Language of document :

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (dixième chambre)

1er février 2024 (*) 

« Responsabilité non contractuelle – Santé publique – Vaccins contre la COVID-19 – Comportements constitutifs d’atteintes à la bonne administration et à la moralité publique – Perte de confiance dans les institutions de l’Union – Préjudice moral – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑575/23,

BonSens.org, établie à Entzheim (France), représentée par Me D. Protat, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia (rapporteure), présidente, MM. L. Madise et S. Verschuur, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment la requête déposée au greffe du Tribunal le 19 septembre 2023,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 268 TFUE, la requérante, l’association BonSens.org, demande réparation du préjudice moral subi du fait des agissements et des carences de la Commission européenne, liés à la mise sur le marché des vaccins contre la COVID‑19 et au devoir de surveillance sanitaire afférent, qui seraient constitutifs d’atteintes à la bonne administration, à la moralité publique et à la confiance légitime des citoyens dans les institutions de l’Union.

 Antécédents du litige

2        Le 10 mars 2022, le Parlement européen a adopté la décision 2022/2584(RSO) sur la constitution, les compétences, la composition numérique et la durée du mandat de la commission spéciale sur la pandémie de COVID-19 : leçons tirées et recommandations pour l’avenir. Cette commission était chargée d’examiner comment la réponse de l’Union européenne à la pandémie de COVID-19 et les leçons tirées pouvaient contribuer à l’action future dans les domaines, notamment, de la santé, de la démocratie et des droits fondamentaux.

3        Lors de l’audition de la commission spéciale du 10 octobre 2022, Mme J. Small, présidente des marchés internationaux développés de Pfizer Inc., a reconnu qu’aucune étude portant sur les effets du vaccin fourni par son entreprise sur la transmission du virus SARS-CoV-2 n’avait été réalisée avant sa mise sur le marché européen.

4        Le 12 octobre 2022, Mme S. Kyriakides, membre de la Commission chargée de la santé et de la sécurité alimentaire (ci-après la « membre de la Commission compétente ») a rencontré à Washington (États-Unis) M. A. Bourla, président directeur général de Pfizer.

5        En réponse à une question écrite du 6 mars 2023 (E‑000740/2023), adressée à la Commission par le député européen, M. S. Berlato, en ce qui concernait les soupçons de corrélation entre les effets secondaires des vaccins contre la COVID-19 et la hausse de la mortalité observée par l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat), la membre de la Commission compétente a fait valoir, en substance, que la sécurité des vaccins faisait l’objet d’une surveillance continue et que, à la date de sa réponse, à savoir le 25 mai 2023, la Commission n’envisageait ni de suspendre la campagne vaccinale contre la COVID-19, ni d’engager des études complémentaires en la matière.

 Conclusions de la requérante

6        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner l’Union à lui verser la somme de 1 000 000 euros à titre de préjudice moral subi du fait de comportements reprochés à Mme Kyriakides en sa qualité de membre de la Commission compétente ;

–        condamner l’Union aux dépens.

 En droit

7        Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou que celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

8        En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide, en application de l’article 126 du règlement de procédure, de statuer sans poursuivre la procédure.

9        À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, qui doit constituer une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 148 et jurisprudence citée). En outre, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, points 13 à 15).

10      S’agissant du préjudice dont il est demandé réparation, d’une part, il est nécessaire que celui-ci présente un caractère indemnisable. À cet égard, il ressort de la jurisprudence qu’un préjudice moral susceptible de toucher l’ensemble de la population ou un cercle indéterminé de personnes n’a pas un tel caractère (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, points 92 à 95, et ordonnance du 4 mai 2018, Abel e.a./Commission, T‑197/17, non publiée, EU:T:2018:258, points 34 et 35).

11      D’autre part, il est nécessaire que le préjudice allégué par la partie requérante soit réel et certain, ce qu’il lui appartient de prouver (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée) en apportant des preuves concluantes tant de son existence que de son étendue (voir arrêt du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 36 et jurisprudence citée).

12      En ce qui concerne, plus particulièrement, une demande tendant à engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union à titre de préjudice moral, si la présentation d’une preuve n’est pas toujours exigée, il incombe tout au moins à la partie requérante d’établir que le comportement reproché à l’institution concernée était de nature à lui causer un tel préjudice (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 38).

13      En l’espèce, la requérante reproche à la Commission des agissements et des carences portant prétendument atteinte à la confiance légitime, à la morale publique ainsi qu’au principe de bonne administration, en demandant la réparation du préjudice moral qu’elle-même ainsi que plusieurs dizaines de milliers de ses adhérents auraient subi à ce titre.

14      À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que le préjudice allégué en l’espèce présente un caractère universel, en ce qu’il est susceptible d’affecter la généralité de la population concernée par la campagne vaccinale contre la COVID-19. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 10 ci-dessus, il s’ensuit que le préjudice invoqué par la requérante n’a pas de caractère indemnisable.

15      Au demeurant, en ce qui concerne la réalité du dommage invoqué, la requérante se borne à faire valoir que les atteintes illicites aux droits fondamentaux ouvrent per se droit à la réparation du préjudice moral qui leur serait inhérent et dont l’existence devrait être présumée.

16      Toutefois, pour autant qu’elle invoque à cet égard de manière générale des principes prétendument consacrés par les juridictions de l’Union, la requérante ne développe aucun raisonnement ni n’indique aucune jurisprudence qui viendraient au soutien de son affirmation. Il s’ensuit que l’allégation relative à la reconnaissance d’un tel préjudice en droit de l’Union demeure non étayée et ne saurait être accueillie.

17      Au contraire, conformément aux principes rappelés au point 12 ci-dessus, à défaut d’apporter la preuve d’un préjudice moral réel et certain, la requérante demeure dans l’obligation d’établir que les comportements qu’elle reproche à la membre de la Commission compétente étaient de nature à lui causer un tel dommage. Les règles d’administration de la charge de la preuve s’opposent ainsi, en principe, à ce que la responsabilité extracontractuelle de l’Union puisse être engagée au titre d’un préjudice moral présumé.

18      Au surplus, contrairement à l’exigence rappelée au point 11 ci-dessus, la requérante n’avance aucun argument qui serait de nature à justifier l’étendue du préjudice dont elle demande réparation et le montant de l’indemnité réclamée.

19      Les conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union n’étant ainsi pas réunies, il y a lieu de rejeter le présent recours comme étant manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

20      La présente ordonnance étant adoptée avant la signification de la requête à la partie défenderesse et avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il suffit de décider que la requérante supportera ses propres dépens, conformément à l’article 133 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      BonSens.org supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 1er février 2024.

Le greffier

 

La présidente

V. Di Bucci

 

O. Porchia


*      Langue de procédure : le français.