Language of document : ECLI:EU:T:2020:203

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DE LA PRÉSIDENTE
DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

7 mai 2020 (*)

« Procédure – Intervention – Recours en annulation – Absence d’intérêt à la solution du litige – Rejet »

Dans l’affaire T‑609/19,

Canon Inc., établie à Tokyo (Japon), représentée par Mes U. Soltész, W. Bosch, C. von Köckritz, K. Winkelmann, M. Reynolds, J. Schindler, D. Arts et W. Devroe, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Conte, C. Urraca Caviedes et Mme T. Vecchi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme A.-L. Meyer et par M. O. Segnana, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2019) 4559 final de la Commission, du 27 juin 2019, infligeant des amendes pour défaut de notification d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1) et pour réalisation d’une concentration en violation de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement (affaire M.8179 – Canon/Toshiba Medical Systems Corporation) (résumé au JO 2019, C 362, p. 8) et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction du montant des amendes infligées à la requérante,

LA PRÉSIDENTE DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Le 27 juin 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 4559 final, infligeant à Canon deux amendes pour défaut de notification d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1) et pour réalisation d’une concentration en violation de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement (affaire M.8179 – Canon/Toshiba Medical Systems Corporation) (ci‑après la « décision attaquée »).

2        Selon la décision attaquée, au début de l’année 2016, en vue de surmonter de graves difficultés financières avant la publication de ses résultats financiers pour l’exercice 2016, Toshiba Corporation (ci-après la « demanderesse en intervention ») a décidé de vendre sa filiale Toshiba Medical System Corporation (ci-après « TMSC »), entreprise spécialisée dans le domaine médical qu’elle détenait à 100 %. Afin d’obtenir la contrepartie de la vente de TMSC avant le 31 mars 2016, la demanderesse en intervention a organisé une procédure d’appel d’offres accélérée, remporté par la requérante, laquelle a utilisé une structure de transaction en deux étapes faisant intervenir un acheteur provisoire.

3        Le 19 septembre 2016, la Commission a adopté une décision en vertu de l’article 6, paragraphe 1, point b), du règlement n° 139/2004 et de l’article 57 de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’« accord EEE ») déclarant la concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE.

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 septembre 2019, la requérante a introduit le présent recours par lequel elle demande au Tribunal d’annuler la décision attaquée ou, à titre subsidiaire, d’annuler ou de réduire les amendes infligées.

5        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 janvier 2020, la demanderesse en intervention a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la requérante.

6        La demande d’intervention a été signifiée aux parties principales conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

7        Par acte déposé au greffe le 31 janvier 2020, la requérante n’a soulevé aucune objection à l’encontre de la demande d’intervention.

8        Par acte déposé au greffe le 17 février 2020, la Commission a soulevé des objections à l’encontre de la demande d’intervention et a invité le Tribunal à la rejeter. La Commission a également demandé la condamnation de la demanderesse en intervention aux dépens relatifs à sa demande d’intervention.

 Sur la demande d’intervention

9        En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

10      La notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de ladite disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt ou de l’ordonnance à intervenir (ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 18 et jurisprudence citée).

11      Il convient d’établir une distinction rigoureuse entre les demandeurs en intervention justifiant d’un intérêt direct au sort réservé à l’acte spécifique dont l’annulation est demandée et ceux qui ne justifient que d’un intérêt indirect à la solution du litige, en raison de similarités entre leur situation et celle précisément visée dans ledit acte (ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 19 et jurisprudence citée).

12      En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention (ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 20 et jurisprudence citée).

13      En revanche, un opérateur économique n’a pas d’intérêt direct à intervenir dans une affaire à laquelle est partie un autre opérateur économique dans une situation similaire et pouvant donner lieu à un arrêt dont les motifs pourraient avoir une influence sur la manière dont l’institution de l’Union en cause serait susceptible d’apprécier la situation, par ailleurs distincte, du demandeur en intervention (ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 21 et jurisprudence citée).

14      Par ailleurs, il incombe au demandeur en intervention d’apporter les éléments nécessaires pour prouver qu’il satisfait aux conditions exposées au point 9 ci-dessus (ordonnance du 27 avril 2018, E-Control/ACER, T‑332/17, non publiée, EU:T:2018:294, point 16).

