Language of document : ECLI:EU:T:2000:213

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

20 septembre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Congé syndical»

Dans l'affaire T-203/99,

Patrizia de Palma, Jacqueline Escale, Claudine Hamptaux et Harry Wood, fonctionnaires de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentés par Me C. Mourato, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire SARL, 13, avenue du Bois,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valsesia, conseiller juridique principal, et J. Currall, conseiller juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 23 septembre 1998 refusant aux requérants l'octroi d'un congé syndical,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 4 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits

1.
    Par lettre du 7 septembre 1998, le secrétaire général du Syndicat des fonctionnaires internationaux et européens (ci-après le «SFIE») a introduit auprès du directeur général de la direction générale du personnel et de l'administration de la Commission une demande d'octroi de deux jours de congé syndical en faveur de 20 fonctionnaires et agents de la Commission, parmi lesquels les requérants. Cette demande portait sur les journées du vendredi 25 et du lundi 28 septembre 1998 et avait pour but de permettre la participation de représentants syndicaux à un congrès du SFIE les 26 et 27 septembre 1998 au nord de l'Italie, l'accueil des participants ayant lieu le vendredi 25 septembre 1998 vers 20h30.

2.
    Par note du 23 septembre 1998, la Commission a refusé d'accorder les jours de congé demandés, en raison du fait que le congrès ne se déroulait pas pendant les jours concernés et que, par conséquent, la réglementation relative au congé syndical ne s'appliquait pas dans cette hypothèse .

3.
    Les requérants ont introduit chacun une réclamation contre la décision du 23 septembre 1998. Par décisions du 11 juin 1999, les réclamations des requérants ont été rejetées dans les termes suivants:

«L'AIPN rappelle que l'article 57 du statut renvoie à l'annexe V du statut pour fixer les modalités d'octroi des congés spéciaux. L'article 6 de l'annexe V du statut prévoit qu'en dehors du congé annuel le fonctionnaire peut se voir accorder, sur sa demande, un congé spécial.

Le 20 avril 1974, un accord-cadre a été signé entre la Commission et les organisations syndicales et professionnelles. Selon l'article 16 de cet accord-cadre 'certaines facilités peuvent être consenties aux organisations syndicales ou professionnelles représentatives‘ et parmi celles-ci 'un congé syndical, n'excédant pas en principe 4 jours par an, peut être accordé aux délégués dûment mandatés des organisations représentatives pour leur permettre de participer à l'extérieur de l'institution à des assemblés ou à des congrès syndicaux‘.

L'AIPN relève qu'aucun droit à un congé spécial, sinon dans les cas spécifiques indiqués à l'article 6 de l'annexe V du statut, n'est accordé par le statut au fonctionnaire.

    Sur la base de l'annexe V du statut, l'AIPN peut accorder des congés spéciaux. L'octroi des congés syndicaux est réglé par ledit accord-cadre du 20 septembre 1974 qui prévoit la possibilité d'octroyer un congé syndical aux délégués pour leur permettre de participer à l'extérieur de l'institution à des assemblées ou à des congrès.

L'AIPN, selon la pratique [la] plus récente, octroie ces congés syndicaux uniquement pour les jours où l'événement (congrès, séminaire, etc.) a lieu. Aucun autre congé n'est prévu pour couvrir les jours de voyage en plus du congé syndical.

Si le congrès se déroule, comme dans le cas d'espèce, le samedi et le dimanche, toute demande de congé spécial pour les jours qui précèdent ou suivent cet événement est refusée.

Le fait que, dans le passé, dans certaines occasions similaires, des congés avaient été donnés ne peut être pris comme prétexte pour infirmer l'actuelle pratique qui est conforme aux pouvoirs donnés à l'AIPN par l'accord-cadre. L'attribution par l'AIPN d'autres institutions d'un congé spécial pour les journées en question ne peut pas non plus mettre en doute la décision de l'AIPN de la Commission sur une question qui n'est pas réglée directement par le statut, mais par un accord-cadre entre les organisations syndicales et professionnelles et l'institution d'appartenance.»

Procédure et conclusions des parties

4.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 septembre 1999, les requérants ont introduit le présent recours.

