Language of document : ECLI:EU:C:2021:715

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

9 septembre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transports par route – Harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale – Règlement (CE) no 561/2006 – Article 3, sous a) – Non-application du règlement aux transports routiers effectués par des véhicules affectés au transport de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km – Véhicule affecté à un usage mixte – Article 19, paragraphe 2 – Sanction extraterritoriale – Infraction constatée sur le territoire d’un État membre commise sur le territoire d’un autre État membre – Principe de légalité des délits et des peines – Règlement (CEE) no 3821/85 – Appareil de contrôle dans le domaine des transports par route – Article 15, paragraphe 2 – Obligation d’insertion de la carte de conducteur – Article 15, paragraphe 7 – Obligation de présenter à toute demande d’un agent de contrôle la carte de conducteur – Défaut d’insertion de la carte de conducteur dans l’appareil de contrôle affectant plusieurs des 28 jours précédant la journée de contrôle »

Dans l’affaire C‑906/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 7 mai 2019, parvenue à la Cour le 11 décembre 2019, dans la procédure pénale contre

FO,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász (rapporteur), C. Lycourgos et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement français, par Mme E. de Moustier et M. A. Ferrand, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme C. Vrignon et M. L. Malferrari, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 mars 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, sous a), et de l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil (JO 2006, L 102, p. 1), lus en combinaison avec le règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1985, L 370, p. 8), tel que modifié par le règlement no 561/2006 (ci-après le « règlement no 3821/85).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée par le ministère public (France) contre FO, dirigeant d’une société de transport routier établie en Allemagne, en raison du défaut d’insertion, par l’un des conducteurs d’autocars employés par sa société, de la carte de conducteur dans le tachygraphe du véhicule que conduisait ce dernier.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement no 3821/85

3        Le règlement no 3821/85 a abrogé et remplacé le règlement (CEE) no 1463/70 du Conseil, du 20 juillet 1970, concernant l’introduction d’un appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1970, L 164, p. 1). Le règlement no 3821/85 a lui-même été abrogé et remplacé par le règlement (UE) no 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, relatif aux tachygraphes dans les transports routiers, abrogeant le règlement no 3821/85 et modifiant le règlement no 561/2006 (JO 2014, L 60, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits au principal, il y a lieu d’avoir égard au règlement no 3821/85.

4        L’article 3, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 3821/85 disposait :

« L’appareil de contrôle est installé et utilisé sur les véhicules affectés au transport par route de voyageurs ou de marchandises et immatriculés dans un État membre, à l’exception des véhicules visés à l’article 3 du règlement [no 561/2006]. »

5        L’article 15 du règlement no 3821/85 prévoyait :

« [...]

2.      Les conducteurs utilisent les feuilles d’enregistrement ou les cartes de conducteur chaque jour où ils conduisent, dès le moment où ils prennent en charge le véhicule. La feuille d’enregistrement ou la carte de conducteur n’est pas retirée avant la fin de la période de travail journalière, à moins que son retrait ne soit autrement autorisé. Aucune feuille d’enregistrement ou carte de conducteur ne peut être utilisée pour une période plus longue que celle pour laquelle elle a été destinée.

[...]

3.      Les conducteurs :

–        veillent à la concordance entre le marquage horaire sur la feuille et l’heure légale du pays d’immatriculation du véhicule,

–        actionnent les dispositifs de commutation permettant d’enregistrer séparément et distinctement les périodes de temps suivantes :

a)      [...] le temps de conduite ;

b)      par “autre tâche”, on entend toute activité autre que la conduite, définie à l’article 3, point a), de la directive 2002/15/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 relative à l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier [(JO 2002, L 80, p. 35)], ainsi que toute activité accomplie pour le même ou un autre employeur dans le secteur du transport ou en dehors ; [...]

[...]

7.      a)      Lorsque le conducteur conduit un véhicule équipé d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I, il doit être en mesure de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle :

i)      les feuilles d’enregistrement de la semaine en cours et celles qu’il a utilisées au cours des quinze jours précédents ;

ii)      la carte de conducteur s’il est titulaire d’une telle carte ; et

iii)      toute information recueillie manuellement et toute sortie imprimée pendant la semaine en cours et pendant les quinze jours précédents, tels que prévus par le présent règlement et par le règlement [no 561/2006].

