Language of document : ECLI:EU:T:2002:112

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

3 mai 2002 (1)

«Pêche - Règlement (CE) n° 1162/2001 - Reconstitution du stock de merlu - Société d'armement à la pêche - Recours en annulation - Personne individuellement concernée - Recevabilité»

Dans l'affaire T-177/01,

Jégo-Quéré et Cie SA, établie à Lorient (France), représentée par Mes A. Creus Carreras, B. Uriarte Valiente et A. Agustinoy Guilayn, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. T. van Rijn et A. Bordes, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation des articles 3, sous d), et 5 du règlement (CE) n° 1162/2001 de la Commission, du 14 juin 2001, instituant des mesures visant à reconstituer le stock de merlu dans les sous-zones CIEM III, IV, V, VI et VII et les divisions CIEM VIII a, b, d et e ainsi que les conditions associées pour le contrôle des activités des navires de pêche (JO L 159, p. 4),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, K. Lenaerts, J. Azizi, N. J. Forwood et H. Legal, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 16 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique et factuel

1.
    Le règlement (CEE) n° 3760/92 du Conseil, du 20 décembre 1992, instituant un régime communautaire de la pêche et de l'aquaculture (JO L 389, p. 1), modifié, prévoit, en son article 15, la possibilité pour la Commission de prendre des mesures d'urgence lorsque la conservation des ressources halieutiques est menacée par des perturbations graves et imprévues.

2.
    Au mois de décembre 2000, la Commission et le Conseil, alertés par le Conseil international pour l'exploitation de la mer (CIEM), ont estimé urgent de mettre en place un plan de reconstitution du stock de merlu.

3.
    Le règlement (CE) n° 1162/2001 de la Commission, du 14 juin 2001, instituant des mesures visant à reconstituer le stock de merlu dans les sous-zones CIEM III, IV, V, VI et VII et les divisions CIEM VIII a, b, d et e ainsi que les conditions associées pour le contrôle des activités des navires de pêche (JO L 159, p. 4, ci-après le «règlement»), adopté en conséquence, a pour finalité principale de réduire immédiatement les prises de merlu juvénile. Il s'applique aux navires de pêche opérant dans les zones qu'il définit et leur impose un maillage minimal, variant selon les zones, pour les différentes techniques de pêche au filet, quelle que soit l'espèce ciblée par le navire concerné. Le dispositif ne concerne pas les navires de moins de douze mètres effectuant des sorties de 24 heures au plus.

4.
    S'agissant des dispositions pertinentes dans le présent litige (ci-après les «dispositions attaquées»), l'article 3, sous d), du règlement interdit «tout filet remorqué de fond auquel est attaché un cul de chalut de maillage inférieur à 100 mm autrement que par une couture dans la partie du filet précédant le cul». Quant à l'article 5 du règlement, il définit, en son paragraphe 1, les zones géographiques dans lesquelles les dispositions du règlement sont applicables et précise, en son paragraphe 2, pour l'ensemble de ces zones, les interdictions concernant l'usage, l'immersion et le déploiement des filets remorqués, selon leur maillage, et les obligations concernant leur arrimage et leur rangement ainsi que, pour chacune de ces zones, les interdictions concernant l'usage, l'immersion et le déploiement des engins fixes, selon leur maillage, et les obligations concernant leur arrimage et leur rangement. S'agissant des filets remorqués, les interdictions s'appliquent aux maillages compris entre 55 et 99 mm; s'agissant des engins fixes, elles s'appliquent, selon les zones, aux maillages inférieurs à 100 ou à 120 mm.

5.
    Jégo-Quéré et Cie SA (ci-après la «société Jégo-Quéré» ou la «requérante») est une société d'armement à la pêche établie en France et exerçant de façon permanente au sud de l'Irlande, dans la zone CIEM VII visée par l'article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement, une activité de pêche ciblée sur le merlan, espèce qui représente en moyenne 67,3 % de ses captures. Elle possède quatre navires de plus de 30 mètres et utilise des filets d'un maillage de 80 mm.

