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ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

20 décembre 2023 (*) (1)

« Concurrence – Ententes – Secteur des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Manipulation des taux de référence interbancaires de l’Euribor – Échange d’informations confidentielles – Restriction de concurrence par objet – Infraction unique et continue – Procédure “hybride” échelonnée dans le temps – Présomption d’innocence – Impartialité – Amendes – Montant de base – Valeur des ventes – Article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) no 1/2003 – Obligation de motivation – Décision modificative complétant la motivation – Égalité de traitement – Compétence de pleine juridiction »

Dans l’affaire T‑113/17,

Crédit agricole SA, établie à Montrouge (France),

Crédit agricole Corporate and Investment Bank, établie à Montrouge,

représentées par Mes J.-P. Tran Thiet, M. Powell et J. Jourdan, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. M. Farley et T. Baumé, en qualité d’agents, assistés de Me N. Coutrelis, avocate,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de MM. S. Papasavvas, président, A. Kornezov, E. Buttigieg (rapporteur), Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. G. Hesse, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        les décisions du 8 juin 2019 et du 30 mars 2021 de suspendre la procédure en application de l’article 69, sous d), du règlement de procédure du Tribunal,

–        le mémoire en adaptation déposé par les requérantes au greffe du Tribunal le 8 septembre 2021 et les observations de la Commission sur ce mémoire déposées au greffe du Tribunal le 19 novembre 2021,

à la suite de l’audience du 17 mars 2022,

vu l’arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission (C‑883/19 P, EU:C:2023:11), et les observations des parties qui y sont afférentes,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investment Bank (ci-après « CACIB ») (ci-après, prises ensemble, « Crédit agricole »), demandent, d’une part, l’annulation partielle de la décision C(2016) 8530 final de la Commission, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée dans cette décision. Par ailleurs, elles demandent l’annulation de la décision C(2021) 4610 final de la Commission, du 28 juin 2021, modifiant la décision attaquée (ci-après la « décision modificative ») ou, à défaut, le jugement selon lequel cette dernière décision ne pouvait remédier à la motivation défaillante de la décision attaquée. 

I.      Antécédents du litige

2        Le groupe Crédit agricole est un groupe bancaire qui mène ses activités de banque de financement et d’investissement par l’intermédiaire de CACIB. Crédit agricole SA est la société mère de CACIB et la société faîtière du groupe Crédit agricole. CACIB est chargée de la négociation des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros (Euro Interest Rate Derivative) (ci-après les « EIRD ») et de la soumission des taux au panel des banques dont les cotations individuelles contribuent à la fixation des taux Euribor (Euro Interbank Offered Rate », « Euribor ») (ci-après le « panel de l’Euribor »). Les personnes responsables au sein du groupe Crédit agricole durant la période d’infraction de la soumission des taux au panel de l’Euribor ainsi que celles impliquées dans la négociation des EIRD étaient toutes employées par CACIB.

A.      Procédure administrative à l’origine de la décision attaquée

3        Le 14 juin 2011, le groupe bancaire Barclays (à savoir Barclays plc, Barclays Bank plc, Barclays Directors Ltd, Barclays Group Holding Ltd, Barclays Capital Services Ltd et Barclays Services Jersey Ltd, ci-après, prises ensemble, « Barclays ») a saisi la Commission européenne d’une demande d’octroi d’un marqueur au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17), en l’informant de l’existence d’un cartel dans le secteur des EIRD et en exprimant son souhait de coopérer. Le 14 octobre 2011, Barclays s’est vu accorder une immunité conditionnelle.

4        Entre le 18 et le 21 octobre 2011, la Commission a procédé à des inspections dans les locaux d’un certain nombre d’établissements financiers à Londres (Royaume-Uni) et à Paris (France), dont ceux des requérantes.

5        Les 5 mars et 29 octobre 2013, en application de l’article 11, paragraphe 6, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), la Commission a engagé une procédure d’infraction à l’encontre des requérantes ainsi que de Barclays, de Deutsche Bank AG, de Deutsche Bank Services (Jersey) Ltd et de DB Group Services (UK) Ltd (ci-après, prises ensemble, « Deutsche Bank »), de HSBC Holdings plc, de HSBC Bank plc et de HSBC France (ci-après, prises ensemble, « HSBC »), de JP Morgan Chase & Co., de JP Morgan Chase Bank National Association et de JP Morgan Services LLP (ci-après, prises ensemble, « JP Morgan »), de Royal Bank of Scotland plc et de the Royal Bank of Scotland Group plc (ci-après, prises ensemble, « RBS ») ainsi que de Société générale.

6        Barclays, Deutsche Bank, RBS et Société générale ont décidé de participer à une procédure de transaction en application de l’article 10 bis du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission, en application des articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), tel que modifié. Crédit agricole, HSBC et JP Morgan ont décidé de ne pas participer à cette procédure de transaction.

7        Le 4 décembre 2013, la Commission a adopté à l’égard de Barclays, de Deutsche Bank, de RBS et de Société générale la décision (2013) 8512 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914, Euro Interest Rate Derivative (EIRD) (Settlement)] (JO 2017, C 206, p. 17, ci-après la « décision de transaction »), par laquelle elle a conclu que ces entreprises avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à une infraction unique et continue ayant eu pour objet l’altération du cours normal de fixation des prix sur le marché des EIRD.

8        Le 19 mai 2014, la Commission a adressé aux requérantes, ainsi qu’à HSBC et JP Morgan, une communication des griefs.

9        Les requérantes ont pu consulter sur DVD les parties accessibles du dossier de la Commission et leurs représentants ont bénéficié d’un accès supplémentaire au dossier dans les locaux de la Commission pour les parties non accessibles de ce dossier. Les requérantes ont également eu accès à la communication des griefs adressée aux parties ayant transigé, aux réponses de ces parties à ladite communication des griefs ainsi qu’à la décision de transaction.

10      Le 14 novembre 2014, les requérantes ont présenté leurs observations écrites à la suite de la communication des griefs et se sont exprimées lors de l’audition qui s’est déroulée du 15 au 17 juin 2015.

11      Le 6 avril 2016, la Commission a rectifié la décision de transaction en ce qui concernait la détermination du montant de l’amende de Société générale. Les requérantes ont eu accès à cette décision rectificative ainsi qu’à la correspondance sous-jacente et aux données financières corrigées soumises par Société générale.

B.      Décision attaquée

12      Le 7 décembre 2016, la Commission a adopté, sur la base des articles 7 et 23 du règlement no 1/2003, la décision attaquée. Elle a constaté que les requérantes avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en prenant part, du 16 octobre 2006 au 19 mars 2007, à une infraction unique et continue ayant eu pour objet l’altération du cours normal de fixation des prix sur le marché des EIRD [article 1er, sous a), de la décision attaquée] et leur a infligé de manière solidaire une amende de 114 654 000 euros [article 2, sous a), de la décision attaquée].

1.      Produits en cause

13      Les infractions en cause portent sur les EIRD, c’est-à-dire des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros indexés sur l’Euribor ou sur l’Euro Overnight Index Average (EONIA).

14      L’Euribor est un ensemble de taux d’intérêt de référence visant à refléter le coût des prêts interbancaires fréquemment utilisés sur les marchés internationaux de capitaux. Il est défini comme un index du taux auquel les dépôts interbancaires à terme en euros sont offerts d’une banque de premier plan à une autre banque de premier plan au sein de la zone euro. L’EONIA remplissait une fonction équivalente à celle de l’Euribor, mais s’agissant des taux quotidiens.

2.      Comportements reprochés aux requérantes 

15      Au considérant 113 de la décision attaquée (voir, également, considérants 358 et 392 de la décision attaquée), la Commission a décrit le comportement reproché aux banques mentionnées au point 5 ci-dessus de la manière suivante :

« Barclays, Deutsche Bank, JPMorgan Chase, Société Générale, Crédit [a]gricole, HSBC et RBS ont participé à une série de contacts bilatéraux dans le secteur des EIRD, qui consistait essentiellement en les pratiques suivantes entre les différentes parties[ :]

a)      à certaines occasions, certains traders employés par différentes parties ont communiqué et/ou reçu des informations sur les préférences quant au choix de taux d’intérêt (fixing) inchangés, bas ou élevés pour certaines échéances E[uribor ; c]es préférences dépendaient de leurs positions/expositions de trading[ ;]

b)      à certaines occasions, certains traders de différentes parties ont communiqué et/ou reçu l’un de l’autre des informations détaillées, non publiquement connues/disponibles, sur les positions de trading ou les intentions concernant de futures soumissions E[uribor] pour certaines échéances d’au moins une de leurs banques respectives[ ;]

c)      à certaines occasions, certains traders ont également exploré les possibilités d’aligner leurs positions de trading sur des EIRD sur la base d’informations telles que celles décrites [sous a) ou b) ;]

d)      à certaines occasions, certains traders ont également exploré les possibilités d’aligner au moins une des futures soumissions E[uribor] de leurs banques sur la base d’informations telles que celles décrites [sous a) ou b) ;]

e)      à certaines occasions, au moins un des traders participant à de telles discussions a contacté les responsables des soumissions E[uribor] de la banque concernée, ou a déclaré qu’un tel contact serait établi, afin de demander qu’ils soumettent à l’agent de calcul de la [Fédération bancaire européenne (FBE)] des taux dans une certaine direction ou à un niveau spécifique[ ;]

f)      à certaines occasions, au moins un des traders impliqués dans de telles discussions a déclaré qu’il rendrait compte ou rendait compte de la réponse du responsable des soumissions avant l’heure quotidienne de la soumission des taux E[uribor] à l’agent de calcul ou, dans les cas où ce trader avait déjà discuté de ce point avec le responsable des soumissions, a communiqué cette information reçue de ce dernier au trader d’une autre partie[ ;]

g)      à certaines occasions, au moins un trader d’une partie a divulgué à un trader d’une autre partie d’autres informations détaillées et sensibles sur la stratégie de trading ou de fixation des prix des EIRD de sa banque. »

16      Au considérant 114 de la décision attaquée (voir, également, considérant 359 de la décision attaquée), la Commission a ajouté que, « [e]n outre, à certaines occasions, certains traders employés par différentes parties [avaient] discuté du résultat du fixing des taux E[uribor], y compris les soumissions de banques spécifiques, après le fixing et la publication des taux E[uribor] du jour ».

17      La Commission a estimé que ces comportements relevaient d’une infraction unique et continue (considérants 442 et 443 de la décision attaquée).

18      La Commission a estimé que Crédit agricole avait participé à cette infraction unique et continue, tout en soulignant que les échanges bilatéraux avec Barclays étaient en eux-mêmes constitutifs d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (considérant 485 de la décision attaquée).

19      En ce qui concerne la durée de cette participation, la Commission a pris comme point de départ à l’égard de Crédit agricole le 16 octobre 2006 (considérant 619 de la décision attaquée) et, comme date de fin, le 19 mars 2007 (considérant 624 de la décision attaquée).

3.      Amende

20      Le montant de l’amende infligée à Crédit agricole à l’article 2, sous a), de la décision attaquée a été fixé à 114 654 000 euros.

C.      Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

21      Par arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), le Tribunal a annulé l’article 2, sous b), de la décision attaquée, par lequel la Commission avait infligé une amende à HSBC, au motif qu’elle n’avait pas motivé à suffisance de droit les raisons pour lesquelles le facteur de réduction uniforme appliqué aux recettes en numéraire des entreprises concernées aux fins du calcul des amendes qui leur avaient été imposées (ci-après le « facteur de réduction »), avait été fixé à 98,849 % plutôt qu’à un niveau éventuellement supérieur, et a rejeté le recours pour le surplus.

22      Par lettre du 24 février 2021, la Commission a informé les requérantes et JP Morgan de son intention de modifier la décision attaquée compte tenu de l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675). Par la même lettre, ainsi que par lettre du 16 avril 2021, la Commission a fourni des informations et des explications supplémentaires à tous les destinataires de la décision attaquée sur les raisons l’ayant conduite à fixer le niveau du facteur de réduction à 98,849 %. Les requérantes ont présenté leurs observations sur celles-ci le 7 mai 2021.

23      Le 28 juin 2021, la Commission a adopté la décision modificative. Elle a considéré que, dans la mesure où le facteur de réduction dans la décision attaquée était identique pour tous ses destinataires, il était probable que le raisonnement figurant dans l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), concernant l’insuffisance de motivation de la détermination de ce facteur de réduction, soit considéré par le Tribunal comme étant transposable aux amendes infligées aux requérantes et à l’autre destinataire de celle-ci, et qu’il était dès lors dans l’intérêt du principe de bonne administration de corriger les erreurs identifiées par le Tribunal dans cet arrêt et de modifier la décision attaquée à l’égard des requérantes et de l’autre destinataire de celle-ci en complétant la motivation relative à la détermination du facteur de réduction.

24      Par arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission (C‑883/19 P, EU:C:2023:11), d’une part, la Cour a annulé l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), en tant que le Tribunal avait rejeté la demande principale visant à l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée et la demande subsidiaire visant à l’annulation de l’article 1er, sous b), de celle-ci. D’autre part, en statuant sur le recours introduit par HSBC dans l’affaire T‑105/17, pour autant que celui-ci visait à l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, de l’article 1er, sous b), de celle-ci, la Cour a rejeté ce dernier.

II.    Conclusions des parties

25      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler l’article 1er, sous a), ainsi que l’article 2, sous a), de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, réduire significativement, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le montant de l’amende qui leur a été infligée par l’article 2, sous a), de la décision attaquée ;

–        à titre additionnel, annuler les décisions du conseiller-auditeur du 2 octobre 2014, des 4, 27 mars et 29 juillet 2015 ainsi que du 16 septembre 2016 et, par voie de conséquence, annuler l’article 1er, sous a), et l’article 2, sous a), de la décision attaquée ;

–        annuler la décision modificative ou, à défaut, juger que celle-ci ne pouvait pas remédier à la motivation défaillante de la décision attaquée, et annuler l’article 2, sous a), de la décision attaquée, telle que modifiée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

27      À l’appui du recours, les requérantes avancent dix moyens. Les huit premiers moyens viennent au soutien de la demande d’annulation de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée. Le neuvième moyen, soulevé à titre subsidiaire, vient au soutien, d’une part, de la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée, par lequel la Commission a infligé aux requérantes une amende de 114 654 000 euros, et, d’autre part, de la demande de réduction du montant de cette amende. Le dixième moyen, soulevé à titre encore plus subsidiaire, vient au soutien de la seule demande de réduction du montant de l’amende.

28      En outre, à l’appui des conclusions présentées dans le cadre du mémoire en adaptation, les requérantes soulèvent cinq moyens à l’encontre de la décision modificative.

A.      Sur la demande d’annulation de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée ainsi que de l’article 2, sous a), de ladite décision, en ce que cette dernière demande est fondée sur la violation des droits de la défense en raison du refus d’accès au dossier

29      Dans le cadre des deux premiers moyens de la requête, les requérantes font valoir que leur droit à un procès équitable, tel que protégé par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »), n’a pas été respecté. À cet égard, le premier moyen est tiré, en substance, d’une violation du droit d’accès au juge, du principe de bonne administration et des droits de la défense, y compris du principe du contradictoire et, le deuxième, d’une violation du devoir d’impartialité et de la présomption d’innocence. En outre, dans le cadre de la troisième branche du neuvième moyen, les requérantes font valoir une violation des droits de la défense en raison du refus d’accès aux documents relatifs à la valeur des ventes.

30      Les troisième et quatrième moyens de la requête concernent les comportements reprochés aux requérantes et leur qualification. Dans le cadre du troisième moyen, les requérantes font valoir que la Commission ne démontre pas à suffisance de droit leur participation aux pratiques en cause, alors que, dans le cadre du quatrième moyen, elles contestent la qualification de ces pratiques de restriction de la concurrence par objet.

31      Dans le cadre des cinquième, sixième et septième moyens de la requête, les requérantes contestent la qualification par la Commission des pratiques auxquelles elles auraient participé d’infraction unique et continue ainsi que l’imputation qui leur est faite d’une telle infraction. Par leur huitième moyen, les requérantes soutiennent que les comportements des traders de Crédit agricole dans le cadre de l’infraction en cause, à les supposer démontrés, ne peuvent pas leur être imputés.

1.      Sur le déroulement de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée (premier et deuxième moyens de la requête et troisième branche du neuvième moyen de celle-ci) 

a)      Sur la recevabilité de l’annexe A.10 de la requête

32      À titre liminaire, il convient d’examiner la recevabilité, contestée par la Commission, de l’avis juridique relatif au respect des principes et des droits fondamentaux dans la procédure de répression des infractions aux règles de concurrence de l’Union, joint en annexe A.10 de la requête (ci-après l’« avis juridique relatif au respect des principes et des droits fondamentaux »), sur lequel s’appuient les requérantes pour soutenir leurs allégations présentées au titre des premier et deuxième moyens.

33      D’une part, en s’appuyant sur la jurisprudence, la Commission soutient que l’avis juridique relatif au respect des principes et des droits fondamentaux est irrecevable en vertu du principe iura novit curia en ce qu’il est destiné à interpréter le droit de l’Union que le Tribunal a pour fonction d’appliquer. D’autre part, la Commission fait valoir que, en vertu du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de la jurisprudence, les moyens de fait et de droit sur lesquels se fondent les requérantes doivent figurer dans la requête même, et non dans les pièces qui y sont annexées.

34      À cet égard, il convient de rappeler que le principe iura novit curia signifie que la détermination du sens de la loi relève uniquement du juge, et non des parties. Ce principe ne saurait cependant signifier, contrairement à ce que soutient la Commission, que des annexes à la requête relatives à l’interprétation du droit de l’Union sont par principe irrecevables (voir arrêt du 24 octobre 2019, EPSU et Goudriaan/Commission, T‑310/18, EU:T:2019:757, point 42 et jurisprudence citée).

35      En effet, le corps d’une requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, pourvu que les éléments essentiels de l’argumentation en droit figurent dans la requête elle-même (voir arrêt du 24 octobre 2019, EPSU et Goudriaan/Commission, T‑310/18, EU:T:2019:757, point 43 et jurisprudence citée).

36      En l’espèce, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’essentiel de l’argumentation des requérantes figure dans le corps de la requête, les éléments exposés dans l’avis juridique relatif au respect des principes et des droits fondamentaux joint en tant qu’annexe de la requête ne faisant qu’étayer et compléter, sur des points spécifiques, des moyens et des arguments figurant dans celui-ci. En outre, il est aisé, pour le Tribunal, d’identifier les passages pertinents dudit avis juridique inclus dans l’annexe, notamment grâce aux références précises faites par les requérantes.

37      Par conséquent, dans le cadre de l’examen du recours, l’annexe A.10 sera prise en considération pour autant que les observations qu’elle contient étayent ou complètent les moyens ou les arguments expressément invoqués par les requérantes dans le corps de la requête et qu’il est possible pour le Tribunal de déterminer avec précision quels sont les éléments qu’elle contient qui étayent ou complètent lesdits moyens ou arguments (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 99).

b)      Sur le premier moyen de la requête, tiré de la violation du droit d’accès au juge, du principe de bonne administration, des droits de la défense et du principe du contradictoire

38      Dans le cadre du premier moyen, les requérantes mettent en avant différentes circonstances relevant de la procédure administrative à l’origine de la décision attaquée, lesquelles conduisent, selon elles, à des violations du droit d’accès au juge, du principe de bonne administration, des droits de la défense et du principe du contradictoire. Ces vices procéduraux constitueraient des manquements irrémédiables eu égard, notamment, au contrôle prétendument limité de la légalité de la décision attaquée exercé par le Tribunal.

39      La Commission conteste que les aspects procéduraux en cause aboutissent aux violations alléguées par les requérantes.

1)      Sur l’absence d’audition des requérantes par les membres de la Commission et de possibilité de s’exprimer en dernier sur les « accusations » formulées par les services de la Commission

40      Par le premier grief du premier moyen, les requérantes font valoir que, en ne faisant pas droit à la demande de Crédit agricole d’être entendue par les membres de la Commission qui étaient seuls compétents pour adopter la décision finale à son égard, la Commission a violé son droit d’accès au juge au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et son droit à une bonne administration, visé à l’article 41 de la Charte.

41      En outre, par le troisième grief du premier moyen, les requérantes font valoir que la Commission a violé le principe du contradictoire du fait qu’elles n’ont pas eu la possibilité d’être entendues pendant la phase administrative qui a suivi l’audition devant le conseiller-auditeur et qu’elles n’ont pas eu la parole en dernier afin de se défendre à l’égard des propositions finales de l’« accusation », à savoir celles faites par les services de la Commission au collège des membres de la Commission.

42      En premier lieu, il importe de relever, à l’instar de la Commission, que ces griefs sont fondés sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission serait un « tribunal » au sens de l’article 6 de la CEDH. Or, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission ne saurait être qualifiée de « tribunal » au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 154 et jurisprudence citée, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 40 et jurisprudence citée). Il n’en reste pas moins qu’elle est tenue de respecter les principes généraux du droit de l’Union au cours de la procédure administrative, parmi lesquels figure le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte. En particulier, c’est ce dernier, et non l’article 47 de la Charte, qui régit la procédure administrative en matière d’ententes devant la Commission (arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 154 ; voir, également, arrêt du 13 juillet 2011, Schindler Holding e.a./Commission, T‑138/07, EU:T:2011:362, point 54 et jurisprudence citée).

43      En second lieu, aucune violation du principe du contradictoire ni du principe de bonne administration ne ressort des circonstances relevées par les requérantes.

44      En effet, d’une part, il ressort de la jurisprudence que, eu égard au fait que la procédure mise en œuvre par la Commission en application de l’article 101 TFUE n’est pas de nature juridictionnelle, mais administrative, dans le cadre d’une telle procédure administrative, rien ne s’opposait à ce que les membres de la Commission chargés de prendre une décision infligeant des amendes soient informés des résultats de l’audition par des personnes que la Commission avait mandatées pour y procéder (arrêts du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, 44/69, EU:C:1970:72, points 19 et 20, et du 27 juin 2012, Bolloré/Commission, T‑372/10, EU:T:2012:325, points 59 et 60). En conséquence, le fait que Crédit agricole n’a pas été entendue personnellement par les membres de la Commission lors de son audition ne saurait constituer un vice de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, 44/69, EU:C:1970:72, point 20).

45      D’autre part, le grief des requérantes selon lequel elles auraient dû être entendues « en dernier » sur les « accusations » faites par les services de la Commission à leur égard devant les membres de la Commission, appuyé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») rendue à l’égard d’une procédure pénale et par les dispositions du code de la procédure pénale française, procède d’une assimilation par les requérantes de la procédure menée par la Commission en application de l’article 101 TFUE à un procès pénal. Or, une telle assimilation est erronée.

46      En effet, certes, dans l’arrêt de la Cour EDH du 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie (CE:ECHR:2011:0927JUD004350908, points 39 à 44), relatif à une sanction infligée par l’autorité italienne de régulation de la concurrence en raison de pratiques anticoncurrentielles analogues à celles qui étaient reprochées aux requérantes, la Cour EDH a estimé que, compte tenu du montant élevé de l’amende infligée, la sanction relevait, par sa sévérité, de la matière pénale. Toutefois, la Cour EDH a également jugé que la nature d’une procédure administrative, telle que celle en cause dans cet arrêt, pouvait différer, sous plusieurs aspects, de la nature d’une procédure pénale au sens strict du terme. Si ces différences ne sauraient exonérer les États contractants de leur obligation de respecter toutes les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 de la CEDH, elles peuvent néanmoins influencer les modalités de leur application (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2014, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, T‑544/08, non publié, EU:T:2014:1075, point 279, et conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, EU:C:2011:63, point 57 ; Cour EDH, 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie, CE:ECHR:2011:0927JUD004350908, point 62 ; voir également, en ce sens, Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, CE:ECHR2006:1123JUD007305301, point 43).

47      Il ressort de ce qui précède que le droit de la concurrence ne fait pas partie du « noyau dur » du droit pénal, de sorte que les garanties prévues en droit pénal au sens strict, telles que le droit de répondre en dernier sur les accusations, ne trouvent pas à s’appliquer dans toute leur rigueur s’agissant des modalités d’application des garanties résultant de la protection des droits de la défense en droit de la concurrence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2014, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, T‑544/08, non publié, EU:T:2014:1075, point 279).

