Language of document : ECLI:EU:T:2012:308

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

18 juin 2012 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Services de transport par autocars et autobus entre les États membres – Règlement (CEE) n° 684/92 – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Absence – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑203/11,

Transports Schiocchet – Excursions, établie à Beuvillers (France), représentée par MÉ. Deshoulières, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes E. Karlsson et E. Dumitriu-Segnana, en qualité d’agents,

et

Commission européenne, représentée par M. G. Rozet et Mme N. Yerrell, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande en réparation du préjudice prétendument subi par la requérante en raison de l’application du régime prévu par le règlement (CEE) n° 684/92 du Conseil, du 16 mars 1992, établissant des règles communes pour les transports internationaux de voyageurs effectués par autocars et autobus (JO L 74, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka (rapporteur) et M. M. Prek, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, les Transports Schiocchet – Excursions, est une entreprise de droit français de transport de voyageurs par autobus qui exploite depuis 1973 des services réguliers d’autobus entre le nord-est de la France et le Luxembourg. Elle assure notamment des services de transport de travailleurs sur plusieurs lignes entre leurs lieux de résidence en France et leurs lieux d’emploi au Luxembourg.

2        Le transport international de voyageurs par autocars et autobus entre les États membres de l’Union a été soumis, à compter du 1er juin 1992, aux dispositions du règlement (CEE) n° 684/92 du Conseil, du 16 mars 1992, établissant des règles communes pour les transports internationaux de voyageurs effectués par autocars et autobus (JO L 74, p. 1, ci-après le « règlement en cause »).

3        Le 23 mai 2007, la Commission a présenté une proposition de règlement COM (2007) 264 final (ci-après la « proposition de règlement du 23 mai 2007 ») qui a abouti à l’adoption du règlement (CE) n° 1073/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocars et autobus, et modifiant le règlement (CE) n° 561/2006 (JO L 300, p. 88). Le règlement n° 1073/2009 a abrogé le règlement en cause avec effet au 4 décembre 2011.

4        Dans le système mis en place par le règlement en cause, la fourniture de certains services de transport international de voyageurs effectués par autocars ou autobus était soumise à la condition de l’obtention, par le transporteur, d’une autorisation délivrée par les autorités de l’État membre sur le territoire duquel il était établi. Cette autorisation déterminait, notamment, l’itinéraire du service, les arrêts desservis et les horaires. Afin d’exercer ses activités de transport, la requérante a demandé et obtenu, de la part des autorités françaises compétentes, les autorisations requises par le règlement en cause ainsi que leur renouvellement.

5        La requérante se plaint, depuis le début des années 80, de la concurrence déloyale qu’elle subit sur les lignes qu’elle exploite de la part d’autres transporteurs internationaux de voyageurs par autobus établis en France et au Luxembourg et exerçant leurs activités dans la même région que la requérante, notamment les sociétés luxembourgeoises « F. » et « E. » et les sociétés françaises « M. », « C. » et « D. ». Depuis l’entrée en vigueur du règlement en cause, la requérante a effectué une série de démarches visant à faire cesser les actes de concurrence déloyale dont elle serait victime et à obtenir une réparation des dommages qui s’en seraient suivis.

6        D’une part, la requérante a déposé, en décembre 1996, deux plaintes devant la Commission, visant à faire constater que les activités de transport des sociétés françaises M. et C., consistant en des services parallèles aux siens et captant la même clientèle, étaient effectuées en violation du droit communautaire, et, partant, à faire ordonner leur cessation. La Commission a classé sans suite ces deux plaintes. La requérante a introduit devant le Tribunal un recours par lequel elle a demandé l’annulation des décisions de classement de ces plaintes. Par ordonnance du 21 mai 1999, Schiocchet/Commission (T‑169/98 et T‑170/98, non publiée au Recueil), le Tribunal a rejeté ce recours comme irrecevable. Le pourvoi formé par la requérante contre l’ordonnance précitée a été rejeté par ordonnance de la Cour du 16 novembre 2000, Schiocchet/Commission (C‑289/99 P, Rec. p. I‑10279), comme manifestement non fondé.

