Language of document : ECLI:EU:C:2016:993

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 décembre 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/87/CE – Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Obligation de restitution des quotas d’émission pour les vols entre les États membres de l’Union et la plupart des pays tiers – Décision n° 377/2013/UE – Article 1er – Dérogation temporaire – Exclusion des vols à destination et en provenance d’aérodromes situés en Suisse – Différence de traitement entre États tiers – Principe général d’égalité de traitement – Inapplicabilité »

Dans l’affaire C‑272/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni], par décision du 6 mai 2015, parvenue à la Cour le 8 juin 2015, dans la procédure

Swiss International Air Lines AG

contre

The Secretary of State for Energy and Climate Change,

Environment Agency,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. E. Juhász, C. Vajda, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour Swiss International Air Lines AG, par M. J. Robinson et Mme M. Croft, solicitors, M. D. Piccinin, barrister, et M. M. Chamberlain, QC,

–        pour The Secretary of State for Energy and Climate Change, par M. N. Cohen, barrister,

–        pour l’Environment Agency, par M. J. Welsh, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. M. Holt, en qualité d’agent, assisté de MM. R. Palmer et J. Holmes, barristers,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Grasso, avvocato dello Stato,

–        pour le Parlement européen, par MM. J. Rodrigues, R. van de Westelaken et A. Tamás, en qualité d’agents,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes M. Simm et K. Michoel, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. K. Mifsud-Bonnici et E. White, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 juillet 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de la décision n° 377/2013/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 avril 2013, dérogeant temporairement à la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté (JO 2013, L 113, p. 1) au regard du principe général d’égalité de traitement et sur l’interprétation de l’article 340 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Swiss International Air Lines AG (ci-après « Swiss International ») au Secretary of State for Energy and Climate Change (ministre de l’Énergie et du Changement climatique, Royaume-Uni) et à l’Environment Agency (agence de l’environnement, Royaume-Uni), au sujet de la validité de la décision n° 377/2013 et de la réparation au titre des quotas d’émission de gaz à effet de serre restitués par Swiss International pour les vols à destination et en provenance de Suisse opérés au cours de l’année 2012.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2003/87

3        La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32), telle que modifiée par la directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008 (JO 2009 L 8, p. 3, ci-après la « directive 2003/87 »), dispose, à son article 12, paragraphe 2 bis:

« Les États membres responsables s’assurent que, au plus tard le 30 avril de chaque année, chaque exploitant d’aéronef restitue un nombre de quotas égal au total des émissions de l’année civile précédente, vérifiées conformément à l’article 15, résultant des activités aériennes visées à l’annexe I pour lesquelles il est considéré comme l’exploitant de l’aéronef. Les États membres veillent à ce que les quotas restitués conformément au présent paragraphe soient ensuite annulés. »

4        L’article 16 de cette directive, intitulé « Sanctions », est libellé comme suit :

« 1.      Les États membres déterminent le régime de sanctions applicable aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celui-ci. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces dispositions à la Commission et toute modification ultérieure dans les meilleurs délais.

2.      Les États membres veillent à publier le nom des exploitants et des exploitants d’aéronefs qui sont en infraction par rapport à l’exigence de restituer suffisamment de quotas en vertu de la présente directive.

3.      Les États membres s’assurent que tout exploitant ou exploitant d’aéronef qui, au plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de l’année précédente, soit tenu de payer une amende sur les émissions excédentaires. Pour chaque tonne d’équivalent-dioxyde de carbone émise pour laquelle l’exploitant ou exploitant d’aéronef n’a pas restitué de quotas, l’amende sur les émissions excédentaires est de 100 EUR. Le paiement de l’amende sur les émissions excédentaires ne libère pas l’exploitant ou exploitant d’aéronef de l’obligation de restituer un nombre de quotas égal à ces émissions excédentaires lors de la restitution des quotas correspondant à l’année civile suivante.

