Language of document : ECLI:EU:T:2015:150

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

12 mars 2015 (*)

« Recours en annulation – Union douanière – Prise en compte a posteriori et remise des droits à l’importation – Appareils récepteurs de télévision en couleurs en provenance de Turquie – Demande de remise de droits de douane présentée par deux importateurs – Renvoi par la Commission des autorités nationales à une décision relative à un autre importateur – Article 871, paragraphes 2 et 6, et article 905, paragraphes 2 et 6, du règlement (CEE) n° 2454/93 – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »

Dans les affaires T‑249/12 et T‑269/12,

Vestel Iberia, SL, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes P. De Baere et P. Muñiz, avocats,

partie requérante dans l’affaire T-249/12,

Makro autoservicio mayorista SA, établie à Madrid, représentée par Mes De Baere et Muñiz,

partie requérante dans l’affaire T-269/12,

soutenues par

Royaume d’Espagne, représenté par Me A. Rubio González, abogado del Estado,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. R. Lyal et Mme L. Keppenne, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2010) 22 final de la Commission, du 18 janvier 2010, constatant qu’il est justifié de procéder à la prise en compte a posteriori des droits à l’importation et qu’il n’est pas justifié de procéder à la remise de ces droits dans un cas particulier,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), président, F. Dehousse et A. M. Collins, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 novembre 2014,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1.     Code des douanes communautaire

1        L’article 220, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), tel que modifié (ci-après le « code des douanes communautaire »), énonce :

« […] il n’est pas procédé à une prise en compte a posteriori, lorsque :

[…]

b)      le montant des droits légalement dus n’avait pas été pris en compte par suite d’une erreur des autorités douanières elles-mêmes, qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable, ce dernier ayant pour sa part agi de bonne foi et observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne la déclaration en douane.

Lorsque le statut préférentiel d’une marchandise est établi sur la base d’un système de coopération administrative impliquant les autorités d’un pays tiers, la délivrance d’un certificat par ces autorités, s’il se révèle incorrect, constitue une erreur qui n’était pas raisonnablement décelable au sens du premier alinéa.

Toutefois, la délivrance d’un certificat incorrect ne constitue pas une erreur lorsque le certificat a été établi sur la base d’une présentation incorrecte des faits par l’exportateur, sauf si, notamment, il est évident que les autorités de délivrance du certificat savaient ou auraient dû savoir que les marchandises ne remplissaient pas les conditions requises pour bénéficier du traitement préférentiel.

La bonne foi du redevable peut être invoquée lorsqu’il peut démontrer que, pendant la période des opérations commerciales concernées, il a fait diligence pour s’assurer que toutes les conditions pour le traitement préférentiel ont été respectées.

Le redevable ne peut toutefois pas invoquer la bonne foi lorsque la Commission a publié au Journal officiel des Communautés européennes un avis signalant des doutes fondés en ce qui concerne la bonne application du régime préférentiel par le pays bénéficiaire […] »

2        L’article 236 du code des douanes communautaire dispose :

« 1.      Il est procédé au remboursement des droits à l’importation […] dans la mesure où il est établi qu’au moment de son paiement leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220, paragraphe 2.

Il est procédé à la remise des droits à l’importation […] dans la mesure où il est établi qu’au moment de leur prise en compte leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220, paragraphe 2.

Aucun remboursement ni remise n’est accordé lorsque les faits ayant conduit au paiement ou à la prise en compte d’un montant qui n’était pas légalement dû résultent d’une manœuvre de l’intéressé.

2.      Le remboursement ou la remise des droits à l’importation […] est accordé sur demande déposée au bureau de douane concerné avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de communication desdits droits au débiteur.

[…] »

3        L’article 239 du code des douanes communautaire dispose :

« 1.      Il peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation […] dans des conditions […] :

à déterminer selon la procédure du comité,

qui résultent de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé. Les situations dans lesquelles il peut être fait application de cette disposition ainsi que les modalités de procédure à suivre à cette fin sont définies selon la procédure du comité. Le remboursement ou la remise peuvent être subordonnées à des conditions particulières.

2.      Le remboursement ou la remise des droits pour les motifs indiqués au paragraphe 1 est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date de la communication desdits droits au débiteur.

[…] »

2.     Règlement d’exécution

4        Les dispositions d’application du code des douanes ont elles-mêmes été codifiées dans le règlement (CE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du code des douanes (JO L 253, p. 1), tel que modifié (ci-après le « règlement d’exécution »).

 Dispositions d’application de l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire

5        Le titre III de la partie IV, relative à la dette douanière, du règlement d’exécution est intitulé « Recouvrement du montant de la dette douanière » et comprend plusieurs articles relatifs à l’application de l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire.

6        Ainsi, l’article 869 du règlement d’exécution est rédigé comme suit :

« Les autorités douanières décident elles-mêmes de ne pas prendre en compte a posteriori des droits non perçus :

[…]

b)      dans les cas où elles estiment que toutes les conditions visées à l’article 220, paragraphe 2, [sous] b), du code [des douanes communautaire] sont remplies, à l’exception des cas dans lesquels la Commission doit être saisie du dossier conformément à l’article 871. Toutefois, lorsque l’article 871, paragraphe 2, deuxième tiret, est applicable, une décision des autorités douanières permettant de ne pas prendre en compte a posteriori les droits en cause ne peut être adoptée qu’à l’issue de la procédure déjà engagée conformément aux articles 871 à 876.

