Language of document : ECLI:EU:T:2009:18

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

27 janvier 2009(*)

« Référé – Concurrence – Demande de sursis à exécution et de mesures provisoires – Décision rejetant une demande de report du point de départ du délai de réponse à une communication des griefs – Décision rejetant une demande d’ordonner la production de documents – Irrecevabilité du recours au principal »

Dans l’affaire T‑457/08 R,

Intel Corp., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis), représentée par M. N. Green, QC, Mme K. Bacon, barrister, et Me I. Vandenborre, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Di Bucci et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en référé relative à certaines mesures prises dans le cadre de la procédure d’application de l’article 82 CE dans l’affaire COMP/3-37.990 Intel,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Intel Corp., est une société qui conçoit, développe, produit et commercialise des microprocesseurs, des circuits intégrés et d’autres éléments semi-conducteurs, ainsi que des solutions de plates-formes pour le traitement des données et des systèmes de communication.

2        Advanced Micro Devices (ci-après « AMD »), une société concurrente de la requérante, a introduit une première plainte auprès de la Commission, le 18 octobre 2000, sur la base de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), puis une deuxième plainte en novembre 2003, sur le fondement de l’article 7 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), dénonçant toutes deux des pratiques prétendument contraires à l’article 82 CE dont la requérante aurait été responsable.

3        En mai 2004, la Commission a entamé une enquête concernant les allégations d’AMD, à l’issue de laquelle elle a adressé, le 26 juillet 2007, une communication des griefs à la requérante, dans laquelle elle prétendait que certains arrangements de commercialisation, à l’égard de Acer, Dell, Hewlett Packard, IBM et NEC, et certaines pratiques de prix d’Intel étaient contraires à l’article 82 CE. La Commission concluait, à titre provisoire, qu’Intel avait mis en œuvre une stratégie anti-concurrentielle visant à exclure AMD, ou à lui limiter l’accès, du marché de 86 microprocesseurs.

4        Parallèlement à l’introduction de ses plaintes auprès de la Commission, AMD a introduit, en juin 2005, un recours civil en responsabilité contre Intel devant l’United States District Court for the District of Delaware (cour de district des États-Unis du district du Delaware), alléguant, notamment, que les pratiques de fixation des prix et de commercialisation d’Intel violaient les règles de concurrence applicables aux États-Unis.

5        Dans le cadre de cette procédure, Intel et AMD ont produit de nombreux documents, dont, en particulier, leurs observations préalables au procès (preliminary pretrial statements), mentionnant chacun une liste des documents de l’autre partie jugés pertinents et auxquels l’accès était demandé.

6        Le 21 mai 2008, la Commission a adopté une demande de renseignements complémentaires, aux termes de laquelle elle demandait, d’une part, à Intel de produire tous les documents cités par AMD dans ses observations préalables au procès et, d’autre part, à AMD de produire tous les documents cités par Intel dans ses observations préalables au procès.

7        Le 16 juillet 2008, la Commission a adopté une communication des griefs complémentaires (ci-après la « CGC »), dans laquelle elle prétendait apporter de nouvelles preuves relatives aux allégations concernant Acer, Dell, IBM et NEC et formulait de nouvelles allégations concernant deux autres sociétés, à savoir Media-Saturn-Holding et Lenovo.

8        Estimant qu’il ressortait des documents d’AMD que certains autres documents figurant dans le dossier constitué par cette dernière dans le cadre de l’affaire pendante devant l’United States District Court of the district of Delaware étaient des éléments à décharge, à son égard, s’agissant des griefs soulevés dans la CGC, Intel a adressé, le 6 août 2008, une demande au chef d’unité compétent de la direction générale (DG) « Concurrence », visant à ce que la Commission requière d’AMD la production de tous les documents ayant directement trait à la CGC.

9        Cette demande ayant été refusée par lettre du 12 août 2008, Intel a, à l’occasion d’échanges de courriers avec le conseiller-auditeur et le chef d’unité compétent de la DG « Concurrence », fait valoir qu’elle considérait le dossier comme incomplet et que, si elle était tenue de déposer une réponse à la CGC dans le délai de huit semaines qui lui était imparti, elle ne serait pas en mesure d’exercer utilement ses droits de la défense.

10      Par lettre du 4 septembre 2008, Intel a adressé une demande au conseiller-auditeur sur le fondement de l’article 10 de la décision 2001/462/CE, CECA de la Commission, du 23 mai 2001, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21), visant à obtenir une première prorogation du délai de réponse à la CGC afin de le porter au 15 décembre 2008. Intel ajoutait que cette demande était sans préjudice de la question de principe relative au caractère incomplet du dossier, annexant à cet égard une liste de documents et de catégories de documents dont l’existence était probable et qui avaient trait aux allégations présentées dans la communication des griefs et dans la CGC (ci-après la « liste des documents d’AMD »).

11      Par décision du 15 septembre 2008, le conseiller-auditeur a accordé une prorogation du délai de réponse d’Intel à la CGC, en le fixant au 17 octobre 2008, et a rejeté l’argument d’Intel selon lequel le caractère incomplet du dossier impliquait que le délai de réponse à la CGC n’avait pas commencé à courir.

12      Par lettre du 17 septembre 2008, Intel s’est de nouveau adressée au conseiller-auditeur en vue de demander l’accès aux versions confidentielles de certains documents d’AMD et de Media-Saturn-Holding auxquels elle avait déjà demandé l’accès dans ses courriers antérieurs, d’une part, et l’adoption d’une décision fondée sur l’article 10 de la décision 2001/462 prorogeant le délai de réponse à la CGC, en le fixant à huit semaines à compter de la date où la Commission fournirait à Intel tous les documents d’AMD ayant trait aux allégations contenues dans la communication des griefs et dans la CGC, d’autre part.

13      Par lettre du 29 septembre 2008, Intel a précisé que, en conséquence d’une réunion tenue avec le membre de la Commission chargé des questions de concurrence, dont il serait ressorti que ce dernier était prêt à examiner sa demande de production de documents supplémentaires, elle demandait la prorogation du délai pour répondre à la CGC jusqu’au dixième jour suivant la date de la décision dudit membre de la Commission, dans l’hypothèse où elle serait négative, ou jusqu’au trentième jour suivant la date où elle aurait accès aux documents supplémentaires, dans l’hypothèse où elle serait positive.