[...] »

 La décision n° 377/2013

5        Les considérants 4 à 6 et 9 de la décision n° 377/2013 sont libellés comme suit :

« (4) La négociation de tous les accords aériens entre l’Union et des pays tiers devrait viser à préserver la possibilité, pour l’Union, d’agir sur les questions environnementales, et notamment de prendre des mesures tendant à atténuer l’impact du secteur de l’aviation sur les changements climatiques.

(5)      Des progrès ont été réalisés au sein de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) sur la voie de l’adoption, lors de la 38e session de l’assemblée de l’OACI qui doit se tenir du 24 septembre au 4 octobre 2013, d’un cadre mondial pour une politique de réduction d’émissions qui facilite l’application de mesures fondées sur le marché aux émissions de l’aviation internationale, et pour l’élaboration de mesures fondées sur le marché (MBM) à un niveau mondial. Ce cadre pourrait contribuer de manière significative à la réduction des émissions nationales, régionales et mondiales de CO2.

(6)      Afin de faciliter ces progrès et de donner une impulsion supplémentaire, il est souhaitable de reporter l’application des exigences nées avant la 38e session de l’assemblée de l’OACI et qui concernent les vols à destination et en provenance d’aérodromes situés dans des pays hors de l’Union et qui ne sont pas membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE), dans des dépendances et territoires des États membres de l’Espace économique européen (EEE) ou dans des pays ayant signé un traité d’adhésion avec l’Union. Il convient donc de ne prendre aucune mesure à l’encontre des exploitants d’aéronefs en ce qui concerne les exigences résultant de la [directive 2003/87] concernant la déclaration des émissions vérifiées pour les années civiles 2010, 2011 et 2012 et concernant la restitution correspondante des quotas de 2012 associés aux vols à destination et en provenance de ces aérodromes. Il convient que les exploitants d’aéronefs qui souhaitent continuer à se conformer à ces exigences soient en mesure de le faire.

[...]

(9)      La dérogation prévue par la présente décision ne devrait pas porter atteinte à l’intégrité environnementale et à l’objectif fondamental de la législation de l’Union en matière de changement climatique, et ne devrait pas non plus donner lieu à des distorsions de concurrence. En conséquence, afin de préserver l’objectif fondamental de la directive 2003/87/CE, qui fait partie du cadre juridique devant permettre à l’Union de réaliser son engagement unilatéral de réduire ses émissions de 20 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2020, ladite directive devrait continuer à s’appliquer aux vols en provenance des aérodromes situés sur le territoire d’un État membre et à destination ou provenant d’aérodromes situés dans certaines zones ou certains pays se trouvant en dehors de l’Union mais étroitement liés ou associés à celle-ci. »

6        L’article 1er de cette décision dispose :

« Par dérogation à l’article 16 de la [directive 2003/87], les États membres ne prennent aucune mesure à l’encontre des exploitants d’aéronefs en ce qui concerne les exigences prévues à l’article 12, paragraphe 2 bis, et à l’article 14, paragraphe 3, de ladite directive pour les années civiles 2010, 2011 et 2012 pour une activité à destination et en provenance d’aérodromes situés dans des pays hors de l’Union qui ne sont pas membres de l’AELE, des dépendances et territoires des États de l’EEE ou des pays ayant signé un traité d’adhésion avec l’Union, lorsque ces exploitants d’aéronefs ne se sont pas vu délivrer de quotas à titre gratuit pour une telle activité au titre de l’année 2012 ou, s’ils se sont vu délivrer de tels quotas, ont rendu, le trentième jour après l’entrée en vigueur de la présente décision, un nombre de quotas du secteur de l’aviation de 2012 correspondant à la part de tonnes kilomètres vérifiées d’une telle activité sur la base de l’année de référence 2010 aux États membres en vue de leur annulation. »

7        Conformément à l’article 6 de ladite décision, celle-ci entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 25 avril 2013, et est applicable à partir du 24 avril 2013.

 Le droit du Royaume-Uni

8        Par la Greenhouse Gas Emissions Trading Scheme (Amendment) Regulations 2013 (acte de 2013 modifiant les règlements d’application du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre), le ministre de l’Énergie et du Changement climatique a modifié la réglementation nationale relative au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, dans l’objectif de mettre en œuvre la décision n° 377/2013.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Swiss International est une compagnie aérienne établie en Suisse.