Dans les cas où une demande est présentée pour un remboursement ou une remise au titre de l’article 236 du code [des douanes communautaire] en liaison avec l’article 220, paragraphe 2, [sous] b), du code [des douanes communautaire], le […] b) du premier alinéa et les articles 871 à 876 s’appliquent mutatis mutandis.

Pour l’application des alinéas précédents, les États membres se prêtent mutuellement assistance, notamment lorsqu’une erreur des autorités douanières d’un autre État membre que celui compétent pour prendre la décision est en cause. »

7        L’article 871 du règlement d’exécution précise les cas dans lesquels les autorités nationales, saisies d’une demande de remise ou de remboursement en application de l’article 220, paragraphe 2, sous b), et de l’article 236 du code des douanes communautaire, sont tenues de saisir la Commission européenne. Cet article dispose ce qui suit :

« 1.      L’autorité douanière transmet le cas à la Commission pour qu’il soit réglé conformément à la procédure prévue aux articles 872 à 876 lorsqu’elle estime que les conditions de l’article 220, paragraphe 2, [sous] b), du code [des douanes communautaire] sont réunies et :

qu’elle considère que la Commission a commis une erreur au sens de l’article 220, paragraphe 2, [sous] b), du code [des douanes communautaire], ou

que les circonstances de l’espèce sont liées aux résultats d’une enquête communautaire effectuée conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 515/97 du Conseil, du 13 mars 1997, relatif à l’assistance mutuelle entre les autorités administratives des États membres et à la collaboration entre celles-ci et la Commission en vue d’assurer la bonne application des réglementations douanière et agricole ou effectuée sur la base de toute autre disposition communautaire ou accord conclu par la Communauté avec certains pays ou groupes de pays, dans lesquels la possibilité de procéder à de telles enquêtes communautaires est prévue, ou

que le montant non perçu auprès d’un opérateur par suite d’une même erreur et se référant, le cas échéant, à plusieurs opérations d’importation […] est supérieur ou égal à 500 000 euros.

2.      Il n’est pas procédé à la transmission prévue au paragraphe 1 lorsque :

la Commission a déjà adopté une décision conformément à la procédure prévue aux articles 872 à 876 sur un cas dans lequel des éléments de fait et de droit comparables se présentaient,

la Commission est déjà saisie d’un cas dans lequel des éléments de fait et de droit comparables se présentent.

[…]

6.      La Commission renvoie le dossier à l’autorité douanière et la procédure visée aux articles 872 à 876 est considérée comme n’ayant jamais débuté, lorsqu’une des situations suivantes se présente :

[…]

il ne doit pas être procédé à la transmission du dossier conformément aux paragraphes 1 et 2 ;

[…] »

8        L’article 874 du règlement d’exécution prévoit que les décisions adoptées par la Commission sont notifiées à l’État membre auteur de la demande et que les autres États membres sont tenus informés.

 Dispositions d’application de l’article 239 du code des douanes communautaire

9        Le chapitre 3 du titre IV, relatif au remboursement et à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation, de la partie IV du règlement d’exécution est intitulé « Dispositions spécifiques relatives à l’application de l’article 239 du code » des douanes communautaire. Il comprend une section I, relative aux décisions à prendre par les autorités douanières des États membres, ainsi qu’une section II, relative aux décisions à prendre par la Commission.

 Décisions à prendre par les autorités des États membres (articles 899 à 904 bis du règlement d’exécution)

10      L’article 899, paragraphe 2, du règlement d’exécution est rédigé comme suit :

« 2.      Dans les [cas autres que ceux visés aux articles 900 à 904], à l’exception de ceux dans lesquels la Commission doit être saisie du dossier conformément à l’article 905, l’autorité douanière de décision décide elle-même d’accorder le remboursement ou la remise du montant des droits à l’importation […] lorsque les circonstances de l’espèce constituent une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé.

Lorsque l’article 905, paragraphe 2, deuxième tiret, est applicable, une décision des autorités douanières autorisant le remboursement ou la remise des droits en cause ne peut être adoptée qu’à l’issue de la procédure déjà engagée conformément aux articles 906 à 909. »

 Dispositions à prendre par la Commission (articles 905 à 909 du règlement d’exécution)

11      L’article 905 du règlement d’exécution dispose ce qui suit :

« 1.      Lorsque la demande de remboursement ou de remise visée à l’article 239, paragraphe 2, du code [des douanes communautaire] est assortie de justifications susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé, l’État membre dont relève l’autorité douanière de décision transmet le cas à la Commission pour qu’il soit réglé conformément à la procédure prévue aux articles 906 à 909 :

–        lorsque cette autorité considère que la situation particulière résulte d’un manquement de la Commission à ses obligations, ou

–        lorsque les circonstances de l’espèce sont liées aux résultats d’une enquête communautaire effectuée conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 515/97 ou effectuée sur la base de toute autre disposition communautaire ou accord conclu par la Communauté avec certains pays ou groupes de pays, dans lesquels la possibilité de procéder à de telles enquêtes communautaires est prévue, ou

–        lorsque le montant qui concerne l’intéressé par suite d’une même situation particulière et se référant, le cas échéant, à plusieurs opérations d’importation […], est supérieur ou égal à 500 000 euros.

Le terme ‘intéressé’ doit être entendu dans le même sens qu’à l’article 899.

2.      Il ne doit pas être procédé à la transmission prévue au paragraphe 1 lorsque :

–        la Commission a déjà adopté une décision conformément à la procédure prévue aux articles 906 à 909 sur un cas dans lequel des éléments de fait et de droit comparables se présentaient,

–        la Commission est déjà saisie d’un cas dans lequel des éléments de fait et de droit comparables se présentent.