Toutefois, après le 1er janvier 2008, les durées visées aux points i) et iii) couvrent la journée en cours et les vingt-huit jours précédents.

b)      Lorsque le conducteur conduit un véhicule équipé d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I B, il doit être en mesure de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle :

i)      la carte de conducteur dont il est titulaire ;

ii)      toute information recueillie manuellement et toute sortie imprimée pour la semaine en cours et pour les quinze jours précédents, tels que prévus par le présent règlement et par le règlement [no 561/2006] ; et

iii)      les feuilles d’enregistrement correspondant à la même période que celle visée au point ii), dans le cas où il aurait conduit, pendant cette période, un véhicule équipé d’un appareil d’enregistrement conforme à l’annexe I.

Toutefois, après le 1er janvier 2008, les durées visées au point ii) couvrent la journée en cours et les [28] jours précédents.

c)      Un agent de contrôle habilité peut vérifier le respect du règlement [no 561/2006] en analysant les feuilles d’enregistrement, les données affichées ou imprimées qui ont été enregistrées par l’appareil de contrôle ou par la carte de conducteur ou, à défaut, en analysant tout autre document probant témoignant du non-respect de dispositions telles que celles prévues à l’article 16, paragraphes 2 et 3.

[...] »

 Le règlement no 561/2006

6        Le considérant 17 du règlement no 561/2006, qui a remplacé et abrogé le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par la route (JO 1985, L 370, p. 1), énonce :

« (17)      Le présent règlement vise à améliorer les conditions sociales pour les travailleurs auxquels il s’applique, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière en général. [...] »

7        L’article 1er du règlement no 561/2006 est ainsi libellé :

« Le présent règlement fixe les règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route afin d’harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestre, en particulier en ce qui concerne le secteur routier, et d’améliorer des conditions de travail et la sécurité routière. Le présent règlement vise également à promouvoir de meilleures pratiques de contrôle et d’application des règles par les États membres et de meilleures méthodes de travail dans le secteur du transport routier. »

8        L’article 3, sous a), de ce règlement indique que celui-ci ne s’applique pas aux transports routiers effectués par des « véhicules affectés au transport de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km ».

9        En vertu de l’article 4, sous e), dudit règlement, aux fins de celui-ci, on entend par « autre tâche » « toute activité, à l’exception de la conduite, définie comme temps de travail à l’article 3, point a), de la directive [2002/15], y compris toute activité accomplie pour le même ou un autre employeur dans le secteur du transport ou en dehors ».

10      L’article 6 du règlement no 561/2006, qui fixe les durées maximales de conduite journalières, hebdomadaires et sur deux semaines consécutives, précise, à son paragraphe 5 :

« Un conducteur enregistre comme autre tâche, tout temps tel que défini à l’article 4, point e), ainsi que tout temps passé à conduire un véhicule utilisé pour des opérations commerciales n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement, et enregistre toute période de disponibilité, telle que définie à l’article 15, paragraphe 3, point c), du règlement [no 3821/85], depuis son dernier temps de repos journalier ou hebdomadaire. Cet enregistrement est inscrit manuellement sur une feuille d’enregistrement, sur une sortie imprimée ou à l’aide de la fonction de saisie manuelle offerte par l’appareil de contrôle. »

11      Le chapitre V du règlement no 561/2006, intitulé « Procédures de contrôle et sanctions », comporte les articles 16 à 25 de celui-ci.

12      L’article 19 de ce règlement dispose :

« 1.      Les États membres établissent des règles concernant les sanctions pour infraction au présent règlement et au règlement [no 3821/85] et prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires. Aucune infraction au présent règlement ou au [règlement no 3821/85] ne donne lieu à plus d’une sanction ou plus d’une procédure. Les États membres notifient à la Commission ces mesures ainsi que le régime des sanctions au plus tard à la date visée à l’article 29, second alinéa. La Commission informe les États membres en conséquence.

2.      Tout État membre permet aux autorités compétentes d’infliger une sanction à une entreprise et/ou à un conducteur pour une infraction au présent règlement constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction, même si l’infraction a été commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers.

[...]

