Language of document : ECLI:EU:C:2020:1053

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 17 décembre 2020 (1)

Affaire C824/18

A.B.,

C.D.,

E.F.,

G.H.,

I.J.

contre

Krajowa Rada Sądownictwa

en présence de

Rzecznik Praw Obywatelskich,

Prokurator generalny

[demande de décision préjudicielle formée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Article 2, article 4, paragraphe 3, et article 19, paragraphe 1, TUE – Article 267 TFUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – État de droit – Protection juridictionnelle effective – Principe d’indépendance des juges – Procédure de nomination au poste de juge de la Cour suprême polonaise – Nomination par le président de la République sur proposition émanant du Conseil national de la magistrature – Défaut d’indépendance du Conseil national de la magistrature – Recours juridictionnel dépourvu d’effectivité – Arrêt de la Cour constitutionnelle abrogeant la disposition sur laquelle repose la compétence de la juridiction de renvoi – Loi nationale limitant les compétences décisionnelles de la juridiction de renvoi – Primauté du droit de l’Union – Différence de traitement en matière d’accès à un recours juridictionnel »






1.        Comme l’a observé à juste titre Lord Neuberger, ancien président de la Cour suprême du Royaume‑Uni, « [à] partir du moment où l’on prive les gens du droit d’attaquer le gouvernement en justice, on est dans une dictature » (2). La suppression, en Pologne, d’une voie de recours juridictionnel, dans le contexte d’un sujet essentiel sur le plan constitutionnel, celui de l’indépendance judiciaire (3), est au cœur du litige à résoudre dans cette affaire (4).

2.        En effet, cette affaire soulève des questions importantes et permettra à la Cour d’apporter des éclaircissements significatifs, tant sur la procédure que sur le fond, notamment en ce qui concerne l’article 19, paragraphe 1, TUE. S’agissant de la primauté du droit de l’Union, je m’exprimerai sur le récent arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne, ci‑après le « BVerfG ») dans l’affaire Weiss (2 BvR 859/15), qui a notamment jugé qu’un arrêt de la Cour avait été rendu ultra vires, et sur une récente ordonnance de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne, ci-après la « Cour suprême) qui, postérieurement à cet arrêt du BVerfG, a jugé qu’un arrêt de la Cour n’était pas contraignant dans l’ordre juridique polonais.

3.        Dans le cadre de la présente affaire préjudicielle – introduite le 21 novembre 2018 puis complétée par une nouvelle question préjudicielle par décision du 26 juin 2019 –, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) sollicite l’interprétation de l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 19, paragraphe 1, TUE, de l’article 267 TFUE, de l’article 15, paragraphe 1, l’article 20, l’article 21, paragraphe 1, l’article 47 et l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), ainsi que de l’article 2, paragraphe 1, l’article 2, paragraphe 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE (5).

4.        Cette demande a été présentée dans le cadre de procédures entre A.B., C.D., E.F., G.H. et I.J., candidats aux fonctions de juge, d’une part, et la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne, ci‑après la « KRS »), d’autre part, ayant pour objet les recours de ces candidats contre des résolutions de la KRS portant décision i) de ne pas proposer au président de la République de Pologne (ci‑après le « président de la République ») leur nomination au poste de juge de la Cour suprême et, parallèlement, ii) de proposer au président de la République la nomination d’autres candidats.

I.      Le cadre juridique

5.        La KRS est régie par l’Ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (ci-après la « loi sur la KRS »). En particulier, l’article 44 de la loi sur la KRS dispose :

« 1.      Un participant à la procédure peut former un recours devant [la Cour suprême] en raison de l’illégalité de la résolution [de la KRS], à moins que des dispositions distinctes n’en disposent autrement. [...]

1 bis.      Dans les affaires individuelles concernant une nomination à la fonction de juge [à la Cour suprême], il est possible de former un recours devant [la Cour suprême administrative]. Dans ces affaires, il n’est pas possible de former un recours devant [la Cour suprême]. Le recours devant [la Cour suprême administrative] ne peut pas être fondé sur un moyen tiré d’une évaluation inappropriée du respect, par les candidats, des critères pris en compte lors de la prise de décision quant à la présentation de la proposition de nomination au poste de juge [à la Cour suprême].

1 ter.      Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution [...] dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge [à la Cour suprême], ladite résolution devient définitive, pour la partie comprenant la décision de présentation de la proposition de nomination au poste de juge [à la Cour suprême] et pour la partie comprenant la décision de non‑présentation d’une proposition de nomination au poste de juge de cette même cour, s’agissant des participants à la procédure qui n’ont pas formé de recours.

[...]

4.      Dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge [à la Cour suprême], l’annulation, par [la Cour suprême administrative], de la résolution de la KRS portant non‑présentation de la proposition de nomination au poste de juge [à la Cour suprême] équivaut à l’admission de la candidature du participant à la procédure qui a introduit le recours, pour un poste vacant de juge au sein [de la Cour suprême], poste pour lequel, à la date du prononcé de la décision [de la Cour suprême administrative], la procédure devant la KRS n’a pas pris fin ou, en cas de défaut d’une telle procédure, pour le prochain poste vacant de juge au sein [de la Cour suprême] faisant l’objet d’une publication. »

II.    Les litiges au principal et les questions préjudicielles

6.        La KRS a décidé, par la résolution no 318/2018 du 24 août 2018, de ne pas soumettre au président de la République la proposition de nomination, entre autres, de A.B. et C.D. en tant que juges de la chambre pénale de la Cour suprême. Par la résolution no 330/2018 du 28 août 2018, la KRS a décidé de ne pas soumettre au président de la République la proposition de nomination, entre autres, de E.F., G.H. et I.J. en tant que juges de la chambre civile de la Cour suprême. Ces résolutions contenaient également des propositions de nomination d’autres candidats à ces postes.

7.        Les candidats dont la nomination n’a pas été proposée ont saisi la juridiction de renvoi de recours contre les résolutions précitées ainsi que d’une demande de sursis à leur exécution, que celle‑ci a accordée.

8.        En ce qui concerne la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi relève tout d’abord que, à la différence des dispositions auparavant applicables, l’article 44, paragraphe 1 ter, récemment introduit dans la loi sur la KRS, prévoit que, dans les affaires individuelles concernant une nomination à la fonction de juge de la Cour suprême, une résolution de la KRS devient définitive non seulement pour la partie de cette résolution contenant la décision de non‑présentation d’une proposition de nomination des candidats en cas d’absence de recours formé par les candidats non retenus, mais également, pour la partie de ladite résolution comportant la décision de présentation d’une proposition de nomination, si celle‑ci n’a pas été attaquée par tous les participants à la procédure de concours. Or, parmi ces participants, figurent également les candidats dont la nomination a été proposée et qui n’ont, partant, pas d’intérêt à former un recours contre une telle résolution. La juridiction de renvoi estime donc que ladite résolution acquerra toujours, de facto, un caractère définitif.

9.        Deuxièmement, la juridiction de renvoi relève que l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS, qui définit la fonction qu’elle est appelée à exercer (contrôle de la procédure de concours en question), repose sur des prémisses très générales, puisque aucun critère d’appréciation clair n’a été établi.

10.      Troisièmement, la juridiction de renvoi affirme qu’il découle de l’article 44, paragraphe 4, de la loi sur la KRS que l’annulation éventuelle d’une résolution de la KRS portant décision de ne pas présenter une proposition de nomination à la fonction de juge à la Cour suprême a uniquement pour conséquence l’admission de la candidature du participant concerné pour un poste vacant de juge au sein de la Cour suprême lorsque la procédure devant la KRS concernant ce poste n’a pas pris fin ou, à défaut d’une telle procédure, pour le prochain poste vacant de juge au sein de la Cour suprême.

11.      En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi sollicite également des éclaircissements de la Cour afin de pouvoir apprécier si le principe de l’égalité d’accès à la fonction publique (qui répond à des objectifs d’intérêt général) a été respecté en l’espèce. Elle estime que l’effectivité des voies de recours diffère clairement selon que les procédures concernent des postes vacants de juges dans d’autres juridictions ou de tels postes à la Cour suprême.

12.      C’est dans ce contexte que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 2 TUE, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 19, paragraphe 1, TUE, en combinaison avec l’article 47 de la [Charte] et l’article 9, paragraphe 1, de la [directive 2000/78], ainsi que l’article 267, troisième alinéa, TFUE, doit-il être interprété en ce sens que

–        le principe de l’État de droit et le droit à un recours effectif et à une protection juridictionnelle effective sont violés lorsque, en reconnaissant un droit de recours juridictionnel dans des affaires individuelles portant sur l’exercice de la fonction de juge d’une juridiction de dernière instance d’un État membre (la Cour suprême), le législateur national attribue un caractère définitif et effectif à la décision prise dans le cadre de la procédure de recrutement, qui précède le dépôt d’une proposition de nomination à la fonction de juge de ladite juridiction, en cas d’absence d’un recours contre la décision prise quant à l’examen conjoint et à l’évaluation de tous les candidats à la Cour suprême, formé par la totalité des participants à la procédure de recrutement, parmi lesquels figure également un candidat qui n’a aucun intérêt à attaquer ladite décision, à savoir le candidat visé dans la proposition de nomination à cette fonction, ce qui, en conséquence :

–        anéantit l’effectivité de la voie de recours et la possibilité, pour la juridiction compétente, de procéder à un contrôle réel du déroulement de la procédure de recrutement susmentionnée,

–        et ce qui, dans une situation où cette procédure porte également sur des postes de juges à la Cour suprême pour lesquels un nouvel âge, inférieur, de départ à la retraite a été appliqué aux juges qui les occupaient jusqu’alors, sans laisser la décision de bénéficier de cet âge inférieur de départ à la retraite à la discrétion exclusive des juges concernés, dans le contexte du principe d’inamovibilité des juges – lorsque l’on constate que ce principe a été bafoué, de cette manière – n’est pas non plus sans incidence sur la portée et sur le résultat du contrôle juridictionnel de la procédure de recrutement susmentionnée ?

2)      L’article 2 TUE, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, et l’article 6, paragraphe 1, TUE, en combinaison avec l’article 15, paragraphe 1, l’article 20, l’article 21, paragraphe 1, et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que l’article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), et l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la [directive 2000/78], et l’article 267, troisième alinéa, TFUE, doit-il être interprété en ce sens

–        que le principe de l’État de droit, le principe de l’égalité de traitement et le principe de l’égalité d’accès, selon des règles identiques, à la fonction publique, à savoir à la fonction de juge de la Cour suprême, sont violés lorsqu’il existe, dans le cadre d’affaires individuelles portant sur l’exercice de la fonction de juge au sein de ladite juridiction, un droit de recours auprès de la juridiction compétente mais que, en raison de la norme relative au caractère définitif, décrite dans la première question, une nomination à un poste vacant de juge de la Cour suprême peut intervenir sans que la juridiction compétente exerce un contrôle quant au déroulement de la procédure de recrutement susmentionnée (à supposer qu’un tel contrôle ait été engagé) et, en même temps, l’absence d’un tel contrôle, portant atteinte au droit à un recours effectif, viole le droit à l’égalité d’accès à la fonction publique et, pour cette raison, ne répond pas aux objectifs de l’intérêt général

–        et qu’une situation où la composition de l’organe de l’État membre devant veiller sur l’indépendance des juridictions et des juges (la KRS), organe devant lequel se déroule la procédure relative à la fonction de juge de la Cour suprême, est conçue de telle sorte que les représentants du pouvoir judiciaire au sein de cet organe sont élus par le pouvoir législatif, porte atteinte au principe d’équilibre institutionnel ? »

III. La procédure devant la Cour et la question préjudicielle complémentaire

13.      Dans le cadre de la première partie de la procédure écrite, des observations ont été présentées à la Cour par A.B., C.D., E.F. et I.J., la KRS, le Prokurator Generalny (procureur général, Pologne), le Rzecznik Praw Obywatelskich (médiateur, Pologne), le gouvernement polonais et la Commission européenne.

14.      La phase écrite de la procédure a été clôturée le 31 mai 2019. Le 26 juin 2019, la juridiction de renvoi a rendu une ordonnance rejetant la demande de non‑lieu à statuer sur les affaires au principal émanant du procureur général. Cette demande était fondée sur les circonstances suivantes.

15.      Tout d’abord, par l’arrêt du 25 mars 2019 dans l’affaire K 12/18, rendu sur saisine de la KRS et d’un groupe de sénateurs, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) a jugé que l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS était incompatible avec l’article 184 de la Constitution polonaise. Le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a également conclu qu’il était nécessaire de mettre fin à toutes les procédures introduites sur le fondement de cette disposition, en raison de son invalidité.

16.      Deuxièmement, l’Ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz ustawy - Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de la loi portant organisation du contentieux administratif) du 26 avril 2019 (ci‑après la « loi du 26 avril 2019 ») (6), entrée en vigueur le 23 mai 2019, a modifié la deuxième phrase de l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la KRS, qui est désormais libellée comme suit : « Il n’est pas possible de former un recours dans les affaires individuelles se rapportant à la nomination aux fonctions de juge [de la Cour suprême] ». Cette loi prévoit également à son article 3 que « [l]es recours contestant les résolutions [de la KRS] dans des affaires individuelles relatives à la nomination aux fonctions de juge [de la Cour suprême] et non jugés avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi font l’objet de plein droit d’un non‑lieu à statuer ».