48      Par conséquent, les garanties offertes par l’article 6 de la CEDH n’excluent pas, notamment, que, dans une procédure de nature administrative, une sanction soit imposée d’abord par une autorité administrative, à condition toutefois que cette décision puisse être soumise au contrôle ultérieur d’une juridiction qui offre les garanties prévues à l’article 6 de la CEDH, c’est‑à‑dire un organe judiciaire de pleine juridiction ayant, notamment, le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 51 ; Cour EDH, 24 février 1994, Bendenoun c. France, CE:ECHR:1994:0224JUD001254786, point 46 ; 23 juillet 2002, Janosevic c. Suède, CE:ECHR:2002:0723JUD003461997, point 81, et 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie, CE:ECHR:2011:0927JUD004350908, point 59).

49      Cette dernière condition est remplie dans le système judiciaire de l’Union, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante [voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 67 ; du 6 novembre 2012, Otis e.a., C‑199/11, EU:C:2012:684, point 63, et prise de position de l’avocat général Kokott relative à l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), EU:C:2014:2475, point 150].

50      En effet, dans le cadre du contrôle exercé par le juge de l’Union européenne sur les décisions de la Commission constatant une infraction au droit de la concurrence de l’Union et imposant des amendes, celui-ci peut être appelé par les parties requérantes à procéder à un examen exhaustif, tant de la constatation matérielle des faits que de leur appréciation juridique par la Commission, en exerçant le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, complété par la compétence de pleine juridiction quant au montant de l’amende, prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2011, Schindler Holding e.a./Commission, T‑138/07, EU:T:2011:362, point 56). Le contrôle ainsi prévu par les traités sur les décisions de la Commission satisfait, contrairement à ce que soutiennent les requérantes en s’appuyant sur l’avis juridique relatif au respect des principes et des droits fondamentaux, aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective qui figure actuellement à l’article 47 de la Charte et qui correspond, dans le droit de l’Union, à l’article 6 de la CEDH (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, points 36 à 38 et jurisprudence citée, et du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C‑90/15 P, non publié, EU:C:2017:123, point 24).

51      Partant, les premier et troisième griefs du premier moyen ne sont pas fondés et doivent être rejetés.

2)      Sur le refus de répondre aux questions posées par les requérantes lors de l’audition

52      Dans le cadre du deuxième grief du premier moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a violé leurs droits de la défense et le principe du contradictoire en refusant de répondre à certaines questions qu’elles lui avaient adressées lors de l’audition.

53      À cet égard, tout d’abord, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel ce grief des requérantes est irrecevable à défaut d’être exposé de manière suffisamment précise et claire. En effet, les requérantes ont clairement mis en cause tant le refus de répondre opposé par les services de la Commission chargés de la procédure que le fait que le conseiller-auditeur n’ait pas imposé à ceux-ci de fournir une réponse.

54      Ensuite, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour et qui a été consacré à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte (voir arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 92 et jurisprudence citée). Ce principe, qui exige que l’entreprise concernée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction (voir arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 40 et jurisprudence citée), doit être pleinement observé, même s’il s’agit d’une procédure ayant un caractère administratif (voir arrêts du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, EU:C:2009:433, point 84 et jurisprudence citée, et du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 94 et jurisprudence citée).

55      Cette exigence est reflétée, s’agissant des procédures d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 102 TFUE, à l’article 27 du règlement no 1/2003.

56      Le principe du contradictoire fait partie des droits de la défense. Il s’applique à toute procédure susceptible d’aboutir à une décision d’une institution de l’Union affectant de manière sensible les intérêts d’une personne (voir arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, points 50 et 51 et jurisprudence citée).

57      Enfin, il convient également de rappeler que l’audition conduite par le conseiller-auditeur, laquelle fait partie des garanties au titre du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure administrative mise en œuvre par la Commission en application de l’article 101 TFUE, vise à donner la possibilité, notamment aux destinataires de la communication des griefs, de développer leur point de vue sur les constatations préliminaires de la Commission, ainsi qu’il ressort, en substance, de l’article 12 du règlement no 773/2004 et de l’article 10, paragraphe 4, de la décision no 2011/695/UE du président de la Commission européenne, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29). Certes, aux termes de l’article 14, paragraphe 7, du règlement no 773/2004 et de l’article 12, paragraphe 3, de la décision no 2011/695, le conseiller-auditeur peut autoriser, notamment les parties auxquelles une communication des griefs a été adressée, à poser des questions lors de l’audition. Toutefois, il s’agit d’une faculté, l’objectif principal de l’audition étant de donner l’occasion, notamment aux destinataires de la communication des griefs, de développer leur argumentation, ainsi que l’a relevé, en l’espèce, le conseiller-auditeur au cours de l’audition de Crédit agricole.

58      Par ailleurs, il importe de relever que les questions en cause, adressées par les requérantes à la Commission, portaient, ainsi qu’elles le relèvent, sur les prétendues contradictions dans les modalités de calcul de la sanction envisagée.

59      À cet égard, c’est à juste titre que la Commission se réfère à la circonstance selon laquelle le principe  du contradictoire et le respect des droits de la défense ne lui imposent pas de fournir, au stade de la procédure administrative, des précisions sur la manière dont elle entend mettre en œuvre les critères se rapportant à la gravité et à la durée de l’infraction pour la détermination du montant des amendes.

60      Il s’ensuit que, alors qu’il est loisible au destinataire de la communication des griefs d’avancer, notamment lors de l’audition, tous les arguments qu’il considère pertinents afin d’attirer l’attention de la Commission sur l’existence de certaines contradictions dans les réponses des autres parties aux demandes de renseignements, lesquelles seraient susceptibles d’influencer la décision que celle-ci sera amenée à prendre le concernant, ou de suggérer à la Commission de poursuivre son enquête afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à son égard, la garantie du respect des droits de la défense n’impose pas à la Commission de répondre, au stade de l’audition, à de tels arguments ou interrogations des parties.

61      En tout état de cause, il convient de relever que, selon une jurisprudence bien établie, il y a violation des droits de la défense lorsqu’il existe une possibilité que, en raison d’une irrégularité procédurale commise par la Commission, la procédure administrative menée par elle ait pu aboutir à un résultat différent. Une entreprise requérante établit qu’une telle violation a eu lieu lorsqu’elle démontre à suffisance non que la décision de la Commission aurait eu un contenu différent, mais bien qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité procédurale (arrêts du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, EU:C:2003:527, point 31, et du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑827/14, EU:T:2018:930, point 129). Or, en l’espèce, les requérantes n’établissent pas qu’elles auraient pu mieux assurer leur défense si la Commission avait répondu aux questions qu’elles lui ont posées lors de l’audition, alors qu’elles ne contestent pas avoir eu la possibilité d’exposer leur argumentation sur la problématique faisant l’objet desdites questions par écrit et lors de l’audition.

62      Le présent grief doit donc être rejeté comme non fondé et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

c)      Sur le deuxième moyen de la requête, en ce qu’il est tiré d’une violation du devoir d’impartialité et du principe de la présomption d’innocence

63      Le deuxième moyen peut être divisé, en substance, en quatre branches. Premièrement, les requérantes soutiennent que le cumul par la Commission des fonctions d’enquête, d’instruction et de jugement méconnaît leur droit à un juge impartial au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Deuxièmement, elles font valoir que le caractère « hybride » de la procédure administrative en cause en l’espèce, dans laquelle la Commission a adopté, successivement, deux décisions ayant des destinataires différents, à savoir, d’une part, une décision prise à l’issue d’une procédure de transaction, adressée aux parties ayant transigé, et, d’autre part, une décision prise aux termes d’une procédure ordinaire et adressée aux autres entreprises ayant participé à l’entente, a conduit à des violations de l’obligation d’impartialité objective et de la présomption d’innocence à leur égard garanties par l’article 6 de la CEDH ainsi que par les articles 41 et 48 de la Charte. Troisièmement, cette violation serait « aggravée » par les déclarations du membre de la Commission chargé de la concurrence en fonction à l’époque des faits. Quatrièmement, elles soutiennent que le manque d’impartialité se serait reflété dans l’attitude de la Commission lors de la procédure ordinaire engagée à l’encontre de Crédit agricole et, notamment, dans le refus d’accès au dossier d’enquête, laquelle s’apparenterait à une « obstruction procédurale », ainsi que dans le contenu même de la décision attaquée.

64      La Commission conteste les arguments des requérantes et conclut au rejet du deuxième moyen.

65      À cet égard, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence constante citée au point 42 ci-dessus, la Commission est tenue de respecter, au cours d’une procédure administrative en matière d’ententes, le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte. Aux termes de cette disposition, toute personne a le droit, notamment, de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions de l’Union. Cette exigence d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée qui est chargé de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 155 et jurisprudence citée, et du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 77 et jurisprudence citée).

66      Le principe d’impartialité, qui relève du droit à une bonne administration, doit être distingué du principe de la présomption d’innocence, lequel s’applique, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes. La présomption d’innocence constitue un principe général du droit de l’Union qui est énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêts du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, points 72 et 73 et jurisprudence citée, et du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 76 et 78 et jurisprudence citée).

67      L’article 48 de la Charte correspond à l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la CEDH, ainsi qu’il ressort des explications relatives à la Charte. Il s’ensuit, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qu’il convient de prendre en considération l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la CEDH aux fins de l’interprétation de l’article 48 de la Charte, en tant que seuil de protection minimale, et de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour EDH concernant l’article 6 de la CEDH [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence), C‑377/18, EU:C:2019:670, points 41 et 42]. En effet, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte impose de donner aux droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite convention (arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 44, et du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 32).

1)      Sur le cumul des fonctions par la Commission

68      Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour EDH et, notamment, sur la théorie de l’« apparence d’impartialité » que celle-ci aurait développée, les requérantes font valoir que le cumul par la Commission des fonctions d’enquête, d’instruction et de jugement ne satisfait pas aux exigences découlant du droit à un juge impartial au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH en ce que, en procédant à des « actes successifs », la Commission se forge une opinion sur les faits avant d’avoir entendu la défense.

69      À cet égard, il convient de relever que cet argument des requérantes, fondé, notamment, sur la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’obligation de l’impartialité d’un tribunal et d’un juge, repose sur la prémisse erronée (voir, également, point 42 ci-dessus) selon laquelle la Commission serait un « tribunal » au sens de l’article 6 de la CEDH.

70      Certes, ainsi qu’il a été rappelé au point 65 ci-dessus, la Commission, organe administratif, doit respecter, au cours de la procédure administrative, les principes généraux du droit de l’Union au nombre desquels figure le principe de bonne administration, dont l’exigence d’impartialité, prétendument violée, constitue une manifestation. Toutefois, ainsi que cela a été rappelé au point 48 ci-dessus, il ressort d’une jurisprudence constante que le cumul par la Commission des fonctions d’instruction et de sanction des infractions à l’article 101 TFUE n’est pas, en soi, contraire à l’article 6 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour EDH. En outre, ce cumul ne constitue pas une violation de l’exigence d’impartialité, dès lors que les décisions de la Commission sont soumises au contrôle du juge de l’Union qui offre les garanties prévues à cet article 6 de la CEDH (voir arrêt du 27 juin 2012, Bolloré/Commission, T‑372/10, EU:T:2012:325, point 66 et jurisprudence citée).

71      Ainsi qu’il ressort du point 49 ci-dessus, le contrôle exercé par le juge de l’Union sur les décisions de la Commission adoptées en application de l’article 101 TFUE remplit cette condition.

72      Eu égard à ce qui précède, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.

2)      Sur le caractère « hybride » de la procédure et sur l’adoption d’une décision de transaction et d’une décision à la suite de la procédure ordinaire, échelonnées dans le temps

73      Dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, les requérantes font valoir que la Commission a manifestement préjugé les faits concernant Crédit agricole dans la décision de transaction, en violation de la présomption d’innocence à son égard et de son devoir d’impartialité objective tels que prévus à l’article 6 de la CEDH ainsi que, respectivement, à l’article 48 et à l’article 41 de la Charte.

74      Dans ce contexte, en premier lieu, les requérantes mettent en cause le caractère « hybride » de la procédure suivie en l’espèce par la Commission, lequel aurait conduit aux violations alléguées.

75      À cet égard, il a déjà été jugé que l’article 10 bis du règlement no 773/2004, portant sur la procédure de transaction dans les affaires d’entente, ne s’opposait pas à, et n’excluait pas, la possibilité pour la Commission de suivre une procédure « hybride » dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2022, Scania e.a./Commission, T‑799/17, sous pourvoi, EU:T:2022:48, points 98 et 99).

76      Par ailleurs, le juge de l’Union a déjà admis que la Commission était en droit de recourir à une telle procédure « hybride » et d’appliquer une procédure de transaction à l’égard des entreprises qui présentaient des propositions de transaction, tout en poursuivant la procédure régie par des dispositions générales du règlement no 773/2004, au lieu de celles qui régissent la procédure de transaction, à l’égard des entreprises ne souhaitant pas présenter de telles propositions de transaction (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, points 70, 71 et 104).

77      En outre, le juge de l’Union a également validé la possibilité pour la Commission d’adopter, dans un premier temps, une décision de transaction à l’égard des parties ayant décidé de transiger et, dans un second temps, une décision à la suite de la procédure ordinaire à l’égard des parties ayant décidé de ne pas transiger, à condition toutefois qu’elle veille, dans le cadre de l’adoption de la décision de transaction, au respect du principe de la présomption d’innocence à l’égard des parties ne participant pas à la transaction (voir, en ce sens, arrêts du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 88 et 89 et jurisprudence citée, et du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, points 265 à 268).

78      Ainsi que le fait valoir la Commission, retarder ou abandonner toute procédure de transaction au motif que l’une des entreprises concernées, comme en l’espèce Crédit agricole, a décidé de ne pas prendre part à des discussions en vue de parvenir à une transaction irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par la procédure de transaction, tel qu’il est énoncé au considérant 4 du règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008, modifiant le règlement no 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engagées dans les affaires d’entente (JO 2008, L 171, p. 3), lequel est d’assurer un traitement plus rapide et plus efficace de l’affaire avec les entreprises ayant fait le choix de transiger. Toutefois, le respect dudit objectif ne doit pas porter préjudice aux exigences liées au respect du principe de la présomption d’innocence et du devoir d’impartialité (arrêt du 2 février 2022, Scania e.a./Commission, T‑799/17, sous pourvoi, EU:T:2022:48, point 102).

79      En conséquence, contrairement à ce que font valoir, en substance, les requérantes, les procédures « hybrides » dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE, dans lesquelles l’adoption de la décision de transaction et de la décision à la suite de la procédure ordinaire sont échelonnées dans le temps, n’emportent pas en soi, dans toutes les circonstances, une violation de la présomption d’innocence ou du devoir d’impartialité et n’ont pas pour conséquence inévitable que ces principes et ces droits ont été violés, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 76 et 77 ci-dessus (arrêt du 2 février 2022, Scania e.a./Commission, T‑799/17, sous pourvoi, EU:T:2022:48, point 104).

80      La théorie des apparences d’impartialité développée par la Cour EDH n’infirme pas cette conclusion. En effet, ainsi qu’il ressort, notamment, de l’arrêt de la Cour EDH du 6 juin 2000, Morel c. France (CE:ECHR:2000:0606JUD003413096, points 42, 45, 46 et jurisprudence citée), et de la décision de la Cour EDH du 27 août 2002, Didier c. France (CE:ECHR:2002:0827DEC005818800, point 2 et jurisprudence citée), la Cour EDH, tout en rappelant l’importance des apparences d’impartialité, vise à examiner concrètement si une violation d’impartialité objective peut résulter d’une connaissance approfondie d’un dossier par la personne qui devra ensuite juger et sanctionner et, notamment, si une telle connaissance approfondie du dossier a eu pour conséquence que celle-ci a montré un parti pris à l’égard de la personne faisant l’objet de l’enquête. La Cour EDH évalue également, dans ce contexte, si les appréciations préliminaires de cette personne étaient soutenues par les éléments du dossier et si elles ont été formulées dans le respect du principe du contradictoire.

81      Par conséquent, en second lieu, il convient d’examiner si c’est à bon droit que les requérantes soutiennent que la Commission a préjugé de la culpabilité de Crédit agricole dès la phase de la procédure de transaction, en violation du principe de la présomption d’innocence et du devoir d’impartialité. À cet égard, les requérantes avancent des griefs relatifs au déroulement de la procédure de transaction et au texte même de la décision de transaction. Ainsi, en s’appuyant de nouveau sur la théorie des apparences d’impartialité développée par la Cour EDH, les requérantes soutiennent que la Commission a préjugé de la culpabilité de Crédit agricole dès la phase de la procédure de transaction, ce qui serait démontré, d’une part, par les allégations la concernant qu’elle aurait introduites dans les demandes de transaction et, d’autre part, par les références indirectes dans le texte même de la décision de transaction.

i)      Sur le respect, en l’espèce, de la présomption d’innocence

82      Le principe de la présomption d’innocence, qui s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir point 66 ci-dessus), implique que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Ce principe s’oppose ainsi à tout constat formel et même à toute allusion ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’action, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (voir arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, point 257 et jurisprudence citée).

83      À cet égard, la Cour EDH a considéré que l’expression prématurée de la culpabilité d’un suspect dans un jugement rendu à l’encontre de suspects poursuivis séparément pouvait aussi, en théorie, porter atteinte au principe de la présomption d’innocence (voir Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, point 42 et jurisprudence citée).

84      Le principe de la présomption d’innocence se trouve méconnu si une décision judiciaire ou une déclaration officielle concernant un prévenu contient une déclaration claire, faite en l’absence de condamnation définitive, selon laquelle la personne concernée a commis l’infraction en question. Dans ce contexte, il convient de souligner l’importance, d’une part, du choix des termes employés par les autorités judiciaires ainsi que des circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci ont été formulés et, d’autre part, de la nature et du contexte de la procédure en question (voir arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 79 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, point 63).

85      Ainsi, dans les procédures pénales complexes où sont mis en cause plusieurs suspects ne pouvant être jugés ensemble, il arrive que la juridiction compétente doive impérativement, pour apprécier la culpabilité des prévenus, faire mention de la participation de tiers qui seront peut-être jugés séparément par la suite. Toutefois, si des faits relatifs à l’implication de tiers doivent être introduits, la juridiction concernée devrait éviter de communiquer plus d’informations qu’il n’est nécessaire à l’analyse de la responsabilité juridique des personnes passant en jugement devant elle. En outre, la motivation de décisions judiciaires doit être formulée en des termes qui sont de nature à éviter un jugement prématuré potentiel relatif à la culpabilité des personnes tierces concernées, susceptible de compromettre l’examen équitable des charges retenues contre celles-ci dans le cadre d’une procédure distincte (voir arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 80 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, points 64 et 65, et 23 février 2016, Navalnyy et Ofitserov c. Russie, CE:ECHR:2016:0223JUD004663213, point 99).

86      Une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal, mais aussi d’autres autorités publiques (voir Cour EDH, 15 mars 2011, Begu c. Roumanie, CE:ECHR:2011:0315JUD002044802, point 126 et jurisprudence citée).

87      En l’espèce, tout d’abord, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel les allégations relatives à la procédure de transaction sont irrecevables en ce qu’elles concernent la décision de transaction pour laquelle le délai de recours a expiré. En effet, en faisant référence à la décision de transaction et à la procédure ayant mené à son adoption, les requérantes ne contestent pas la légalité de cette décision ni celle de la procédure de transaction, mais visent à démontrer que la Commission y avait déjà préjugé de leur responsabilité, en violation du principe de la présomption d’innocence. Cela aurait pour conséquence que l’examen, dans le cadre de la procédure administrative ordinaire, des griefs retenus contre elles dans la communication des griefs serait compromis, entachant ainsi d’illégalité la décision attaquée du fait qu’elle aurait été adoptée en violation du devoir d’impartialité objective.

88      En outre, il y a lieu de relever que les requérantes soutiennent que la décision de transaction, devenue définitive et irrévocable, contient les références aux faits impliquant directement, notamment par le biais de leurs contacts bilatéraux avec Barclays, les traders de Crédit agricole et qualifie ces contacts de pratiques concertées ayant un objet anticoncurrentiel et constituant avec les autres échanges une infraction unique et continue. De telles considérations auraient nécessairement pour conséquence de préjuger de la culpabilité de Crédit agricole comme coauteure des pratiques en cause, alors qu’il n’était pas nécessaire, pour la Commission, de mentionner ces contacts impliquant Crédit agricole pour retenir la responsabilité des banques ayant transigé.

89      À cet égard, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 3 de la décision de transaction, aux sections 2.2, 4 et 5 de celle-ci, il est fait référence aux parties n’ayant pas conclu de transaction, y compris à Crédit agricole.

90      Toutefois, la Commission a inclus, aux considérants 3 et 40 ainsi qu’à la note en bas de page no 4 de la décision de transaction, les réserves explicites visant à éviter de porter atteinte à la présomption d’innocence de ces parties n’ayant pas conclu de transaction en précisant que la décision de transaction était fondée sur les faits reconnus uniquement par les parties à la transaction à ce stade de la procédure et que ladite décision n’établissait pas la responsabilité des parties n’ayant pas conclu de transaction, dont Crédit agricole, pour toute participation à une violation du droit de la concurrence de l’Union dans l’affaire en cause (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 220 à 222).

91      La Commission a ainsi fait preuve de la prudence rédactionnelle requise en mettant en évidence le fait qu’elle n’était pas appelée à statuer sur la participation de Crédit agricole à l’entente alléguée, afin non seulement d’éviter tout préjugé délibéré, voire définitif, relatif à la responsabilité de cette dernière, mais encore, conformément à la jurisprudence citée au point 85 ci-dessus, tout préjugé, fût-il potentiel, portant sur cette responsabilité (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 223 et 224 et jurisprudence citée).

92      Toutefois, afin de vérifier si la Commission a respecté pleinement la présomption d’innocence, il convient encore d’analyser la motivation de la décision de transaction dans son ensemble à la lumière des circonstances particulières dans lesquelles celle-ci a été adoptée. En effet, toute référence explicite, dans certains passages de cette décision, à l’absence de conclusion concernant la responsabilité des parties n’ayant pas transigé serait vidée de son sens si d’autres passages de ladite décision étaient susceptibles d’être compris comme étant une expression prématurée de la responsabilité de Crédit agricole (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 90 et jurisprudence citée).

93      Les requérantes se réfèrent aux considérants 36, 45, 53, 54 et 59 de la décision de transaction pour faire valoir que la Commission a préjugé les faits concernant Crédit agricole en qualifiant d’infractionnels les comportements de Barclays consistant en des contacts bilatéraux avec les traders de Crédit agricole.

94      À cet égard, en premier lieu, c’est à juste titre que la Commission a retenu aux considérants 532 et 533 de la décision attaquée que les références dans la décision de transaction aux parties ne participant pas à la transaction, telle que la référence, figurant au considérant 36 de la décision de transaction, à la participation de Crédit agricole aux échanges bilatéraux avec Barclays, étaient nécessaires, au sens de la jurisprudence citée au point 85 ci-dessus, à l’analyse de la responsabilité juridique de cette dernière pour l’infraction en cause. En effet, dans le cadre d’une procédure hybride ayant conduit à l’adoption successive de deux décisions, les références aux parties n’ayant pas transigé peuvent apparaître comme étant objectivement nécessaires aux besoins de la bonne compréhension des faits de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 226 et 229).

95      En second lieu, s’agissant des autres considérants invoqués par les requérantes, relevant de la section 5 de la décision de transaction consacrée à la qualification juridique des faits, il importe de relever que, au considérant 45 de la décision de transaction, la Commission indique explicitement que le comportement décrit dans la section 4, dont relève le considérant 36 de ladite décision, constitue un accord/une pratique concertée au sens de l’article 101 TFUE en ce qui concerne les parties ayant transigé (« in relation to the settling parties »). C’est également à bon droit que la Commission soutient que le considérant 53 de la décision de transaction doit être lu avec le considérant 54, auquel il est indiqué que ledit comportement doit « donc » (« therefore ») être qualifié d’infraction unique et continue pendant la période d’implication de chaque partie participant à la procédure de transaction (et non à l’égard des parties n’ayant pas participé à cette procédure).

