Language of document : ECLI:EU:T:2022:735

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

30 novembre 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne figurative STAYER – Usage sérieux de la marque – Article 15 et article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 [devenus article 18 et article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001] – Qualification des produits pour lesquels l’usage sérieux a été démontré »

Dans l’affaire T‑155/22,

ZAO Korporaciya « Masternet », établie à Moscou (Russie), représentée par Me N. Bürglen, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Stayer Ibérica, SA, établie à Pinto (Espagne), représentée par Mes P. Creta, A. Lanzarini, A. Sponzilli, B. Costa et M. Lazzarotto, avocats,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. F. Schalin (rapporteur), président, Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, ZAO Korporaciya « Masternet », demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 21 décembre 2021 (affaire R 931/2021‑1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 5 juillet 2017, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande de déchéance de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée le 15 juin 2012 sous le numéro 9498015, à la suite d’une demande déposée le 4 novembre 2010 pour le signe figuratif suivant :

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3        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la déchéance était demandée relevaient de la classe 8 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient à la description suivante : « Instruments à main pour abraser (disques et meules) ».

4        Le motif invoqué à l’appui de la demande de déchéance était celui visé à l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

5        Le 26 mars 2021, la division d’annulation a rejeté la demande de déchéance.

6        Le 20 mai 2021, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

7        Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que les éléments de preuve produits par l’intervenante, Stayer Ibérica, SA, en vue de prouver l’usage sérieux de la marque contestée remplissaient les conditions tenant au lieu et à la période de l’usage et qu’ils démontraient un usage de la marque contestée important et sous une forme qui n’altérait pas son caractère distinctif. Elle a également constaté, contrairement à ce que soutenait la requérante, que les produits pour lesquels l’intervenante avait rapporté la preuve d’un usage sérieux, à savoir les « disques et meules abrasifs », relevaient bien de la classe 8 et non pas de la classe 7, qui ne couvre que les « machines pour abraser ». La chambre de recours a donc confirmé la décision de la division d’annulation et a rejeté la demande de déchéance de la marque contestée en ce qu’elle désignait des « [i]nstruments à main pour abraser (disques et meules) », relevant de la classe 8.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

9        L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      Compte tenu de la date d’introduction de la demande de déchéance en cause, à savoir le 5 juillet 2017, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, le présent litige est régi par les dispositions matérielles du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié (remplacé par le règlement 2017/1001) (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2019, Deichmann/EUIPO, C‑223/18 P, non publié, EU:C:2019:471, point 2, et du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, point 3). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

11      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par les parties, dans l’argumentation soulevée devant le Tribunal, à l’article 18 et à l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 comme visant l’article 15 et l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, d’une teneur identique.

12      À l’appui du recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 15 du règlement no 207/2009. Plus particulièrement, elle soutient que, contrairement aux faits de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mai 2020, Korporaciya « Masternet »/EUIPO – Stayer Ibérica (STAYER) (T‑681/18, non publié, EU:T:2020:222), la marque contestée n’a pas été déposée en espagnol mais en italien. Ainsi, les conclusions du Tribunal dans cet arrêt ne seraient pas pertinentes et il conviendrait de comprendre l’expression « strumenti abrasivi manuali (dischi e mole) » [« [i]nstruments à main pour abraser (disques et meules) »], qui correspond à la description en italien des produits désignés par la marque contestée, comme se rapportant à des outils actionnés à la main. Or, l’intervenante n’aurait rapporté les preuves de l’usage sérieux de la marque contestée que pour des « disques et meules abrasifs » qui seraient des accessoires destinés aux outils électriques relevant de la classe 7 et non pas pour des accessoires destinés aux outils actionnés à la main, relevant de la classe 8. Par ailleurs, la requérante soutient que la plupart des documents et des factures que l’intervenante a produits font référence à des disques de coupe qui ne relèvent pas de l’expression « strumenti abrasivi manuali (dischi e mole) ».

13      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

14      Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, le titulaire d’une marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et s’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.

15      Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

16      Quant à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part [arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, EU:T:2004:225, point 41].

17      Enfin, aux termes de la règle 22, paragraphes 3 et 4, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) [devenue article 10, paragraphes 3 et 4, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1)], les indications et les preuves de l’usage doivent établir le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque et se limitent, en principe, à la production de pièces justificatives comme des emballages, des étiquettes, des barèmes de prix, des catalogues, des factures, des photographies et des annonces dans les journaux ainsi qu’aux déclarations écrites visées à l’article 76, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié (remplacé par le règlement no 207/2009).

18      C’est à la lumière de ce qui précède qu’il convient d’examiner le présent moyen.

19      D’emblée, il y a lieu de relever que la requérante ne remet pas en cause les constatations de la chambre de recours selon lesquelles les éléments de preuve présentés par l’intervenante satisfont aux exigences relatives à la durée, au lieu, à l’importance et à la nature de l’usage. Seules les constatations de la chambre de recours relatives à la démonstration par l’intervenante d’un usage en rapport avec les produits concernés sont soumises à l’appréciation du Tribunal dans le cadre du présent litige.

20      À cet égard, il convient de tenir compte du fait que la marque contestée désigne les « [i]nstruments à main pour abraser », expression immédiatement suivie des termes « disques et meules » entre parenthèses. L’utilisation de ces parenthèses a ici pour effet de restreindre le champ de la protection demandée aux seuls « disques et disques abrasifs » qui sont englobés dans la catégorie des « [i]nstruments à main pour abraser » [voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2016, Lidl Stiftung/EUIPO – Horno del Espinar (Castello), T‑549/14, non publié, EU:T:2016:594, point 71]. Ce sont les « disques et meules » en tant que tels pour lesquels la marque contestée a été enregistrée, et non l’ensemble ou seulement certains types d’instruments à main avec lesquels ceux-ci peuvent être associés.

