Language of document : ECLI:EU:T:2012:651

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 décembre 2012 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Demandes de devis – Refus d’accès – Recours en annulation – Délai de recours – Point de départ – Recevabilité – Exception relative à la protection de la politique économique de l’Union européenne – Exception relative à la protection des intérêts commerciaux d’un tiers – Exception relative à la protection de l’intérêt public en matière de sécurité publique – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑167/10,

Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, établie à Athènes (Grèce), représentée par Mes N. Korogiannakis et M. Dermitzakis, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. E. Manhaeve et Mme C. ten Dam, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision de la Commission du 27 janvier 2010 refusant l’accès aux demandes de devis concernant le lot 3 A de l’appel d’offres DIGIT/PO/2005/113 – ESP-DESIS (JO 2005/S 252-248566) et, d’autre part, une demande d’annulation de la décision de la Commission du 11 mars 2010 refusant l’accès aux demandes de devis relatives à tous les autres lots de l’appel d’offres précité, à tous les lots des appels d’offres DI/0005 ESP (JO 2001/S 53-036539) et ADMIN/DI/2/PO/2003/192 ESP-DIMA (JO 2003/S 249-221337) et au contrat-cadre BUDG/0101,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, V. Vadapalas et S. Frimodt Nielsen (rapporteur), juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2012,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

 Procédure administrative relative à la première décision attaquée

1        Par lettre du 14 août 2009, communiquée par télécopie et signée par M. D., membre de son service juridique, la requérante, Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, a demandé à la Commission des Communautés européennes l’accès à « toutes les demandes de cotation relatives au lot 3A du contrat ESP-DESIS ».

2        Par lettre du 3 septembre 2009, communiquée par la poste à M. D., la Commission a accusé réception de cette demande et indiqué qu’elle serait examinée au regard du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

3        Par lettre du 18 septembre 2009, communiquée par la poste à l’un des dirigeants de la requérante, la Commission a refusé l’accès aux documents demandés en indiquant que ceux-ci faisaient l’objet des exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001, notamment par l’article 4, paragraphe 1, sous a), quatrième tiret et par l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, dudit règlement.

4        Par lettre du 9 octobre 2009, communiquée par télécopie et signée par M. D., la requérante a présenté à la Commission une demande confirmative d’accès aux documents ainsi qu’une demande d’accès à d’autres documents.

5        Par courriel du 20 novembre 2009, la Commission a accusé réception de cette demande.

6        Par lettre du 27 janvier 2010, communiquée par courriel, la Commission a refusé la communication de l’intégralité des documents demandés au motif qu’ils étaient couverts par plusieurs exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001 (ci-après la « première décision attaquée »).

 Procédure administrative relative à la seconde décision attaquée

7        Par lettre du 9 octobre 2009 mentionnée au point 4 ci-dessus, communiquée par télécopie et signée par M. D., la requérante a demandé à la Commission l’accès à une autre série de documents, à savoir « toutes les demandes de cotation relatives à tous les lots des contrats suivants : ESP, ESP-DIMA, ESP-DESIS, les contrats-cadres de l’OPOCE n°6011, 6102, 6103, 6020, 10042, 6121, 6031 et 10030 et le contrat-cadre n° BUDG/0101 de la DG ‘Budget’ ».

8        Par courriel du 20 novembre 2009, la Commission a accusé réception de cette demande et indiqué qu’elle serait examinée au regard du règlement n° 1049/2001. En considération des différents services visés, la demande a été divisée en plusieurs parties. Une de ces parties a été attribuée à l’Office des publications des Communautés européennes (OPOCE) sous la référence GESTDEM 2009/4890. Cette partie ne fait pas l’objet de la présente affaire.

9        Par lettres du 11 décembre 2009, communiquées par la poste à l’un des dirigeants de la requérante et à un membre de son personnel, la direction générale (DG) « Informatique » et la DG « Budget » de la Commission ont refusé l’accès aux documents demandés en leur possession en indiquant chacune pour ce qui la concerne, mais en utilisant la même motivation, que ces documents faisaient l’objet des exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001, notamment par l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier et quatrième tirets, et par l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, dudit règlement.

10      Par lettres du 31 décembre 2009, la requérante a présenté à la Commission deux demandes confirmatives pour accéder aux documents demandés.

11      Par lettre du 11 mars 2010, communiquée par courriel à M. D., la Commission a refusé la communication de l’intégralité des documents demandés à la DG « Informatique » et à la DG « Budget », au motif qu’ils étaient couverts par plusieurs exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001 (ci-après la « seconde décision attaquée »).

 Contenu de la première et de la seconde décision attaquée

12      Les documents qui font l’objet de la première et de la seconde décision attaquée sont des demandes de devis, également appelées formulaires de demande ou demandes de cotation.

13      Dans la première et la seconde décision attaquée, la Commission indique que chacune de ces demandes de devis se compose d’une page de garde et d’une annexe décrivant les services à fournir. Ces services peuvent faire l’objet d’une commande « temps et moyens », qui porte sur un nombre de jours de travail à effectuer à la Commission, d’une commande à prix forfaitaire, qui porte sur un travail défini, ou d’une commande « temps et moyens nécessaires », qui porte sur un nombre de jours de travail pour des sous-tâches définies. Ces commandes sont lancées par la Commission au moyen d’une demande de devis envoyée au contractant, lequel indique, en réponse, s’il présente ou non une proposition à la Commission. Le processus aboutit à la signature d’un contrat spécifique ou au retrait de la demande de devis.

14      La première et la seconde décision attaquée présentent une motivation comparable.

 Sur la portée des demandes d’accès et l’usage d’échantillons

15      Dans un premier temps, la Commission définit la portée des demandes d’accès. Elle précise, à cet égard, qu’elle a décidé d’examiner ces demandes au vu d’un « échantillon représentatif de documents ».