4.      Les États membres veillent à ce qu’un système de sanctions proportionné, qui peut inclure des sanctions financières, soit mis en place en cas d’infraction au présent règlement ou au [règlement no 3821/85] par des entreprises ou des expéditeurs associés, chargeurs, tour-opérateurs, commissionnaires de transport, sous-traitants et agences employant des conducteurs qui leur sont associés. »

 Le droit français

13      Selon l’article L. 3315‑5, premier alinéa, du code des transports, est puni de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le fait de se livrer à un transport routier avec une carte de conducteur non conforme ou n’appartenant pas au conducteur l’utilisant, ou sans carte insérée dans le chronotachygraphe du véhicule.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Le 2 avril 2013, à Versailles (France), les fonctionnaires de la division de la prévention et de la répression de la délinquance routière ont procédé au contrôle routier d’un car exploité par une entreprise de transport ayant son siège à Sengenthal (Allemagne).

15      Lors de ce contrôle, le conducteur a été invité à justifier de son activité pour la journée en cours ainsi que pour les 28 jours précédents. Il a alors été constaté que, pendant 9 jours relevant de la période allant du 5 au 16 mars 2013, le véhicule avait circulé sans que la carte de conducteur ait été insérée dans le tachygraphe.

16      À la suite de ces faits, FO, dirigeant de ladite entreprise de transport, a été poursuivi, sur le fondement de l’article L. 3315‑5, premier alinéa, du code des transports, pour avoir commis, à neuf reprises, le délit visé à cette disposition.

17      Le tribunal correctionnel de Versailles (France) a déclaré les faits établis et a prononcé à l’encontre du prévenu une amende de 10 125 euros.

18      Devant la cour d’appel de Versailles (France), FO a excipé de l’incompétence territoriale des juridictions pénales françaises. En effet, ni la loi française, en raison du principe de territorialité de la loi pénale, ni l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006 ne permettraient aux autorités françaises de poursuivre l’auteur des faits incriminés, ceux-ci ayant été commis sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne.

19      Par arrêt du 2 mai 2018, la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement de première instance tant sur la culpabilité que sur la peine. S’agissant, en particulier, de l’exception d’incompétence soulevée par FO, elle a constaté que les faits incriminés relevaient des dispositions de l’article L. 3315‑5 du code des transports prises pour l’application du règlement no 3821/85, et souligné que la dérogation expresse au principe de territorialité des poursuites, prévue à l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006, visait non seulement les dispositions de ce dernier règlement, mais aussi celles du règlement no 3821/85.

20      FO a introduit un pourvoi devant la Cour de cassation (France), en lui demandant, sur la question de la compétence territoriale des juridictions pénales françaises, de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

21      FO reproche, par ailleurs, à la cour d’appel de Versailles de ne pas avoir répondu à son argumentation selon laquelle la réglementation sur la durée de conduite et les temps de repos ne s’appliquait pas aux trajets de ligne de moins de 50 km. En particulier, FO soutient que, pendant les 9 jours s’inscrivant dans la période des 28 jours précédant le jour du contrôle, le conducteur du véhicule en cause au principal n’était pas soumis à l’obligation d’insérer la carte de conducteur dans le tachygraphe, étant donné que, lors des trajets effectués ces jours-là, le véhicule était affecté au transport de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépassait pas 50 km. Selon FO, ces trajets ne relevant pas du règlement no 561/2006, en vertu de l’article 3, sous a), de celui-ci, les obligations prévues à l’article 15 du règlement no 3821/85 ne s’imposaient pas auxdits trajets.

22      La Cour de cassation s’interroge, en premier lieu, sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006.

23      À cet égard, cette juridiction relève que, si FO considère que cette disposition permet seulement à un État membre de sanctionner les infractions au règlement no 561/2006 constatées sur son territoire et commises sur le territoire d’un autre État membre, il serait possible d’interpréter ladite disposition en ce sens qu’elle autorise également la sanction des infractions au règlement no 3821/85 commises sur le territoire d’un autre État membre, dès lors que la sanction de telles infractions pourrait être regardée comme nécessaire à la répression des infractions au règlement no 561/2006. En outre, et alors qu’une disposition doit être interprétée en tenant compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie, l’interprétation large de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006 correspondrait à l’objectif poursuivi par ce règlement, qui est l’amélioration des conditions de travail du personnel du secteur routier et en général de la sécurité routière.