7        En outre, en juin 2007, la requérante a introduit devant le Tribunal un recours en indemnité contre la Commission. Par ce recours, la requérante demandait la réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de diverses illégalités qu’elle reprochait aux institutions de l’Union, notamment l’adoption par le Conseil de l’article 4, paragraphe 2, du règlement en cause qui aurait eu pour conséquence une violation de son droit de propriété. Dans l’ordonnance du 19 mai 2008, Transports Schiocchet – Excursions/Commission (T‑220/07, non publiée au Recueil), le Tribunal a considéré que ce recours était prescrit et l’a rejeté comme irrecevable. Le pourvoi formé par la requérante contre l’ordonnance précitée a été rejeté par l’arrêt de la Cour du 11 juin 2009, Transports Schiocchet – Excursions/Commission (C‑335/08 P, non publié au Recueil).

8        D’autre part, la requérante a introduit des recours devant les autorités administratives et judiciaires françaises et luxembourgeoises.

9        La requérante a notamment poursuivi la société E., titulaire d’une autorisation d’exploiter une ligne transfrontalière octroyée par le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, et la société D., à qui E. a confié l’exploitation de cette ligne en sous-traitance.

10      Ainsi, tout d’abord, le 10 avril 2006 la requérante a assigné la société D. en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Verdun (France). Ce tribunal a constaté l’utilisation conjointe de la ligne attribuée à la requérante par la société D., qui a reconnu les faits, et, par un jugement du 26 janvier 2007, devenu définitif, a condamné cette société à indemniser le préjudice subi par la requérante pour la période allant de décembre 2005 à septembre 2006 et à cesser toute concurrence déloyale sous astreinte. La requérante a assigné la société D. devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Verdun pour obtenir la liquidation desdites astreintes et a obtenu la condamnation de cette dernière, par un jugement du 10 juillet 2008, au versement de la somme de 190 000 euros. En raison de nouvelles infractions commises au courant des années 2006 et 2007, la requérante a de nouveau saisi le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Verdun pour obtenir la liquidation de nouvelles astreintes. Toutefois, ayant constaté que l’autorisation sur la base de laquelle la société D. exerçait son activité avait été modifiée et que la validité de cette autorisation était remise en question par la requérante devant le tribunal administratif de Luxembourg (Luxembourg), le juge de l’exécution a ordonné, par une décision du 6 novembre 2008, un sursis à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction luxembourgeoise. Ce sursis à statuer a été maintenu par des décisions ultérieures de la même juridiction des 24 mai et 24 juillet 2009.

11      Ensuite, le 26 avril 2007, la requérante s’est adressée au ministre des Transports luxembourgeois pour demander le retrait de l’autorisation délivrée à la société E. le 18 novembre 2005 en raison des infractions qu’aurait commises la société D., exploitant en sous-traitance la ligne faisant l’objet de cette autorisation. Le ministre a refusé de faire droit à cette demande par une décision du 16 mai 2007, au motif que ses services de contrôle n’ont pas constaté d’irrégularité dans l’exploitation de la ligne en cause. La requérante s’est également opposée au renouvellement de l’autorisation de la société E., qui venait à échéance le 31 octobre 2008, courrier qui est resté sans réponse du ministère des Transports luxembourgeois. Par des requêtes des 24 janvier et 18 décembre 2008, la requérante a demandé au tribunal administratif de Luxembourg l’annulation ou la réformation de l’autorisation de la société E. ainsi que de ses modifications. Le tribunal administratif de Luxembourg a relevé que, les lignes exploitées par les sociétés E. et D., d’une part, et la requérante, d’autre part, n’ayant qu’un seul point d’intersection, la clientèle des deux transporteurs différait, et que le préjudice allégué de la requérante ne saurait être rattaché à l’autorisation elle-même, mais à une exploitation non conforme à cette autorisation. Le tribunal administratif de Luxembourg a considéré que la requérante ne saurait donc tirer avantage d’une annulation de l’autorisation et que, par conséquent, elle n’avait pas d’intérêt à agir contre cette autorisation.