16      Dans la première décision attaquée, la Commission relève que, comme la demande correspondante concerne environ 900 demandes de devis, elle a décidé de procéder à une première évaluation sur la base d’un échantillon, qu’elle estime représentatif en termes de DG concernées et de types de commandes, afin de déterminer si ces documents peuvent être rendus publics. Cet échantillon est composé de dix demandes de devis qui sont énumérés dans ladite décision.

17      Dans la seconde décision attaquée, la Commission relève que, comme la demande correspondante concerne environ 6 000 demandes de devis, elle a décidé de procéder à une première évaluation sur la base d’un échantillon représentatif, qu’elle estime représentatif en termes de DG concernées et de types de commandes, afin de déterminer si ces documents peuvent être rendus publics. Cet échantillon est composé de 57 demandes de devis, dont une liste se trouve en annexe à ladite décision.

18      Dans chacune de ces décisions, la Commission indique que, à la suite d’une évaluation minutieuse des documents composant les échantillons, elle est arrivée à la conclusion qu’aucun accès ne pouvait être accordé au titre du règlement n° 1049/2001. En ce qui concerne les documents non repris dans les échantillons, la Commission a considéré que, puisque ces documents sont de même nature que les documents examinés dans l’échantillon, l’accès à ces documents ne peut être accordé même si aucun examen individuel n’a été effectué.

19      Trois exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001 sont invoquées à l’appui de ces affirmations. Il s’agit, respectivement, de l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 1, sous a), quatrième tiret (protection de la politique économique de l’Union européenne), par l’article 4, paragraphe 2, premier tiret (protection des intérêts commerciaux) et par l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret (protection de la sécurité publique), dudit règlement.

 Sur la nécessité de protéger la politique économique de l’Union

20      La motivation exposée par la première et la seconde décision attaquée sur ce point est la suivante :

« L’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement [n° 1049/2001] prévoit que ‘les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où la divulgation porterait atteinte à la protection […] de l’intérêt public, en ce qui concerne […] la politique […] économique de la Communauté […]’.

Une concurrence loyale et non faussée constitue un intérêt public majeur dans le cadre de la politique économique de l’Union européenne […]

Dans ce contexte, la divulgation des demandes de devis pourrait également fausser la concurrence dans le secteur de l’informatique, du moins en ce qui concerne les futurs contrats de la Commission, puisque les prix des missions spécifiques pourraient être déduits de la description de ces tâches combinée avec l’identité du sous-traitant et le prix total qui sont déjà dans le domaine public. Cela pourrait très bien être utilisé par les soumissionnaires dans les futurs appels d’offres pour soumettre des offres manipulées, faussant ainsi la concurrence dans le secteur concerné […]

Par conséquent, [la Commission] considère que l’exception relative à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique économique de l’Union s’applique aux demandes de devis dont l’accès est demandé, car leur divulgation porterait atteinte à cette politique. »

 Sur la nécessité de protéger les intérêts commerciaux

21      La motivation exposée par la première et la seconde décision attaquée sur ce point est la suivante :

« L’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement [n° 1049/2001] prévoit que ‘les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection […] des intérêts commerciaux d’une personne […] morale’.

Les dispositions juridiques pertinentes relatives à la transparence sur les dépenses engagées par les institutions de l’[Union] confirment que ces intérêts commerciaux existent dans ce domaine et doivent être dûment pris en compte. Plus particulièrement :

–        L’article 30, paragraphe 3, du règlement [(CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le ‘règlement financier’)], requiert que la Commission communique les informations qu’elle détient sur les bénéficiaires de fonds provenant du budget, mais ‘dans le respect des exigences de confidentialité’.

–        L’article 118, paragraphe 4, cinquième alinéa, du [règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier (JO L 357, p. 1, ci-après les ‘modalités d’exécution’)], mentionne les informations que les institutions de l’U[nion] doivent rendre publiques en ce qui concerne l’exécution de contrats spécifiques fondés sur un contrat-cadre[;] il convient de noter que ces informations ne comprennent pas des documents tels que les demandes de devis, qui sont préliminaires à la conclusion des contrats spécifiques. En tout état de cause, cette disposition doit être lue conjointement avec l’article 90, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement financier, et, en conséquence, les informations dont la divulgation pourrait nuire à des intérêts commerciaux légitimes ne peuvent pas être publiées.

Dans ce contexte, les intérêts commerciaux des contractants, mais aussi ceux de la Commission elle-même, doivent être examinés tour à tour.

[1.] La protection des intérêts commerciaux des contractants

L’ensemble des demandes de devis dont l’accès est demandé fait partie d’un dialogue entre la Commission et ses sous-traitants pour l’exécution de tâches spécifiques dans le contexte d’un contrat-cadre. Les demandes de devis relèvent d’un processus itératif conduisant à une offre finale pour une tâche spécifique à exécuter dans le contexte de ce contrat-cadre. Chacun de ces échanges comprend la description des tâches spécifiques et se réfère au savoir-faire du contractant, à son apport prévu et à la méthodologie proposée, ainsi qu’à des informations sur les prix.

La divulgation au grand public de ces informations relatives à l’exécution des tâches dans le contexte du contrat-cadre en cause porterait manifestement atteinte à la protection de l’expertise, de la stratégie et de la créativité des contractants concernés, et donc à leur puissance commerciale, non seulement en tant qu’entreprise en général, mais aussi plus spécifiquement en tant que cocontractant de la Commission.

En outre, selon un principe juridique bien établi, les relations contractuelles doivent être régies par le principe de bonne foi. Cette bonne foi donne également aux contractants le droit d’attendre de la Commission qu’elle respectera la confidentialité de l’exécution d’une relation contractuelle en cours, lorsque cette confidentialité est nécessaire pour protéger leurs droits légitimes.

À cet égard, il convient de noter que l’exception relative aux ‘intérêts commerciaux’ contenue dans le règlement [n° 1049/2001] est l’expression de l’obligation du respect du secret professionnel qui incombe à la Commission en vertu de l’article 339 TFUE et qui signifie que la Commission doit prendre toutes les précautions nécessaires pour s’assurer que la protection d’informations sur les entreprises couvertes par le secret professionnel et d’autres informations confidentielles ne soit pas compromise. Cette obligation s’applique en particulier aux ‘[...] renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient’.

