Language of document : ECLI:EU:T:2000:210

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

19 septembre 2000 (1)

«Bananes - Importations des États ACP et des pays tiers - Demande d'octroi de certificats d'importation supplémentaires - Cas de rigueur excessive - Mesures transitoires - Article 30 du règlement (CEE) n° 404/93 - Limitation des dommages - Recours en annulation»

Dans l'affaire T-252/97,

Anton Dürbeck GmbH, établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représentée par Me G. Meier, avocat à Cologne, Berrenrather Straße 313, Cologne (Allemagne),

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. K.-D. Borchardt et H. van Vliet, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d'Espagne, représenté par Mme R. Silva de Lapuerta, abogado del Estado, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Espagne, 4-6, boulevard Emmanuel Servais,

et par

République française, représentée par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur du droit international économique et du droit communautaire à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et C. Vasak, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d'annulation partielle de la décision de la Commission du 10 juillet 1997 relative à l'adoption de mesures transitoires en faveur de la requérante dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de M. R. García-Valdecasas, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 9 novembre 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1), a, au titre IV, substitué un régime commun des échanges avec les pays tiers aux différents régimes nationaux.

2.
    Aux termes de l'article 17, premier alinéa, du règlement n° 404/93:

«Toute importation de bananes dans la Communauté est soumise à la présentation d'un certificat d'importation délivré par les États membres à tout intéressé qui en fait la demande, quel que soit le lieu de son établissement dans la Communauté, sans préjudice des dispositions particulières prises pour l'application des articles 18 et 19.»

3.
    L'article 18, paragraphe 1, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement (CE) n° 3290/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de l'agriculture pour la mise en oeuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay (JO L 349, p. 105), prévoyait qu'un contingent tarifaire de 2,1 millions de tonnes/poids net serait ouvert pour l'année 1994 et de 2,2 millions de tonnes/poids net pour les années suivantes, pour les importations de bananes en provenance des pays tiers autres que les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) (ci-après les «bananes pays tiers») et les importations non traditionnelles de bananes en provenance des États ACP (ci-après les «bananes non traditionnelles ACP»). Dans le cadre de ce contingent, les importations de bananes pays tiers étaient soumises à un droit de 75 écus par tonne et celles de bananes non traditionnelles ACP à un droit nul.

4.
    L'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 404/93 opérait une répartition du contingent tarifaire, l'ouvrant à concurrence de 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A), 30 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui avaient commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C).

5.
    D'après l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 404/93:

«Sur la base de calculs séparés pour chacune des catégories d'opérateurs visés au paragraphe 1 [...] chaque opérateur obtient des certificats d'importation en fonction des quantités moyennes de bananes qu'il a vendues dans les trois dernières années pour lesquelles des chiffres sont disponibles.

[...]

Pour le second semestre de l'année 1993, chaque opérateur obtient la délivrance de certificats sur la base de la moitié de la quantité moyenne annuelle commercialisée pendant les années 1989-1991.»

6.
    Aux termes de l'article 30 du règlement n° 404/93:

«Si des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du présent règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés sensibles, la Commission [...] prend toutes les mesures transitoires jugées nécessaires.»

7.
    Par arrêt du 26 novembre 1996, T. Port (C-68/95, Rec. p. I-6065, ci-après l'«arrêt T. Port»), la Cour a jugé, notamment, que «l'article 30 du règlement n° 404/93 autorise la Commission et, selon les circonstances, lui impose de réglementer les cas de rigueur excessive dus au fait que des importateurs de bananes pays tiers ou de bananes non traditionnelles ACP rencontrent des difficultés menaçant leur survie, lorsqu'un contingent exceptionnellement bas leur a été attribué sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du même règlement, dans l'hypothèse où ces difficultés sont inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur de ce règlement à l'organisation commune des marchés et ne sont pas dues à l'absence de diligence des opérateurs concernés» (voir point 1 du dispositif de l'arrêt).

Faits et procédure

8.
    La requérante est une entreprise établie en Allemagne qui a pour activité le commerce de fruits et de légumes. Elle a commencé à commercialiser des bananes à la fin de l'année 1992.

9.
    Le 29 novembre 1991, la requérante a conclu un contrat, régi par le droit néerlandais, avec la société équatorienne Consultban (ci-après «Consultban»), aux termes duquel elle s'engage à commercialiser entre 100 000 et 150 000 cartons de bananes par semaine (ci-après le «contrat»).

10.
    Le contrat prévoit que la requérante a droit à une commission correspondant à 6 % du chiffre d'affaires réalisé. Selon le point 3 de l'annexe B du contrat, larequérante est, toutefois, tenue de payer à Consultban la différence entre le produit net des ventes et les prix officiels payés par cette dernière aux producteurs équatoriens (ci-après la «garantie de niveau de prix»).

11.
    La durée de validité du contrat est, en vertu de son article 4.1, de sept ans. La même disposition prévoit le renouvellement du contrat pour une période de sept ans, à moins que les parties n'en décident autrement. Le contrat était toujours en vigueur à la date du présent recours.

12.
    L'article 4.1 stipule également:

«[...] Les deux parties ont le droit de mettre fin à ce contrat cinq ans après la date de sa signature moyennant un préavis de 180 jours, et à condition que la partie qui met fin au contrat se retire totalement du marché de la banane en Europe pour une durée de cinq ans à compter du jour où le contrat prend fin. Cette interdiction d'opérer s'applique directement ou indirectement à la partie, qu'elle intervienne elle-même, par l'entremise d'un tiers ou d'une société contrôlée.»

13.
    Par ailleurs, aux termes de l'article 6.3 du contrat:

«Les parties conviennent qu'elles sont conscientes du fait que des circonstances pourraient intervenir qui rendraient impossible l'exécution des termes et conditions de ce contrat. Ces situations de force majeure peuvent inclure, mais ne sont pas limitées à, des troubles à l'intérieur des pays concernés, la guerre, qu'elle soit ou non déclarée, des désastres naturels, des grèves et autres événements semblables qui rendraient impossible l'évolution normale des activités commerciales, des épidémies, des conditions météorologiques défavorables comme des inondations, des sécheresses, etc., des révolutions ou des insurrections, ainsi que la fermeture du canal de Panama. Dans le cas où la non-exécution de ce contrat est due à un cas de force majeure, les deux parties négocieront de bonne foi afin de trouver une solution au problème. À défaut, ce contrat pourra être résilié par chacune des parties sans possibilité de réclamer des dommages-intérêts. Les navires en cours de chargement ou déjà chargés en mer resteront, toutefois, soumis au présent contrat.»

