Language of document : ECLI:EU:T:2021:634

Affaire T341/18

(publication par extraits)

Nec Corp.

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 29 septembre 2021

« Concurrence – Ententes – Marché des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Coordination des prix dans l’ensemble de l’EEE – Imputation à la société mère de l’infraction commise par sa filiale – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Gravité de l’infraction – Majoration du montant de l’amende pour récidive – Proportionnalité – Compétence de pleine juridiction »

1.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée – Substitution des motifs de l’acte contesté

(Art. 101, 102, 261 et 263 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31)

(voir points 44, 45)

2.      Concurrence – Règles de l’Union – Infractions – Imputation – Société mère et filiales – Unité économique – Critères d’appréciation – Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues en totalité ou en quasi-totalité par celle-ci – Caractère réfragable

(Art. 101 TFUE)

(voir points 49-57)

3.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances aggravantes – Récidive – Notion

(Règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28, 1er tiret)

(voir points 75-77)

4.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances aggravantes – Récidive – Imputation à la société mère du comportement infractionnel de sa filiale – Amende distincte infligée uniquement à la société mère – Récidive de la seule part de la société mère

(Art. 102 TFUE ; accord EEE, art. 54 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28)

(voir points 81-90)

5.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances aggravantes – Récidive – Pouvoir d’appréciation de la Commission

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28)

(voir points 103-108)

6.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances aggravantes – Récidive – Infractions similaires commises successivement et résultant des comportements respectivement de la société mère et de sa filiale – Violation du principe de proportionnalité – Absence

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28)

(voir points 114-124)

7.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances aggravantes – Récidive – Critères d’application

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 28)

(voir points 129, 134, 135)

8.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée – Soumission aux lignes directrices pour le calcul des amendes – Exclusion – Obligation de respecter le principe d’égalité de traitement

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31 ; communication de la Commission 2006/C 210/02)

(voir points 150-154)

Résumé

Nec Corp. est une société établie au Japon, qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques au tantale. Du 1er août 2009 au 31 janvier 2013, Nec Corp. détenait 100 % du capital de Tokin Corp. (ci-après « Tokin »).

Par décision du 21 mars 2018 (1) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a constaté que Nec Corp. et Tokin avaient enfreint l’article 101 TFUE en participant à des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix pour la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale. À cet égard, la Commission a retenu la responsabilité de Tokin en raison de sa participation directe à cette entente du 29 janvier 2003 au 23 avril 2012, et la responsabilité de Nec Corp. en sa qualité de société mère pour la période allant du 1er août 2009 au 23 avril 2012. La décision attaquée infligeait, d’une part, une amende à Tokin, conjointement et solidairement avec Nec Corp. et, d’autre part, des amendes individuelles respectivement à Tokin et à Nec Corp.

Aux fins du calcul du montant desdites amendes, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes (2) (ci-après les « lignes directrices de 2006 »)

En premier lieu, la Commission a déterminé le montant de base en se référant à la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques concernés durant la dernière année complète de participation à l’infraction et en appliquant des coefficients multiplicateurs en fonction de la durée de l’infraction. En considérant que les arrangements horizontaux de coordination des prix comptent, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE, la Commission a, ensuite, fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. Afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif des amendes infligées, la Commission a, en outre, appliqué un montant additionnel de 16 %.

En deuxième lieu, s’agissant des ajustements du montant de base des amendes, la Commission a, d’une part, accordé à Tokin et à Nec Corp. une réduction de 3 % du montant de base de l’amende, au motif que leur participation à certaines réunions n’était pas établie, et, d’autre part, augmenté le montant de base de l’amende à infliger à Nec Corp. de 50 % au titre de la circonstance aggravante de la récidive, en application du paragraphe 28 des lignes directrices de 2006.

Conformément audit paragraphe 28, le montant de base de l’amende peut être augmenté jusqu’à 100 % par infraction lorsque la Commission constate qu’une entreprise poursuit ou répète une infraction identique ou similaire après qu’elle ou une autorité nationale de concurrence a déjà constaté que cette entreprise a enfreint les dispositions de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE.

À cet égard, la Commission a relevé, plus particulièrement, que Nec Corp. avait déjà été tenue pour responsable d’un comportement anticoncurrentiel portant sur la coordination des prix à l’égard des « grands équipementiers (OEM) spécialisés dans les PC/serveurs », qui a donné lieu à la décision C(2011) 180/09 final de la Commission du 19 mai 2010 (ci-après la « décision DRAM ») (3).

En troisième lieu, la Commission a accordé à Tokin et à Nec Corp., pour leur coopération au titre de la communication sur la coopération de 2006 (4), une réduction de 15 % du montant de toute amende qui, à défaut, leur aurait été infligée pour l’infraction

Nec Corp. a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée, qui est néanmoins rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal. Dans son arrêt, celle-ci apporte des précisions quant aux conditions de majoration d’une amende pour récidive.

