Language of document : ECLI:EU:T:1998:108

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

25 mai 1998 (1)

«Recours en annulation - Avis d'ouverture d'une procédure antidumping - Irrecevabilité»

Dans l'affaire T-267/97,

Broome & Wellington Ltd, société de droit anglais, établie à Manchester (Royaume-Uni), représentée par Mme Fiona M. Carlin, barrister, du barreau d'Irlande du Nord, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Arendt et Medernach, 8-10, rue Mathias Hardt,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Viktor Kreuschitz, conseiller juridique, et Nicholas Khan, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation d'un avis d'ouverture d'une procédure antidumping concernant les importations de tissus de coton écrus originaires de la république populaire de Chine, d'Égypte, d'Inde, d'Indonésie, du Pakistan et de Turquie, publié le 11 juillet 1997 (JO C 210, p. 12),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. C. P. Briët, K. Lenaerts, A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

Faits à l'origine du recours et procédure

1.
    Le 26 mai 1997, conformément à l'article 5 du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1, ci-après «règlement n° 384/96»), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2331/96 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO L 317, p. 1), le comité des industries du coton et des fibres connexes de l'Union européenne (ci-après «Eurocoton») a saisi la Commission d'une plainte selon laquelle les importations de tissus de coton écrus plats originaires de république populaire de Chine, d'Égypte, d'Inde, d'Indonésie, du Pakistan et de Turquie feraient l'objet de pratiques de dumping et causeraient ainsi un préjudice important à l'industrie communautaire.

2.
    Le 11 juillet 1997, la Commission a publié un avis d'ouverture d'une procédure antidumping concernant les importations de tissus de coton écrus originaires de ces pays (JO C 210, p. 12, ci-après «avis d'ouverture»).

3.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 1997, la requérante, importatrice dans la Communauté de produits du type de ceux en cause, a introduitle présent recours contre cet avis d'ouverture, sur le fondement des articles 173, quatrième alinéa, 174 et 176 du traité CE.

4.
    Par acte déposé le 16 décembre 1997, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au sens de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure.

5.
    Par acte déposé le 6 janvier 1998, la Foreign Trade Association (ci-après «FTA»), association d'importateurs européens établie à Bruxelles, représentée par Me Ursula Schliessner, avocat à Düsseldorf, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Arendt et Medernach, 8-10, rue Mathias Hardt, a, sur le fondement de l'article 115 du règlement de procédure, demandé à intervenir au litige au soutien des conclusions de la requérante.

6.
    Par acte déposé le 19 février 1998, la requérante a présenté ses observations sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission.

Conclusions des parties

7.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler l'avis d'ouverture;

-    condamner la Commission aux dépens.

8.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

9.
    En vertu de l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure sur une exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

10.
    En l'espèce, le dossier comporte tous les éléments d'appréciation nécessaires en vue de statuer. Il n'y a donc pas lieu d'ouvrir la procédure orale.

11.
    Au soutien de son exception d'irrecevabilité, la Commission soulève trois fins de non-recevoir, tirées respectivement de l'absence d'acte attaquable au sens de l'article 173 du traité, de la tardiveté du recours et de l'absence d'intérêt direct et individuel de la requérante.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence d'acte attaquable

Argumentation des parties

12.
    La Commission allègue que l'ouverture d'une procédure antidumping est un acte préparatoire qui, en tant que tel, n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation (notamment arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 19, ordonnances du Tribunal du 14 mars 1996, Dysan Magnetics et Review Magnetics/Commission, T-134/95, Rec. p. II-181, point 23, et du 10 décembre 1996, Söktas/Commission, T-75/96, Rec. p. II-1689, point 31).

13.
    La requérante soutient au contraire que la décision de la Commission d'ouvrir la procédure est un acte produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter ses intérêts. Dans l'hypothèse où le Tribunal considérerait qu'il s'agit d'un acte préparatoire, elle l'invite à exercer néanmoins son contrôle juridictionnel, dès lors que cet acte serait entaché de vices graves, tels qu'un détournement de pouvoir.