5.
    La procédure écrite s'est terminée le 15 février 2000.

6.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 4 mai 2000.

7.
    Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler les décisions de la Commission du 11 juin 1999;

-    condamner la Commission aux dépens.

8.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

En droit

9.
    Les requérants invoquent quatre moyens à l'appui de leur recours. Le premier moyen est tiré d'une violation des articles 24 bis et 57, second alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), des articles 6 et 7 de l'annexe V du statut et de l'article 16 de l'accord-cadre du 20 septembre 1974 (ci-après l' «accord-cadre»). Les deuxième, troisième et quatrième moyens sont tirés d'une violation, respectivement, du principe de non-discrimination, de l'obligation de motivation et du principe de protection de la confiance légitime.

Sur le premier moyen, tiré d'une violation des articles 24 bis et 57, second alinéa, du statut, des articles 6 et 7 de l'annexe V du statut et de l'article 16 de l'accord-cadre

Arguments des parties

10.
    Les requérants soutiennent qu'il existe un droit à un congé syndical pour participer à un congrès syndical, et que ce droit couvre les jours de voyage nécessaires pour se rendre audit congrès et en revenir. Ils déduisent l'existence de ce droit de l'article 24 bis du statut, qui a pour objet de garantir l'exercice de la liberté syndicale. Ils exposent que, pour compléter l'article 57, second alinéa, du statut et l'article 6 de l'annexe V du statut, suivant lesquels le fonctionnaire peut se voir accorder sur sa demande un congé spécial, la Commission et les organisations syndicales ont fixé dans l'article 16 de l'accord-cadre les modalités précises d'octroi du congé syndical. Selon les requérants, la fixation de ces modalités implique la reconnaissance par la Commission d'un droit, au sens propre, à un congé syndical.Dans ce contexte, ils rappellent également le principe du droit à un délai de route lié au droit à un congé, tel qu'il résulte de l'article 7 de l'annexe V du statut.

11.
    Les requérants estiment que, en tout état de cause, l'effet utile du droit à un congé syndical ne pourrait pas être atteint si ce congé couvrait uniquement les jours du congrès et non pas le temps nécessaire pour s'y rendre et en revenir . Par ailleurs, rien ne s'opposerait à l'application de l'article 16 de l'accord-cadre sous la forme de l'octroi de délais de route.

12.
    Les requérants rappellent aussi qu'avant la décision de rejet de leur demande la pratique de la Commission a précisément été d'accorder un congé pour le jour ou le demi-jour de voyage nécessaire pour se rendre à un congrès et en revenir.

13.
    Ils ajoutent encore que les autres institutions reconnaissent, afin de déterminer le nombre de jours devant être accordé au titre d'un congé syndical, que les jours consacrés aux travaux du congrès et les jours de voyage nécessaires pour se rendre au congrès et en revenir sont des éléments indissociables.

14.
    La défenderesse s'interroge d'abord sur la recevabilité du premier moyen en ce qu'il porte sur la violation des articles 24 bis et 57, second alinéa, du statut et des articles 6 et 7 de l'annexe V dudit statut. Elle fait observer, notamment, que dans leurs réclamations les requérants ne mentionnent que l'article 16 de l'accord-cadre.

15.
    Quant au fond, la défenderesse souligne qu'il n'existe pas un droit au congé syndical. Elle fait remarquer que l'article 16 de l'accord-cadre ne prévoit que la faculté d'accorder un tel congé. Par ailleurs, même si un droit au congé syndical existait, cela ne suffirait pas pour démontrer que l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a agi illégalement, en l'espèce, en limitant l'octroi d'un tel congé aux jours mêmes du congrès.

16.
    Pour ce qui concerne plus précisément la prétendue violation de l'article 24 bis du statut, la défenderesse expose que le refus d'accorder un congé syndical n'empêche aucunement l'exercice des droits syndicaux.