14      Par lettre du 6 octobre 2008, le directeur général de la DG « Concurrence », a informé Intel que la Commission avait décidé de demander à AMD de produire les documents figurant dans la liste des documents d’AMD, dans la mesure, toutefois, où ces documents étaient décrits de telle sorte qu’ils puissent être précisément identifiés. Sept documents ont ainsi été produits par AMD et transmis à Intel le 8 octobre 2008.

15      Par lettre du 6 octobre 2008, le membre de la Commission chargé de la concurrence a également informé le président directeur général d’Intel de la suite donnée à la demande de production des documents supplémentaires d’AMD en renvoyant à la lettre du directeur général de la DG « Concurrence » du 6 octobre 2008.

16      Ce même jour, Intel a répondu au directeur général de la DG « Concurrence » que les sept documents en cause, bien qu’utiles, étaient insuffisants au regard des 87 documents ou catégories de documents d’AMD qu’elle avait mentionnés. Intel exprimait également son intention de s’entretenir avec la Commission en vue d’obtenir l’accès à ces documents et, à cette fin, demandait une prorogation jusqu’au 17 novembre 2008 du délai pour répondre à la CGC.

17      Par lettre du 7 octobre 2008, le conseiller-auditeur a indiqué à Intel que la date pour le dépôt de la réponse à la CGC restait fixée au 17 octobre 2008 et que sa demande d’accès aux documents confidentiels d’AMD était rejetée. S’agissant de l’incidence de la décision de transmettre à Intel les sept documents d’AMD cités dans la lettre du directeur général de la DG « Concurrence » du 6 octobre 2008, le conseiller-auditeur a estimé que leur nombre et leur contenu, tel qu’il ressortait de leur titre, permettaient de considérer que leur prise en compte, par Intel, dans son analyse, ainsi que leur utilisation dans sa réponse ne lui prendraient pas un temps important, tout en précisant qu’il ne pouvait décider, à ce jour, si l’examen de ces documents justifiait une prorogation de délai.

18      Par lettre du 13 octobre 2008, le conseiller-auditeur a demandé à Intel de lui faire savoir, pour le lendemain, si les sept documents reçus par elle le 8 octobre exigeaient que le délai de réponse à la CGC soit prorogé. Il ajoutait que, sur la base des informations à sa disposition, une prorogation de ce délai n’était pas justifiée, mais qu’il examinerait cette question à la lumière des commentaires d’Intel sur la nécessité d’une telle prorogation.

19      Par lettre du même jour, Intel a répondu au conseiller-auditeur qu’elle n’avait d’autre choix que d’introduire un recours devant le Tribunal et que la question d’une prorogation du délai en vue de prendre en considération les sept documents d’AMD ne se posait pas.

 Procédure et conclusions des parties

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 octobre 2008, Intel a introduit un recours visant, par son premier chef de conclusions, à l’annulation de la décision du conseiller-auditeur du 15 septembre 2008, d’une part, et de la décision de la Commission du 6 octobre 2008 communiquée à la requérante par les lettres du membre de la Commission chargé des questions de concurrence et du directeur général de la DG « Concurrence », d’autre part. Par son deuxième chef de conclusions, Intel demande, en outre, que le Tribunal fixe le délai de réponse à la CGC au trentième jour à compter du jour où elle aura accès aux documents d’AMD.

21      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, Intel a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner la suspension de la procédure dans l’affaire COMP/3-37.990 Intel, dans l’attente d’une décision dans l’affaire au principal ;

–        ordonner la suspension du délai fixé pour la présentation d’une réponse à la CGC ;

–        subsidiairement, dans l’hypothèse où le Tribunal rejetterait la demande en référé ou le recours au principal, ordonner qu’il lui soit accordé un délai de trente jours à compter de la décision du Tribunal pour présenter sa réponse à la CGC ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        ordonner toute mesure qu’il juge appropriée.

22      Par requête du 21 octobre 2008, AMD a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

23      La Commission a déposé ses observations sur la présente demande en référé le 27 octobre 2008, dans lesquelles elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        exclure M. Venit, signataire de la demande en référé, de la procédure ;

–        rejeter la demande de mesures provisoires ;

–        condamner Intel aux dépens.

24      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 5 novembre 2008, la Commission a demandé le traitement confidentiel, à l’égard d’AMD, de certaines informations figurant dans ses observations ainsi que dans la demande en référé d’Intel.

25      La Commission ayant conclu, à titre principal, à l’irrecevabilité de la demande de mesures provisoires, le président du Tribunal a invité Intel a présenté ses observations à cet égard, lesquelles ont été déposées le 11 novembre 2008.

 En droit

 Arguments des parties

26      La Commission soutient que la demande de mesures provisoires est irrecevable dès lors que le recours au principal est lui-même manifestement irrecevable en tant qu’il est dirigé contre des actes préparatoires qui ne sont pas susceptibles de recours.

27      S’agissant de la décision du 15 septembre 2008, la Commission soutient, en outre, que, par cette décision, le conseiller-auditeur a accordé une prorogation de délai et n’a pas exclu une prorogation ultérieure, laquelle aurait d’ailleurs été envisagée dans ses courriers des 7 et 13 octobre 2008. Ainsi, Intel ne disposerait d’aucun intérêt à agir contre cette décision positive qui ne l’affecterait pas négativement et directement.

28      S’agissant de la décision du 6 octobre 2008, la Commission ajoute que les lettres du directeur général de la DG « Concurrence » et du membre de la Commission chargé des questions de concurrence ne produisent aucun effet juridique obligatoire et définitif et ne revêtent, dès lors, aucun caractère décisionnel.

29      Le premier chef de conclusions du recours au principal, visant à l’annulation des décisions du 15 septembre et du 6 octobre 2008, serait donc irrecevable.

30      Par ailleurs, le deuxième chef de conclusions du recours au principal, visant à ce que le Tribunal proroge le délai pour le dépôt de la réponse à la CGC, excéderait les compétences dévolues au Tribunal par les articles 230 CE et 233 CE.

31      Intel rappelle que, en principe, la recevabilité du recours au principal n’est pas examinée dans le cadre de la procédure en référé, sous peine de préjuger l’affaire au principal. Ce ne serait qu’à titre dérogatoire, dans les cas où l’irrecevabilité du recours au principal est évidente, que la demande en référé pourrait être rejetée pour ce motif.