17.      C’est dans ce contexte que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de poser à la Cour une question préjudicielle complémentaire (c’est‑à‑dire une troisième question) dans la présente affaire :

« 1)      L’article 2 TUE, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 19, paragraphe 1, TUE, en combinaison avec l’article 47 de la Charte et l’article 9, paragraphe 1, de la [directive 2000/78] ainsi que l’article 267, troisième alinéa, TFUE, doit-il être interprété en ce sens que :

–        le législateur national méconnaît le principe de l’État de droit et le droit d’accès à un tribunal ainsi qu’à une protection juridictionnelle effective, lorsqu’il supprime de l’ordre juridique national les dispositions pertinentes sur la compétence de la Cour suprême administrative et sur le droit de saisir cette juridiction de recours contre des résolutions [de la KRS] et introduit une solution emportant non-lieu à statuer de plein droit sur de tels recours introduits et encore pendants à la date de l’introduction de ces modifications (dérogations), et dont il résulte :

–        la suppression du droit d’accès à un tribunal aux fins du contrôle des résolutions précitées [de la KRS] et du contrôle de légalité exercé sur le déroulement des procédures de sélection au cours desquelles elles ont été adoptées ; et

–        la suppression du droit d’accès à un tribunal ayant également pour effet de retirer a posteriori à la juridiction nationale initialement compétente pour connaître des affaires précitées et qui a posé à la [Cour] des questions préjudicielles après l’engagement régulier de la procédure de contrôle des résolutions précitées du Conseil national de la magistrature, le bénéfice du recours effectif, dans une affaire individuelle pendante relevant (initialement) de sa compétence, à la procédure du renvoi préjudiciel à la [Cour] et du droit d’attendre sa décision, de sorte que le principe de coopération loyale est remis en cause ? »

18.      Dans la deuxième partie de la procédure écrite, des observations ont été présentées à la Cour par le procureur général, le médiateur, le gouvernement polonais et la Commission.

19.      Toutes les parties ayant présenté des observations écrites dans la première partie de la procédure écrite ont également saisi l’occasion de présenter des arguments oraux lors d’une audience devant la Cour.

IV.    Analyse

A.      La compétence de la Cour

20.      Le procureur général fait valoir que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les questions préjudicielles déférées au motif qu’elles concernent le droit à un recours juridictionnel dans un domaine qui n’est pas couvert par le droit de l’Union. Toute autre décision se traduirait par la coexistence simultanée, devant la Cour et le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), de compétences analogues et erga omnes sur des questions juridiques identiques.

21.      Cependant, la Cour a déjà jugé que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union (7). Par ailleurs, la Cour a jugé en particulier, quant au champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, que cette disposition vise « les domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (8).

22.      Il s’ensuit que la Cour est compétente pour interpréter, en particulier, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE en l’espèce (voir points 31 et suivants des présentes conclusions).

B.      Sur la question de savoir s’il est (encore) nécessaire de statuer

23.      La KRS, le procureur général et le gouvernement polonais font valoir, en substance, que les questions posées sont devenues sans objet et qu’il n’est pas nécessaire d’y répondre pour statuer sur les recours au principal. L’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS, sur lequel était fondée la compétence de la juridiction de renvoi, a été abrogé avec effet erga omnes par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) par son arrêt du 25 mars 2019, ce qui a également été confirmé par le législateur.

24.      Selon moi, les questions préjudicielles ne sont pas devenues sans objet du fait de la loi du 26 avril 2019. Premièrement, cette loi modifie l’article 44 de la loi sur la KRS et supprime le droit de recours dans des cas individuels uniquement en ce qui concerne la nomination des juges de la Cour suprême. Deuxièmement, cette loi prévoit également que les procédures en cours concernant les recours contre les résolutions de la KRS dans des affaires individuelles font l’objet de plein droit d’un non‑lieu à statuer.

25.      Ce dernier élément exclut que les questions déférées puissent être sans objet. En effet, il y a lieu de souligner que la Cour a déjà rejeté une argumentation analogue du gouvernement polonais dans l’arrêt A.K. e.a., point 102.

26.      Je tiens à rappeler que la loi du 26 avril 2019 n’a pas en elle‑même mis fin au litige au principal ni entraîné le retrait de la demande de décision préjudicielle puisque, comme l’a souligné la juridiction de renvoi, la loi du 26 avril 2019 « exig[e] la concrétisation appropriée par la juridiction saisie (ce qui vaut également pour les effets devant résulter de l’arrêt du [25 mars 2019]), [...] exigence [qui] appelle, par nature, la forme d’une décision judiciaire, modalité exclusive de l’exercice de la compétence juridictionnelle, qui n’a pas été abolie en fin de compte par la disposition législative susmentionnée » (souligné par mes soins). La juridiction de renvoi n’a pas pris de décision constatant qu’il n’était pas nécessaire de statuer et a décidé, au contraire, de maintenir son renvoi préjudiciel (voir aussi arrêt A.K. e.a., point 103).

27.      Ainsi, des dispositions de droit national telles que la loi du 26 avril 2019 ne sauraient empêcher une juridiction statuant en dernier ressort de maintenir les questions qu’elle a adressées à titre préjudiciel à la Cour (voir arrêt A.K. e.a., point 104).

28.      Je tiens à relever que, outre l’arrêt A.K. e.a. déjà cité, la Cour a déjà refusé, dans un certain nombre d’affaires, de juger qu’il n’est plus nécessaire de statuer au motif de la prétendue disparition de l’objet de la procédure, comme l’avaient demandé les autorités polonaises dans ces affaires. Il est clair que le législateur polonais n’a pas hésité à modifier, à plusieurs reprises et dans l’urgence, le cadre normatif national examiné par la Cour dans ces affaires, uniquement pour faire valoir ensuite que les recours en manquement ou les renvois préjudiciels se trouvaient de ce fait sans objet (9).

29.      Il s’ensuit que ni la loi du 26 avril 2019 ni l’arrêt du 25 mars 2019 ne sauraient justifier que la Cour renonce à statuer sur les questions préjudicielles.

C.      Recevabilité

30.      Le procureur général et le gouvernement polonais font valoir, en substance, que les questions posées sont irrecevables, sur la base d’arguments analogues à ceux exposés au point 20 des présentes conclusions.

31.      Tout d’abord, je tiens à relever qu’il découle de la jurisprudence que « l’article [267 TFUE] est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit communautaire qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher » (10).

32.      La juridiction de renvoi cherche à savoir si la voie de recours prévue par le droit national est conforme à l’exigence de protection juridictionnelle effective prévue à l’article 47 de la Charte. Cependant, cet article n’est applicable que lorsque la violation d’un droit individuel garanti par le droit de l’Union est alléguée.

33.      La juridiction de renvoi fait également référence à la directive 2000/78. En vertu de l’article 1er de ce texte, celle‑ci a pour objet « d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement » (souligné par mes soins).

34.      La juridiction de renvoi n’explique pas quel serait le lien entre les requérants au principal et le droit de ne pas être discriminé que garantit la directive 2000/78, dont le champ d’application est limité aux motifs spécifiques énumérés ci‑dessus. Il suffit donc de constater que, dans la mesure où les demandes de décision préjudicielle en l’espèce n’indiquent pas que les requérants au principal cherchent à se prévaloir de droits garantis par le droit de l’Union, tels que ceux prévus par la directive 2000/78, ni l’article 47 de la Charte ni la directive 2000/78 ne sont applicables en l’espèce.

35.      La juridiction de renvoi invoque également l’article 2 TUE en tant que disposition autonome. Cependant, cet article ne figure pas, en tant que tel, parmi les dispositions à l’aune desquelles il convient d’évaluer la compatibilité de la législation nationale avec le droit de l’Union et qui pourraient donc en soi conduire la juridiction de renvoi à laisser inappliquée une disposition nationale en suivant l’interprétation donnée par la Cour. Cela n’est en tout cas pas nécessaire étant donné que l’article 2 TUE et la valeur de l’État de droit qui y est énoncée trouvent leur expression concrète à l’article 19 TUE (voir point 87 des présentes conclusions).

36.      Selon moi, les première et troisième questions, en particulier, sont pertinentes pour les recours au principal, car elles concernent l’étendue des pouvoirs de la juridiction de renvoi si celle‑ci devait constater l’illégalité des résolutions litigieuses de la KRS. Les seules dispositions pertinentes du droit de l’Union invoquées dans les questions préjudicielles sont finalement l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 267 TFUE.

D.      Sur le fond

37.      J’estime qu’il convient en premier lieu de traiter au fond la troisième question (complémentaire) déférée, car la réponse à cette question amènera soit la Cour à déclarer qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les deux premières questions, soit, au contraire, à les examiner.

1.      Sur la troisième question préjudicielle

38.      Par cette question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 267 TFUE et l’article 19, paragraphe 1, TUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition qui entraîne de plein droit le non‑lieu à statuer dans une procédure nationale, sans possibilité de poursuivre cette procédure ni de la réintroduire devant une autre juridiction (première branche de la troisième question) et si ces mêmes dispositions du droit de l’Union s’opposent à la conséquence susceptible de découler de cette disposition nationale, à savoir que la Cour se déclarerait incompétente dans des affaires ayant déjà donné lieu à une demande de décision préjudicielle toujours pendante (deuxième branche de la troisième question).

a)      Exposé sommaire des arguments des parties

39.      Le procureur général soutient, en substance, que l’exclusion de l’ensemble des recours juridiques contre les propositions de nomination litigieuses est autorisée par la Constitution polonaise. Les restrictions des libertés et droits constitutionnels sont admises si elles sont prévues par la loi et si elles sont nécessaires, notamment dans l’intérêt de l’ordre public. Le gouvernement polonais fait valoir, en substance, que l’article 3 de la loi du 26 avril 2019 ne limite pas la faculté de la juridiction de renvoi de saisir la Cour à titre préjudiciel mais vise uniquement à prévoir la clôture des procédures telles que celle de l’affaire au principal.

40.      La Commission fait valoir que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ne s’oppose pas à des dispositions nationales telles que celles en cause au principal, sauf en cas de rupture structurelle du processus de nomination, susceptible de mettre en cause l’indépendance du candidat concerné après sa nomination. En conséquence, l’adoption d’une disposition nationale emportant de plein droit le non‑lieu à statuer dans les recours visant de telles résolutions (article 3 de la loi du 26 avril 2019) n’est pas non plus exclue par l’article 19, paragraphe 1, TUE. L’article 267 TFUE ne s’oppose pas non plus, selon la Commission, à l’article 3 de la loi du 26 avril 2019.

41.      Contrairement à ces parties, A.B., C.D., E.F., I.J. et le médiateur soutiennent, en substance, qu’il convient de répondre à la troisième question par l’affirmative.

b)      Appréciation

42.      Il convient pour commencer d’aborder la deuxième branche de la troisième question, dans la mesure où elle concerne l’article 267 TFUE.

1)      Sur la deuxième branche de la troisième question (article 267 TFUE)

43.      Il est vrai qu’en l’espèce, c’est l’action conjointe du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) et du législateur polonais qui, selon les questions préjudicielles, pourrait faire disparaître la nécessité de statuer en droit national, avec pour conséquence que la Cour déclinerait sa compétence pour statuer sur la présente demande de décision préjudicielle. En effet, pour commencer, c’est l’arrêt du 25 mars 2019 qui a abrogé la disposition nationale sur laquelle était fondée la compétence de la juridiction de renvoi, et ce avec effet immédiat, tout en précisant que cette déclaration d’inconstitutionnalité impliquait que toute procédure de ce type encore pendante devant la juridiction de renvoi devait faire l’objet d’un non‑lieu à statuer.

44.      Il est également vrai que, ces dernières années, de sérieux doutes ont été exprimés, entre autres par la Commission, quant à la capacité actuelle du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) d’exercer (ou de continuer à exercer) sa fonction en toute indépendance et qu’elle a adopté une décision d’ouverture formelle de la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, TUE concernant l’État de droit en Pologne (11).

45.      Comme le démontre la présente affaire, l’article 19 TUE confie la responsabilité du contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union non seulement à la Cour, mais aussi aux juridictions nationales qui, en collaboration avec la Cour, remplissent une fonction qui leur est attribuée en commun, en vue d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités (12).

46.      À cet égard, s’agissant de l’article 267 TFUE, je tiens à rappeler que « la clef de voûte du système juridictionnel [de l’Union] est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à [cette disposition] qui, en instaurant un dialogue de juge à juge précisément entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union [...], permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités » (13).

47.      Il découle clairement de la jurisprudence de la Cour que, conformément à l’article 267 TFUE, les juridictions nationales doivent rester libres de décider de poser ou non des questions préjudicielles à la Cour (14).

48.      D’autre part, il y a lieu de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que « l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis » (15).

49.      La Cour a également précisé que ce pouvoir d’appréciation et cette compétence ne peuvent être remis en cause par l’application des règles de droit national (16).

