Language of document : ECLI:EU:T:1998:119

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

9 juin 1998 (1)

«Fonctionnaires — Promotion — Mise à la disposition du service antérieur — Détachement dans l'intérêt du service — Détournement de pouvoir»

Dans l'affaire T-176/97,

Alan Hick, fonctionnaire du Comité économique et social des Communautés européennes, représenté par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure et Ariane Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

contre

Comité économique et social des Communautés européennes, représenté par M. Moisés Bermejo Garde, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Denis Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique de la Commission des Communautés européennes, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du Comité économique et social n° 439/96 A, du 30 septembre 1996, portant promotion de M. J. au grade A 3 et nomination en tant que chef de la division des affaires sociales, familiales,

de l'éducation et de la culture à la direction B des travaux consultatifs , ainsi que de la décision du même jour portant rejet de la candidature du requérant à cet emploi ,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, R. García-Valdecasas et M. Jaeger, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 3 mars 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le requérant est actuellement fonctionnaire de grade A 4 à la division des affaires sociales, familiales, de l'éducation et de la culture (ci-après «division des affaires sociales») de la direction B des travaux consultatifs du Comité économique et social des Communautés européennes (ci-après «CES»).

2.
    A la suite du décès du chef de cette division en avril 1996, le requérant en a assumé la direction à titre provisoire.

3.
    Le 18 juin 1996, le CES a publié l'avis de vacance n° 8/96 en vue de pourvoir l'emploi de chef de division de grade A 3 à la division des affaires sociales.

4.
    L'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a reçu neuf candidatures en temps utile. Trois d'entre elles, dont celle du requérant, ont été expressément introduites dans la perspective d'un éventuel concours interne [article 29, paragraphe 1, sous b), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, ci-après «statut»].

5.
    L'AIPN n'a pas organisé un tel concours. Par décision n° 439/96 A, du 30 septembre 1996, elle a nommé M. J. à cet emploi par promotion [article 29, paragraphe 1, sous a), du statut], avec effet à compter du 1er octobre 1996.

6.
    Par décision n° 440/96 A du même jour M. J. a été mis à la disposition de la direction générale des travaux consultatifs, service spécialisé «délégations» (ci-après

«service des délégations») pour la période d'un mois, à savoir du 1er au 31 octobre 1996.

7.
    Par lettre du même jour encore, le président du CES a informé le requérant que sa candidature n'avait pas été retenue.

8.
    Le 30 octobre 1996, M. Tom Jenkins a été élu président du CES. Le même jour, la direction du personnel du CES a diffusé, par courrier électronique, le «Tableau recrutement et carrière fonctionnaires et agents du CES et structure commune — Décisions prenant effet le 1er novembre 1996» (ci-après «tableau de recrutement»). Il y était annoncé que M. J. serait détaché dans l'intérêt du service au cabinet du président.

9.
    Par décision n° 497/96 A, du 8 novembre 1996, l'AIPN a détaché, dans l'intérêt du service, M. J. comme chef de cabinet au secrétariat du président avec effet immédiat et jusqu'au terme du mandat du président nouvellement élu.

10.
    Par décision n° 563/96 A, du 23 décembre 1996, l'AIPN a appelé le requérant à occuper, par intérim, l'emploi de chef de division pendant le détachement de M. J., la décision prenant effet au 1er novembre 1996.

11.
    Le 24 décembre 1996, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision n° 439/96 A, du 30 septembre 1996, portant nomination de M. J. à l'emploi de chef de division à la division des affaires sociales, d'une part, et contre la décision du même jour portant rejet de sa candidature, d'autre part.

12.
    Le 22 avril 1997, l'AIPN a rejeté la réclamation du requérant. Elle a notamment expliqué qu'elle avait pris la décision de mettre M. J. à la disposition du service des délégations «dans l'intérêt du service ayant tenu compte du fait qu'il s'agi[ssai]t de l'emploi occupé précédemment par M. [J.], du travail existant à ce moment à l'unité et du nombre réduit de personnes y affectées» et aux fins de l'achèvement des travaux en cours. Elle a également souligné que le détachement de M. J. comme chef de cabinet au secrétariat du président avait été décidé par ce dernier, en sa qualité d'AIPN, dans l'intérêt du service, en vertu des articles 35, sous b), et 37, premier alinéa, sous a), deuxième tiret, du statut.