10      Pour l’année 2012, cette société a acquis un certain nombre de quotas d’émission de gaz à effet de serre à titre gratuit et à titre onéreux. Elle a restitué les quotas correspondant aux émissions liées aux vols effectués entre les États membres de l’EEE et la Suisse opérés au cours de cette année.

11      Devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni], Swiss International a introduit un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la réglementation nationale en cause au principal, au motif que l’exclusion des vols à destination et en provenance de Suisse de la dérogation aux règles de la directive 2003/87 prévue par cette réglementation, mettant en œuvre la décision n° 377/2013, viole le principe général d’égalité de traitement.

12      D’autre part, Swiss International a demandé l’annulation de la restitution des quotas à laquelle elle a procédé pour les vols opérés au cours de l’année 2012 entre les États membres de l’EEE et la Suisse. À titre subsidiaire, elle a sollicité une compensation financière pour la valeur des quotas restitués qu’elle avait acquis à titre onéreux ou toute autre forme de réparation appropriée.

13      Ce recours ayant été rejeté, Swiss International a interjeté appel auprès de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni]. Devant cette juridiction, les parties au principal ont pris position, notamment, sur la demande d’annulation de la réglementation nationale en cause au principal. À cet égard, Swiss International a soutenu que la décision n° 377/2013 est contraire au principe d’égalité de traitement en ce qu’elle exclut les vols effectués entre les États membres de l’EEE et la Suisse de la dérogation aux dispositions de la directive 2003/87 mise en place pour les vols à destination ou en provenance de presque tous les autres pays tiers.

14      En effet, si la Cour a jugé, dans les arrêts du 22 janvier 1976, Balkan-Import-Export (55/75, EU:C:1976:8), du 28 octobre 1982, Faust/Commission (52/81, EU:C:1982:369), et du 10 mars 1998 Allemagne/Conseil (C‑122/95, EU:C:1998:94), que le principe d’égalité de traitement ne s’applique pas à tous égards lorsque l’Union opère une différence de traitement entre pays tiers dans ses relations extérieures, cette jurisprudence constituerait une exception limitée au principe d’égalité de traitement visant uniquement les situations dans lesquelles l’Union aurait exercé ses compétences en matière d’action extérieure, notamment, par la conclusion d’un accord international justifiant une différence de traitement entre pays tiers. Or, s’agissant du traitement différent des vols à destination ou en provenance de Suisse en cause au principal, il n’existerait pas un tel accord international ou autre acte de l’Union en matière de relations extérieures.

15      Cette différence de traitement ne serait pas non plus justifiée pour d’autres raisons. Elle ne pourrait, notamment, pas être justifiée par la proximité géographique de la Suisse avec l’Union. En effet, la dérogation prévue par la décision n° 377/2013 ne couvrant que les vols opérés au cours de l’année 2012 avant l’adoption de cette décision, son application également aux vols à destination et en provenance de Suisse ne pourrait fausser la concurrence. S’agissant de l’objectif de cette décision visant à ne pas affaiblir l’engagement unilatéral de l’Union de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici à l’année 2020, Swiss International a souligné que la Confédération suisse n’est pas partie à cet engagement unilatéral.

16      Le ministre de l’Énergie et du Changement climatique ainsi que l’agence de l’environnement se sont opposés à cette argumentation. Ils ont soutenu que le principe d’égalité de traitement ne s’applique pas à la différence de traitement que la décision n° 377/2013 opère entre des pays tiers afin de favoriser les négociations internationales au niveau de l’OACI. En outre, même si le principe d’égalité de traitement s’appliquait, le législateur de l’Union n’aurait pas dépassé les limites de sa marge d’appréciation en s’abstenant d’étendre la dérogation temporaire prévue par cette décision aux pays tiers étroitement liés ou associés à l’Union, tels que la Confédération suisse.

