Language of document : ECLI:EU:T:2015:1008

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

17 décembre 2015 (*)

« Référé – REACH – Mise à disposition sur le marché et utilisation de produits biocides – Inscription d’une société en qualité de fournisseur d’une substance active, sur la liste visée à l’article 95 du règlement (UE) n° 528/2012 – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑543/15 R,

Lysoform Dr. Hans Rosemann GmbH, établie à Berlin (Allemagne),

Ecolab Deutschland GmbH, établie à Monheim-sur-le-Rhin (Allemagne),

Schülke & Mayr GmbH, établie à Norderstedt (Allemagne),

Diversey Europe Operations BV, établie à Utrecht (Pays-Bas),

représentées par Mes K. Van Maldegem, M. Grunchard et P. Sellar, avocats,

parties requérantes,

contre

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme C. Buchanan et M. W. Broere, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision de l’ECHA du 17 juin 2015 portant inscription de la société O., en qualité de fournisseur d’une substance active, sur la liste visée à l’article 95, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides (JO L 167, p. 1),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Le 18 décembre 2006, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le règlement (CE) n° 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1), dont une version rectifiée a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2007, L 136, p. 3), et qui a été modifié par la suite à plusieurs reprises. Ce faisant, le législateur a institué un régime concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances visant, notamment, à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation desdites substances dans le marché intérieur.

2        Dans le cadre du présent litige, les requérantes, Lysoform Dr. Hans Rosemann GmbH, Ecolab Deutschland GmbH, Schülke & Mayr GmbH et Diversey Europe Operations BV, qui sont des entreprises chimiques et pharmaceutiques actives, notamment, dans les domaines de l’hygiène, de la désinfection, de l’antisepsie et du nettoyage, s’opposent à une mesure adoptée par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qui, de leur avis, les a privées de leur droit d’obtenir, de la société O., une compensation financière pour les coûts qu’elles avaient dû engager dans le cadre du programme de réexamen mené par l’ECHA au regard d’une substance active biocide déterminée.

3        La directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, concernant la mise sur le marché des produits biocides (JO L 123, p. 1) a fourni un cadre à l’autorisation et à la mise sur le marché de produits biocides au sein des États membres de l’Union européenne. À cette fin, elle a fixé des règles communes d’évaluation et d’inscription des substances actives contenues dans des produits biocides figurant sur des listes positives de substances actives autorisées, ainsi que de réenregistrement des produits biocides contenant de telles substances au niveau des États membres.

4        La substance active biocide propan-1-ol (ci-après l’« alcool propylique ») s’inscrit dans un programme de réexamen au niveau de l’Union, mis en place en vertu de l’article 16 de la directive 98/8. Cette substance a été notifiée à la Commission européenne pour réexamen par les requérantes, en tant que membres du groupe de travail dénommé Alcohol Task Force (groupe de travail sur l’alcool), qui a été créé en 2001 en vue d’une collaboration et d’un partage des frais et des efforts liés à la présentation d’un dossier de réexamen, notamment, pour l’alcool propylique au niveau de l’Union. La société O. n’est pas membre du groupe de travail susmentionné.

5        La participation au réexamen de l’alcool propylique impliquait pour les requérantes, en tant qu’auteurs d’une notification, la prise en charge de dépenses, étant donné qu’elles devaient produire des données scientifiques et verser à la Commission et aux États membres des redevances pour le programme de réexamen. Ainsi, en leur qualité de sociétés notifiantes, les requérantes ont présenté le dossier requis pour l’alcool propylique en vue d’un réexamen par l’État membre rapporteur désigné à cet effet.

6        Dans l’attente du réexamen, toutes les personnes ou entités ayant produit de l’alcool propylique ou ayant mis au point la formulation de produits biocides contenant de l’alcool propylique étaient autorisées à démarrer ou à poursuivre la vente d’alcool propylique ou de produits biocides contenant de l’alcool propylique, même si elles n’avaient pas procédé elles-mêmes à une notification. Les requérantes estiment que la société O. compte parmi ces personnes ou entités. Elles en concluent que la société O., en tant que société non participante, tire profit sans contrepartie des efforts qu’elles ont déployés dans le cadre du réexamen de l’alcool propylique.