Procédure

13.
    Le requérant a déposé sa requête le 11 juin 1997.

14.
    Par lettre du 13 octobre 1997, le requérant a renoncé au dépôt d'un mémoire en réplique. La procédure écrite a ainsi été clôturée le 13 octobre 1997.

15.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a ouvert la procédure orale sans ordonner de mesure d'instruction préalable. Toutefois, en vertu de l'article 64 de son règlement de procédure, il a invité le défendeur à produire un document. Le défendeur a donné suite à cette demande dans le délai imparti.

16.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 3 mars 1998.

Conclusions des parties

17.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision n° 439/96 A, du 30 septembre 1996, portant nomination de M. J. à l'emploi de chef de la division des affaires sociales;

—    annuler la décision du même jour portant rejet de la candidature du requérant;

—    condamner le défendeur aux dépens.

18.
    Le défendeur conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme non fondé;

—    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur le fond

19.
    Le requérant soulève un moyen unique tiré d'une violation des articles 4, paragraphe 1, et 27 du statut, ainsi que d'un détournement de pouvoir consistant en un détournement de procédure.

Sur le moyen unique tiré d'une violation des articles 4, paragraphe 1, et 27 du statut, ainsi que d'un détournement de pouvoir consistant en un détournement de procédure

Argumentation des parties

20.
    Selon le requérant, l'AIPN a nommé M. J. à l'emploi en cause dans le seul but de le promouvoir au grade A 3 pour le détacher ensuite dans son nouveau grade au cabinet du président du CES nouvellement élu. Cette décision procéderait d'un détournement de pouvoir dans la mesure où elle ne tend ni à pourvoir effectivement l'emploi visé dans l'avis de vacance n° 8/96 ni à assurer au CES le concours d'un fonctionnaire possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité comme l'impose l'article 27 du statut.

21.
    Le requérant fonde ses affirmations sur la constatation que M. J. n'a jamais occupé l'emploi auquel il a été nommé. Il considère en conséquence que la solution retenue par le Tribunal dans l'arrêt du 19 novembre 1996, Brulant/Parlement (T-272/94, RecFP p. II-1397, points 43 et suivants), s'applique également en l'espèce.

22.
    A l'audience, il a énuméré une série d'éléments qui, selon lui, révèlent l'existence, en l'espèce, d'un détournement de pouvoir (voir ci-dessous point 28).

23.
    Enfin, il souligne ses propres mérites et relève qu'il exerce les fonctions afférentes à l'emploi litigieux depuis le mois d'avril 1996, à l'entière satisfaction de son notateur.

24.
    Le défendeur conclut au rejet du moyen et du recours, en soulignant le caractère régulier de la procédure litigieuse et l'existence d'indices démontrant, au contraire, l'absence de détournement de pouvoir.

25.
    Ces indices seraient les suivants:

—    les décisions n°s 439/96 A et 497/96 A émanaient d'AIPN différentes, la première ayant été prise par le bureau du CES et la seconde par le président du CES;

—    la décision n° 439/96 A a été prise plus d'un mois avant l'élection du président M. Jenkins;

—    le détachement de M. J. comme chef de cabinet du président du CES ne présupposait pas qu'il eût le grade A 3;

—    M. J. possédait les aptitudes requises par l'avis de vacance n° 8/96: il s'était familiarisé depuis longtemps avec le domaine des affaires sociales et avait fait preuve de qualités remarquables dans ses fonctions antérieures, témoignant d'une aptitude à gérer une unité administrative selon les méthodes de travail propres à un organe consultatif des Communautés européennes.