3.      Le dossier adressé à la Commission doit comporter tous les éléments nécessaires à un examen complet du cas présenté. Il doit inclure une évaluation détaillée sur le comportement de l’opérateur concerné, notamment sur son expérience professionnelle, sa bonne foi et la diligence dont il a fait preuve. Cette évaluation doit être accompagnée de tous les éléments susceptibles de démontrer que l’opérateur a agi de bonne foi. Le dossier doit en outre comprendre une déclaration, signée par le demandeur du remboursement ou de la remise, attestant du fait qu’il a pu prendre connaissance du dossier et indiquant, soit qu’il n’a rien à y ajouter, soit tout élément additionnel qu’il lui semble important d’y faire figurer.

[…]

6.      La Commission renvoie le dossier à l’autorité douanière et la procédure visée aux articles 906 à 909 est considérée comme n’ayant jamais débuté, lorsqu’une des situations suivantes se présente :

[…]

–        il ne doit pas être procédé à la transmission du dossier conformément aux paragraphes 1 et 2,

[…] »

12      L’article 908 du règlement d’exécution prévoit ce qui suit :

« 1.      La notification de la décision visée à l’article 907 doit être faite à l’État membre concerné dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter de la date d’expiration du délai visé audit article.

La Commission informe les États membres des décisions adoptées afin d’aider les autorités douanières à statuer sur les cas dans lesquels des éléments de fait et de droit comparables se présentent.

2.      Sur la base de la décision de la Commission, notifiée dans les conditions prévues au paragraphe 1, l’autorité de décision statue sur la demande qui lui a été présentée.

3.      Lorsque la décision visée à l’article 907 établit que la situation particulière examinée justifie l’octroi du remboursement ou de la remise, la Commission peut préciser les conditions dans lesquelles les États membres peuvent rembourser ou remettre les droits dans des cas dans lesquels des éléments de fait et de droit comparables se présentent. »

 Faits à l’origine des litiges

1.     Présentation des requérantes

13      La requérante dans l’affaire T‑249/12, Vestel Iberia, SL, est une société de droit espagnol, dont l’activité principale consiste à importer, à distribuer, à fabriquer et à assurer le service après-vente d’appareils électroniques destinés au grand public, notamment de produits blancs et bruns.

14      La requérante dans l’affaire T‑269/12, Makro autoservicio mayorista SA, est également une société de droit espagnol, dont l’activité principale consiste à importer et à distribuer des produits alimentaires et non alimentaires, tels des appareils électroniques.

2.     Enquêtes concernant l’importation de postes de télévision en couleurs en provenance de Turquie

 Enquête de la Commission

15      En juin 2000, l’association professionnelle Poetic (Producers of European Televisions in Co-operation), regroupant des fabricants de postes de télévision établis dans l’Union européenne, a déposé une plainte auprès des services de la Commission, dans laquelle il était allégué que les importations de postes de télévision en couleurs originaires de ou exportées depuis la Turquie faisaient l’objet d’un dumping causant un préjudice aux entreprises de l’Union.

16      Le 15 juillet 2000, la Commission a ouvert une procédure antidumping concernant l’importation de postes de télévision en couleurs originaires ou exportées de Turquie. L’ouverture de cette enquête a fait l’objet d’un avis publié le même jour au Journal officiel de l’Union européenne (JO C 202, p. 4).

17      Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs de la Commission ont effectué une visite sur place dans les locaux de la société de droit turc Vestel Elektronik, qui était le fournisseur de la requérante dans l’affaire T‑249/12 et de la requérante dans l’affaire T‑269/12 (ci-après les « requérantes »).

18      Le 13 octobre 2001, la Commission a publié la décision 2001/725/CE, du 28 septembre 2001, clôturant la procédure antidumping concernant les importations de récepteurs de télévision en couleurs originaires de Turquie (JO L 272, p. 37). Dans cette décision, elle a indiqué qu’il n’existait pas d’exportations de postes de télévision en couleurs d’origine turque, au sens des règles d’origine non préférentielle de l’Union, et a, en conséquence, considéré qu’il n’y avait pas lieu d’imposer de mesures antidumping.

19      La Commission a notamment estimé que les postes de télévision importés de Turquie avaient pour origine le pays dans lequel le tube cathodique, dont le coût représentait plus de 35 % du prix départ d’usine, avait été fabriqué.

20      Or, parmi les tubes cathodiques assemblés en Turquie et incorporés dans les postes de télévision exportés depuis ce territoire vers l’Union, plusieurs provenaient de pays dont les exportations de postes de télévision faisaient l’objet de mesures antidumping en vertu du règlement (CE) n° 2584/98 du Conseil, du 27 novembre 1998, modifiant le règlement (CE) n° 710/95 instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’appareils récepteurs de télévision en couleurs originaires de Malaisie, de République populaire de Chine, de République de Corée, de Singapour et de Thaïlande et portant perception définitive du droit provisoire (JO L 324, p. 1).

 Enquête de l’OLAF

21      Au début de l’année 2002, à la suite de la décision 2001/725 une autre association de producteurs d’appareils de télévision européens a demandé à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) d’ouvrir une enquête portant sur l’origine des postes de télévision en couleurs importés de Turquie. L’OLAF a donné suite à cette demande.