50.      En effet, « [d]es dispositions nationales dont il découlerait que les juges nationaux peuvent s’exposer à des procédures disciplinaires en raison du fait qu’ils ont saisi la Cour d’un renvoi à titre préjudiciel ne sauraient ainsi être admises [...], la seule perspective de pouvoir, le cas échéant, faire l’objet de poursuites disciplinaires du fait d’avoir procédé à un tel renvoi ou d’avoir décidé de maintenir celui‑ci postérieurement à son introduction est de nature à porter atteinte à l’exercice effectif par les juges nationaux concernés de la faculté et des fonctions [d’une juridiction chargée de l’application du droit communautaire] [...] [L’indépendance judiciaire mentionnée ci‑dessus] est, en particulier, essentielle au bon fonctionnement du système de coopération judiciaire qu’incarne le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE » (17).

51.      L’élément important en l’espèce, comme l’a souligné la juridiction de renvoi, est que le droit national contient une obligation constitutionnelle, en vertu de l’État de droit, de prévoir une possibilité de recours juridictionnel pour les résolutions de la KRS telles que celles en cause au principal.

52.      Il s’ensuit que, premièrement, en ce qui concerne la deuxième branche de la troisième question préjudicielle (relative à l’article 267 TFUE), je considère que, compte tenu notamment du contexte – la Cour ayant été saisie ces dernières années de nombreux cas de violations alléguées de l’État de droit et de l’indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne (voir le point 28 des présentes conclusions et, en ce qui concerne la présente affaire, il convient de souligner que, en dépit du fait que la juridiction de renvoi avait suspendu les résolutions litigieuses de la KRS, le président de la République a malgré tout procédé à la nomination, aux postes de juge à la Cour suprême en cause, de huit nouveaux juges proposés par la KRS dans les résolutions litigieuses (18)) –, la Cour devrait constater que l’article 267 TFUE s’oppose à une loi nationale telle que la loi du 26 avril 2019 en ce que celle‑ci a décrété que les procédures telles que celles au principal devaient faire l’objet de plein droit d’un nonlieu à statuer tout en excluant tout renvoi de l’examen des recours à une autre juridiction nationale ou toute réintroduction de ceuxci devant une autre juridiction nationale.  En outre, le législateur polonais a ignoré ce faisant des arrêts du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) qui indiquent clairement que les résolutions de la KRS telles que celles en cause au principal doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

53.      Cette conclusion s’impose d’autant plus que l’étape suivante de la procédure de nomination, à savoir la nomination par le président de la République d’un candidat en tant que juge de la Cour suprême, est une prérogative présidentielle et qu’elle n’est donc pas, en tant que telle, susceptible d’un contrôle juridictionnel en droit polonais.

54.      J’en viens maintenant à la première branche de la troisième question préjudicielle, qui porte essentiellement sur la question de savoir si le principe de la primauté du droit de l’Union et l’article 19, paragraphe 1, TUE permettent à la juridiction de renvoi de se déclarer compétente – en dépit de la loi du 26 avril 2019 – pour statuer sur les recours au principal et en poursuivre l’examen.

2)      Sur la première branche de la troisième question (article 19, paragraphe 1, TUE et primauté du droit de l’Union)

i)      L’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) du 25 mars 2019

55.      J’aborderai pour commencer l’arrêt du 25 mars 2019, que le législateur polonais aurait prétendument cherché à transposer par le biais de la loi contestée du 26 avril 2019 et qui, comme nous le verrons plus loin, est un élément important pour la résolution de cette affaire.

56.      En dérogeant à l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS, l’arrêt du 25 mars 2019 a eu pour effet de remettre en cause la compétence de la juridiction de renvoi [le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)], en tant que juridiction (initialement) compétente pour connaître des recours contre les résolutions de la KRS portant décision de présenter (ou de ne pas présenter) des propositions de nomination au poste de juge de la Cour suprême, sur le fondement – ainsi que cela ressort des motifs de cet arrêt – du type d’affaire et de la nature institutionnelle des juridictions administratives par rapport aux juridictions ordinaires, qui aurait pour conséquence que la juridiction de renvoi ne serait pas la juridiction « destinée à connaître des affaires concernant les résolutions [de la KRS] ».

57.      Il est vrai que l’on pourrait arguer en principe que, indépendamment de l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les juridictions nationales ne peuvent être liées par des appréciations d’une juridiction supérieure qui les empêcheraient de mettre en œuvre le droit de l’Union (19).

58.      En effet, « [u]ne règle de droit national, en vertu de laquelle les appréciations portées par une juridiction supérieure lient une autre juridiction nationale, ne saurait donc enlever à cette dernière la faculté de saisir la Cour de questions d’interprétation du droit de l’Union concerné par de telles appréciations en droit. Elle doit en effet être libre, si elle considère que l’appréciation en droit faite au degré supérieur pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de saisir la Cour des questions qui la préoccupent » (20).

59.      La Cour a relevé, dans le même arrêt (21), qu’« il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’il ne saurait être admis que les règles de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, portent atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union [...] La Cour a d’ailleurs déjà établi que lesdits principes s’appliquent dans les rapports entre une juridiction constitutionnelle et toute autre juridiction nationale ».

60.      Cependant, j’estime que, en dépit des apparences, il n’est pas vraiment question, dans la présente affaire, d’un réel conflit entre l’appréciation portée par une Cour constitutionnelle d’un État membre et le droit de l’Union.

61.      Tout d’abord, il est important de souligner que, selon la juridiction de renvoi, l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) du 25 mars 2019 n’a d’effets que pour l’avenir, ce qui signifie que la disposition qui a été déclarée inconstitutionnelle devrait rester applicable à l’appréciation juridique de situations factuelles antérieures à la date à laquelle elle a été invalidée. Cette analyse est confirmée par la doctrine (22).

62.      Une telle disposition devrait par conséquent continuer à être appliquée à l’appréciation juridique des circonstances sur la base desquelles – compte tenu de la forme initiale de la compétence ratione materiæ de la juridiction de renvoi, en tant que juridiction compétente pour connaître des recours contre les résolutions litigieuses de la KRS – les intéressés ont effectivement exercé leurs droits constitutionnels.

63.      Deuxièmement, et je partage ici l’analyse de la juridiction de renvoi, l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) non seulement n’a pas spécifiquement remis en cause l’institution du contrôle juridictionnel desdites résolutions de la KRS, mais il découle clairement de cet arrêt que la possibilité d’un tel contrôle doit effectivement exister en Pologne.

64.      J’attire l’attention sur l’argument exposé dans les motifs de l’arrêt du 25 mars 2019 : « [...] l’institution même du recours individuel contre une résolution [de la KRS] est [...] l’effet résultant de l’exécution de l’arrêt [...] dans l’affaire SK 57/06 [arrêt du 27 mai 2008], mais elle ne doit pas être mise en œuvre sous la forme de procédures relevant de juridictions totalement différentes ».

65.      Il s’agit d’un argument pertinent, car le précédent constitutionnel en question (affaire SK 57/06) traitait explicitement de la question de la possibilité pour des candidats à un poste dans la magistrature de faire appel des résolutions de la KRS telles que celles en cause au principal (dans cette affaire, la KRS n’avait pas non plus présenté la candidature du requérant au président de la République).

66.      Comme l’a souligné la juridiction de renvoi, l’article 3 de la loi du 26 avril 2019 (ainsi que la modification apportée par cette loi à la deuxième phrase de l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la KRS) peut être considéré comme équivalent aux dispositions de la deuxième phrase de l’article 13, paragraphe 2, de la loi du 27 juillet 2001 sur la KRS que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), dans l’arrêt rendu dans l’affaire SK 57/06, a jugées contraires aux dispositions combinées de l’article 45, paragraphe 1, de l’article 77, paragraphe 2, et de l’article 60 de la Constitution polonaise.

67.      La juridiction de renvoi l’explique plus en détail dans sa demande de décision préjudicielle du 26 juin 2019 : « [L]a conception du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) vient conforter les développements précédents [quant à la nécessité d’un recours effectif]. Il a, en effet, considéré dans les motifs de son arrêt SK 57/06, dont la portée et les conséquences ne sont pas remises en cause ni affectées par sa décision K 12/18, mais la confirment, au contraire, qu’il résulte manifestement de l’article 45, paragraphe 1, de la Constitution polonaise la volonté du constituant d’étendre le droit d’accès à un tribunal au plus large éventail possible de causes et qu’il se déduit du principe de l’État de droit démocratique l’interdiction d’une interprétation restrictive du droit d’accès à un tribunal [puisque] la Constitution introduit une présomption spécifique en faveur de la voie judiciaire [...] Il s’en déduit [...] que la procédure d’évaluation par [la KRS] des candidats à la magistrature en fonction des tâches afférentes à un poste de juge déterminé et sa décision de proposer la nomination de l’intéressé à ce poste au président de la République [...] se rapportent au droit consacré par l’article 60 de la Constitution de se prévaloir, dans des conditions d’égalité, du droit d’accès à un emploi public, c’est-à-dire d’un droit relevant de la catégorie des droits et libertés constitutionnels, auxquels s’applique l’interdiction absolue de fermer la voie judiciaire édictée à l’article 77, paragraphe 2, de la Loi fondamentale » (souligné par mes soins ; point III.5 des motifs de l’arrêt dans l’affaire SK 57/06).

68.      Le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) précise également que ce n’est pas la procédure de recours individuels contre les résolutions de la KRS en elle‑même qui est inconstitutionnelle, mais, selon lui, la juridiction de renvoi [le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] qui n’est pas compétente pour connaître de ce type d’affaires (point 6.2 des motifs de l’arrêt dans l’affaire K 12/18).

69.      Il convient de souligner qu’à la suppression de la compétence de la juridiction de renvoi dans les affaires concernant les recours contre les résolutions de la KRS relatives aux nominations aux postes de juge de la Cour suprême s’ajoute l’absence criante d’une quelconque mesure concrète du législateur national visant à désigner une juridiction de substitution qui serait compétente en la matière, en dépit du fait que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), dans l’affaire K 12/18, n’avait pas remis en cause la possibilité d’introduire un recours en vue du contrôle juridictionnel des résolutions litigieuses de la KRS, renvoyant à cet égard à l’arrêt de principe rendu dans l’affaire SK 57/06 (voir points 8 et 12 de cet arrêt), qui exige la possibilité d’un tel contrôle.

70.      Je partage donc l’analyse de la juridiction de renvoi selon laquelle « le législateur a entendu fermer la voie judiciaire dans les affaires précitées, [ce qui] est contraire à la conception qui se dégage des décisions précitées de la juridiction constitutionnelle nationale et de sa jurisprudence, dont il ressort que l’absence de possibilité de contrôle juridictionnel sur toute procédure conduisant à un jugement ou à d’autres décisions est inacceptable dans un État démocratique » (23).

71.      De plus, je considère (tout comme le médiateur) que cette exclusion est totalement arbitraire, car elle vaut uniquement pour les nominations à la Cour suprême. De surcroît, le caractère sélectif de cette mesure n’est justifié par aucune raison objective ou convaincante.

72.      À mon avis, la suppression du (droit à un) recours juridictionnel qui était jusqu’alors ouvert dans une affaire telle que celle au principal et, en particulier, le fait d’en priver des parties qui – tout comme les requérants au principal – ont déjà introduit un tel recours constituent (au vu du contexte et de la constellation des autres éléments, relevés par la juridiction de renvoi, qui sous-tendent la suppression de ce droit) une mesure dont la nature contribue – voire ajoute – à l’absence d’apparence d’indépendance et d’impartialité des juges effectivement nommés à la juridiction concernée et de la juridiction elle‑même. Cette absence d’apparence d’indépendance et d’impartialité viole l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

73.      J’examinerai à présent si la juridiction de renvoi a par conséquent l’obligation de laisser inappliquées les dispositions nationales concernées.

ii)    La primauté du droit de l’Union et l’article 19, paragraphe 1, TUE

74.      En effet, selon la jurisprudence de la Cour, « il y a lieu de souligner que tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de droit de l’Union qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi » (24).

75.      Tel est l’objet de la première branche de la troisième question préjudicielle, qui porte sur la question de savoir si la primauté attachée à des dispositions du droit de l’Union, telles que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, permet ainsi à la juridiction de renvoi de ne pas donner effet à la loi du 26 avril 2019 en se déclarant – nonobstant les dispositions de cette loi – compétente pour statuer sur les recours au principal et poursuivre leur examen.

76.      Avant d’examiner la primauté du droit de l’Union dans le contexte de la présente affaire, je dois brièvement prendre position sur les récentes décisions de la Cour suprême polonaise et du BVerfG allemand.

77.      La première de ces deux décisions est une ordonnance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême du 23 septembre 2020 (II DO 52/20), ayant jugé que l’arrêt de la Cour dans l’affaire A.K. e.a. « ne peut être considéré comme contraignant dans l’ordre juridique polonais, car dans toutes les procédures pendantes devant la chambre du travail et des assurances sociales de la Cour suprême dans lesquelles des questions ont été déférées à titre préjudiciel à la [Cour] ([...] une question préjudicielle enregistrée à la [Cour] [dans les affaires] C‑585/18, [...] C‑624/18, [...] [et] C‑625/18), les mesures ont été prises par des formations de jugement non conformes aux dispositions de la loi », l’explication étant que les demandes de décision préjudicielle dans ces affaires ont été présentées par des formations de jugement de trois juges, alors que, selon la chambre disciplinaire de la Cour suprême, elles auraient dû être examinées en première instance par la Cour suprême, composée d’un juge de la chambre disciplinaire.