Cette analyse est d’autant plus pertinente lorsque l’exécution de telles relations implique une expertise, une créativité et des renseignements très spécifiques sur les prix, comme tel est le cas dans le contexte d’un contrat-cadre, à savoir [un contrat] indéterminé quant aux conditions particulières de l’exécution de tâches spécifiques.

En outre, en ce qui concerne le raisonnement ci-dessus relatif à la distorsion de la concurrence qui se produirait si des offres manipulées devaient être présentées, cette distorsion aurait aussi un effet défavorable sur les intérêts commerciaux des entreprises ayant participé aux appels d’offres dans le secteur concerné.

[2.] La protection des intérêts commerciaux de la Commission

Afin de satisfaire ses propres besoins en produits et services, la Commission agit à la fois en tant qu’entité privée et publique. En effet, agissant en tant qu’entité privée, la Commission doit bénéficier, comme tout autre opérateur privé, des meilleures conditions offertes par des entreprises dans un marché ouvert. Étant une entité publique, la Commission doit s’assurer que l’argent public est dépensé conformément au principe de bonne gestion financière, notamment en recherchant le plus bas soumissionnaire.

Si les demandes de devis devaient être divulguées, des prix spécifiques seraient rendus public. Ces prix favoriseraient raisonnablement, dans une économie hautement compétitive, l’harmonisation des prix dans le secteur, portant ainsi préjudice à une saine dépense du budget et aux intérêts de la Commission.

Par conséquent, et outre les exceptions invoquées ci-dessus, l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux s’applique également à la protection des intérêts commerciaux de la Commission et, par conséquent, [l’accès à] l’ensemble des demandes de devis doit être refusé. »

 Sur la nécessité de protéger la sécurité publique

22      La motivation exposée par la première et la seconde décision attaquée sur ce point est la suivante :

« L’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement [n° 1049/2001] dispose que ‘les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où la divulgation porterait atteinte à la protection […] de l’intérêt public, en ce qui concerne […] la sécurité publique’.

Étant donné que les demandes de devis concernent un large éventail de systèmes informatiques, la divulgation de l’ensemble des demandes de devis révélerait, en combinant les données, le fonctionnement technique et les faiblesses potentielles des systèmes exploitables par des intrus.

Révéler les fonctionnalités techniques et faciliter la déduction d’éventuelles faiblesses compromettrait gravement l’intégrité des systèmes informatiques sur lesquels s’appuie la Commission pour s’acquitter de ses fonctions dans divers domaines de l’activité de l’[Union], qui incluent la participation d’autres organismes et des États membres par la mise en place de divers réseaux.

Cette conséquence est également susceptible de causer des dommages à d’autres intérêts publics ou privés, par exemple les relations internationales si des informations confidentielles relatives à des pays tiers étaient divulguées illégalement ou à la protection des données personnelles.

Par conséquent, afin de protéger l’intégrité des systèmes informatiques de la Commission, l’accès à l’ensemble des demandes de devis ne peut pas être accordé également en application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement [n° 1049/2001]. »

 Sur l’évaluation au regard de l’intérêt public supérieur

23      À cet égard, la Commission a conclu ce qui suit dans chaque décision attaquée :

« Dans le cas présent, [la Commission] ne dispose d’aucun élément susceptible d’indiquer l’existence d’un intérêt public supérieur au sens du règlement [n° 1049/2001] qui l’emporterait sur la nécessité de protéger les intérêts commerciaux des contractants et [les siens], comme expliqué ci-dessus. »

 Sur l’accès partiel aux documents demandés

24      En dernier lieu, la Commission examine la possibilité d’accorder un accès partiel aux documents demandés et relève ce qui suit :

« En vertu de l’article 4, paragraphe 6, du règlement [n° 1049/2001], ‘si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées’.

[La Commission a] envisagé la possibilité d’accorder un accès partiel aux demandes de devis concernées. Toutefois, pour les raisons expliquées ci-dessus, il est impossible d’accorder un accès partiel significatif sans nuire aux intérêts précités. Par conséquent, [la Commission a] conclu que les demandes de devis fondées sur le contrat-cadre en cause sont toutes couvertes dans leur intégralité par les exceptions au droit d’accès du public invoquées. »

 Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 avril 2010, la requérante a introduit le présent recours.

26      Par ordonnance du 8 novembre 2011, le Tribunal (première chambre) a ordonné à la Commission de produire certains documents dans le cadre de la procédure définie à l’article 67, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal et de répondre à plusieurs demandes de renseignements, dont certaines portaient sur les documents précités et d’autres sur les documents produits par la requérante dans l’annexe 6 de la réplique, lesquels sont de nature comparable aux documents qui font l’objet de la présente affaire.

27      La Commission a produit les documents demandés et répondu aux demandes de renseignements le 9 décembre 2011.

28      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure (ci-après les « questions »), le Tribunal a demandé à la requérante, le 10 février 2012, de faire part de ses observations sur les réponses de la Commission qui lui avaient été communiquées et qui ne relevaient pas de la procédure définie à l’article 67, paragraphe 3, du règlement de procédure, compte tenu notamment du fait que la Commission considérait que les documents produits par la requérante dans l’annexe 6 de la réplique étaient comparables aux documents auxquels l’accès lui avait été refusé par la première et la seconde décision attaquée.

29      La requérante a répondu à ces questions le 29 février 2012.

30      À ce stade, un membre de la première chambre du Tribunal étant empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, un autre juge pour compléter la chambre.