17      Dans ces conditions, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La décision n° 377/2013 est-elle contraire au principe général d’égalité de traitement, consacré en droit de l’Union, dans la mesure où elle déclare un moratoire sur les exigences en matière de restitution des quotas d’émission imposés par la [directive 2003/87], en ce qui concerne les vols entre [l’EEE] et presque tous les États ne faisant pas partie de l’EEE, mais n’étend pas ce moratoire aux vols entre les États de l’EEE et la Suisse ?

2)      En cas de réponse positive à la première question, quel recours doit pouvoir former un demandeur dans la situation de Swiss International, qui a restitué des quotas d’émission en ce qui concerne des vols ayant eu lieu en 2012 entre les États de l’EEE et la Suisse, afin de se retrouver dans la situation dans laquelle il aurait été si les vols entre les États de l’EEE et la Suisse n’avaient pas été exclus du moratoire ? En particulier :

a)      Le registre doit-il être rectifié pour refléter la quantité inférieure de quotas qu’un tel demandeur aurait eu l’obligation de restituer si les vols à destination ou en provenance de Suisse avaient été inclus dans le moratoire ?

b)      En cas de réponse positive à la question précédente, quel acte (le cas échéant) l’autorité nationale compétente et/ou la juridiction nationale doivent-elles adopter pour permettre que les quotas supplémentaires restitués soient rendus à un tel demandeur ?

c)      Un tel demandeur a-t-il le droit de demander des dommages et intérêts en application de l’article 340 TFUE à l’encontre du Parlement européen et du Conseil pour tout préjudice qu’il a subi du fait de la restitution de quotas supplémentaires causée par la décision n° 377/2013 ?

d)      Le demandeur doit-il pouvoir obtenir une autre forme de réparation et, le cas échéant, quelle réparation ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

18      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour d’examiner la validité de la décision n° 377/2013 au regard du principe d’égalité de traitement, dans la mesure où la dérogation temporaire que l’article 1er de celle-ci prévoit aux exigences résultant de l’article 12, paragraphe 2 bis, et de l’article 16 de la directive 2003/87, en ce qui concerne la restitution des quotas d’émission à effet de serre pour les vols opérés au cours de l’année 2012 entre les États membres de l’Union et la plupart des pays tiers, ne s’applique pas, notamment, pour les vols à destination et en provenance d’aérodromes situés en Suisse.

19      L’article 1er de la décision n° 377/2013 établit une distinction entre différents vols à destination ou en provenance de pays tiers, distinction qui est exclusivement fondée sur le pays de destination ou de provenance de ces vols situé hors de l’Union. Une telle distinction implique, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 36 de ses conclusions, une différence de traitement entre des pays tiers.

20      Dans la mesure où la Cour est interrogée sur la validité de la décision n° 377/2013 au regard du principe d’égalité de traitement, désormais consacré aux articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la question se pose de savoir si une différence de traitement entre des pays tiers relève de ce principe.

21      À cet égard, il convient de relever que les politiques internes de l’Union dans leurs aspects extérieurs figurent parmi les compétences de celle-ci en matière de relations extérieures (voir par analogie, s’agissant d’un acte pris en matière de marché intérieur et de politique agricole commune, arrêt du 22 janvier 1976, Balkan-Import-Export, 55/75, EU:C:1976:8, point 14).

22      La décision n° 377/2013 fait partie des mesures prises dans le cadre des compétences de l’Union en matière de relations extérieures. En effet, cette décision vise, ainsi qu’il ressort de ses considérants 5 et 6, à faciliter l’adoption d’un accord international au sein de l’OACI relatif à l’application de mesures fondées sur le marché aux émissions produites par l’aviation internationale et a été adoptée sur le fondement de la compétence externe dans le domaine de l’environnement résultant de l’article 192, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 191, paragraphe 1, quatrième tiret, de ce traité.

23      Or, la conduite des relations extérieures s’exerce par un large éventail de mesures qui ne se limitent pas à des mesures prises à l’égard de l’ensemble des pays tiers, et peut ainsi concerner également un ou plusieurs pays tiers.