78.      Tout d’abord, cette décision a été rendue alors que la Cour a demandé, en avril 2020, dans une ordonnance de référé (25), la suspension des activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême dans l’attente de la résolution de l’affaire C‑791/19, Commission/Pologne.

79.      Cette question devra être traitée dans le cadre de ladite affaire mais cette ordonnance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême est intervenue après un autre arrêt récent, rendu en Allemagne, sur lequel je dois prendre position ne serait-ce que brièvement (puisque les présentes conclusions ont pour seul objet la résolution des questions déférées dans la présente affaire et que l’arrêt du BVerfG n’a selon moi aucune incidence sur celle‑ci ni sur la jurisprudence de la Cour concernant notamment la primauté du droit de l’Union).

–       L’arrêt du Bundesverfassungsgericht allemand dans l’affaire Weiss

80.      Dans le récent arrêt du BVerfG dans l’affaire Weiss (cité au point 2 des présentes conclusions), le deuxième « Senat » (chambre) du BVerfG a déclaré que l’arrêt de la grande chambre de la Cour (dans l’affaire Weiss e.a. (26)), ainsi que plusieurs décisions de la Banque centrale européenne concernant le programme d’achat d’actifs du secteur public pour 2015, étaient ultra vires et inapplicables en Allemagne.

81.      Plutôt que de mettre en péril l’ensemble du système de l’Union en tant que communauté de droit et d’opter pour cette approche sans précédent, le BVerfG aurait pu expliciter ses griefs à l’égard de la jurisprudence de la Cour et lui adresser une nouvelle demande de décision préjudicielle (ce qu’il aurait d’ailleurs dû faire s’il avait suivi sa propre jurisprudence sur cette question (27)). Après tout, le dialogue judiciaire est un outil précieux, il s’agit même d’une partie intégrante du fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union.

82.      En tout état de cause, il n’est pas question ici d’une opposition entre droit national et droit international, impliquant de déterminer lequel des deux doit prévaloir dans un ordre juridique national donné (28): « [L]e droit de l’Union n’est pas une “loi étrangère”, mais constitue plutôt, par sa nature même et de sa propre autorité, la “loi du pays” dans chaque État membre […] et la primauté va de pair avec le principe d’égalité des États membres devant la loi, puisqu’il exclut toute forme de “sélection” destinée à servir les intérêts nationaux individuels » (29).

83.      L’approche ultra vires du BVerfG porte atteinte à l’État de droit dans l’Union, lequel est une condition sine qua non de l’intégration. Si l’Union ne dispose pas d’une superstructure lui permettant de traiter les conflits de juridictions, ceux‑ci peuvent néanmoins être dénoués par le truchement de l’État de droit.

84.      Selon les traités, qui représentent le « contrat » conclu par les États membres, la Cour est la juridiction de dernière instance en droit de l’Union. Cela ressort clairement de l’article 19 TUE et de l’article 267 TFUE. De plus, aux termes de l’article 344 TFUE, les États membres ont même explicitement pris l’engagement de « ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux‑ci » (30). Pacta sunt servanda : la démarche adoptée par le BVerfG dans l’arrêt Weiss ne relève tout simplement ni de ses fonctions ni de ses compétences (31). Les traités n’autorisent aucune juridiction nationale à passer outre un arrêt de la Cour, et s’il en était autrement le droit de l’Union ne serait pas appliqué de façon égale ou effective dans l’ensemble des 27 États membres et toute l’assise juridique de l’Union serait remise en question. Si une Cour constitutionnelle nationale estime qu’un acte de l’Union ou un arrêt de la Cour est contraire à sa constitution, elle ne peut simplement constater que cet acte ou arrêt est inapplicable dans son ressort juridictionnel. Elle peut en revanche chercher une solution à ce problème en obligeant le gouvernement du pays en question à modifier la constitution, à faire le nécessaire pour que la norme juridique de l’Union soit modifiée, dans le cadre du processus politique de l’Union voire, si nécessaire, à quitter l’Union (32). C’est la seule façon de garantir l’égalité des États membres au sein de l’Union qu’ils ont créée.

–       L’effet direct de l’article 19, paragraphe 1, TUE

85.      Selon l’article 2 TUE, l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice. À cet égard, il convient de relever que la confiance mutuelle entre les États membres (33) et, notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à cet article 2 TUE (34).

86.      L’Union est une Union de droit dans laquelle les justiciables ont le droit de contester en justice la légalité de toute décision ou de tout autre acte national relatif à l’application à leur égard d’un acte de l’Union (35).

87.      L’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE, confie la charge d’assurer le contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union non seulement à la Cour, mais également aux juridictions nationales (36).

88.      Il incombe donc aux États membres, notamment, en vertu du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leur territoire, l’application et le respect du droit de l’Union. À ce titre, et ainsi que le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Ainsi, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle juridictionnel effectif dans lesdits domaines (37).

89.      Il découle de la jurisprudence récente de la Cour que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE est a priori applicable – indépendamment de toute exigence relative à l’existence d’une situation concrète de mise en œuvre effective du droit de l’Union – à l’égard de toute juridiction nationale dès lors qu’elle est susceptible de statuer, en tant que juridiction, sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union et relevant ainsi de domaines couverts par ce droit (38).

90.      À la lumière de cette jurisprudence, je ne soutiens plus la thèse que j’ai défendue dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (39) selon laquelle le champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE se limite, dans le contexte de l’inamovibilité et de l’indépendance des juges, à la correction de problèmes liés à une déficience structurelle dans un État membre spécifique (défaillances systémiques ou généralisées « port[ant] atteinte au contenu essentiel » de l’inamovibilité et de l’indépendance des juges).

91.      En effet, la Cour a déjà jugé que l’article 47 de la Charte est d’effet direct (arrêt A.K. e.a., point 162). C’est en tout état de cause le cas en ce qui concerne l’exigence d’indépendance des juges.

92.      La notion de « protection juridictionnelle effective », visée à l’article 19, paragraphe 1, TUE, doit être interprétée en tenant compte du contenu de l’article 47 de la Charte et notamment des garanties inhérentes au (droit au) recours juridictionnel effectif reconnu par cette dernière disposition.

93.      En effet, selon la jurisprudence, « l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose à tous les États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective, au sens notamment de l’article 47 de la Charte, dans les domaines couverts par le droit de l’Union » (40). Par conséquent, l’article 19, paragraphe 1, TUE implique la nécessité de préserver l’indépendance de la juridiction chargée d’interpréter et d’appliquer le droit de l’Union.

94.      En outre, la Cour a déjà implicitement admis que l’article 19, paragraphe 1, TUE est d’effet direct. Dans la procédure au principal dans l’affaire Juizes Portugueses (41), l’article 19, paragraphe 1, TUE a été invoqué devant une juridiction nationale et la Cour n’a pas soulevé d’objections quant à la possibilité d’invoquer directement cette disposition. De même, dans l’arrêt Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (42), la Cour a considéré que la question déférée n’était pas pertinente pour la résolution des litiges au principal, mais elle n’a relevé aucune difficulté quant à la possibilité d’invoquer l’article 19, paragraphe 1, TUE.

95.      Ainsi, la Cour a déjà confirmé que cette disposition a un effet direct et peut être invoquée par les justiciables devant les juridictions nationales comme fondement juridique autonome (outre l’article 47 de la Charte) afin d’apprécier la conformité des actions d’un État membre avec le droit de l’Union.

–       L’application de l’article 19, paragraphe 1, TUE en l’espèce

96.      L’article 19, paragraphe 1, TUE pouvant être appliqué directement par la juridiction de renvoi en l’espèce, il y a lieu d’examiner si elle peut se fonder sur cette disposition pour constater que l’article 19, paragraphe 1, TUE s’oppose aux dispositions nationales pertinentes.

97.      Dans l’arrêt A.K. e.a. (point 167), la Cour a jugé que « l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit ».

98.      De plus, « le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte, de telle sorte que la première de ces dispositions impose à tous les États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, une protection juridictionnelle effective, au sens notamment de la seconde desdites dispositions » (arrêt A.K. e.a., point 168).

99.      La Cour a ajouté qu’« un examen séparé des articles 2 et 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, qui ne pourrait que corroborer la conclusion déjà énoncée aux points 153 et 154 [de cet] arrêt, n’apparaît pas nécessaire aux fins de répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi et de la solution des litiges dont celle‑ci est saisie » (arrêt A.K. e.a., point 169).

100. Compte tenu de cette jurisprudence, la protection juridictionnelle effective que ces juridictions doivent être en mesure d’offrir conformément à cette disposition exige notamment qu’elles répondent, sur le plan structurel, à l’exigence d’indépendance et d’impartialité, telle qu’elle a été développée par la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne l’article 267 TFUE, l’article 47 de la Charte et l’article 19 TUE. De plus, la Cour doit veiller à interpréter ces dispositions de façon à assurer un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») (arrêt A.K. e.a., point 118).

101. En premier lieu, la Cour a jugé que « le seul fait que [les juges] soient nommés par le président de la République n’est pas de nature à créer une dépendance de ces derniers à son égard ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si, une fois nommés, les intéressés ne sont soumis à aucune pression et ne reçoivent pas d’instructions dans l’exercice de leurs fonctions [...] Toutefois, il demeure nécessaire de s’assurer que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de nomination soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés nommés » (arrêt A.K. e.a., points 133 et 134 ; souligné par mes soins).

102. En second lieu, il découle également de la jurisprudence de la Cour que les règles relatives à la nomination des juges doivent, avec d’autres catégories de règles les concernant (notamment le régime disciplinaire qui leur est applicable, leur inamovibilité, etc.), contribuer à garantir cette indépendance, notamment afin de lever tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de la juridiction concernée à l’égard d’éléments extérieurs, et, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et quant à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent et, aucune absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ladite juridiction, qui serait propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer auxdits justiciables dans une société démocratique, ne saurait être admise (43).

103. Par conséquent, lorsque les règles nationales relatives à la nomination des juges relèvent du champ d’application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’État membre est tenu de satisfaire à l’obligation de garantir que la procédure de nomination se déroule de manière à préserver l’indépendance et l’impartialité des juges ainsi nommés.

104. Il est vrai qu’en son état actuel, le droit de l’Union i) ne contient pas de norme ou de principe qui conférerait un droit de recours juridictionnel aux candidats à la fonction de juge, tels que ceux en cause au principal, ni ne détermine les conditions auxquelles un tel droit devrait satisfaire en termes d’effectivité, et ii) ne prévoit pas, dans le cadre d’un tel recours, que ces candidats auraient un droit à ne pas être discriminés en fonction des types de postes de juge vacants concernés.

105. Toutefois, comme la Cour l’a déjà jugé (arrêt A.K. e.a., point 153), si certains aspects du droit national ne sont pas de nature, à eux seuls et lorsqu’ils sont considérés isolément, à conduire à une mise en doute de l’indépendance d’une juridiction ou de ses membres, il pourrait, en revanche, en aller différemment du fait de leur combinaison, en présence d’une accumulation d’éléments de droit et de fait dont la combinaison est de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de la juridiction concernée à l’égard d’éléments extérieurs, et, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et quant à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent et, ainsi, est susceptible de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ladite juridiction ou de ses membres qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique.

106. À cet égard, la Cour a déjà précisé (arrêt A.K. e.a., points 131 à 153), à propos d’une constellation de circonstances normatives et factuelles qui se rapprochent de celles de l’affaire au principal, que la circonstance suivante, combinée à ces autres circonstances et sous réserve de l’appréciation et de la vérification finales qu’il appartient à la juridiction nationale d’effectuer, peut engendrer de tels doutes.

107. La Cour a souligné (44) que « [p]ar ailleurs, et eu égard au fait que, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, les décisions du président de la République portant nomination de juges [à la Cour suprême] ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la manière dont est définie, à l’article 44, paragraphes 1 et 1 bis, de la loi sur la KRS, la portée du recours qui peut être dirigé contre une résolution de la KRS comprenant ses décisions quant à la présentation d’une proposition de nomination au poste de juge à cette juridiction permet d’assurer un contrôle juridictionnel effectif à l’égard de telles résolutions, portant, à tout le moins, sur la vérification de l’absence d’excès ou de détournement de pouvoir, d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, Cour EDH, 18 octobre 2018, Thiam c. France, CE:ECHR:2018:1018JUD008001812, §§ 25 et 81) » (souligné par mes soins).

108. Dans le contexte polonais, le non‑respect des exigences minimales en matière de contrôle juridictionnel définies par la Cour dans le point cité ci‑dessus a une incidence directe sur l’appréciation de l’indépendance des juges nommés.

109. Il me semble important que la Cour prenne ici en considération le fait que si certains types de procédures et de règles régissant la nomination des juges dans les États membres (et donc, également, l’absence de possibilité de recours juridictionnel dans le cadre de telles procédures, comme c’est le cas dans l’affaire au principal) peuvent ne pas être, en tant que telles, contestables au regard du droit de l’Union, il se pourrait tout à fait qu’elles se révèlent inacceptables lorsqu’elles s’appliquent sur la base d’une recommandation d’un organe qui n’est luimême manifestement pas indépendant.