Procédure

6.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 août 2001, la société Jégo-Quéré a introduit, sur le fondement de l'article 230, quatrième alinéa, CE, un recours tendant à l'annulation des articles 3, sous d), et 5 du règlement.

7.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 30 octobre 2001, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 14 décembre 2001.

8.
    Par décision du Tribunal du 14 mars 2002, l'affaire a été attribuée à la première chambre élargie.

9.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale aux fins de statuer sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la défenderesse.

10.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience du 16 avril 2002.

Conclusions des parties

11.
    Dans son exception d'irrecevabilité, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-     rejeter le recours comme irrecevable;

-     condamner la requérante aux dépens.

12.
    Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-     joindre l'exception à la procédure au principal ou, à titre subsidiaire, à la suite de la procédure orale, déclarer le recours recevable;

-     condamner la Commission aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

13.
    La Commission soulève une exception d'irrecevabilité fondée sur la circonstance que la société Jégo-Quéré n'est pas individuellement concernée, au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE, par le règlement et n'a donc pas qualité pour former un recours en annulation contre les dispositions attaquées.

14.
    La Commission soutient que le règlement a une portée générale, notamment en ce qui concerne les dispositions attaquées qui ne prévoient aucune dérogation. Elle renvoie sur ce point à la jurisprudence selon laquelle des dispositions, qui s'appliquent à des situations déterminées objectivement et comportent des effets juridiques à l'égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, sont de nature réglementaire, indépendamment de la circonstance qu'elles puissent concerner individuellement certains opérateurs économiques (arrêts du Tribunal, du 21 février 1995, Campo Ebro e.a./Conseil, T-472/93, Rec. p. II-421, points 31 et 32, et du 22 février 2000, ACAV e.a./Conseil, T-138/98, Rec. p. II-341, point 60). La défenderesse ajoute que les dérogations prévues par le règlement, qui ne font pas l'objet du présent recours, ont également une portée générale et ne constituent aucunement un «faisceau de décisions individuelles» (au sens des arrêts de la Cour, du 13 mai 1971, International Fruit Company e.a./Commission, 41/70 à 44/70, Rec. p. 411, point 21, et du 6 novembre 1990, Weddel/Commission, C-354/87, Rec. p. I-3847, point 23).

15.
    La Commission fait valoir que la société Jégo-Quéré n'est pas individuellement concernée par les dispositions attaquées car la prohibition générale des maillages inférieurs à une certaine taille s'applique à tous les opérateurs pêchant en mer celtique, quelle que soit l'espèce recherchée. Elle souligne qu'une partie seulement de la zone CIEM VII est concernée par l'article 5 du règlement et que l'article 6 du règlement permet, sous réserve de contrôles, l'utilisation de filets de maillage compris entre 70 et 99 mm. La défenderesse estime que la situation particulière de la requérante n'est, par conséquent, nullement individualisée par ces mesures qui visent une pêche qu'elle ne pratique pas, touchent de manière identique les opérateurs pêchant d'autres espèces que le merlu et laissent non affectée par l'élargissement du maillage une partie du champ d'application géographique du règlement sur laquelle aucune contrainte ne s'applique à la pêche du merlan. La Commission indique que la dimension des navires de la société Jégo-Quéré et la circonstance que les opérateurs de tous les États membres ne sont pas également affectés par le règlement sont des éléments de fait sans pertinence pour établir l'affectation individuelle de la requérante.

16.
    La Commission ajoute qu'aucune disposition de rang supérieur, en ce compris l'article 33 CE relatif aux objectifs de la politique agricole commune, ne lui imposait, pour l'édiction du règlement, et à la différence de la situation envisagée dans l'arrêt de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, Rec. p. 207, point 28), de prendre en considération la situation particulière de la requérante.

17.
    La Commission considère, en outre, que l'irrecevabilité résulte du système des voies de recours organisé par le traité et que la société Jégo-Quéré n'est pas démunie d'accès au juge, la procédure en responsabilité non contractuelle prévue par les articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE lui restant ouverte (ordonnance du Tribunal du 19 septembre 2001, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, T-54/00 et T-73/00, Rec. p. II-2691, point 85).