32      Intel fait ainsi valoir qu’une demande en référé ne peut être rejetée comme irrecevable que si la recevabilité du recours au principal peut être totalement exclue (ordonnance du président du Tribunal du 18 juin 2008, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07 R, non publiée au Recueil, point 28). Au contraire, la demande en référé ne pourrait être rejetée comme irrecevable lorsqu’il existe des éléments permettant de conclure, à première vue, que la recevabilité du recours au principal n’est pas totalement exclue (ordonnance du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, points 55 et 60).

33      Or, la présente affaire ne constituerait pas l’une des rares hypothèses dans lesquelles la recevabilité du recours au principal peut être totalement exclue, sans aucune analyse détaillée en fait et en droit.

34      Intel considère, en effet, que plusieurs éléments conduisent à conclure que le recours au principal est, à première vue, recevable.

35      S’agissant des effets des décisions attaqués sur sa situation juridique, en premier lieu, Intel fait valoir qu’elles l’obligent à choisir entre faire valoir ses droits de la défense en refusant de répondre sur la base d’un dossier incomplet et présenter une réponse à la CGC sans être en mesure de se fonder sur un ensemble significatif de preuves susceptibles d’être à la fois pertinentes et à décharge. Dans chacune de ces hypothèses, la situation juridique d’Intel serait modifiée.

36      En effet, si Intel refusait de déposer sa réponse, elle pourrait perdre le droit de répondre à la CGC et de se défendre lors d’une audition. Inversement, si Intel répondait sans être en mesure d’exercer pleinement ses droits de la défense, cela rendrait plus probable l’adoption, par la Commission, d’une décision finale illégale constatant qu’Intel a violé l’article 82 CE.

37      Or, un recours contre cette décision ne serait pas susceptible de réparer les conséquences irréversibles en résultant. Intel fait valoir, à cet égard, qu’une décision constatant qu’Intel a commis une infraction à l’article 82 CE aurait une influence sur les enquêtes menées par d’autres autorités de concurrence sur le plan national. Une telle décision entraînerait également un préjudice commercial immédiat, résultant du changement des conditions sur le marché et de l’impossibilité pour Intel de réinstaurer ses pratiques antérieures. Enfin, la réputation d’Intel serait affectée irréversiblement par une décision la reconnaissant coupable d’avoir violé le droit de la concurrence.

38      En deuxième lieu, Intel soutient que la jurisprudence du Tribunal ne permet pas de déterminer si des décisions relatives au caractère complet du dossier d’instruction dans le cadre d’une enquête concernant une procédure d’infraction à l’article 82 CE sont de simples étapes procédurales préparatoires ou des actes attaquables distincts, tels que ceux en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du Tribunal du 7 juin 2006, Österreichische Postsparkasse et Bank für Arbeit und Wirtschaft/Commission (T‑213/01 et T‑214/01, Rec. p. II‑1601, ci-après l’« arrêt Postsparkasse »), et du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, Rec. p. II‑3523, ci-après l’« arrêt Akzo »). En particulier, Intel considère que les affaires ayant donné lieu aux ordonnances du président du Tribunal du 23 mars 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission (T‑10/92 R à T‑12/92 R, T‑14/92 R et T‑15/92 R, Rec. p. II‑1571, ci-après l’« ordonnance Cimenteries CBR »), et du 5 décembre 2001, Commerzbank/Commission (T‑219/01 R, Rec. p. II‑3501, ci-après l’« ordonnance Commerzbank »), ne sont pas comparables à la présente affaire, dès lors qu’elles concernaient des décisions relatives à l’accès au dossier.

39      Intel estime, au contraire, que la solution retenue dans l’arrêt Postsparkasse est applicable en l’espèce, par analogie. En effet, Intel se prévaudrait également d’un préjudice irréparable, indépendant de toute décision que la Commission pourrait adopter au terme de la procédure ouverte à son égard et de l’issue du recours qu’Intel pourrait introduire en vue d’obtenir l’annulation d’une telle décision. Ce préjudice serait celui de se voir refuser la possibilité de présenter des arguments qui pourraient aboutir à ce que la Commission mette immédiatement un terme à son enquête. En outre, même si la Commission devait clore finalement son enquête, Intel aurait supporté des coûts très importants et irrécupérables résultant de la poursuite de la procédure.

40      De même, il n’existerait pas de différence significative entre la décision attaquée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Akzo et les décisions attaquées en l’espèce. En effet, il serait difficile de percevoir une distinction de principe entre les démarches procédurales aboutissant à la production de preuves consécutive au rejet d’une demande de confidentialité des communications entre avocat et client et les démarches procédurales aboutissant à une décision refusant l’accès aux informations pertinentes en possession du plaignant. Les conséquences juridiques et commerciales dans les deux affaires seraient les mêmes, à savoir la circonstance que l’entreprise fait l’objet d’une enquête qui, si ses droits de la défense n’avaient pas été violés, aurait pu être rapidement close. Enfin, dans les deux cas, l’entreprise serait également exposée au risque d’une décision faisant grief, qui aurait pu ne pas être adoptée si ses droits de la défense n’avaient pas été violés.

41      En troisième lieu, Intel prétend qu’une analogie peut également être effectuée entre les décisions attaquées au principal et les décisions de la Commission d’ouvrir la procédure d’enquête formelle prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, impliquant la qualification provisoire d’une mesure d’aide nouvelle. Ainsi que la Cour l’aurait confirmé à plusieurs reprises, une telle appréciation, même provisoire, emporterait des effets juridiques autonomes en ce qu’elle entraînerait une incertitude juridique et commerciale pour les bénéficiaires de l’aide et pour les personnes traitant avec ces entreprises, et qu’elle les exposerait au risque de recours devant les juridictions nationales. Il s’agirait de conséquences irréversibles justifiant la recevabilité d’un recours dirigé contre une décision de cette nature.