15      En l’espèce, la demanderesse en intervention avance qu’elle a un intérêt direct et actuel à intervenir au soutien du recours introduit par la requérante.

16      Premièrement, la demanderesse en intervention, en tant que société mère de TMSC, aurait activement participé à la procédure administrative en soumettant à la Commission de nombreux documents internes et en fournissant à celle-ci de nombreuses explications. En particulier, elle souligne qu’elle avait demandé à la Commission les copies de la communication des griefs et de la communication des griefs supplémentaire et a soumis à celle-ci ses commentaires. Deuxièmement, les documents et explications fournis par la demanderesse auraient été mal interprétés dans la décision attaquée. Troisièmement, si la décision attaquée était confirmée par le Tribunal, il y aurait un risque que les activités de la requérante, en tant qu’entreprise multinationale offrant un large champ de produits et de services, pourraient être significativement affectées, entraînant pour celle-ci la nécessité de s’adapter à cette nouvelle interprétation des articles 4 et 7 du règlement n° 139/2004, même dans la conclusion de simples contrats. Ainsi, le recours introduit par la requérante sauvegarderait les intérêts de la demanderesse quant à l’issue d’éventuelles procédures devant le Tribunal.

17      La requérante soutient les arguments de la demanderesse en intervention. Il résulterait de la jurisprudence, particulièrement en matière de concentrations, qu’un demandeur en intervention ait un intérêt à intervenir contre une décision de la Commission dont il n’est pas le destinataire.

18      La Commission conteste les arguments de la demanderesse en intervention. Celle-ci n’aurait pas d’intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions de la requérante, mais seulement un vague intérêt par rapport aux moyens de droit qu’elle a soulevés.

19      À titre liminaire, il convient de relever qu’il n’est pas contesté que la décision attaquée a condamné la seule requérante à deux amendes, l’une au titre de l’article 4, du règlement n° 139/2004 et l’autre au titre de l’article 7, dudit règlement, et n’a pas remis en cause la compatibilité de la concentration autorisée par la Commission, le 19 septembre 2016, entre la requérante et TMSC.

20      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 10 ci-dessus, la notion d’intérêt à la solution du litige doit se définir au regard de la solution telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt ou de l’ordonnance à intervenir.

21      En l’espèce, le dispositif de l’arrêt ou de l’ordonnance à intervenir ne pourra que confirmer ou infirmer la décision attaquée par laquelle la seule requérante a été condamnée à payer deux amendes, ou confirmer, infirmer ou modifier leurs montants.

22      Dès lors, force est de constater que la demanderesse en intervention ne dispose pas d’un intérêt à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour.

23      Les arguments de la demanderesse en intervention ne remettent pas en cause cette constatation.

24      Premièrement, s’agissant de la participation de la demanderesse en intervention dans la procédure ayant abouti à la décision attaquée, il convient de relever qu’une telle participation n’est pas suffisante, en tant que telle, pour établir qu’elle peut faire valoir un intérêt direct et actuel à la solution du litige (ordonnance du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 28 et jurisprudence citée).

25      Deuxièmement, s’agissant d’une prétendue mauvaise interprétation, dans la décision attaquée, des documents et explications fournis par la demanderesse en intervention, celle-ci avance trois exemples. Selon le premier exemple, ce serait à tort qu’il est indiqué, au considérant 14 de la décision attaquée, que la structure de transaction proposée par la requérante était considérée par la demanderesse en intervention comme complexe et risquée du point de vue du droit de la concurrence. Selon le deuxième exemple, ce serait également à tort qu’il est indiqué, au considérant 12 de la décision attaquée, que la raison d’être de cette structure de transaction était de garantir l’entier paiement de Toshiba pour la vente de TMSC avant mars 2016, soit avant-même que n’ait été officiellement acquis le contrôle à la suite de l’obtention des autorisations par les autorités compétentes. Quant au troisième exemple, selon la demanderesse, le document cité en note de bas de page n° 227 de la décision attaquée n’était pas utile.

26      Or, force est de constater que la demanderesse en intervention ne démontre, n’explique ni même ne soutient que, par l’un ou l’autre de ces trois exemples, il aurait été porté atteinte à ses intérêts.