14.
    Enfin, le point 2 de l'annexe B du contrat prévoit:

«[Consultban] et [la requérante] conviennent que dans le cas où [la requérante] demanderait la résiliation de ce contrat pour des raisons autres que celles qu'il prévoit, et où [Consultban] se trouverait dans l'obligation d'indemniser les propriétaires selon les termes du COA [Contract of Affreightment] entre les propriétaires et [Consultban], [la requérante] devrait alors indemniser [Consultban],à la première demande écrite de celle-ci, jusqu'à concurrence d'un montant de 1 000 000 USD, sur présentation de preuves adéquates par [Consultban].»

15.
    La requérante a commencé à commercialiser des bananes en exécution du contrat à la fin de l'année 1992.

16.
    Le règlement n° 404/93 est entré en vigueur le 26 février 1993 et est devenu applicable le 1er juillet 1993.

17.
    Conformément à son article 19, paragraphe 1, la requérante a été classée en tant qu'opérateur de la catégorie C. En 1996, à la suite de la prise de contrôle d'une entreprise, la requérante a acquis le statut d'opérateur de la catégorie A.

18.
    N'ayant obtenu qu'un nombre réduit de certificats pour l'importation de bananes dans la Communauté , la requérante a dû vendre la plus grande partie des bananes prévues dans le contrat en dehors de ce territoire, à un tarif qui a entraîné l'application de la garantie de niveau de prix. À ce titre, elle a dû verser à Consultban 1 661 537 USD en 1994, 4 211 142 USD en 1995 et 1 457 549 USD en 1996.

19.
    Le 24 décembre 1996, en considération de l'arrêt T. Port, la requérante a demandé à la Commission qu'elle lui délivre, à titre de mesure transitoire en vertu de l'article 30 du règlement n° 404/93, des certificats supplémentaires pour l'importation de bananes pays tiers au droit réduit de 75 écus par tonne à concurrence des quantités suivantes:

-    42 000 tonnes pour 1997 en qualité d'opérateur de la catégorie A;

-    48 000 tonnes pour 1998 en qualité d'opérateur de la catégorie A, ou un volume total de 65 800 tonnes;

-    48 000 tonnes pour 1999 en qualité d'opérateur de la catégorie A, ou un volume total de 65 800 tonnes.

20.
    Par décision du 10 juillet 1997 (ci-après la «décision litigieuse»), la Commission a fait partiellement droit à cette demande.

21.
    Ainsi, en vertu de l'article 1er, paragraphe 3, de la décision litigieuse, la requérante a obtenu des certificats d'importation supplémentaires à concurrence, d'une part, des pertes qu'elle avait subies en 1994 en raison de l'exécution du contrat avec Consultban et, d'autre part, de 1 000 000 USD. La demande de la requérante a été rejetée, à l'article 2 de la décision litigieuse, en ce qu'elle portait «sur davantage de certificats que ceux attribués en vertu de l'article 1er».

22.
    L'article 1er, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la décision litigieuse prévoit que ces certificats d'importation sont prélevés sur les réserves spécifiques prévues pour lescas de rigueur excessive dans le contingent tarifaire. En vertu du paragraphe 6 du même article, les quantités de bananes importées dans la Communauté par la requérante au moyen de ces certificats ne peuvent être prises en compte pour la détermination de ses quantités de référence totales pour les années à venir.

23.
    La décision litigieuse expose notamment:

«[...] considérant [...] que le contrat [...] est entré en vigueur avant que [la requérante] ait pu avoir connaissance de l'instauration de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane et de son incidence potentielle sur le marché;

considérant, par conséquent, que [la requérante] ne pouvait pas savoir, au moment où elle a conclu le contrat, qu'un quota exceptionnellement bas lui serait attribué sur la base des années de référence à prendre en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement [...] n° 404/93; qu'un quota exceptionnellement bas lui a ainsi été attribué en 1993, 1994 et 1995;

considérant, par conséquent, que l'intervention de la garantie [de niveau de prix] était inhérente à la transition devant aboutir à l'abandon des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur de ce règlement; que les paiements effectués par [la requérante] à ses fournisseurs en vertu de cette garantie peuvent être considérés comme inhérents à ladite transition;

considérant que, de par leur ampleur, les paiements déclarés effectués par [la requérante] à son fournisseur au titre de la garantie [de niveau de prix] peuvent être raisonnablement considérés comme une source de difficultés menaçant la survie de la société;

considérant qu'il est prouvé qu'un expert en droit néerlandais a indiqué à [la requérante] qu'il était hautement improbable que l'entrée en vigueur du règlement [...] n° 404/93 puisse être considérée comme un cas de force majeure permettant la résiliation du contrat; que, de ce fait, [la requérante] ne peut pas être considérée comme n'ayant pas fait preuve de diligence en n'essayant pas d'invoquer cet argument;

considérant que, d'après [la requérante], elle a dû payer la somme de 1 661 537 USD à son fournisseur au titre de la garantie [de niveau de prix] en 1994; que ce montant est supérieur à 1 000 000 USD; que, dans ces circonstances, il aurait été raisonnable de conclure qu'un montant supérieur à 1 000 000 USD devrait être payé au titre de la garantie [de niveau de prix] en 1995;

considérant que si [la requérante] s'était montrée suffisamment diligente elle aurait résilié le contrat pour 1995 et limité ainsi les paiements à ses fournisseurs au titre de la garantie [de niveau de prix] à un montant de 1 000 000 USD pour 1995 etles années suivantes; que, par conséquent, toutes les pertes déclarées par [la requérante] pour 1995 et les années suivantes doivent être considérées comme résultant d'une négligence de sa part;

considérant qu'en application des critères établis par la Cour de justice le cas de [la requérante] tel qu'il a été présenté ci-dessus doit être considéré comme un cas de rigueur excessive, et qu'un octroi spécial de certificats d'importation doit être autorisé;

considérant que, puisque [la requérante] n'a pas entamé ses importations de bananes dans la Communauté avant la fin de 1992, il n'est pas possible de lui attribuer un contingent sur la base d'années de référence antérieures à celles visées à l'article 19, paragraphe 2, du règlement [...] n° 404/93;

considérant que des certificats d'importation supplémentaires devraient être accordés à titre de compensation de la rigueur excessive dont [la requérante] a pâti au sens de [l'arrêt T. Port];

considérant que, compte tenu de ce qui précède, la rigueur excessive consiste en la perte subie par [la requérante] à cause du contrat en 1994, ainsi qu'en la perte d'un montant plafonné à 1 000 000 USD, pour 1995 et les années suivantes;

