 de cet arrêt, le Tribunal a en effet rappelé que, en application des dispositions combinées de l’article 4 et de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, le droit d’être entendu du fonctionnaire par l’AIPN pouvait s’exercer selon trois modalités différentes, dont chacune était a priori suffisante, les deux dernières modalités étant prévues pour les cas dans lesquels, pour des raisons objectives, le fonctionnaire ne pouvait personnellement être entendu : par la comparution personnelle du fonctionnaire devant l’AIPN, par la représentation du fonctionnaire poursuivi par le conseil de son choix et par la présentation d’observations écrites.

57      La possibilité pour le requérant de se faire représenter par son avocat lors de l’audition devant le secrétaire général n’est pas en cause dans la présente espèce.

58      En revanche, dans son courrier du 21 décembre 2021 et la réponse à la mesure d’organisation de la procédure qui lui a été adressée par le Tribunal, le Parlement a invoqué, pour justifier le remplacement de l’audition du requérant par une demande d’observations écrites, les mesures de restrictions sanitaires mises en place pour réduire les risques de contamination liés à la COVID-19.

59      Pour établir l’existence de ces mesures, le Parlement a produit, en annexe à sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure décidée par le Tribunal, trois documents :

–        un courriel du secrétaire général du 18 novembre 2021, faisant part au personnel de l’administration de sa décision « d’introduire le télétravail “maximum” pour tous les collègues dans l’administration, pour autant que cela soit compatible avec l’exercice de leurs fonctions ». Selon les déclarations du Parlement à l’audience, cette décision est demeurée en vigueur jusqu’au 14 mars 2022 ;

–        une décision du président du Parlement, du 19 novembre 2021, relative à des mesures extraordinaires permettant au Parlement d’assurer la continuité de ses activités et d’exercer les prérogatives qui lui sont conférées par les traités ;

–        une décision du président du Parlement, du 15 décembre 2021, portant le même intitulé que la précédente et abrogeant celle-ci. Cette décision est restée applicable jusqu’au 23 janvier 2022. Lors de l’audience, le Parlement a indiqué que lesdites mesures avaient été allégées en mars 2022 et supprimées le 1er mai 2022.

60      Force est de constater que ces documents ne prouvent pas que, en l’espèce, le secrétaire général était dans l’impossibilité de procéder à une audition du requérant, de quelque façon que ce soit, avant d’adopter la décision attaquée.

61      D’une part, les décisions du président du Parlement des 19 novembre et 15 décembre 2021 concernent l’introduction, puis le maintien d’un régime permettant aux députés de participer à distance aux débats et aux votes en plénière ainsi que dans les commissions. Ces mesures, relatives au travail d’une assemblée, ne concernent pas des contacts individuels susceptibles d’avoir lieu entre un membre de l’administration du Parlement et l’un de ses fonctionnaires.

62      D’autre part, le courriel du secrétaire général du 18 novembre 2021 fait référence à une décision qui n’est pas produite. De plus, en réponse à la mesure d’organisation de la procédure, le Parlement a expliqué que le régime de télétravail « maximum » auquel ce courriel faisait référence consistait en trois jours de travail à domicile. Par ailleurs, dans ledit courriel, le télétravail est soumis à la condition qu’il soit compatible avec l’exercice des fonctions des intéressés. La décision du secrétaire général n’interdisait donc pas des rencontres au sein des locaux du Parlement, si elles étaient nécessaires, pour autant qu’elles soient organisées d’une façon conforme aux restrictions sanitaires.

63      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le Parlement n’a pas démontré qu’il était impossible, pour le secrétaire général, de procéder à l’audition imposée par l’article 22 de l’annexe IX du statut, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 53 ci-dessus, constitue une règle de droit strict.

64      L’absence d’audition du requérant est d’autant plus regrettable que le secrétaire général aurait pu remédier à celle-ci lorsque, le 5 mai 2022, il lui a demandé un complément d’observations. En effet, à cette date, les mesures décrites au point 59 ci-dessus étaient levées.

65      Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que la décision attaquée a été prise au terme d’une procédure irrégulière, en méconnaissance du droit d’être entendu du requérant.

66      Selon la jurisprudence, pour que la violation du droit d’être entendu puisse aboutir à l’annulation de la décision en cause, il est encore nécessaire d’examiner si, en l’absence de cette irrégularité, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent (voir arrêt du 6 février 2007, Wunenburger/Commission, T‑246/04 et T‑71/05, EU:T:2007:34, point 149 et jurisprudence citée). Pour établir que tel est le cas, la partie requérante doit expliquer quels sont les arguments et les éléments qu’elle aurait fait valoir si son droit d’être entendue avait été respecté et démontrer, le cas échéant, que ces arguments et éléments auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 107).

67      L’appréciation de cette question doit être effectuée en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de chaque espèce (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 107 et jurisprudence citée).