18.
    La société Jégo-Quéré se présente comme le principal armateur opérant au sud de l'Irlande, dans la zone CIEM VII visée par le règlement, et la seule société pratiquant, de manière permanente, une pêche ciblée sur le merlan dans la mer celtique avec des navires de plus de 30 mètres. Elle indique qu'elle ne réalise que des prises infimes de merlu tandis que le merlan constitue une part essentielle de son activité et que l'élargissement du maillage des filets imposé par les dispositions attaquées aura pour effet de diminuer considérablement ses prises de merlans de petite taille et de la pénaliser, même en dehors des secteurs visés par le règlement où elle pêche également, car le dispositif ne permet pas de porter à bord les deux types de mailles. Elle soutient que les dispositions attaquées, selon elle illégales car adoptées en violation du principe de proportionnalité, du principe d'égalité et de l'obligation de motivation, affectent sensiblement son activité économique.

19.
    La société Jégo-Quéré soutient que le règlement, outre qu'il affecte différemment les États membres, n'a pas de portée générale. Il contient, selon la requérante, plusieurs décisions adaptées aux cas spécifiques de différents armateurs des États membres et s'analyse ainsi en un «faisceau de décisions individuelles» au sens des arrêts International Fruit Company e.a./Commission et Weddel/Commission, cités au point 14 ci-dessus. La société Jégo-Quéré ajoute que les situations spécifiques ainsi établies ne répondent pas à des différences objectives et ne sont pas justifiées par la finalité de protection du merlu poursuivie par le règlement.

20.
    La société Jégo-Quéré fait valoir que sa situation était suffisamment individualisée et connue de la Commission, dont l'attention avait été appelée sur les incidences que les mesures envisagées étaient susceptibles d'avoir pour l'activité des chalutiers français pêchant le merlan dans les eaux au sud et à l'ouest de l'Irlande. La requérante estime, en outre, que la Commission, avait l'obligation de tenir compte des conséquences préjudiciables que la réglementation projetée aurait pour elle et que la Commission aurait dû prévoir des mesures spéciales, comme elle l'a fait pour les opérateurs ciblant d'autres espèces que le merlan, en adoptant des dispositions adaptées à ces cas spécifiques.

21.
    La société Jégo-Quéré soutient qu'une irrecevabilité de son recours en annulation la priverait de voie de droit dès lors qu'il n'existe pas d'acte adopté au niveau national susceptible d'être attaqué en justice et, invoquant l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), elle invite le Tribunal à faire, à la lumière de cette disposition, une interprétation large de l'article 230 CE.

Appréciation du Tribunal

22.
    Aux termes de l'article 230, quatrième alinéa, CE, «[t]oute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement».

23.
    La société Jégo-Quéré cherche à obtenir l'annulation des articles 3, sous d), et 5 du règlement. Ces dispositions imposent aux navires de pêche opérant dans certaines zones déterminées un maillage minimal pour les différentes techniques de pêche au filet. Contrairement à ce que soutient la requérante, ces dispositions s'adressent en termes abstraits à des catégories de personnes indéterminées et s'appliquent à des situations définies objectivement (voir, notamment, arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Abertal e.a./Commission, C-213/91, Rec. p. I-3177, point 19, et ordonnance du Tribunal du 29 juin 1995, Cantina cooperativa fra produttori vitivinicoli di Torre di Mosto e.a./Commission, T-183/94, Rec. p. II-1941, point 51).

24.
    Par conséquent, les dispositions attaquées ont, par leur nature, une portée générale.

25.
    Il importe cependant d'examiner si, malgré leur portée générale, la requérante peut néanmoins être considérée comme directement et individuellement concernée par les dispositions attaquées. Il ressort, en effet, d'une jurisprudence constante que la portée générale d'une disposition n'exclut pas pour autant qu'elle puisse concerner directement et individuellement certains opérateurs économiques intéressés (arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358/89, Rec. p. I-2501, points 13 et 14, du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, point 19, et du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C-451/98, Rec. p. I-8949, point 46; arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Emesa Sugar/Conseil, T-43/98, Rec. p. II-0000, point 47).