7        La directive 98/8 a été remplacée par le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides (JO L 167, p. 1), tel que modifié, qui est entré en vigueur le 1er septembre 2013. En vertu de l’article 95, paragraphe 1, du règlement n° 528/2012, l’ECHA était tenue, à compter du 1er septembre 2013, de publier une liste de toutes les substances actives pour lesquelles un dossier conforme à ce règlement ou à la directive abrogée avait été présenté et accepté ou validé dans le cadre d’un programme de réexamen (ci-après la « liste pertinente »). Cette liste incluait l’alcool propylique et comportait la dénomination sociale des sociétés notifiantes, en raison de leur qualité de fabricant ou d’importateur vers l’Union d’alcool propylique, ou en leur qualité de personnes ayant mis au point la formulation de produits biocides à base d’alcool propylique.

8        L’article 95, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 528/2012 dispose que, à compter du 1er septembre 2015, tout produit biocide constitué d’une substance inscrite à la liste pertinente, ou contenant ou générant ladite substance, n’est mis à disposition sur le marché de l’Union qu’à condition que le fournisseur de la substance ou le fournisseur du produit figure sur cette liste. Par conséquent, les sociétés ne figurant pas sur la liste pertinente, mais souhaitant commercialiser après le 1er septembre 2015 des produits biocides qui contiennent une substance inscrite à la liste pertinente, doivent présenter à l’ECHA, en vertu de l’article 95, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 528/2012, soit un dossier complet relatif à la substance, soit une lettre d’accès à un dossier complet relatif à la substance, ou encore une référence à un dossier complet relatif à la substance.

9        Lorsqu’une société élabore un dossier complet pour le présenter à l’ECHA dans la perspective d’être inscrite sur la liste pertinente, elle est tenue de respecter les règles obligatoires de partage des données fixées aux articles 62 et 63 du règlement n° 528/2012. Ainsi, lorsque les données relatives aux animaux vertébrés, les études toxicologiques et écotoxicologiques ainsi que toutes les études sur le devenir et le comportement dans l’environnement ont déjà été produites par une autre société et que ces données sont celles dont a besoin une société donnée pour compléter son dossier, cette dernière doit se rapprocher du propriétaire des données en cause et s’efforcer de négocier un droit d’accès à celles-ci. Si la négociation aboutit, l’accord prévoit, d’une part, le versement d’une contribution équitable par la société demanderesse aux coûts exposés par le propriétaire des données pour la production de celles-ci et, d’autre part, l’accès de cette société à ces données en vue de son inclusion à la liste pertinente. En cas d’échec des négociations, l’ECHA est en droit d’autoriser la société demanderesse à faire référence aux données en dépit du défaut d’accord entre les parties, sous réserve toutefois que ladite société contribue aux coûts de façon équitable et proportionnelle.

10      Pour des substances actives existantes telles que l’alcool propylique, la période de protection des données soumises pour la première fois à la Commission ou à l’ECHA est de dix ans à compter du premier jour du mois suivant la date à laquelle la décision d’approbation pour le type de produits concerné a été adoptée (article 60, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 528/2012) ou se termine le 31 décembre 2025 pour les types de produits qui relèvent du programme de réexamen mais n’ont pas encore été approuvés au 1er septembre 2013 (article 95, paragraphe 5, du même règlement, tel que modifié).

11      Pour ce qui est des données nécessaires au cours du réexamen de l’alcool propylique, l’État membre rapporteur a obligé les requérantes, en 2008, à produire une étude sur les vertébrés réalisée in vivo sur des cellules de foie, d’estomac et de sang de rat (ci-après le « Comet test »). Cette obligation a fait l’objet de discussions avant d’être confirmée par les autorités nationales d’un autre État membre au cours d’une réunion technique tenue en juin 2009. Il a été indiqué aux requérantes que le défaut de présentation de cette étude donnerait lieu à une décision constatant le caractère lacunaire du dossier. Les requérantes ont proposé une exemption à l’égard de certaines données, mais cette exemption leur a été refusée par l’État membre rapporteur. Les requérantes ont alors réalisé l’étude et l’ont présentée afin de compléter leur dossier.

12      S’agissant de la société O., elle s’est adressée, en octobre 2013, à l’ECHA en vue d’être inscrite sur la liste pertinente en tant que fournisseur d’alcool propylique. La société O. a également contacté les requérantes aux fins d’un éventuel partage des données, au sens de l’article 62 du règlement n° 528/2012, mais ne s’est pas efforcée de négocier un accès au « Comet test », bien que les requérantes l’ait informée de l’obligation formulée par l’État membre rapporteur à cet égard.