42      En quatrième lieu, il conviendrait de prendre en considération le fait qu’un recours devant le Tribunal dirigé contre une décision de constatation d’infraction serait complexe, de sorte que son traitement prendrait probablement plusieurs années. Si Intel devait attendre qu’il soit statué sur un recours dirigé contre la décision finale de la Commission avant que les questions soulevées dans ses demandes soient tranchées, une telle décision interviendrait probablement après qu’elle puisse représenter une voie de recours efficace au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

43      En cinquième lieu, Intel fait valoir que, si le Tribunal devait annuler une décision de la Commission de constatation d’infraction, au motif que celle-ci n’a pas fourni des preuves pertinentes et probablement à décharge, l’affaire serait vraisemblablement renvoyé devant la Commission. Celle-ci serait alors tenue, en application de l’article 233 CE, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt, ce qui exigerait qu’elle fournisse et évalue ces preuves manquantes avant d’adopter une nouvelle décision. Or, il n’existerait aucune garantie que, à ce stade, les preuves demandées par Intel existent toujours. En outre, Intel souligne que, une fois qu’elle aura obtenu les documents en cause, elle devra examiner leur contenu, ce qui impliquera l’audition de témoins, qui serait rendue plus difficile par l’attente de l’issue du recours au principal contre la décision de constatation de l’infraction. Ainsi, si les éléments de preuve n’étaient pas obtenus dans l’immédiat, il serait possible qu’ils ne puissent jamais être obtenus, quelle que soit la décision que pourrait adopter en définitive le Tribunal. Par conséquent, le préjudice dont se plaint Intel serait irréversible, de la même manière que, notamment, celui résultant de la divulgation d’informations confidentielles dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Akzo.

44      Intel soutient enfin que, conformément à la jurisprudence, quand bien même il serait dirigé contre un acte qui ne produit pas d’effets juridiques définitifs, un recours en annulation peut être déclaré recevable dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’acte attaqué est dépourvu de toute apparence de légalité, ce qui serait le cas en l’espèce.

 Appréciation du juge des référés

45      En vertu des dispositions de l’article 104, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une demande de mesures provisoires n’est recevable que si elle émane d’une partie à une affaire dont le Tribunal est saisi. Cette règle implique que le recours au principal, sur lequel se greffe la demande en référé, puisse être effectivement examiné par le Tribunal.

46      Selon une jurisprudence constante, la recevabilité du recours au principal ne doit pas, en principe, être examinée dans le cadre d’une procédure de référé, sous peine de préjuger l’affaire au principal. Il peut, néanmoins, s’avérer nécessaire, lorsque l’irrecevabilité manifeste du recours au principal sur lequel se greffe la demande en référé est soulevée, d’établir l’existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d’un tel recours [ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C‑300/00 P(R), Rec. p. I‑8797, point 34 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 42, et du 8 août 2002, VVG International e.a./Commission, T‑155/02 R, Rec. p. II‑3239, point 18].

47      Un tel examen de la recevabilité du recours au principal est nécessairement sommaire, compte tenu du caractère urgent de la procédure de référé, et il ne peut s’effectuer qu’à partir des éléments avancés par le requérant. La conclusion à laquelle parvient le juge des référés ne préjuge d’ailleurs pas la décision que le Tribunal sera appelé à prendre lors de l’examen du recours au principal (ordonnance Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, précitée, point 35).

48      En effet, dans le cadre d’une demande en référé, la recevabilité du recours au principal ne peut être appréciée que de prime abord, la finalité étant d’examiner si le requérant produit des éléments suffisants qui justifient a priori de conclure que la recevabilité du recours au principal ne saurait être exclue. Le juge des référés ne doit déclarer cette demande irrecevable que si la recevabilité du recours au principal peut être totalement exclue. En effet, statuer sur la recevabilité au stade du référé lorsque celle-ci n’est pas, prima facie, totalement exclue reviendrait à préjuger la décision du Tribunal statuant au principal (ordonnances du président du Tribunal du 17 janvier 2001, Petrolessence et SG2R/Commission, T‑342/00 R, Rec. p. II‑67, point 17 ; Government of Gibraltar/Commission, précitée, point 47, et du 7 juillet 2004, Região autónoma dos Açores/Conseil, T‑37/04 R, Rec. p. II‑2153, point 110).

49      En l’espèce, il convient d’emblée de constater que le deuxième chef de conclusions présenté au principal, visant à ce que le Tribunal proroge le délai de réponse à la CGC de trente jours à compter, le cas échéant, du jour où Intel obtiendra l’accès aux documents d’AMD, est, prima facie, manifestement irrecevable. Conformément à une jurisprudence constante, il n’appartient pas, en effet, au juge communautaire saisi d’un recours en annulation d’une décision d’une institution d’adresser à cette dernière des injonctions. En vertu de l’article 233 CE, il incombe à la seule institution dont la décision a été annulée d’adopter les mesures que comporte l’arrêt d’annulation (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, point 17, et la jurisprudence citée).

50      Quant au premier chef de conclusions présenté au principal, il vise à l’annulation, d’une part, de la décision du conseiller-auditeur du 15 septembre 2008, dans la mesure où elle fixe au 17 octobre 2008 la prorogation du délai pour la réponse en rejetant les arguments de la requérante visant à ce que le délai pour la réponse à la CGC ne commence à courir qu’à compter du jour où elle aura à sa disposition l’ensemble des documents cités dans la liste des documents d’AMD et, d’autre part, de la décision de la Commission du 6 octobre 2008 demandant à AMD la production de sept documents et rejetant, pour le reste, la demande d’Intel de produire l’ensemble des documents mentionnés dans la liste des documents AMD.

51      Ces deux actes constituent des mesures procédurales intermédiaires s’inscrivant dans le cadre de la procédure d’application de l’article 82 CE contre Intel et visant à la mise en état du dossier de la Commission, cette procédure étant susceptible d’aboutir, ultérieurement, à l’adoption d’une décision de constatation d’infraction.

52      À cet égard, il convient de souligner que, selon une jurisprudence constante, ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci. Les actes ou les décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation que s’il s’agit de mesures qui fixent définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. 1981 p. 2639, points 9 et 10, et du 22 juin 2000, Pays-Bas/Commission, C‑147/96, Rec. p. I‑4723, points 25 et 26 ; arrêts du Tribunal du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission, T‑37/92, Rec. p. II‑285, point 27, et du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T‑277/94, Rec. p. II‑351, point 51).