[...]

considérant qu'il convient que l'autorité compétente calcule la valeur des certificats d'importation de bananes pays tiers à un droit réduit de 75 écus par tonne et attribue ensuite à [la requérante] un nombre suffisant de certificats supplémentaires pour l'indemniser de la rigueur excessive à concurrence du niveau précité;

[...] que les certificats à attribuer devraient être prélevés sur les réserves spécifiques prévues pour les cas de rigueur excessive dans le contingent tarifaire et n'être ni soumis aux dispositions régissant actuellement les demandes de certificats, fixées par l'article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement (CEE) n° 1442/93, ni subordonnés à la présentation du certificat d'exportation spécial visé à l'article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 478/95;

considérant que, pour que [la requérante] obtienne une compensation intégrale mais pas excessive, les certificats devraient être incessibles et les quantités de bananes importées par la société dans leur cadre ne devraient pas être prises en compte lors du calcul des quantités de référence totales de la société pour les années à venir;

[...]»

24.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 septembre 1997, la requérante a introduit le présent recours.

25.
    Le royaume d'Espagne, le 26 janvier 1998, et la République française, le 17 février 1998, ont demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Ces demandes ont été accueillies par ordonnance du 16 septembre 1998 du président de la quatrième chambre du Tribunal. Par la même ordonnance, les demandes de traitement confidentiel formulées par la requérante ont été partiellement acceptées.

26.
    Le royaume d'Espagne et la République française, par mémoires déposés, respectivement, les 4 et 6 janvier 1999, ont présenté leurs observations.

27.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé, d'une part, d'ouvrir la procédure orale et, d'autre part, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64, paragraphe 3, de son règlement de procédure, d'inviter la requérante et la Commission à répondre par écrit à certaines questions. La Commission et la requérante ont répondu à ces questions par lettres déposées au greffe, respectivement, les 11 et 22 octobre 1999.

28.
    La requérante et la Commission ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 9 novembre 1999.

Conclusions des parties

29.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision litigieuse en ce que, d'une part, les quantités de bananes importées dans la Communauté au moyen des certificats d'importation supplémentaires attribués en vertu de cette décision ne devront pas être prises en compte lors de la détermination de ses quantités de référence totales pour les années à venir et, d'autre part, la Commission refuse de lui délivrer des certificats d'importation supplémentaires au-delà de ceux visés à l'article 1er, paragraphe 3;

-    condamner la Commission aux dépens.

30.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

31.
    Le royaume d'Espagne, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

32.
    La République française, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

33.
    La Commission et le royaume d'Espagne font valoir que la requérante n'a soulevé le moyen tiré de la violation du principe d'égalité de traitement que dans sa réplique. Ils estiment que ce moyen doit être rejeté en application de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal qui interdit la production de moyens nouveaux en cours d'instance.

34.
    Lors de l'audience, la requérante a rétorqué que la Commission avait tiré argument de ce principe pour la première fois dans son mémoire en défense, de sorte qu'elle n'aurait pu se prononcer sur celui-ci avant le dépôt de sa réplique.

35.
    Par ailleurs, la Commission avance que l'argumentation de la requérante selon laquelle l'article 1er, paragraphe 6, de la décision litigieuse serait en contradiction avec le règlement (CE) n° 2601/97 de la Commission, du 17 décembre 1997, instituant une réserve en vue de résoudre des cas de rigueur excessive, en application de l'article 30 du [règlement n° 404/93], pour l'année 1998 (JO L 351, p. 19), constitue également un moyen nouveau, irrecevable au regard de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. Le règlement (CE) n° 1154/97 de la Commission, du 25 juin 1997, portant augmentation du volume du contingent tarifaire à l'importation de bananes, prévu à l'article 18 du [règlement n° 404/93], pour l'année 1997 (JO L 168, p. 65), aurait déjà institué une réserve destinée à résoudre les cas de rigueur excessive, de sorte que la requérante aurait pu en tirer argument dans sa requête.

36.
    La Commission considère également comme un moyen nouveau, donc irrecevable au regard de la disposition précitée du règlement de procédure, l'argumentation de la requérante selon laquelle l'article 1er, paragraphe 6, de la décision litigieuse méconnaîtrait la finalité du contingent tarifaire.

37.
    Enfin, le royaume d'Espagne soutient que la requérante n'a contesté la légalité de cette disposition que dans sa réplique, de sorte que ce grief doit être déclaré irrecevable.

38.
    La requérante ne s'est pas prononcée sur ces derniers moyens d'irrecevabilité.

Appréciation du Tribunal

39.
    Il ressort des dispositions combinées des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure que la requête introductive d'instance doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l'ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement dans la requête introductive d'instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (arrêts du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T-37/89, Rec. p. II-463, point 38, et du 17 juillet 1998, Thai Bicycle/Conseil, T-118/96, Rec. p. II-2991, point 142).

40.
    En l'espèce, il ressort expressément de la requête que la requérante conteste la légalité de l'article 1er, paragraphe 6, de la décision litigieuse. Les objections du royaume d'Espagne sur la recevabilité de ce grief doivent donc être écartées.

41.
    S'agissant de l'argumentation tirée du règlement n° 2601/97, il y a lieu de constater qu'elle se rattache étroitement au moyen tiré de la violation de l'article 30 du règlement n° 404/93, tel que la requérante l'a présenté dans sa requête à l'appui de la seconde partie de son recours, dans laquelle elle met en question la légalité de l'article 1er, paragraphe 6, de la décision litigieuse, et qu'elle constitue une ampliation de ce moyen. Cette argumentation est, par conséquent, recevable.