13      Nonobstant le fait que la société O. n’avait pas eu accès au « Comet test », l’ECHA a décidé le 17 juin 2015 que cette société lui avait soumis, en date du 29 janvier 2015, un dossier complet relatif à l’alcool propylique, au sens de l’article 95, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 528/2012, et qu’il y avait donc lieu de l’inscrire sur la liste pertinente (ci-après la « décision attaquée »). Selon les requérantes, la décision attaquée a pour effet, d’une part, que la société O. est autorisée à continuer de fournir de l’alcool propylique à sa clientèle à compter du 1er septembre 2015 et, d’autre part, que conformément à l’article 95, paragraphe 4, du règlement n° 528/2012, ses clients peuvent poursuivre leur commercialisation sur le marché de l’Union de produits contenant de l’alcool propylique sans devoir être, eux-mêmes, inscrits sur la liste pertinente.

14      Le 28 juillet 2015, les requérantes ont demandé à l’ECHA de leur indiquer si elle était d’avis que le « Comet test » n’était pas nécessaire à l’inscription de la société O. sur la liste pertinente. Par lettre du 18 août 2015, l’ECHA a confirmé qu’elle était effectivement de cet avis.

15      Le 28 août 2015, les requérantes ont tout d’abord contesté la décision attaquée devant la chambre de recours de l’ECHA, conformément à l’article 92, paragraphe 1, du règlement n° 1907/2006.

16      Ensuite, par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 septembre 2015, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

17      C’est à la suite du rejet de leur réclamation par la chambre de recours de l’ECHA en date du 25 septembre 2015, que les requérantes, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 20 novembre 2015, ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée, avec effet à compter de son entrée en vigueur ;

–        ordonner toute autre mesure provisoire qu’il jugera appropriée et tenir une audience, s’il l’estime nécessaire ;

–        condamner l’ECHA aux dépens de l’instance.

18      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 30 novembre 2015, l’ECHA conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal de rejeter la demande en référé et de condamner les requérantes aux dépens. L’ECHA estime, à titre principal, que le recours au fond sur lequel se greffe cette demande est manifestement irrecevable, les requérantes n’étant ni directement ni individuellement concernées par la décision attaquée, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, cette décision individuelle ne pouvant pas davantage être qualifiée d’acte réglementaire dénué de mesures d’exécution, au sens du même article.

 En droit

19      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du 11 novembre 2013, CSF/Commission, T‑337/13 R, EU:T:2013:599, point 21 et jurisprudence citée).

20      En outre, l’article 156, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant l’intervention de la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut (voir ordonnance CSF/Commission, point 19 supra, EU:T:2013:599, point 22 et jurisprudence citée).

21      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance CSF/Commission, point 19 supra, EU:T:2013:599, point 23 et jurisprudence citée).

22      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

23      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

24      Dans ce contexte, les requérantes soutiennent que la décision attaquée les expose à un préjudice grave et irréparable, à savoir la perte de leur droit de percevoir une compensation équitable. En effet, la décision attaquée aurait pour effet d’inclure la société O., fournisseur d’alcool propylique sur le marché de l’Union, à la liste pertinente. Son inclusion aurait fait suite au dépôt d’un dossier que l’ECHA a jugé suffisamment complet alors que, ainsi qu’il ressort du recours principal, la constatation du caractère complet est dépourvue de toute justification légale. Ce serait donc en violation du règlement n° 528/2012 que l’ECHA a inscrit la société O. sur la liste pertinente.

25      Les requérantes rappellent que l’un des objectifs poursuivis par le règlement n° 528/2012 consiste à garantir à des sociétés concurrentes des conditions égales sur le marché, l’équité devant être atteinte par le mécanisme du partage obligatoire des données, qui contraint les entreprises, telles que la société O., à contacter les entreprises, telles que les requérantes, propriétaires des données dont la société O. ne dispose pas, en vue de compléter son dossier. Il conviendrait de parvenir ainsi à un accord qui soit avantageux pour chacune des parties. D’une part, la société O. obtiendrait un accès aux données en cause lui permettant de compléter son dossier et d’être inscrite sur la liste pertinente. De cette manière, elle pourrait continuer à vendre son alcool propylique et ses produits à base d’alcool propylique sur le marché de l’Union, tandis que ses clients peuvent poursuivre la commercialisation de leurs produits contenant de l’alcool propylique sur ce marché sans avoir à figurer eux-mêmes sur ladite liste. D’autre part, les requérantes recevraient, en contrepartie, une contribution équitable et proportionnelle aux coûts qu’elles ont exposés pour le réexamen de l’alcool propylique.