24      Les institutions et les organes de l’Union disposent, dans la conduite des relations extérieures, d’une grande latitude de décision politique. En effet, ainsi que le Royaume-Uni, le Parlement et le Conseil l’ont souligné dans le cadre de la procédure devant la Cour, la conduite des relations extérieures implique nécessairement des choix de nature politique. L’Union doit, donc, être en mesure de faire ses choix politiques et d’opérer, en fonction des objectifs qu’elle poursuit, une distinction entre les pays tiers, sans être tenue d’accorder un traitement égal à tous ces pays. L’exercice des prérogatives de politique extérieure par les institutions et les organes de l’Union peut, ainsi, avoir pour conséquence qu’un pays tiers soit traité différemment par rapport à d’autres pays tiers.

25      À cet égard, il importe de souligner que le droit de l’Union ne consacre aucune obligation expresse de l’Union consistant à réserver un traitement égal à l’ensemble des pays tiers. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 65 de ses conclusions, le droit international public ne comporte pas de principe général d’égalité de traitement entre pays tiers. Partant, dès lors qu’une application du principe d’égalité de traitement aux pays tiers restreindrait unilatéralement les possibilités d’action de l’Union sur le plan international, il ne saurait être considéré que l’Union a pu reconnaître une telle exigence sans consacrer l’égalité de traitement des pays tiers de manière expresse dans les traités.

26      Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, il n’existe pas dans le traité FUE de principe général obligeant l’Union, dans ses relations extérieures, à consentir à tous égards un traitement égal aux différents pays tiers et les opérateurs économiques ne sont en tout cas pas fondés à invoquer l’existence d’un tel principe (voir, notamment, arrêts du 22 janvier 1976, Balkan-Import-Export, 55/75, EU:C:1976:8, point 14 ; du 28 octobre 1982, Faust/Commission, 52/81, EU:C:1982:369, point 25 ; du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, EU:C:1998:94, point 56, ainsi que du 10 mars 1998, T. Port, C‑364/95 et C‑365/95, EU:C:1998:95, point 76).

27      Or, Swiss International soutient que cette jurisprudence n’établit qu’une exception limitée au principe d’égalité de traitement. Cette exception s’appliquerait uniquement dans les situations dans lesquelles l’Union aurait exercé ses compétences en matière d’action extérieure, notamment par la conclusion d’un accord international justifiant une différence de traitement entre pays tiers. S’agissant de la décision n° 377/2013 adoptée afin de promouvoir la conclusion d’un accord international au sein de l’OACI, une telle action extérieure ferait cependant défaut, de sorte que la différence de traitement résultant de cette décision devrait être objectivement justifiée.

28      À cet égard, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient Swiss International, ladite jurisprudence ne saurait être comprise en ce sens qu’elle soumet, en principe, les relations de l’Union avec des pays tiers au respect du principe d’égalité de traitement.

29      Bien au contraire, la jurisprudence citée au point 25 du présent arrêt vise à dispenser les institutions et les organes de l’Union de l’application du principe d’égalité de traitement par rapport aux pays tiers, afin de préserver leur capacité d’action politique sur le plan international. Ainsi, la Cour a relevé, d’une manière générale, qu’une différence de traitement entre pays tiers n’est pas contraire au droit de l’Union, en mettant l’accent sur l’absence de toute obligation de traiter des pays tiers de manière égale (voir, en ce sens, arrêts du 28 octobre 1982, Faust/Commission, 52/81, EU:C:1982:369, points 25 et 27 ; du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, EU:C:1998:94, point 56, ainsi que du 10 mars 1998, T. Port, C‑364/95 et C‑365/95, EU:C:1998:95, point 76).