96      S’agissant des références aux « parties » qui figurent, notamment, au considérant 53, ainsi qu’aux considérants 57 et 58 de la décision de transaction, dans sa version non publique produite devant le Tribunal, la conclusion énoncée au considérant 59 de celle-ci devant être lue avec ces deux derniers considérants, il y a lieu de rappeler que, conformément à la convention d’écriture établie à  la note en bas de page no 4 de la décision de transaction, le terme « parties » vise l’ensemble des entreprises concernées par l’infraction, y compris celles ne participant pas à la procédure de transaction, dont Crédit agricole.

97      Toutefois, il importe de relever que, au regard des réserves exprimées aux considérants 3 et 40 de la décision de transaction ainsi qu’à la note en bas de page no 4 de celle-ci, les références aux « parties » dans certains considérants de celle-ci relatifs à la qualification juridique des comportements retenus à l’encontre des parties ayant transigé constituent tout au plus des imprécisions linguistiques, mais n’emportent en soi aucune appréciation, explicite ou implicite, de la situation juridique des parties n’ayant pas transigé (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 231).

98      À cet égard, il importe de relever que, contrairement à ce qui ressort implicitement, mais nécessairement, des arguments des requérantes, la qualification juridique des faits retenue par la Commission à l’égard de Barclays en ce qui concerne les contacts bilatéraux dans lesquels celle-ci s’était engagée, notamment, avec Crédit agricole, ne présuppose pas en soi que la même qualification juridique des faits soit nécessairement retenue par la Commission à l’égard de Crédit agricole à l’issue de la procédure distincte la concernant. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, rien n’empêche la Commission de constater qu’une partie à un accord ou à une pratique concertée est responsable au titre de l’article 101 TFUE, alors que l’autre ne l’est pas (voir arrêt du 2 février 2022, Scania e.a./Commission, T‑799/17, sous pourvoi, EU:T:2022:48, point 130 et jurisprudence citée).

99      Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure administrative ordinaire, l’entreprise concernée et la Commission se trouvent, par rapport à la procédure de transaction, dans une situation dite « tabula rasa », où les responsabilités doivent encore être établies. Ainsi, lors de l’adoption de la décision à l’égard de Crédit agricole à la suite de la procédure administrative ordinaire, d’une part, la Commission était tenue uniquement par la communication des griefs et, d’autre part, elle était obligée, dans le respect du principe du contradictoire, de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes, y compris toutes les informations et tous les arguments qui avaient été mis en avant par Crédit agricole à l’occasion de l’exercice de son droit d’être entendue, de sorte qu’elle était obligée de réexaminer le dossier au regard de ces éléments (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, points 90, 96 et 107).

100    La Commission doit veiller à ce que les faits admis par les parties à la transaction ne soient pas acceptés à l’égard d’une partie ne participant pas à cette procédure, telle que Crédit agricole, sans un examen complet et adéquat lors de la procédure ordinaire au regard des arguments et des éléments de preuve présentés par celle-ci (voir, en ce sens et par analogie, Cour EDH, 23 février 2016, Navalnyy et Ofitserov c. Russie, CE:ECHR:2016:0223JUD004663213, points 103 à 105, et 31 octobre 2017, Bauras c. Lituanie, CE:ECHR:2017:1031JUD005679513, point 53).

101    Or, en l’espèce, Crédit agricole a eu l’opportunité, dans le cadre de la procédure administrative ordinaire avant l’adoption de la décision attaquée, de présenter, tant à l’écrit qu’à l’oral, ses observations sur les griefs retenus à son égard par la Commission dans la communication des griefs et donc de contester les faits et les éléments de preuve identifiés par la Commission pour soutenir les griefs à son égard. Les griefs tirés d’une violation des droits de la défense des requérantes soulevés dans le cadre du premier moyen ont été rejetés. S’agissant du respect des droits de la défense des requérantes, celles-ci contestent encore, dans le cadre des deuxième et neuvième moyens, le refus de la Commission de leur accorder un accès plus étendu au dossier, allégations qu’il convient d’examiner ci-après (voir points 141 à 183 ci-après).

102    Il s’ensuit que, en vertu du principe dit « tabula rasa », la Commission était obligée, dans le cadre de la procédure ordinaire, de réexaminer les faits sur lesquels elle avait fondé la décision de transaction à la lumière des arguments et des éléments de preuve soumis par Crédit agricole dans l’exercice de ses droits de la défense et, le cas échéant, de retenir à l’encontre de celle-ci une participation aux comportements bilatéraux en cause, notamment en ce qui concernait la durée de cette participation, différente de celle retenue à l’encontre de Barclays. À cet égard, il convient de relever que la période de participation de Crédit agricole aux contacts bilatéraux avec Barclays, figurant au considérant 40 de la décision de transaction, allant du 16 octobre 2006 au 19 mars 2007, ne correspond pas à la période de sa participation à l’infraction retenue dans la communication des griefs du 19 mai 2014 comme allant du 4 octobre 2006 au 19 mars 2007, ce qui est de nature à démontrer que la Commission a, en l’espèce, réexaminé la situation des requérantes après l’adoption de la décision de transaction.

103    Dans ces circonstances, la nature « hybride » de la procédure en cause et son contexte au sens de la jurisprudence citée au point 84 ci-dessus, ainsi que les circonstances dans lesquelles les références ont été faites à Crédit agricole dans la décision de transaction, doivent conduire à la conclusion constatant l’absence, en l’espèce, d’une violation du principe de la présomption d’innocence à son égard. Le grief de la deuxième branche du deuxième moyen, tiré de la violation de la présomption d’innocence, doit dès lors être rejeté comme non fondé.

ii)    Sur le respect, en l’espèce, du principe d’impartialité

104    En premier lieu, s’agissant des circonstances dans lesquelles la décision de transaction a été adoptée, les requérantes font valoir que la Commission a elle-même rédigé les projets de propositions de transaction dans lesquels elle a introduit les allégations mettant en cause Crédit agricole et qu’elle a imposé aux banques participant à la procédure de transaction de les signer sous peine d’être exclues de cette procédure. Cela démontrerait, selon les requérantes, que la Commission s’était forgée, dès le début de la procédure de transaction, une opinion définitive sur la culpabilité de Crédit agricole, et ce avant même l’ouverture de la procédure ordinaire au cours de laquelle sa responsabilité pour l’infraction en cause devait être examinée.

105    À cet égard, il convient de relever que les requérantes n’appuient leurs allégations sur aucun élément de preuve concret, mais rappellent seulement que Crédit agricole a participé à la procédure de transaction « jusqu’à sa phase ultime » et qu’elle peut dès lors confirmer les faits allégués. De telles allégations des requérantes, au demeurant non étayées, relatives au déroulement de la procédure de transaction ne sont pas de nature à démontrer une violation par la Commission de son devoir d’impartialité à l’égard de Crédit agricole.

106    En second lieu, doit être rejeté l’argument des requérantes selon lequel l’adoption de la décision de transaction avant celle de la décision attaquée a porté atteinte à l’obligation d’impartialité objective de la Commission lors de l’adoption de cette dernière décision. Les requérantes soutiennent, en substance, en s’appuyant à cet égard sur la jurisprudence de la Cour et de la Cour EDH, que la Commission aurait un « intérêt évident » à confirmer, dans la procédure ordinaire, l’illégalité des échanges bilatéraux auxquels a participé Crédit agricole, constatée dans la décision de transaction, afin de ne pas contredire sa propre décision.

107    À cet égard, il suffit de relever, que, en l’espèce, il ressort des points 99 à 102 ci-dessus que le déroulement de la procédure ordinaire a offert aux requérantes les garanties procédurales suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé avec lequel la Commission aurait examiné les griefs à l’encontre de Crédit agricole dans le cadre de cette procédure. L’importance de telles garanties procédurales a été soulignée par la Cour et par la Cour EDH dans les affaires invoquées par les requérantes au soutien de leur grief (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, points 27 et 37 et jurisprudence citée, et Cour EDH, 25 novembre 2021, Mucha c. Slovaquie, CE:ECHR:2021:1125JUD006370319, point 65).

108    Les griefs de la deuxième branche du deuxième moyen, tirés de la violation du devoir d’impartialité, et, par conséquent, cette branche dans son intégralité doivent donc être rejetés comme non fondés.

3)      Sur les propos émis par le membre de la Commission chargé de la concurrence et par le directeur de la Commission

109    Dans le cadre de la troisième branche du deuxième moyen, les requérantes font valoir que les déclarations publiques faites par le membre de la Commission chargé de la concurrence entre 2012 et 2014 donnaient l’apparence d’un parti pris quant à la culpabilité de Crédit agricole, ainsi que l’a retenu le Médiateur européen dans sa décision prise à la suite de la plainte introduite par les requérantes. Ces faits démontreraient une absence d’impartialité tant objective que subjective contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et aux articles 41 et 48 de la Charte. Il en irait de même des propos d’un fonctionnaire de la Commission. Les requérantes rappellent avoir demandé que le membre de la Commission chargé de la concurrence et l’ensemble des fonctionnaires de la Commission ayant travaillé sur le dossier s’en retirent, ce qui a été refusé.

110    En outre, les requérantes soutiennent que les manquements à l’impartialité en raison des déclarations du membre de la Commission chargé de la concurrence vicient irrémédiablement la procédure et ne peuvent être corrigés ni par un contrôle juridictionnel ultérieur ni par la nomination d’un nouveau membre de la Commission. Selon elles, dans la mesure où la Commission avait déjà pris position sur la culpabilité de Crédit agricole dans la décision de transaction adoptée sur proposition de l’ancien membre de la Commission chargé de la concurrence, il n’aurait pas été possible pour le collège des membres de la Commission ni pour le successeur dudit membre de la Commission de revenir sur les appréciations de fond formulées dans cette décision.

111    Il convient de rappeler, tout d’abord, le contenu de certaines des déclarations en cause du membre de la Commission chargé de la concurrence, lesquelles se présentent comme suit :

–        le 24 juillet 2012 : « [l]es éléments de preuve que nous avons recueillis sont assez parlants, donc je suis à peu près sûr que cette enquête ne sera pas close sans résultats » (« The evidence we have collected is quite telling, so I’m pretty sure this investigation will not be closed without results ») ;

–        le 24 septembre 2012 : « [l]’infraction étant “plus grave que la moyenne”, le montant de l’amende risque d’être majoré » (« The gravity of the infringment is “above average”, which would draw the amount of the sanction upwards ») ;

–        le 28 janvier 2014 : « [i]l y a encore trois institutions bancaires et un broker qui continuent à être investigués parce qu’ils n’ont pas voulu participer à l’accord final : une institution française Crédit [a]gricole, HSBC et JP Morgan dont l’investigation continue, et on ira jusqu’à la fin, et je dois dire comme on a beaucoup d’informations (rires) déjà, l’investigation n’est pas la plus difficile du monde, à partir de ce moment-là on finira cette investigation » ;

–        le 21 février 2014 : « [p]arfois, il y a besoin d’utiliser les instruments traditionnels de la politique de concurrence, et Libor/Euribor, c’est le cas[ ; p]arce qu’il y a un cartel[ ; u]n cartel organisé autour de la manipulation d’un benchmark ».

112    À cet égard, il convient de distinguer entre les déclarations effectuées au cours de l’année 2012, intervenues avant l’adoption de la décision de transaction, et celles effectuées au cours de l’année 2014, intervenues postérieurement à l’adoption de celle-ci (arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 239).

113    S’agissant, d’une part, des déclarations effectuées au cours de l’année 2012, il y a lieu de constater que celles-ci sont restées générales, de sorte qu’elles ne sauraient être considérées comme l’expression, de la part du membre de la Commission chargé de la concurrence, d’un parti pris ou d’un préjugé de culpabilité à l’égard de Crédit agricole (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 240).

114    S’agissant, d’autre part, des déclarations faites au cours de l’année 2014, celles-ci témoignent d’un langage qui ne correspond pas à la circonspection qui aurait été attendue du membre de la Commission chargé de la politique de la concurrence dans le cadre d’une affaire en cours (arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 242).

115    Toutefois, à supposer même que de telles déclarations puissent être considérées comme témoignant d’une absence d’impartialité subjective de la part du membre de la Commission chargé de la concurrence, elles n’étaient pas susceptibles à elles seules, dans le cas d’espèce, de porter atteinte à une appréciation impartiale par la Commission de l’affaire à l’égard des requérantes et ainsi d’entacher d’illégalité la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 242).

116    En effet, il importe de relever que le membre de la Commission chargé de la concurrence qui a émis les déclarations en cause n’était plus membre de la Commission au moment où la décision attaquée a été prise par le collège des membres. Il n’a donc pas participé au processus décisionnel en cause, de sorte que son opinion n’était pas susceptible de préjuger la position que le collège des membres de la Commission allait arrêter au terme de la procédure ordinaire.

117    À cet égard, il y a encore lieu de rappeler que le fonctionnement de la Commission est régi par le principe de collégialité découlant de l’article 250 TFUE, qui repose sur l’égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique, notamment, d’une part, que les décisions, y compris celles adoptées, comme la décision attaquée, en application de l’article 101 TFUE, soient délibérées en commun et, d’autre part, que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, de l’ensemble des décisions arrêtées (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Heijmans Infrastructuur/Commission, T‑359/06, non publié, EU:T:2012:489, points 126 et 127).

118    Selon les requérantes, les déclarations du membre de la Commission en cause engagent la Commission, dont l’existence et l’action se poursuivent dans le temps, indépendamment des personnes physiques titulaires des fonctions de membre de la Commission. Toutefois, contrairement à ce qui ressort d’une telle allégation, il ne saurait être présumé que les membres de la Commission ont été conditionnés dans leur liberté d’appréciation par un sentiment de solidarité mal placée envers leur collègue chargé des affaires de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, EU:T:2006:74, point 610), et ce encore moins s’agissant d’un ancien membre de la Commission.

119    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument des requérantes fondé sur la conclusion du Médiateur constatant l’existence d’un cas de mauvaise administration en raison des déclarations du membre de la Commission chargé de la concurrence, qu’elles invoquent.

120    À cet égard, il convient de rappeler que les conclusions du Médiateur constatant l’existence d’un « acte de mauvaise administration » ne lient pas le juge de l’Union et ne peuvent constituer qu’un simple indice de la violation, par l’institution concernée, du principe de bonne administration. En effet, la procédure devant le Médiateur, lequel n’a pas le pouvoir de prendre des décisions contraignantes, est une voie alternative extrajudiciaire pour les citoyens de l’Union à celle du recours devant le juge de l’Union, qui répond à des critères spécifiques et n’a pas nécessairement le même objectif que celui d’un recours en justice (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2007, Komninou e.a./Commission, C‑167/06 P, non publié, EU:C:2007:633, point 44).

121    Or, compte tenu des motifs figurant aux points 114 à 118 ci-dessus, les conclusions du Médiateur relatives aux déclarations publiques visées au point 111 ci-dessus ne sont pas susceptibles, par elles-mêmes ou appréciées conjointement avec d’autres éléments du dossier, d’établir l’existence d’une violation du devoir d’impartialité de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 246).

122    Enfin, les requérantes soutiennent que le fait que l’équipe chargée du dossier soit restée sur place après le départ du membre de la Commission en cause rendrait illusoire l’idée selon laquelle la gestion du dossier par ces personnes puisse être détachée de la ligne de conduite « dictée » par l’ancien membre de la Commission. Les requérantes estiment que les propos selon lesquels « [c]’est l’une de nos principales priorités pour 2014[ ; l]e message est très clair : nous ne voulons pas que les parties qui sont de bonne foi dans la procédure de transaction soient prises en otage par les parties qui ne veulent pas transiger », (« That is one of our top priorities for 2014 [ ; t]he message is clear : we don’t want that parties that are in good faith in the settlement process to [fall] hostage to the parties that don’t want to settle ») émis par le directeur de la Commission chargé des dossiers des ententes (ci-après le « directeur de la Commission »), relèveraient également d’une violation du devoir d’impartialité.

123    Force est de constater que ce commentaire du directeur de la Commission peut être compris tout au plus comme indiquant que la procédure ordinaire a été engagée à l’égard des parties ne souhaitant pas participer à la procédure de transaction et comme informant le public des priorités de la Commission pour l’année 2014. Il ne saurait toutefois aucunement être compris comme exprimant un préjugé ou un parti pris de la part de ce directeur de la Commission quant à la responsabilité de Crédit agricole ou d’une autre partie n’ayant pas transigé. En effet, le directeur de la Commission s’est limité à renseigner le public sur l’enquête en cours, avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence, et n’a donc pas manqué à son obligation d’impartialité.

124    Il s’ensuit que la troisième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

4)      Sur la prétendue « obstruction procédurale » lors de la procédure ordinaire et sur le contenu de la décision attaquée

125    Afin de démontrer la partialité dont aurait fait preuve la Commission, les requérantes font valoir, dans le cadre de la quatrième branche du deuxième moyen, que le traitement des diverses demandes qu’elles avaient présentées au cours de la procédure ordinaire s’apparente à une « obstruction procédurale » et démontre une « instruction à charge ». Il en irait de même de certains éléments figurant dans la décision attaquée.

126    En ce qui concerne, en premier lieu, le déroulement de la procédure ordinaire, les requérantes font valoir, premièrement, la violation de leurs garanties procédurales en matière de délai de réponse et, notamment, la brièveté du délai qui leur avait été initialement accordé pour répondre à la communication des griefs ainsi que l’introduction par la Commission de nouvelles pièces au dossier la veille du délai de réponse à la communication des griefs.

127    À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, à la suite de la prolongation accordée par le conseiller-auditeur, Crédit agricole a disposé d’un délai de dix mois afin de présenter ses observations sur la communication des griefs.  

128    De même, la Commission indique, sans être contredite sur ce point par les requérantes, qu’un délai de trois semaines prolongé à cinq semaines a été accordé à Crédit agricole afin de présenter ses observations sur la lettre d’exposé des faits envoyée le 30 mars 2015 et sur les éléments de preuve figurant dans cette lettre. À l’instar de la Commission, il convient de relever que le moment auquel la Commission a introduit ces documents au dossier n’est pas pertinent aux fins de l’examen de l’allégation de la violation du devoir d’impartialité, dans la mesure où elle a assuré l’exercice effectif des droits de la défense de Crédit agricole en lui donnant la possibilité de présenter ses observations sur lesdits éléments.

129    Deuxièmement, ne saurait davantage prospérer l’argument des requérantes par lequel elles font valoir que le refus par la Commission de répondre aux questions posées par Crédit agricole lors de l’audition constitue une manifestation additionnelle de la volonté de la Commission d’instruire à charge. En effet, ainsi qu’il ressort de l’examen du deuxième grief du premier moyen (voir points 54 à 62 ci-dessus), une absence de réponse aux questions des requérantes posées lors de l’audition ne saurait être considérée, en l’espèce, comme constituant une violation du principe du contradictoire, de sorte que c’est à tort que les requérantes soutiennent que la Commission se serait engagée dans un comportement constituant une « obstruction procédurale » en violation du principe d’impartialité à l’égard de Crédit agricole.

130    Troisièmement, en s’appuyant sur un tableau de « Synthèse des principales difficultés d’accès au dossier », les requérantes font valoir que le refus « systématique » d’accès au dossier de la procédure illustre l’intention de la Commission d’instruire à charge et par là même son comportement partial à l’égard de Crédit agricole.

131    À cet égard, il importe de relever que le seul fait pour la Commission de refuser à plusieurs reprises à Crédit agricole l’accès à certaines pièces du dossier ne suffit pas pour considérer qu’elle s’est montrée partiale à son égard, mais, le cas échéant, pourrait relever d’une violation des droits de la défense des requérantes, ce qu’il appartient à ces dernières de démontrer. La procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée pourrait donc, le cas échéant, s’avérer viciée en raison d’une telle violation des droits de la défense, et non en raison d’un comportement prétendument partial de la Commission.

132    Dans la mesure où les requérantes soutiennent que les « obstructions procédurales » résultent du comportement de l’équipe de la Commission chargée du dossier et que ce n’est qu’à la suite de l’intervention du conseiller-auditeur que les délais ont été prorogés ou que l’accès, à tout le moins partiel, au dossier a été accordé, un tel argument ne saurait constituer la preuve d’un comportement partial de la part de la Commission. En effet, ainsi que celle-ci le rappelle, l’une des fonctions du conseiller-auditeur est précisément celle d’accorder des prorogations de délai ou l’accès au dossier s’il considère que les demandes en ce sens des parties concernées sont justifiées. Les requérantes conviennent avoir obtenu de telles prorogations de délai et, à plusieurs reprises, un accès plus étendu au dossier, de sorte qu’aucune obstruction procédurale de nature à démontrer un défaut d’impartialité objective ne peut être reprochée à la Commission.

133    En ce qui concerne, en second lieu, le contenu de la décision attaquée, les requérantes soutiennent qu’il révélerait plusieurs « amalgames » auxquels aurait procédé la Commission entre Crédit agricole et les parties ayant transigé ainsi qu’un « procès d’intention », en ce que la Commission n’aurait pas pris en compte, dans son examen de la responsabilité des requérantes et du niveau de sanction qui leur a été infligée, des arguments de défense qu’elles avaient avancés.

134    À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la Commission, premièrement, que la plupart des arguments avancés dans ce contexte par les requérantes reviennent à contester les conclusions de la décision attaquée relatives à la constatation de leur responsabilité pour la participation aux comportements infractionnels en cause ainsi que celles portant sur la détermination du montant de l’amende.

135    De tels arguments démontrent tout au plus que la Commission n’a pas suivi les conclusions ou les interprétations des faits proposées par Crédit agricole, de sorte qu’elle aurait commis des erreurs de droit ou d’appréciation dans son analyse ou que les constatations faites dans la décision attaquée ne sont pas étayées par les éléments de preuve, ce qu’il convient d’examiner ci-après. De telles allégations ne sont toutefois pas de nature à démontrer que la Commission s’est montrée partiale en décidant de ne pas suivre les arguments avancés à cet égard par Crédit agricole (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, EU:T:2000:180, point 272).

136    Deuxièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait refusé d’approfondir son enquête pour s’assurer que le montant de l’amende avait été calculé en respectant le principe d’égalité de traitement, il convient de relever que la Commission dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité d’adopter des mesures d’enquête. Ainsi, une absence d’adoption d’autres mesures d’enquête s’explique avant tout par un exercice par la Commission de sa marge d’appréciation en ce qui concerne l’opportunité d’adopter de telles mesures. Il appartenait donc aux requérantes d’avancer des arguments permettant de démontrer de manière concrète que l’absence de mesures d’enquête supplémentaires ne pouvait s’expliquer que par la partialité de la Commission, et non par l’exercice légitime par celle-ci de sa marge d’appréciation dans la conduite de l’enquête (arrêt du 2 février 2022, Scania e.a./Commission, T‑799/17, sous pourvoi, EU:T:2022:48, point 154). Or, les requérantes n’avancent aucun argument en ce sens, mais prétendent uniquement, en substance, que la décision attaquée est entachée d’illégalité en raison de la violation du principe de bonne administration, en ce que la Commission ne se serait pas assurée du respect du principe d’égalité de traitement lors de la détermination du montant de l’amende. Ces arguments rejoignent donc ceux avancés dans le cadre de la deuxième branche du neuvième moyen visant à démontrer que l’article 2, sous a), de la décision attaquée serait, pour ce motif, entaché d’illégalité, ce qu’il convient d’examiner dans le cadre de l’examen de ladite branche du neuvième moyen (voir points 557 à 569 ci-après).

137    Troisièmement, ne saurait davantage prospérer l’argument des requérantes selon lequel la partialité de la Commission serait démontrée par le fait qu’elle a changé de position par rapport à celle adoptée lors de la procédure de transaction, d’une part, en ce qui concerne la question de la connaissance par Crédit agricole de l’entente globale, en se fondant sur une pièce qu’elle avait jugée auparavant comme étant non probante et, d’autre part, en faisant passer de 30 % à 10 % la réduction du montant de l’amende accordée à Crédit agricole au titre de circonstances atténuantes.

138    En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 99 ci-dessus, en ce qui concerne la procédure administrative ordinaire suivant la procédure de transaction, la Commission est uniquement liée par la communication des griefs et est tenue de prendre en considération les éléments nouveaux portés à sa connaissance lors de cette procédure, de sorte que la situation de la partie ayant décidé de ne pas participer à la procédure de transaction est celle dite « tabula rasa ». L’obligation qui en résulte pour la Commission d’examiner à nouveau tous les éléments de fait et de droit en sa possession et de prendre en compte ceux qui lui ont été soumis pour la première fois lors de la procédure ordinaire ne saurait être interprétée uniquement en ce sens que la Commission peut être amenée à adopter une position plus favorable à la partie n’ayant pas transigé que celle qui pourrait ressortir pour celle-ci de la procédure de transaction, mais également en ce sens que la Commission peut donner à ces éléments de fait et de droit une interprétation moins favorable pour cette partie.