22      Par ailleurs, le 14 août 2002, à la suite d’un réexamen intermédiaire du règlement n° 2584/98 et du réexamen de mesures antidumping venant à expiration, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1531/2002 instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’appareils récepteurs de télévision en couleurs originaires de la République populaire de Chine, de la République de Corée, de Malaisie et de Thaïlande et clôturant la procédure concernant les importations d’appareils récepteurs de télévision en couleurs originaires de Singapour (JO L 231, p. 1).

23      Au cours de son enquête, l’OLAF a adressé une demande d’information à Vestel Elektronik et a procédé à une inspection dans les locaux de cette société en avril et en mai 2003. À la suite de ces vérifications, il a estimé que l’origine des appareils de télévision en couleurs était déterminée par celle de leur tube cathodique et que, par conséquent, l’origine des appareils en cause était européenne, chinoise ou coréenne et non turque. En conséquence, il a demandé aux autorités douanières des États membres de recouvrer a posteriori les droits antidumping prévus par les règlements nos 2584/98 et 1531/2002 sur l’ensemble des postes de télévision en couleurs fabriqués en Turquie par Vestel Elektronik.

3.     Procédures de redressement engagées par les autorités douanières espagnoles et demandes de remise présentées par les requérantes

24      En mai 2002, les autorités douanières espagnoles ont procédé à une vérification a posteriori des importations de postes de télévision en couleurs réalisées par les requérantes. Cette vérification a été suspendue dans l’attente d’informations complémentaires devant être transmises par l’OLAF, puis a repris en décembre 2003. En avril et en mai 2004, les autorités espagnoles ont rendu une évaluation préliminaire, dans laquelle elles ont estimé que les postes de télévision en couleurs importés par les requérantes étaient d’origine chinoise et ont envisagé d’appliquer les droits antidumping prévus par le règlement n° 2584/98.

25      Le 17 mai et le 23 juin 2004, les autorités douanières espagnoles ont notifié aux requérantes, au titre des importations de postes de télévision en couleurs qu’elle avait réalisées depuis la Turquie en 2000 et en 2001, une créance douanière (ci-après la « dette douanière »).

26      Par lettres du 19 mai 2005, les requérantes ont adressé chacune aux autorités douanières espagnoles une demande de remise de leur dette douanière en application de l’article 239 du code des douanes communautaire.

27      Au début de l’année 2007, les autorités douanières espagnoles ont informé les requérantes qu’elles transmettaient leurs demandes de remise à la Commission, en application de l’article 905, paragraphe 3, du règlement d’exécution.

28      Par lettres du 8 juillet 2008, la Commission a informé les requérantes que leurs demandes de remise seraient renvoyées aux autorités douanières espagnoles sur le fondement de l’article 905, paragraphe 2, second tiret, et paragraphe 6, du règlement d’exécution, au motif qu’elle examinait déjà la demande présentée par la société Schneider España de Informática SA (ci-après « Schneider »), enregistrée sous la référence REM 02/08, dont le dossier était comparable en fait et en droit. Elle a également indiqué aux autorités espagnoles que, en vertu de l’article 899, paragraphe 2, du règlement d’exécution, celles-ci étaient tenues, avant de statuer sur les demandes de remise présentée par les requérantes, d’attendre qu’elle adopte une décision dans l’affaire REM 02/08.

4.     Décision attaquée

 Adoption de la décision attaquée

29      Le 18 janvier 2010, la Commission a adopté la décision COM (2010) 22 final constatant qu’il est justifié de procéder à la prise en compte a posteriori des droits à l’importation et qu’il n’est pas justifié de procéder à la remise de ces droits dans un cas particulier (affaire REM 02/08) (ci-après la « décision attaquée »).

30      Dans la décision attaquée, d’une part, la Commission a estimé que les autorités douanières n’avaient commis aucune erreur au sens de l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire et que Schneider n’avait pas fait preuve de la diligence requise par cette même disposition. D’autre part, elle a considéré qu’il n’existait pas de situation particulière au sens de l’article 239 du code des douanes communautaire.

 Première demande d’annulation de la décision attaquée et ordonnance Schneider España de Informática/Commission

31      Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 6 avril 2010 (affaire T‑153/10), Schneider a demandé l’annulation de la décision attaquée.

32      Par ordonnance du 28 février 2012, Schneider España de Informática/Commission (T‑153/10, Rec, EU:T:2012:94), le Tribunal a constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours.

33      En effet, en cours d’instance, les juridictions espagnoles devant lesquelles Schneider avait, en parallèle, contesté la régularité des décisions de prise en compte a posteriori mettant à sa charge les droits de douane dont la remise lui a été refusée dans la décision attaquée ont, par des décisions devenues définitives, annulé lesdites décisions, motif pris de l’acquisition de la prescription prévue à l’article 221, paragraphe 3, du code des douanes communautaire. Dès lors, l’annulation de ces décisions de prise en compte a posteriori avait pour conséquence que le paiement des droits en cause ne pourrait plus être réclamé à Schneider. Dans ces conditions, la décision attaquée se trouvait privée d’objet et n’était pas susceptible d’entraîner des effets sur la situation juridique de Schneider, qui ne pourrait donc pas davantage retirer de bénéfice de l’annulation de la décision attaquée par le Tribunal (ordonnance Schneider España de Informática/Commission, point 32 supra, EU:T:2012:94, points 33 et 34).