53      Il a ainsi été jugé, notamment dans le cadre de procédures de référé, s’agissant d’actes de la Commission refusant l’accès au dossier à une partie à la procédure administrative, que, même s’ils sont susceptibles d’être constitutifs d’une violation des droits de la défense, de tels actes ne produisent, en principe, que des effets limités propres à un acte préparatoire s’insérant dans le cadre d’une procédure administrative préalable (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑10/92 à T‑12/92 et T‑15/92, Rec. p. II‑2667, ci-après l’« arrêt Cimenteries CBR », point 42). Or, seuls des actes affectant immédiatement et de manière irréversible la situation juridique des entreprises concernées seraient de nature à justifier, dès avant l’achèvement de la procédure administrative, la recevabilité d’un recours en annulation (ordonnance du président du Tribunal du 5 décembre 2001, Reisebank/Commission, T‑216/01 R, Rec. p. II‑3481, ci-après l’« ordonnance Reisebank », point 46, et ordonnance Commerzbank, point 36).

54      Intel prétend toutefois que cette jurisprudence n’est pas applicable par analogie aux décisions des 15 septembre et 6 octobre 2008 dès lors qu’il ne s’agit pas de décisions relatives à l’accès au dossier.

55      Cette allégation ne saurait convaincre. En effet, dans les affaires ayant donné lieu aux ordonnances Reisebank et Commerzbank, les requérants demandaient, au principal, l’annulation de décisions de la Commission refusant l’accès à certains documents dans le cadre d’une procédure d’application de l’article 81 CE et prétendaient, notamment, que ces documents contenaient vraisemblablement des éléments de preuve à décharge.

56      Or, en l’espèce, s’il est vrai qu’Intel ne demande pas l’accès à des documents, considérés par la Commission comme confidentiels, figurant déjà au dossier, mais demande à la Commission d’ordonner la production de documents n’y figurant pas et, accessoirement, de proroger le point de départ du délai de réponse à la CGC jusqu’à la date où ces documents seront produits, il n’en demeure pas moins que, dans ces deux hypothèses, l’objectif consiste à obtenir de la Commission la mise à disposition, dans le cadre de la procédure administrative préalable à une éventuelle décision d’infraction aux règles de concurrence, de documents dont elle estime qu’ils pourraient avoir une incidence sur la décision finale. Le fait que ces documents figurent au dossier mais soient inaccessibles pour des motifs de confidentialité, ou qu’ils n’y figurent pas au motif que la Commission ne les y a pas versés, n’a aucune incidence sur la constatation selon laquelle, ainsi qu’il a été exposé au point 53 ci-dessus, les décisions refusant d’accorder l’accès à ces documents et, consécutivement, de proroger le délai de réponse à la CGC, quand bien même elles seraient susceptibles de constituer une violation des droits de la défense, ne sont que des actes préparatoires dont les effets négatifs ne trouveront à se déployer qu’à l’occasion d’une éventuelle décision finale de constatation d’infraction. En tant que tels, ils sont donc dépourvus d’effets juridiques autonomes et immédiats et ne constituent pas des actes susceptibles de recours.

57      Il a ainsi été jugé, dans les ordonnances Reisebank et Commerzbank, que l’éventuelle violation du droit d’un destinataire d’une communication des griefs de faire connaître utilement son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, ainsi que sur les éléments de preuve destinés à étayer ces griefs, n’est susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante que lorsque la Commission aura adopté, le cas échéant, la décision constatant l’existence de l’infraction qu’elle lui reproche. En réalité, jusqu’à ce qu’une décision finale soit adoptée, la Commission peut, au vu notamment des observations écrites et orales de la requérante, abandonner certains ou même la totalité des griefs initialement articulés contre elle. Elle peut également réparer d’éventuels vices de procédure en rouvrant l’accès au dossier, initialement refusé, afin que la requérante puisse se prononcer à nouveau et en pleine connaissance de cause sur les griefs qui lui ont été communiqués (ordonnances Reisebank, point 48, et Commerzbank, point 38).

58      De la même manière, en l’espèce, il n’est aucunement exclu que, à la suite de la réponse d’Intel à la CGC et de l’audition, la Commission considère nécessaire de demander la production, totale ou partielle, des documents d’AMD non encore obtenus et accorde à Intel un délai supplémentaire pour faire part de ses observations, ou même qu’elle abandonne la procédure à l’égard d’Intel. Ainsi que la Commission le souligne dans ses observations dans le cadre de la présente procédure de référé, la décision du 6 octobre 2008 n’exclut pas, de manière définitive, qu’il soit demandé à AMD de produire d’autres documents, dès lors que la Commission y indique qu’elle accepte d’ordonner la production de documents d’AMD dans la mesure, toutefois, où ces documents ont été décrits de telle sorte qu’ils puissent être précisément identifiés. De même, dans ses courriers des 7 et 13 octobre 2008, le conseiller-auditeur n’excluait pas la possibilité d’une prorogation supplémentaire, mais exigeait d’Intel qu’elle en motive la nécessité.

59      La situation en l’espèce se distingue donc très nettement de celle ayant donné lieu aux arrêts Akzo et Postsparkasse. En effet, alors que les décisions attaquées au principal ne seront éventuellement préjudiciables aux droits d’Intel que si la Commission devait, en définitive, adopter une décision de constatation d’infraction à l’article 82 CE au terme de la procédure d’enquête, dans les arrêts Akzo et Postsparkasse, le Tribunal a expressément fondé la recevabilité des recours sur la constatation selon laquelle les décisions de la Commission rejetant une demande de protection d’un document donné au titre de la confidentialité avaient pour effet de refuser aux entreprises demanderesses le bénéfice d’une protection prévue par le droit communautaire et revêtaient un caractère définitif et indépendant de la décision finale constatant une infraction aux règles de concurrence (arrêt Postsparkasse, point 66, et arrêt Akzo, point 46).

60      Cette jurisprudence concerne donc le cas particulier de décisions rejetant des demandes de traitement confidentiel de documents, soit au titre du principe de respect des secrets d’affaires prévu tant par le règlement n° 1/2003 que par l’article 287 CE, soit au titre de la confidentialité des communications entre avocat et client, eu égard au caractère irréversible de l’atteinte au droit protégé qui en résulte (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 9 juillet 2003, Commerzbank/Commission, T‑219/01, Rec. p. II‑2843, points 69 à 72). En effet, le caractère confidentiel d’un document est, par nature, irrévocablement altéré par sa divulgation à une personne non autorisée, de sorte que la décision qui en est à l’origine produit des effets juridiques autonomes, immédiats et irréversibles à l’égard de la personne qui est titulaire du droit à la protection de la confidentialité du document en cause.