139    Au demeurant, admettre un tel argument des requérantes priverait la Commission de la possibilité d’imposer une amende adaptée aux circonstances nouvelles et existantes au moment de l’adoption de la décision attaquée, et ce alors qu’elle doit tenir compte des nouveaux arguments ou des éléments de preuve dont elle prend connaissance lors de la procédure administrative ordinaire, lesquels peuvent avoir une incidence sur la détermination du montant de l’amende à infliger (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, point 107).

140    Eu égard à ce qui précède, la quatrième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

d)      Sur la violation des droits de la défense en raison des refus d’accès au dossier (quatrième branche du deuxième moyen et troisième branche du neuvième moyen de la requête)

141    Les requérantes font valoir que leurs droits de la défense ont été violés en raison des refus d’accès au dossier. Dans ce cadre, elles contestent le refus de la part de la Commission de leur accorder l’accès, d’une part, aux réponses des autres parties à la communication des griefs et, d’autre part, aux versions confidentielles des recettes en numéraire et des méthodes de calcul de ces montants par les autres parties. Elles demandent l’annulation des décisions du conseiller-auditeur confirmant ces refus, à savoir, respectivement, celle du 29 juillet 2015 ainsi que celles du 2 octobre 2014, des 4 et 27 mars 2015 et du 16 septembre 2016.

142    La Commission conteste les arguments des requérantes et estime qu’elles ont obtenu un accès adéquat au dossier, comme cela ressort des décisions du conseiller-auditeur.

143    À titre liminaire, il y a lieu de relever, en premier lieu, que, pour soutenir ces griefs, les requérantes produisent en annexe à la requête un tableau de « Synthèse des principales difficultés d’accès au dossier ». À cet égard, il convient de constater qu’un renvoi général et abstrait à cette annexe ne remplit pas les conditions imposées par la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus. Le Tribunal ne saurait donc examiner les griefs tirés de la violation des droits de la défense en raison du refus d’accès au dossier qu’au regard des arguments expressément invoqués dans le corps de la requête, dont le contenu essentiel ressort à suffisance de celle-ci, et qui peuvent le cas échéant être étayés ou complétés par le renvoi à l’annexe en cause. En revanche, il n’y a pas lieu d’examiner le bien-fondé des réponses de la Commission aux demandes des requérantes d’obtention d’un accès aux éléments du dossier, résumées à cette annexe, lesquelles ne sont pas explicitement contestées dans la requête.

144    En deuxième lieu, il convient de relever que les requérantes ont confirmé lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, que la demande d’annulation des décisions du conseiller-auditeur des 2 octobre 2014, des 4, 27 mars et 29 juillet 2015 et du 16 septembre 2016, inscrite au troisième chef de conclusions, ne constitue pas une demande indépendante des demandes d’annulation de l’article 1er, sous a), et de l’article 2, sous a), de la décision attaquée, mais doit être considérée comme s’inscrivant dans le cadre des griefs tirés de la violation de leurs droits de la défense en raison du refus d’accès au dossier, présentés au soutien de ces demandes. Dans la mesure où les illégalités éventuelles qui entacheraient ces décisions du conseiller-auditeur peuvent être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif dont elles constituent un stade d’élaboration, à savoir la décision attaquée, il appartient au Tribunal d’apprécier si des illégalités ont été commises au cours de la procédure administrative et si celles-ci sont de nature à affecter la légalité de la décision prise par la Commission au terme de la procédure administrative (voir arrêt du 18 juin 2013, Fluorsid et Minmet/Commission, T‑404/08, EU:T:2013:321, point 133 et jurisprudence citée).

145    En troisième lieu, tout d’abord, s’agissant des arguments relatifs à certains refus d’accès aux documents « susceptibles d’éclairer les raisons pour lesquelles Barclays a transmis de nouveaux éléments à la Commission après l’adoption de la décision de transaction dont elle était destinataire », il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’ils sont irrecevables en application de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal, car invoqués pour la première fois dans la réplique, alors que les requérantes ne prétendent pas qu’ils reposent sur des éléments de droit et de fait qui se seraient révélés pendant la procédure et qu’ils ne constituent pas l’ampliation du moyen soulevé au stade de la requête (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2020, AV et AW/Parlement, T‑173/19, non publié, EU:T:2020:535, point 52 et jurisprudence citée).

146    Ensuite, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante citée au point 54 ci-dessus, le respect des droits de la défense exige que la personne intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction.

147    Selon l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, « [l]es droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure [ ; e]lles ont le droit d’avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués ».

148    Corollaire du principe du respect des droits de la défense, le droit d’accès au dossier implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 68).

1)      Sur la demande d’accès aux réponses des autres parties à la communication des griefs

149    Les requérantes contestent, dans le cadre de la quatrième branche du deuxième moyen, le refus d’accès aux réponses des autres parties à la communication des griefs, confirmé par la décision du conseiller-auditeur du 29 juillet 2015.

150    À cet égard, il convient de relever qu’il existe une différence dans l’accès au dossier de la Commission concernant une entente en fonction du moment auquel un document a été ajouté au dossier d’instruction, ce qui ressort également du point 27 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles [101] et [102 TFUE], des articles 53, 54 et 57 de l’accord EEE et du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7). Alors que les parties concernées, afin de pouvoir exercer de manière efficace leurs droits de la défense, ont le droit de consulter le dossier d’instruction tel qu’il existe au moment de l’envoi de la communication des griefs, et ce afin de pouvoir répondre utilement aux griefs avancés à ce stade par la Commission, l’accès aux éléments ajoutés ensuite au dossier, notamment aux réponses des autres parties à l’entente à la communication des griefs, n’est ni automatique ni illimité (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, points 262 à 265).

151    Ainsi, ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, par le biais de la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, la réponse des autres entreprises qui auraient participé à l’entente à la communication des griefs n’est pas, en principe, comprise dans l’ensemble des documents du dossier d’instruction que peuvent consulter les parties (voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, point 263, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 163).

152    Toutefois, si la Commission entend se fonder sur un passage d’une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l’existence d’une infraction dans une procédure d’application de l’article 101 TFUE, les autres entreprises impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve. Dans de telles circonstances, le passage en question d’une réponse à la communication des griefs ou le document annexé à cette réponse constituent, en effet, un élément à charge à l’encontre des différentes entreprises qui auraient participé à l’infraction (voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, point 264, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 164 et jurisprudence citée).

153    Par analogie, si un passage d’une réponse à une communication des griefs ou à un document annexé à une telle réponse est susceptible d’être pertinent pour la défense d’une entreprise, en ce qu’il permet à celle-ci d’invoquer des éléments qui ne concordent pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission, il constitue un élément à décharge. Dans ce cas, l’entreprise concernée doit être mise en mesure de procéder à un examen du passage ou du document en question et de se prononcer à leur égard (arrêt du 12 juillet 2011, Mitsubishi Electric/Commission, T‑133/07, EU:T:2011:345, point 43).

154    Les requérantes soutiennent que les réponses des autres parties à la communication des griefs, auxquelles l’accès leur a été refusé, contiennent, d’une part, « probablement » des éléments à décharge et, d’autre part, des éléments que la Commission a utilisés « à l’encontre » de Crédit agricole.

155    En premier lieu, s’agissant des conséquences d’un refus d’accès au dossier, le refus de communication d’un document à charge ne constitue une violation des droits de la défense que si l’entreprise concernée démontre, d’une part, que la Commission s’est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l’existence d’une infraction et, d’autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document. S’il existait d’autres preuves documentaires dont les parties auraient eu connaissance au cours de la procédure administrative qui appuyaient spécifiquement les conclusions de la Commission, l’élimination en tant que moyen de preuve du document à conviction non communiqué n’infirmerait pas le bien-fondé des griefs retenus dans la décision contestée. Il incombe ainsi à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si devait être écarté comme moyen de preuve à charge un document non communiqué sur lequel la Commission s’était fondée pour incriminer cette entreprise (voir arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 70 à 73 et jurisprudence citée).

156    Alors que les requérantes font valoir que, selon les indices qu’elles auraient obtenus lors de l’audition des autres parties, les réponses de ces dernières à la communication des griefs contiennent, « notamment[,] le nombre de contacts entre les traders, les dates des échanges ou encore le contenu des discussions » qui ont été invoqués à l’encontre de Crédit agricole ou qui la concernent également, elles citent uniquement le considérant 419 de la décision attaquée où certaines affirmations de la part de HSBC et de JP Morgan auraient été utilisées « à charge » à l’encontre de Crédit agricole.

157    Au considérant 419 de la décision attaquée, la Commission se réfère effectivement, notamment, aux arguments avancés par HSBC et par JP Morgan dans leurs réponses à la communication des griefs en ce qui concerne l’objet des « mids ». Toutefois, force est de constater que la Commission fait référence à ces arguments afin de les réfuter, et non afin de les utiliser à charge à l’encontre de Crédit agricole.

158    Pour autant que les requérantes soutiennent que, audit considérant 419 de la décision attaquée, la Commission visait à établir l’objet effectif des « mids » afin de retenir l’objet anticoncurrentiel des échanges portant sur des informations sensibles concernant les intentions et stratégies en matière de fixation des prix, tels que retenus à l’encontre de Crédit agricole, il importe de relever qu’il ne s’agit pas d’un fait qui ne pourrait être établi que par une déclaration faite par HSBC ou par JP Morgan dans leurs réponses à la communication des griefs, au sens de la jurisprudence citée au point 155 ci-dessus. En effet, la Commission se réfère, audit considérant 419, à des éléments provenant des différentes parties à l’entente, y compris Crédit agricole, non seulement dans leurs réponses à la communication des griefs, mais aussi, notamment, dans les réponses aux demandes de renseignements. Ainsi, l’élimination des réponses de HSBC et de JP Morgan à la communication des griefs en tant que moyen de preuve relatif à la détermination de l’objet des « mids » n’infirmerait pas le bien-fondé des griefs retenus dans la décision attaquée.

159    Les requérantes ne se réfèrent à aucun autre passage de la décision attaquée afin de démontrer que la Commission se serait fondée sur les réponses des autres parties à la communication des griefs pour étayer des griefs à l’encontre de Crédit agricole. Il s’ensuit que les requérantes ne démontrent pas que la Commission leur a refusé l’accès aux preuves à charge figurant dans les réponses des autres parties à la communication des griefs, en violation de leurs droits de la défense.

160    En second lieu, s’agissant des conséquences de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit seulement établir que la non-divulgation de ce dernier a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser ledit document à décharge pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influencer, de quelque manière que ce soit, les appréciations portées par cette dernière dans la décision, à tout le moins en ce qui concernait la gravité et la durée du comportement qui lui était reproché, et, partant, le niveau du montant de l’amende (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 74 et 75 ; voir, également, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Fluorsid et Minmet/Commission, T‑404/08, EU:T:2013:321, points 110 et 111 et jurisprudence citée).

161    Il appartient toutefois à la partie requérante de fournir un premier indice de l’utilité, pour sa défense, des documents non communiqués (voir arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 57 et jurisprudence citée). Elle doit, notamment, indiquer les éléments à décharge potentiels ou fournir un indice accréditant leur existence et, partant, leur utilité pour les besoins de l’instance (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, EU:T:2006:270, points 351 à 359, et du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, EU:T:2011:284, point 257 et jurisprudence citée).

162    En l’espèce, il convient de rappeler que, dans sa décision du 29 juillet 2015, le conseiller-auditeur a confirmé le refus par les services de la Commission chargés du dossier d’accorder à Crédit agricole l’accès aux réponses des autres parties à la communication des griefs en estimant qu’elle n’avait pas justifié la présence potentielle d’éléments à décharge dans ces documents. Il a, en outre, indiqué qu’il n’avait identifié aucun document ni passage dans les réponses à la communication des griefs des autres parties susceptibles de servir à Crédit agricole de preuve à décharge.

163    Les requérantes contestent cette motivation, d’une part, en faisant valoir qu’elle serait inadmissible dans la mesure où la décision attaquée elle-même reprend à charge plusieurs affirmations des autres destinataires de la décision attaquée. D’autre part, elles soutiennent qu’elles ne peuvent pas identifier d’éléments à décharge dans des documents auxquels l’accès leur a été refusé et qu’il n’appartient pas à la Commission de décider unilatéralement que ces éléments n’existent pas.

164    À cet égard, d’une part, il convient de rappeler que les requérantes n’ont pas identifié de passages de la décision attaquée susceptibles de démontrer que la Commission se serait fondée sur les réponses des autres parties à la communication des griefs pour étayer des griefs à l’encontre de Crédit agricole (voir points 157 à 159 ci-dessus).

165    D’autre part, ainsi que le fait valoir, en substance, la Commission, les requérantes restent très vagues en ce qui concerne l’identification des éléments à décharge potentiels que les réponses des autres parties à la communication des griefs contiendraient et n’apportent donc aucun indice accréditant leur existence ni, partant, leur utilité pour leur défense au sens de la jurisprudence citée au point 161 ci-dessus.

166    En effet, les requérantes ne précisent aucunement les appréciations de la Commission figurant dans la décision attaquée qui auraient pu être influencées si l’accès aux réponses des autres parties à la communication des griefs leur avait été accordé. En particulier, elles n’identifient aucune déduction concernant le comportement infractionnel propre à Crédit agricole qu’elles auraient pu réfuter en s’appuyant sur des éléments figurant potentiellement dans les réponses à la communication des griefs en cause. L’invocation de manière abstraite et générale d’un « nombre de contacts entre les traders », des « dates des échanges » ou du « contenu des discussions », qui figureraient potentiellement dans ces réponses à la communication des griefs, ne suffit pas pour démontrer une violation des droits de la défense dans la mesure où les requérantes ne précisent pas quels sont les griefs retenus par la Commission à leur encontre qu’elles auraient pu remettre en cause en s’appuyant sur de telles informations.

167    En réponse à une question orale du Tribunal, les requérantes ont rappelé l’argument, déjà avancé dans le cadre de la procédure administrative, selon lequel les autres parties avaient fait référence à Crédit agricole lors de l’audition (voir point 156 ci-dessus). Elles n’ont toutefois même pas tenté d’inférer de ces références à Crédit agricole des indices accréditant l’utilité éventuelle pour leur défense des réponses de ces autres parties à la communication des griefs (voir point 166 ci-dessus).

168    Or, il ressort de la jurisprudence que le respect des droits de la défense ne saurait, en principe, à savoir en l’absence d’indices accréditant l’utilité de certains éléments du dossier pour la défense d’une partie, conduire à obliger la Commission à divulguer aux parties requérantes les réponses à la communication des griefs soumises par les autres destinataires de celle-ci, afin qu’elles puissent vérifier l’absence d’éventuels éléments à décharge (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, EU:T:2011:284, point 255).

169    Par ailleurs, ainsi que l’a rappelé à juste titre le conseiller-auditeur dans sa décision du 29 juillet 2005, les requérantes ne sauraient se prévaloir de la jurisprudence selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission, qui notifie les griefs et prend la décision infligeant une sanction, de déterminer les documents utiles à la défense de l’entreprise concernée. En effet, cette considération, relative aux documents relevant du dossier constitué par la Commission, ne saurait s’appliquer à des réponses données par d’autres parties concernées aux griefs communiqués par cette dernière (voir arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 89 et jurisprudence citée).

170    En conséquence, les requérantes n’apportent aucun indice accréditant l’utilité des réponses des autres parties à la communication des griefs pour leur défense au sens de la jurisprudence citée au point 161 ci-dessus et, partant, elles ne démontrent pas que le refus par la Commission de leur accorder l’accès à ces réponses viole leurs droits de la défense. Partant, il convient de rejeter le présent grief de la quatrième branche du deuxième moyen comme non fondé.

2)      Sur la demande d’accès aux documents relatifs à la valeur des ventes

171    Il convient de relever que, à la suite de la demande de Crédit agricole visant à obtenir l’accès aux données relatives à la valeur des ventes qui ont été soumises à la Commission par les autres parties et à celles portant sur les méthodes utilisées par celles-ci en vue de les produire, le conseiller-auditeur a, dans sa décision du 2 octobre 2014, mis en place un système d’accès mixte en accordant aux requérantes un accès direct à certaines données et à leurs conseillers externes la possibilité de consulter les versions confidentielles des documents concernés selon la procédure de salle d’information (« data room ») (considérant 101 de la décision attaquée). Une autre salle d’information a été mise en place après l’adoption par la Commission de la décision rectificative à l’égard de Société générale, tenant compte des données financières corrigées soumises par celle-ci (considérant 106 de la décision attaquée). En outre, l’accès direct plus étendu à certaines données concernées par les demandes des requérantes leur a été accordé par le conseiller-auditeur dans ses décisions du 4 mars 2015 et dans son intervention du 25 mars 2015, telle qu’inscrite dans sa décision du 27 mars 2015.

172    Dans le cadre de la quatrième branche du deuxième moyen et de la troisième branche du neuvième moyen, les requérantes allèguent que, en leur imposant des modalités d’accès contraignantes par l’intermédiaire de la salle d’information aux documents en cause et en refusant l’accès direct à l’ensemble de ces informations, lesquelles ne pouvaient plus être qualifiées de sensibles, la Commission a violé leurs droits de la défense.

173    Tout d’abord, il y a lieu de rejeter le grief dans le cadre duquel les requérantes contestent la procédure d’accès au dossier par l’intermédiaire de la salle d’information.

174    À cet égard, il convient de rappeler que, en application du principe de protection du secret d’affaires, qui constitue un principe général du droit de l’Union et qui est, notamment, concrétisé à l’article 339 TFUE, la Commission est tenue de ne pas révéler aux concurrents d’un opérateur privé des informations confidentielles fournies par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 109 et jurisprudence citée). S’agissant du droit d’accès au dossier d’enquête en matière de concurrence, il ressort de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 773/2004 que celui-ci ne s’étend pas aux secrets d’affaires et aux autres informations confidentielles. Toutefois, dans certaines circonstances, la nécessité de préserver les droits de la défense des parties doit être conciliée avec l’obligation pour la Commission de protéger les informations confidentielles figurant dans le dossier d’une enquête en matière de concurrence, provenant des autres parties, ainsi qu’il ressort, en substance, de l’article 27, paragraphe 2, troisième phrase, du règlement no 1/2003 et de l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 773/2004 (voir également, en ce sens, point 24 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission).

175    Il s’ensuit que, dans les circonstances telles que celles de l’espèce, la procédure de salle d’information constituait un outil approprié afin de concilier les intérêts légitimes que la Commission était tenue de protéger, à savoir, d’une part, les intérêts de confidentialité dont pouvaient se prévaloir les banques ayant fourni des informations auxquelles l’accès avait été demandé par les requérantes et, d’autre part, les droits de la défense de ces dernières, ainsi que l’a relevé, en substance, le conseiller-auditeur dans ses décisions du 2 octobre 2014 et du 16 septembre 2016.

176    Les requérantes contestent toutefois que les informations en cause devaient encore être couvertes par la confidentialité eu égard à leur ancienneté et à leur caractère limité ne permettant pas d’identifier les éventuelles informations confidentielles, telles que l’identité des clients. Elles estiment donc que ces informations auraient pu être divulguées directement à Crédit agricole, ce qui, contrairement à l’accès accordé aux seuls conseillers externes en salle d’information, aurait garanti l’exercice effectif des droits de la défense.

177    À cet égard, premièrement, il ressort de la jurisprudence sur laquelle s’appuient à cet égard les requérantes que des informations qui ont été secrètes ou confidentielles, mais qui datent de cinq ans ou plus, doivent, du fait de l’écoulement du temps, être considérées, en principe, comme étant historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret ou confidentiel, à moins que, exceptionnellement, la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers concernés (arrêt du 14 mars 2017, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P, EU:C:2017:205, point 64).

178    Dans sa décision du 16 septembre 2016, le conseiller-auditeur a pris en compte un argument similaire de Crédit agricole avancé au cours de la procédure administrative. Il a considéré, en substance, que, en raison de leur nature, les données en cause n’avaient pas perdu leur caractère confidentiel en dépit de leur ancienneté. En effet, selon le conseiller-auditeur, la complexité, la spécificité et le volume de ces données étaient tels que celles-ci ne s’apparentaient pas à de simples chiffres d’affaires des banques concernées. Compte tenu de cette nature des données en cause, le conseiller-auditeur a pu à bon droit retenir que le seul écoulement du temps n’était pas en soi de nature à diminuer de manière suffisante le risque de porter sérieusement atteinte aux intérêts légitimes de ces banques si ces informations étaient divulguées directement aux spécialistes au sein de Crédit agricole.

179    En outre, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant elle par la possibilité pour lesdites entreprises de faire valoir leurs observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés, mais ne requièrent pas en revanche que cette possibilité couvre la manière dont la Commission entend se servir des critères impératifs de la gravité et de la durée de l’infraction en vue d’une telle détermination (voir arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 428 et 439 et jurisprudence citée). Cet élément doit être pris en compte lors de la mise en balance des intérêts des autres parties à la confidentialité de certaines données qu’elles avaient soumises en vue de la détermination du montant de l’amende les concernant, telles qu’en l’espèce des données permettant de calculer la valeur des ventes, avec les droits de la défense des autres parties, ainsi que l’a relevé, en substance, le conseiller-auditeur dans ses décisions du 4 mars 2015 et du 16 septembre 2016.

180    Les requérantes n’avancent aucun argument visant à démontrer que l’exercice effectif de leurs droits de la défense devait, en l’espèce, prévaloir sur les intérêts légitimes de confidentialité dont pourraient se prévaloir les autres banques concernant les informations en cause. Elles n’ont ainsi pas démontré que les conclusions du conseiller-auditeur dans ses décisions du 2 octobre 2014, des 4 et 27 mars 2015 et du 16 septembre 2016, rappelées aux points 171, 178 et 179 ci-dessus, étaient erronées.

181    Deuxièmement, il convient de rappeler que, en tout état de cause et conformément à la jurisprudence citée aux points 160 et 161 ci-dessus, il appartient aux requérantes d’apporter des indices de nature à démontrer qu’elles auraient pu mieux assurer leur défense si l’accès complet aux données relatives aux calculs par les autres parties de leur valeur des ventes avait été accordé à Crédit agricole plutôt qu’à ses conseillers externes. En l’espèce, les requérantes font valoir que, si elles avaient obtenu l’accès direct à ces données, elles auraient été en mesure de faire valoir des arguments visant à remettre en cause, au regard du principe d’égalité de traitement, la méthodologie utilisée par la Commission pour calculer en l’espèce les amendes et, notamment, pour évaluer la valeur des ventes.

182    Toutefois, il importe de relever, d’une part, que, ainsi qu’il ressort des arguments détaillés et précis que les requérantes ont avancés pendant la procédure administrative, l’accès qu’elles avaient obtenu, notamment par l’intermédiaire de leurs conseillers externes, était suffisant pour leur permettre de contester le caractère adéquat de la méthodologie appliquée pour déterminer le montant de l’amende infligée à Crédit agricole (considérants 679 à 683, 685, 691, 701 et 705 de la décision attaquée). D’autre part, cet accès a également permis aux requérantes de contester cette méthodologie, notamment au regard du respect du principe d’égalité de traitement, dans le cadre du présent recours, ainsi qu’il ressort des arguments détaillés et précis qu’elles ont avancés dans le cadre du neuvième moyen. Partant, il convient de conclure que l’accès accordé par la Commission par l’intermédiaire de la salle d’information aux données relatives à la valeur des ventes qui lui avaient été soumises par les autres parties et à celles portant sur les méthodes utilisées par celles-ci en vue de les produire a permis aux requérantes d’exercer de manière efficace leurs droits de la défense.

183    Partant, les griefs tirés de la violation des droits de la défense des requérantes en raison du refus d’accès doivent être rejetés.

184    Au regard de ce qui précède, il y a lieu de rejeter comme non fondés le deuxième moyen dans son ensemble et la troisième branche du neuvième moyen.