31      Le 2 juin 2012, la requérante a communiqué trois documents au Tribunal, que celui-ci a considérés comme de nouvelles offres de preuve. Ces documents ont été versés au dossier et la Commission a été informée qu’elle aurait la possibilité de prendre position dessus lors de l’audience.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 26 juin 2012. À cette occasion, la Commission a accepté de communiquer à la requérante une copie du tableau synoptique qu’elle avait présenté en réponse à une demande de renseignements faite dans l’ordonnance du 8 novembre 2011 afin d’identifier les informations qui relevaient de chacune des trois exceptions invoquées dans la première et la seconde décision attaquée et les informations qui auraient pu faire l’objet du type d’accès partiel évoqué dans la duplique. Ces informations présentées à la suite de l’examen de deux documents pris en considération pour adopter la première décision attaquée et de six documents pris en considération pour adopter la seconde décision attaquée étaient destinées à permettre à la requérante de comprendre la nature des informations que la Commission entendait protéger sans toutefois lui permettre d’en prendre concrètement connaissance.

33      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la première et la seconde décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens et aux autres frais exposés par la requérante en ce qui concerne le recours, même si ce dernier est rejeté.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recours en ce qui concerne la première décision attaquée

35      La Commission soutient que le recours doit être déclaré irrecevable en ce qu’il vise la première décision attaquée. Du fait de la « notification » à la requérante, effectuée par courriel le jour même de son adoption, soit le 27 janvier 2010, le délai de deux mois prévu pour former un recours en annulation aurait pris fin, compte tenu du délai de distance, le 6 avril 2010. Le recours serait donc tardif, ayant été introduit le lendemain, soit le 7 avril 2010.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte attaqué, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance. Il ressort également de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE que les décisions qui désignent un destinataire, comme cela est le cas en l’espèce, sont notifiées à leurs destinataires et prennent effet par cette notification. En outre, conformément à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, le délai de recours doit être augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

37      Selon une jurisprudence constante, ce délai de recours est d’ordre public, ayant été institué en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice, et il appartient au juge de l’Union de vérifier, d’office, s’il a été respecté (arrêt de la Cour du 23 janvier 1997, Coen, C‑246/95, Rec. p. I‑403, point 21, et arrêt du Tribunal du 18 septembre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission, T‑121/96 et T‑151/96, Rec. p. II‑1355, points 38 et 39).

38      Le principe de sécurité juridique exige également, dans l’intérêt des parties et des éventuels tiers intéressés, que, pour tout délai de forclusion, les points de départ et d’arrivée soient clairement déterminés et respectés de manière rigoureuse (arrêt de la Cour du 26 mai 1982, Allemagne et Bundesanstalt für Arbeit/Commission, 44/81, Rec. p. 1855, point 16, et arrêt du Tribunal du 25 septembre 1991, Lacroix/Commission, T‑54/90, Rec. p. II‑749, point 29).

39      Au demeurant, il appartient à la partie qui se prévaut de la tardiveté d’un recours, au regard des délais fixés par l’article 263, sixième alinéa, TFUE et par l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, de fournir la preuve de la date à laquelle l’événement faisant courir le délai est survenu (arrêt du Tribunal du 14 mai 1997, Florimex et VGB/Commission, T‑70/92 et T‑71/92, Rec. p. II‑693, point 74, et ordonnance du Tribunal du 13 avril 2000, GAL Penisola Sorrentina/Commission, T‑263/97, Rec. p. II‑2041, point 47).

40      Dans la présente affaire, il importe de relever que le terme « notification », utilisé pour qualifier la transmission par voie électronique de la première décision attaquée, a une double signification. Ce terme désigne tant le fait de porter à la connaissance du destinataire une décision le concernant que l’acte même utilisé à cette fin, lequel permet notamment de fournir la preuve de la date à partir de laquelle ce fait est intervenu.

41      Le premier aspect, c’est-à-dire le fait pour la Commission d’avoir porté à la connaissance de la requérante la première décision attaquée, n’est pas contesté par la requérante, laquelle affirme seulement que la communication par courriel ne peut pas être considérée comme un « instrument légal de notification ». En l’espèce, même si la requérante a formulé sa demande initiale et sa demande confirmative par télécopie et même si la réponse initiale de la Commission lui a été transmise par courrier postal, la requérante ne formule aucune objection au fait de s’être vu communiquer la première décision attaquée par courriel. La requérante indique d’ailleurs à ce propos que le destinataire du courriel a pu prendre connaissance du message qui lui a été adressé par ce moyen le 28 janvier 2010 au retour d’une journée consacrée à la participation à une audience devant le Tribunal.

42      En l’état des moyens de communication et en dépit du silence du règlement n° 1049/2001 sur ce point, lequel envisage expressément, pour ce qui est des moyens électroniques, le seul dépôt de la demande d’accès aux documents (voir article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001) sans rien indiquer en ce qui concerne les moyens susceptibles d’être utilisés pour communiquer la réponse au demandeur, le courriel peut être considéré comme un moyen susceptible d’être utilisé pour communiquer une décision à son destinataire. Il convient sur ce point de relever que l’adresse électronique utilisée par la Commission à cette occasion lui a été communiquée par la requérante, qui en a fait mention au bas de la télécopie ayant servi de support à la demande confirmative (ci‑après la « première adresse électronique »).

43      Le second aspect, relatif à la preuve fournie par la Commission pour attester de la date à partir de laquelle la notification serait intervenue, fait l’objet d’un désaccord entre les parties. Pour prouver la date à laquelle la notification de la première décision attaquée serait intervenue, la Commission invoque un document intitulé « delivery report », qui prend la forme d’un courriel émanant d’un « system administrator » adressé à une adresse électronique qui comporte le nom de domaine de la requérante précédé de l’expression « wmail ».

44      Le contenu de ce rapport de livraison peut être divisé en trois parties.

45      La première partie comporte le nom d’un des agents de la Commission, ce qui permet de présumer que c’est à partir de la messagerie affectée à cet agent qu’a été imprimé le rapport de livraison. Cette information a été confirmée par l’intéressé lors de l’audience.