42.
    En revanche, ce n'est que dans sa réplique que la requérante a, pour la première fois, soulevé un moyen tiré de la violation du principe d'égalité de traitement. S'il est vrai que, dans certains passages de son mémoire en défense, la Commission se réfère à ce principe, elle ne le fait, toutefois, que de manière purement incidente et dans un contexte différent de celui dans lequel la requérante développe son moyen. Ainsi, au point 16 de son mémoire en défense, la Commission se borne à faire remarquer, de manière générale, que «dans l'intérêt de l'égalité de traitement de tous les opérateurs économiques», qui, eux aussi, ont été obligés de s'adapter aux nouvelles conditions juridiques et économiques, elle devait tenir compte du fait que la requérante avait la possibilité de résilier le contrat moyennant le versement de la somme de 1 000 000 USD «en déterminant l'étendue des dispositions réglementant le cas de rigueur excessive» (voir, dans le même sens, point 33 du mémoire en défense). De même, aux points 28 et 32 de son mémoire en défense, la Commission se contente de constater, de manière générale, que la prise en compte, lors de la détermination des quantités de référence totales de la requérante pour les années futures, des quantités importées par cette dernière au moyen des certificats supplémentaires aurait pour effet d'accorder à celle-ci une compensation excessive et, ainsi, la privilégierait par rapport aux autres opérateurs. En revanche, dans sa réplique et lors de l'audience, la requérante fait valoir, en substance, que le principe d'égalité de traitement obligeait la Commission àl'assimiler aux opérateurs de la catégorie A qui, comme elle, avaient adopté certains comportements commerciaux avant la publication du projet d'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane au Journal officiel des Communautés européennes mais qui, contrairement à elle, ont pu continuer à commercialiser leurs bananes pendant la période de référence et en conclut qu'elle aurait dû être traitée comme si elle avait réalisé, pendant la période de référence 1989-1991, les importations qu'elle a en fait effectuées au cours des années 1993 à 1995. Tel qu'il est ainsi développé par la requérante, le moyen tiré de la violation du principe d'égalité de traitement revêt incontestablement un caractère autonome par rapport aux observations susvisées de la Commission et ne saurait, dès lors, être considéré comme fondé sur des éléments de droit ou de fait révélés pendant la procédure. Partant, il doit être déclaré irrecevable.

43.
    De même, il y a lieu de constater que la requérante n'a invoqué l'argumentation tirée de la méconnaissance de la finalité du contingent tarifaire, pour la première fois, que dans sa réplique et qu'aucun élément nouveau ne s'est révélé pendant la procédure justifiant qu'elle soit soulevée tardivement. Cette argumentation ne saurait, par ailleurs, être considérée comme constituant l'ampliation d'un moyen énoncé antérieurement dans la requête et présentant un lien étroit avec celui-ci. Elle constitue donc un moyen nouveau irrecevable.

Sur le fond

44.
    La requérante invoque dans sa requête un moyen unique à l'appui de son recours, tiré d'une violation de l'article 30 du règlement n° 404/93. Ce recours s'articule en deux parties. Dans une première partie, elle conteste la légalité de l'article 2 de la décision litigieuse. Dans une deuxième partie, la requérante met en cause la légalité de l'article 1er, paragraphe 6, de la décision litigieuse.

Sur la première partie du recours

Arguments des parties

45.
    La requérante conteste la légalité de la décision litigieuse en ce que, à l'article 2, sa demande d'octroi de certificats d'importation supplémentaires, dans la mesure où elle excède les quantités de certificats visées à l'article 1er, paragraphe 3, de la même décision, est rejetée.

46.
    Elle fait valoir qu'elle remplissait toutes les conditions énoncées par la Cour dans l'arrêt T. Port pour établir l'existence d'un cas de rigueur excessive. Ce cas de rigueur excessive aurait dû être intégralement compensé par l'octroi de certificats d'importation supplémentaires à concurrence des quantités prévues dans le contrat qui n'ont pu être commercialisées dans la Communauté, et ce pour toute la durée du contrat. Elle considère, en particulier, qu'elle n'avait pas l'obligation de résilier le contrat pour en être dégagée en 1995, en faisant usage de la clause prévue au point 2 de l'annexe B, et que la Commission ne pouvait, dès lors, se borner à luidélivrer, en réparation de son préjudice subi en 1995 et durant les années suivantes, des certificats d'importation supplémentaires à concurrence du montant de 1 000 000 USD.

47.
    Au soutien de ses affirmations, la requérante expose, tout d'abord, que la Commission n'a pas correctement appliqué en l'espèce la notion de difficultés au sens de l'arrêt T. Port. Elle fait observer que, dans cet arrêt, la Cour a rattaché cette notion à la circonstance qu'«un contingent exceptionnellement bas [...] a été attribué [à des importateurs de bananes pays tiers ou de bananes non traditionnelles ACP] sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement [n° 404/93]». Les difficultés résideraient donc dans une absence de certificats d'importation permettant de commercialiser dans la Communauté les produits pour lesquels des dispositions ont été prises de bonne foi. En l'espèce, les difficultés rencontrées consisteraient précisément en ce que, n'ayant pas obtenu de certificats d'importation à la suite de l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés, la requérante a dû commercialiser en dehors de la Communauté, en accusant des pertes importantes, les quantités de bananes prévues dans le contrat.

48.
    La requérante soutient, ensuite, que ces difficultés, comme il est exigé par l'arrêt T. Port, étaient inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur du règlement n° 404/93 à l'organisation commune des marchés. En effet, si cette organisation était entrée en vigueur à une date ultérieure, la requérante aurait, par ses importations réalisées à partir de 1993, commercialisé dans la Communauté une quantité de référence suffisante pour se voir attribuer le nombre de certificats repris dans sa demande du 24 décembre 1996.

49.
    Enfin, la requérante avance que la Commission n'a pas non plus correctement appliqué en l'espèce la condition énoncée dans l'arrêt T. Port selon laquelle les difficultés rencontrées par les importateurs concernés ne doivent pas être dues à une absence de diligence de leur part.

50.
    Premièrement, il ne saurait lui être reproché un manque de diligence en rapport avec le fait qu'elle n'avait pas obtenu les certificats d'importation qui lui auraient permis de commercialiser dans la Communauté les quantités de bananes prévues dans le contrat. En particulier, une résiliation du contrat n'aurait pas entraîné la délivrance de certificats supplémentaires ni fait disparaître l'impossibilité d'importer lesdites quantités.