61      Il y a d’ailleurs lieu de relever que le Tribunal a déjà souligné cette spécificité, en jugeant que des décisions relatives à la communication à des tiers de certains documents se distinguaient des décisions refusant l’accès au dossier en ce qu’elles étaient indépendantes de la décision devant intervenir au terme de la procédure engagée par la Commission et, par là même, suffisamment détachables de cette décision ultime (arrêt Cimenteries CBR, points 42 et 43).

62      Ainsi, s’agissant de décisions relatives à la communication à des tiers de certains documents, la possibilité dont disposait l’entreprise en cause d’introduire un recours contre la décision finale constatant une infraction aux règles de concurrence n’était pas de nature à lui garantir une protection adéquate de ses droits. D’une part, la procédure administrative pouvait ne pas aboutir à une décision de constatation d’infraction. D’autre part, le recours ouvert contre cette décision, si elle intervenait, n’aurait de toute façon pas fourni à l’entreprise le moyen de prévenir les effets irréversibles qu’entraînerait une communication irrégulière de certains de ses documents (arrêts Postsparkasse, point 66, et Akzo, point 47).

63      En l’espèce, force est au contraire de constater que, si, par hypothèse, le Tribunal devait reconnaître, dans le cadre d’un recours introduit contre une décision mettant un terme à la procédure engagée contre la requérante, la méconnaissance par la Commission de son obligation d’instruire le dossier avec diligence et impartialité en ce qu’elle aurait omis de demander la production de documents à décharge et de proroger le délai de réponse à la CGC et, partant, devait annuler la décision finale de la Commission pour violation des droits de la défense, ce serait l’ensemble de la procédure qui serait entaché d’illégalité. Dans de telles circonstances, la Commission serait obligée soit d’abandonner toute poursuite à l’encontre de la requérante, soit de reprendre la procédure en lui donnant la possibilité de faire connaître à nouveau son point de vue sur les griefs retenus contre elle à la lumière de l’ensemble des nouveaux éléments auxquels elle aurait dû avoir accès. Dans cette dernière hypothèse, une procédure contradictoire régulière suffirait à rétablir pleinement la requérante dans ses droits et prérogatives (voir, par analogie, arrêt Cimenteries CBR, point 47 ; ordonnances Commerzbank, point 39, et Reisebank, point 49).

64      Dans ces circonstances, il convient de constater que le raisonnement tenu dans les ordonnances Commerzbank et Reisebank s’applique également, par analogie, aux décisions attaquées au principal.

65      Aucun des arguments de la requérante n’est susceptible de mettre en doute cette conclusion.

66      En ce qui concerne, en premier lieu, l’argument tiré de ce que les décisions attaquées obligeraient Intel à choisir entre faire valoir ses droits de la défense en refusant de répondre à la CGC et présenter une réponse à la CGC sur la base d’un dossier incomplet, il suffit de constater que, conformément aux ordonnances Commerzbank et Reisebank, la situation juridique d’Intel n’est affectée ni immédiatement ni de manière irréversible, dès lors que l’atteinte éventuelle aux droits d’Intel ne produira d’effets qu’à l’occasion de l’adoption de la décision finale, laquelle est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation de nature à rétablir Intel dans ses droits. Quant à l’éventuelle incidence de l’absence de dépôt par Intel, dans le délai imparti, d’une réponse à la CGC, il convient de souligner qu’il s’agirait de l’exercice par celle-ci d’un choix qui lui est propre et dont elle devrait supporter les conséquences prévisibles.

67      En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’allégation selon laquelle Intel subirait, du fait des décisions attaquées au principal, un préjudice résultant de ce qu’elle se verrait privée de la possibilité de présenter des arguments qui conduiraient la Commission à mettre fin de manière immédiate à son enquête, lui évitant ainsi des coûts irrécupérables, il convient de relever qu’il s’agit de pures spéculations de fait, dépourvues d’élément de preuve. Au contraire, il ressort de ce qui précède (voir point 58 ci-dessus) que la requérante reste en mesure de faire valoir des arguments démontrant la nécessité de produire les documents en cause. En outre, s’il devait apparaître que l’éventuelle décision finale est entachée d’une violation de ses droits de la défense et de l’obligation pour la Commission d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents, Intel pourrait en obtenir l’annulation et, si les conditions en sont remplies, la réparation du préjudice subi du fait du comportement illégal de la Commission. Enfin, la situation en l’espèce ne se distingue aucunement, sur ce point, des affaires ayant donné lieu à l’arrêt Cimenteries CBR et aux ordonnances Reisebank et Commerzbank, dans le cadre desquels il a été jugé que les décisions refusant l’accès au dossier constituaient des actes procéduraux préparatoires s’insérant dans le cadre d’une procédure administrative préalable, qui, en tant que tels, n’étaient pas susceptibles de recours.

68      En ce qui concerne, en troisième lieu, les arguments tirés, d’une part, de ce que l’adoption d’une décision finale de constatation d’infraction aurait une influence sur les enquêtes menées par les autres autorités de concurrence, notamment en Asie, causerait à la requérante un préjudice commercial résultant du changement des conditions du marché et nuirait à sa réputation, ainsi que, d’autre part, des difficultés relatives à la réunion des éléments de preuve qui seraient rencontrées à l’issue du recours dirigé contre la décision finale et de la nécessité d’éviter l’allongement des procédures, force est de constater qu’ils concernent les effets d’une éventuelle décision de constatation d’infraction, et non les effets des décisions attaquées au principal.