68      À cet égard, le Parlement a exposé à l’audience que le requérant avait été entendu, par écrit ou oralement, à de nombreuses reprises au cours de la procédure administrative ayant donné lieu à l’avis de modification no 15 et à des stades antérieurs de la procédure disciplinaire, de sorte que, s’il avait été auditionné par le secrétaire général, il n’aurait pas pu développer d’arguments nouveaux susceptibles d’avoir un impact sur le contenu de la décision attaquée.

69      Le requérant a répondu que, au contraire, s’il avait été auditionné par le secrétaire général, il aurait pu expliquer le contexte dans lequel les événements de la présente affaire s’étaient produits, ce qui aurait donné une autre image de sa personne et un autre éclairage sur ces événements et les relations qu’il entretenait avec son fils. Partant, s’il avait convaincu le secrétaire général, la décision attaquée aurait été exempte des jugements moraux qu’elle contient.

70      À cet égard, il y a lieu de relever que le secrétaire général a, dans la décision attaquée, non seulement doublé le montant de la sanction disciplinaire infligée au requérant par rapport à celle suggérée par le conseil de discipline, mais en outre qualifié « le défaut d’entretien financier de son fils, frappé d’un handicap à vie l’empêchant de subvenir à ses besoins » de « répréhensible et révélateur d’un manque de sensibilité à tout le moins ». Il a également qualifié la déclaration sur l’honneur concernant la bourse du gouvernement luxembourgeois de « négligence particulièrement grave et grossière ».

71      Compte tenu du caractère subjectif et donc, par nature, modifiable des jugements de valeur auxquels s’apparentent de telles appréciations, il ne saurait être raisonnablement exclu que, si le requérant avait été auditionné par le secrétaire général, ces appréciations n’auraient pas figuré dans la décision attaquée et que la sanction décidée par celui-ci n’aurait pas été aggravée et qu’elle aurait peut-être même été diminuée par rapport à celle suggérée par le conseil de discipline.

72      Il s’ensuit que, en l’absence de l’illégalité constatée au point 65 ci-dessus, la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent.

73      Par conséquent, sans qu’il y ait lieu d’examiner le grief relatif au manque d’impartialité du secrétaire général, il convient d’accueillir le troisième moyen et, partant, d’annuler la décision attaquée.

 Sur la demande de retrait de la décision attaquée du dossier personnel du requérant et sur la demande de remboursement des sommes prélevées au titre de la décision attaquée sur la pension de retraite du requérant

74      Ainsi qu’il résulte du point 34 ci-dessus, le requérant demande au Tribunal d’enjoindre au Parlement de retirer la décision attaquée de son dossier personnel et de rembourser les sommes prélevées au titre de cette décision sur sa pension de retraite, assorties d’un intérêt moratoire depuis la date du premier prélèvement.

75      À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE et de l’article 91 du statut, le juge de l’Union n’est pas compétent pour adresser des injonctions à l’administration. En effet, en cas d’annulation d’un acte, l’institution concernée est tenue, en vertu de l’article 266 TFUE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt (voir arrêt du 9 juin 2021, Lianopoulou/Commission, T‑880/19, non publié, EU:T:2021:325, point 28 et jurisprudence citée).

76      Le retrait de la décision attaquée du dossier personnel du requérant et le remboursement des sommes prélevées sur sa pension de retraite constituent des mesures d’exécution de l’annulation décidée au point 73 ci-dessus. C’est en conséquence au Parlement qu’il revient de les adopter.

77      Par conséquent, les demandes portant sur lesdites mesures doivent être rejetées en raison de l’incompétence du Tribunal à en connaître.

 Sur la demande indemnitaire

78      Le requérant demande la condamnation du Parlement à lui payer une indemnité de 50 000 euros au titre du préjudice moral et financier qu’il aurait subi du fait de la décision attaquée, y compris l’atteinte à la tranquillité de sa vie familiale alors qu’il devait au même moment soutenir son épouse atteinte d’une maladie grave.

79      Le Parlement conteste cette demande.

80      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, pour satisfaire aux exigences de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier, notamment, le préjudice que la partie requérante prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du 16 avril 2015, Milković/Commission, T‑746/14, non publiée, EU:T:2015:219, point 9 et jurisprudence citée).

81      Or, en l’espèce, le requérant s’est contenté d’insérer dans les conclusions et le dispositif de la requête les indications reprises au point 78 ci-dessus sans fournir, dans le corps de ce document, le moindre élément permettant d’apprécier le bien-fondé de la demande qu’il avançait.

82      En particulier, il n’est pas possible de déterminer, à la lecture de la requête, en quoi consistent, d’une part, le préjudice matériel allégué et, d’autre part, le préjudice moral qui aurait été subi par le requérant et en quoi ces deux préjudices se distinguent l’un de l’autre.

83      Il y a donc lieu de considérer que la demande indemnitaire du requérant est irrecevable.

 Sur les dépens

84      Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

85      Le recours ayant été partiellement accueilli, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du secrétaire général du Parlement européen du 15 juillet 2022 infligeant une retenue de 600 euros mensuels sur la pension de M. Angel Angelidis pendant une année en application de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe IX du statut des fonctionnaires de l’Union européenne est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Porchia

Madise

Nihoul

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 mai 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.


1      Données confidentielles occultées.