51.
    La requérante ajoute que, si elle avait résilié le contrat, non seulement dix années d'efforts intensifs et coûteux auraient été réduites à néant, mais, en plus, elle aurait été contrainte de se retirer du marché de la banane pendant cinq ans. Or, elle aurait escompté acquérir la qualité d'opérateur de la catégorie A pendant la durée de validité du contrat et voir l'organisation commune des marchés modifiée en raison de l'incompatibilité de celle-ci avec les règles de l'accord général sur lestarifs douaniers et le commerce (GATT) ou obtenir une indemnisation sous forme de certificats d'importation supplémentaires au titre d'un cas de rigueur excessive. Ces trois hypothèses s'étant ultérieurement vérifiées, il ne saurait être contesté qu'elle a pris une bonne décision commerciale en ne résiliant pas le contrat.

52.
    Deuxièmement, la requérante relève que, selon l'arrêt T. Port, l'obligation de diligence doit s'apprécier au regard de la réglementation nationale antérieure et de la perspective de mise en oeuvre de l'organisation commune des marchés, dans la mesure où les opérateurs concernés ont pu en avoir connaissance. Elle estime, dès lors, qu'elle ne devait tenir compte que de ces éléments au moment de la conclusion du contrat et qu'elle n'était nullement obligée, pour limiter l'obligation d'indemnisation de la Communauté, de modifier ultérieurement les dispositions qu'elle avait alors prises. La Commission aurait, en fait, subordonné la réglementation des cas de rigueur excessive à une condition supplémentaire, selon laquelle il appartient à l'opérateur concerné de limiter le préjudice de la Communauté.

53.
    La Commission expose que l'existence d'un cas de rigueur excessive suppose la réunion des quatre conditions suivantes, énoncées dans l'arrêt T. Port:

-    l'existence de dispositions économiques pertinentes juridiquement sous l'empire du régime national antérieur et respectant la diligence nécessaire et habituelle dans toute transaction commerciale;

-    la perte de valeur de ces dispositions en raison de l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés;

-    le caractère imprévisible des difficultés;

-    la nécessité d'une réglementation des cas de rigueur excessive, eu égard, notamment, à l'existence de difficultés menaçant la survie des importateurs et à la protection des droits communautaires fondamentaux.

54.
    Elle souligne, ensuite, que les mesures pouvant être adoptées dans le cadre de la réglementation des cas de rigueur excessive sont destinées à atténuer les difficultés particulières rencontrées par les opérateurs économiques en raison du passage des régimes nationaux à l'organisation commune des marchés, et non à garantir à ces opérateurs la parfaite exécution des contrats conclus avant l'annonce de la création de cette organisation en protégeant ces contrats contre les changements juridiques.

55.
    Selon la Commission, le cas de rigueur excessive auquel la requérante était confrontée est constitué par le fait que celle-ci, avant d'être informée de la création d'une organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, a conclu un contrat contenant des engagements d'achat et une garantie de niveau de prix qui, après son classement en tant qu'opérateur de la catégorie C, l'ont exposée à des pertes importantes, susceptibles de mettre en péril l'ensemble de ses activitéscommerciales. La rigueur excessive subie par la requérante n'aurait donc pas consisté dans le fait de n'avoir pu commercialiser dans la Communauté les quantités de bananes prévues dans le contrat en raison de l'obtention d'un nombre insuffisant de certificats d'importation.

56.
    La Commission estime que l'objection de la requérante selon laquelle la décision litigieuse reposerait sur une interprétation erronée de la notion de difficultés au sens de l'arrêt T. Port doit être rejetée. Le passage de l'arrêt que la requérante invoque à cet égard ne concernerait que le cas des opérateurs qui importaient traditionnellement des bananes et qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, n'ont pu faire état, pendant la période de référence visée à l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 404/93, d'un volume représentatif de leur commerce. Selon la Commission, pendant la période de référence 1989-1991, la requérante n'exerçait pas encore d'activités dans le secteur de la banane, de sorte qu'elle a été classée dans la catégorie C. Les quantités de bananes que la requérante a importées dans le cadre du contrat n'ayant jamais constitué des quantités de référence au titre de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, «un contingent exceptionnellement bas» ne saurait lui avoir été attribué au sens du passage susvisé.

57.
    Par ailleurs, la Commission conteste avoir fait une application incorrecte de la condition énoncée dans l'arrêt T. Port selon laquelle l'importateur concerné ne doit pas avoir manqué de diligence.

58.
    Premièrement, elle n'aurait jamais reproché à la requérante une absence de diligence en rapport avec le manque de certificats d'importation nécessaires pour commercialiser, dans la Communauté, les quantités de bananes prévues au contrat. Les difficultés subies par la requérante ne seraient, en effet, pas dues à cette circonstance.

59.
    Deuxièmement, la Commission expose que, lorsqu'il s'est agi, en l'espèce, de déterminer l'étendue des mesures à prendre pour résoudre le cas de rigueur excessive, elle était fondée à considérer que la requérante, en poursuivant l'exécution du contrat, ne s'était pas comportée comme un opérateur normalement prudent.

60.
    À ce propos, elle fait observer qu'il convient de distinguer les opérateurs de la catégorie C, qui sont des nouveaux venus sur le marché de la banane, des opérateurs qui importent traditionnellement des bananes. Les premiers ne seraient pas présents depuis suffisamment longtemps sur ce marché pour que l'exercice de leurs activités commerciales doive y être garanti. Au contraire, il pourrait être attendu de ces opérateurs qu'ils adaptent leurs activités aux nouvelles conditions juridiques et économiques découlant de l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane. La Commission fait remarquerque, d'ailleurs, les parties à une convention se prémunissent généralement contre les modifications fortuites du droit en prévoyant une clause de résiliation.

61.
    La Commission explique qu'elle a, ainsi, tenu compte du fait que la requérante avait la faculté de résilier le contrat en application du point 2 de l'annexe B pour s'adapter aux nouvelles conditions juridiques et économiques. Elle relève, à cet égard, qu'il appartient à tout opérateur diligent de limiter ses propres dommages. Par ailleurs, elle considère que, contrairement à ce qu'avance la requérante, une telle résiliation anticipée du contrat n'aurait pas obligé cette dernière à se retirer du marché de la banane pendant cinq ans. En effet, si la requérante avait fait usage de la clause de résiliation prévue au point 2 de l'annexe B, toutes les dispositions contractuelles, en ce compris l'obligation de retrait du marché, auraient été annihilées.