26.
    Force est de constater que la condition d'affectation directe est satisfaite dans le cas d'espèce. En effet, l'affectation directe requiert que la mesure communautaire incriminée produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et qu'elle ne laisse aucun pouvoir d'appréciation aux destinataires de cette mesure qui sont chargés de sa mise en oeuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire sans application d'autres règles intermédiaires (arrêt de la Cour du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C-386/96 P, Rec. p. I-2309, point 43, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T-198/95, T-171/96, T-230/97, T-174/98 et T-225/99, Rec. p. II -1975, point 96). Or, les dispositions attaquées n'appellent, pour produire leurs effets à l'égard de la requérante, l'adoption d'aucune mesure complémentaire, communautaire ou nationale.

27.
    S'agissant, ensuite, du point de savoir si la requérante est individuellement concernée au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constamment réitérée depuis l'arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197, 223), une personne physique ou morale ne saurait prétendre être considérée comme individuellement concernée par un acte dont elle n'est pas le destinataire que si l'acte en cause l'atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l'individualise d'une manière analogue à celle dont le serait le destinataire.

28.
    Il convient donc d'examiner si, à la lumière de cette jurisprudence, la requérante peut être considérée comme étant individuellement concernée par les dispositions attaquées.

29.
    À cet égard, la requérante souligne tout d'abord qu'elle est le seul armateur pêchant le merlan dans les eaux au sud de l'Irlande avec des navires de plus de 30 mètres dont les captures se trouvent fortement diminuées du fait de l'application des dispositions attaquées.

30.
    Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à individualiser la requérante au sens de la jurisprudence évoquée au point 27 ci-dessus, dès lors que les dispositions attaquées ne la concernent qu'en raison de sa qualité objective de pêcheur de merlan utilisant une certaine technique de pêche dans une zone déterminée, au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant, actuellement ou potentiellement, dans une situation identique (voir, en ce sens, arrêt Abertal e.a./Commission, cité au point 23 ci-dessus, point 20, et arrêt ACAV e.a./Conseil, cité au point 14 ci-dessus, point 65).

31.
    La requérante soutient ensuite qu'il ressort de l'article 33 CE que la Commission était légalement tenue d'examiner sa position particulière avant d'adopter les dispositions attaquées.

32.
    En effet, la circonstance que la Commission a l'obligation, en vertu de dispositions spécifiques, de tenir compte des conséquences de l'acte qu'elle envisage d'adopter sur la situation de certains particuliers peut être de nature à individualiser ces derniers (arrêts de la Cour Piraiki-Patraiki e.a./Commission, cité au point 16 ci-dessus, points 21 et 28; du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, point 11; du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission, C-390/95 P, Rec. p. I-769, points 25 à 30; arrêts du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T-480/93 et T-483/93, Rec. p. II-2305, point 67, et du 17 janvier 2002, Rica Foods/Commission, T-47/00, Rec. p. II-0000, point 41).

33.
    Force est toutefois de constater que l'article 33 CE, qui énonce la finalité et les principes de la politique agricole commune, n'impose à la Commission aucune obligation de tenir compte de la situation particulière d'entreprises individuelles, telles que la requérante, lorsqu'elle adopte des mesures relevant de ce domaine.

    

34.
    La requérante se réfère encore à des réunions qui auraient eu lieu entre elle et les services de la Commission au cours de la procédure qui a précédé l'adoption du règlement.

    

35.
    Toutefois, le fait qu'une personne intervienne, d'une manière ou d'une autre, dans le processus menant à l'adoption d'un acte communautaire n'est de nature à individualiser cette personne par rapport à l'acte en question que lorsque la réglementation communautaire applicable lui accorde certaines garanties de procédure (arrêt Rica Foods/Commission, cité au point 32 ci-dessus, point 55).