Appréciation du Tribunal

Dans le cadre de son recours, Nec Corp. conteste, notamment, la majoration de l’amende pour récidive qui a été retenue à son égard.

En rappelant que sa responsabilité était purement dérivée de celle de Tokin, Nec Corp. avance, premièrement, que la décision de la Commission de majorer le montant de son amende pour récidive avait comme conséquence de lui imputer une responsabilité excédant celle de sa filiale, qui n’était pas en état de récidive.

À cet égard, le Tribunal rappelle que, lorsque la responsabilité de la société mère est purement dérivée de celle de sa filiale et qu’aucun autre facteur ne caractérise individuellement le comportement reproché à la société mère, la responsabilité de cette société ne saurait excéder celle de sa filiale. Cependant, des facteurs propres à la société mère peuvent justifier d’apprécier sa responsabilité et celle de la filiale d’une manière différenciée, quand bien même la responsabilité de la première serait exclusivement fondée sur le comportement infractionnel de la seconde. Or, un facteur propre à la situation de la société mère qui peut mener à une appréciation différenciée de sa responsabilité par rapport à celle de sa filiale est précisément celui de la récidive

Au regard de ces observations, le Tribunal constate que, en l’espèce, la majoration du montant de l’amende infligée à Nec Corp. correspond à une circonstance qui est propre à sa situation et qui ne s’applique pas à sa filiale, à savoir la récidive. Il était donc loisible à la Commission d’apprécier la responsabilité de cette dernière et celle de sa filiale d’une manière différenciée.

Deuxièmement, Nec Corp. avance que la majoration de son amende pour récidive est entachée d’une erreur de droit dans la mesure où cette majoration couvrait toute la période infractionnelle du 1er août 2009 au 23 avril 2012 et, par conséquent, une période antérieure à la décision DRAM, qui avait été notifiée le 19 mai 2010.

À cet égard, le Tribunal relève que le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose pour le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes. Dès lors, la Commission peut, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une propension d’une entreprise à s’affranchir des règles de la concurrence, y compris, par exemple, le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause.

Or, même si la première infraction de Nec Corp. a été sanctionnée après le début de la nouvelle entente, la poursuite, pendant près de deux ans, de sa participation à cette dernière après la notification de la décision DRAM témoigne de sa propension à ne pas en tirer les conséquences appropriées. Dans ces conditions, la décision de la Commission d’appliquer la majoration à titre de récidive au montant de base de l’amende qui, à son tour, a été calculé en tenant compte de l’intégralité de la période infractionnelle, n’était pas entachée d’erreur de droit.

Troisièmement, Nec Corp. invoque une violation du principe de proportionnalité, dans la mesure où la majoration du montant de l’amende pour récidive couvrait une période antérieure à la décision DRAM et compte tenu du fait que sa propre responsabilité résultait de la participation de sa filiale à l’infraction.

S’agissant de la proportionnalité de la majoration de l’amende, le Tribunal rappelle que, dans la détermination du montant de chaque amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et n’est pas tenue d’appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise. De plus, la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l’amende, laquelle peut atteindre 100 % de ce montant. En outre, le principe de proportionnalité exige que le temps écoulé entre l’infraction en cause et un précédent manquement aux règles de concurrence soit pris en compte pour apprécier la propension de l’entreprise à s’affranchir de ces règles.

Au regard de ces observations, le Tribunal réaffirme que la poursuite, par Nec Corp., du comportement infractionnel en cause pendant près de deux ans après la notification de la décision DRAM témoigne clairement de sa propension à ne pas tirer les conséquences appropriées d’un constat d’infraction aux règles de concurrence opéré à son égard. Or, dans la mesure où la majoration pour récidive peut entraîner une augmentation jusqu’à 100 % du montant de base de l’amende, la Commission n’a pas violé le principe de proportionnalité en fixant à 50 % la majoration du montant de base de l’amende à infliger à Nec Corp.

S’agissant de l’argument de la requérante tiré du fait que sa propre responsabilité résultait de la participation de sa filiale à l’infraction et du court laps de temps écoulé entre le moment de l’acquisition de cette filiale et l’adoption de la décision DRAM, le Tribunal, d’une part, constate que la requérante est présumée exercer une influence déterminante sur cette filiale. D’autre part, le Tribunal rappelle que l’objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence serait compromis si une entreprise visée par une première infraction était en mesure, en modifiant sa structure juridique (par l’acquisition d’une filiale qui ne peut être poursuivie en raison de cette première infraction, mais qui est impliquée dans la commission de la nouvelle infraction) de rendre impossible ou particulièrement difficile sa sanction et, partant, d’éviter la sanction de la récidive.


1      Décision C(2018) 1768 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40136 - Condensateurs).


2      Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées, en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).


3      Décision de la Commission du 19 mai 2010 relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38.511 - DRAM)


4      Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JO 2006, C 298, p. 17.