62.
    Au vu de ces éléments, la Commission estime que c'est à bon droit qu'elle s'est limitée à compenser les pertes subies par la requérante en 1994 à la suite de l'exécution du contrat et le dommage qui aurait résulté de la résiliation anticipée du contrat en 1995, soit 1 000 000 USD. Cette compensation aurait permis à la requérante de surmonter les difficultés qui menaçaient sa survie. La Commission ajoute qu'elle a même fait preuve de générosité, dès lors qu'elle aurait pu considérer que la résiliation du contrat était possible dès 1994.

63.
    La Commission précise qu'elle ne forçait pas la requérante à résilier effectivement le contrat de manière anticipée, mais qu'elle a seulement estimé que l'existence de cette faculté limitait l'étendue des mesures à prendre pour résoudre le cas de rigueur excessive. C'est à la requérante seule qu'il appartiendrait d'assumer sa décision commerciale de poursuivre l'exécution du contrat. Il ne saurait donc être prétendu que la Commission a subordonné la reconnaissance des cas de rigueur excessive à une condition supplémentaire, tenant à une obligation pour l'importateur de limiter l'obligation d'indemnisation de la Communauté.

64.
    Enfin, les arguments invoqués par la requérante pour démontrer que ses difficultés auraient été inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur du règlement n° 404/93 à l'organisation commune des marchés, conformément à la condition énoncée dans l'arrêt T. Port, seraient déraisonnables. La requérante ayant choisi de poursuivre l'exécution du contrat malgré les nouvelles conditions juridiques et économiques, il y aurait lieu de considérer que les pertes qu'elle a ensuite accusées sont le résultat de sa propre décision commerciale et, par voie de conséquence, que la condition susvisée n'était plus remplie.

65.
    Le royaume d'Espagne et la République française font valoir, en substance, que la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour appliquer l'article 30 du règlement n° 404/93 et que la décision litigieuse est totalement conforme aux dispositions de cet article.

Appréciation du Tribunal

66.
    L'article 30 du règlement n° 404/93 confère à la Commission le pouvoir de prendre des mesures transitoires spécifiques «pour faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du [...] règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés» provoquées par ce passage. Selon une jurisprudence constante, ces mesures transitoires sont destinées à faire face à la perturbation du marché intérieur qu'entraîne la substitution de l'organisation commune des marchés aux différents régimes nationaux et ont pour but de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés les opérateurs économiques à la suite de l'établissement de l'organisation commune des marchés, mais ayant pour origine les conditions qui existaient sur les marchés nationaux avant l'entrée en vigueur du règlement n° 404/93 (ordonnance de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C-280/93 R, Rec. p. I-3667, points 46 et 47, arrêt T. Port, points 34 et 36, et arrêts du Tribunal du 28 septembre 1999, Fruchthandelsgesellschaft/ Commission, T-254/97, non encore publié au Recueil, point 61, et Cordis/Commission, T-612/97, non encore publié au Recueil, point 32).

67.
    La Cour a énoncé que la Commission doit prendre en considération, à cet égard, la situation d'opérateurs économiques qui ont adopté, dans le cadre d'une réglementation nationale antérieure au règlement n° 404/93, un certain comportement sans avoir pu prévoir les conséquences que ce comportement aurait après l'instauration de l'organisation commune des marchés (arrêt T. Port, point 37).

68.
    La Cour a, toutefois, ajouté que «[lorsque] les difficultés transitoires résultent du comportement des opérateurs économiques antérieur à l'entrée en vigueur du règlement [n° 404/93], il est nécessaire que ce comportement puisse être considéré comme normalement diligent, au regard tant de la réglementation nationale antérieure que de la perspective de mise en oeuvre de l'organisation commune des marchés, dans la mesure où les opérateurs concernés ont pu en avoir connaissance» (arrêt T. Port, point 41).

69.
    Par ailleurs, il y a lieu de souligner que la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation tant pour déterminer si des mesures transitoires sont nécessaires (arrêts T. Port, point 38, et Fruchthandelsgesellschaft/Commission, précité, point 67) que pour décider, le cas échéant, du contenu des mesures transitoires à prendre (arrêt T. Port, point 42).

70.
    Il importe de constater également que l'article 30 du règlement n° 404/93 doit être interprété restrictivement en tant que dérogation au régime général applicable (arrêt Cordis/Commission, précité, point 39; ordonnance du président du Tribunal du 21 mars 1997, Camar/Commission, T-79/96 R, Rec. p. II-403, points 46 et 47).

71.
    En l'espèce, il est constant que la requérante était confrontée à un cas de rigueur excessive et que la Commission était tenue de prendre des mesures transitoires en vue de le résoudre. Toutefois, les parties s'opposent sur les questions de savoir, premièrement, en quoi consistait ce cas de rigueur excessive et, deuxièmement, si les mesures transitoires adoptées par la Commission au titre de l'article 30 du règlement n° 404/93 étaient suffisantes pour permettre à la requérante de le surmonter.

72.
    S'agissant de la première question, il convient de constater qu'aucun des arguments avancés par la requérante ne permet de conclure que la Commission a excédé les limites de son large pouvoir d'appréciation en considérant que le cas de rigueur excessive est constitué par le fait que la requérante, avant d'être informée de la création d'une organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, a conclu un contrat contenant des engagements d'achat et une garantie de niveau de prix qui, à la suite de son classement en tant qu'opérateur de la catégorie C, l'ont exposée à des pertes importantes, susceptibles de mettre en péril l'ensemble de ses activités commerciales.

73.
    Tout d'abord, l'affirmation de la requérante selon laquelle les difficultés qu'elle a rencontrées résident en ce que, à défaut de certificats d'importation, elle n'a pu commercialiser dans la Communauté les quantités de bananes prévues dans le contrat ne saurait être acceptée. Une conception aussi extensive de la notion de difficultés au sens de l'arrêt T. Port irait, en effet, manifestement au-delà de l'objectif de l'article 30 du règlement n° 404/93, qui est de faciliter le passage à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane pour les entreprises qui ont rencontré de ce fait des problèmes particuliers et imprévisibles (arrêt Cordis/Commission, précité, point 34), et non de garantir la parfaite exécution des contrats de livraison de bananes conclus sous l'empire des régimes nationaux antérieurs à ladite organisation.