Appréciation du Tribunal

26.
    En substance, le requérant allègue que la nomination litigieuse n'a pas eu pour objet de pourvoir à la vacance d'un emploi dans les conditions prévues dans le statut et qu'elle est, en conséquence, entachée d'un détournement de pouvoir consistant en un détournement de procédure.

27.
    Un acte n'est entaché de détournement de pouvoir que s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif ou,

à tout le moins, déterminant d'atteindre des fins autres que celles excipées ou d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce (arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331/88, Rec. p. I-4023, point 24, et la jurisprudence y citée; arrêt du Tribunal du 15 février 1996, Ryan-Sheridan/FEACVT, T-589/93, RecFP p. II-77, point 117, et la jurisprudence y citée).

28.
    Comme indices d'un détournement de procédure, le requérant invoque, outre le fait que M. J. n'a jamais effectivement occupé l'emploi litigieux, les éléments suivants:

—    il ressortirait du tableau de recrutement que la décision de détacher M. J.au cabinet du président, bien qu'adoptée officiellement le 8 novembre 1996, avait en réalité déjà été prise au plus tard le jour de l'élection de M. Jenkins;

—     le fait que le fonctionnaire promu n'a pas exercé les fonctions attachées à l'emploi auquel il avait été nommé pendant une période non couverte par une décision administrative de mise à disposition ou de détachement (période allant du 1er au 7 novembre 1996) démontrerait que l'institution défenderesse n'aurait jamais eu l'intention de lui confier l'exercice de ces fonctions;

—     le détachement de M. J. aurait été contraire à l'intérêt du service en raison des problèmes que connaissaient tant le service des délégations que la division des affaires sociales, laquelle comptait, depuis des années, le requérant comme seul fonctionnaire de catégorie A;

—     le défendeur aurait transféré l'emploi en cause au service des délégations;

—     les résultats de l'élection de M. Jenkins auraient été acquis déjà au mois d'avril 1996;

—     M. J. aurait fait part au requérant de son intention de ne jamais prendre ses fonctions de chef de la division des affaires sociales.

29.
    Le requérant n'a nullement étayé ses affirmations exposées aux deux derniers tirets du point précédent. Il n'y a dès lors pas lieu d'en tenir compte. En revanche, il convient d'examiner si les autres éléments qu'il a avancés constituent de tels indices.

30.
    Il y a d'abord lieu de souligner que la référence faite par le requérant à l'arrêt Brulant/Parlement, cité au point 21 ci-dessus, est dénuée de pertinence. Certes, dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, comme en l'espèce, le fonctionnaire promu avait été chargé d'exercer des fonctions organiquement et substantiellement différentes de celles décrites dans l'avis publié aux fins de pourvoir à la vacance de

l'emploi auquel il avait été nommé. Toutefois, à l'inverse de ce qui s'est produit dans la présente affaire, cette circonstance ne résultait pas d'une mise à disposition de courte durée et d'un détachement du fonctionnaire en application de l'article 37, sous a), deuxième tiret, du statut, mais d'une réaffectation non limitée dans le temps, avec l'emploi auquel il avait été nommé, auprès d'une autre direction générale (arrêt Brulant/Parlement, précité, point 43).

31.
    En outre, ni les décisions de mise à disposition et de détachement ni aucune autre pièce du dossier ne corroborent l'affirmation du requérant selon laquelle le poste visé par l'avis de vacance n° 8/96 a été transféré au service des délégations.

32.
    A le supposer établi, le fait que l'institution défenderesse ait prévu, dès le 30 octobre 1996, le détachement du fonctionnaire promu au cabinet du président du CES ne permet pas de conclure que le défendeur ait exercé ses pouvoirs pour atteindre des fins autres que celles excipées. L'institution défenderesse aurait-elle prévu ce détachement à la date de la nomination litigieuse que ce fait ne constituerait pas un indice d'un détournement de procédure. En effet, le statut ne subordonnant pas un détachement au titre de l'article 37, sous a), deuxième tiret, du statut à la condition que le fonctionnaire concerné ait effectivement exercé les fonctions attachées à cet emploi, il serait contraire audit statut de proscrire le détachement d'un fonctionnaire nouvellement nommé à un emploi. De même, le statut ne subordonnant pas une promotion au titre de l'article 45 du statut à la condition que le fonctionnaire concerné n'ait aucune perspective d'être détaché, une promotion ne saurait être interdite pour la seule raison que ce fonctionnaire pourrait éventuellement être détaché dans l'intérêt du service à la suite de sa nomination.