12      Enfin, la requérante a informé le ministre des Transports français, dans le courant des années 2005 et 2006, des irrégularités commises par la société D. concernant ses itinéraires sur les territoires français et luxembourgeois. Ayant considéré comme insuffisantes les actions du ministère des Transports en vue de mettre fin à ces irrégularités, la requérante a saisi le tribunal administratif de Nancy (France) d’une demande visant à condamner la République française à lui verser une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de sa carence à faire assurer le respect par la société D. de la réglementation en vigueur en matière de transport de voyageurs par autocar. Cette juridiction a, par un jugement du 12 novembre 2008, rejeté ladite demande. La requérante a, le 12 janvier 2009, déféré ce jugement à la cour administrative d’appel de Nancy. Par un arrêt en date du 8 avril 2010, devenu définitif, cette cour a constaté, s’agissant des infractions commises sur le territoire luxembourgeois, que le ministre des Transports français n’avait pas de compétence pour y mettre fin. S’agissant des infractions commises sur le territoire français, la cour administrative d’appel de Nancy a relevé, d’une part, que la requérante avait admis elle-même que les infractions de la société D. avaient cessé sur le territoire français et, d’autre part, que le ministre des Transports français avait à nouveau initié des opérations de contrôle, à la suite desquelles aucune infraction notable n’avait été relevée.

13      La requérante a également introduit devant la Commission, le 26 novembre 2010, un « recours préalable en indemnisation », par lequel elle demandait la réparation du dommage d’un montant de 1 866 322,71 euros, arrêté provisoirement au 27 novembre 2010 et découlant, en substance, de la mise en exploitation des lignes régulières créées par ses concurrents en parallèle aux lignes exploitées par elle. La requérante a annoncé dans ce recours que, à défaut d’une réponse de la part de la Commission, ou en cas d’une réponse négative, elle saisirait le Tribunal d’un recours en indemnité. La Commission n’a pas donné suite à ce recours.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mars 2011, la requérante a introduit le présent recours.

15      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal, respectivement le 13 et le 15 juillet 2011, la Commission et le Conseil ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

16      La requérante a déposé ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Commission et le Conseil le 13 septembre 2011.

17      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner solidairement le Conseil et la Commission à l’indemniser du préjudice subi s’élevant à 8 372 483 euros ;

–        dire et juger que les sommes ainsi allouées porteront intérêt au taux légal à compter de la notification du recours préalable en indemnisation introduit devant la Commission ;

–        condamner le Conseil et la Commission aux dépens.

18      Dans leurs exceptions d’irrecevabilité, le Conseil et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

19      Dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter les exceptions d’irrecevabilité.

 En droit

20      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsque le recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

21      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par l’examen des pièces du dossier pour statuer sans poursuivre la procédure.

22      Par son recours en indemnité, la requérante demande la réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison de l’application du régime prévu par le règlement en cause. Ce préjudice, que la requérante évalue à 8 372 483 euros, consisterait en une baisse du chiffre d’affaires due aux actes de concurrence déloyale des autres transporteurs internationaux de voyageurs par autocar actifs dans sa région, que la requérante n’aurait pas pu récupérer dans le cadre des contentieux administratifs et judiciaires devant les juridictions nationales en raison du régime mis en place par le règlement en cause.