74.
    Ensuite, l'explication donnée par la requérante pour démontrer que les difficultés qu'elle aurait ainsi rencontrées étaient dues au passage à l'organisation commune des marchés, conformément à la condition posée par l'arrêt T. Port, ne saurait être retenue. L'article 30 du règlement n° 404/93 se réfère, en effet, expressément à la date d'entrée en vigueur du même règlement, laquelle a été fixée, en application de l'article 33, au 26 février 1993. La requérante ne saurait tirer argument d'une situation purement hypothétique, à savoir l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés à une date ultérieure, en méconnaissance des termes clairs de la disposition dont elle réclame l'application.

75.
    Enfin, il n'est pas établi que la Commission ait fait une application incorrecte de la condition selon laquelle l'importateur concerné doit avoir fait preuve de la diligence nécessaire. Il est exact que, ainsi que le fait remarquer la requérante, cette condition doit, selon le point 41 de l'arrêt T. Port, être appréciée au regard du comportement de l'importateur antérieur à l'entrée en vigueur du règlement n° 404/93, de sorte que la Commission ne pourrait fonder un refus de reconnaîtrel'existence d'un cas de rigueur excessive sur un manque de diligence de la part de celui-ci postérieur à cette entrée en vigueur. Toutefois, il ressort de la décision litigieuse que la Commission n'a, en réalité, retenu à l'encontre de la requérante des considérations tirées du comportement normalement diligent des opérateurs économiques qu'au stade ultérieur de la détermination du contenu des mesures transitoires à prendre pour résoudre les difficultés particulières rencontrées par celle-ci (voir points 76 à 83 ci-après). Pour ce motif, l'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait subordonné la reconnaissance des cas de rigueur excessive à une condition non énoncée par la Cour dans l'arrêt T. Port doit être rejeté.

76.
    S'agissant de la seconde question, il n'apparaît pas que la Commission ait excédé les limites du large pouvoir d'appréciation qui lui est également reconnu pour déterminer le contenu des mesures à prendre afin de permettre aux opérateurs concernés de surmonter les cas de rigueur excessive en se limitant à octroyer à la requérante des certificats d'importation supplémentaires à concurrence, d'une part, de la perte subie par cette dernière en 1994 à la suite de l'exécution du contrat et, d'autre part, du montant de 1 000 000 USD.

77.
    Il y a lieu, tout d'abord, de constater que la requérante ne met pas en cause la légalité de l'article 2 de la décision litigieuse en tant qu'il compense la perte qu'elle a subie en 1994. Elle ne conteste cette disposition que dans la mesure où la réparation de son préjudice subi en 1995 et les années suivantes est limitée par celle-ci à la délivrance de certificats d'importation supplémentaires pour un montant de 1 000 000 USD en faisant valoir, en substance, qu'elle n'avait pas l'obligation de résilier le contrat pour en être dégagée en 1995, en faisant usage de la clause prévue au point 2 de l'annexe B du contrat.

78.
    Il convient, ensuite, d'écarter l'allégation de la requérante selon laquelle le point 2 de l'annexe B du contrat n'aurait pour objet que de couvrir, jusqu'à concurrence du montant susvisé, la demande d'indemnisation qui pourrait être introduite auprès de Consultban par l'armateur du navire en raison d'une non-exécution du contrat d'affrètement. Ce n'est, en effet, que dans sa réponse écrite aux questions du Tribunal et lors de l'audience que la requérante a avancé un tel argument. Elle n'avait jamais contesté jusqu'alors que cette clause lui permettait, en toute hypothèse, de résilier le contrat moyennant le versement d'un dédit de 1 000 000 USD à Consultban.

79.
    Au vu de l'objectif de l'article 30 du règlement n° 404/93 et du fait que cet article doit être interprété restrictivement en tant que dérogation au régime général applicable, il y a lieu de constater que la Commission a fait une application raisonnable dudit article en considérant qu'il ne l'obligeait à compenser que les coûts auxquels l'opérateur concerné devait s'exposer pour s'adapter aux nouvelles conditions juridiques.

80.
    Dans ce contexte, elle était fondée à tenir compte du fait que le point 2 de l'annexe B du contrat permettait à la requérante de résilier celui-ci de manière anticipée, moyennant le versement à Consultban d'une somme de 1 000 000 USD. À cet égard, contrairement à ce que prétend la requérante, l'usage de cette clause de résiliation ne l'aurait pas contrainte à se retirer du marché de la banane pendant cinq ans, l'obligation de retrait du marché n'étant prévue que dans l'hypothèse d'une résiliation du contrat en application de l'article 4.1. En outre, il y a lieu de constater que la requérante n'avait pas invoqué cet argument lors de la procédure administrative qui a précédé l'adoption de la décision litigieuse, de sorte que la légalité de cette dernière ne saurait être mise en cause sur la base dudit argument.

81.
    De même, la Commission était fondée à considérer que si la requérante s'était comportée comme un opérateur normalement diligent, elle aurait effectivement résilié le contrat pour en être dégagée en 1995 en faisant usage de la clause prévue au point 2 de l'annexe B du contrat afin de limiter ses propres dommages. Il est, en effet, constant que la requérante avait dû payer la somme de 1 661 537 USD à Consultban en 1994 en application de la garantie de niveau de prix, soit une somme supérieure au dédit de 1 000 000 USD prévu par la disposition susvisée, et il était très vraisemblable qu'une somme supérieure à ce dernier montant devrait également être payée au titre de cette garantie les années suivantes.

82.
    L'approche de la Commission était d'autant plus raisonnable que la requérante n'opérait que depuis peu de temps sur le marché de la banane et qu'elle disposait d'un large éventail d'activités liées à d'autres fruits et légumes.

83.
    Par ailleurs, cette approche ne saurait être interprétée, contrairement à ce que prétend la requérante, en ce sens que la Commission obligeait cette dernière à mettre effectivement fin au contrat. Elle repose uniquement sur la considération, totalement justifiée, qu'il n'appartenait pas à la Communauté de supporter les conséquences de la décision commerciale de la requérante de poursuivre l'exécution du contrat malgré les pertes que celle-ci entraînait.