21      Par ailleurs, il convient de relever que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mai 2020, STAYER (T‑681/18, non publié, EU:T:2020:222), concernait une demande de déchéance partielle de la marque de l’Union européenne figurative STAYER, déposée en espagnol et en anglais et enregistrée sous le numéro 4675881, en ce qu’elle désignait des produits identiques à ceux visés en l’espèce, à savoir des « [i]nstruments à main pour abraser (disques et disques abrasifs) », relevant de la classe 8. Dans cette affaire, la chambre de recours avait également considéré que l’autre partie à la procédure devant elle avait rapporté la preuve d’un usage sérieux pour des « disques et disques abrasifs ». Or, la requérante faisait valoir, en substance, que les produits pour lesquels l’autre partie à la procédure avait rapporté la preuve d’un usage sérieux étaient destinés à être utilisés avec des outils électriques et relevaient donc, en tant que tels, de la classe 7 et non de la classe 8. Le Tribunal a, toutefois, rejeté les considérations de la requérante au motif que l’expression espagnole « instrumentos manuales abrasivos (discos y muelas) » et l’expression anglaise équivalente « hand held abrasive items (wheels and grinding wheels) » devaient se comprendre comme désignant l’ensemble des « [i]nstruments à main pour abraser » et non pas comme des « instruments pour abraser actionnés à la main » ou des « instruments actionnés ou contrôlés à la main, plutôt qu’automatiquement ou électroniquement ». Le Tribunal a également constaté, au point 32 dudit arrêt, que la distinction entre les « disques et disques abrasifs », selon le type d’outils avec lesquels ils sont destinés à être utilisés, n’était pas pertinente dans le cas d’espèce dans la mesure où tous ces disques présentaient globalement les mêmes caractéristiques, à savoir la capacité d’user par frottement, quel que soit le type d’outils dans lesquels ils peuvent être insérés. En conséquence, selon le Tribunal, ces produits constituaient une catégorie de produits suffisamment homogène, de sorte qu’une sous-catégorisation en considération des différents types d’outils n’était pas nécessaire aux fins de l’appréciation de la preuve de l’usage de la marque contestée. Le Tribunal a donc considéré, au point 33 du même arrêt, qu’il n’était pas pertinent de savoir si l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours fabriquait des « [i]nstruments à main » qui, même s’ils étaient à la fois « tenus à la main » ou « actionnés à la main », fonctionneraient de manière automatique ou électrique. Enfin, au point 39 de l’arrêt susmentionné, le Tribunal a reconnu que les « disques et disques abrasifs » pour lesquels la preuve d’un usage sérieux avait été rapportée relevaient bien de la catégorie des « [i]nstruments à main pour abraser », relevant de la classe 8 et visés par la marque contestée dans ladite affaire.

22      Les conclusions qui précèdent sont transposables en l’espèce.

23      En effet, il ressort des éléments du dossier de la procédure que la marque contestée a été déposée afin de désigner des « [i]nstruments à main pour abraser (disques et meules) », relevant de la classe 8, sous la forme « Strumenti abrasivi manuali (dischi e mole) » en italien et « Abrading instruments (hand instruments) (discs and wheels) » en anglais.

24      Or, il convient de relever qu’il n’existe pas de différences significatives entre la formulation de la désignation en espagnol et en anglais des produits visés par la demande de déchéance dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mai 2020, STAYER (T‑681/18, non publié, EU:T:2020:222), et la formulation en italien et en anglais des produits visés par la marque contestée en l’espèce. La requérante n’a présenté aucun argument de nature à remettre en cause ces constatations.

25      Partant, de manière analogue à ce qu’a constaté le Tribunal dans l’arrêt du 28 mai 2020, STAYER (T‑681/18, non publié, EU:T:2020:222), il y a lieu de considérer que les « disques et meules abrasifs », pour lesquels l’intervenante a produit la preuve d’un usage sérieux au cours de la période pertinente, relèvent bien de la catégorie des « [i]nstruments à main pour abraser (disques et meules) », relevant de la classe 8.

26      Par ailleurs, n’est pas fondé l’argument de la requérante selon lequel les éléments de preuve produits par l’intervenante démontreraient seulement un usage sérieux pour la catégorie des « disques de coupe » qui relèveraient, selon elle, d’une catégorie distincte de celle des « disques et meules abrasifs ». En effet, il convient de relever, à l’instar de l’EUIPO, que le processus d’abrasion englobe, notamment, la découpe, le meulage ou encore le polissage. Ainsi, à supposer même que tous les éléments de preuve produits par l’intervenante se rapportent effectivement à des « disques de coupe », ils relèveraient également de la catégorie générale des « disques et meules abrasifs ».

27      Les éléments de preuve présentés par l’intervenante permettent donc de prouver un usage sérieux pour les « disques et meules abrasifs » qui relèvent de la catégorie des « [i]nstruments à main pour abraser (disques et meules) », relevant de la classe 8.

28      Il convient donc de rejeter comme non fondé en droit le moyen unique soulevé par la requérante et, par conséquent, le recours dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le grief de l’EUIPO, tiré de l’irrecevabilité, en tant qu’éléments nouveaux, des annexes A. 2 et A. 3 jointes à la requête.

 Sur les dépens

29      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

30      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      ZAO Korporaciya « Masternet » est condamnée aux dépens.

Schalin

Steinfatt

Kukovec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 novembre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.