110. Premièrement, les résolutions litigieuses de la KRS sont essentiellement des décisions administratives qui produisent des effets juridiques à l’égard des candidats aux postes de juge en question (45). De même que pour toute autre intervention de l’État, la procédure de nomination des juges doit obéir à des règles de droit, dont le respect devrait pouvoir être contrôlé par une instance juridictionnelle indépendante.

111. En effet, la charte européenne sur le statut des juges (46) consacre le « droit au recours » du juge qui estime que ses droits statutaires, ou plus généralement son indépendance ou celle de la justice, sont menacés ou méconnus d’une manière quelconque, devant une instance indépendante telle que celle qui a été précédemment décrite. Cela signifie que les juges ne sont pas désarmés face à une atteinte à leur indépendance. Le droit au recours est une garantie nécessaire, car l’affirmation de principes protecteurs du pouvoir judiciaire n’est qu’un vœu pieux s’il n’existe pas en toutes circonstances des mécanismes permettant de garantir leur application effective.

112. La Cour EDH a déjà eu l’occasion de confirmer, dans l’affaire Denisov c. Ukraine, que les conseils de la magistrature doivent soit remplir les exigences énoncées à l’article 6 de la CEDH, soit rendre des décisions susceptibles d’être réexaminées par un organe judiciaire qui remplisse ces exigences. La question du respect des garanties fondamentales de l’indépendance et de l’impartialité peut se poser dès lors que l’organisation et le fonctionnement d’un Conseil de la magistrature tel que la KRS (agissant en l’occurrence en tant qu’organe disciplinaire) font apparaître de graves problèmes en la matière (47). Un auteur de doctrine (48) a soutenu que ce principe ne devrait s’appliquer que lorsque le Conseil de la magistrature agit en tant qu’organe disciplinaire et non lorsqu’il intervient « simplement » dans le cadre de son rôle consultatif, notamment dans le contexte de la nomination de juges. Je ne partage pas cette analyse, car cette distinction est absente de la jurisprudence de la Cour EDH et, en tout état de cause, elle ne peut valoir à mon sens dans un contexte tel que celui qui prévaut en Pologne.

113. Deuxièmement, la remarque exposée au point 109 des présentes conclusions est étayée par le principe selon lequel une décision d’une autorité administrative qui ne satisfait pas elle‑même aux conditions d’indépendance et d’impartialité doit subir le contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel (49).

114. La Cour a eu récemment l’opportunité de confirmer que l’indépendance de la justice, en particulier à l’égard de l’exécutif, est un élément de la protection juridictionnelle effective (50). Cette protection devrait en principe être assurée à tous les citoyens de l’Union, y compris aux candidats à la fonction de juge à la Cour suprême.

115. Ainsi que la Cour l’a affirmé dans l’arrêt Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (51), « il découle du droit fondamental à un recours effectif devant un tribunal indépendant, impartial et préalablement établi par la loi, garanti par l’article 47 de la Charte, que tout justiciable doit, en principe, avoir la possibilité de se prévaloir d’une violation de ce droit. Il en résulte que le juge de l’Union doit pouvoir vérifier si une irrégularité entachant la procédure de nomination en cause a pu entraîner une violation de ce droit fondamental ». J’estime qu’il en va de même pour les juridictions nationales (qui sont également des juridictions de l’Union). Une fois encore, si cette jurisprudence traite spécialement de l’article 47 de la Charte, la Cour explique, dans l’arrêt A.K. e.a., que si son analyse avait porté sur les articles 2 et 19 TUE, ses conclusions auraient été les mêmes que celles concernant l’analyse de l’article 47 de la Charte (voir points 167 à 169 de cet arrêt).

116. De fait, la Cour suprême a déjà jugé en des termes très clairs que la KRS n’est pas indépendante (52).

117. En particulier, elle a conclu, au vu de la gravité des vices juridiques, de surcroît nombreux, que les choix opérés par la KRS n’échappaient pas aux intérêts politiques, au détriment du respect, par les personnes nommées à la fonction de juge sur proposition de la KRS, des critères objectifs d’impartialité et d’indépendance (voir point 36 de la résolution du 23 janvier 2020). De plus, la Cour suprême a jugé qu’en raison de la politisation de la KRS, les choix opérés dans le cadre des concours pour les postes de juge obéiraient très probablement à des considérations tenant à la loyauté politique ou au soutien apporté à la réforme du système judiciaire menée par la majorité parlementaire au mépris de la Constitution polonaise, plutôt qu’à des critères objectifs. Il en résultait, du point de vue de l’ensemble du système judiciaire, une atteinte à la confiance dans l’impartialité des titulaires de fonctions publiques ainsi désignés. Le manque d’indépendance réside pour l’essentiel dans la soumission des décisions de cet organe aux autorités politiques, en particulier à l’exécutif (voir paragraphe 38 de la résolution du 23 janvier 2020).

118. Premièrement, dans mes conclusions dans les affaires jointes A.K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:551), j’ai conclu que la KRS n’était pas un organe indépendant : les mandats des membres de la KRS avaient fait l’objet d’une révocation prématurée ; leur mode de désignation implique que 23 des 25 membres de la KRS proviennent des autorités législatives et exécutives, ce qui révèle des déficiences qui paraissent susceptibles de compromettre l’indépendance de la KRS par rapport aux autorités législatives et exécutives (voir notamment points 132 et 135).

119. En effet, comme le relève la charte européenne sur le statut des juges (voir point 111 des présentes conclusions), « [l]a sélection et le recrutement des juges doivent relever d’un choix effectué parmi les candidats par une instance ou un jury indépendants » (exposé des motifs, point 2.1) et « [p]our toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d’un juge ou d’une juge, le statut prévoit l’intervention d’une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif au sein de laquelle siègent au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de ceux‑ci » (point 1.3). En effet, « l’indépendance qui doit s’attacher à l’instance en question exclu[t] que les juges y siégeant soient élus ou désignés par une autorité politique appartenant au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif. Une telle formule serait en effet de nature à conférer un caractère partisan à la désignation et au rôle des juges. Il n’est pas précisément attendu des juges appelés à siéger au sein de l’instance indépendante qu’ils s’efforcent d’obtenir la faveur de partis politiques ou d’organes devant eux‑mêmes leur désignation ou leur élection à de tels partis ou à leur action » (point 1.3. de l’exposé des motifs).

120. Ensuite, je renvoie à l’arrêt de la Cour dans cette affaire (arrêt A.K. e.a.) ainsi qu’à l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234).

121. Le 5 décembre 2019, la juridiction de renvoi dans l’affaire A.K. e.a., le Sąd Najwyższy – Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych (Cour suprême, chambre du travail et des assurances sociales, Pologne), a jugé – sur la base de cet arrêt de la Cour – que la KRS n’est pas, dans sa composition actuelle, un organe impartial et indépendant des pouvoirs législatif et exécutif. Elle a également estimé que la chambre disciplinaire de la Cour suprême ne pouvait être considérée comme un tribunal au sens de l’article 47 de la Charte et de l’article 45, paragraphe 1, de la Constitution polonaise.

122. L’arrêt affirmait également que i) la KRS n’avait jamais été indépendante des autorités politiques, depuis sa création en 2018 ; ii) la nouvelle KRS avait été instituée en violation de dispositions constitutionnelles (53), et que iii) d’autres facteurs grevaient l’indépendance de la KRS (l’élection des membres actuels de la KRS n’avait pas été transparente ; l’indépendance de la KRS avait été plusieurs fois mise en cause de façon officielle par des ONG, des associations d’avocats et des juges des juridictions ordinaires ; des membres de la KRS avaient été promus par le ministre de la Justice à des postes de président ou vice-président de juridiction, ou à d’autres fonctions judiciaires élevées, et les membres de la KRS avaient également apporté publiquement leur soutien aux réformes) (54). Pour juger que la chambre disciplinaire ne pouvait être considérée comme une juridiction au sens du droit de l’Union, ce même arrêt du 5 décembre 2019 (points 67 et 68) s’est également fondé sur le fait que les candidatures à cette chambre proposées par la KRS n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle juridictionnel.

123. Cet arrêt a été confirmé par la chambre du travail et des assurances sociales de la Cour suprême le 15 janvier 2020 (dans les autres affaires ayant donné lieu à l’arrêt A.K. e.a.) et, en particulier, le 23 janvier 2020, lorsque la grande hambre réunissant tous les juges des trois chambres de la Cour suprême a adopté une résolution (55), qui a l’effet d’un principe juridique. Celle-ci a confirmé l’arrêt susmentionné du 5 décembre 2019 et jugé que la KRS n’était pas indépendante du pouvoir exécutif.

124. Deuxièmement, la gravité de la situation concernant la KRS est confirmée par la prise de position, le 27 mai 2020, du comité exécutif du Réseau européen des conseils de la justice (RECJ) au sujet de la KRS et plus précisément de sa qualité de membre du RECJ. Dans ce document, le comité expose les raisons pour lesquelles il propose à l’assemblée générale d’exclure la KRS du RECJ (voir https://www.encj.eu/node/556). Les raisons sont, en substance, i) que la KRS ne respecte pas la règle statutaire du RECJ selon laquelle un conseil membre doit être indépendant de l’exécutif ; ii) que la KRS viole de manière flagrante la règle du RECJ lui imposant de préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire, défendre le pouvoir judiciaire, ainsi que les juges individuellement, d’une manière conforme à son rôle de garant, face à toute mesure qui menace de compromettre les valeurs fondamentales d’indépendance et d’autonomie, et iii) que la KRS porte atteinte à l’application du droit de l’Union concernant l’indépendance des juges et des juridictions, et donc à son efficacité. Ce faisant, elle agit contre les intérêts de l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice et contre les valeurs qu’il défend. Le comité a conclu que la KRS avait commis des violations graves des finalités et objectifs du RECJ, tels qu’énoncés aux articles 3 et 4 de ses statuts, et qu’elle n’était pas disposée à y remédier. Je tiens à relever que la KRS avait déjà été suspendue par le RECJ, le 17 septembre 2018, au motif qu’elle ne répondait plus aux conditions exigées par ce réseau, à savoir être indépendante des pouvoirs exécutif et législatif de façon à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire polonais.

125. De plus, le RECJ a appuyé sa proposition d’exclusion de la KRS sur les éléments suivants et les positions d’organisations, telles que i) le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le Conseil de l’Europe (le Groupe d’États contre la corruption ou GRECO, la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite « Commission de Venise », et l’Assemblée parlementaire), les institutions de l’Union et les réseaux de la magistrature et des avocats en Europe, qui se sont montrés critiques sur les réformes du système judiciaire en Pologne ainsi que sur le rôle de la KRS ; ii) un rapport du 6 janvier 2020 de la commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui a estimé que « la réforme de la [KRS] avait placé cette institution sous le contrôle du pouvoir exécutif, ce qui est incompatible avec le principe d’indépendance » ; iii) l’avis conjoint urgent de la Commission de Venise et la Direction générale des droits de l’homme et de l’État de droit (DGI) du Conseil de l’Europe, du 16 janvier 2020 (56), recommandant notamment de « [r]endre au corps judiciaire ses pouvoirs en matière de nomination, de promotion et de révocation des juges », sous-entendant que la KRS était sous le contrôle de l’exécutif ; iv) la résolution de la grande chambre de la Cour suprême polonaise mentionnée au point 123 des présentes conclusions ; v) l’ordonnance de la Cour dans l’affaire Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277), faisant droit à la demande de mesures provisoires de la Commission dans cette affaire, dans laquelle elle fait notamment valoir que l’indépendance de la nouvelle chambre disciplinaire en Pologne n’est pas garantie, au motif que ses juges sont sélectionnés par la KRS, alors que les membres juges de la KRS sont sélectionnés par la chambre basse du Parlement polonais ; vi) le lancement par la Commission d’une autre procédure d’infraction par l’envoi d’une lettre de mise en demeure à la République de Pologne au sujet de la nouvelle loi sur le pouvoir judiciaire du 20 décembre 2019, qui est entrée en vigueur le 14 février 2020 (57) ; vii) la publication, le 13 mai 2020, par la commission LIBE du Parlement européen, d’un projet de rapport intermédiaire dans le cadre de la procédure prévue à l’article 7 TUE à l’encontre de la République de Pologne. S’agissant de l’incidence de la loi polonaise du 20 décembre 2019 sur l’indépendance de la KRS, le rapport affirme que « cette mesure a conduit à une profonde politisation de la [KRS] » (point 23) et « [a]ppelle la Commission à engager une procédure d’infraction contre la [loi sur la KRS] et à demander à la [Cour] de suspendre les activités de la nouvelle [KRS] dans le cadre d’une procédure de référé » (point 26) (58).

