Language of document : ECLI:EU:C:2023:981

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

12 décembre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Exigence de présentation du contexte factuel et réglementaire du litige au principal ainsi que des raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑407/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 7 juin 2023, parvenue à la Cour le 3 juillet 2023, dans la procédure

Hera Luce Srl

contre

Comune di Trieste,

City Green Light Srl,

Edison Next Government Srl,

en présence de :

Enel X Srl,

Enel Sole Srl,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des principes de publicité, d’impartialité et de non-discrimination en droit de l’Union.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hera Luce Srl au Comune di Trieste (commune de Trieste, Italie), à City Green Light Srl et à Edison Next Government Srl, au sujet d’une proposition de financement d’un projet, présentée par Hera Luce, pour la concession de la gestion du service de l’éclairage public ainsi que d’autres services de cette commune.

 Le cadre juridique

3        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

4        En mai 2019, Hera Luce a présenté une proposition de financement de projets pour la concession de la gestion du service de l’éclairage public, du réseau de feux de circulation, d’assistance à la circulation urbaine, des services « Smart City » ainsi que des illuminations et décorations de Noël de la commune de Trieste.

5        Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la procédure de financement de projet est constituée de deux phases distinctes et successives, à savoir, dans un premier temps, la sélection, parmi les propositions faites par des opérateurs privés, d’un projet d’intérêt public aux fins de sa prise en compte dans la planification des travaux publics d’une collectivité ou d’un organisme public et, dans un second temps, lorsque ces derniers l’estiment opportun, un appel d’offres basé sur un tel projet.

6        À l’issue de la première phase de la procédure, la proposition de Hera Luce a été classée deuxième, une autre société ayant été désignée comme étant le promoteur de ce projet. Le 10 juin 2021, le conseil communal de Trieste a adopté une décision de faisabilité technique et économique ainsi que d’intérêt public de la proposition présentée par cette dernière société.

7        Hera Luce a introduit un recours en annulation contre cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale per il Friuli Venezia Giulia (tribunal administratif régional pour le Frioul-Vénétie Julienne, Italie), en faisant valoir, notamment, que l’administration n’avait pas conclu cette procédure dans le délai impératif de trois mois à compter de la présentation de la proposition de financement, prescrit à l’article 183, paragraphe 15, du decreto legislativo n. 50 – Codice dei contratti pubblici (décret législatif no 50, portant code des contrats publics), du 18 avril 2016 (supplément ordinaire à la GURI no 91, du 19 avril 2016, ci-après le « décret législatif no 50/2016 »), et qu’elle n’avait pas traité les participants à ladite procédure de façon égale.

8        Par arrêt du 27 mai 2022, cette juridiction a rejeté ce recours en considérant que la première phase de la procédure de financement de projet est caractérisée non pas par une véritable mise en concurrence des participants à celle-ci, mais uniquement par l’intérêt de l’administration à se procurer les travaux ou les services proposés en désignant l’opérateur qui présente le projet correspondant le mieux à ses besoins. Compte tenu de la nature de la première phase de cette procédure, le dépassement du délai de trois mois prévu pour l’examen des propositions de financement n’aurait pas d’incidence sur la régularité de celle-ci et il ne serait pas nécessaire de déterminer au préalable, dans un cahier des charges prévu à cet effet, des critères d’évaluation précis desdites propositions.

9        Hera Luce a interjeté appel contre cet arrêt devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), la juridiction de renvoi, en réitérant, en substance, les moyens déjà soulevés en première instance. Cependant, elle a également demandé, à titre subsidiaire, pour le cas où il ne serait pas fait droit à son recours, que la Cour soit saisie d’une demande de décision préjudicielle en ce qui concerne le non-respect de plusieurs principes du droit de l’Union dans le cadre de la procédure de financement de projet en cause, dès lors que cette procédure serait de nature concurrentielle et conduirait à l’attribution d’un avantage économique, à tout le moins une fois expiré le délai impératif de trois mois pour examiner la proposition de financement de projet. Il s’ensuivrait que ladite procédure ne relevait plus du régime simplifié prévu par le décret législatif no 50/2016, de sorte qu’il s’imposait de lancer un appel d’offres.

10      Par un arrêt partiel et non définitif du 26 mai 2023, la juridiction de renvoi a rejeté l’ensemble des moyens de l’appel, en se fondant sur la particularité de la procédure de financement de projets. À cet égard, elle a indiqué que, si la première phase de cette procédure, permettant la désignation du promoteur du projet, qui est en cause dans le litige au principal, est encadrée par des règles de procédure, elle se caractérise par un large pouvoir d’appréciation de l’administration. En effet, cette phase serait destinée à évaluer l’intérêt public de l’administration qui justifie, dans le cadre de la programmation des travaux publics, de retenir la proposition formulée par le promoteur du projet de financement, et non à choisir la meilleure des offres présentées sur la base de critères techniques et économiques préétablis.

11      À cet égard, la juridiction de renvoi met en exergue le fait que la procédure de choix du promoteur de projet est non pas un instrument de comparaison fondé sur les règles de la concurrence, soumis aux principes des procédures de passation de marchés publics, mais plutôt un instrument par lequel l’administration définit, en concertation avec l’opérateur privé, un objectif d’intérêt public à réaliser. Il en irait d’autant plus ainsi que, même une fois la proposition de cet opérateur déclarée d’intérêt public et le promoteur de projet identifié, l’administration n’est pas tenue d’ouvrir une procédure d’appel d’offres pour attribuer la concession. Il s’ensuivrait que la détermination préalable des critères d’évaluation s’adapte mal à la phase du choix du promoteur, puisque cette détermination suppose à tout le moins la définition exacte de l’objet de la procédure et, partant, de la proposition.