46      La deuxième partie reprend les données permettant d’identifier différents éléments du rapport de livraison, à savoir son émetteur (« From : System Administrator »), son destinataire (une adresse électronique comportant la première lettre du prénom de la personne ayant adressé pour le compte de la requérante la demande initiale d’accès aux documents et la demande confirmative puis les trois premières lettres du nom de cette personne accolées au nom de domaine de la requérante précédé de l’expression « wmail », ci-après la « seconde adresse électronique ») ; sa date d’envoi (Sent : mercredi 27 janvier 2010 15 :26) et son objet (Subject : Delivered : Delivery report : Your confimatory application for access to documents under Regulation (EC) n° 1049/2001 – GESTDEM 2009/4886).

47      La troisième partie comporte le texte même du rapport de livraison. Celui-ci indique que le message adressé à la première adresse électronique, dont l’objet est « Your confimatory application for access to documents under Regulation (EC) n° 1049/2001 – GESTDEM 2009/4886 », a été immédiatement livré à la seconde adresse électronique, à savoir le 27 janvier 2010 à 15h26.

48      Lors de l’audience, les parties ont été interrogées sur la valeur probatoire susceptible d’être donnée à un tel rapport de livraison. En particulier, il a été demandé aux parties si ce document était de nature à conférer les mêmes garanties que celles offertes par la signature du destinataire ou d’une personne reconnue à cet effet en cas de notification effectuée par courrier rapide avec accusé de réception, moyen généralement utilisé par la Commission pour notifier une décision à une société ou à une personne physique. En réponse à ces questions, la Commission a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de confirmer que le rapport de livraison invoqué à titre de preuve n’était pas un document généré par ses propres services, mais un document provenant du destinataire ou d’une tierce personne autorisée. Pour sa part, la requérante a indiqué, en se référant sur ce point à un document produit en annexe de la réplique, que le contenu du rapport de livraison présenté par la Commission différait significativement dans la forme et dans le contenu du rapport de livraison émis par son propre système informatique. Elle conteste ainsi formellement que le document provienne de son système, ce dont témoigne déjà le fait qu’il a été imprimé à partir de la messagerie affectée à l’un des agents de la Commission.

49      Au vu du contenu du rapport de livraison produit par la Commission et compte tenu des indications exposées par les parties à ce propos, il y a donc lieu de considérer que la Commission n’est pas en mesure d’établir que la première décision attaquée a été portée à la connaissance de son destinataire le 27 janvier 2010 comme elle l’affirme. Tout porte à croire que le document précité provient du système informatique de la Commission et rien ne permet d’établir que le système informatique de la requérante se porte garant de la bonne réception du courriel par son destinataire, à l’instar par exemple de la valeur reconnue à la signature du destinataire ou d’une personne reconnue à cet effet en cas de notification effectuée par courrier rapide avec accusé de réception.

50      En l’espèce, une telle preuve aurait pu être fournie, par exemple, par un courriel en réponse adressé par le destinataire de l’acte.

51      Faute donc d’apporter la preuve requise à cet égard, la Commission n’est pas en mesure d’établir le caractère tardif du présent recours en ce qui concerne la première décision attaquée. La fin de non-recevoir présentée à cet égard doit donc être écartée.

52      À titre incident, en réponse à l’argument présenté par la Commission lors de l’audience, selon lequel la « notification » par courriel au double sens défini ci-dessus serait nécessaire en pratique pour permettre au destinataire d’obtenir une réponse rapide conforme aux délais prévus à cet effet par le règlement n° 1049/2001, il y a lieu de relever que, dans la présente affaire, cela reviendrait à imposer à la requérante une pratique qu’elle-même ne respecte pas. En effet, celle-ci a mis près de six semaines pour qu’un accusé de réception soit envoyé au destinataire, soit du 9 octobre 2009, date de transmission de la télécopie de la requérante présentant la demande confirmative à propos de laquelle la requérante produit un rapport de transmission du même jour, au 20 novembre 2009, date à laquelle la Commission a transmis un courriel à la requérante pour lui confirmer la réception de la demande confirmative.

 Sur le fond

 Résumé des arguments des parties

53      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens.

54      Le premier moyen, divisé en trois branches, est tiré de l’absence d’appréciation individuelle des documents et des conséquences que cela a pu avoir sur la première et la seconde décision attaquée. Dans une première branche, la requérante fait valoir que la Commission a violé le règlement n° 1049/2001 en n’examinant pas individuellement chaque document visé par les demandes d’accès afin d’apprécier si les exceptions invoquées étaient applicables. Dans une deuxième branche, elle reproche à la Commission d’avoir violé l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001 en décidant de n’accorder aucun accès partiel aux documents demandés. Dans une troisième branche, elle reproche également à la Commission de ne pas avoir recherché un arrangement équitable sur la base de l’article 6, paragraphe 3, dudit règlement.

55      Dans ses écritures, la Commission relève que la première et la seconde décision attaquée reposent sur l’analyse d’échantillons qui lui permet de conclure que la même justification peut être fournie pour refuser l’accès à tous les documents demandés. Elle soutient aussi que ces documents sont manifestement couverts dans leur intégralité par plusieurs exceptions au droit d’accès. Aucun accès partiel ne pourrait donc être accordé.

56      Le second moyen est pris de la violation des différentes dispositions invoquées par la Commission pour refuser l’accès aux documents demandés, à savoir l’article 4, paragraphe 1, sous a), quatrième tiret, du règlement n° 1049/2001, qui vise la politique économique de l’Union, l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, dudit règlement, qui vise la protection des intérêts commerciaux d’une personne morale, et l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de ce règlement, qui vise la sécurité publique. Selon la requérante, les motifs invoqués pour justifier l’application de ces exceptions sont trop abstraits et trop généraux. Les informations litigieuses ne mettraient pas en cause les droits des tiers. Elles ne seraient également pas de nature à compromettre sensiblement la sécurité publique ou un intérêt vital dans les relations internationales de l’Union.