33.
    S'agissant, en l'espèce, d'une décision de mise à disposition d'un mois et d'un détachement opéré en application de l'article 37, sous a), deuxième tiret, du statut, le fait que M. J. n'a pas encore exercé les fonctions de chef de la division des affaires sociales ne permet pas de présumer que, en le nommant, l'AIPN n'a jamais eu l'intention de lui confier l'exercice des fonctions afférentes au poste considéré. En effet, sauf s'il devait être muté, promu ou placé dans l'une des positions visées à l'article 35, sous b), sous c), sous d) ou sous e), du statut, M. J. devrait exercer ces fonctions à l'issue du détachement dont il fait actuellement l'objet.

34.
    Quant à la circonstance que M. J. n'a pas exercé ses fonctions au service des affaires sociales pendant la période allant du 1er au 7 novembre 1996, le requérant n'a pas contredit l'explication fournie par le défendeur à l'audience, selon laquelle un certain flottement administratif avait prévalu au cours de cette période en raison de l'élection du président, de jours fériés et d'absences. Cet élément, pour regrettable qu'il soit, ne constitue toutefois pas un indice suffisant d'un détournement de pouvoir.

35.
    En ce qui concerne l'intérêt du service, il importe de relever que, à l'audience, le requérant a souligné qu'il ne remettait aucunement en cause l'appréciation des mérites comparatifs des candidats à la nomination litigieuse. Il n'a pas non plus infirmé l'explication fournie par le défendeur dans sa lettre de rejet de la réclamation pour justifier la mise à disposition de M. J. (voir point 12 ci-dessus). En revanche, il a estimé que le détachement de ce dernier était contraire à l'intérêt du service en raison des problèmes que connaissaient le service des délégations et la division des affaires sociales, qui, depuis des années, comptait le requérant comme seul fonctionnaire de catégorie A.

36.
    A cet égard, il convient de rappeler que les institutions disposent d'un large pouvoir d'appréciation dans l'organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l'affectation, en vue de celles-ci, du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition, cependant, que cette affectation se fasse dans l'intérêt du service et dans le respect de l'équivalence des emplois. Les problèmes éventuels que le départ d'un fonctionnaire peut causer à son service antérieur et le profit que son nouveau service peut tirer de la réaffectation sont des considérations relevant du même pouvoir d'appréciation (arrêts de la Cour du 14 juillet 1983, Nebe/Commission, 176/82, Rec. p. 2475, point 18, et du Tribunal du 16 décembre 1993, Turner/Commission, T-80/92, Rec. p. II-1465, point 53, et du 18 avril 1996, Kyrpitsis/CES, T-13/95, RecFP p. II-503, points 55 et 56).

37.
    Le requérant n'a pas démontré que l'AIPN avait excédé les limites de son pouvoir d'appréciation dans ce domaine, d'autant plus que la division des affaires sociales fonctionnait, depuis des années, avec un seul fonctionnaire de catégorie A. Cette circonstance pouvait laisser supposer que le détachement temporaire de M. J., nouvellement nommé dans cette division, ne la handicaperait pas significativement dans l'immédiat.

38.
    Dans ces conditions, les indices relevés par le requérant ne prouvent pas avec un degré de certitude suffisant que la nomination litigieuse poursuivait des fins autres que celle de pourvoir l'emploi en cause conformément au statut.

39.
    Il découle de ce qui précède que le moyen unique et, partant, le recours doivent être rejetés comme non fondés.

Sur les dépens

40.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en ses moyens et le CES ayant invité le Tribunal à statuer sur les dépens comme de droit, chacune des parties supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté comme non fondé.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Azizi
García-Valdecasas
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: le français.