34      Le Tribunal a, de plus, écarté l’argument que Schneider entendait tirer de ce que, même si l’annulation de la décision attaquée n’était pas susceptible d’entraîner des effets sur sa situation juridique (en ce qui concernait le paiement de la dette douanière qui avait été mise à sa charge par les décisions de prise en compte a posteriori), un arrêt statuant sur la légalité de la décision attaquée serait néanmoins susceptible de produire des effets à l’égard d’autres importateurs sur la situation desquels la Commission n’avait pas statué, renvoyant les autorités douanières nationales à la décision attaquée pour ces autres cas qu’elle avait estimés comparables (ordonnance Schneider España de Informática/Commission, point 32 supra, EU:T:2012:94, points 37 à 44).

5.     Décisions adoptées par les autorités douanières espagnoles

35      En avril 2012, les autorités douanières espagnoles ont notifié à chacune des requérantes leur décision rejetant la demande de remise que chacune avait présentée (ci-après les « décisions de rejet »), en leur faisant part de la décision attaquée. Les autorités douanières espagnoles ont également informé les requérantes qu’elles pouvaient introduire un recours devant les autorités nationales compétentes ainsi que, le cas échéant, un recours en annulation devant le Tribunal, dans un délai de deux mois à compter de cette notification.

36      Pour rejeter les demandes de remise présentées par les requérantes, les autorités espagnoles se sont fondées sur la décision attaquée.

 Procédure et conclusions des parties

37      Par requêtes enregistrées au greffe du Tribunal les 5 (affaire T‑249/12) et 18 (affaire T‑269/12) juin 2012, les requérantes ont introduit les présents recours.

38      Par actes séparés enregistrés au greffe du Tribunal les 4 (affaire T‑249/12) et 26 (affaire T‑269/12) septembre 2012, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Les requérantes ont déposé leurs observations sur cette exception les 19 octobre (affaire T‑249/12) et 16 novembre (affaire T‑269/12) 2012.

39      Par actes déposés au greffe du Tribunal les 24 (affaire T‑249/12) et 25 (affaire T‑269/12) septembre 2012, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir dans les présentes procédures au soutien des requérantes. Par ordonnances du 14 novembre 2012, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention.

40      Le Royaume d’Espagne a été invité à déposer un mémoire en intervention limité à la recevabilité et a déféré à cette invitation. La Commission a déposé ses observations sur celui-ci dans les délais impartis. Les requérantes ont indiqué, dans les délais qui leur avaient été impartis, que ce mémoire en intervention n’appelait pas d’observations de leur part.

41      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a été attribuée.

42      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale en ce qui concerne la recevabilité des présentes affaires.

43      Par ordonnance du président de la sixième chambre du Tribunal du 8 octobre 2014, les parties entendues, les présentes affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

44      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission ;

–        subsidiairement, joindre ladite exception au fond ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

45      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours comme irrecevables ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

46      Dans le mémoire en intervention limité à la recevabilité, le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        condamner la Commission aux dépens.

47      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 novembre 2014.

 En droit

1.     Sur la jonction

48      En application de l’article 50 du règlement de procédure, les parties ont été invitées lors de l’audience à présenter leurs observations éventuelles en ce qui concerne la possibilité, envisagée par le Tribunal, de joindre les affaires aux fins du présent arrêt. Les parties ont indiqué qu’elles ne s’opposaient pas à une telle jonction, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

49      La recevabilité des présentes affaires ayant fait l’objet d’une instruction conjointe et d’une seule audience, le Tribunal estime dès lors opportun de les joindre également aux fins du présent arrêt.

2.     Sur la recevabilité

50      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond.

51      La Commission fait valoir en l’espèce que les présents recours sont irrecevables, les requérantes n’étant, selon elle, ni directement ni individuellement concernées par la décision attaquée et ayant, de plus, laissé expirer le délai de recours en annulation prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

52      Le Tribunal estime opportun d’examiner en premier lieu la question de savoir si la décision attaquée affecte directement les requérantes.

 Arguments des parties

 Arguments de la Commission

53      La Commission fait valoir que, dès lors que les requérantes ne sont pas et ne prétendent pas être les destinataires de la décision attaquée, elles doivent notamment démontrer qu’elles sont directement concernées par celle-ci.

54      Selon elle, ainsi que le Tribunal l’a constaté dans l’ordonnance Schneider España de Informática/Commission, point 32 supra (EU:T:2012:94), les requérantes peuvent remettre en cause la légalité de la décision attaquée en demandant au juge national, saisi d’un recours dirigé contre la décision adoptée par les autorités douanières nationales qui les concerne, de poser à la Cour de justice une question préjudicielle en appréciation de validité.

55      La Commission soutient que la décision attaquée n’est contraignante à l’égard du Royaume d’Espagne, son destinataire, qu’en ce qui concerne la situation de Schneider. Ainsi, la décision attaquée n’aurait produit aucun effet direct sur la situation juridique des requérantes et la seule décision ayant produit de tels effets serait celle qui a été adoptée à leur égard par les autorités douanières espagnoles.

56      La Commission indique que, bien que le règlement d’exécution, notamment en son article 908, paragraphe 1, prévoie l’obligation pour elle d’informer les autorités nationales des décisions qu’elle adopte en ce qui concerne les demandes de remise de droits dont elle a été saisie, de telles décisions ne représentent, pour les autorités douanières nationales, que des orientations. Il serait, certes, louable que ces autorités s’inspirent des décisions adoptées par elle, dans le but de promouvoir une application uniforme de la réglementation douanière, mais les autorités nationales devraient se fonder sur leur évaluation des circonstances particulières de chaque affaire sur laquelle elles sont amenées à intervenir et devraient apprécier, dans chaque cas particulier, la mesure dans laquelle les appréciations préalablement opérées par la Commission devraient être suivies, compte tenu des circonstances particulières de chaque affaire.