57      La Commission soutient que les demandes de devis comportent des informations commercialement sensibles. Par recoupement, il serait possible d’obtenir le prix proposé par un contractant ou le prix d’un contrat spécifique. En outre, ces demandes porteraient sur un large éventail de systèmes informatiques et la divulgation de tous les éléments afférents en révélerait le fonctionnement et les faiblesses. Des tiers malveillants pourraient ainsi exploiter ou perturber le bon fonctionnement des systèmes informatiques de la Commission.

 Appréciation du Tribunal

58      Il est constant que le refus de donner accès aux documents demandés repose sur l’examen individuel d’une partie seulement de ces documents. La Commission indique ainsi, dans la première et la seconde décision attaquée, que c’est à la suite d’une « évaluation minutieuse », d’une part, de dix demandes de devis sur les 900 environ visées par la première demande et, d’autre part, de 57 demandes de devis sur les 6 000 environ visées par la seconde demande qu’elle est « arrivée à la conclusion qu’aucun accès ne pouvait être accordé ». La Commission considère également que l’accès au reste des demandes de devis ne peut pas être accordé étant donné que ces demandes sont de même nature que celles qui ont été examinées. Aucun examen individuel de ces documents ne serait donc nécessaire (voir points 16 à 18 ci‑dessus).

59      En l’espèce, le raisonnement de la Commission repose, essentiellement, sur le constat selon lequel les trois exceptions invoquées s’appliquent « aux demandes de devis dont l’accès est demandé » ou « à l’ensemble des demandes de devis » et sur le constat selon lequel « il est impossible d’accorder un accès partiel significatif sans nuire aux intérêts précités ». Pour ces raisons, la Commission conclut que les demandes de devis en cause sont « toutes couvertes dans leur intégralité par les exceptions au droit d’accès du public invoquées » (voir points 19 à 22 et 24 ci‑dessus).

60      En d’autres termes, à partir d’un examen réalisé sur un nombre limité de documents, la Commission s’estime en droit de refuser la divulgation de la totalité des documents demandés. Les raisons invoquées dans la première et la seconde décision attaquée s’appliqueraient ainsi à n’importe lequel de ces documents, qu’il ait ou non fait l’objet d’un examen individuel.

61      Il s’ensuit que la légalité de l’approche de la Commission, qui consiste à n’avoir examiné qu’un échantillon des documents demandés pour ensuite extrapoler les conclusions faites à la suite de cet examen au reste des documents, dépend nécessairement du bien-fondé de ces conclusions. En effet, s’il s’avère que les raisons invoquées pour refuser de donner le moindre accès, fût-il même partiel, aux 67 documents qui ont été examinés ne répondent pas aux exigences prescrites à cet égard par le règlement n° 1049/2001, cela sera de nature à entraîner non seulement l’annulation de la décision de la Commission relative aux documents examinés, mais aussi l’annulation de la décision relative à tous les autres documents demandés.

62      À cet égard, en ce qui concerne le bien-fondé des exceptions invoquées dans la première et la seconde décision attaquée, il convient de rappeler que, conformément à son premier considérant, le règlement n° 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, UE, inséré par le traité d’Amsterdam, de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le deuxième considérant dudit règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières. À cette fin, le règlement n° 1049/2001 vise, comme l’indique son quatrième considérant et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (arrêts de la Cour du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, Rec. p. I‑4723, points 33 et 34, et du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, non encore publié au Recueil, points 72 et 73).

63      Certes, ce droit n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. Plus spécifiquement, et en conformité avec son onzième considérant, ledit règlement prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant les institutions à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article. Néanmoins, dès lors que de telles exceptions dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (voir arrêt Suède/MyTravel et Commission, point 62 supra, points 74 et 75, et la jurisprudence citée).

64      Ainsi, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant aux questions de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement n° 1049/2001 que cette institution invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (voir arrêt Suède/MyTravel et Commission, point 62 supra, point 76, et la jurisprudence citée).

65      Un examen concret et individuel de chaque document est également nécessaire si, même dans l’hypothèse où il est clair qu’une demande d’accès vise des documents couverts par une exception, seul un tel examen peut permettre à l’institution d’apprécier la possibilité d’accorder un accès partiel au demandeur, conformément à l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001. Dans le cadre de l’application du code de conduite concernant l’accès du public aux documents du Conseil et de la Commission (JO 1993, L 340, p. 41), le Tribunal a d’ailleurs déjà considéré comme étant insuffisante une appréciation concernant des documents réalisée par catégories plutôt que par rapport aux éléments d’information concrets contenus dans ces documents, l’examen requis de la part d’une institution devant lui permettre d’apprécier concrètement si une exception invoquée s’applique réellement à l’ensemble des informations contenues dans lesdits documents (voir arrêt du Tribunal du 30 janvier 2008, Terezakis/Commission, T‑380/04, non publié au Recueil, point 87, et la jurisprudence citée).

66      C’est au regard de ces principes qu’il convient d’examiner les arguments des parties relatifs à la violation de l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001, aux termes duquel, « [s]i une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées ».

67      En l’espèce, il y a lieu de relever qu’il existe une contradiction entre la position adoptée par la Commission dans la première et la seconde décision attaquée et dans le mémoire en défense, où elle refuse expressément tout accès partiel au moindre document demandé par la requérante (voir point 24 ci‑dessus), et la position adoptée par cette institution dans la duplique ou, de nouveau, lors de l’audience.

68      Ainsi, dans un premier temps, la Commission a fait valoir dans le mémoire en défense, tout comme dans la première et la seconde décision attaquée, que tous les documents examinés étaient couverts dans leur intégralité par les exceptions invoquées et qu’aucun accès partiel significatif ne pouvait être accordé parce que cela nuirait aux intérêts protégés par ces exceptions.

69      Au stade de la duplique, la Commission a toutefois indiqué que plusieurs types d’informations contenues dans les demandes de devis n’étaient pas protégées par les trois exceptions invoquées dans la première et la seconde décision attaquée. À ce stade, la Commission a même reconnu que ces informations pouvaient en principe être divulguées à la requérante au titre de l’accès partiel aux documents demandés. Pour autant, la Commission a allégué qu’une telle divulgation partielle serait contraire à ce qu’elle estime être la « bonne administration ». Selon la Commission, de telles informations seraient « sans utilité au regard de l’objectif poursuivi par la requérante », et la mise en œuvre d’un tel accès partiel engendrerait une « charge administrative disproportionnée » pour ses services.