36.
    Or, dans le cas d'espèce, aucune disposition de droit communautaire n'imposait à la Commission, pour adopter le règlement, de suivre une procédure dans le cadre de laquelle la requérante aurait eu le droit de revendiquer d'éventuels droits, dont celui d'être entendue (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 7 février 2001, Sociedade Agrícola dos Arinhos e.a./Commission, T-38/99 à T-50/99, Rec p. II-585, point 48).

37.
    Par ailleurs, la requérante n'a apporté aucun élément dont il ressortirait que les dispositions attaquées l'affectent en raison d'une situation particulière telle que l'une de celles identifiées par la Cour dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point 25 ci-dessus, Extramet Industrie/Conseil, point 17, et Codorniu/Conseil, points 21 et 22.

38.
    Il résulte donc de ce qui précède que la requérante ne peut pas être considérée comme étant individuellement concernée au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE, sur la base des critères jusqu'à présent dégagés par la jurisprudence communautaire.

39.
    La requérante souligne toutefois qu'une irrecevabilité opposée au présent recours la priverait de toute voie de droit pour contester la légalité des dispositions attaquées. En effet, le règlement ne prévoyant l'adoption par les États membres d'aucune mesure d'exécution, la requérante ne disposerait, en l'espèce, d'aucun recours devant les juridictions nationales.

40.
    La Commission estime, en revanche, que la requérante n'est pas démunie d'accès au juge, le recours en responsabilité non contractuelle prévu aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE restant ouvert.

41.
    À cet égard, il doit être rappelé que la Cour elle-même a affirmé que l'accès au juge est un des éléments constitutifs d'une communauté de droit et qu'il est garanti dans l'ordre juridique fondé sur le traité CE du fait que celui-ci a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23). La Cour fonde sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres et sur les articles 6 et 13 de la CEDH le droit à un recours effectif devant une juridiction compétente (voir arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18).

42.
    Le droit à un recours effectif pour toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a, en outre, été réaffirmé par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1).

43.
    Il convient donc d'examiner si, dans une affaire comme celle de l'espèce, dans le cadre de laquelle la légalité de dispositions de portée générale affectant directement la situation juridique d'un particulier est contestée par celui-ci, l'irrecevabilité du recours en annulation priverait la requérante du droit à un recours effectif.

    

44.
    À cet égard, il doit être rappelé que, outre le recours en annulation, il existe deux autres voies de recours permettant à un particulier de saisir le juge communautaire, seul compétent à cette fin, en vue de faire constater l'illégalité d'un acte communautaire, à savoir le recours devant le juge national avec renvoi préjudiciel devant la Cour conformément à l'article 234 CE et le recours en responsabilité non contractuelle de la Communauté prévue aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE.

45.
    Toutefois, quant au recours devant le juge national avec renvoi préjudiciel devant la Cour conformément à l'article 234 CE, il doit être souligné que, dans un cas comme celui de l'espèce, il n'existe pas de mesures d'exécution susceptibles de constituer le fondement d'une action devant les juridictions nationales. Le fait qu'un particulier affecté par une mesure communautaire puisse en contester la validité devant les juridictions nationales, en violant les dispositions prévues par ladite mesure et en se prévalant de l'illégalité de celles-ci dans le cadre de procédures judiciaires ouvertes à son encontre, ne lui offre pas une protection juridictionnelle adéquate. En effet, il ne peut être demandé à des particuliers d'enfreindre la loi afin de pouvoir accéder à la justice (voir conclusions de l'avocat général M. Jacobs du 21 mars 2002 dans l'affaire Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C-50/00 P, non encore publiées au Recueil, point 43).