57      Dès lors, la Commission estime que les décisions qu’elle adopte dans une affaire particulière ne concernent pas directement les autres importateurs dont la situation est plus ou moins comparable. Par suite, les requérantes ne seraient pas directement concernées par la décision attaquée.

58      La Commission fait valoir que son analyse est confortée par l’absence de conséquences directes qui découleraient, pour les requérantes, de l’annulation de la décision attaquée. Dans une telle circonstance, les décisions adoptées par les autorités nationales demeureraient en vigueur et les requérantes n’auraient d’autre possibilité que de les contester devant les juridictions nationales.

 Arguments des requérantes

59      En premier lieu, les requérantes avancent que le Tribunal, dans l’ordonnance Schneider España de Informática/Commission, point 32 supra (EU:T:2012:94), n’a pas exclu que d’autres opérateurs que Schneider puissent être directement et individuellement concernés par la décision attaquée.

60      En deuxième lieu, elles font valoir que la décision attaquée leur a été notifiée par le Royaume d’Espagne et que cette notification indiquait qu’elles disposaient d’un délai de deux mois pour introduire un recours en annulation devant le Tribunal. Selon elles, l’absence d’introduction d’un tel recours aurait pu leur être reprochée par les autorités espagnoles et aurait pu aboutir à ce qu’elles ne puissent plus contester la validité de la décision attaquée dans le cadre de recours portés devant les juridictions nationales.

61      En troisième lieu, les requérantes soutiennent qu’elles sont directement concernées par la décision attaquée.

62      Contrairement à la thèse défendue par la Commission, la décision attaquée aurait un effet contraignant pour les autorités douanières nationales qui doivent traiter de situations impliquant des éléments de fait et de droit comparables. En pareilles circonstances, ces autorités ne disposeraient d’aucune marge d’appréciation et l’application de la décision attaquée serait purement automatique.

63      Or, les requérantes estiment se trouver dans une situation présentant des éléments de fait et de droit comparables à ceux que la Commission a appréciés dans la décision attaquée. Ce serait précisément pour cette raison que la Commission a renvoyé, en application de l’article 905, paragraphe 6, du règlement d’exécution, les demandes de remise qu’elles avaient présentées aux autorités espagnoles, dans l’attente de l’adoption de la décision attaquée.

64      Par conséquent, à l’égard des arguments présentés par les requérantes à l’appui de leurs demandes de remise, les autorités espagnoles seraient liées par les appréciations contenues dans la décision attaquée en ce qui concerne l’existence d’une erreur commise par les autorités douanières au sens de l’article 220, paragraphe 2, du code des douanes communautaire ainsi que l’existence d’une situation particulière au sens de l’article 239 dudit code. L’absence de pouvoir d’appréciation des autorités nationales se traduirait, dans les décisions adoptées par les autorités douanières espagnoles à l’égard des requérantes, par la reproduction pure et simple des motifs de la décision attaquée. Les requérantes estiment également que les autorités espagnoles n’auraient pu parvenir à une autre conclusion, en ce qui les concerne, sans contredire la décision attaquée et sans, de ce fait, méconnaître le principe de primauté du droit de l’Union.

65      Selon les requérantes, il ne pourrait y avoir de marge d’appréciation autonome des autorités nationales que dans le cas où la Commission aurait conclu qu’il existait une erreur des autorités douanières au sens de l’article 220, paragraphe 2, du code des douanes communautaire ou une situation particulière au sens de l’article 239 dudit code. Dans un tel cas, en effet, il reviendrait encore aux autorités nationales de se prononcer sur la bonne foi des importateurs dont la situation présente des éléments comparables avec celle sur laquelle la Commission s’est prononcée. En revanche, les requérantes soutiennent que, lorsque, comme en l’espèce, la Commission estime que les autorités douanières n’ont commis aucune erreur et qu’il n’existe pas de situation particulière, les autorités douanières nationales sont tenues de rejeter les demandes de remise présentées par des opérateurs dont la situation est comparable à celle de l’importateur dont la demande a été rejetée par la Commission.

 Observations du Royaume d’Espagne

–       En ce qui concerne le cadre juridique

66      Dans le mémoire en intervention limité aux questions de recevabilité, le Royaume d’Espagne présente, à titre liminaire, des considérations sur la portée des décisions adoptées en application des articles 220 et 239 du code des douanes communautaire ainsi que sur la procédure d’adoption de telles décisions.

67      Le Royaume d’Espagne rappelle que l’article 239 du code des douanes communautaire constitue une clause générale d’équité qui permet à des importateurs se trouvant dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant une même activité d’obtenir la remise ou le remboursement de droits de douane légalement mis à leur charge. Il résulterait de la jurisprudence que les procédures tendant à l’application des articles 220 et 239 du code des douanes communautaire poursuivent le même but, à savoir de limiter le paiement des droits de douane aux situations dans lesquelles il est compatible avec le principe de confiance légitime.

68      Il s’ensuivrait que les conditions respectives prévues à ces deux articles doivent être interprétées de manière analogue, la condition de l’absence de négligence manifeste de la part de l’intéressé prévue à l’article 239, paragraphe 1, du code des douanes communautaire étant équivalente à la condition du caractère non décelable par l’intéressé des erreurs commises par les autorités douanières, prévue à l’article 220 dudit code.