12      Tout en considérant que l’article 183, paragraphe 15, du décret législatif no 50/2016 ne méconnaît pas le droit l’Union, notamment, les principes de publicité, d’impartialité et de non-discrimination, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence éventuelle du non-respect, par l’administration, du délai impératif de trois mois dont cette dernière disposait pour évaluer la faisabilité des propositions, alors que ce délai est destiné à protéger les auteurs de celles-ci.

13      Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article [183], paragraphe 15, du décret législatif no 50/2016 est-il contraire au droit de l’Union et en particulier aux principes de publicité, d’impartialité et de non-discrimination prévus tant par le traité que par les principes de l’Union, propres à toutes les procédures comparatives, s’il est interprété en ce sens qu’il permet des traitements discriminatoires dans une procédure d’attribution d’un droit à la préférence, sans que les critères aient été préétablis ni en tout état de cause communiqués à tous les concurrents, mais [uniquement] à certains d’entre eux, à tout le moins à l’échéance du délai impératif de trois mois prévu par cette disposition ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

14      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

15      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

16      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

17      Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans cette décision elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

18      À cet égard, il importe également de souligner que les informations contenues dans la décision de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).

19      Les exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, et arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 ainsi que jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

20      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas à ces exigences.

21      En effet, il y a lieu de constater, premièrement, que cette décision ne contient qu’une présentation extrêmement succincte du contexte factuel de l’affaire au principal, ainsi qu’une description très lacunaire du cadre juridique national applicable à la procédure de financement de projets. Outre le fait que le libellé de l’article 183, paragraphe 15, du décret législatif no 50/2016 n’est pas reproduit dans la décision de renvoi, cette description ne permet pas à la Cour de comprendre l’allégation de Hera Luce selon laquelle le non-respect de cette disposition rendrait inapplicable le régime simplifié, prévu par ce décret législatif, et imposerait de lancer un appel d’offres.

22      Deuxièmement, la juridiction de renvoi n’expose pas en quoi les principes du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation seraient pertinents dans la présente affaire. En effet, cette juridiction se limite à indiquer que, selon Hera Luce, la procédure de financement de projet relève du droit de l’Union en raison de sa nature « comparative et attributive d’un avantage économique », sans pour autant expliquer en quoi ce droit trouverait à s’appliquer à « toutes les procédures comparatives » de telle sorte qu’il y aurait lieu d’apprécier une procédure telle que celle en cause au principal au regard des principes auxquels elle se réfère.

23      Au contraire, ainsi qu’il ressort du point 11 de la présente ordonnance, la juridiction de renvoi indique expressément que, selon elle, la sélection à laquelle procède l’administration dans le cadre de la première phase d’une procédure de financement de projets, seule en cause dans l’affaire au principal, constitue non pas « un instrument de comparaison fondé sur les règles de concurrence et, de ce fait, soumis aux principes des procédures de passation de marchés publics, mais plutôt un instrument par lequel l’administration définit, en concertation avec l’opérateur privé concerné, un objectif d’intérêt public à réaliser ». En outre, elle souligne que, dans ce contexte, l’administration ne reconnaît à l’opérateur sélectionné à l’issue de cette première phase qu’une « expectative non juridiquement protégée », sans que cette administration soit tenue d’ouvrir effectivement une procédure d’appel d’offres pour attribuer de fait la concession.

24      Troisièmement, la juridiction de renvoi n’établit aucun lien entre les principes du droit de l’Union auxquels elle se réfère et la législation nationale applicable au litige dont elle est saisie. Plus particulièrement, elle n’indique pas en quoi la finalité poursuivie par le délai impératif de trois mois dont dispose l’administration pour évaluer les propositions en vertu de l’article 183, paragraphe 15, du décret législatif no 50/2016 pourrait avoir une incidence sur l’appréciation de cette disposition au regard de ce droit.

25      Quatrièmement, la juridiction de renvoi n’a pas non plus fourni suffisamment d’éléments permettant d’apprécier si l’éventuelle attribution de la concession en cause au principal relèverait du champ d’application de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1), ou de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36). En particulier, la valeur estimée de la concession en cause n’étant pas mentionnée dans la décision de renvoi, il n’est pas possible pour la Cour de vérifier si le seuil d’applicabilité prévu par la directive 2014/23 est atteint.

26      Par ailleurs, s’il est vrai que, selon la jurisprudence de la Cour, les autorités publiques sont tenues, lorsqu’elles envisagent d’attribuer des concession de services, de respecter les règles fondamentales du traité FUE en général, notamment ses articles 49 et 56, ainsi que, en particulier, les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle (voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2016, Ince, C‑336/14, EU:C:2016:72, point 86 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 mars 2019, Unareti, C‑702/17, EU:C:2019:233, point 27 et jurisprudence citée), les informations fournies par la juridiction de renvoi ne permettent pas de déterminer si, à défaut de relever de la directive 2014/23 ou de la directive 2006/123, la concession envisagée dans l’affaire au principal est susceptible d’être régie par lesdites règles. Aux fins de cet examen, il incombe à la juridiction de renvoi d’établir l’existence d’un intérêt transfrontalier certain (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa e.a., C‑458/14 et C‑67/15, EU:C:2016:558, point 68), ce qui fait manifestement défaut dans la décision de renvoi.

27      Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de constater que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

28      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 7 juin 2023, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.