69      Ces arguments, loin de démontrer que lesdites décisions portent atteinte de manière immédiate et irréversible à la situation juridique d’Intel, illustrent au contraire la constatation selon laquelle leurs effets dépendent de la décision finale que la Commission adoptera éventuellement à l’issue de la procédure administrative préalable. Dans cette hypothèse, Intel disposera de voies de recours efficaces, notamment par le biais d’une procédure de référé contre cette décision finale, en vue de faire valoir ses droits et d’empêcher le cas échéant, au moyen de mesures provisoires, la réalisation du préjudice en résultant. Par ailleurs, à supposer même que, bien que cela ne ressorte pas de ses écritures, Intel prétende que les décisions procédurales intermédiaires de la Commission risquent d’avoir une incidence sur la manière dont les autres autorités de concurrence mèneront leurs enquêtes, il suffit de constater que, outre qu’elle est hypothétique, cette circonstance ne concerne pas la capacité de ces décisions à produire des effets juridiques, mais leurs éventuelles conséquences de fait. En outre, si l’éventuelle décision finale de la Commission devait être annulée pour les motifs exposés au point 67 ci-dessus, il serait loisible à la requérante de faire valoir cette circonstance, devant les juridictions compétentes, en vue de contester des décisions finales des autorités de concurrence prétendument influencées par lesdites décisions de la Commission.

70      S’agissant de l’allégation relative à la difficulté accrue de réunir des éléments de preuve du fait de la longueur de la procédure, il convient de souligner, d’une part, qu’Intel n’apporte aucun élément tendant à démontrer que, malgré l’état d’avancement de la procédure administrative, il est improbable que la décision finale de la Commission intervienne à une échéance relativement brève et, d’autre part, que le Tribunal dispose, en vertu du règlement de procédure, du pouvoir de demander la production de tout document qu’il juge pertinent, y compris auprès de tiers, et ce également à l’occasion d’une éventuelle procédure de référé introduite dans le cadre d’un recours en annulation contre ladite décision. Enfin, les arguments d’Intel relatifs à la probable nécessité de procéder à l’audition de témoins une fois les documents d’AMD obtenus, outre qu’ils ne concernent pas les effets juridiques des décisions attaquées au principal, ne constituent que de pures spéculations de fait non étayées.

71      En ce qui concerne, en quatrième lieu, l’argument tiré de la jurisprudence de la Cour relative aux décisions d’ouverture de la procédure formelle d’examen des aides d’État prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, il convient de relever que cette jurisprudence souligne précisément que le caractère attaquable d’un acte dépend de la question de savoir s’il s’agit d’un simple acte préparatoire dont les effets sont tributaires de l’adoption d’un acte ultérieur ou d’une décision produisant, en elle-même, des effets juridiques autonomes.

72      Ainsi, la Cour a considéré que seule la décision d’ouverture de la procédure formelle qualifiant une mesure d’aide nouvelle emportait des effets juridiques autonomes, par opposition à la décision qualifiant une mesure d’aide existante. En effet, s’agissant d’une décision d’ouverture de la procédure formelle qualifiant la mesure en cours d’exécution d’aide nouvelle, la Cour a souligné qu’une telle décision exprimait la position de la Commission selon laquelle l’aide en cause avait été illégalement mise en œuvre, en méconnaissance de l’effet suspensif découlant, à l’égard des aides nouvelles, de l’article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE (arrêt de la Cour du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C-400/99, Rec. p. I-7303, points 56 à 58).

73      Dès lors, selon la Cour, cette décision, qui pourrait être invoquée devant un juge national, modifie nécessairement la situation juridique de la mesure considérée, ainsi que celle des entreprises qui en sont bénéficiaires, notamment en ce qui concerne sa mise en œuvre, laquelle doit en principe être suspendue, du fait de sa qualification d’aide nouvelle, et ce à tout le moins jusqu’à la clôture de la procédure (arrêts Italie/Commission, précité, point 59, et du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission, T-195/01 et T-207/01, Rec. p. II-2309, points 82 et 83).

74      Or, les décisions attaquées au principal ne produisent manifestement pas d’effets de cette nature. En effet, contrairement aux décisions d’ouverture de la procédure formelle qualifiant la mesure en cours d’exécution d’aide nouvelle, qui impliquent une obligation de suspension de la mise en œuvre de l’aide jusqu’au terme de la procédure, et ce quelle que soit l’issue de cette dernière, les décisions attaquées n’entraînent, en soi, aucune conséquence sur la situation juridique de la requérante, tant qu’une éventuelle décision finale qui lui serait défavorable n’est pas adoptée.

75      Il ressort de ce qui précède que les décisions attaquées au principal, par lesquelles la Commission refuse de demander à AMD la production de l’ensemble des documents figurant dans la liste des documents d’AMD et de considérer que le délai de réponse à la CGC ne commencera à courir qu’à compter de cette production, ne sont pas susceptibles de produire des effets juridiques de nature à affecter, d’ores et déjà, et avant l’intervention éventuelle d’une décision constatant une infraction à l’article 82 CE et prononçant, le cas échéant, une sanction contre elle, les intérêts de la requérante (voir, en ce sens, arrêt Cimenteries CBR, point 48 ; ordonnance Reisebank, point 51, et ordonnance Commerzbank, point 41).

76      Intel soutient toutefois que, conformément à la jurisprudence, un recours en annulation contre un acte qui ne produit pas d’effets juridiques définitifs peut être déclaré recevable dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’acte attaqué est dépourvu de toute apparence de légalité.

77      À cet égard, et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, dans des circonstances exceptionnelles, les recours en annulation dirigés contre des mesures dépourvues même de toute apparence de légalité doivent être déclarés recevables, il convient de constater que, en tout état de cause, une telle situation n’est manifestement pas caractérisée en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, Rec. p. I‑7795, point 93).

78      En effet, en vue d’établir l’absence de toute apparence de légalité des décisions attaquées au principal, Intel allègue, en substance, une violation de l’obligation de diligence et d’impartialité de la part de la Commission, en ce que celle-ci aurait cité, dans la CGC, un nombre important de documents d’Intel dans l’affaire pendante devant l’United States District Court of the District of Delaware, présentés comme étant à charge, tout en ignorant des documents d’AMD dans ladite affaire qui seraient à décharge et en refusant de demander la production de tels documents.