23      La requérante fait valoir qu’elle a intenté de nombreuses procédures judiciaires et administratives devant les juridictions et organes administratifs nationaux et de l’Union afin de lutter contre ces actes de concurrence déloyale des autres transporteurs et d’obtenir une réparation des préjudices qu’elle a subis. Toutefois, toutes ces procédures se seraient avérées infructueuses. D’une part, ses recours visant à engager la responsabilité de l’État seraient rejetés en raison de l’absence de la marge de manœuvre des États membres depuis l’entrée en vigueur du règlement en cause. D’autre part, les recours directs contre ses concurrents seraient inefficaces en raison de difficultés d’interprétation des autorisations délivrées sur le fondement du règlement en cause. Selon la requérante, les juridictions nationales sont impuissantes pour lutter contre les violations des autorisations délivrées par les États membres.

24      La requérante constate dès lors que le fait générateur du préjudice qu’elle a subi est le règlement en cause, en ce qu’il n’instaure pas une protection suffisante des opérateurs de transports internationaux par autocar. Selon la requérante, dans le système mis en place par le règlement en cause, les transporteurs respectueux du droit doivent se soumettre à un régime d’autorisation contraignant, alors que les concurrents n’ayant pas obtenu d’autorisation, l’ayant obtenu illégalement ou ne respectant pas les limitations imposées par ladite autorisation, ne sont pas appréhendés et peuvent continuer, sans être inquiétés, à la concurrencer illégalement.

25      Dans leurs exceptions d’irrecevabilité, le Conseil et la Commission font valoir, en substance, que le recours est irrecevable au regard du délai de prescription quinquennal prévu à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut. La Commission soutient, en outre, que le recours est irrecevable dans la mesure où la requête ne satisfait pas aux conditions de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure.

26      Il appartient au Tribunal d’apprécier si une bonne administration de la justice justifie, dans les circonstances de l’espèce, de se prononcer au fond sur le recours sans statuer sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Conseil et la Commission (voir arrêt de la Cour du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, Rec. p. I‑1873, point 52, et arrêt du Tribunal du 20 septembre 2011, Arch Chemicals et Arch Timber Protection/Commission, T‑400/04 et T‑402/04 à T‑404/04, non publié au Recueil, point 56, et la jurisprudence citée). En l’espèce, le Tribunal estime qu’il convient de se prononcer sur le fond du recours sans statuer sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Conseil et la Commission.

27      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le dommage invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et arrêt du Tribunal du 21 mai 2008, Belfass/Conseil, T‑495/04, Rec. p. II‑781, point 119). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81, et arrêt Belfass/Conseil, précité, point 120).

28      S’agissant de la condition relative à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, il y a lieu de relever, tout d’abord, que la responsabilité non contractuelle de l’Union pour son activité normative ne saurait être engagée qu’en présence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit protégeant les particuliers. Plus spécifiquement, dans un contexte normatif caractérisé par l’exercice d’un large pouvoir d’appréciation, indispensable à la mise en œuvre d’une politique de l’Union, la responsabilité de celle-ci ne saurait être engagée que si l’institution concernée avait méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 12 mai 2010, Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia/Conseil et Commission, C‑451/09 P, non publiée au Recueil, point 23, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission, T‑571/93, Rec. p. II‑2379, point 32, et la jurisprudence citée).

29      En premier lieu, s’agissant de l’illégalité reprochée au Conseil, la requérante affirme que la jurisprudence de l’Union reconnaît aux particuliers un droit à être entendu par un juge, leur permettrant de saisir utilement une juridiction, afin de faire valoir leurs droits en justice. Ce droit, impliquant notamment qu’un opérateur puisse critiquer utilement une violation de la législation de l’Union par un concurrent, lui causant un préjudice, imposerait aux organes de l’Union de prévoir une possibilité de recours effectif en cas de violation des droits reconnus par la législation de l’Union aux particuliers. Or, le règlement en cause aurait été entaché d’une lacune consistant en ce que le Conseil aurait omis de prévoir dans ce règlement des sanctions à l’encontre des États membres et des transporteurs non enclins à respecter la procédure d’autorisation qu’il instaure ou, à défaut de telles sanctions, un régime d’indemnisation au profit des transporteurs se soumettant à ses dispositions et subissant, en conséquence, une perte de revenus et de clientèle. La requérante fait valoir que la lacune du règlement en cause qu’elle relève dans le cadre de son recours aurait été relevée dans la proposition de règlement du 23 mai 2007. La lacune du règlement en cause, de laquelle résulterait l’impossibilité pour la requérante d’exercer un recours effectif afin de faire respecter ses droits issus de ce règlement, constituerait une violation suffisamment caractérisée du droit à un tel recours.