17.
    En tout état de cause, étant donné qu'il s'agit d'une simple faculté, la Commission est d'avis que l'AIPN dispose d'une grande marge d'appréciation, et parmi les éléments à prendre en compte il y a, d'une part, le coût de l'octroi d'un congé syndical et, d'autre part, la nécessité de faciliter la tâche des délégués. Aussi, puisque l'AIPN dispose d'un large pouvoir d'appréciation concernant l'octroi d'un congé syndical, ladite autorité déterminant le nombre de jours de congé pouvant être accordé au titre du congrès lui-même, elle pourrait, à plus forte raison, ne pas tenir compte des délais de route.

18.
    La défenderesse admet que, si le SFIE avait choisi de tenir son congrès, par exemple, un mercredi et un jeudi, elle aurait probablement octroyé deux jours decongé. Toutefois, elle n'aurait en aucun cas accordé quatre jours, même si, dans l'exemple précité, les délégués avaient eu besoin des journées du mardi et du vendredi pour effectuer le voyage. Donc, dans cette hypothèse, les délégués auraient été également obligés de prendre deux jours au titre de leur congé annuel.

19.
    Enfin, la défenderesse expose que sa pratique en matière d'octroi de congé syndical se résume à deux cas, très différents de l'affaire actuelle en termes d'ampleur de la demande, de coût et de perturbation pour le service. La pratique différente d'autres institutions manquerait, elle aussi, de pertinence, étant rappelé que l'accord-cadre a été conclu entre les organisations syndicales et professionnelles et la seule Commission.

20.
    Enfin, la défenderesse fait observer qu'elle s'est, en tout état de cause, montrée généreuse à l'égard des participants au congrès, en mettant à leur disposition un autocar et deux chauffeurs.

Appréciation du Tribunal

21.
    Il convient d'observer, préliminairement, que le présent recours, qui est formellement dirigé contre les décisions de la Commission du 11 juin 1999 rejetant les réclamations des requérants (voir ci-dessus point 7), doit être considéré comme ayant pour objet l'annulation de la décision de la Commission du 23 septembre 1998. En effet, selon une jurisprudence constante, la réclamation d'un fonctionnaire et son rejet par l'AIPN font partie intégrante d'une procédure complexe, de sorte que le recours, même s'il est formellement dirigé contre le rejet de la réclamation du fonctionnaire, a pour effet de saisir le Tribunal de l'acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, point 8, et arrêt du Tribunal du 6 juin 1990, Gouvras-Laycock/Commission, T-44/89, Rec. p. II-217, point 15).

22.
    Il convient de rappeler, ensuite, que l'article 16 de l'accord-cadre invoqué par les requérants est libellé comme suit:

«Certaines facilités peuvent être consenties aux organisations syndicales ou professionnelles représentatives:

a) un congé syndical, n'excédant pas en principe 4 jours par an, peut être accordé aux délégués dûment mandatés des organisations représentatives pour leur permettre de participer à l'extérieur de l'institution à des assemblées ou à des congrès syndicaux;

b) [...]»

23.
    Comme la défenderesse l'a souligné à juste titre, il ressort clairement des termes cités de l'accord-cadre que la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation concernant l'octroi d'un congé syndical. Le Tribunal n'en conserve pas moins la faculté de contrôler que la Commission n'a pas fait une application manifestementerronée dudit accord-cadre. À cet égard, il convient d'examiner notamment l'argument des requérants selon lequel l'article 16 de l'accord-cadre est privé d'effet utile lorsqu'il est interprété en ce sens que le congé syndical ne peut concerner que les jours du congrès et non le temps nécessaire pour s'y rendre et en revenir.

24.
    Force est de constater que c'est cette interprétation qui a été retenue par la Commission dans le cas présent. En effet, le refus d'octroi du congé syndical est basé, dans la décision du 23 septembre 1998, sur la seule considération que «les travaux du Congrès se déroulant le 26 et 27.09.98, la réglementation relative au congé syndical ne s'applique pas aux deux jours pour lesquels la demande [a été introduite]». Cette interprétation n'a pas été abandonnée par l'AIPN dans les décisions du 11 juin 1999 rejetant les réclamations des requérants, ces décisions déclarant qu'«[a]ucun autre congé n'est prévu pour couvrir les jours de voyage en plus du congé syndical», cela signifiant que le temps de trajet occasionné par une participation à un congrès syndical ne relève plus de la notion de congé syndical telle qu'interprétée par l'administration.