69      Le Royaume d’Espagne rappelle ensuite que le règlement d’exécution prévoit certaines circonstances dans lesquelles l’appréciation des conditions visées aux articles 220 et 239 du code des douanes communautaire est réservée à la Commission et que la compétence de celle-ci découle, d’une part, de la nécessité de garantir l’application uniforme du droit de l’Union et, d’autre part, de ce que cette appréciation est susceptible de conduire à priver l’Union d’une recette budgétaire normalement due, étant entendu que les droits de douane constituent l’une des ressources propres du budget de l’Union.

70      Quant à l’application uniforme du droit de l’Union, celle-ci se verrait garantie par la hiérarchie des normes existant entre les décisions adoptées par la Commission et celles adoptées par les autorités administratives et juridictionnelles des États membres. Ainsi, les appréciations contenues dans les décisions de la Commission statuant sur la situation d’un opérateur donné au regard des conditions prévues aux articles 220 et 239 du code des douanes communautaire seraient contraignantes pour les autorités, y compris juridictionnelles, des États membres appelées à statuer à l’égard du même opérateur, alors que les décisions des juridictions nationales ne sauraient lier la Commission. De plus, le règlement d’exécution prévoirait que les décisions adoptées par la Commission sont non seulement notifiées à l’État membre ayant transmis la demande de remise ou de remboursement, mais également portées à la connaissance de tous les États membres, pour leur permettre de statuer dans le même sens sur la situation de l’ensemble des opérateurs se trouvant dans une situation comparable en fait et en droit.

–        En ce qui concerne l’affectation directe des requérantes

71      Le Royaume d’Espagne fait valoir que les requérantes sont directement concernées par la décision attaquée.

72      En effet, selon lui, la compétence pour statuer sur les demandes de remise présentées par les requérantes est dévolue à la Commission par le règlement d’exécution et ce n’est que parce que cette dernière a estimé que la situation dans laquelle se trouvaient les requérantes était comparable en fait et en droit à celle dans laquelle se trouvait Schneider qu’elle a pu s’abstenir de prendre une décision distincte à l’égard de chacune des requérantes. Il s’ensuivrait que les autorités administratives et juridictionnelles nationales ne disposent d’aucune marge d’appréciation sur le point de savoir si les requérantes se trouvent ou non dans la même situation que Schneider et sur les suites à donner à leurs demandes de remise, mais qu’elles sont liées tant par la décision attaquée que par l’appréciation de la Commission selon laquelle les situations de fait et de droit dans lesquelles se trouvaient Schneider et les requérantes dans les présentes affaires étaient comparables.

73      Par ailleurs, la possibilité, pour les requérantes, de solliciter du juge national qu’il pose à la Cour de justice une question en appréciation de la validité de la décision attaquée serait sans incidence sur la possibilité, pour ces mêmes requérantes, d’introduire un recours en annulation contre la même décision. La Commission ne saurait, à cet égard, tirer aucun argument de l’ordonnance Schneider España de Informática/Commission, point 32 supra (EU:T:2012:94), puisque, dans cette ordonnance, le Tribunal, d’une part, aurait précisé que la décision attaquée entraînait des effets juridiques sur la situation des importateurs dont la Commission avait estimé qu’elle était comparable à celle dans laquelle se trouvait Schneider et, d’autre part, aurait réservé la question de la qualité pour agir desdits importateurs à l’encontre de la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

74      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement.

75      Il convient de rappeler que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (ordonnance du 6 mars 2014, Northern Ireland Department of Agriculture and Rural Development/Commission, C‑248/12 P, EU:C:2014:137, point 21 ; voir également, en ce sens, arrêts du 22 mars 2007, Regione Siciliana/Commission, C‑15/06 P, Rec, EU:C:2007:183, point 31, et du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, Rec, EU:C:2011:656, point 66).

76      Ainsi, selon la jurisprudence, la seule circonstance que, pour l’application de l’acte dont l’annulation est demandée, intervienne une mesure nationale d’exécution ne permet pas d’exclure que le particulier requérant puisse être considéré comme étant directement concerné par l’acte en cause, à la condition, toutefois, que l’État membre chargé de la mise en œuvre de celui-ci ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation autonome (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2005, Land Oberösterreich/Commission, T‑366/03 et T‑235/04, Rec, EU:T:2005:347, point 29 et jurisprudence citée). Dans une telle situation, en effet, l’intervention de la décision nationale présente un caractère d’automaticité et la situation juridique du requérant doit être considérée comme étant directement affectée par la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, Rec, EU:C:2009:529, points 45 et 46 et jurisprudence citée).

77      À cet égard, ainsi que, d’ailleurs, les parties en conviennent, pour statuer sur la demande de remise présentée par Schneider, le Royaume d’Espagne était tenu, sans pouvoir exercer aucune marge d’appréciation autonome, par les appréciations opérées par la Commission dans la décision attaquée, dont il était le destinataire. Toutefois, la compétence des autorités, y compris juridictionnelles, de l’État membre destinataire n’est liée qu’en ce qui concerne l’opérateur sur la situation duquel la Commission s’est prononcée et à l’égard des opérations douanières qu’elle a examinées (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Heuschen & Schrouff Oriëntal Foods Trading, C‑375/07, Rec, EU:C:2008:645, points 64 et 65).

78      Il n’en va pas de même, en revanche, s’agissant des demandes présentées par d’autres importateurs dont la situation peut être considérée comme comparable, au sens de l’article 871, paragraphe 2, et de l’article 905, paragraphe 2, du règlement d’exécution, à celle de l’opérateur sur la situation duquel la Commission s’est prononcée.