2.      Sur l’existence d’un comportement infractionnel imputable aux requérantes (troisième, quatrième et huitième moyens de la requête)

a)      Remarques liminaires

1)      Sur le contexte dans lequel s’inscrivent les comportements en cause

185    Les parties s’opposent sur certains éléments relatifs au fonctionnement du marché des EIRD. Ces éléments étant pertinents dans le cadre de l’argumentation présentée au titre, notamment, des troisième et quatrième moyens du recours, ils seront examinés lors de l’examen de ces moyens.

186    Toutefois, les éléments suivants portant sur le contexte dans lequel s’inscrivent les comportements reprochés aux requérantes sont constants entre les parties.

187    Les EIRD sont des contrats conclus, notamment, comme ceux en cause en l’espèce, sur le marché de gré à gré [over-the-counter (OTC)] et dans lesquels l’une des parties s’engage, d’une part, à payer à l’autre, à une ou à plusieurs dates futures, l’intérêt du montant notionnel, calculé en référence à un taux variable égal au taux de l’indice de référence déterminé dans le contrat (tel que l’Euribor ou l’EONIA) (appelé « jambe flottante » ou « variable » du contrat) et, d’autre part, à recevoir de l’autre, à la même ou aux mêmes dates, l’intérêt du montant notionnel, calculé en référence à un taux fixe prédéterminé dans le contrat lors de sa conclusion (appelé « jambe fixe » du contrat) (considérants 3 à 10 et 25 de la décision attaquée).

188    Un « flux de trésorerie » au titre d’un contrat reflète l’écart (appelé « fourchette » ou « spread ») entre le taux fixe et le taux variable à la date de fixing et, par là même, le rendement positif ou négatif pour un contrat donné (considérants 5 et 42 de la décision attaquée). La partie receveuse sur un taux fixe et payante sur un taux variable a donc intérêt à ce que le taux variable au moment du fixing soit plus bas que le taux fixe déterminé au moment de la conclusion du contrat (considérant 24 de la décision attaquée).

189    Le trader détermine sa stratégie de trading et, notamment, la fourchette à proposer pour un contrat en particulier, en fonction de plusieurs éléments, à savoir, notamment, la composition ou la valeur globale de son portefeuille (qui constitue sa « position de trading ») et l’exposition au risque de taux, les anticipations de l’évolution future des taux d’intérêt de l’indice de référence (en l’espèce l’Euribor et l’EONIA), sa capacité de trouver une couverture rapidement sur le marché et le niveau de risque de contrepartie.

190    Les EIRD les plus fréquents sont les accords de taux futurs [Forward rate agreements (FRA)], les swaps sur taux d’intérêt (Interest rate swaps), les options sur taux d’intérêt et les contrats à terme (futures) de taux d’intérêt (considérants 4 à 10 de la décision attaquée).

191    Le taux Euribor est fondé sur la cotation individuelle par les banques appartenant au panel constitué de 47 banques, dont les banques mentionnées au point 5 ci-dessus, des taux auxquels chacune estime qu’une banque de premier rang prêterait des fonds à une autre banque de premier rang. Il est calculé sur la base des soumissions des estimations de ces taux par les banques de panel à Thomson Reuters, qui agit en tant qu’agent de calcul auprès de la FBE entre 10 h 45 et 11 h 00, et déterminé et publié à 11 h 00 chaque jour ouvrable. Les banques fournissent des contributions pour les quinze taux d’intérêt différents de l’Euribor, qui varient, selon leur terme, d’une semaine à douze mois (considérants 20 à 29 de la décision attaquée). L’EONIA remplissait une fonction équivalente à l’Euribor, mais s’agissant des taux quotidiens. Il était calculé par la Banque centrale européenne (BCE) sur la base d’une moyenne des taux pour les dépôts interbancaires en blanc (unsecured) du même panel de banques que celui utilisé pour la fixation de l’Euribor (considérants 20 à 27 de la décision attaquée).

192    L’expression « date de fixing » fait généralement référence à la date à laquelle le taux de référence est déterminé. L’expression « date IMM » (International Money Market) fait référence aux dates du marché monétaire international, qui sont les quatre dates trimestrielles de chaque année que la plupart des contrats à terme et des contrats d’options utilisent en tant que dates d’échéance programmées, à savoir les troisièmes mercredis de mars, de juin, de septembre et de décembre (considérant 31 de la décision attaquée).

193    Ce sont les départements de trésorerie (appelés aussi « desks de trésorerie ») des banques du panel, et non les traders eux-mêmes, qui présentent des soumissions des estimations des taux de référence Euribor et EONIA (considérant 22 de la décision attaquée).

194    Les banques impliquées dans les comportements retenus par la Commission en l’espèce sont les « teneurs de marché » sur les marchés OTC (considérant 44 de la décision attaquée).

2)      Sur la distinction entre les différents comportements reprochés aux requérantes

195    Dans le cadre des troisième, quatrième et huitième moyens, les requérantes effectuent une distinction entre les pratiques visées au considérant 358 de la décision attaquée selon qu’elles concernent, d’une part, les manipulations de l’Euribor [considérant 358, sous a) à f), de la décision attaquée] et, d’autre part, les échanges d’informations sur les stratégies de fixation des prix des traders [considérant 358, sous g), de la décision attaquée].

196    La Commission s’oppose à ce que la portée restrictive de concurrence de chacun des comportements en cause soit examinée de manière autonome en faisant valoir, en substance, qu’elle a retenu à l’encontre de Crédit agricole la participation à une infraction unique et continue sur le marché des EIRD.

197    À cet égard, il convient de relever que, à l’article 1er de la décision attaquée, la Commission a retenu que, en l’espèce, l’article 101 TFUE avait été enfreint par les participants aux pratiques en cause du fait d’une infraction consistant « en des accords et/ou des pratiques concertées ayant pour objet de fausser le cours normal des composantes des prix dans le secteur des [EIRD] ».

198    La Commission a elle-même considéré, au considérant 129 de la décision attaquée, que ces accords et/ou pratiques concertées reprochés à certaines banques, dont Crédit agricole, pouvaient prendre plusieurs formes, décrites au considérant 113 de celle-ci (voir point 15 ci-dessus).

199    Le fait que l’ensemble de ces accords et/ou pratiques concertées avait pour objet, selon la Commission, de fausser le cours normal des composantes des prix dans le secteur des EIRD n’empêche pas qu’un tel objet puisse être rattaché à des comportements ayant pris différentes formes ou, ainsi qu’elle le fait valoir, que ces comportements anticoncurrentiels se manifestent de différentes manières. Dans ces circonstances, la Commission ne saurait reprocher aux requérantes de contester les conclusions de la décision attaquée concernant la participation de Crédit agricole aux comportements qualifiés de restrictifs de concurrence consistant, d’une part, en des échanges en vue d’une manipulation des taux de référence et, d’autre part, en des échanges portant sur les informations relatives aux stratégies de fixation des prix des EIRD, en l’occurrence sur les « runs ».

200    Dans ce contexte, d’une part, il convient encore de relever, s’agissant des « échanges sur les positions de trading » auxquels aurait participé Crédit agricole, que la Commission a retenu qu’ils portaient également sur les soumissions à l’Euribor [échanges du 16 octobre 2006 (considérant 189 de la décision attaquée), du 13 novembre 2006 (considérants 210 et 213 à 216 de la décision attaquée), du 16 novembre 2006 (considérants 217 à 219 de la décision attaquée), du 14 février 2007 (considérants 278 à 282 de la décision attaquée), du 1er mars 2007 (considérants 292 à 294 de la décision attaquée), du 16 mars 2007 (considérants 304 à 307 de la décision attaquée) et du 19 mars 2007 (considérants 316 et 319 à 321 de la décision attaquée)], et/ou sur les stratégies en matière de fixation des prix [échange du 13 décembre 2006 (considérants 227 à 229 de la décision attaquée)]. Les requérantes ne contestent pas spécifiquement la participation de Crédit agricole auxdits échanges pour autant que la Commission a retenu qu’ils portaient sur « les positions de trading ».

201    D’autre part, il convient de relever que les troisième et huitième moyens ne portent que sur les comportements adoptés en vue des manipulations de l’Euribor, et non sur ceux relatifs aux échanges sur les stratégies en matière de fixation des prix des EIRD.

b)      Sur le troisième moyen de la requête, portant sur la participation de Crédit agricole aux comportements relatifs aux manipulations de l’Euribor

1)      Sur les comportements tels que retenus par la Commission à l’encontre de Crédit agricole dans la décision attaquée

202    Les comportements retenus par la Commission à l’encontre de Crédit agricole comme relevant des pratiques visées au considérant 113, sous a) à f), au considérant 358, sous a) à f), et au considérant 392, sous a) à f), concernent les échanges entre ses traders et le trader de Barclays des 16 octobre, 13, 16 novembre et 5 décembre 2006 et des 14 février, 1er, 16 et 19 mars 2007.

203    En premier lieu, la Commission a retenu que, le 16 octobre 2006, le trader de Barclays avait sollicité d’un trader de Crédit agricole que ce dernier demande une soumission élevée pour l’Euribor à un mois (Euribor-1M) à son desk de trésorerie, ce que celui-ci avait accepté de faire et a ensuite rapporté avoir fait (considérants 189 à 191 de la décision attaquée).

204    En deuxième lieu, la Commission a retenu que, le 13 novembre 2006, le trader de Barclays avait demandé à l’un des traders du Crédit agricole de solliciter son desk de trésorerie pour obtenir une soumission Euribor-1M basse, ce que ce dernier avait accepté de faire et a ensuite rapporté avoir fait (considérants 210 et 214 à 216 de la décision attaquée).

205    En troisième lieu, la Commission a retenu que, le 16 novembre 2006, des discussions avaient eu lieu entre le trader de Barclays et le trader de Crédit agricole quant à leur niveau préféré en ce qui concernait le taux Euribor à trois mois (Euribor‑3M) de ce jour et quant aux positions de trading associées, conduisant à la conclusion selon laquelle leurs intérêts divergeaient (considérants 217 à 219 de la décision attaquée).

206    En quatrième lieu, la Commission a retenu que, le 5 décembre 2006, le trader de Barclays avait sollicité le trader de Crédit agricole pour adresser à son desk de trésorerie une demande d’une soumission Euribor-6M (six mois) élevée, ce que ce dernier avait accepté de faire (considérants 224 à 226 de la décision attaquée).

207    En cinquième lieu, la Commission a retenu que, le 1er mars 2007, le trader de Crédit agricole avait sollicité auprès du trader de Barclays une soumission Euribor-6M élevée pour ce jour. Ce dernier avait accepté de demander une telle soumission auprès de la trésorerie de sa banque et avait été remercié par le trader de Crédit agricole (considérants 292 à 294 de la décision attaquée).

208    En sixième lieu, la Commission a retenu, en substance, que Crédit agricole avait participé aux comportements relatifs à la manipulation du 19 mars 2007.

209    Ainsi, la Commission a relevé que, le 14 février 2007, le trader de Barclays avait informé le trader de Crédit agricole du plan de cette manipulation (considérants 278 à 282 de la décision attaquée) et que les discussions au sujet de cette manipulation avaient eu lieu entre ces traders le 16 mars 2007 (considérants 304 et 305 de la décision attaquée). Lors de ces discussions, le trader de Barclays avait rappelé à celui de Crédit agricole de demander à son desk de trésorerie de soumettre un fixing bas le lundi suivant (soit le 19 mars 2007), ce que ce dernier avait accepté en ajoutant « oui […] on a tous intérêt à ce qu’il soit bas » et en indiquant sa position de trading sur les contrats à terme pour l’IMM de mars. Il avait ensuite rappelé le trader de Barclays pour lui faire part de son échange avec la responsable des soumissions au sein de Crédit agricole.

210    Enfin, la Commission a retenu que, lors des discussions du 19 mars 2007 (considérants 319 à 321 de la décision attaquée), le trader de Barclays avait rappelé au trader de Crédit agricole de demander aux responsables des soumissions de sa banque de soumettre une cotation Euribor-3M basse, ce que ce dernier avait accepté de faire. Une conversation téléphonique avait ensuite eu lieu entre les deux traders après les soumissions, au cours de laquelle ils s’étaient félicités de la bonne opération du jour et avaient mentionné la nécessité de conserver ces communications secrètes.

2)      Sur la contestation de la participation de Crédit agricole aux pratiques de manipulation du taux Euribor

211    Dans le cadre du troisième moyen, les requérantes font valoir que les échanges entre les traders retenus par la Commission au titre des comportements visés au considérant 358, sous a) à f), de la décision attaquée à l’encontre de Crédit agricole ne permettent pas d’établir sa participation aux manipulations du taux Euribor. En effet, d’une part, il ne serait pas démontré que sa trésorerie était impliquée, alors que, au contraire, l’absence de cette implication serait démontrée par le fait que les soumissions de la banque au panel de l’Euribor aux dates concernées étaient cohérentes au sens statistique et allaient même dans le sens contraire de l’entente. D’autre part, les manipulations en cause n’auraient pas été dans l’intérêt des traders de Crédit agricole et ne se refléteraient pas dans les positions qu’ils ont prises. Les requérantes soutiennent que la Commission a dénaturé le sens de certaines des discussions et n’a pas tenu compte des éléments exonératoires et du fait que le trader pouvait mentir ou bluffer lors de ces échanges.

212    La Commission soutient qu’il existe un faisceau d’éléments suffisants démontrant la participation des traders de Crédit agricole à des pratiques de manipulation des composantes des prix des EIRD, l’implication effective de la trésorerie de la banque, une prétendue absence d’intérêt des traders dans les manipulations ou les soumissions prétendument cohérentes de la banque n’étant pas pertinentes pour établir sa participation aux pratiques en cause.

213    À cet égard, il importe de relever qu’il ressort des échanges entre les traders mis en avant dans la décision attaquée, tels que résumés aux points 203 à 210 ci-dessus, que la Commission disposait d’éléments permettant de retenir la participation des traders de Crédit agricole aux échanges relatifs à la manipulation du taux Euribor.

214    En effet, premièrement, lors de la discussion du 1er mars 2007, le trader de Crédit agricole a pris l’initiative de demander au trader de Barclays une soumission de sa banque au panel Euribor dans le sens de son intérêt (« j’ai intérêt à ce qu’il monte haut »), ce que ce dernier a accepté de faire (« d’accord je vais leur dire »).

215    Deuxièmement, lors des discussions des 16 octobre, 13 novembre et 5 décembre 2006 et des 16 et 19 mars 2007, le trader de Barclays a demandé au trader de Crédit agricole de solliciter auprès de la trésorerie de sa banque une soumission dans un sens déterminé, ce que ce dernier a accepté de faire ou a même rapporté avoir fait en précisant le niveau de contribution suggéré ou visé par la trésorerie [voir échanges du 16 octobre 2006 à 7 h 33 (« je leur dis de tenter le 3.36 ») et à 7 h 46 (« ils vont contribuer 3.36 »), du 13 novembre 2006 (« ok pas de prob[lème,] j[’]en ai pas, je le fais », puis « je leur ai dit de mettre trente-sept »), du 16 mars 2007 à 14 h 06 (« Je lui ai dit nous on a intérêt à plus bas. Elle a dit ok je note ») et du 19 mars 2007 à 14 h 24 (« Ouais je leur ai dit machin, ils voulaient mettre 91, […] [i]ls m’ont dit “bon humm on va voir ce qu’on peut faire” »)].

216    Troisièmement, il ressort sans ambiguïté de l’échange du 16 novembre 2006 que les traders de Barclays et de Crédit agricole se sont communiqué leurs préférences quant au niveau du fixing Euribor-3M de ce jour et à leurs positions de trading associées. Une telle communication s’est faite dans l’objectif de vérifier si leurs intérêts convergeaient en vue de poursuivre, le cas échéant, leur concertation visant à influencer les soumissions Euribor de leurs banques respectives dans le sens de ces intérêts. Cela est confirmé par le fait que le trader de Barclays a exprimé son regret quant au fait que ses intérêts et celui du trader de Crédit agricole concernant le niveau du fixing étaient opposés. Il a néanmoins indiqué au trader de Crédit agricole qu’il allait « vérifi[er] » après l’avoir interrogé sur le niveau du taux Euribor qui lui convenait.

217    Quatrièmement, lors de la conversation téléphonique du 14 février 2007, le trader de Barclays a informé le trader de Crédit agricole des éléments essentiels de la manipulation envisagée le 19 mars 2007. En outre, il ressort de l’échange du 16 mars 2007 que le trader de Crédit agricole était disposé à bénéficier de cette manipulation en confirmant que son intérêt en ce qui concernait la fixation de l’Euribor-3M de ce jour coïncidait avec l’intérêt qu’y portait le trader de Barclays (« on a tous intérêt à ce que ce soit bas », « nous on a intérêt grave aussi ») et en confirmant à ce dernier, lors de l’échange du 19 mars 2007, avoir aussi gagné une certaine somme d’argent grâce à cette fixation (« j[’]ai gagn[é] 156 000 euros gr[â]ce [à] [ç]a »).

218    Cinquièmement, après les échéances des soumissions, les traders se sont remerciés pour leurs implications réciproques dans les pratiques en cause et se sont félicités pour la réussite de leurs plans (voir, notamment, échange du 19 mars 2007) en suivant ainsi le résultat ou les effets escomptés de leurs actions concertées.

219    La participation des traders de Crédit agricole aux comportements visant à la manipulation du taux Euribor n’est pas remise en cause par les arguments des requérantes.

220    Premièrement, les requérantes soutiennent qu’il n’est pas démontré que le trader de Crédit agricole ait effectivement contacté sa trésorerie pour donner suite à la promesse faite à son interlocuteur et qu’il ait pu mentir à celui-ci en rapportant l’avoir fait. La participation de Crédit agricole aux comportements visant la manipulation des taux de référence ne serait pas établie, en l’absence de preuve de l’implication effective, dans lesdits comportements, de leur département de trésorerie.

221    À cet égard, il importe de relever, tout d’abord, que, ainsi que le soutient, en substance, la Commission, les comportements anticoncurrentiels reprochés à Crédit agricole ne consistent pas en la manipulation de l’Euribor en tant que telle, mais en des échanges d’informations entre les traders reflétant leur intention d’influencer les soumissions de leurs banques au panel Euribor dans le sens de leurs propres intérêts. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 113, sous a) à f), du considérant 358, sous a) à f), et du considérant 392, sous a) à f), de la décision attaquée, résumés au point 15 ci-dessus, ces échanges concernaient les préférences pour un niveau du taux de l’Euribor, parfois accompagnés de la communication des positions de trading détenues, la possibilité d’aligner les positions de trading et les soumissions à l’Euribor, une promesse de la part du trader impliqué de contacter une personne responsable des soumissions Euribor au sein de sa banque en vue de lui demander une soumission dans une certaine direction ou à un niveau spécifique et un compte rendu de la réponse de cette dernière.

222    Or, les échanges entre les traders révèlent clairement la communication des préférences de taux, des positions de trading associées et d’une offre ou d’une intention des traders de Crédit agricole d’influer sur la soumission de leur banque.

223    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la participation d’une entreprise à une réunion anticoncurrentielle crée une présomption du caractère illicite de cette participation, présomption que cette entreprise doit renverser par la preuve d’une distanciation publique, laquelle doit être perçue comme telle par les autres participants à l’entente (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 81 et 82 et jurisprudence citée, et du 3 mai 2012, Comap/Commission, C‑290/11 P, non publié, EU:C:2012:271, points 74 à 76 et jurisprudence citée). La raison qui sous-tend ce principe de droit est que, ayant participé à ladite réunion sans se distancier publiquement de son contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 82, et du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 48).

224    En l’espèce, il ressort des échanges retenus par la Commission, tels que résumés aux points 214 et 218 ci-dessus, que le trader de Crédit agricole a, à une occasion, été à l’origine de la demande d’une soumission au panel Euribor selon son intérêt et en vue d’une manipulation de ce taux et que, à d’autres occasions, loin de se distancier publiquement des demandes du trader de Barclays, il a donné à penser à celui-ci que sa banque soumettrait ou avait effectivement soumis une contribution au panel Euribor selon ce qui avait été convenu et l’a conforté dans l’idée qu’il avait parlé à ses responsables des soumissions, en lui rendant même compte des contenus précis de ces conversations.

225    Plus particulièrement, le fait que, lors de la conversation du 14 février 2007, le trader de Crédit agricole s’est montré sceptique quant à la réussite du plan de manipulation du 19 mars 2007 ne constitue pas une démonstration d’une distanciation claire du comportement dont le plan lui avait été expliqué par le trader de Barclays.

226    Les considérants 125, 135 et 634 de la décision attaquée, sur lesquels s’appuient les requérantes, ne remettent pas en cause ce qui précède. En effet, auxdits considérants, la Commission a retenu, en substance, que les arrangements entre les traders avaient été complétés et mis en œuvre par des communications entre eux et les responsables des soumissions au sein des départements de trésorerie de leurs banques et, « de temps à autre », par une cotation effectivement soumise par ces derniers des taux Euribor communiqués, coordonnés ou convenus. C’est ainsi à juste titre que la Commission soutient que les arguments des requérantes relatifs à l’absence d’implication de la trésorerie de Crédit agricole dans les pratiques visant à influencer le taux Euribor sont, tout au plus, susceptibles de démontrer une absence de mise en œuvre du comportement anticoncurrentiel par la trésorerie de la banque, plutôt qu’une absence de participation des traders audit comportement (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 1991, Atochem/Commission, T‑3/89, EU:T:1991:58, point 100).

227    Il en est de même s’agissant de l’argument portant sur le fait que les cotations effectivement soumises par Crédit agricole aux dates pertinentes auraient été cohérentes avec ses autres contributions et avec le marché et qu’elles iraient même à l’encontre de l’intérêt de l’entente. En effet, au regard de la portée de la décision attaquée et des comportements reprochés à Crédit agricole, qui portent sur les « arrangements » entre les traders en vue d’influencer les taux de référence selon leurs intérêts, mais non sur une manipulation effective desdits taux avec l’implication des trésoreries, ces arguments sont inopérants aux fins de contester la participation de Crédit agricole auxdits comportements retenus par la Commission à son égard.

228    Dans ce contexte, il convient de relever que, en tout état de cause, plusieurs éléments de preuve retenus par la Commission permettent de démontrer que les traders de Crédit agricole ont tenté d’influencer le niveau de contribution de la trésorerie de leur banque ou à tout le moins se sont vantés de l’avoir fait. En effet, lors des échanges des 16 octobre, 13 novembre et 5 décembre 2006 et des 16 et 19 mars 2007, le trader de Crédit agricole a rapporté au trader de Barclays la réponse qu’il avait obtenue après avoir sollicité sa trésorerie (voir point 215 ci-dessus). En outre, il ressort des échanges des 27 octobre (considérant 191 de la décision attaquée) et 5 décembre 2006 (considérant 224 de la décision attaquée) ainsi que du 19 mars 2007 (considérant 319 de la décision attaquée) que les traders considéraient que leurs actions concertées visant à manipuler le fixing avaient été couronnées de succès et qu’ils s’en félicitaient. Ces échanges, lus à la lumière de l’échange du 16 mars 2007 entre le trader de Crédit agricole et la responsable des soumissions de cette banque (considérant 305 de la décision attaquée), lequel démontre que les traders entretenaient des contacts avec le desk de trésorerie, lors desquels ils discutaient du niveau des fixings futurs des taux et des intérêts que pourraient avoir des traders quant à un niveau spécifique des taux, sont de nature à démontrer que les traders de Crédit agricole ont donné suite aux discussions avec le trader de Barclays quant au niveau souhaité du taux Euribor en établissant des contacts avec les responsables des soumissions de leur banque et ont ainsi mis en œuvre des échanges collusoires.

229    Deuxièmement, il convient également de rejeter l’argument des requérantes par lequel elles font valoir, en s’appuyant sur un rapport d’expertise, dont la crédibilité est contestée par la Commission, que, eu égard aux positions de trading qu’ils détenaient, les traders de Crédit agricole n’avaient aucun intérêt concret à participer aux manipulations en cause, notamment à celle du 19 mars 2007. En substance, les requérantes soutiennent que la participation aux pratiques visant à influencer le niveau des taux de référence « n’avait [pas] de sens », à moins que les traders n’aient disposé de l’information en temps utile pour pouvoir en profiter et qu’ils aient accumulé d’« énormes positions de trading ».