126. L’avis conjoint urgent du 16 janvier 2020 (59), mentionné au point précédent, souligne que la réforme de 2017 « [p]rivait le corps judiciaire polonais du pouvoir de désigner des représentants [à la KRS] et lui retirait donc son influence sur le recrutement et la promotion des juges. Avant la réforme de 2017, 15 (des 25) membres [de la KRS] étaient des juges élus par leurs pairs. Depuis la réforme, ces membres sont élus par le Parlement. Associée au remplacement immédiat, au début de l’année 2018, de tous les membres désignés selon les anciennes règles, cette mesure a entraîné une forte politisation [de la KRS] ». De plus, cette réforme « cré[ait] en 2017 deux nouvelles chambres au sein de la Cour suprême : la chambre des affaires disciplinaires et la chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques [...] Des juges nouvellement nommés, choisis par [la KRS] dans sa nouvelle version, ont été affectés à ces chambres et des compétences spéciales leur ont été attribuées – notamment celle, pour la chambre extraordinaire, d’annuler les décisions devenues définitives des juridictions inférieures ou de la Cour suprême elle‑même par voie de contrôle extraordinaire, ou celle, pour la chambre des affaires disciplinaires, d’exercer un pouvoir disciplinaire sur les autres juges. Ces compétences les placent au-dessus de toutes les autres chambres et créent de facto une “Cour suprême au sein de la Cour suprême” ». En ce qui concerne la KRS, l’avis conjoint urgent conclut que « la Commission de Venise est d’avis qu’il est nécessaire de revoir la composition [de la KRS] pour rendre le mode de désignation de ceux de ses membres qui ont la qualité de juges conforme aux normes et aux meilleures pratiques européennes. Cette démarche permettrait d’écarter le risque de confusion juridique découlant du texte actuel, mais elle supposerait aussi que les autorités polonaises règlent la question de la validité des nominations de juges effectuées dans l’intervalle ».

127. La jurisprudence de la Cour EDH indique clairement que la composition de l’organe qui nomme les juges est pertinente du point de vue de l’exigence d’« indépendance » (60).

128. La jurisprudence de Strasbourg confirme également que l’indépendance de la justice concerne non seulement l’exercice de fonctions juridictionnelles dans des cas spécifiques, mais aussi l’organisation judiciaire (c’est‑à‑dire l’indépendance structurelle, telle que le mode de nomination des membres de la juridiction et leur mandat) ainsi que la question de savoir si la juridiction concernée présente ou non une « apparence d’indépendance », qui constitue un élément essentiel du maintien de la confiance que les cours et tribunaux doivent inspirer dans une société démocratique. Afin de protéger cette apparence d’indépendance, il est nécessaire de prévoir des garanties suffisantes (61).

129. À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime (à l’instar de la doctrine (62)) que, en raison des circonstances particulières propres à la Pologne, un contrôle juridictionnel des procédures de nomination par un tribunal dont l’indépendance ne fait aucun doute est indispensable, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, afin de préserver l’apparence d’indépendance des juges nommés dans le cadre de ces procédures. Cela se justifie notamment en raison des changements rapides qu’ont connus les dispositions législatives polonaises en matière de contrôle juridictionnel des procédures et décisions de sélection de la KRS (en particulier par le biais de la loi du 26 avril 2019), dispositions qui semblent aller à l’encontre de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (une question qui relève toutefois de l’appréciation des juridictions polonaises). Ces changements suscitent des doutes raisonnables sur la question de savoir si le processus de nomination est actuellement conçu de façon à sélectionner des candidats indépendants sur le plan interne, plutôt que des candidats politiquement acceptables, pour l’exercice de fonctions judiciaires dans une institution clé du système judiciaire, la Cour suprême, c’est‑à‑dire la juridiction de dernière instance. De plus, la doctrine souligne également (63) que, selon la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle avant 2015, les procédures de nomination et les décisions de la KRS devaient, en vertu de la Constitution polonaise, pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Dans le contexte spécifique de la Pologne, le contrôle juridictionnel de la décision de la KRS constituait une garantie importante de l’objectivité et de l’impartialité des procédures de nomination et du droit constitutionnel d’égal accès à la fonction publique.

130. Cette conclusion est confortée par les instruments internationaux non contraignants concernant la question des Conseils nationaux de la magistrature. Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a adopté un avis (64) qui souligne que « [c]ertaines décisions du Conseil de la Justice en matière de gestion et d’administration des services de la justice, ainsi que les décisions de nomination, de mobilité, de promotion, de discipline et de révocation des juges [...] devraient être motivées, avoir une valeur contraignante sous réserve de la possibilité d’un recours contentieux ; en effet, l’indépendance du Conseil de la Justice ne signifie pas soustraction au droit et absence de contrôle juridictionnel » (souligné par mes soins).

131. Comme la Cour l’a relevé récemment dans son arrêt Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (65), « la [Cour EDH] a déjà eu l’occasion de relever que le droit d’être jugé par un tribunal “établi par la loi”, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, englobe, par sa nature même, le processus de nomination des juges (Cour EDH, 12 mars 2019, Ástráðsson c. Islande, CE:ECHR:2019:0312JUD002637418, non définitif, § 98) » (66).

132. Par conséquent « [i]l découle [de la jurisprudence] qu’une irrégularité commise lors de la nomination des juges au sein du système judiciaire concerné emporte une violation de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte, notamment lorsque cette irrégularité est d’une nature et d’une gravité telles qu’elle crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de nomination et semant ainsi un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du ou des juges concernés, ce qui est le cas lorsque sont en cause des règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement de ce système judiciaire » (souligné par mes soins) (67).

133. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la juridiction de renvoi peut conserver sa compétence pour statuer sur les recours au principal.

134. En revanche, j’estime (de même que le médiateur) qu’il n’est pas possible d’admettre la compétence de la juridiction nationale normalement appelée à connaître des affaires de la nature de celle au principal, à savoir la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême), étant donné qu’en tout état de cause, les conditions et circonstances des nominations des juges à cette chambre soulèvent des doutes quant à son indépendance et que cette chambre a déjà été considérée comme ne constituant pas une juridiction indépendante au sens du droit de l’Union (68). Les autres chambres de cette cour auxquelles ont été affectés des juges nommés sur la base de résolutions de la KRS telles que celles en cause au principal ne constituent pas non plus des forums appropriés pour cette affaire en vertu du principe nemo judex in causa sua  (nul ne peut être juge de sa propre cause).

135. Il s’ensuit que le recours devant la juridiction de renvoi constitue la seule procédure juridictionnelle qui permette aux requérants au principal, en tant que candidats à un poste de juge, d’obtenir un contrôle objectif de la procédure de nomination à la Cour suprême en tant que juridiction de dernier ressort, au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, à laquelle s’imposent les garanties résultant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

136. Étant donné qu’il convient de répondre à la troisième question en ce sens que la juridiction de renvoi peut écarter les effets de la loi du 26 avril 2019 et se déclarer compétente pour statuer sur les affaires au principal sur le fondement du cadre juridique qui était applicable avant l’adoption de cette loi, il y a lieu maintenant d’aborder les deux premières questions préjudicielles. Celles-ci portent sur les conditions éventuellement imposées par le droit de l’Union à des recours tels que les recours au principal, prévus par le droit national, au regard du principe d’effectivité (première question) et du principe d’égalité de traitement (deuxième question).

2.      Sur la première question préjudicielle

137. Cette question doit être comprise en ce sens qu’elle vise à déterminer si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose – compte tenu de l’ensemble du contexte normatif et factuel national de la Pologne – à un mécanisme de recours qui présente des lacunes sur le plan de l’effectivité, tel que celui initialement applicable dans les affaires au principal (69).

a)      Exposé sommaire des arguments des parties

138. En substance, la KRS soutient que les dispositions nationales litigieuses, telles que modifiées par la loi du 26 avril 2019, relèvent de l’autonomie procédurale des États membres, sous réserve d’assurer un contrôle juridictionnel effectif, ce qui est le cas en vertu de l’article 44, paragraphe 4, de la loi sur la KRS. Le fait que la partie de la résolution de la KRS portant proposition de nomination devienne définitive avant l’issue de ce recours se justifierait par la nécessité qu’il soit sans tarder pourvu aux postes vacants de juge au sein de la Cour suprême. Le mode d’élection des quinze membres de la KRS constitue selon elle un choix qui relève de la compétence exclusive des États membres et ne peut être examiné par la Cour.

139. Le procureur général soutient pour l’essentiel, en premier lieu, que les résolutions litigieuses de la KRS ont été illégalement suspendues par la juridiction de renvoi. En second lieu, il n’existe pas selon lui de standard commun obligatoire découlant du droit de l’Union en ce qui concerne i) le processus de nomination des juges et le rôle éventuel, dans ce contexte, d’autres autorités nationales, ou ii) la possibilité d’introduire un recours juridictionnel contre les décisions adoptées en ce domaine, une telle possibilité étant d’ailleurs inexistante dans plusieurs États membres.

140. Le gouvernement polonais fait valoir, en substance, que les dispositions du droit de l’Union soulevées dans les questions préjudicielles ne constituent pas un étalon permettant de contrôler les dispositions nationales relatives aux procédures de nomination des juges, sauf à méconnaître le principe du respect des traditions constitutionnelles des États membres. Il ajoute que la KRS est un organe constitutionnel de l’État, indépendant des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, dont le rôle consiste à harmoniser les relations mutuelles de ces trois pouvoirs, tout en garantissant l’indépendance des juges. Un contrôle juridictionnel des résolutions de la KRS qui ne se limiterait pas au respect des règles de procédure, mais qui porterait également sur le fond des résolutions et sur la sélection opérée, porterait atteinte à la compétence exclusive conférée à la KRS et à l’équilibre constitutionnel ainsi recherché.

141. Le médiateur soutient, en substance, que le mode de nomination des juges constitue l’un des éléments sur lesquels doit porter l’examen aux fins de vérifier que l’indépendance des juges est garantie, et que compte tenu du rôle clé que la KRS joue dans la procédure de nomination des juges de la Cour suprême, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit également s’appliquer à la procédure devant cet organe et aux moyens de recours contre ses résolutions.

142. A.B., C.D., E.F. et I.J. font valoir que l’article 44, paragraphes 1 ter et 4, de la loi sur la KRS ne prévoit qu’un simulacre de contrôle et un accès purement formel à la voie judiciaire en méconnaissance du principe de protection juridictionnelle effective des droits en cause, en violation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 19, paragraphe 1, TUE, en combinaison avec l’article 47 de la Charte.

143. La Commission soutient que l’article 19, paragraphe 1, TUE ne prévoit pas d’exigence générale selon laquelle les décisions de nomination de juges doivent être soumises à un contrôle juridictionnel ou qu’une telle exigence trouve à s’appliquer aux avis émis dans le cadre du processus de sélection de juges, ni qu’un tel contrôle doit avoir un effet suspensif. Ce n’est que dans des circonstances particulières que l’article 19, paragraphe 1, TUE serait enfreint, à savoir lorsque la modification des règles juridiques régissant la nomination des membres d’une juridiction, concomitamment à des amendements apportés à d’autres dispositions légales applicables à cette juridiction, conduirait à une distorsion structurelle de nature à ébranler la perception de l’indépendance de cette juridiction du point de vue des personnes concernées. La Commission soutient que de telles circonstances ne concernent pas la présente affaire.

b)      Appréciation

144. Je tiens à renvoyer aux explications et à l’analyse fournies par la juridiction de renvoi figurant aux points 8 à 10 des présentes conclusions.

145. Les considérations qui précèdent au sujet de la troisième question sont également applicables mutatis mutandis dans le cadre de la première question, afin d’établir que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose – dans le contexte juridique et factuel prévalant en Pologne – à un mécanisme de recours juridictionnel qui présente des lacunes quant à son effectivité, tel que celui qui était initialement applicable dans les procédures au principal (article 44, paragraphes 1 bis, 1 ter et 4, de la loi sur la KRS).

146. J’estime (tout comme la juridiction de renvoi) que la voie de recours ouverte aux participants à la procédure dont la nomination n’a pas été proposée est totalement dépourvue d’effectivité puisqu’elle ne permet pas de modifier la situation juridique du candidat ayant introduit un recours dans la procédure qui s’est achevée par la résolution de la KRS ensuite annulée. Elle ne permet pas non plus de réexaminer la candidature de cette personne au poste vacant de juge à la Cour suprême si cette candidature a été introduite à la suite de l’annonce d’un concours pour un poste de juge spécifique.

147. À mon sens, pour qu’un mécanisme de recours soit effectif, il serait nécessaire que : 1) l’introduction d’un recours par l’un des candidats non retenus pour un poste de juge à la Cour suprême interrompe toute la procédure de nomination jusqu’à ce que ce recours ait été examiné par la juridiction de renvoi ; 2) le jugement faisant droit au recours contre la résolution de la KRS pour ce qui est de la décision de ne pas proposer la nomination à la Cour suprême ait pour effet de contraindre l’organe compétent de l’État membre (la KRS) à réexaminer le cas individuel concernant la nomination au poste de juge à la Cour suprême ; 3) la résolution devienne valable à condition que la juridiction de renvoi ait rejeté les recours contre celle‑ci, après quoi seulement la résolution pourrait être soumise au président de la République et le candidat désigné dans la proposition pourrait être nommé juge à la Cour suprême.

148. Par conséquent, j’estime qu’il existe un doute manifeste quant à l’effectivité des voies de recours ouvertes contre les résolutions de la KRS de nominations individuelles à la Cour suprême, et donc dans des affaires concernant des droits garantis par le droit de l’Union, puisque l’enjeu est ici celui de la nomination au poste de juge au sein de la juridiction d’un État membre statuant en dernier ressort. Cette analyse s’impose avec d’autant plus de force que le mécanisme applicable aux recours contre les résolutions dans de tels cas diffère de celui applicable aux procédures de sélection concernant des postes vacants de juges dans les juridictions autres que la Cour suprême (il est notable que celui‑ci est resté inchangé et ne prévoit pas les « innovations » restrictives introduites récemment), ce qui ne peut être justifié par le seul critère de la juridiction dans laquelle le poste vacant est pourvu.