79      En premier lieu, en effet, il résulte de l’article 869, premier alinéa, sous b), du règlement d’exécution, applicable en l’espèce en vertu de l’article 869, deuxième alinéa, ainsi que de l’article 899, paragraphe 2, deuxième alinéa, dudit règlement, que la seule obligation qui incombe aux États membres saisis d’une demande de remise de droits de douane présentant des éléments de fait et de droit comparables à ceux sur lesquels la Commission est appelée à se prononcer dans le cadre d’une procédure concernant un autre opérateur consiste à attendre l’issue de cette dernière procédure, de manière à pouvoir tenir compte de la décision adoptée par la Commission lorsqu’ils statuent sur les demandes présentées par d’autres opérateurs.

80      À cet égard, il convient de relever que le principe selon lequel les États membres sont appelés, lorsqu’ils statuent, à tenir compte du caractère comparable des situations de fait et de droit susceptible d’exister entre différents opérateurs n’exclut pas, cependant, que l’État membre compétent soit également tenu de prendre en compte toute particularité, de fait ou de droit, de nature à caractériser chaque opérateur ayant présenté une demande de remise. Partant, l’État membre compétent ne saurait être considéré, au sens de la jurisprudence relative à l’affectation directe, comme chargé de la mise en œuvre de décisions adoptées par la Commission en ce qui concerne d’autres opérateurs que celui sur la demande duquel il statue.

81      Ainsi, l’obligation, qui incombe à la Commission en vertu de l’article 908, paragraphe 1, second alinéa, du règlement d’exécution, d’informer les États membres des décisions adoptées relatives à l’application de l’article 239 du code des douanes communautaire a pour seul objectif d’aider les autorités douanières à statuer elles-mêmes sur les cas dans lesquels des éléments de fait et de droit comparables se présentent. De même, l’article 874 du règlement d’exécution prévoit que les États membres sont tenus informés des décisions adoptées par la Commission en application de l’article 220, paragraphe 2, du code des douanes communautaire pour leur permettre de statuer utilement sur les cas dont ils sont saisis.

82      Dès lors que les autorités douanières espagnoles exercent une appréciation propre sur les demandes de remise présentées par des importateurs dont la situation de fait et de droit est comparable à celle d’un autre importateur dont la Commission a considéré que la demande de remise devait être rejetée, une des conditions cumulatives de l’affectation directe (voir point 75 ci-dessus) fait défaut en l’espèce. Les requérantes ne sauraient être regardées comme directement concernées par la décision attaquée.

83      En deuxième lieu, il convient de constater qu’aucun des arguments présentés par les requérantes et par le Royaume d’Espagne ne sont de nature à infirmer cette appréciation.

84      Premièrement, s’il est vrai que, dans l’ordonnance Schneider España de Informática/Commission, point 32 supra (EU:T:2012:94), le Tribunal n’a pas exclu que d’autres opérateurs que Schneider aient pu être directement concernés par la décision attaquée, force est toutefois de constater que, au point 44 de ladite ordonnance, le Tribunal a expressément réservé cette question.

85      Deuxièmement, l’invocation par les requérantes d’une notification de la décision attaquée par le Royaume d’Espagne est, certes, une circonstance de fait susceptible d’être prise en compte pour le calcul du délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE. Elle est, pour autant, sans incidence sur la qualité pour agir des requérantes.

86      Troisièmement, ainsi qu’il a été constaté au point 80 ci-dessus, la Commission a pu considérer, dans la décision attaquée, que ni elle-même, ni les autorités douanières nationales, ni les autorités turques n’avaient commis d’erreur dans le cas d’opérations d’importations similaires réalisées par Schneider sans pour autant priver les autorités administratives et juridictionnelles espagnoles de la possibilité de procéder à une appréciation autonome s’agissant des opérations réalisées par les requérantes, en tenant compte de circonstances particulières éventuelles de nature à caractériser leur situation par rapport à celle de Schneider. Il y a lieu de relever, à cet égard, que les autorités douanières espagnoles se sont attachées à vérifier que les considérations émises par la Commission dans la décision attaquée pouvaient trouver à s’appliquer en l’espèce, aux fins de rejeter les demandes de remise présentées par les requérantes. En outre, tout en se référant à la décision attaquée, les autorités douanières espagnoles ont spécifiquement considéré, en l’espèce, que les requérantes n’avaient pas agi de bonne foi et observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne la déclaration en douane. Il en va de même de la conclusion des autorités douanières espagnoles relatives à l’existence d’une négligence manifeste de la part des requérantes.

87      À titre surabondant, il convient d’observer que les requérantes ne sont pas dépourvues de la possibilité de contester, incidemment, la validité de la décision attaquée en sollicitant du juge national qu’il adresse à la Cour de justice une question préjudicielle à cette fin, au cas où les autorités espagnoles décideraient, dans l’exercice de leur compétence propre, de leur faire application des appréciations, contenues dans cette décision, relatives aux opérations réalisées par Schneider.

88      Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas directement concernées par la décision attaquée et qu’il convient, en conséquence, de rejeter les présents recours comme irrecevables, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres fins de non-recevoir opposées par la Commission.

 Sur les dépens

89      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

90      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T‑249/12 et T‑269/12 sont jointes aux fins du présent arrêt.

2)      Les recours sont rejetés comme irrecevables.

3)      Vestel Iberia, SL et Makro autoservicio mayorista SA sont condamnées aux dépens.

4)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Frimodt Nielsen

Dehousse

Collins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 mars 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.