230    Toutefois, et indépendamment de la question de savoir si les données sur lesquelles s’appuient les requérantes sont fiables, s’agissant de restrictions de concurrence par objet, ce qui est, selon la décision attaquée, le cas des échanges relatifs aux manipulations des taux de référence, il n’est pas nécessaire d’examiner si une entreprise avait un intérêt commercial à y participer dès lors qu’une participation de cette entreprise à des comportements susceptibles de restreindre la concurrence est démontrée (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, points 44 à 46 et jurisprudence citée).

231    Les circonstances mises en avant par les requérantes, à les supposer établies, sont tout au plus susceptibles de démontrer que, ne disposant pas d’une position de trading importante, notamment à la date du 19 mars 2007, le trader de Crédit agricole n’a pas tiré de bénéfices importants du plan auquel il a participé et, ainsi, que les échanges entre les traders n’ont pas été suivis d’effets anticoncurrentiels sur le marché. Cette question est toutefois dépourvue de pertinence s’agissant des comportements restrictifs de concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, points 123 et 124). Ainsi, un tel argument pourrait, le cas échéant, s’avérer pertinent si les requérantes démontraient que la Commission a commis une erreur en retenant que les comportements en cause étaient restrictifs de concurrence par objet, ce qu’il convient d’examiner dans le cadre du quatrième moyen.

232    Pour autant que, en soulevant un tel argument, les requérantes visent à présenter une preuve contraire afin de renverser la présomption selon laquelle, en participant à la concertation avec le trader de Barclays et en étant actif sur le marché, le trader de Crédit agricole a nécessairement tenu compte des informations échangées avec son concurrent pour déterminer son comportement sur ce marché, en l’occurrence sa stratégie de trading, en se fondant sur la manipulation à venir (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 121, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, EU:C:1999:358, point 162), in fine il convient de relever que la seule allégation selon laquelle le trader ne détenait pas une position importante à la date d’une manipulation envisagée ou que sa banque détenait une position contraire au sens de l’entente ne constitue pas une telle preuve contraire suffisante, en ce que ces éléments n’excluent pas en soi de présumer que la concertation a permis au trader d’éliminer les incertitudes quant à son comportement sur le marché, de sorte que le jeu normal de la concurrence a pu en être empêché, restreint ou faussé (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 décembre 2013, Solvay Solexis/Commission, C‑449/11 P, non publié, EU:C:2013:802, point 39).

233    Troisièmement, le fait qu’une entreprise n’ait pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle ait joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé n’est pas pertinent pour établir l’existence d’une infraction de sa part. Ces éléments, relatifs au nombre et à l’intensité des comportements anticoncurrentiels, ne doivent être pris en considération que lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction ou des circonstances atténuantes et, le cas échéant, de la détermination de l’amende (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 86 et jurisprudence citée, et du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, points 197 et 199 et jurisprudence citée). Ainsi, les arguments avancés par les requérantes visant à démontrer le rôle mineur, du point de vue qualitatif et quantitatif, que Crédit agricole aurait joué dans les manipulations en cause, eu égard au fait qu’elles étaient imaginées, organisées et mises en œuvre par un trader de la banque A et un trader de la banque D, doivent être rejetés comme inopérants dans le cadre de l’examen de la participation de celle-ci aux comportements en cause.

234    De même, quatrièmement, le fait que Crédit agricole soit un acteur mineur sur le marché des EIRD, à le supposer établi, ne permet pas de remettre en cause sa participation aux comportements en cause, dès lors qu’elle est active sur ledit marché. En effet, ainsi que le fait valoir, en substance, la Commission, les échanges d’informations confidentielles concernant les manipulations envisagées des taux de référence ont permis aux participants à ces échanges, indépendamment de la position de leur banque sur le marché, d’adapter leur stratégie de trading en composant leurs portefeuilles spécifiquement de manière à tirer avantage de leur connaissance des manipulations à venir et de maximiser leurs profits ou de minimiser leurs pertes.

235    Eu égard à ce qui précède, sous réserve de l’examen du quatrième moyen (voir points 230 et 231 ci-dessus), il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme non fondé.

c)      Sur le quatrième moyen de la requête, portant sur la qualification des comportements reprochés aux requérantes d’infraction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et sur l’obligation de motivation

236    Le quatrième moyen est divisé en deux branches, en ce que les requérantes contestent que, d’une part, les discussions relatives aux manipulations des taux de l’Euribor auxquelles les traders de Crédit agricole auraient participé et, d’autre part, les échanges portant prétendument sur les stratégies de fixation des prix, en l’occurrence sur les « runs », constituent des restrictions de concurrence par objet.

237    La Commission soutient, en substance, avoir correctement retenu que l’ensemble des comportements en cause était restrictif de concurrence par objet en ce qu’il portait sur les composantes des prix des EIRD et en ce qu’il a créé une asymétrie d’information entre les banques parties à l’entente et celles qui n’y prenaient pas part. Elle estime avoir suffisamment motivé la décision attaquée.

238    À cet égard, il convient de rappeler que, aux considérants 384 à 386 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les comportements collusoires retenus à l’encontre, notamment, de Crédit agricole portaient sur les composantes de la fixation des prix des EIRD, telles que l’Euribor, ainsi que sur d’autres conditions de transaction et avaient pour objectif d’influencer les flux de trésorerie dus au titre des EIRD dans un sens favorable aux traders concernés et au détriment de l’autre partie au contrat ainsi que des autres concurrents sur le marché des EIRD.

239    En outre, aux considérants 389 et 390 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les échanges d’informations auxquels ont participé les traders de Crédit agricole, intervenus en dehors du cadre des discussions menées en vue d’une transaction éventuelle, avaient pour conséquence de réduire de façon importante l’incertitude sur le marché en révélant à un concurrent des informations clés sur le comportement futur des acteurs sur le marché, lui permettant ainsi de les utiliser à son profit en adaptant son comportement sur le marché.

240    En conséquence, selon la Commission, lesdits comportements avaient pour objet de restreindre et/ou de fausser le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE.

241    À cet égard, il convient de rappeler que, pour relever de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence sur le marché intérieur.

242    Il ressort de la jurisprudence de la Cour que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 49, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 113).

243    La distinction entre « infractions par objet » et « infractions par effet » tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme étant nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 50, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 114).

244    Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 115).

245    Selon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d’apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d’association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence « par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 117).

246    S’agissant des accords pouvant être considérés comme étant une restriction de concurrence « par objet », un tel objet ne peut pas être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 28). S’agissant de tels accords, l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère peut ainsi se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet (arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 29).

247    En ce qui concerne plus particulièrement l’échange d’informations entre concurrents, il convient de rappeler que les critères de coordination et de coopération constitutifs d’une pratique concertée doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 32, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 119).

248    Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou attendu de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs de nature soit à influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement qu’il a été décidé de tenir sur ce marché ou qu’il a été envisagé d’adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l’importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 33, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 120).

249    La Cour a ainsi jugé que l’échange d’informations entre concurrents était susceptible d’être contraire aux règles de la concurrence lorsqu’il atténuait ou supprimait le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 35, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 121).

250    En particulier, il y a lieu de considérer comme ayant un objet anticoncurrentiel un échange d’informations susceptible d’éliminer des incertitudes dans l’esprit des intéressés quant à la date, à l’ampleur et aux modalités de l’adaptation du comportement sur le marché que les entreprises concernées vont mettre en œuvre (arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 122 ; voir également, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 41).

251    Par ailleurs, une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel bien qu’elle n’ait pas de lien direct avec les prix à la consommation. En effet, le libellé de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne permet pas de considérer que seules seraient interdites les pratiques concertées ayant un effet direct sur le prix acquitté par les consommateurs finaux (arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 123 ; voir également, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 36).

252    Au contraire, il ressort dudit article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE qu’une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel si elle consiste à « fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction » (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 37, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 124).

253    Il convient également de rappeler qu’il résulte des termes mêmes de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises concernées, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 51, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 126).

254    À cet égard, la Cour a considéré qu’il y avait lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombait aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. En particulier, la Cour a conclu qu’une telle pratique concertée relevait de l’article 101, paragraphe 1, TFUE même en l’absence d’effets anticoncurrentiels sur ledit marché (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 51, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 127).

255    Enfin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Dans cette perspective, la motivation exigée doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. S’agissant, en particulier, de la motivation des décisions individuelles, l’obligation de motiver de telles décisions a ainsi pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, points 146 à 148 et jurisprudence citée ; arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, points 114 et 115).

256    En outre, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 150, et du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 116).

257    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le quatrième moyen.

1)      Sur la première branche, tirée d’une erreur en ce qui concerne la qualification de restriction de concurrence par objet appliquée aux échanges liés aux manipulations de l’Euribor et d’un défaut de motivation

258    Les requérantes contestent la qualification de restriction de concurrence par objet appliquée aux échanges visés au considérant 358, sous a) à f), de la décision attaquée, liés aux manipulations de l’Euribor. Elles soutiennent que ces comportements ne peuvent pas être assimilés à des pratiques de fixation des prix, en ce que l’Euribor ne constituerait ni un prix ou une composante d’un prix, ni un paramètre de concurrence servant à différencier l’offre des teneurs de marché. Elles soutiennent également que lesdits comportements n’impliquent pas l’échange d’informations sensibles réduisant l’incertitude sur le marché et contestent qu’ils aient permis aux traders d’adapter leur comportement de trading. La décision attaquée serait également entachée d’un défaut de motivation.  

259    La Commission conteste les arguments des requérantes.

260    En premier lieu, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des points 214 à 218 ci-dessus, les échanges concernés par la présente branche du quatrième moyen (voir point 202 ci-dessus), à l’exception de celui du 16 novembre 2006 (voir point 205 ci-dessus et points 284 et 285 ci-après), non seulement ont pour objet des informations sensibles sous l’angle de la concurrence au sens de la jurisprudence citée aux points 248 à 250 ci-dessus, telles que les préférences quant au niveau de fixing de taux de référence ou les communications des positions de trading ou d’expositions respectives des traders (voir, notamment, considérants 389, 394 et 395 de la décision attaquée), mais révèlent également la volonté des traders impliqués dans ces échanges de manipuler le taux Euribor dans le sens de leurs intérêts en ce qu’ils visent à orienter les soumissions de leurs banques respectives au panel de l’Euribor (voir, notamment, considérants 397 et 426 de la décision attaquée).

261    C’est à bon droit que la Commission a retenu (voir points 238 à 240 ci-dessus) que ces échanges concernant le niveau de l’Euribor portaient sur un facteur pertinent pour la détermination des flux de trésorerie dus au titre des EIRD et donc sur un paramètre essentiel à la concurrence sur le marché des EIRD. Ces comportements permettaient aux banques impliquées de coordonner leur comportement sur le marché, éliminaient des incertitudes dans l’esprit des participants et créaient une asymétrie d’information entre les acteurs du marché préjudiciable à la concurrence. En conséquence, la Commission était fondée à conclure que ces comportements présentaient un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être considérés comme une restriction de concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 117 et 118).

262    En effet, ainsi qu’il ressort, en substance, des considérants 11, 16, 388, 410 et 411 de la décision attaquée, les EIRD sont négociés sur le marché pour une valeur qui découle du prix de transaction et qui reflète la valeur estimée, à la date de transaction, d’un ou de plusieurs flux de trésorerie attendus de ce contrat, ces derniers étant déterminés par les niveaux futurs de l’Euribor ou de l’EONIA, en fonction de la différence entre les paiements dus au titre de la « jambe fixe » et ceux dus au titre de la « jambe variable » d’un EIRD (voir points 187 et 188 ci-dessus). Par conséquent, alors que, ainsi que le soutiennent les requérantes, le taux Euribor n’est pas en soi un prix de ce contrat, dans la mesure où il influence le niveau des deux « jambes » de celui-ci, il constitue néanmoins un facteur essentiel de la détermination des flux de trésorerie dus au titre de ce contrat, qui ne sont pas encore connus au moment de sa conclusion.

263    D’une part, le taux de référence Euribor à la date convenue dans le contrat (à la date du fixing) permet de calculer le paiement dû au titre de la « jambe variable » d’un contrat EIRD, laquelle est directement indexée sur ce taux. Dès lors que la fixation de ce taux variable Euribor se fait de manière artificielle, par le biais de l’influence exercée par certains traders sur les soumissions des banques en fonction de leurs propres intérêts, ce taux n’est plus fixé au terme d’« un processus collaboratif non […] concurrentiel », mais permet, au contraire, de favoriser certains concurrents, à savoir les traders participant à la manipulation, au détriment des autres en ce qu’il influence les sommes qui devraient être payées ou reçues au titre de la « jambe variable » des EIRD indexés sur ce taux (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 117).

264    D’autre part, le taux de référence Euribor est également pertinent en ce qui concerne la « jambe fixe » d’un contrat EIRD indexé sur ce taux dans la mesure où il sera pris en compte par un trader, par l’intermédiaire de sa courbe de rendement pertinente modélisée grâce à ses propres estimations des évolutions futures de ce taux, aux fins de la détermination du taux fixe de ce contrat, et ce afin d’escompter le flux de trésorerie futur positif résultant de la différence entre le taux variable et le taux fixe au jour du fixing (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 117 et 122).

265    Dans ce contexte, c’est à juste titre que les requérantes soutiennent que c’est la seule « jambe fixe » d’un EIRD qui fait l’objet d’une négociation entre les traders lors de la conclusion d’un contrat, dans la mesure où elle constitue la seule obligation certaine et déterminée à cette date. Toutefois, il importe de relever que cette négociation se fait en fonction des prévisions par le trader de ce qui sera, selon lui, le taux variable afin d’escompter un flux de trésorerie positif qui résulterait pour lui de ce contrat. En conséquence, disposant d’informations privilégiées relatives au taux variable applicable aux dates pertinentes, les traders étaient en mesure de rendre leurs offres, en ce qui concernait le taux fixe, compétitives, tout en pouvant escompter un flux de trésorerie positif. L’asymétrie d’information ainsi créée ne pouvait qu’améliorer la position concurrentielle de ces traders par rapport à celle de leurs concurrents ne disposant pas de telles informations.

266    Eu égard à ce qui précède, il est sans importance que, comme le font valoir les requérantes, la concurrence pour un contrat EIRD en particulier ne se fasse qu’au moment de sa conclusion. En effet, ainsi que le soulève à juste titre la Commission, les traders, tout particulièrement ceux des banques comme Crédit agricole, jouant le rôle de teneurs de marché, ajustent constamment leurs portefeuilles, en concluant de nouveaux contrats afin de compenser ou de contrebalancer les positions qu’ils détiennent. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la manipulation du taux Euribor à une date déterminée influence non seulement les conditions d’exécution des contrats en cours, mais également les conditions dans lesquelles un trader va conclure de nouveaux contrats.

267    Par conséquent, les échanges relatifs aux manipulations de l’Euribor, que ces dernières portent sur l’Euribor du jour ou sur l’Euribor à des dates IMM, comme le 19 mars 2007, doivent être considérés comme ayant un objet restrictif de concurrence, étant donné que de telles manipulations sont destinées à influencer le facteur pertinent et essentiel pour la détermination des flux de trésorerie dus au titre des contrats EIRD, ainsi que les stratégies de négociation des EIRD, en atténuant ou en supprimant le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de concurrence entre entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 117 et 118).

268    Le seul fait qu’il n’existait pas de précédent, à la date d’adoption de la décision attaquée, portant sur des pratiques visant la manipulation des taux, comme celles en cause en l’espèce, ne signifie pas que celles-ci ne disposent pas d’un degré de nocivité suffisant pour être qualifiées d’infraction par objet.

269    En effet, contrairement à ce qui ressort, en substance, des arguments des requérantes, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission par le passé pour que celui-ci puisse être considéré comme une restriction de la concurrence par objet. Le rôle de l’expérience quant à la nocivité d’un accord, mentionné dans la jurisprudence de la Cour invoquée à cet égard par les requérantes (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51), ne concerne pas la catégorie spécifique d’un accord dans un secteur particulier, mais renvoie au fait qu’il est établi que certaines formes de collusion sont, en général et au vu de l’expérience acquise, tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elles ont des effets dans le cas particulier en cause (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, EU:T:2016:449, point 438 et jurisprudence citée).

270    En l’espèce, les pratiques en cause, dans la mesure où elles portent sur un facteur essentiel pour la détermination des flux de trésorerie dus au titre des EIRD, sont comparables à des accords sur la fixation des prix, lesquels, en application d’une jurisprudence constante citée au point 252 ci-dessus, figurent parmi les restrictions les plus graves de la concurrence, ainsi que la Commission l’a d’ailleurs souligné aux considérants 414 et 422 de la décision attaquée. De même, ces pratiques ont créé une asymétrie d’information entre les acteurs du marché en réduisant ou en éliminant des incertitudes sur le fonctionnement du marché et, conformément à la jurisprudence citée au point 250 ci-dessus, elles doivent être considérées comme présentant un degré suffisant de nocivité pour la concurrence pour être qualifiées d’infraction par objet.

271    La conclusion formulée aux points 261 et 267 ci-dessus n’est pas remise en cause par les autres arguments des requérantes visant à démontrer que les échanges liés aux tentatives de manipulation de l’Euribor ne présentent pas un degré de nocivité suffisant pour être qualifiés de restrictions de la concurrence par objet.

272    Premièrement, c’est à tort que les requérantes soutiennent que seul le taux fixe constitue un prix des EIRD et fait l’objet de la concurrence entre les traders. Ainsi qu’il ressort des points 262 et 265 ci-dessus, l’attractivité ou la compétitivité d’un contrat EIRD ne dépend pas du seul taux fixe déterminé au moment de la conclusion du contrat, mais de la comparaison de ce taux avec le taux variable escompté et, ainsi, de l’estimation du flux de trésorerie qu’un tel contrat est susceptible de dégager pour une partie. Le taux fixe sur lequel les parties se mettent d’accord au moment de la conclusion du contrat n’est donc qu’un élément de la détermination des flux de trésorerie dus au titre des EIRD qui seront versés en fonction de la comparaison de celui-ci avec le taux variable au jour du fixing.

273    Deuxièmement, les requérantes soutiennent que l’objectif d’augmenter les flux de trésorerie n’est pas en soi restrictif de concurrence.  

274    À cet égard, il suffit de rappeler que, en l’espèce, l’objectif d’augmentation des flux de trésorerie n’est pas poursuivi dans des conditions normales de concurrence, puisque l’un des paramètres importants permettant d’influer sur ce flux de trésorerie, en l’occurrence le taux Euribor, est manipulé dans un but anticoncurrentiel. Ainsi, ce n’est, en tout état de cause, pas par le jeu normal de la concurrence qu’un tel objectif sera atteint, mais par une distorsion de la concurrence contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

275    Troisièmement, en s’appuyant sur une étude, les requérantes font valoir que les traders ne pouvaient adapter leurs positions de trading sur la base des informations échangées. La décision attaquée ne contiendrait aucune preuve permettant de démontrer que les traders avaient l’intention de prendre en compte, ou qu’ils ont effectivement pris en compte, l’information sur la manipulation du fixing pour prendre des positions opportunistes. En tout état de cause, selon les requérantes, les traders ne pouvaient pas anticiper avec certitude que le taux Euribor serait affecté ni prendre de positions spéculatives aux fins de bénéficier d’une éventuelle manipulation dont ils auraient eu connaissance le jour même du fixing.

276    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si les autorités de concurrence ou les juridictions nationales ou de l’Union peuvent tenir compte de l’intention des parties pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, cette intention ne constitue pas un élément indispensable à cette fin (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 37 ; du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 54, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 118).

277    Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 260 ci-dessus, il ressort des échanges retenus par la Commission à l’encontre de Crédit agricole que les parties à ces échanges avaient l’intention de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles, en ce qu’elles ont tenté, notamment, de faire aligner le niveau de soumissions futures de leurs banques respectives et ont suivi le résultat de leurs actions. Pour qualifier les comportements en cause de restrictions de concurrence par objet, la Commission n’était pas tenue de démontrer que les traders avaient effectivement pris en compte l’information sur la manipulation du taux pour prendre des positions opportunistes et, ainsi, que les pratiques en cause avaient produit des effets sur le marché. Dès lors, l’étude produite par les requérantes est dépourvue de pertinence.

278    Par conséquent, est inopérante, dans ce contexte, l’allégation d’un défaut de motivation de la décision attaquée, en ce que la Commission n’aurait pas expliqué comment les informations échangées avant le fixing du jour permettaient aux traders d’adapter leurs positions de trading.

279    Quatrièmement, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte, dans la détermination du caractère restrictif de concurrence par objet, du rôle de teneur de marché joué par Crédit agricole sur le marché des EIRD.

280    À cet égard, il convient de relever que la notion de « teneur de marché » a été définie au considérant 40 de la décision attaquée comme suit : « [l]es teneurs de marché sont des particuliers ou des sociétés qui se déclarent capables et désireux de vendre ou d’acheter des produits financiers, tels que des titres ou des produits financiers dérivés, à des prix déterminés par eux-mêmes de manière générale et continue (au moyen de prix fermes acheteurs et vendeurs), plutôt que pour chaque transaction spécifique ». Cette définition n’est pas contestée par les requérantes.

281    Dans la mesure où ils interviennent de manière générale et continue sur le marché des EIRD, les « teneurs de marché » concluent un nombre plus important de transactions que les autres acteurs du marché, toujours dans l’objectif de réaliser un profit. L’argumentation des requérantes vise à démontrer que cette recherche du profit, s’agissant d’un teneur de marché, se ferait principalement par la différence entre les offres à l’achat et les offres à la vente des nombreux contrats qu’il conclut, c’est-à-dire la différence entre l’ensemble de ses positions « acheteuses » et « vendeuses », ou ses « coûts de couverture », plutôt que par la différence entre le taux fixe et le taux variable de chacun des contrats. Selon les requérantes, les traders agissant en qualité de teneurs de marché ne se rémunèrent donc pas en prenant des risques spéculatifs.

282    Toutefois, si un teneur de marché peut dégager un profit en exploitant l’écart entre le prix auquel il achète et celui auquel il vend des EIRD, cela n’est pas exclusif de la recherche d’un profit fondé sur la différence entre le taux fixe et le taux variable d’un même EIRD. En effet, il apparaît peu vraisemblable qu’un trader négociant un nombre particulièrement important de contrats ne prenne pas en compte la prévision de ce que sera le taux variable, lorsqu’il fait son offre en proposant un prix fondé sur le taux fixe.

283    S’agissant de la mise en exergue par les requérantes du fait que les EIRD seraient conclus à des fins de couverture de risques, il suffit de souligner qu’une telle utilisation des EIRD n’ôte rien à la circonstance selon laquelle ces derniers peuvent également être utilisés par les teneurs de marché à des fins spéculatives, ainsi que l’a rappelé la Commission au considérant 38 de la décision attaquée.

284    En second lieu, au regard du caractère particulièrement sensible sous l’angle de la concurrence de l’information échangée, un objet restrictif de concurrence doit également être retenu à l’égard de la discussion du 16 novembre 2006 (voir point 260 ci-dessus), alors même que celle-ci s’est cantonnée à un échange d’informations sur le niveau souhaité de la cotation de l’Euribor, sans que soit associée à celui-ci une tentative de manipulation de ce taux.

285    En effet, au vu de l’importance de l’incidence du niveau des taux de l’Euribor sur les flux de trésorerie dus au titre des EIRD, la seule communication d’informations concernant les préférences pour les soumissions futures d’une banque membre du panel de l’Euribor était susceptible de fournir un avantage aux banques concernées, les éloignant de l’application du jeu normal de la concurrence sur le marché en cause, de telle manière que cet échange d’informations doit être considéré comme ayant eu pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et au sens de la jurisprudence citée aux points 247 à 250 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, point 75).

286    Eu égard à ce qui précède, c’est à bon droit que la Commission soutient que la décision attaquée est suffisamment motivée en ce qu’elle contient, à ses considérants 384 à 432, une démonstration complète de l’objet anticoncurrentiel des pratiques en cause, en tenant compte du contexte dans lequel celles-ci s’insèrent, de sorte à permettre aux requérantes de le contester et au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité au sens de la jurisprudence citée au point 255 ci-dessus. Le grief des requérantes tiré d’une insuffisance de motivation de la décision attaquée doit dès lors être rejeté.