46.
    La voie de l'action en réparation fondée sur la responsabilité non contractuelle de la Communauté n'apporte pas, dans un cas comme celui de l'espèce, de solution satisfaisante aux intérêts du justiciable. Elle ne peut en effet aboutir à faire écarter de l'ordre juridique communautaire un acte pourtant considéré, par hypothèse, comme illégal. Présupposant la réalisation d'un dommage directement causé par l'application de l'acte litigieux, elle est soumise à des conditions de recevabilité et de fond différentes de celles régissant le recours en annulation et elle ne place donc pas le juge communautaire en situation d'exercer, dans toute sa dimension, le contrôle de légalité qu'il a la mission de mener à bien. En particulier, lorsqu'une mesure de portée générale, telle que les dispositions attaquées en l'espèce, est mise en cause dans le contexte d'une telle action, le contrôle exercé par le juge communautaire ne s'étend pas à tous les éléments susceptibles d'affecter la légalité de cette mesure, mais se borne à sanctionner les violations suffisamment caractérisées de règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, Rec. p. I-5291, points 41 à 43; arrêt du Tribunal du 23 octobre 2001, Dieckmann & Hansen/Commission, T-155/99, Rec. p. II-0000, points 42 et 43; voir également, pour un cas de violation non suffisamment caractérisée, arrêt de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, points 18 et 19, et, pour un cas dans lequel la règle invoquée n'a pas pour objet de conférer des droits aux particuliers, arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission, T-196/99, Rec. p. II-0000, point 43).

47.
    Sur la base de ce qui précède, force est de conclure que les procédures prévues aux articles 234 CE, d'une part, et 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE, d'autre part, ne peuvent plus être considérées, à la lumière des articles 6 et 13 de la CEDH et de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux, comme garantissant aux justiciables un droit de recours effectif leur permettant de contester la légalité de dispositions communautaires de portée générale qui affectent directement leur situation juridique.

48.
    Certes, une telle circonstance ne saurait autoriser une modification du système des voies de recours et des procédures établi par le traité et destiné à confier au juge communautaire le contrôle de la légalité des actes des institutions. En aucun cas, elle ne permet de déclarer recevable un recours en annulation formé par une personne physique ou morale qui ne satisfait pas aux conditions posées par l'article 230, quatrième alinéa, CE [voir ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C-300/00 P (R), Rec. p. I-8797, point 37].

    

49.
    Il convient toutefois de souligner que, comme l'a relevé l'avocat général M. Jacobs dans ses conclusions dans l'affaire Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (citées au point 45 ci-dessus, point 59), aucun argument impérieux ne permet de soutenir que la notion de personne individuellement concernée au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE comporte l'obligation pour un particulier désireux de contester une mesure de portée générale d'être individualisé d'une manière analogue à celle dont le serait un destinataire.

50.
    Dans ces conditions, et en tenant compte du fait que le traité CE a institué un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier au juge communautaire le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt Les Verts/Parlement, cité au point 41 ci-dessus, point 23), il y a lieu de reconsidérer l'interprétation stricte, jusqu'à présent retenue, de la notion de personne individuellement concernée au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE.

51.
    Au vu de ce qui précède, et afin d'assurer une protection juridictionnelle effective des particuliers, une personne physique ou morale doit être considérée comme individuellement concernée par une disposition communautaire de portée générale qui la concerne directement si la disposition en question affecte, d'une manière certaine et actuelle, sa situation juridique en restreignant ses droits ou en lui imposant des obligations. Le nombre et la situation d'autres personnes également affectées par la disposition ou susceptibles de l'être ne sont pas, à cet égard, des considérations pertinentes.

52.
    En l'espèce, la société Jégo-Quéré se voit effectivement imposer des obligations par les dispositions attaquées. En effet, la requérante, dont les navires sont couverts par le champ d'application du règlement, exerce des activités de pêche dans une des zones dans lesquelles les activités de pêche sont soumises, par les dispositions attaquées, à des obligations précises relatives au maillage des filets à utiliser.

53.
    Il s'ensuit que la requérante est individuellement concernée par les dispositions attaquées.

54.
    Dès lors que la requérante est également directement concernée par les dispositions attaquées (voir point 26 ci-dessus), il y a lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission et d'ordonner la poursuite de la procédure.

Sur les dépens

55.
    Il y a lieu de réserver les dépens jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond du litige.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

déclare et arrête:

1)    L'exception d'irrecevabilité est rejetée.

2)    La procédure est poursuivie au fond.

3)    Les dépens sont réservés.

Vesterdorf
Lenaerts
Azizi

            Forwood                        Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 mai 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.