84.
    Il ressort de ce qui précède que la Commission a correctement appliqué l'article 30 du règlement n° 404/93 en adoptant l'article 2 de la décision litigieuse.

85.
    Par conséquent, la première partie du recours doit être rejetée comme non fondée.

Sur la seconde partie du recours

Arguments des parties

86.
    La requérante conteste la légalité de la décision litigieuse en ce que, suivant l'article 1er, paragraphe 6, les quantités de bananes importées dans la Communauté au moyen des certificats d'importation supplémentaires ne peuvent être prises en compte lors de la détermination de ses quantités de référence totales pour les années à venir.

87.
    Elle fait valoir qu'elle était, en effet, en droit d'obtenir la compensation intégrale du cas de rigueur excessive auquel elle était confrontée et qu'une telle prise en compte n'aurait pas pour effet de lui allouer une indemnisation excessive.

88.
    Elle expose également que l'article 1er, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la décision litigieuse prévoit que les certificats d'importation supplémentaires sont prélevés sur les réserves spécifiques prévues pour les cas de rigueur excessive dans le contingent tarifaire. Elle précise que le règlement n° 2601/97 a institué une telle réserve, qui s'élève à 20 000 tonnes et doit être imputée sur le volume du contingent tarifaire à l'importation de bananes pays tiers et non traditionnelles ACP disponible en application de l'article 18 du règlement n° 404/93. Cette réserve serait donc soumise aux règles générales applicables au contingent tarifaire, en ce compris l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 404/93.

89.
    Lors de l'audience, la requérante s'est également prévalue de l'article 5, paragraphe 3, point b), du règlement (CE) n° 2362/98 de la Commission, du 28 octobre 1998, portant modalités d'application du [règlement n° 404/93] en ce qui concerne le régime d'importation de bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32). Il résulterait, en effet, de cette disposition que les certificats de toute nature, en ce compris ceux délivrés au titre d'un cas de rigueur excessive, sont pertinents pour l'établissement des quantités de référence.

90.
    Enfin, dans sa réplique, la requérante a avancé que la Commission viserait en fait à lui attribuer à nouveau le statut de nouvel opérateur à partir de 1999, ce qui aurait pour conséquence de l'exclure du marché de la banane.

91.
    La Commission rappelle en quoi consistait le cas de rigueur excessive auquel s'est trouvée confrontée la requérante et réaffirme que les mesures prises dans la décision litigieuse compensent intégralement les pertes subies par celle-ci du fait du passage à l'organisation commune des marchés. Elle fait également remarquer que les certificats accordés pour compenser un cas de rigueur excessive revêtent un caractère exceptionnel et échappent de ce fait aux règles générales applicables aux certificats qui relèvent du contingent tarifaire général. Elle expose, à cet égard, que le règlement n° 2601/97 ne prévoit pas que les quantités importées au titre de certificats accordés pour compenser un cas de rigueur excessive puissent être prises en compte aux fins de l'établissement des quantités de référence. Enfin, elle conteste l'argument de la requérante tiré du règlement n° 2362/98.

92.
    Le royaume d'Espagne avance que la réserve spécifique instituée par le règlement n° 2601/97 a pour seul objectif de mettre à la disposition de la Commission des tonnages destinés à résoudre des cas de rigueur excessive.

Appréciation du Tribunal

93.
    Il a été démontré ci-dessus, dans le cadre de l'examen de la première partie du recours, que la Commission n'a pas excédé les limites de son large pouvoir d'appréciation en estimant que l'octroi, à la requérante, de certificats d'importation supplémentaires à concurrence, d'une part, des pertes que celle-ci avait subies en raison de l'exécution du contrat en 1994 et, d'autre part, d'un montant de 1 000 000 USD permettait de résoudre le cas de rigueur excessive auquel cette dernière avait été confrontée.

94.
    Dans ces circonstances, il n'aurait nullement été justifié d'accorder à la requérante un quelconque avantage supplémentaire en application de l'article 30 du règlement n° 404/93, telle la prise en compte des quantités de bananes importées au moyen des certificats susvisés lors de la détermination des quantités de référence au titre des contingents tarifaires des années futures.

95.
    Lors de l'audience, la Commission et la requérante ont, d'ailleurs, admis que le cas de rigueur excessive subi par celle-ci aurait pu être compensé par l'octroi d'une somme d'argent forfaitaire plutôt que par l'attribution de certificats d'importation supplémentaires.

96.
    Ces conclusions ne sauraient être infirmées par l'argumentation que la requérante tire du règlement n° 2601/97, lequel se borne à instituer une réserve de 20 000 tonnes pour permettre l'adoption de mesures transitoires en vue de résoudre des cas de rigueur excessive. Le fait que, en son article 1er, ce règlement dispose que cette réserve est à imputer sur le volume du contingent tarifaire visé à l'article 18 du règlement n° 404/93 n'implique nullement que les quantités octroyées dans le cadre de la réserve doivent nécessairement être prises en compte pour la détermination des quantités de référence pour les années futures.

97.
    S'agissant de l'argumentation que la requérante a tirée, lors de l'audience, du règlement n° 2362/98, celle-ci ne saurait être accueillie. Ce règlement a, en effet, été adopté postérieurement à la décision litigieuse. Or, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d'un recours en annulation en vertu de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), la légalité de l'acte attaqué s'apprécie en fonction des éléments de fait et de droit existant au moment de l'adoption de celui-ci (arrêt de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, Rec. p. 321, point 7; arrêts du Tribunal du 15 janvier 1997, SFEI e.a./Commission, T-77/95, Rec. p. II-1, point 74, et du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, point 81).

98.
    Enfin, s'agissant de l'allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait, en réalité, entendu lui attribuer à nouveau le statut de nouvel opérateur à partir de 1999, il suffit de constater qu'elle n'est soutenue par aucun élément de preuve.

99.
    Il s'ensuit que la seconde partie du recours n'est pas fondée et, partant, que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

100.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la requérante aux dépens exposés par celle-ci. Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du même règlement, le royaume d'Espagne et la République française, parties intervenantes au litige, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante supportera ses propres dépens ainsi que les dépens de la Commission.

3)    Le royaume d'Espagne et la République française supporteront leurs propres dépens.

García-Valdecasas

Lindh
Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 septembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. García-Valdecasas


1: Langue de procédure: l'allemand.