287    Dans ce contexte, il convient encore de rappeler que la Commission a mis en avant, au soutien de sa conclusion relative à l’existence de restrictions de concurrence par objet, non seulement la coordination et/ou la fixation des prix, mais également la distorsion d’autres conditions de transaction dans le secteur des EIRD (voir, notamment, considérants 384, 388, 393, 415 et 423 de la décision attaquée). Toutefois, dès lors que la qualification d’infraction par objet appliquée aux échanges relatifs aux manipulations de l’Euribor est justifiée à suffisance de droit pour les raisons exposées aux points 261 à 286 ci-dessus, il n’est pas nécessaire d’examiner si lesdits comportements disposaient d’un objet restrictif de concurrence également en ce qu’ils portaient sur d’autres conditions de transaction. En effet, selon une jurisprudence constante, lorsque certains motifs d’une décision sont, à eux seuls, de nature à la justifier à suffisance de droit, les vices dont pourraient être entachés d’autres motifs de l’acte sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati/Commission, T‑155/04, EU:T:2006:387, point 47 et jurisprudence citée).

288    Partant, sous réserve de l’examen, ci-après, du grief tiré des effets proconcurrentiels des échanges en cause, il y a lieu de rejeter la première branche du quatrième moyen comme non fondée.

2)      Sur la seconde branche, tirée d’une erreur en ce qui concerne la qualification de restriction de concurrence par objet appliquée aux échanges sur les « runs »

289    Il y a lieu de relever que les requérantes ne contestent pas la participation de Crédit agricole aux échanges concernés par la seconde branche du quatrième moyen.

290    Les requérantes soutiennent toutefois que ces échanges, portant sur les informations détaillées, non publiquement connues ou disponibles sur les intentions ou les stratégies de fixation des prix des EIRD, visés au considérant 113, sous g), au considérant 358, sous g) et au considérant 392, sous g), de la décision attaquée, retenus par la Commission à l’encontre de Crédit agricole, ne sont pas susceptibles d’être qualifiés de comportements infractionnels par objet. Elles contestent, en substance, que les « runs », échangés entre les traders, constituent une « liste de prix » ou une « composante du prix » et font valoir qu’ils ne constituent pas une information de nature confidentielle. La Commission n’aurait pas suffisamment pris en compte, dans le cadre de son examen de l’existence de restrictions de concurrence par objet, les caractéristiques des marchés OTC et, notamment, le contexte dans lequel les traders opèrent, et n’aurait pas démontré à suffisance de droit le caractère sensible des informations échangées.

291    La Commission conteste les arguments des requérantes.

292    Les discussions pour lesquelles la Commission a retenu, à l’égard de Crédit agricole, la qualification d’échanges sur les intentions et les stratégies en matière de fixation des prix au sens du considérant 113, sous g), du considérant 358, sous g), et du considérant 392, sous g), de la décision attaquée concernent les échanges entre l’un de ses traders et le trader de Barclays du 13 décembre 2006 et des 11 janvier et 16 mars 2007.

293    À titre liminaire, premièrement, il convient de relever que, quand bien même la participation de Crédit agricole à une infraction par objet serait établie par le rejet de la première branche du quatrième moyen, l’examen de la seconde branche de ce moyen conserve sa pertinence. En effet, l’existence d’autres comportements anticoncurrentiels de la part de Crédit agricole est pertinente s’agissant de l’appréciation de la gravité de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE commise par cette dernière ainsi que, par voie de conséquence, du caractère proportionné de l’amende qui lui a été infligée. En effet, parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité d’une infraction figurent le nombre et l’intensité des comportements anticoncurrentiels (voir point 233 ci-dessus).

294    Deuxièmement, s’agissant de la discussion du 16 mars 2007, laquelle s’inscrit dans un comportement visant à la manipulation de l’Euribor, il a déjà été démontré, dans le cadre de l’examen de la première branche du quatrième moyen, que cette discussion relevait d’une infraction par objet. En application de la jurisprudence citée au point 287 ci-dessus, il n’est, dès lors, pas nécessaire d’examiner si cette discussion dispose d’un objet restrictif de concurrence en ce qu’elle constituerait également un échange sur des stratégies en matière de fixation des prix. L’argument des requérantes selon lequel la décision attaquée serait entachée d’un défaut de motivation en ce qui concerne les motifs ayant conduit la Commission à considérer que cette discussion portait sur la stratégie en matière de fixation des prix est donc, en tout état de cause, inopérant.

295    En conséquence, dans le cadre de l’examen de la présente branche, est uniquement en cause la qualification qu’il convient de retenir pour les discussions du 13 décembre 2006 (considérants 227 à 229 de la décision attaquée) et du 11 janvier 2007 (considérants 246 à 248 de la décision attaquée).

296    À cet égard, il ressort du considérant 227 de la décision attaquée que, lors de l’échange du 13 décembre 2006, le trader de Crédit agricole et le trader de Barclays ont discuté des transactions de FRA (forward rate agreement) pour les mois d’avril et de mai et ont échangé sur leurs appréciations du marché et sur leurs positions de trading. Le trader de Barclays a promis à celui de Crédit agricole de lui expliquer son nouveau modèle d’établissement de prix (« j[’]ai ouahed le pricer maintenant… laser chrome […] faut que je t[’]explique »), ce que ce dernier a accepté (« je suis preneur »), et lui a envoyé ensuite son « run » sur les onze échéances de taux d’intérêt (« 3.5970[ % ;] 3.5680[ % ;] 3.6299[ % ;] 3.7449[ % ;] 3.7616[ % ;] 3.8083[ % ;] 3.8535[ % ;] 3.8596[ % ;] 3.8713[ % ;] 3.8759[ % ;] 3.8725 % »).

297    Selon le considérant 246 de la décision attaquée, le 11 janvier 2007, le trader de Barclays a envoyé ses « runs » pour sept échéances (« 3.5770[ % ;] 3.5875[ % ;] 3.8095[ % ;] 3.8274[ % ;] 3.8598[ % ;] 3.9603[ % ; et] 3.9967[ %] ») au trader de Crédit agricole, en dehors du contexte d’une discussion sur une possible transaction.

298    Dans la mesure où, selon la décision attaquée, les échanges en cause portent sur les « runs », il convient de rappeler que, au considérant 32 de la décision attaquée, il est relevé que les termes « run » ou « mids », « [e]xpliqués simplement, […] peuvent être décrits comme des listes de prix d’un trader, d’un desk de négociation ou d’une banque concernant certains produits financiers standards ».

299    Au considérant 33 de la décision attaquée, il est souligné que « [l]es termes “run” ou “run through” font référence à une liste de niveaux indicatifs pour un ou plusieurs instruments financiers à un moment donné, par exemple pour différentes échéances d’un produit financier dérivé spécifique[ ; i]l n’existe pas de méthode de calcul unique d’un run, car il représente une perception individuelle du marché[ ; l]’échange de runs et les discussions sur les niveaux qu’ils contiennent permettent d’échanger des points de vue sur la situation actuelle ou escomptée du marché[ ; i]l ne s’agit pas encore d’une cotation ferme ou d’un prix de transaction avec une contrepartie réelle[ ; p]our produire une cotation ferme ou un prix de transaction, un trader tiendrait compte d’une série de considérations telles que la taille de la transaction, le niveau de risque associé et la stratégie de trading, ce qui n’est pas pris en compte dans un run contenant des niveaux indicatifs [et o]n peut s’attendre à ce qu’un run produit par un trader souhaitant vendre un produit inclue des niveaux qui sont inférieurs à un run produit par un trader souhaitant acheter ce produit spécifique ».

300    Il ressort de ce qui précède, ce qui est d’ailleurs confirmé par les requérantes, que les « runs » sont des niveaux indicatifs de taux auxquels un trader serait prêt à réaliser une transaction sur un instrument financier donné à plusieurs échéances. REP REQ MOP 25, 26 ; transcript d’audience p. 26-27 En réponse aux questions écrites et orales du Tribunal, les parties indiquent que, dans l’abstrait, les taux indicatifs compris dans les « runs » d’un trader portent soit sur des taux à l’achat et/ou à la vente (bid/offer), soit sur des prix médians (mids). Il ressort du dossier soumis devant le Tribunal, ce qui a été confirmé, en substance, par les parties en réponse aux questions orales du Tribunal, que les listes des taux échangées en l’espèce entre le trader de Barclays et celui de Crédit agricole contiennent une série de prix médians, à savoir des prix moyens indicatifs pour les différentes échéances.

301    À cet égard, il ressort du considérant 34 de la décision attaquée que le terme « mid » « fait référence au prix médian ou moyen entre les prix acheteurs et vendeurs (par exemple perçus, modélisés, cotés ou négociés) pour un produit spécifique[ ; les prix médians] constituent souvent une approximation fiable du prix auquel un teneur de marché négocierait avec un client, en particulier lorsque le marché est liquide et que l’écart acheteur/vendeur (“bid-offer spread”) est restreint ».

302    Toujours au considérant 34 de la décision attaquée, la Commission s’est référée à l’explication d’une banque selon laquelle « les traders de produits dérivés utilis[aient] les points médians sur leurs courbes de rendement pour déterminer les prix acheteurs ou vendeurs qu’ils [allaient] soumettre au marché[ ; s]’il conna[issai]t le prix médian d’un concurrent, bien qu’il ne s’agisse pas réellement du prix de transaction, un trader de produits dérivés [étai]t davantage en mesure de déterminer les prix acheteurs et vendeurs effectifs de ses concurrents[ ; l]es prix médians [étaien]t utilisés pour établir les prix, gérer les positions de trading et évaluer un portefeuille ».

303    Au considérant 419 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le prix médian constituait l’estimation par chaque trader du prix réel de l’EIRD et qu’il y avait autant d’estimations du prix médian que d’acteurs du marché « étant donné que le mid représent[ait] une perception individuelle du prix, et rév[élait] par conséquent une intention de prix ». À cet égard, elle a rappelé, notamment, que Crédit agricole définissait le « mid » comme la moyenne de prix d’achat et de vente qu’un trader serait prêt à proposer à ses clients, ce qui ressort également, en substance, des arguments avancés par les requérantes dans le cadre de la présente procédure. La Commission a ajouté que le « mid » était ainsi une valeur indicative proche du prix.

304    La Commission a justifié la qualification d’infraction par objet qu’elle a appliquée à l’égard des échanges sur les « runs » par la circonstance selon laquelle ces discussions mettaient les participants dans une situation d’asymétrie d’information favorable, en accroissant la transparence entre les parties et en réduisant sensiblement les incertitudes normales inhérentes au marché au profit des parties et au détriment des autres opérateurs du marché et des clients. Au moyen de ces pratiques, les participants à l’infraction se seraient dévoilé « des informations relatives aux aspects fondamentaux de leur stratégie et de leur comportement sur le marché en ce qui concern[ait] la fixation des prix », ce qui aurait donné lieu à une transparence entre les seules parties impliquées quant aux intentions de cotation des concurrents, impossible à atteindre sans ces échanges. Selon la Commission, ces échanges, portant sur des informations non accessibles au public, sont allés au-delà de ce qui était nécessaire pour la négociation légitime en vue de la conclusion des EIRD ou pour la diffusion non discriminatoire légitime d’informations en vue d’accroître la liquidité du marché (considérants 395 et 403 de la décision attaquée).

305    Ces appréciations de la Commission ne sont entachées d’aucune erreur de droit ou d’appréciation.

306    Par une première série d’arguments avancés dans le cadre de la seconde branche du quatrième moyen, les requérantes contestent que les « runs » constituent des listes de prix ou des informations exactes de cotations et soutiennent qu’il s’agit de niveaux indicatifs, non exploitables par le destinataire de ces informations en ce qui concerne l’établissement de ses propres offres de prix.

307    À cet égard, il convient de relever que des informations portant sur les prix médians, telles que contenues dans les « runs » échangés en l’espèce entre les parties, quand bien même ceux-ci ne constitueraient pas encore des prix fermes des EIRD (voir point 299 ci-dessus), sont, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, pertinentes pour la fixation des prix dans le secteur des EIRD.

308    En premier lieu, il est constant entre les parties pour la requérante :  que la détermination du taux fixe des EIRD par un trader se fait par référence à ce qu’il considère comme étant le prix médian, à savoir légèrement en dessous de celui-ci pour son « prix acheteur » et légèrement au-dessus de celui-ci pour son « prix vendeur », ainsi que l’a rappelé la Commission au considérant 419 de la décision attaquée.

309    En second lieu, il doit également être considéré que la connaissance du prix médian d’un concurrent ou, comme en l’espèce, d’une série de prix médians communiquée sous forme d’un « run », permet au trader d’apprécier sa perception des conditions actuelles ou escomptées du marché et, notamment, du taux variable Euribor et du taux fixe auquel il serait prêt à conclure un contrat. En effet, ainsi que les requérantes l’admettent, lorsqu’il établit son offre, le trader prend en compte, notamment, sa propre évaluation théorique du taux fixe de l’instrument en cause à l’aide de ses courbes de rendement, ces dernières étant élaborées sur la base de l’évaluation par la banque des conditions du marché. La courbe de rendement, qui permet ainsi d’estimer les taux futurs, est utilisée pour calculer la valeur des EIRD que le trader serait prêt à conclure.

310    En conséquence, les « runs » ou les « mids » qui constituent, selon les requérantes, le niveau indicatif des prix auxquels le trader serait prêt à conclure une transaction, tiennent nécessairement compte des estimations du taux Euribor, telles qu’elles résultent des courbes de rendement établies par sa banque.

311    Ainsi, en connaissant le prix médian d’un concurrent, bien qu’il ne s’agisse pas réellement d’un prix de transaction, comme le soulignent les requérantes, un trader est davantage en mesure de déterminer les prix acheteurs et vendeurs des concurrents. Cela est admis, en substance, par les requérantes lorsqu’elles soutiennent qu’en connaissant les « runs » de son concurrent, un trader peut avoir une idée du niveau auquel celui-ci est susceptible de conclure une transaction. Toutefois, elles soutiennent qu’une telle connaissance aurait des effets proconcurrentiels en ce qu’elle permettrait au trader de proposer aux clients une fourchette bid/offer réduite, question qu’il convient d’examiner ci-après (voir points 328 à 335 ci-après).

312    C’est donc à juste titre que la Commission a retenu que les échanges d’informations telles que les « runs » ou les « mids » permettaient d’accroître une transparence entre les seules parties participant à la collusion quant aux intentions en matière de fixation des prix de leurs concurrents et ainsi de réduire sensiblement les incertitudes normales inhérentes au marché des EIRD, sur lequel la capacité des banques à évaluer leurs risques liés à l’estimation individuelle de la valeur des EIRD, notamment à travers des estimations du niveau futur du taux Euribor, constitue l’un des paramètres essentiels de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 201 à 204).

313    Par ailleurs, un échange entre concurrents sur une donnée pertinente pour la détermination des prix et ne disposant pas d’un caractère public revêt un caractère d’autant plus sensible sous l’angle de la concurrence lorsqu’elle se déroule entre des traders agissant, comme les traders de Crédit agricole et celui de Barclays, en tant que « teneurs de marché », au regard de l’importance que jouent ceux-ci sur le marché des EIRD. En effet, ainsi qu’il a été souligné aux points 280 et 281 ci-dessus, les « teneurs de marché » interviennent de manière générale et continue et concluent donc un nombre plus important de transactions que les autres acteurs du marché. Sous l’angle du respect de la concurrence sur le marché, il est d’autant plus fondamental que la détermination de leurs prix se fasse de manière autonome.

314    Ces échanges, portant sur un élément pertinent pour la fixation d’un prix des EIRD, ont donc créé une asymétrie d’information préjudiciable à la concurrence et constituent des restrictions de concurrence par objet.

315    Les requérantes acceptent qu’un échange de « runs » ou de « mids » entre les traders puisse avoir un caractère sensible sous l’angle de la concurrence, mais limitent cette conclusion aux seules circonstances dans lesquelles les traders sont en concurrence pour un client. Un tel argument ne saurait prospérer. En effet, le caractère restrictif de concurrence des échanges porte, en l’espèce, sur un élément pertinent pour la fixation des prix d’un concurrent. Or, ce caractère restrictif n’est pas limité aux seules occasions où les traders sont sur le point de conclure une transaction avec un client en particulier, mais vise toute transaction relative à un EIRD qu’ils sont susceptibles de proposer aux clients, dont le prix ne sera pas établi de manière indépendante, mais en tenant compte des informations obtenues d’un concurrent quant à ses intentions de prix.

316    Il s’ensuit que, même si la Commission a seulement retenu, à l’égard des discussions en cause portant sur les stratégies en matière de fixation des prix, un échange d’informations confidentielles et n’a pas relevé de tentatives des requérantes d’aligner leur comportement sur le marché, au regard tant de leur nature propre que du fonctionnement du marché des EIRD au sens de la jurisprudence citée au point 250 ci-dessus, les « runs », par lesquels les parties s’échangent leurs estimations des prix moyens aux différentes échéances, constituent une information à caractère sensible, de sorte que leur simple communication entre concurrents dispose d’un objet restrictif de concurrence au sens de la jurisprudence citée aux points 247 à 250 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, point 75).

317    Par une seconde série d’arguments, les requérantes font valoir que, eu égard au contexte dans lequel opèrent les traders, les « runs » échangés en l’espèce entre ces derniers n’ont pas de caractère sensible ou stratégique dont l’échange créerait une asymétrie d’information, mais que leur communication relève d’un processus normal de manifestation d’intérêt et de recherche d’information sur la situation actuelle ou future du marché pour identifier l’opportunité d’une transaction. En s’appuyant sur plusieurs études, les requérantes allèguent que les niveaux indicatifs des prix sont largement diffusés sur le marché, ce qui fait partie d’une transparence « prétransactionnelle » de l’information visant à accroître la liquidité du marché.  

318    À cet égard, il convient de relever que les informations sur les prix médians, tels que communiqués à travers les « runs » échangés en l’espèce entre les traders, ne revêtent pas pour les produits dérivés OTC, c’est-à-dire négociés de gré à gré, le caractère public dont elles disposent à l’égard des produits dérivés négociés sur un marché réglementé (arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 142, confirmé, sur ce point, par l’arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 195). S’il est constant entre les parties que des « runs » ou des informations sur les prix médians relatives à de tels produits EIRD peuvent faire l’objet d’une publicité, directement de la part de certains traders ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés de courtage, il n’en demeure pas moins que de telles informations ne sont généralement pas disponibles.

319    En tout état de cause, à supposer même que les « runs » soient largement diffusés par les traders, ainsi que le soutiennent les requérantes, une distinction doit être effectuée entre, d’une part, les concurrents qui glanent des informations de façon indépendante ou discutent des prix futurs avec des clients et des tiers, ce qui est le cas dans le cadre de la diffusion des « runs » mise en avant par les requérantes, et, d’autre part, les concurrents qui discutent des facteurs de tarification et de l’évolution des prix avec d’autres concurrents. En effet, si le premier comportement ne soulève aucune difficulté au regard de l’exercice d’une concurrence libre et non faussée, il n’en va pas de même du second (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Dole Food et Dole Germany/Commission, T‑588/08, EU:T:2013:130, points 291 et 292 et jurisprudence citée).

320    Ainsi, quand bien même, en l’espèce, les traders auraient échangé des informations qui, par ailleurs, auraient été diffusées ou auraient pu être obtenues par le biais d’autres sources, les contacts entre les traders qui sont des concurrents ne deviendraient pas de ce fait légitimes, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 247 et 248 ci-dessus, tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur. Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou escompté de leurs concurrents, elle s’oppose rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet, notamment, de dévoiler à un concurrent le comportement qu’ils ont décidé ou qu’ils envisagent de tenir eux-mêmes sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 202 et jurisprudence citée).

321    En outre, l’envoi direct par le trader de Barclays de ses « runs » contenant une liste des prix moyens permettait au trader de Crédit agricole d’avoir connaissance de ces informations de façon plus simple, rapide et directe que par le biais du marché. Cet envoi a permis également de créer entre les traders un climat de certitude mutuelle quant à leurs futures politiques de prix au sens de la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 323 et jurisprudence citée).

322    Enfin, il est, certes, vrai que les teneurs de marché, tels Crédit agricole et de Barclays, agissent à la fois en tant que contreparties en concluant des transactions entre eux et en tant que concurrents à l’égard des clients potentiels. Toutefois, ce contexte du fonctionnement du marché des EIRD, mis en exergue par les requérantes, a été pris en compte par la Commission dans la décision attaquée, lorsqu’elle a indiqué que les échanges en cause avaient eu lieu en dehors du cadre de négociations contractuelles [voir, notamment, considérant 390, considérant 392, sous g), et considérant 403 de la décision attaquée]. Les requérantes ne contestent pas cette conclusion, mais affirment uniquement qu’elle n’est pas suffisante pour conclure au caractère restrictif de concurrence par objet des échanges en cause, dans la mesure où, bien que n’ayant pas eu lieu dans la perspective d’une transaction potentielle, les échanges en cause poursuivaient des objectifs légitimes. De tels arguments visent, en réalité, à démontrer de prétendus effets proconcurrentiels des échanges en cause, ce qu’il convient d’examiner ci-après.

323    Il s’ensuit que, sous réserve de l’examen, ci-après, du grief tiré des effets proconcurrentiels des échanges en cause et en appliquant par analogie les considérations énoncées au point 287 ci-dessus, selon lesquelles il n’est pas nécessaire d’examiner si les comportements en cause disposent d’un objet restrictif de concurrence également en ce qu’ils portaient sur d’autres conditions de transaction, la seconde branche du quatrième moyen doit être rejetée comme non fondée.

3)      Sur les effets proconcurrentiels des comportements en cause

324    En premier lieu, les requérantes soutiennent que, en estimant que les échanges d’informations portant sur les « runs » étaient restrictifs de concurrence « par objet », la Commission n’a pas pris en compte les caractéristiques des marchés OTC et soutiennent, en substance, que de tels échanges ont des effets proconcurrentiels, bénéfiques pour le marché et légitimes, en ce qu’ils permettent de resserrer la fourchette bid/offer au profit des clients et rendent le marché des EIRD plus transparent en accroissant la liquidité sur celui-ci.

325    À cet égard, il importe de relever que, lorsque les parties à un accord ou à une pratique concertée se prévalent d’effets proconcurrentiels attachés à ceux-ci, ces effets doivent, en tant qu’éléments du contexte de cet accord ou de cette pratique concertée, au sens de la jurisprudence citée au point 245 ci-dessus, être dûment pris en compte aux fins de la qualification de « restriction par objet », dans la mesure où ils sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation globale du degré suffisamment nocif de la pratique collusoire concernée à l’égard de la concurrence et, en conséquence, sa qualification de « restriction par objet » [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 103].

326    La prise en compte de ces effets proconcurrentiels ayant pour objet non d’écarter la qualification de « restriction de concurrence », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais simplement d’appréhender la gravité objective de la pratique concernée et, en conséquence, d’en définir les modalités de preuve, elle ne se heurte pas à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle le droit de la concurrence de l’Union européenne ne connaît pas de « règle de raison », en vertu de laquelle il devrait être procédé à une mise en balance des effets pro et anticoncurrentiels d’un accord à l’occasion de sa qualification de « restriction de concurrence », au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 104 et jurisprudence citée].

327    Toutefois, la seule présence d’effets proconcurrentiels, à supposer qu’ils soient avérés, pertinents et propres à l’accord concerné, ne saurait, en tant que telle, conduire à écarter la qualification de « restriction par objet », dans la mesure où ces effets proconcurrentiels doivent être également suffisamment importants pour permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence des pratiques en cause et, partant, de leur objet anticoncurrentiel. À l’inverse, des effets dont le caractère proconcurrentiel est minime, voire incertain, ne sauraient être suffisants pour permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif d’une pratique à l’égard de la concurrence [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 105 à 107 et 110].

328    En l’espèce, les requérantes se bornent à soutenir, en substance, que, en connaissant les niveaux auxquels son concurrent est susceptible de conclure une transaction, un trader peut anticiper les conditions dans lesquelles il peut « se couvrir » et ainsi proposer une fourchette de cotation (bid-ask) réduite à un client. Toutefois, les requérantes ne démontrent pas que de tels effets, à les supposer avérés, sont propres aux pratiques d’échanges des « runs » ou des « mids » au sens de la jurisprudence citée au point 327 ci-dessus. Les requérantes restent en défaut d’établir que seul l’échange d’informations confidentielles sur les niveaux indicatifs des prix des concurrents, tels que les « runs » ou les « mids », permet au trader d’offrir aux clients les conditions avantageuses dont elles se prévalent, alors que la capacité des banques à évaluer leurs risques liés à l’estimation individuelle de la valeur des EIRD constitue un élément clé de la concurrence.