24      La Cour de cassation fait aussi observer que l’infraction à l’obligation, prévue à l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85, de présenter à toute demande d’un agent de contrôle les feuilles de contrôle et toute information pour la journée en cours et les 28 jours précédents, est nécessairement constatée sur le territoire de l’État membre où a lieu le contrôle et qui engage la poursuite, de sorte que la question de savoir si l’infraction a été commise, en partie, sur le territoire d’un autre État membre ne se poserait pas.

25      En second lieu, la Cour de cassation s’interroge sur le point de savoir si les obligations prévues à l’article 15 du règlement no 3821/85 s’imposent en cas d’usage « mixte » d’un véhicule, c’est-à-dire lorsque le véhicule est affecté, au cours d’une période de 28 jours, à la fois à des transports de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km, au sens de l’exception prévue à l’article 3, sous a), du règlement no 561/2006, et à des transports relevant du champ d’application de ce règlement.

26      Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions du paragraphe 2 de l’article 19 du règlement [no 561/2006], selon lesquelles “[t]out État membre permet aux autorités compétentes d’infliger une sanction à une entreprise et/ou à un conducteur pour une infraction au présent règlement constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction, même si l’infraction a été commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers”, s’appliquent-elles uniquement aux infractions aux dispositions de ce règlement ou également aux infractions à celles du règlement [no 3821/85], auquel s’est substitué le règlement no 165/2014 ?

2)      L’article 3, sous a), du règlement [no 561/2006], doit-il être interprété en ce sens qu’il est permis à un conducteur de déroger aux dispositions des paragraphes 2 et 7 de l’article 15 du règlement [no 3821/85], auquel s’est substitué le règlement [no 165/2014], selon lesquelles le conducteur doit être en mesure de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle, les feuilles d’enregistrement et toute information pour la journée en cours et les 28 jours précédents, en cas d’usage au cours d’une période de 28 jours d’un véhicule pour des trajets dont certains entrent dans les prévisions des dispositions de l’exception précitée, et d’autres n’autorisent aucune dérogation à l’usage d’un appareil de contrôle ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la seconde question

27      Par sa seconde question, à laquelle il convient de répondre en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, sous a), du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens qu’un conducteur qui effectue des transports routiers relevant du champ d’application de ce règlement est tenu de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle, la carte de conducteur, les feuilles d’enregistrement et toute information pour la période composée de la journée du contrôle et des 28 jours précédents, conformément à l’article 15, paragraphes 2, 3 et 7, du règlement no 3821/85, même lorsque, au cours de cette période, ce conducteur a également effectué, avec le même véhicule, des transports de voyageurs dans le cadre de services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km.

28      Il ressort de la décision de renvoi que cette question est posée dans le contexte d’un litige dans le cadre duquel le dirigeant de l’entreprise de transport en cause a été poursuivi en raison du fait qu’un conducteur employé par celle-ci n’a pas inséré la carte de conducteur dans le tachygraphe pendant une période au cours de laquelle il a effectué des transports de voyageurs, relevant d’un service régulier, dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km.

29      Il y a lieu de rappeler que le règlement no 561/2006, ainsi qu’il ressort de son article 1er, fixe les règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route, afin d’harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestres, en particulier en ce qui concerne le secteur routier, et d’améliorer les conditions de travail et la sécurité routière, tout en visant à promouvoir de meilleures pratiques de contrôle et d’application des règles par les États membres et de meilleures méthodes de travail dans le secteur du transport routier. Quant au règlement no 3821/85, il fixe plus particulièrement les prescriptions applicables à l’homologation, à l’installation, aux vérifications et à l’utilisation des appareils de contrôle utilisés dans le domaine des transports routiers afin de vérifier le respect de certaines dispositions de la législation sociale en matière de transport, en particulier celles prévues par le règlement no 561/2006.

30      Conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 3821/85, les véhicules affectés au transport par route de voyageurs ou de marchandises et immatriculés dans un État membre de l’Union, à l’exception des véhicules visés à l’article 3 du règlement no 561/2006, doivent être munis d’un appareil de contrôle. Or, aux termes de l’article 3, sous a), de ce dernier règlement, celui-ci ne s’applique pas aux transports routiers effectués par des véhicules affectés au transport de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km.