26      Or, la décision attaquée ferait perdurer le déséquilibre entachant le rapport des requérantes avec la société O., dans la mesure où cette dernière aurait dû négocier, conformément au règlement n° 528/2012, son accès au « Comet test » dont les requérantes ont la propriété. Le défaut d’application correcte par l’ECHA du règlement en cause aurait privé les requérantes de leur droit de percevoir de la société O. une compensation équitable pour cet accès. De plus, étant donné que la société O. figure sur la liste pertinente, les sociétés qui achetaient de l’alcool propylique auprès d’elle afin de le revendre ensuite sur le marché de l’Union pourraient continuer à le faire, puisqu’elles sont approvisionnées par une société qui figure sur la liste en question. Si la société O. n’avait pas été incluse dans cette liste, les clients en question auraient dû demander leur propre inscription sur ladite liste. Pour faire prospérer leur demande, ils auraient été tenus de présenter un dossier complet ou une lettre d’accès à un tel dossier. À cet effet, ils auraient dû contacter les requérantes afin de négocier un accès au dossier complet de celles-ci, et ce contre une compensation équitable pour chaque accès accordé. La décision attaquée aurait donc pour effet d’éliminer chez ces clients le besoin de chercher à négocier un accès au dossier complet des requérantes, puisqu’ils peuvent, en lieu et place, approcher la société O., qui s’en trouverait injustement enrichie. Par ailleurs, d’autres entreprises souhaitant figurer sur la liste pertinente pourraient également contacter la société O. afin de négocier un accès à son dossier complet. Si la société O. n’était pas inscrite, ces entreprises devraient contacter à cet effet les requérantes, qui pourraient ainsi percevoir une compensation équitable pour l’accès aux données demandées.

27      Selon les requérantes, la décision attaquée produit une conséquence supplémentaire et probablement irréversible. En effet, elles auraient tout lieu de croire que l’alcool propylique sera approuvé en 2017, avant qu’il ne soit statué sur le recours au principal. Une fois l’alcool propylique approuvé dans le cadre du règlement n° 528/2012, l’approbation proprement dite devrait normalement entrer en vigueur dix-huit mois après la décision d’approbation. Toutefois, les règles relatives à l’autorisation du produit en cause s’appliqueraient à compter de l’entrée en vigueur du règlement d’approbation, soit vingt jours après la publication, et les demandes d’autorisations de produits pourraient être soumises à compter de cette date. En vertu de ces règles, chaque société souhaitant demeurer sur le marché de l’Union devrait avoir soumis à l’autorité nationale compétente ou à l’ECHA un dossier complet ou une lettre d’accès au dossier complet relatif à l’alcool propylique. Sur approbation, le seul dossier qui serait considéré comme complet serait celui dont les requérantes sont propriétaires. Cependant, dans l’hypothèse où l’approbation de l’alcool propylique entrerait en vigueur avant qu’il ne soit statué sur le recours principal, la société O. ensemble avec ses clients pourraient obtenir des autorisations de produits sur la base du dossier de cette dernière société, ces autorisations de produits étant valables pendant dix ans. Indépendamment de tout arrêt rendu sur le recours principal, ces autorisations de produits resteraient valables, y compris en cas de révocation de la lettre d’accès d’un client. En outre, les données ne seraient protégées que jusqu’en 2025, ce qui signifierait que, à cette date, les données ne seront plus protégées et pourront être utilisées librement sans aucune compensation.

28      L’ECHA estime, en revanche, que les requérantes ne sont pas parvenues à établir l’urgence du sursis à exécution sollicité.