149. La juridiction de renvoi estime que cela revient à créer, entre deux catégories de candidats à la nomination au poste de juge, un accès différencié à la juridiction compétente, ce qui peut porter atteinte au principe de l’égalité d’accès à une juridiction.

150. Je tiens à souligner, en particulier, qu’aucun argument convaincant n’a été avancé pour justifier cette différence quant au caractère effectif de la voie de recours ainsi que le « traitement spécial » réservé à la procédure de nomination à la Cour suprême.

151. Compte tenu de ces éléments, c’est à juste titre que la juridiction de renvoi estime que ces règles nationales ne sont pas conformes au droit de l’Union.

152. En effet, il découle de la jurisprudence de la Cour qu’il incombe aux États membres, notamment, en vertu du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leurs territoires respectifs, l’application et le respect du droit de l’Union. À ce titre, et ainsi que le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Il appartient donc aux États membres de mettre en place un système de recours et de procédures garantissant un contrôle juridictionnel effectif dans ces domaines (70). Cette protection constitue une caractéristique essentielle de l’État de droit au sens de l’article 2 TUE.

153. Étant donné que la juridiction de renvoi doit examiner les résolutions litigieuses de la KRS conformément aux dispositions nationales qui étaient applicables avant la modification introduite par la loi du 26 avril 2019, cet examen doit être effectif et ne saurait être de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à la validité du processus de nomination des juges nommés sur ce fondement.

154. Cela signifie que la juridiction de renvoi doit avoir la possibilité d’exercer un contrôle juridictionnel – à tout le moins dans la mesure indiquée par la Cour dans l’arrêt A.K. e.a. (point 145), c’est‑à‑dire d’une manière qui lui permette de vérifier l’absence d’excès ou de détournement de pouvoir, d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation (71).

155. En outre, le principe de la protection juridictionnelle effective exige que la décision finale de la juridiction, adoptée à l’issue de cet examen, soit effective et que cette effectivité soit garantie, sans quoi cette décision serait illusoire (72).

156. En effet, comme la Cour l’a constaté dans l’arrêt Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (73), « le principe de primauté du droit de l’Union et le droit à une protection juridictionnelle effective, garanti par l’article 47 de la Charte, imposent à la juridiction de renvoi de se déclarer compétente pour connaître du recours [en cause], si aucune autre juridiction n’est, en vertu du droit national, compétente pour en connaître ».

157. Cela signifie que des dispositions nationales qui constituent un obstacle à la réalisation des objectifs de l’article 19, paragraphe 1, TUE devraient être écartées par la juridiction de renvoi. Dans le présent contexte, la juridiction de renvoi devrait donc écarter l’application i) des dispositions qui auraient pour conséquence d’exclure toute possibilité de contrôle d’une éventuelle erreur dans l’appréciation des candidats aux fonctions de juge à la lumière des critères qui leur sont imposés, et ii) du caractère partiellement définitif des résolutions de la KRS à l’égard des candidats qui ont été nommés. À défaut, le contrôle juridictionnel d’une telle résolution serait illusoire par rapport au candidat nommé.

158. Par conséquent, s’agissant du candidat qui a été nommé, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal équivaudrait à une absence de tout contrôle, ouvrant la voie à des mesures discrétionnaires des pouvoirs exécutif ou législatif, de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, en violation de l’article 19, paragraphe 1, TUE.

3.      Sur la deuxième question préjudicielle

159. Dans la mesure où la réponse à la première question est affirmative (puisque je constate que le mécanisme de la procédure de recours contre les résolutions de la KRS dans des affaires individuelles concernant des nominations au poste de juge de la Cour suprême ne garantit pas le droit à un recours effectif et à une protection juridictionnelle effective, notamment en assurant à cette protection une portée adéquate), par sa deuxième question, la juridiction de renvoi estime qu’il y a lieu de déterminer dans quelle mesure les insuffisances affectant le mécanisme de la procédure de recours contre les résolutions litigieuses de la KRS, prévu par le droit national (et les caractéristiques de ces insuffisances indiquées dans cette question), ont également pour conséquence une violation du droit à l’égalité d’accès à la fonction publique,  qui ne répond pas aux objectifs de l’intérêt général.

160. A.B., C.D., E.F. et I.J. soutiennent, en substance, que le fait qu’ils ont été privés d’une protection juridictionnelle effective de leur droit constitutionnel d’accéder à la fonction publique selon les mêmes règles que celles applicables aux personnes dont les candidatures ont été retenues par la KRS est également constitutif d’une violation de divers principes consacrés par le droit de l’Union, à savoir ceux de l’État de droit, de l’égalité de traitement, de l’égalité d’accès à la fonction publique, ainsi que de l’équilibre institutionnel. Ils ajoutent que la manière dont est composée la KRS n’offre aucune garantie quant à l’indépendance de celle‑ci par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif.

161. Toutefois, il suffit de souligner que l’application éventuelle du principe de l’égalité de traitement en vertu du droit de l’Union, y compris des articles 20 et 21 de la Charte, en présence d’une différence de traitement telle que celle alléguée dans les procédures au principal (censée différencier les recours ouverts aux candidats aux fonctions de juge à la Cour suprême et ceux ouverts aux candidats à d’autres fonctions judiciaires) est loin d’être évidente, en particulier en l’absence de différence de traitement en matière d’accès à l’emploi qui serait fondée sur l’un des motifs spécifiques envisagés par la directive 2000/78.

162. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de répondre à la deuxième question préjudicielle, puisque la juridiction de renvoi disposera d’indications suffisantes à partir des réponses aux première et troisième questions pour statuer dans les affaires au principal.

V.      Conclusion

163. Pour les raisons précédemment exposées, je propose à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions préjudicielles déférées par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) :

1)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en combinaison avec l’article 267 TFUE, doit être interprété en ce sens que :

1)      Au vu du contexte et de la constellation d’autres éléments prévalant en Pologne, tels qu’ils ont été relevés par la juridiction de renvoi [entre autres : a) le fait que le législateur polonais a modifié le cadre juridique national afin de rendre sans objet des recours en manquement et des renvois préjudiciels pendants devant la Cour, b) le fait que, bien que la juridiction de renvoi ait suspendu les résolutions litigieuses de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature), le président de la République a malgré tout procédé à la nomination, aux postes de juge de la Cour suprême en cause, de huit nouveaux juges proposés par le Conseil de la magistrature dans les résolutions litigieuses, et c) le fait que le législateur polonais, en adoptant l’Ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz ustawy – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de la loi portant organisation du contentieux administratif) du 26 avril 2019, a ignoré des décisions de la Cour constitutionnelle qui indiquent clairement la nécessité d’un contrôle juridictionnel des résolutions du Conseil national de la magistrature telles que celles en cause au principal], il y a lieu d’interpréter l’article 267 TFUE en ce sens qu’il s’oppose à une loi nationale telle que la loi du 26 avril 2019, en ce que cette loi a décrété que les procédures de recours telles que celles pendantes devant la juridiction de renvoi devaient faire l’objet de plein droit d’un non‑lieu à statuer, tout en excluant tout renvoi de l’examen des recours à une autre juridiction nationale ou toute réintroduction de ceux‑ci devant une autre juridiction nationale ;

cette situation, dans un contexte où la juridiction nationale initialement compétente pour connaître de ces affaires a posé à la Cour des questions préjudicielles après avoir été régulièrement saisie d’une procédure de contrôle des résolutions du Conseil national de la magistrature, porte atteinte au droit d’accès à un tribunal également dans la mesure où, dans l’affaire individuelle pendante devant la juridiction (initialement) compétente pour en connaître, cette juridiction se voit privée a posteriori à la fois de la possibilité de recourir effectivement à la procédure du renvoi préjudiciel à la Cour et du droit d’attendre la décision de la Cour, de sorte que le principe de coopération loyale consacré en droit de l’Union est remis en cause.

La suppression du (droit à un) recours juridictionnel qui était jusqu’alors ouvert dans une affaire telle que celle au principal et, en particulier, l’application de cette suppression à des parties qui – tout comme les requérants au principal – ont déjà introduit un tel recours constitue (au vu du contexte et de la constellation des autres éléments relevés par la juridiction de renvoi et qui sous-tendent cette suppression) une mesure dont la nature contribue – voire ajoute – à l’absence d’apparence d’indépendance et d’impartialité des juges effectivement nommés au sein de la juridiction concernée et de la juridiction elle‑même. Cette absence d’apparence d’indépendance et d’impartialité viole l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE peut être appliqué directement par la juridiction de renvoi afin d’écarter l’application de la loi du 26 avril 2019 et de se déclarer compétente pour statuer sur les affaires au principal sur le fondement du cadre juridique qui était applicable avant l’adoption de cette loi.

2)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens que :

Les considérations précédentes, exposées sous 1), s’appliquent également mutatis mutandis dans le contexte de la première question préjudicielle, afin d’établir que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose – au vu du contexte et de la constellation d’autres éléments prévalant en Pologne et relevés par la juridiction de renvoi – à un mécanisme de recours juridictionnel qui présente des lacunes quant à son effectivité, tel que celui initialement applicable dans les procédures au principal [article 44, paragraphes 1 bis, 1 ter et 4, de l’Ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011].

Dans le contexte et la constellation d’autres éléments prévalant en Pologne, tels que relevés par la juridiction de renvoi, l’application de dispositions nationales qui font obstacle à la réalisation des objectifs de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être écartée par la juridiction de renvoi. Dans le présent contexte, la juridiction de renvoi devrait donc écarter l’application i) des dispositions qui auraient pour conséquence d’exclure toute possibilité de contrôle d’une éventuelle erreur dans l’appréciation des candidats aux fonctions de juge à la lumière des critères qui leur sont imposés, et ii) du caractère partiellement définitif des résolutions du Conseil national de la magistrature à l’égard des candidats qui ont été nommés. À défaut, le contrôle juridictionnel d’une telle résolution serait illusoire par rapport au candidat qui a été nommé.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Voir article sur l’Internal Market Bill (projet de loi du Royaume‑Uni sur le marché intérieur), qui permet à son gouvernement de violer le droit international et préserve certains de ses pouvoirs de toute contestation juridique : https://www.theguardian.com/law/2020/oct/07/brexit-strategy-puts-uk-on-slippery-slope-to-tyranny-lawyers-told.


3      L’application du droit de l’Union étant décentralisée, l’ensemble du système de protection judiciaire de l’Union européenne repose sur la prémisse selon laquelle les États membres sont dotés d’un pouvoir judiciaire indépendant, auquel ils sont attachés (et qu’ils doivent même protéger), en mesure d’assurer une protection judiciaire effective des droits conférés par l’Union. Voir Lenaerts, K., « On Judicial Independence and the Quest for National, Supranational and Transnational Justice », dans Selvik, G., Clifton, M.-J., Haas, T., et al. (éd.), The Art of Judicial Reasoning: Festschrift in Honour of Carl Baudenbacher, Springer, 2019, p. 173.


4      Voir également mes conclusions dans les affaires Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:517), Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:325), Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18, EU:C:2019:529), dans les affaires jointes A.K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:551), et dans les affaires jointes Miasto Łowicz et Prokuratur Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2019:775). Voir également les récentes conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires Asociaţia “Forumul Judecătorilor din România e.a” (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, EU:C:2020:746).


5      Directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).


6      Dz. U. de 2019, position 914.


7      Arrêt du 19 novembre 2019, A.K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, ci‑après, compte tenu des nombreuses références à cet arrêt, simplement l’« arrêt A.K. e.a. », EU:C:2019:982, point 75 et jurisprudence citée).


8      Arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 50), et A.K. e.a. (points 82 et 83).


9      Voir arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, points 27 à 31), et du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18, EU:C:2019:924, points 41 à 46).


10      Arrêt du 24 mars 2009, Danske Slagterier (C‑445/06, EU:C:2009:178, point 65 et jurisprudence citée).


11      Voir proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit [COM(2017) 835 final], du 20 décembre 2017, considérants 91 à 113. Voir également, entre autres, rapport intérimaire du Parlement européen sur la proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit (A9‑0138/2020), du 20 juillet 2020 (soulignant les « preuves accablantes » de violations graves par la République de Pologne de l’état de droit), et avis conjoint urgent no 977/2019 de la Commission de Venise et de la direction générale des droits de l’homme et de l’État de droit (DGI) du Conseil de l’Europe sur les amendements à la loi sur les tribunaux ordinaires, à la loi sur la Cour suprême et à certaines autres lois, du 16 janvier 2020 [CDL-PI(2020)002]. Voir également, ex multis, Zoll, F., et Wortham, L., « Judicial Independance and Accountability: Withstanding Political Stress in Poland », Fordham International Law Journal, vol. 42, nº 3, 2019, p. 875-948, et Pietrzak, M., The Constitutional Court of Poland: The Battle for Judicial Independence, The Foundation for Law, Justice and Society, Oxford, 2017, https://www.fljs.org/content/constitutional-court-poland-battle-judicial-independence (décrivant les nouvelles lois sur les médias publics, la surveillance et la lutte contre le terrorisme ainsi que la « réorganisation » du ministère public, qui auraient été rendues possibles par la « neutralisation » de la Cour constitutionnelle).