14.
    Elle fait état du contexte dans lequel l'avis d'ouverture de la procédure est intervenu. Elle rappelle qu'il s'agit de la troisième procédure ouverte concernant les mêmes produits, originaires des mêmes pays, depuis 1994.

15.
    La première, ouverte à la suite d'une plainte d'Eurocoton déposée en septembre 1993 (JO 1994, C 17, p. 3), aurait été clôturée par la décision 96/167/CE de la Commission, du 19 février 1996 (JO L 42, p. 16), formellement en raison d'un retrait de la plainte.

16.
    La deuxième, initiée sur le fondement d'une plainte déposée par Eurocoton le 8 janvier 1996, aurait été ouverte le lendemain de la clôture de la précédente enquête (JO 1996, C 50, p. 3). Le 18 novembre 1996, la Commission aurait adopté le règlement (CE) n° 2208/96, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de tissus de coton écrus originaires de république populaire de Chine, d'Égypte, d'Inde, d'Indonésie, du Pakistan et de Turquie (JO L 295, p. 3). Bien que la Commission eût proposé l'adoption de droits définitifs, conformément à l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 384/96, le Conseil n'aurait pas institué de tels droits, en l'absence d'une majorité favorable. Les droits antidumping provisoires se seraient donc éteints le 20 mai 1997, en dépit des tentatives réitérées d'une délégation nationale destinées à obtenir une nouvelle discussion de la proposition.

17.
    Dès le 21 mai 1997, le porte-parole de la Commission aurait déclaré que celle-ci «ouvrirait immédiatement une procédure si une nouvelle plainte était déposée». La Commission aurait en conséquence agi en dehors du cadre réglementaire applicable. Ainsi, avant même qu'Eurocoton eût déposé sa nouvelle plainte le 26 mai 1997, elle se serait publiquement et politiquement engagée à mener une nouvelle enquête. Par l'avis d'ouverture attaqué, elle aurait donc ouvert une troisième procédure, conformément à cet engagement.

18.
    Le contexte ainsi rappelé démontrerait, d'une part, que la Commission s'était engagée à ouvrir la procédure avant même le dépôt de la plainte, et non au vu des éléments de preuve contenus dans celle-ci, comme l'exigerait l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 384/96 et, d'autre part, que les appréciations que portera la Commission sur cette affaire seront substantiellement identiques à celles qu'elle avait déjà formulées dans le règlement n° 2208/96, du 18 novembre 1996, précité, et qui n'ont pas été reprises par le Conseil.

19.
    La procédure suivie par la Commission ne serait donc pas une procédure normale, dans laquelle une plainte précède l'ouverture d'une enquête. Dans ces conditions, ni l'ordonnance Dysan Magnetics et Review Magnetics/Commission ni l'ordonnance Söktas/Commission, précitées, ne seraient pertinentes.

20.
    Dans ces ordonnances, le Tribunal aurait retenu trois éléments déterminants pour conclure qu'un avis d'ouverture n'est qu'une mesure préparatoire et ne constitue donc pas un acte attaquable au sens de l'article 173 du traité.

21.
    En premier lieu, l'ouverture d'une procédure ne conduirait pas automatiquement à l'imposition de droits antidumping, puisque la procédure peut être close sans institution de mesures. Or, en l'espèce, il ressortirait précisément du contexte que, de façon certaine, la Commission instituera des droits provisoires.

22.
    En deuxième lieu, les entreprises ne seraient nullement contraintes de modifier leurs pratiques commerciales à la suite de l'ouverture d'une procédure. A cet égard, la requérante ne conteste pas que, in abstracto, l'ouverture d'une procédure antidumping n'entraîne pas d'obligation de modifier les pratiques commerciales. Toutefois, en fait, une telle ouverture entraînerait des changements dans ces pratiques, notamment dans le domaine des prix et des volumes d'échanges, compte tenu des incertitudes qu'entraînerait la procédure pour les opérateurs.

23.
    En troisième lieu, les entreprises ne pourraient être contraintes à coopérer à l'enquête. Certes, en théorie, l'ouverture d'une enquête n'imposerait pas aux opérateurs de coopérer à celle-ci. Toutefois, une telle coopération serait essentielle pour toute partie ayant un intérêt économique substantiel à l'issue de la procédure, en vue de sauvegarder ses droits relatifs à cette procédure, y compris celui de former un recours contre l'acte final des institutions.