29      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice allégué ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnances CSF/Commission, point 19 supra, EU:T:2013:599, point 31 et jurisprudence citée, et du 27 novembre 2014, SEA/Commission, T‑674/14 R, EU:T:2014:1009, point 54 et jurisprudence citée), un préjudice de nature purement hypothétique, fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne justifiant pas l’octroi de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du 27 février 2015, Espagne/Commission, T‑826/14 R, Rec, EU:T:2015:126, point 33 et jurisprudence citée).

30      En l’espèce, les requérantes font valoir en substance que la décision attaquée les prive de leurs droits de percevoir une compensation équitable en contrepartie des efforts qu’elles ont fournis et des coûts qu’elles ont exposés lors de leur participation au réexamen de l’alcool propylique et laisse subsister des conditions inégales sur le marché puisque, d’une part, elle implique qu’elles doivent supporter une charge disproportionnée liée aux coûts afférents à la production du dossier complet, coûts qui auraient été compensés si l’ECHA avait respecté le règlement n° 528/2012, et, d’autre part, la société O. n’a pas à supporter le coût d’une contribution équitable à ces coûts.

31      Or, s’agissant de l’atteinte au droit de percevoir une compensation, il a été jugé à plusieurs reprises qu’il ne suffisait pas d’alléguer de façon abstraite une atteinte à des droits fondamentaux pour établir que le dommage qui pourrait en découler avait nécessairement un caractère irréparable [voir, en ce sens, ordonnances du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), Rec, EU:C:2013:558, point 40 ; du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), Rec, EU:C:2013:795, point 42, et du 25 février 2015, BPC Lux 2 e.a./Commission, T‑812/14 R, EU:T:2015:119, point 28]. Certes, la violation de certains droits fondamentaux, tels que l’interdiction de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants, consacrée à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est susceptible, en raison de la nature même du droit violé, de donner lieu par elle-même à un préjudice grave et irréparable. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il appartient toujours à la partie qui sollicite l’adoption d’une mesure provisoire d’exposer et d’établir la probable survenance d’un tel préjudice dans son cas particulier (ordonnances Commission/Pilkington Group, précitée, EU:C:2013:558, point 41, et EMA/InterMune UK e.a., précitée, EU:C:2013:795, point 43).

32      À plus forte raison, une atteinte à un droit de nature purement réglementaire, tel que celui découlant en l’espèce du règlement n° 528/2012, à supposer qu’elle soit démontrée, ne suffit pas à établir l’existence d’un préjudice grave et irréparable. Or, les requérantes ne démontrent pas en quoi le fait d’être privées de la compensation financière conférée par ce droit leur causerait, à lui seul, un préjudice grave et irréparable. Dès lors, l’argument tiré d’une atteinte à leur droit de percevoir une telle compensation ne permet pas d’établir l’urgence.

33      Il est certes exact que, dans le contentieux spécifique de la protection provisoire d’une entreprise contre la publication d’informations commerciales prétendument confidentielles, le président du Tribunal a pu considérer que, en cas de publication de telles informations avant que le Tribunal n’ait statué sur le recours principal, il serait à craindre que le droit fondamental de l’entreprise en question à la protection de ses secrets professionnels, consacré à l’article 339 TFUE et à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux, soit irréversiblement vidé de toute signification en ce qui concerne lesdites informations et que cette entreprise risquerait, en même temps, de voir compromettre son droit fondamental à un recours effectif, consacré à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, de sorte que ses droits fondamentaux étaient susceptibles d’être gravement et irréparablement lésés et qu’il apparaissait donc urgent d’accorder les mesures provisoires sollicitées (voir, en ce sens, ordonnance du 11 mars 2013, Pilkington Group/Commission, T‑462/12 R, Rec, EU:T:2013:119, point 45). Toutefois, cette approche faisant abstraction de toute considération financière dans son contexte spécifique a été infirmée dans l’ordonnance Commission/Pilkington Group, point 31 supra (EU:C:2013:558, points 39 à 44).

34      Il s’ensuit nécessairement que les requérantes, pour établir l’urgence, sont tenues de démontrer qu’une perte de la compensation équitable qu’elles réclament risquerait de leur causer un préjudice grave et irréparable, étant entendu que ce préjudice doit, à l’évidence, être qualifié de purement financier.