70      Étant donné que l’argumentation développée dans la duplique ne correspondait pas aux motifs exposés dans la première et la seconde décision attaquée pour rejeter la possibilité d’accorder un accès partiel aux documents demandés (voir point 24 ci‑dessus), le Tribunal a ordonné à la Commission de produire les 67 documents qui composent les deux échantillons évoqués dans la première et la seconde décision attaquée et lui a demandé d’indiquer, notamment, pour deux documents du premier échantillon et pour six documents du second échantillon, quelles étaient les informations qui relevaient de chacune des trois exceptions invoquées dans la première et la seconde décision attaquée et quelles étaient les informations qui auraient pu faire l’objet d’un accès partiel.

71      Il ressort des réponses de la Commission qu’une partie non négligeable de chacun des 67 documents examinés par elle n’est couverte par aucune des trois exceptions invoquées dans la première et la seconde décision attaquée et aurait pu être divulguée à la requérante sans nuire aux intérêts protégés par les exceptions invoquées, ce que la Commission a d’ailleurs reconnu lors de l’audience.

72      Pour ne donner qu’un exemple, s’agissant du premier des huit documents cités dans le tableau synoptique établi par la Commission et communiqué à la requérante lors de l’audience, il s’avère que seule une page sur les 28 que comporte ce document, à savoir la page 14 de l’annexe technique, est considérée par la Commission comme susceptible de relever de l’exception relative à la protection de la sécurité publique, seule exception invoquée en ce qui concerne ce document. Les 27 autres pages de ce document ne relèvent donc pas de la moindre exception au principe d’accès aux documents.

73      Force est de constater que la Commission n’est manifestement pas en mesure d’établir ce qu’elle affirme dans la première et la seconde décision attaquée quand elle indique qu’« il est impossible d’accorder un accès partiel significatif sans nuire aux intérêts précités » et qu’elle doit, par conséquent, conclure que « les demandes de devis […] sont toutes couvertes dans leur intégralité par les exceptions au droit d’accès du public invoquées. »

74      C’est donc à tort que la Commission a conclu qu’elle était en droit de refuser le moindre accès partiel aux 67 documents examinés par ses services et qu’elle pouvait étendre cette conclusion au reste des documents demandés.

75      De ce fait, la première et la seconde décision attaquée doivent être annulées.

76      Cette conclusion n’est remise en cause ni par l’allégation de la Commission selon laquelle une divulgation partielle serait contraire au principe de bonne administration, étant donné que les informations susceptibles d’être divulguées seraient sans utilité au regard de l’objectif poursuivi par la requérante et que la mise en œuvre d’un tel accès partiel engendrerait une charge de travail disproportionnée pour ses services, ni par le fait que, lors de l’audience, la Commission a indiqué qu’elle était prête à donner partiellement accès au 67 documents qu’elle avait examinés pour adopter la première et la seconde décision attaquée, tout en relevant qu’il serait disproportionné d’exiger d’elle qu’elle fasse de même pour le reste des documents demandés.

77      Tout d’abord, il y a lieu de relever que cette argumentation avancée par la Commission après l’adoption de la première et de la seconde décision attaquée ne peut pas être invoquée pour rectifier les motifs qui y figurent, lesquels ne correspondent pas au contenu des documents examinés comme cela ressort du tableau synoptique établi par la Commission et communiqué à la requérante lors de l’audience.

78      Ensuite, force est de constater que l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001 n’autorise pas l’interprétation suggérée par la Commission. D’une part, en effet, cette disposition, tout comme le règlement dans son ensemble, n’exige pas que le demandeur de documents démontre que le document demandé lui soit « utile ». En toute hypothèse, de plus, la détermination de ce qui est utile ou non pour le demandeur ne saurait appartenir à l’institution qui doit répondre à sa demande. D’autre part, la disposition ici en cause ne saurait être interprétée de telle manière qu’elle revienne à dispenser l’institution concernée d’une obligation, la divulgation des parties du document non visées par les exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001, qui y est expressément envisagée. Or, il ressort du règlement n° 1049/2001 que le plus grand accès possible aux documents doit être reconnu au public et que les exceptions à son droit d’accès doivent être interprétées strictement.

79      Enfin, sur le plan logique, la Commission ne peut alléguer être en droit, au vu du grand nombre de documents similaires, d’examiner une partie seulement des documents demandés à titre d’échantillons, pour apprécier la question de savoir s’ils doivent être divulgués au public, pour ensuite considérer, comme elle l’a soutenu à l’audience, que cet exercice ne vaut que pour les documents examinés s’il s’avère que cet examen permet de conclure à la divulgation totale ou partielle de ces documents. Si la Commission entend généraliser la portée du résultat de ce type d’examen des documents examinés aux documents qui n’ont pas été examinés, ses conclusions doivent valoir dans les deux sens : en cas de refus d’accès ou en cas d’accès.

80      Partant, en refusant l’accès à ces documents ou à ces parties de documents dont elle a admis, lors de l’audience, qu’ils auraient pu, à la suite d’un examen concret et individuel de leur contenu à l’aune des exceptions invoquées, être divulgués à la requérante, la Commission a commis une erreur de droit entraînant l’annulation de la première et de la seconde décision attaquée.

81      Par ailleurs, le Tribunal n’est pas convaincu que le raisonnement développé par la Commission dans la première et la seconde décision attaquée contre trois exceptions qui y sont invoquées puisse justifier, en l’état, le refus de donner accès à certaines parties des documents demandés.