12      Voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, points 33 et 34 et jurisprudence citée).


13      Avis 2/13 (EU:C:2014:2454, point 176 et jurisprudence citée).


14      Voir arrêts du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363), et du 11 septembre 2014, A (C‑112/13, EU:C:2014:2195).


15      Voir arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 26 et jurisprudence citée).


16      Voir arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio (C‑210/06, EU:C:2008:723, points 95 et 98), et ordonnance du 12 février 2019, RH (C‑8/19 PPU, EU:C:2019:110, point 47 et jurisprudence citée).


17      Arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 58 et 59 et jurisprudence citée).


18      Les ordonnances de la juridiction de renvoi relatives à la suspension de l’exécution des résolutions de la KRS visées dans les procédures au principal ont également entraîné la suspension de ces résolutions, dans la mesure où elles portent sur la décision de présenter une proposition de nomination au poste de juge de la Cour suprême. Ces ordonnances sont toujours valables et n’ont pas été modifiées ni annulées conformément à la procédure établie par la loi. Malgré cela, la KRS a présenté au président de la République les résolutions en cause au principal. Le 10 octobre 2018, le président de la République a nommé sept personnes au poste de juge de la Cour suprême à la chambre civile, et une personne au poste de juge de la Cour suprême à la chambre pénale.


19      Voir, en ce sens, une affaire qui concernait également la Cour suprême et la Cour constitutionnelle d’un État membre : arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, points 62 à 73 et jurisprudence citée).


20      Arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 68 et jurisprudence citée).


21      Arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 70 et jurisprudence citée).


22      Voir notamment Florczak-Wątor, M., Orzeczenia Trybunału Konstytucyjnego i ich skutki prawne (Les décisions de la Cour constitutionnelle et leurs effets juridiques), Ars boni et æqui, Poznań, 2006, p. 73 et doctrine citée.


23      Voir également ordonnance V CSK 101/12 de la Cour suprême, du 30 janvier 2013.


24      Arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530, point 61 et jurisprudence citée).


25      Ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277). Voir également affaires pendantes W.Ż (Chambre de contrôle extraordinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, et Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19. Je tiens à relever que, le 4 décembre 2020, la Commission a adressé à la République de Pologne, dans le cadre du suivi de la procédure d’infraction ouverte le 29 avril 2020 visant à protéger l’indépendance judiciaire des juges polonais, une nouvelle lettre de mise en demeure concernant la poursuite des activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/inf_20_2142).


26      Arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000).


27      Même en suivant sa propre conception du dialogue judiciaire développée dans l’arrêt du 6 juillet 2010 (Honeywell), BVerfG 2 BvR 2661/06, le BVerfG aurait dû demander des éclaircissements à la Cour par le biais d’un deuxième renvoi préjudiciel (portant sur l’interprétation du principe de proportionnalité, à savoir l’exigence de mise en balance, qui n’était nullement l’objet du premier renvoi). C’est ainsi que la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) a procédé dans l’affaire ayant fait l’objet de l’arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936), à la suite de l’arrêt du 8 septembre 2015, Taricco (C‑105/14, EU:C:2015:555). Voir « Editorial Comments », Common Market Law Review, vol. 57, 2020, p. 965 à 978.


28      En effet, le droit international ne se préoccupe pas de l’intégrité du droit de l’Union et de l’Union elle‑même.


29      Lenaerts, K., The Primacy of EU Law and the Principle of the Equality of the Member States before the Treaties, VerfBlog, 8 octobre 2020.


30      Voir notamment Mayer, F. C., Auf dem Weg zur Richterfaustrecht, VerfBlog, 7 mai 2020.


31      Et il n’est même pas nécessaire d’aborder ici le fond des questions juridiques, le raisonnement du BVerfG à cet égard n’étant pas, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une solidité à toute épreuve. Voir, entre autres, Timmermans, Ch., Wie handelt er ultra vires ?, Nederlands Juristenblad, 95, 26 juin 2020, p. 1791, et Ziller, J., L’insoutenable pesanteur du juge constitutionnel allemand, https://blogdroiteuropeen.com. Voir également Poiares ,Maduro, M., Some Preliminary Remarks on the PSPP Decision of the German Constitutional Court, VerfBlog, 6 mai 2020, et da Cruz Vilaça, J. L., The Judgment of the German Federal Constitutional Court and the Court of Justice of the EU – Judicial Cooperation or Dialogue of the Deaf ?, dont la version originale est disponible à l’adresse suivante : https://www.cruzvilaca.eu/pt/noticias/2/.


32      Kelemen, R. D., Eeckhout, P., Fabbrini, F., Pech, L., et Uitz, R., National Courts Cannot Override CJEU Judgments  A Joint Statement in Defense of the EU Legal Order, VerfBlog, 26 mai 2020 (voir article pour la liste complète des signataires).


33      Les affaires pendantes C‑354/20 PPU (Openbaar Ministerie) et C‑412/20 PPU (Openbaar Ministerie) témoignent de la gravité du problème de la confiance mutuelle à l’égard de la République de Pologne. Le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays‑Bas) a décidé pour la première fois de suspendre l’exécution des mandats d’arrêt européens dans toutes les procédures pendantes et futures sur demande des juridictions polonaises jusqu’à ce que la Cour statue sur les questions préjudicielles déférées. Des juridictions en Allemagne, en Irlande, en Espagne, aux Pays‑Bas et en Slovaquie ont jusqu’à présent décidé de suspendre au cas par cas l’exécution de mandats d’arrêt européens demandée par des juridictions polonaises.


34      Voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 30 et jurisprudence citée).


35      Voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 31 et jurisprudence citée).


36      Voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, points 32 et 33 et jurisprudence citée).


37      Voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 34 et jurisprudence citée).


38      Voir en ce sens arrêt A.K. e.a., points 82 et 83, ainsi que jurisprudence citée.


39      Voir mes conclusions dans l’affaire C‑192/18, EU:C:2019:529, point 115.


40      Arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 54 et jurisprudence citée).


41      Arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117).


42      Arrêt du 26 mars 2020 (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234).


43      Voir en ce sens arrêt A.K. e.a., point 153 et point 2 du dispositif.


44      Voir arrêt A.K. e.a., point 145. Une partie de la doctrine va jusqu’à proposer d’interpréter ce point en ce sens que la Cour imposerait une obligation spécifique s’agissant de l’organisation de la procédure nationale de nomination des juges, puisque la Cour indique que la juridiction de renvoi doit vérifier si la partie du processus de nomination des juges qui aboutit à la présentation d’un candidat au président de la République peut faire l’objet d’un recours juridictionnel portant, à tout le moins, sur la vérification de l’absence d’excès ou de détournement de pouvoir, d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation. Voir Krajewski, M., et Ziółkowski, M., « EU Judicial Independence Decentralized : A.K. », Common Market Law Review, vol. 57, nº 4, 2020, p. 1107-1138.


45      L’arrêt de la Cour constitutionnelle dans l’affaire SK 57/06 le confirme.


46      Conseil de l’Europe, DAJ/DOC (98) 23, Strasbourg, 8‑10 juillet 1998.


47      Cour EDH, 25 septembre 2018, Denisov c. Ukraine, CE:CEDH:2018:0925JUD007663911 (Grande Chambre), §§ 67 et suiv.. Voir également § 79.


48      Leloup, M., « An Uncertain First Step in the Field of Judicial Self-Government : ECJ 19 November 2019, Joined Cases C‑585/18, C‑624/18 and C‑625/18, A.K., CP and DO », European Constitutional Law Review, vol. 16, nº 1, 2020, p. 156.


49      Voir, s’agissant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960, point 39). À mon sens, on ne saurait retenir une approche différente pour l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.


50      Voir arrêts A.K. e.a., et du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX-II et C‑543/18 RX-II, EU:C:2020:232).


51      Arrêt du 26 mars 2020 (C‑542/18 RX-II et C‑543/18 RX-II, EU:C:2020:232, point 55).


52      Voir arrêt de la Cour suprême du 5 décembre 2019 et résolution de la grande chambre réunissant les trois chambres de la Cour suprême, du 23 janvier 2020 (ci‑après la « résolution du 23 janvier 2020 »).


53      Voir points 40 et 41 de cet arrêt. La nouvelle loi sur la KRS a révoqué les membres élus de la KRS avant la fin de leur mandat et a modifié les règles de leur élection. Le mode initial d’élections par des juges de différents types et niveaux de tribunaux a été remplacé par le pouvoir suprême du Parlement d’élire quinze membres de la KRS. Puisque la Sejm est en mesure de choisir la majorité des membres de la KRS, l’équilibre constitutionnel entre les trois pouvoirs, qui ressort de l’article 187, paragraphe 1, de la Constitution, a été faussé.


54      Voir affaire III Po 7/18, arrêt de la Cour suprême polonaise du 5 décembre 2019, en particulier points 40‑41, 46‑48, 49, 50‑51 et 56.


55      BSA I-4110‑1/20. Voir la version anglaise en ligne : www.sn.pl/aktualnosci/SiteAssets/Lists/Wydarzenia/AllItems/BSA%20I-41101_20_English.pdf.


56      Voir également point suivant des présentes conclusions. L’avis de la Commission de Venise est cité à la note 11 des présentes conclusions.


57      Au motif notamment qu’en vertu de cette loi, le contenu des décisions judiciaires peut être considéré comme une faute disciplinaire ; cette loi empêche notamment les juridictions polonaises de respecter leur obligation d’appliquer le droit de l’Union ou de saisir la Cour à titre préjudiciel. Elle empêche également les juridictions polonaises d’examiner, dans le cadre d’affaires dont elles sont saisies, la compétence d’autres juges pour statuer. Après l’arrêt A.K. e.a. et l’arrêt de la Cour suprême du 5 décembre 2019, la République de Pologne a instauré une législation permettant d’engager la responsabilité disciplinaire de juges nationaux s’ils devaient contester la légitimité de certains aspects des réformes judiciaires mises en œuvre en Pologne (voir Leloup, op. cit.).


58      Le RECJ mentionne également une lettre de l’Association européenne des magistrats, qui représente la majorité des juges d’Europe, et une lettre commune de l’Association polonaise des juges Iustitia, de l’Association des juges des tribunaux de la famille Pro Familia, de l’Association polonaise des juges des juridictions administratives et du Présidium permanent du Forum de coopération des juges. Ces deux lettres soutiennent publiquement la proposition d’exclure la KRS du RECJ.


59      Avis no 977/2019, CDL-PI(2020)002. Voir en particulier points 8, 31 et suiv.


60      Voir Cour EDH, 19 octobre 2010, Özpinar c. Turquie, CE:ECHR:2010:1019JUD002099904, §§ 78 et 79, et Cour EDH, 9 janvier 2013, Oleksandr Volkov c. Ukraine, CE:ECHR:2013:0109JUD002172211, §§ 109 à 117 et 130.


61      Voir Cour EDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell c. Royaume‑Uni, CE:ECHR:1984:0628JUD000781977, § 78 ; Cour EDH, 22 octobre 1984, Sramek c. Autriche, CE:ECHR:1984:1022JUD000879079, § 42 ; Cour EDH, 25 février 1997, Findlay c. Royaume-Uni, CE:ECHR:1997:0225JUD002210793, § 73 ; Cour EDH, 16 décembre 2003, Cooper c. Royaume‑Uni, CE:ECHR:2003:1216JUD004884399, § 104 ; Cour EDH, 25 août 2005, Clarke c. Royaume‑Uni, CE:ECHR:2005:0825JUD002369502 ; et Cour EDH, 9 novembre 2006, Sacilor Lormines c. France, CE:ECHR:2006:1109JUD006541101, § 63.


62      Krajewski et Ziółkowski, op.cit., p. 1128.


63      Krajewski et Ziółkowski, op.cit., p. 1128, se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle dans l’affaire SK 57/06.


64      Avis no 10 (2007) du [CCJE] à l’attention du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur le Conseil de la Justice au service de la société, 23 novembre 2007, Strasbourg.


65      Arrêt du 26 mars 2020 (C‑542/18 RX-II et C‑543/18 RX-II, EU:C:2020:232, point 74).


66      Je tiens à préciser que, le 1er décembre 2020, cet arrêt non définitif a été confirmé et que la grande chambre de la Cour EDH a constaté à l’unanimité la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH en raison de graves irrégularités ayant affecté la nomination d’un juge à la Cour d’appel d’Islande (requête no 26374/18).


67      Arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/ Commission (C‑542/18 RX-II et C‑543/18 RX-II, EU:C:2020:232, point 75).


68      Voir points 121 et suiv. des présentes conclusions. Voir également arrêt A.K. e.a. et ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 REU:C:2020:277).


69      Voir paragraphes 1 bis, 1 ter et 4 de l’article 44 de la loi sur la KRS.


70      Voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 34 et jurisprudence citée).


71      La Cour se réfère à cet égard à l’arrêt de la Cour EDH du 18 octobre 2018, Thiam c. France (CE:ECHR:2018:1018JUD008001812, §§ 25 et 81).


72      Voir arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 57).


73      Arrêt du 14 mai 2020 (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 299).