35      Or, selon une jurisprudence constante, un préjudice de caractère purement financier n’est normalement pas irréparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, à moins qu’il apparaisse que la partie qui sollicite les mesures provisoires se trouverait, en l’absence de ces mesures, dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante, et ce au regard de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle se rattache directement ou indirectement par son actionnariat (voir, en ce sens, ordonnances du 13 juillet 2006, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06 R, Rec, EU:T:2006:217, point 111, et SEA/Commission, point 29 supra, EU:T:2014:1009, point 54 et jurisprudence citée).

36      Il convient d’ajouter que la preuve d’un préjudice grave et irréparable doit être apportée pour chacune des parties requérantes à titre personnel et individuel. En effet, la question de l’urgence est une question spécifique qui doit être examinée séparément pour chaque partie requérante [voir, en ce sens, ordonnances du 24 mars 2009, Cheminova e.a./Commission, C‑60/08 P(R), EU:C:2009:181, points 35 et 36 ; du 15 décembre 2009, Dow AgroSciences e.a./Commission, C‑391/08 P(R), EU:C:2009:785, point 44, et du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, Rec, EU:C:2014:1749, point 51].

37      En tout état de cause, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir, en ce sens, ordonnance SEA/Commission, point 29 supra, EU:T:2014:1009, point 55 et jurisprudence citée).

38      En l’occurrence, force est de constater que les requérantes n’ont présenté aucune indication concrète, étayée par des éléments de preuve, dont il pourrait être conclu que chacune d’elles serait effectivement exposée au risque de se trouver, en cas de rejet de la demande en référé, dans une situation susceptible de mettre en péril son existence ou de voir ses parts de marché modifiées de manière importante. En effet, les requérantes se sont abstenues de fournir, en ce qui concerne chacune d’entre elles prise individuellement, la moindre information sur leur taille, les caractéristiques de leur production et leur chiffre d’affaires total, tous produits confondus.

39      En particulier, les requérantes sont restées silencieuses tant sur le montant total des coûts qu’elles avaient exposés pour le réexamen de l’alcool propylique que sur la répartition de ces coûts entre elles, sans avoir prétendu que ces coûts et leurs modalités de répartition aient été, pour l’une ou l’autre raison, non quantifiables. Ainsi, le juge des référés n’est pas en mesure d’évaluer la gravité, tant absolue que relative, d’une éventuelle perte définitive de la compensation que les requérantes réclament afin de couvrir ces coûts.

40      À défaut d’informations pertinentes pour produire une image fidèle et globale de leur situation financière, les affirmations présentées par les requérantes pour illustrer le préjudice qu’elles craignent de subir ne font que décrire les conséquences les plus néfastes possibles d’une exécution immédiate de la décision attaquée, sous forme de scénarios les moins favorables qui puissent survenir (voir, en ce sens, ordonnances du 23 décembre 2008, AES-Tisza/Commission, T‑468/08 R, EU:T:2008:621, point 49, et du 10 juillet 2009, TerreStar Europe/Commission, T‑196/09 R, EU:T:2009:270, point 55), sans que ces affirmations ne soient étayées par des éléments de preuve chiffrés de nature à établir le caractère certain ou, à tout le moins, probable de la survenance du préjudice grave et irréparable allégué.

41      Cela est notamment exact pour la thèse spéculative des requérantes selon laquelle « il y a fort à parier que, du fait de l’inclusion [de la société O.] sur la liste [pertinente], et dans l’hypothèse où l’alcool propylique serait approuvé au cours des dix-huit prochains mois environ (donc avant l’issue [de la procédure principale]), les requérantes auront irrémédiablement perdu leur droit à recevoir une compensation de l’intégralité des coûts qu’elles ont supportés au cours du réexamen de l’alcool propylique du fait des lois en vigueur ». À supposer même qu’un tel scénario devienne réalité, aussi dommageable soit-il pour les requérantes, ces dernières sont restées en défaut d’établir l’ampleur du préjudice financier maximal qu’elles pourraient subir à ce titre, en le mettant en rapport avec leur puissance financière globale.

42      Par conséquent, les requérantes ne sont pas parvenues à établir que la condition relative à l’urgence du sursis à exécution sollicité était remplie.

43      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris, ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence [voir, en ce sens, ordonnance du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec, EU:C:1999:609, point 61]. Dans ces circonstances, il n’est pas davantage besoin de se prononcer sur la question de la recevabilité du recours au fond soulevée par l’ECHA.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 17 décembre 2015.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.