31      Il convient, dès lors, de déterminer, dans quelle mesure cette exclusion du champ d’application du règlement no 561/2006 est susceptible d’exercer une incidence sur les obligations prévues à l’article 15 du règlement no 3821/85 en matière d’enregistrement du temps de conduite et de contrôle, dans le cas de l’utilisation mixte d’un véhicule, telle que celle en cause au principal, consistant à effectuer en partie des transports routiers relevant des dispositions du règlement no 561/2006 et en partie des transports de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km.

32      En ce qui concerne le libellé de l’article 3, sous a ), du règlement no 561/2006, il y a lieu de faire observer que l’expression « véhicules affectés » au transport de voyageurs par « des services réguliers » dont la ligne de parcours ne dépasse pas 50 km, figurant à cette disposition, suggère, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, que celle-ci ne couvre que les véhicules affectés exclusivement à un tel transport, à l’exclusion des véhicules qui ne seraient utilisés que de manière occasionnelle à cette fin.

33      Par ailleurs, il convient de faire observer que l’article 3, sous a), du règlement no 561/2006, en ce qu’il introduit une exception au champ d’application de ce règlement, doit être interprété de manière stricte. En particulier, une telle exception ne saurait être interprétée de façon à étendre ses effets au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des intérêts qu’elle vise à garantir et la portée de celle-ci doit être déterminée en tenant compte des finalités de la réglementation en cause (voir, par analogie, arrêt du 3 octobre 2013, Lundberg, C‑317/12, EU:C:2013:631, point 20 et jurisprudence citée).

34      Or, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par le règlement no 561/2006, il convient de rappeler que, conformément à son considérant 17 et à son article 1er, ce règlement vise à harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestre, en particulier concernant le secteur routier, et à améliorer les conditions de travail du personnel de ce secteur ainsi que la sécurité routière, lesdits objectifs se traduisant notamment par l’obligation de munir, en principe, les véhicules de transport par route d’un tachygraphe agréé permettant de contrôler le respect des temps de conduite et de repos des conducteurs (arrêt du 2 mars 2017, Casa Noastră, C‑245/15, EU:C:2017:156, point 28 et jurisprudence citée).

35      À cet égard, il importe de souligner que la Cour a déjà jugé que l’obligation pour le conducteur d’enregistrer toute période visée à l’article 15, paragraphe 3, sous b), du règlement no 3821/85 concerne également les périodes consacrées par celui-ci à la conduite dans le cadre d’un service de transport qui, en vertu de l’article 4, point 3, du règlement no 3820/85 et de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 3821/85, échappe au domaine d’application du règlement no 3821/85. En effet, une telle période constitue une période d’activité réelle du conducteur, au cours de laquelle il ne dispose pas librement de son temps et qui, dans la mesure où elle aura des effets sur l’état de fatigue du conducteur, est susceptible d’influencer la conduite de ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2001, Skills Motor Coaches e.a., C‑297/99, EU:C:2001:37, points 10, 25 et 36 à 39).

36      L’influence sur la capacité de conduire peut intervenir même si les journées où l’enregistrement fait défaut sont autres que celles où l’enregistrement s’effectue régulièrement. En effet, le non-respect des règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos non révélé par l’appareil de contrôle pendant les journées où l’enregistrement fait défaut peut avoir un effet négatif sur la capacité physique et psychologique du conducteur pendant une période ultérieure.

37      Cette interprétation est corroborée par l’article 6, paragraphe 5, du règlement no 561/2006, qui impose au conducteur d’enregistrer comme « autre tâche », tout temps passé à conduire un véhicule utilisé pour des opérations commerciales n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement.

38      Dès lors, retenir une interprétation de l’article 3, sous a), du règlement no 561/2006 selon laquelle l’exclusion du champ d’application de celui-ci prévue à cette disposition n’est pas limitée à l’utilisation exclusive du véhicule concerné aux fins du transport routier particulier visé à ladite disposition irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par ce règlement consistant à améliorer les conditions de travail et la sécurité routière, en rendant inapplicable le règlement no 561/2006 à certains usages de ce véhicule susceptibles d’affecter la conduite et en excluant la prise en compte de ces usages dans le contrôle du respect de l’article 15, paragraphes 2, 3 et 7, du règlement no 3821/85.