Appréciation du Tribunal

24.
    Conformément à une jurisprudence constante (voir, notamment, ordonnances Dysan Magnetics et Review Magnetics/Commission et Söktas/Commission, précitées), constituent des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du traité, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique.

25.
    Lorsqu'il s'agit d'actes élaborés en plusieurs phases, seules constituent en principe des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de la procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale.

26.
    En l'espèce, il y a donc lieu d'apprécier si l'acte attaqué est de nature à produire, par lui-même, des effets juridiques susceptibles d'affecter les intérêts de la requérante, ou si, au contraire, il ne constitue qu'une mesure préparatoire dont l'illégalité pourrait être utilement soulevée dans le cadre d'un recours dirigé contre la décision finale, recours qui assurerait une protection suffisante aux parties intéressées.

27.
    Selon une jurisprudence bien établie, seuls des actes affectant immédiatement et de manière irréversible la situation juridique des entreprises concernées sont de nature à justifier, dès avant l'achèvement d'une procédure administrative, la recevabilité d'un recours en annulation.

28.
    Or, il ressort des dispositions du règlement n° 384/96 que la Commission a la charge de mener des enquêtes et de décider, sur la base de celles-ci, de procéder à la clôture de la procédure ou, au contraire, de la poursuivre, soit en adoptant des mesures provisoires, soit en proposant au Conseil l'adoption de mesures définitives.

29.
    En conséquence, l'acte par lequel la Commission engage une procédure antidumping est un acte purement préparatoire, qui n'est pas susceptible d'affecter immédiatement et de manière irréversible la situation juridique de la requérante.

30.
    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que, avant même le dépôt de la plainte d'Eurocoton, le 26 mai 1997, le porte-parole de la Commission avait déclaré que celle-ci ouvrirait une nouvelle procédure si une plainte était déposée. En effet, un tel élément relève de l'examen au fond de la légalité de l'avis d'ouverture, mais n'est pas de nature à modifier l'appréciation de la recevabilité d'un recours formé au titre de l'article 173 du traité à l'encontre de cet avis.

31.
    En outre, quel que soit le degré de certitude dont se prévaut la requérante quant à l'imposition, dans la présente affaire, de droits antidumping provisoires, il convient de rappeler que, en droit, l'ouverture d'une procédure antidumping ne conduit pas nécessairement à une telle imposition. En outre, à supposer même que des droits antidumping soient effectivement instaurés, l'avis d'ouverture serait précisément l'un des actes préparatoires sur le fondement duquel la Commission aurait pu décider de les établir.

32.
    De surcroît, l'avis d'ouverture d'une procédure antidumping n'a pas pour effet juridique de contraindre les entreprises concernées de modifier leurs pratiques commerciales ou de coopérer à la procédure ainsi ouverte.

33.
    Dans ces conditions, l'ouverture de la procédure contestée ne produit pas d'effets juridiques de nature à affecter les intérêts de la requérante mais constitue une mesure préparatoire, dont l'illégalité éventuelle, notamment en raison des vices graves dont elle serait entachée, pourra être utilement soulevée au soutien d'un recours formé, le cas échéant, contre la décision finale, recours qui assurera une protection suffisante à la partie intéressée.

34.
    Dès lors, l'ouverture de la procédure antidumping litigieuse ne saurait être considérée, par sa nature et ses effets mêmes, comme un acte susceptible de recours en annulation au sens de l'article 173 du traité.

35.
    De l'ensemble de ce qui précède il résulte que le présent recours doit être déclaré irrecevable, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres fins de non-recevoir soulevées par la partie défenderesse à l'appui de son exception d'irrecevabilité.

36.
    Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'intervention présentée par la FTA.

Sur les dépens

37.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

ordonne:

1)    Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)    Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'intervention.

3)    La requérante est condamnée aux dépens de la partie défenderesse.

Fait à Luxembourg, le 25 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

V. Tiili


1: Langue de procédure: l'anglais.