30      L’inapplicabilité du principe d’égalité de traitement aux relations de l’Union avec des pays tiers est confirmée par la manière dont la Cour a mis en œuvre le principe jurisprudentiel rappelé au point 26 du présent arrêt. Ainsi, dans l’arrêt du 28 octobre 1982, Faust/Commission (52/81, EU:C:1982:369, point 25), la Cour s’est limitée à constater que le traitement différent de certaines importations résultait d’une différence de traitement entre pays tiers, pour conclure que cette différence de traitement n’était pas contraire au droit de l’Union. De la même manière, la Cour a jugé qu’un traitement différent des opérateurs commercialisant des produits originaires des pays tiers, qui était la conséquence automatique d’une différence de traitement entre pays tiers, n’était pas contraire au principe général d’égalité de traitement (voir arrêts du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, EU:C:1998:94, points 56 à 58, ainsi que du 10 mars 1998, T. Port, C‑364/95 et C‑365/95, EU:C:1998:95, points 76 et 77).

31      Si la Cour a procédé, au point 15 de l’arrêt du 22 janvier 1976, Balkan-Import-Export (55/75, EU:C:1976:8), à un examen de la comparabilité des fromages bulgares et suisses, il y a lieu de considérer, ainsi que le Parlement l’a relevé dans ses observations soumises à la Cour, que cet examen avait un caractère surabondant et ne saurait donc mettre en cause le constat figurant au point 14 de cet arrêt selon lequel le principe d’égalité de traitement ne s’applique pas aux relations de l’Union avec des pays tiers.

32      Il en résulte que, contrairement à ce que soutient Swiss International, la jurisprudence citée au point 26 du présent arrêt n’a pas établi d’« exception » au principe d’égalité de traitement qu’il y aurait lieu d’interpréter strictement.

33      En outre, cette jurisprudence ne se limite pas à des situations présupposant l’exercice antérieur des compétences externes de l’Union par une action extérieure, telle qu’un accord international, mais vise une différence de traitement entre pays tiers, différence qui s’étend également à des mesures unilatérales de l’Union tendant à promouvoir la conclusion d’un accord international, telles que la décision n° 377/2013.

34      En effet, contrairement à ce que soutient Swiss International, la Cour a également appliqué ladite jurisprudence dans des cas où la différence de traitement entre pays tiers ne découlait pas de l’exercice antérieur des compétences externes de l’Union, notamment par la conclusion d’un accord international de l’Union. Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 octobre 1982, Faust/Commission (52/81, EU:C:1982:369), la différence de traitement entre pays tiers en cause résultait non pas d’un accord international conclu par l’Union, mais d’une réglementation de celle-ci qui suspendait de manière unilatérale la délivrance de certificats d’importation de certains produits provenant de tous les pays tiers, à l’exception des pays tiers étant en mesure d’assurer que les exportations de ces produits vers l’Union ne dépassent pas certaines quantités.

35      Il s’ensuit que la différence de traitement entre des pays tiers dans le cadre des relations extérieures de l’Union établie à l’article 1er de la décision n° 377/2013 ne relève pas du principe d’égalité de traitement.

36      Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire, afin de répondre à la première question, d’examiner si une telle différence de traitement peut être objectivement justifiée.

37      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’examen au regard du principe d’égalité de traitement de la décision n° 377/2013 n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de cette décision, dans la mesure où la dérogation temporaire que l’article 1er de celle-ci prévoit aux exigences résultant de l’article 12, paragraphe 2 bis, et de l’article 16 de la directive 2003/87, en ce qui concerne la restitution des quotas d’émission à effet de serre pour les vols opérés au cours de l’année 2012 entre les États membres de l’Union et la plupart des pays tiers, ne s’applique pas, notamment, pour les vols à destination et en provenance d’aérodromes situés en Suisse.

 Sur la seconde question

38      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde question.

 Sur les dépens

39      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’examen au regard du principe d’égalité de la décision n° 377/2013/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 avril 2013, dérogeant temporairement à la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de cette décision, dans la mesure où la dérogation temporaire que l’article 1er de celle-ci prévoit aux exigences résultant de l’article 12, paragraphe 2 bis, et de l’article 16 de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, telle que modifiée par la directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, en ce qui concerne la restitution des quotas d’émission à effet de serre pour les vols opérés au cours de l’année 2012 entre les États membres de l’Union européenne et la plupart des pays tiers, ne s’applique pas, notamment, pour les vols à destination et en provenance d’aérodromes situés en Suisse.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.