82      S’agissant de la première exception invoquée, à savoir l’article 4, paragraphe 1, sous a), quatrième tiret, du règlement n° 1049/2001, qui habilite la Commission à refuser de donner accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique économique de l’Union, il y a seulement lieu d’observer que, si cette politique vise bien, comme l’indique la Commission dans la première et la seconde décision attaquée (voir point 20 ci‑dessus), à garantir une concurrence loyale et non faussée au sein du marché intérieur, il n’en demeure pas moins que les explications fournies à cet égard, dans la première et la seconde décision attaquée, pour justifier l’application de cette exception ne semblent pas suffisantes pour établir de quelle manière l’accès aux documents demandés pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à cet objectif, et ce d’une manière qui soit raisonnablement prévisible et non purement hypothétique.

83      Sur le plan théorique, en effet, la Commission tend à présumer que, si le public obtient les documents demandés, les soumissionnaires intéressés par les contrats susceptibles d’être conclus à l’avenir pourraient utiliser de telles informations pour « soumettre des offres manipulées faussant la concurrence ». En règle générale, une procédure d’appel d’offres où le prix pratiqué par le passé pour une prestation équivalente pourrait être connu des soumissionnaires s’ils recoupent les informations publiques disponibles paraît plus à même de déboucher sur une situation de réelle concurrence que sur une situation où celle-ci serait faussée.

84      Sur le plan pratique, il s’avère d’ailleurs que les informations que la Commission entend protéger sous couvert de cette exception correspondent au nombre de jours de travail demandé au destinataire de la demande de devis. Or, la Commission considère, elle-même, qu’une telle information n’est susceptible d’être protégée au titre de l’exception précitée que pour une partie seulement des documents fournis. Par exemple, l’information relative au nombre de jours de prestations est censée devoir être protégée pour quatre des huit documents cités dans le tableau synoptique communiqué à la requérante lors de l’audience (les documents 3.2, 3.4, 3.6 et 3.7), alors que ce ne serait pas le cas de l’aveu même de la Commission pour trois autres de ces documents (les documents 3.3, 3.5 et 3.8).

85      S’agissant de la deuxième exception invoquée, à savoir l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001, qui habilite la Commission à refuser de donner accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection des intérêts commerciaux d’une personne morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé, il y a lieu de relever que les documents demandés émanent de la Commission et non de ses cocontractants. Dans ce contexte, il semble a priori difficile de comprendre en quoi ces documents comportent des données commerciales sensibles concernant des tiers (voir point 21 ci‑dessus).

86      S’il ne peut être exclu que la Commission puisse revendiquer, en tant que telle, la protection de ses propres « intérêts commerciaux », notamment parce qu’elle a des relations commerciales avec les tiers et que cette protection intègre la « propriété intellectuelle », il n’en demeure pas moins que, en ce qui concerne la protection de tels intérêts, les explications fournies à cet égard dans la première et la seconde décision attaquée (voir point 21 ci‑dessus) ne paraissent pas suffisantes pour établir de quelle manière l’accès aux documents demandés pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à cet objectif, et ce d’une manière qui soit raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Comme il s’avère, d’ailleurs, que les informations que la Commission entend protéger sous couvert de cette exception correspondent au nombre de jours de travail demandé au destinataire de la demande de devis évoqué ci-dessus, le raisonnement développé à ce propos présente le même problème de cohérence que celui qui a déjà été évoqué à ce propos (voir point 84 ci-dessus).

87      S’agissant de la troisième exception invoquée, à savoir l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement n° 1049/2001, qui habilite la Commission à refuser de donner accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la sécurité publique, force est de rappeler que la requérante a démontré de manière probante en réponse aux questions du Tribunal qu’un certain nombre d’informations que la Commission estime susceptibles de relever de cette exception sont déjà disponibles pour le public. Cette démonstration faite par la requérante en ce qui concerne des documents comparables à ceux qui font l’objet de la première et de la seconde décision attaquée, à savoir les documents produits dans l’annexe 6 à la réplique, vaut par analogie en ce qui concerne les informations de même nature qui se trouvent également dans les documents qui font l’objet des décisions attaquées.

88      Dans ce contexte, les explications fournies dans la première et la seconde décision attaquée (voir point 22 ci‑dessus) ne paraissent pas suffisantes pour établir de quelle manière l’accès aux documents demandés pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à la sécurité publique, et ce d’une manière qui soit raisonnablement prévisible et non purement hypothétique.

89      En tout état de cause, il suffit de constater pour annuler la première et la seconde décision attaquée que celles-ci refusent à tort d’accorder un accès à tout le moins partiel aux documents demandés.

90      À titre surabondant, il y a lieu de relever que, même si, contrairement à ce qu’allègue la requérante, la Commission n’a pas violé l’article 6, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001, qui ne prévoit qu’une possibilité, mais pas une obligation, pour la Commission de se concerter avec la requérante en vue de trouver un arrangement équitable, quand elle se trouve face à une demande portant sur un très grand nombre de documents, une telle concertation facultative pourrait servir à éviter que la Commission ne se prononce sur la divulgation éventuelle d’informations qui n’intéressent pas le demandeur.

 Sur les dépens

91      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de celle-ci.

92      Le règlement de procédure ne visant que les dépens et non les « autres frais exposés par la requérante en relation avec le recours », ces derniers, qui n’ont d’ailleurs pas été définis ou précisés par la requérante, ne font pas l’objet de la condamnation qui précède et la demande tendant à ce que ceux-ci soient mis à la charge de la Commission ne peut, par conséquent, qu’être rejetée.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 27 janvier 2010 refusant l’accès aux demandes de devis concernant le lot 3 A de l’appel d’offres DIGIT/PO/2005/113 – ESP-DESIS est annulée.

2)      La décision de la Commission du 11 mars 2010 refusant l’accès aux demandes de devis relatives à tous les autres lots de l’appel d’offres précité, à tous les lots des appels d’offres DI/0005 ESP et ADMIN/DI/2/PO/2003/192 ESP-DIMA et au contrat-cadre BUDG/0101 est annulée.

3)      La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE.

Azizi

Vadapalas

Frimodt Nielsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 décembre 2012.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.