25.
    Il y a lieu de constater que cette interprétation est en contradiction avec le libellé clair de l'article 16 de l'accord-cadre, selon lequel un congé syndical «peut être accordé aux délégués [...] pour leur permettre de participer à l'extérieur de l'institution à des assemblées ou à des congrès syndicaux». Étant donné que, pour pouvoir «participer à l'extérieur de l'institution» à un congrès syndical, les délégués ont tout autant besoin de temps pour se rendre sur le lieu du congrès et en revenir que pour prendre part aux travaux dudit congrès, une demande de congé syndical visant précisément ce temps de trajet relève clairement de la faculté décrite dans l'article 16 de l'accord-cadre. Par conséquent, la Commission a commis une erreur manifeste de droit en refusant l'octroi d'un congé syndical aux requérants au seul motif que la réglementation elle-même relative audit congé n'était pas applicable à leur demande.

26.
    À cet égard, il convient de préciser que, dans ses décisions du 23 septembre 1998 et du 11 juin 1999, la Commission ne conteste aucunement que les requérants avaient effectivement besoin des journées du vendredi 25 et du lundi 28 septembre 1998 pour se rendre au congrès syndical en question et en revenir. Elle n'a pas non plus invoqué le nombre élevé de fonctionnaires ayant demandé un congé syndical, ni encore le fait qu'elle prenait déjà à sa charge les frais de voyage des participants au congrès en mettant à leur disposition un autocar et deux chauffeurs. En réalité, les décisions adressées aux requérants ne comportent aucune appréciation de la part de la Commission, tenant aux circonstances de l'espèce, sur l'opportunité d'accorder ou non le congé syndical. Le refus attaqué se fonde donc exclusivement sur la considération, déjà qualifiée d'erronée en droit, selon laquelle une demande de congé syndical portant sur le temps de trajet occasionné par une participation à un congrès syndical ne relève pas de la réglementation relative audit congé.

27.
    Il est utile de rappeler, enfin, que, lorsqu'elle statue sur la situation de fonctionnaires, l'administration doit tenir compte non seulement de l'intérêt du service, mais également de celui du fonctionnaire concerné (arrêt de la Cour du 29 juin 1994, Klinke/Cour de justice, C-298/93 P, Rec. p. I-3009, point 38, et arrêt du Tribunal du 6 mars 1996, Becker/Cour des comptes, T-93/94, Rec. p. II-141, point 36). En l'espèce, les décisions adressées aux requérants font apparaître que la Commission a omis de vérifier si l'intérêt du service était réellement menacé par la demande des requérants et s'il n'y avait pas possibilité de concilier, dans une certaine mesure, les différents intérêts en cause. Ainsi, le fait que le SFIE a organisé son congrès durant une fin de semaine, préservant de la sorte et dans une large mesure l'intérêt du service, n'a pas été pris en compte par la Commission dans l'appréciation du préjudice causé au fonctionnement du service. Si donc, comme il a déjà été constaté ci-dessus, la Commission a commis une erreur de droit dans son interprétation de l'article 16 de l'accord-cadre, il apparaît en plus qu'elle n'a pas, dans l'interprétation dudit article, procédé à une mise en balance de l'intérêt du service et des intérêts des requérants.

28.
    Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen, en ce qu'il est tiré d'une violation de l'article 16 de l'accord-cadre, doit être accueilli.

29.
    Il s'ensuit que la décision du 23 septembre 1998, refusant l'octroi aux requérants d'un congé syndical, doit être annulée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la recevabilité du premier moyen en ce que celui-ci est tiré d'une violation des articles 24 bis et 57, second alinéa, du statut et des articles 6 et 7 de l'annexe V du statut, ni le bien-fondé des autres moyens invoqués par les requérants.

Sur les dépens

30.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission du 23 septembre 1998, refusant aux requérants l'octroi d'un congé syndical, est annulée.

2)    La Commission supportera les dépens.

Tiili                    Moura Ramos                    Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung                                             V. Tiili


1: Langue de procédure: le français.