30      À cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que la Cour a statué que, dans la mesure où la liberté de prestation des services de transports internationaux de voyageurs effectués par autocars et autobus est régie par le règlement en cause, tout différend ayant trait à l’application de celui-ci peut être porté devant le juge national qui doit assurer son application directe. En effet, il appartient aux autorités administratives et juridictionnelles nationales d’appliquer le règlement et de se prononcer sur les problèmes juridiques que cette application peut susciter, les juridictions nationales ayant, conformément à l’article 267 TFUE, la possibilité de soumettre des questions préjudicielles à la Cour concernant l’interprétation et la validité du règlement (ordonnance du 16 novembre 2000, Schiocchet/Commission, point 6 supra, point 12).

31      Il en ressort que, dans le système mis en place par le règlement en cause, le droit à un recours effectif est assuré par la possibilité donnée à tout transporteur qui, comme la requérante, estime avoir subi un préjudice du fait de la violation de ce règlement par un État membre ou par un transporteur concurrent, d’introduire un recours devant les juridictions nationales. Or, d’une part, il ressort de la requête que la requérante a introduit de tels recours et que les juridictions nationales se sont prononcées sur le fond de ces recours. De plus, la requérante a pu obtenir un dédommagement pour les actes de concurrence déloyale dont elle a été victime suite à une décision d’une juridiction française qui a accueilli son recours (voir point 10 ci-dessus). D’autre part, ainsi qu’il ressort des points 11 et 12 ci-dessus, d’autres recours que la requérante a introduits devant les autorités judiciaires et administratives françaises et luxembourgeoises ont été rejetés au motif que les irrégularités ou les infractions qu’elle reprochait à ses concurrents n’avaient pas eu lieu. Il s’ensuit que l’argumentation de la requérante relative à une violation de son droit à un recours effectif manque manifestement en fait.

32      Ensuite, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 4, du règlement en cause, qui détermine les conditions de la délivrance d’une autorisation, premièrement, qu’une autorisation ne peut être délivrée si le demandeur n’a pas, dans le passé, respecté les réglementations nationales ou internationales en matière de transport routier, en particulier les conditions et prescriptions relatives aux autorisations de services de transports internationaux de voyageurs [article 7, paragraphe 4, sous b), du règlement en cause] et, deuxièmement, qu’une autorisation ne peut être renouvelée si les conditions de l’autorisation précédente n’ont pas été respectées [article 7, paragraphe 4, sous c), du règlement en cause]. D’autre part, selon l’article 16, paragraphe 2, du règlement en cause, une autorisation d’exercer un service régulier peut être retirée lorsque le titulaire ne remplit plus les conditions qui en ont déterminé la délivrance. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, le règlement en cause prévoit des sanctions qui peuvent être appliquées aux transporteurs ne respectant pas la réglementation relative aux autorisations.

33      Enfin, certes, ainsi que le relève la requérante, la Commission a indiqué au point 1.2 de la proposition de règlement du 23 mai 2007 que, en pratique, « l’échange d’informations entre les États membres, bien que déjà prévu par les règles en vigueur, s’avér[ait] relativement inefficace » et que, « [e]n conséquence, les entreprises qui exerçaient des activités sur le territoire d’un État membre autre que leur État membre d’établissement ne risquaient quasiment aucune sanction administrative, ce qui p[ouvait] entraîner une distorsion de la concurrence entre les entreprises moins disposées à respecter les règles que les autres ». Toutefois, force est de constater que cette remarque de la Commission concerne la mise en œuvre du règlement en cause par les États membres. Or, la responsabilité de l’institution de l’Union auteur d’un règlement ne saurait être engagée du fait de l’irrégularité commise par un État membre dans la mise en œuvre de ce règlement.