79      Or, il ressort du dossier que, d’une part, la Commission a adopté le 21 mai 2008 une demande de renseignements complémentaires, aux termes de laquelle elle demandait notamment à AMD de produire tous les documents cités par Intel dans ses observations préalables au procès, lesquelles constituent, selon la description d’Intel, un document qui a pour but de préciser, d’encadrer et de définir les limites de la procédure d’échange des éléments de preuve (deposition delivery process). D’autre part, la Commission n’a pas rejeté dans son ensemble la demande d’Intel tendant à ce qu’elle obtienne la production par AMD des documents figurant dans la liste des documents d’AMD, mais a accédé à cette demande pour autant que lesdits documents étaient décrits de telle sorte qu’ils puissent être identifiés avec précision et a ainsi ordonné à AMD de produire sept documents. Enfin, le conseiller-auditeur a, par lettre du 13 octobre 2008, demandé à Intel de lui faire savoir, pour le lendemain, si les sept documents reçus par elle le 8 octobre exigeaient que le délai de réponse à la CGC soit prorogé, en ajoutant que, si, sur la base des informations à sa disposition, une prorogation de ce délai n’était pas justifiée, il examinerait néanmoins cette question à la lumière des commentaires d’Intel sur la nécessité d’une telle prorogation.

80      Dès lors, rien ne permet de conclure que la Commission ait adopté un comportement à ce point négligent et partial que les décisions attaquées au principal puissent être considérées comme étant dépourvues de toute apparence de légalité, et ainsi faire l’objet d’un recours en annulation malgré leur caractère préparatoire, à supposer même qu’il faille reconnaître le principe d’une telle possibilité. À cet égard, il convient, au demeurant, de relever que la requérante concède elle-même, de manière contradictoire, dans ses observations en réponse aux observations de la Commission, que la question de l’illégalité manifeste de ce comportement ne peut faire l’objet d’une appréciation sommaire dès lors qu’elle est inextricablement liée aux faits de l’espèce.

81      Il ressort de ce qui précède que le premier chef de conclusions formulé au principal apparaît, prima facie, manifestement irrecevable et que la requérante n’a pas été en mesure de fournir des éléments permettant de remettre en cause cette conclusion.

82      À titre surabondant, compte tenu des développements exposés précédemment, force est de constater que la condition de l’urgence, posée par l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, n’est pas remplie en l’espèce.

83      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C’est à cette dernière qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnance du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 187, et la jurisprudence citée). Ainsi, la demande de sursis à exécution ne saurait être accueillie lorsque le préjudice allégué est de nature purement hypothétique et fondé sur la probabilité aléatoire d’événements futurs et incertains (ordonnances du président du Tribunal du 15 juillet 1994, EISA/Commission, T‑239/94 R, Rec. p. II‑703, point 19, et du 2 décembre 1994, Union Carbide/Commission, T‑322/94 R, Rec. p. II‑1159, point 30).

84      Or, en l’espèce, en premier lieu, le préjudice, décrit au point 68 ci-dessus, dont la requérante prétend éviter la survenance, à savoir, en substance, les conséquences diverses d’une décision finale d’application de l’article 82 CE prise en violation de ses droits de la défense, dépend d’un événement futur et hypothétique, à savoir, précisément, l’adoption d’une décision finale de la Commission défavorable à la requérante.

85      Non seulement l’adoption d’une telle décision, dès avant la réponse à la CGC et l’audition de la requérante, ne revêt pas un caractère certain, ni quant à son contenu, ni même quant à son résultat, mais les effets préjudiciables qui en résulteraient éventuellement ne seraient pas irréparables, dès lors que la requérante disposerait de la possibilité d’en demander tant l’annulation que la suspension. Elle pourrait, le cas échéant, faire valoir, à l’occasion d’une demande de sursis à l’exécution de la décision finale, le risque, à son égard, de survenance du préjudice dont elle fait état prématurément, et au demeurant de manière insuffisamment étayée, dans le cadre de la présente procédure.

86      En second lieu, la requérante invoque l’existence d’un préjudice consistant dans le fait que, en l’absence des mesures provisoires demandées, et dès lors que la date d’expiration du délai pour le dépôt de la réponse à la CGC était le 17 octobre 2008, la Commission pourrait considérer qu’Intel a renoncé à exercer ses droits de la défense et qu’elle est ainsi en mesure d’adopter une décision de constatation d’infraction. Ce préjudice serait irréparable dès lors que la requérante perdrait de la sorte le droit de répondre à la CGC.

87      Il suffit, à cet égard, de constater que la requérante n’était nullement empêchée, que ce soit par les décisions attaquées au principal, ou par l’introduction de son recours en annulation et de la présente demande en référé, de préparer et de déposer, en temps utile, sa réponse à la CGC sur la base des éléments dont elle disposait, à tout le moins à titre conservatoire, et ce d’autant plus qu’elle avait obtenu, de la part du conseiller-auditeur, une prorogation de délai de quatre semaines.

88      Dans ces circonstances, et eu égard à la jurisprudence constante selon laquelle l’urgence à ordonner une mesure provisoire doit résulter des effets produits par l’acte litigieux et non d’un manque de diligence du demandeur de ladite mesure (voir ordonnance du président du Tribunal du 1er février 2001, Free Trade Foods/Commission, T‑350/00 R, Rec. p. II‑493, point 59, et la jurisprudence citée), il est manifeste que le préjudice que la requérante pourrait subir du fait de son choix autonome de ne pas déposer une réponse à la CGC dans le délai prescrit par la Commission ne saurait justifier qu’il soit fait droit à sa demande en référé.

89      Pour les mêmes motifs, il n’y pas lieu, pour le juge des référés, d’ordonner de manière exceptionnelle, compte tenu de circonstances particulières et en faisant usage des larges pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 243 CE, la prorogation du délai de réponse à la CGC au trentième jour à compter de la date de la présente ordonnance. Il est toutefois loisible à la Commission, afin de disposer de l’ensemble des éléments pertinents nécessaires à la bonne conduite de la procédure administrative, d’accorder une telle prorogation en vue de permettre à Intel de déposer une réponse à la CGC, bien que celle-ci ne se soit pas conformée au délai initialement fixé, ou de prendre en considération des observations écrites reçues après l’expiration de ce délai.

90      Il ressort de tout ce qui précède que la présente demande en référé doit être rejetée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la demande d’intervention d’AMD ainsi que sur la demande de traitement confidentiel de certaines informations introduite par la Commission. Il n’y a pas non plus lieu de se prononcer sur la demande de la Commission tendant à exclure de la procédure l’un des signataires de la présente demande en référé.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 27 janvier 2009.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


** Langue de procédure : l’anglais.