27      Notamment, la demanderesse en intervention ne démontre pas en quoi cette prétendue mauvaise interprétation serait susceptible de porter atteinte à son activité commerciale (voir, a contrario, ordonnance du Tribunal du 28 novembre 2013, Ryanair/Commission, T‑260/13, non publiée, EU:T:2013:672, point 14).

28      S’il fallait comprendre cet argument de la demanderesse en intervention comme un risque d’atteinte à sa réputation, en tout état de cause, il convient de rappeler qu’il incomberait également à la demanderesse en intervention d’en démontrer la réalité (voir ordonnance du 26 avril 2018, Valencia Club de Fútbol/Commission, T‑732/16, EU:2018:237, point 17 et jurisprudence citée).

29      S’il fallait comprendre cet argument de la demanderesse en intervention comme un risque de voir sa responsabilité engagée dans le cadre de procédures administratives ou judiciaires, il convient de rappeler qu’un événement futur et hypothétique n’est pas de nature à établir un intérêt direct et actuel à la solution du litige (voir ordonnance du 26 avril 2018, Valencia Club de Fútbol/Commission, T‑732/16, EU:2018:237, point 22 et jurisprudence citée).

30      Troisièmement, s’agissant de l’argument de la demanderesse en intervention selon lequel, en tant qu’entreprise multinationale offrant un large champ de produits et de services, elle pourrait se trouver, à l’avenir, dans une situation similaire à celle dans laquelle se trouve la requérante, il suffit de relever que ce simple fait ne lui confère qu’un intérêt indirect à la solution du litige (voir ordonnance du 26 avril 2018, Valencia Club de Fútbol/Commission, T-732/16, EU:2018:237, point 16 et jurisprudence citée).

31      Quant à la jurisprudence à laquelle renvoie la requérante, elle ne saurait également remettre en cause la constatation faite au point 21 ci-dessus.

32      Ainsi, en ce qui concerne le renvoi, par la requérante, au point 27 de l’arrêt du Tribunal du 5 septembre 2014 (Éditions Odile Jacob/Commission, T-471/11, EU:T:2014:739), dont il ressort que deux sociétés avaient été admises à intervenir au litige au soutien des conclusions de la Commission, il y a lieu de constater que, par la décision attaquée dans cette espèce, la Commission avait accepté, dans le cadre d’une opération de concentration, l’acquisition d’actifs par la première, et que la seconde bénéficiait d’un accord exclusif de rachat de ces actifs de la part de la première. Il apparait donc manifeste que ces sociétés avaient intérêt à intervenir, au soutien de la Commission, dans le cadre d’un recours porté contre ladite décision de la Commission.

33      Il en va de même en ce qui concerne le renvoi, par la requérante, au point 28 de l’arrêt du Tribunal du 19 juin 2009 (Qualcomm/Commission, T-48/04, EU:T:2009:212). Il apparait manifeste que les entreprises entre lesquelles l’opération de concentration avait été acceptée par décision de la Commission avaient intérêt à intervenir au soutien de celle-ci dans le cadre d’un recours introduit contre ladite décision.

34      Enfin, la requérante renvoie au point 19 de l’arrêt du Tribunal du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission (T-342/07, EU:T:2010:280). À cet égard, il apparait également manifeste qu’une entreprise partie à un projet de concentration a intérêt à intervenir au soutien du recours introduit par l’autre entreprise partie audit projet contre la décision de la Commission ayant refusé cette concentration.

35      À la différence de ces affaires, en l’espèce, comme il a été souligné au point 18 ci-dessus, la décision attaquée n’a aucune conséquence directe pour la demanderesse en intervention. Aucun argument développé par la demanderesse en intervention ne permet de remettre en cause cette conclusion.

36      À la lumière de ce qui précède, il convient de rejeter la demande d’intervention.

 Sur les dépens

37      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de la demanderesse en intervention, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande.

38      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

39      En l’espèce, la demanderesse en intervention ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

PRÉSIDENTE DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande d’intervention de Toshiba Corporation est rejetée.

2)      Toshiba est condamnée à supporter les dépens de la Commission relatifs à sa demande d’intervention, ainsi que ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 7 mai 2020.

Le greffier

 

La présidente

E. Coulon

 

A. Marcoulli


*      Langue de procédure : l’anglais.