34      Au vu de ce qui précède, force est de constater qu’il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir violé le droit à un recours effectif de la requérante. Il s’ensuit que l’illégalité alléguée du comportement du Conseil n’est manifestement pas établie.

35      En second lieu, s’agissant de l’illégalité reprochée à la Commission, la requérante estime que la Commission est tenue, en vertu de l’article 94 et de l’article 96, paragraphe 2, TFUE, à veiller à ce que les conditions de la concurrence soient respectueuses de la situation économique des transporteurs et, en vertu de l’article 95, paragraphes 1 et 4, TFUE, à mettre fin aux discriminations que peuvent subir les transporteurs. La Commission serait en particulier tenue d’agir lorsque la réglementation en cause ne permet pas de sanctionner d’une façon efficace les concurrents ne s’étant pas soumis au régime d’autorisation prévu par le droit de l’Union. Selon la requérante, il ressort du principe de non-discrimination que, si la Commission reste passive face à une situation dans laquelle la réglementation aboutit à privilégier les contrevenants et à pénaliser les transporteurs respectueux du droit, elle engage sa responsabilité à l’égard des transporteurs défavorisés. Les obligations de la Commission qui, selon la requérante, découlent de l’article 94, de l’article 96, paragraphe 2, et de l’article 95, paragraphes 1 et 4, TFUE, constitueraient des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. La requérante affirme avoir déposé plusieurs plaintes à la Commission et fait valoir que la Commission s’est abstenue, d’une façon illégale et malgré la connaissance effective de la situation causant un préjudice aux opérateurs, d’exercer le pouvoir d’initiative et de décision dont elle dispose dans le cadre de la politique des transports. Cette inaction de la Commission constituerait une violation suffisamment caractérisée des droits des particuliers découlant, selon la requérante, de l’article 94, de l’article 96, paragraphe 2, et de l’article 95, paragraphes 1 et 4, TFUE. La requérante observe que ce ne serait que le 23 mai 2007 que la Commission aurait enfin proposé au Conseil de modifier le règlement en cause.

36      Il y a lieu d’interpréter la requête en ce sens que l’illégalité reprochée à la Commission consiste, en substance, en ce que cette institution aurait omis d’exercer le pouvoir d’initiative et de décision dont elle dispose en vertu de l’article 94 et de l’article 96, paragraphe 2, TFUE, d’une part, et de l’article 95, paragraphes 1 et 4, TFUE, d’autre part. En particulier, la Commission aurait omis de prendre des mesures afin de lutter contre les discriminations dont la requérante s’estime victime et de présenter au Conseil une proposition de modification du règlement en cause visant à instaurer des sanctions efficaces pour des opérateurs ne s’étant pas soumis au régime d’autorisation prévu par le droit de l’Union.

37      À cet égard, il y a lieu de rappeler que les omissions des institutions de l’Union ne sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Union que dans la mesure où les institutions ont violé une obligation légale d’agir résultant d’une disposition de droit de l’Union (arrêt KYDEP/Conseil et Commission, point 27 supra, point 58).

38      Or, force est de constater que l’article 94, l’article 96, paragraphe 2, et l’article 95, paragraphes 1 et 4, TFUE ne sauraient être interprétés comme imposant à la Commission une obligation légale d’agir dans le sens indiqué par la requérante, c’est-à-dire de prendre des mesures afin de lutter contre les discriminations dont la requérante s’estime être victime et de présenter au Conseil une proposition de modification du règlement en cause.