39      Dans ces conditions, il convient de répondre à la seconde question que l’article 3, sous a), du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens qu’un conducteur qui effectue des transports routiers relevant du champ d’application de ce règlement est tenu de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle, la carte de conducteur, les feuilles d’enregistrement et toute information pour la période composée de la journée du contrôle et des 28 jours précédents, conformément à l’article 15, paragraphes 2, 3 et 7, du règlement no 3821/85, même lorsque, au cours de cette période, ce conducteur a également effectué, avec le même véhicule, des transports de voyageurs dans le cadre de services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km.

 Sur la première question

40      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes d’un État membre puissent imposer une sanction au conducteur d’un véhicule ou à une entreprise de transport, pour une infraction au règlement no 3821/85 commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers, mais constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction.

41      Il convient de relever d’emblée que, selon ses propres termes dépourvus d’ambiguïté, l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006 prévoit qu’un État membre permet aux autorités compétentes d’infliger une sanction à une entreprise et/ou à un conducteur pour une infraction constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction, même si cette infraction a été commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers, uniquement lorsqu’il s’agit d’une infraction « au présent règlement ». L’usage de ces derniers termes met ainsi clairement en évidence que cette disposition vise les infractions au seul règlement no 561/2006 et non celles au règlement no 3821/85.

42      Cette interprétation littérale est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006.

43      En effet, il y a lieu de relever que, pour sa part, l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 impose explicitement aux États membres d’établir des règles concernant les sanctions pour infraction à ce règlement « et » au règlement no 3821/85, et précise, de même, à son paragraphe 4, que les États membres doivent veiller à ce qu’un système de sanctions proportionné, qui peut inclure des sanctions financières, soit mis en place en cas d’infraction au règlement no 561/2006 « ou » au règlement no 3821/85.

44      Or, la circonstance que cet article 19 vise, à ses paragraphes 1 et 4, les infractions aux règlements nos 561/2006 et 3821/85, tout en ne faisant référence, à son paragraphe 2, qu’aux infractions au règlement no 561/2006, confirme que ce dernier paragraphe ne saurait être interprété comme visant les infractions au règlement no 3821/85.

45      Il s’ensuit que, en l’état actuel du droit de l’Union, les autorités compétentes d’un État membre ne peuvent pas imposer des sanctions dans le cas d’infractions au règlement no 3821/85 constatées sur le territoire de cet État membre, mais commises sur le territoire d’un autre État membre. Dans la mesure où cet aspect de la réglementation de l’Union en vigueur peut avoir des effets négatifs sur les conditions de travail des conducteurs et sur la sécurité routière, il appartient au législateur de l’Union de décider d’une éventuelle modification (voir, par analogie, arrêt du 18 janvier 2001, Skills Motor Coaches e.a., C‑297/99, EU:C:2001:37, point 34).

46      Cette interprétation est par ailleurs la seule conforme au principe de légalité des délits et des peines, consacré à l’article 49, paragraphe 1, première phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lequel exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment, cette condition se trouvant remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Vaditrans, C‑102/16, EU:C:2017:1012, point 51 et jurisprudence citée).

47      En conséquence, il convient de répondre à la première question posée que l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes d’un État membre puissent imposer une sanction au conducteur d’un véhicule ou à une entreprise de transport, pour une infraction au règlement no 3821/85 commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers, mais constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 3, sous a), du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’un conducteur qui effectue des transports routiers relevant du champ d’application de ce règlement est tenu de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle, la carte de conducteur, les feuilles d’enregistrement et toute information pour la période composée de la journée du contrôle et des 28 jours précédents, conformément à l’article 15, paragraphes 2, 3 et 7, du règlement (CE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route, tel que modifié par le règlement no 561/2006, même lorsque, au cours de cette période, ce conducteur a également effectué, avec le même véhicule, des transports de voyageurs dans le cadre de services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km.

2)      L’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes d’un État membre puissent imposer une sanction au conducteur d’un véhicule ou à une entreprise de transport, pour une infraction au règlement no 3821/85, tel que modifié par le règlement no 561/2006, commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers, mais constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.