39      D’une part, s’agissant de l’article 94 et de l’article 96, paragraphe 2, TFUE, il y a lieu de constater que, s’il ressort de l’article 94 TFUE que la situation économique des transporteurs doit être prise en considération lorsque les institutions de l’Union, agissant dans le cadre des traités, prennent des mesures dans le domaine des prix et des conditions de transport, il ne saurait être déduit de cet article une obligation pour ces institutions de prendre des mesures concrètes afin de lutter contre les discriminations dont les transporteurs peuvent être victimes ou de présenter au Conseil une proposition législative. En ce qui concerne l’article 96, paragraphe 2, TFUE, il dispose, certes, que la Commission examinera de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre les prix et conditions de transport et que, le cas échéant, elle prendra les décisions nécessaires. Toutefois, cette disposition se réfère de toute évidence aux prix et aux conditions de transport visés à l’article 96, paragraphe 1, TFUE, qui interdit l’application imposée aux transports exécutés à l’intérieur de l’Union, de prix et de conditions comportant un élément de soutien ou de protection de la part d’un État membre dans l’intérêt d’une ou de plusieurs entreprises ou industries particulières. Or, il ne saurait être considéré, et la requérante ne l’allègue même pas, que le présent litige concerne l’application de prix ou de conditions de transport comportant un élément de soutien ou de protection de la part d’un État membre. L’article 96, paragraphe 1, TFUE n’étant pas pertinent en l’espèce, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir omis d’exercer les compétences dont elle dispose en vertu du paragraphe 2 de cet article.

40      D’autre part, s’agissant de l’article 95 TFUE, certes, il interdit, en son paragraphe 1, les discriminations qui consistent en l’application par un transporteur, pour les mêmes marchandises sur les mêmes relations de trafic, de prix et de conditions de transport différents en raison du pays d’origine ou de destination des produits transportés et prévoit, en son paragraphe 4, que la Commission examinera les cas de discriminations visées au paragraphe 1 et que, le cas échéant, elle prendra les décisions nécessaires. Toutefois, la discrimination alléguée par la requérante découlerait du fait que le règlement en cause ne permettait pas de sanctionner d’une façon efficace les opérateurs ne respectant pas les obligations en matière d’autorisations instaurées par ce règlement. Il est manifeste qu’une telle discrimination ne saurait être considérée comme une discrimination visée par l’article 95, paragraphe 1, TFUE. Cette disposition n’étant pas pertinente en l’espèce, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir omis d’exercer les compétences dont elle dispose en vertu de l’article 95, paragraphe 4, TFUE.

41      En outre, il convient de relever que la Commission jouit d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la formulation et la présentation des propositions législatives. L’exercice des compétences législatives de la Commission ne saurait être entravé par la perspective d’actions en dommages-intérêts chaque fois qu’elle est en mesure de décider si elle doit présenter des propositions législatives. Si un retard de la Commission à soumettre des propositions législatives pouvait per se fonder un recours en dommages-intérêts, le pouvoir discrétionnaire de cette institution dans l’exercice de ses compétences législatives serait sérieusement entravé. Partant, un retard dans la présentation d’une proposition législative ne saurait être considéré comme une violation manifeste et grave des limites qui s’imposent à l’exercice des pouvoirs de la Commission (voir, en ce sens, arrêt Lefebvre e.a./Commission, point 28 supra, points 37 à 39).

42      Il en ressort qu’il ne saurait être admis que, en s’abstenant de proposer au Conseil une modification du règlement en cause jusqu’au mois de mai 2007, la Commission a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs et commis une illégalité susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

43      Au vu de ce qui précède, force est de constater que l’illégalité du comportement de la Commission n’est manifestement pas établie.

44      Partant, une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’étant pas remplie, la demande en indemnité de la requérante doit être rejetée comme manifestement non fondée.

45      Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

46      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil et de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

2)      Transports Schiocchet – Excursions est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 18 juin 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       A. Dittrich


*Langue de procédure : le français.