329    Par ailleurs, à aucun moment les requérantes ne démontrent l’importance des prétendus effets proconcurrentiels notamment en ce qui concerne des conditions de transaction telles que le prix que le trader aurait été en mesure d’offrir à un client grâce aux échanges en cause par rapport aux conditions de transaction qu’il était susceptible de proposer sans de tels comportements restrictifs de concurrence.

330    En tout état de cause, selon une jurisprudence constante, l’article 101 TFUE vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle. Dès lors, la constatation de l’existence de l’objet anticoncurrentiel d’une pratique concertée ne saurait être subordonnée à celle d’un lien direct de celle-ci avec les prix à la consommation (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, points 38 et 39, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 125). En conséquence, un prétendu avantage, qui résulterait pour les clients des traders des échanges sur les « runs » et sur les « mids », ne saurait en tout état de cause suffire pour permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence des échanges en cause (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 198 et 199).

331    À cet égard, ainsi qu’il ressort du point 312 ci-dessus, la communication, par le trader de Barclays, de ses « runs » a réduit l’incertitude quant à son comportement futur en matière de fixation des prix au profit du seul trader de Crédit agricole et au détriment des autres concurrents ne participant pas à ces échanges.

332    Ainsi, contrairement à ce que soutiennent, en substance, les requérantes, de tels échanges d’informations n’ont permis d’accroître la transparence qu’entre les parties à l’entente en fournissant au trader de Crédit agricole une information importante quant au comportement que le trader de Barclays envisageait d’adopter sur le marché, lui permettant d’ajuster son comportement sur le marché, à savoir le niveau de prix qu’il allait proposer aux clients au détriment des autres acteurs du marché (voir, considérant 403 de la décision attaquée).

333    De même, ne saurait prospérer l’argument des requérantes selon lequel les échanges en cause poursuivaient un intérêt légitime ou avaient un effet proconcurrentiel dans la mesure où ils permettaient d’accroître la liquidité sur le marché. En effet, ainsi que la Commission l’a relevé en substance, au considérant 403 de la décision attaquée, tandis que les destinataires de la décision attaquée, y compris Crédit agricole, agissaient tous en qualité de teneurs de marché, en se déclarant ainsi capables d’acheter ou de vendre les produits financiers de manière générale et continue en assurant de la sorte la liquidité du marché, des échanges sur les stratégies de fixation des prix n’étaient pas nécessaires pour arriver à cette fin.

334    En second lieu, dans la mesure où les requérantes soutiennent, en substance, que, eu égard aux caractéristiques du marché des EIRD et plus particulièrement à son caractère peu transparent, les échanges d’informations relatives aux manipulations des taux de référence, visés dans le cadre de la première branche du quatrième moyen, peuvent être neutres, voire positifs, pour la nature compétitive du marché en ce qu’ils permettent de réaliser divers types de gains d’efficacité et, notamment, de résoudre les problèmes d’asymétrie d’information, il suffit de relever que ces arguments sont trop vagues pour permettre au Tribunal d’examiner si de tels échanges étaient susceptibles d’avoir des effets proconcurrentiels suffisants au sens de la jurisprudence citée au point 327 ci-dessus afin d’écarter la qualification de « restriction par objet » de ceux-ci.

335    Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté dans son ensemble comme non fondé.

d)      Sur le huitième moyen de la requête, contestant l’imputabilité à Crédit agricole du comportement de ses traders 

336    Dans le cadre de leur huitième moyen, les requérantes font valoir que, quand bien même les traders auraient eu un comportement infractionnel, leurs activités n’étaient pas de nature à engager la responsabilité de Crédit agricole dans la mesure où ils n’ont agi ni dans l’intérêt de cette dernière ni dans le cadre de l’habilitation à agir pour son compte en ce qui concernait les contributions à l’indice Euribor et où ils ne formaient pas une unité économique avec elle au sens de la jurisprudence. Les traders auraient donc éventuellement agi dans leur intérêt propre.

337    La Commission conteste les arguments des requérantes.

338    Aux considérants 596 à 607 de la décision attaquée, la Commission a rejeté les arguments similaires avancés par Crédit agricole dans la réponse à la communication des griefs, en estimant, en substance, que, en tant qu’employés de Crédit agricole, les traders étaient censés agir pour son compte, notamment lorsqu’ils agissaient dans le cadre de leurs fonctions visant à négocier les EIRD. Le fait qu’ils n’étaient pas explicitement habilités à participer aux comportements qui sont reprochés aux requérantes, ou qu’ils n’étaient pas autorisés à faire des soumissions de taux de référence, ne permet pas d’exclure la responsabilité de Crédit agricole pour les agissements de ses employés. En tout état de cause, du fait d’un niveau élevé d’enregistrement et de surveillance de chaque employé impliqué dans l’activité se rapportant aux marchés financiers internationaux, Crédit agricole a ou aurait dû avoir connaissance des caractéristiques essentielles du plan collusoire et de l’implication de ses traders.

339    Ces considérations de la Commission ne sont entachées d’aucune erreur de droit ou d’appréciation.

340    À cet égard, il convient de rappeler que le droit de la concurrence de l’Union vise les « entreprises », notion qui doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, points 54 et 55).

341    S’il n’était pas permis d’assimiler les personnes physiques aux entreprises qu’elles représentent lors de réunions anticoncurrentielles, l’interdiction posée par l’article 101 TFUE deviendrait impossible à faire respecter. L’application de l’article 101 TFUE suppose l’action d’une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l’entreprise, indépendamment de l’action ou même de la connaissance des associés ou des gérants principaux de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 16 février 2017, H&R ChemPharm/Commission, C‑95/15 P, non publié, EU:C:2017:125, point 34 et jurisprudence citée, et du 6 mars 2012, FLS Plast/Commission, T‑64/06, non publié, EU:T:2012:102, point 69 et jurisprudence citée).

342    En l’espèce, il convient de relever que les traders impliqués dans les échanges retenus par la Commission dans la décision attaquée à l’encontre de Crédit agricole étaient des employés de CACIB. Cette circonstance, relevée au considérant 591 de la décision attaquée, n’est pas contestée par les requérantes.

343    Il ressort de la jurisprudence que, pour conclure que des employés forment une unité économique avec leur employeur, il convient de vérifier s’ils exercent leurs fonctions en faveur et sous la direction de l’entreprise pour laquelle ils travaillent (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 1999, Becu e.a., C‑22/98, EU:C:1999:419, point 26).

344    En s’appuyant sur cette jurisprudence, les requérantes font valoir que les traders n’ont agi ni dans l’intérêt de leur employeur, mais tout au plus dans leur propre intérêt, ni pour le compte de celui-ci, dans la mesure où ils ont agi en dehors du cadre de leur fonction et en dépassant les missions qui leur ont été confiées par l’une des requérantes, de sorte qu’ils ne peuvent pas être considérés comme formant une unité économique avec elle.

345    À titre liminaire, il convient de relever que les requérantes ne contestent pas que les pratiques d’échanges d’informations sur les intentions de fixation des prix ou les stratégies de trading relèvent des attributions des traders en matière d’achat et de vente des EIRD. Leurs contestations se limitent donc à une éventuelle habilitation des traders à agir en ce qui concerne les tentatives de manipulation du taux de référence.

346    À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qui ressort implicitement, mais nécessairement, des arguments des requérantes, l’« habilitation à agir » pour le compte de l’une des requérantes ne doit pas couvrir explicitement l’autorisation de s’entretenir avec les traders des autres banques afin de tenter d’influencer, de manière coordonnée, les soumissions de l’Euribor de leurs banques respectives. Ainsi que la Commission l’a souligné au considérant 603 de la décision attaquée, la participation à des ententes interdites par l’article 101 TFUE constitue le plus souvent une activité clandestine qui n’est pas soumise à des règles formelles. Il est rare qu’un représentant d’une entreprise participe à une réunion en étant muni d’un mandat aux fins de commettre une infraction (arrêt du 7 février 2013, Slovenská sporiteľňa, C‑68/12, EU:C:2013:71, point 26).

347    Deuxièmement, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, le comportement infractionnel adopté par les traders de Crédit agricole rentrait bien dans le cadre de leurs attributions, telles qu’elles résultaient, notamment, de la fiche de poste de l’un d’entre eux, sur laquelle s’appuient les requérantes, visant à gérer, pour le compte de Crédit agricole ou de la clientèle de celle-ci, le portefeuille des produits financiers de Crédit agricole ou de ses clients, et non leurs portefeuilles personnels. Ainsi qu’il a été relevé dans le cadre de l’examen du quatrième moyen, les tentatives de manipulation du taux Euribor avaient pour objectif d’augmenter le flux de trésorerie que la banque aurait dû recevoir ou de diminuer celui qu’elle aurait été obligée à payer en fonction des contrats négociés par son trader.

348    Troisièmement, même si la présentation des soumissions au panel de l’Euribor ne relève pas de la compétence des traders de Crédit agricole, mais de la trésorerie de cette dernière (voir point 193 ci-dessus), de telles soumissions sont intimement liées aux produits dérivés que les traders négociaient pour le compte de Crédit agricole ou de ses clients. Il ne saurait, dès lors, être conclu que, lorsque les traders discutaient du niveau des taux Euribor qui pourrait présenter un avantage pour leur activité de trading ou de leur intention d’influencer la soumission de leur trésorerie au panel Euribor, de telles discussions ne relevaient plus du champ d’application de la relation de travail les unissant à l’une des requérantes.

349    En conséquence, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, il ne saurait être conclu que, en s’engageant dans les comportements visés au considérant 113, sous a) à f), au considérant 358, sous a) à f), et au considérant 392, sous a) à f), de la décision attaquée, les traders de Crédit agricole ont agi en dehors du cadre de leurs fonctions.

350    En application de la jurisprudence citée au point 341 ci-dessus, la connaissance par les associés ou les gérants de l’entreprise des agissements de leurs employés impliqués dans les comportements infractionnels n’est pas requise pour tenir ladite entreprise responsable de ces derniers. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les arguments des parties relatifs à une éventuelle connaissance par les associés ou les gérants de Crédit agricole des pratiques alléguées de ses traders du fait de l’existence d’un contrôle de leurs activités par le biais du monitoring ou des enregistrements de leurs conversations.

351    Partant, il y a lieu de rejeter le huitième moyen comme non fondé.

3.      Sur la qualification d’infraction unique et continue retenue par la Commission (cinquième, sixième et septième moyens de la requête)

352    Les cinquième, sixième et septième moyens visent à contester la conclusion de la Commission portant sur la participation de Crédit agricole à une infraction unique et continue.

353    Selon une jurisprudence constante, une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence sur le marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 156 et jurisprudence citée).

354    Une entreprise ayant participé à une telle infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 157 et jurisprudence citée).

355    Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas la Commission est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de cette infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, la Commission est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par suite, de celle‑ci dans son ensemble (voir arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 158 et jurisprudence citée).

356    En revanche, si une entreprise a directement pris part à un ou à plusieurs des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique et continue, mais qu’il n’est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l’ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l’entente ni qu’elle avait connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par ces participants dans la poursuite des mêmes objectifs, ni qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, la Commission n’est en droit de lui imputer la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu’elle poursuivait et dont il est prouvé qu’elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque (voir arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 159 et jurisprudence citée).

357    L’entreprise concernée doit ainsi connaître la portée générale et les caractéristiques essentielles de l’entente globale (voir arrêt du 10 octobre 2014, Soliver/Commission, T‑68/09, EU:T:2014:867, point 64 et jurisprudence citée).

358    Par ailleurs, aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il n’y a pas lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. En effet, le Tribunal n’est pas tenu d’examiner une telle condition supplémentaire de complémentarité. En revanche, la condition tenant à la notion d’« objectif unique » implique qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, points 247 et 248, et du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch Belgium/Commission, C‑642/13 P, EU:C:2017:58, point 57).

359    En outre, dans la mesure où la qualification d’infraction unique et continue aboutit à imputer à une entreprise la participation à une infraction au droit de la concurrence, il convient de rappeler que, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 71 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2019, ABB/Commission, C‑593/18 P, non publié, EU:C:2019:1027, point 38 et jurisprudence citée).

360    Pour établir l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves sérieuses, précises et concordantes. Toutefois, chacune des preuves apportées par cette dernière ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par cette institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 47 et jurisprudence citée).

361    De plus, s’il subsiste un doute dans l’esprit du juge, il doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction (voir arrêt du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C‑90/15 P, non publié, EU:C:2017:123, point 18 et jurisprudence citée). En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 66 ci-dessus, la présomption d’innocence constitue un principe général du droit de l’Union, qui est aujourd’hui énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, lequel s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes.

362    En l’espèce, pour justifier la qualification d’infraction unique et continue appliquée aux comportements auxquels ont participé les banques, dont Crédit agricole, en premier lieu, la Commission a retenu que lesdits comportements poursuivaient un objectif économique unique (considérants 444 à 450 de la décision attaquée) consistant en la réduction des flux de trésorerie que les participants auraient à payer au titre des EIRD ou à l’augmentation de ceux qu’ils devaient recevoir. En deuxième lieu, elle a estimé que les différents comportements relevaient d’un schéma de comportement commun, dès lors qu’un groupe stable de personnes était impliqué dans l’entente, que les parties avaient suivi un schéma très similaire dans leurs activités anticoncurrentielles et que les diverses discussions entre les parties couvraient des sujets identiques ou qui se recoupaient et avaient donc un contenu identique ou partiellement identique (considérants 451 à 456 de la décision attaquée). En troisième lieu, elle a estimé que les traders participant aux échanges anticoncurrentiels étaient des professionnels qualifiés et connaissaient ou auraient dû connaître la portée générale et les caractéristiques essentielles de l’entente dans son ensemble (considérants 457 à 483 de la décision attaquée).

363    La Commission a estimé que Crédit agricole avait participé à cette infraction unique et continue, tout en soulignant que les échanges bilatéraux avec Barclays étaient en eux-mêmes constitutifs d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (considérant 485 de la décision attaquée).

364    Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 353 à 356 ci-dessus, trois éléments sont déterminants aux fins de conclure à la participation d’une entreprise à une infraction unique et continue. Le premier concerne l’existence même de l’infraction unique et continue. Les différents comportements en cause doivent relever d’un « plan d’ensemble » disposant d’un objectif unique. Les deuxième et troisième éléments concernent l’imputabilité de l’infraction unique et continue à une entreprise. D’une part, cette entreprise doit avoir eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. D’autre part, elle doit avoir eu l’intention de contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants. L’existence de ces trois éléments est contestée, respectivement, dans le cadre du cinquième moyen et des deux branches du sixième moyen, alors que le septième moyen est tiré d’une erreur de droit commise par la Commission dans la qualification de l’infraction en cause de continue.

a)      Sur le cinquième moyen de la requête, tiré d’une erreur de droit dans la qualification de l’ensemble des pratiques d’infraction unique et dun défaut de motivation

365    Aux fins de contester la légalité de la qualification d’infraction unique retenue par la Commission, d’une part, les requérantes soutiennent que les échanges d’informations évoqués au considérant 358, sous g), de la décision attaquée ne relèvent pas d’un plan d’ensemble poursuivant le même objectif commun que les manipulations du fixing alléguées au considérant 358, sous a) à f), de ladite décision et que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation. D’autre part, les requérantes font valoir que les manipulations de l’Euribor aux dates IMM et les autres manipulations de l’Euribor ne partagent pas le même objectif.

366    La Commission conteste les arguments des requérantes et estime que l’ensemble des comportements en cause peut être rattaché à l’objectif unique qu’elle a identifié. La décision attaquée serait également suffisamment motivée.

1)      Sur le défaut de motivation

367    Les requérantes font valoir que, à la différence de la communication des griefs, la grande majorité des échanges d’informations portant sur les stratégies en matière de fixation des prix et ayant impliqué les banques ayant transigé ne figure plus dans la décision attaquée. Ainsi, cette décision, en ce qu’elle tiendrait Crédit agricole pour responsable de ces comportements au titre d’une infraction unique et continue sans les expliciter, serait entachée d’un défaut de motivation.

368    À cet égard, il convient de relever que la Commission a identifié les comportements qui, selon elle, relevaient de l’infraction unique imputée aux banques concernées, dont Crédit agricole, notamment au considérant 358 de la décision attaquée. Le fait que certains autres échanges qui auraient été mentionnés dans la communication des griefs ne figurent pas dans la décision attaquée n’est pas pertinent à cet égard, dans la mesure où il convient de considérer qu’ils n’ont pas été retenus par la Commission à l’encontre des destinataires de la décision attaquée, dont Crédit agricole. Contrairement à ce qu’avancent les requérantes, le considérant 492 de la décision attaquée n’est pas en contradiction avec cette conclusion.

369    Partant, si, au titre de l’infraction unique relevée par la Commission, Crédit agricole est tenue pour responsable des comportements d’autres banques, elle ne l’est qu’en ce qui concerne les comportements qui sont explicités dans la décision attaquée, ainsi qu’il ressort, en substance, du considérant 484 de la décision attaquée.

370    En conséquence, le grief tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée doit être rejeté comme non fondé.

2)      Sur l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique

371    Les requérantes soutiennent, en substance, que des échanges entre les traders portant sur les stratégies en matière de fixation des prix, visés au considérant 358, sous g), de la décision attaquée, à savoir, en ce qui concerne Crédit agricole, les échanges sur les « runs », ne peuvent relever du même objectif unique que les échanges relatifs aux manipulations des taux de référence, visés au considérant 358, sous a) à f), de cette décision.

372    Les motifs pertinents figurent aux considérants 444 à 456 de la décision attaquée, sous les titres « Objectif économique unique » et « Schéma de comportement commun », et ont été résumés au point 362 ci-dessus.

373    Plus particulièrement, au considérant 445 de la décision attaquée, l’objectif unique retenu par la Commission a été présenté comme étant la « [réduction des] flux de trésorerie [que les parties à l’entente] auraient à payer (ou [l’augmentation de] ceux qu’elles recevraient) et par conséquent [l’augmentation de] la valeur des EIRD qu’elles détenaient dans leur portefeuille, au détriment des contreparties à ces EIRD ».

374    Ainsi que cela a été relevé aux points 188 et 262 ci-dessus, les flux de trésorerie liés à un EIRD découlent de la différence entre le taux fixe du contrat, c’est-à-dire celui qui est négocié entre les parties, et le taux variable, lequel est fonction du taux de référence.

375    À titre liminaire, il convient de rappeler que la notion d’« objectif unique » ne saurait être déterminée par référence générale à la distorsion de la concurrence dans un secteur donné, dès lors que l’affectation de la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément consubstantiel à tout comportement relevant du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Une telle définition de la notion d’« objectif unique » risquerait de priver la notion d’« infraction unique et continue » d’une partie de son sens dans la mesure où elle aurait comme conséquence que plusieurs comportements concernant un secteur économique, interdits par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, devraient systématiquement être qualifiés d’éléments constitutifs d’une infraction unique (arrêts du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, EU:T:2007:380, point 180, et du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, EU:T:2010:165, point 92).

376    Il découle nécessairement de ce qui précède que, en l’espèce, seules des restrictions de concurrence à l’égard desquelles il a été démontré qu’elles avaient pour objet de fausser le cours normal soit du taux fixe, soit du taux variable des EIRD peuvent relever de l’objectif unique retenu par la Commission. En effet, il serait contraire à la jurisprudence citée au point 375 ci-dessus d’inclure dans ledit objectif des comportements restrictifs de concurrence ne disposant pas d’un lien suffisamment étroit avec la fixation de ces taux.

377    Il convient, partant, de vérifier si l’ensemble des comportements retenus par la Commission à l’encontre des requérantes peut être rattaché à cet objectif unique. À cet égard, il y a lieu d’établir une distinction entre, d’une part, les comportements portant sur la manipulation des soumissions à l’Euribor et, d’autre part, les échanges portant sur les positions de trading relatives aux EIRD ainsi que ceux portant sur des informations détaillées non accessibles au public sur les intentions et stratégies en matière de fixation des prix des EIRD.

378    En ce qui concerne, en premier lieu, les échanges relatifs aux manipulations des soumissions à l’Euribor, dès lors que le taux variable d’un EIRD est directement fondé sur le taux de référence, ceux-ci relèvent nécessairement de l’objectif unique identifié par la Commission.

379    S’agissant de Crédit agricole, relèvent de cet objectif les discussions des 16 octobre, 13, 16 novembre et 5 décembre 2006 et des 14 février, 1er, 16 et 19 mars 2007, visées aux points 202 à 210 ci-dessus, qui s’inscrivent dans la perspective des manipulations du taux Euribor aux différentes échéances.

380    Les requérantes indiquent encore que les manipulations du fixing en fonction des positions détenues en portefeuille et celles programmées en prévision d’une échéance IMM ne partagent pas le même objectif, dès lors que, en substance, elles divergent en ce qui concerne tant le niveau de planification et le degré de participation des trésoreries que les chances de succès et l’ampleur des gains escomptés. Cet argument n’est pas fondé. En effet, si la jurisprudence citée au point 375 ci-dessus empêche la Commission de retenir une définition de l’objectif unique si large qu’elle s’apparenterait à une référence générale à une distorsion de la concurrence dans un secteur donné, il serait contraire à la logique de la notion d’« infraction unique » de lui imposer, dans la définition de cet objectif unique, une obligation de précision telle qu’elle empêcherait, de fait, d’inclure dans la même infraction des comportements se caractérisant par différents niveaux de planification, d’intensité de l’implication des différents acteurs ou d’ampleur des gains en résultant.

381    Partant, il convient de conclure que tous les échanges relatifs aux manipulations des taux de référence relèvent du même objectif unique, tel que retenu par la Commission.

382    En ce qui concerne, en deuxième lieu, d’une part, l’ensemble des échanges portant sur des positions de trading et, d’autre part, l’échange concernant les intentions et les stratégies en matière de fixation des prix des EIRD du 16 mars 2007, il suffit de relever, ainsi qu’il ressort, en substance, des points 200 et 294 ci-dessus, qu’ils ont eu lieu dans la perspective d’une manipulation des taux de référence ou conjointement à celle-ci. Les requérantes ne contestent pas spécifiquement que ces échanges relèvent de l’objectif unique défini par la Commission. En tout état de cause, il convient de relever, ainsi qu’il ressort en substance du considérant 417 de la décision attaquée, que ces échanges sur les positions de trading ont eu un caractère complémentaire des pratiques relatives aux manipulations des taux en ce qu’elles servaient à vérifier si les intérêts commerciaux des parties étaient convergents avant qu’elles n’entament d’autres mesures concertées visant à influencer les soumissions des banques au panel Euribor. Il s’ensuit que ces échanges sur les positions de trading relèvent de l’objectif unique pour les motifs exposés aux points 378 à 381 ci-dessus.

383    S’agissant, en troisième lieu, des échanges portant sur des informations détaillées non accessibles au public concernant les intentions et stratégies en matière de fixation des prix des EIRD n’ayant pas eu lieu dans la perspective d’une manipulation des taux de référence ou conjointement à celle-ci, il ressort des points 375 et 376 ci-dessus qu’ils relèvent de l’objectif unique retenu par la Commission pour autant qu’elle ait démontré qu’ils avaient pour objet de fausser le cours normal soit du taux fixe, soit du taux variable des EIRD. Ainsi qu’il ressort des points 307 à 312 ci-dessus, tel est le cas en l’espèce des échanges du 13 décembre 2006 et du 11 janvier 2007 entre le trader de Crédit agricole et celui de Barclays portant sur les « runs », dans la mesure où la connaissance d’une série de prix médians communiqués sous forme d’un « run » permet à un trader d’apprécier la perception qu’a son concurrent des conditions actuelles ou escomptées du marché et, notamment, de l’évolution du taux variable Euribor et du taux fixe auquel il serait prêt à conclure un contrat EIRD.

384    La conclusion selon laquelle l’ensemble des échanges reprochés, en l’espèce, à Crédit agricole forme une infraction unique est confortée par d’autres éléments mis en avant par la Commission dans la décision attaquée visant à démontrer que ces échanges relevaient d’un « plan d’ensemble » poursuivant l’objectif unique. En effet, les pratiques en cause concernent les mêmes produits, à savoir les EIRD, et prennent la forme d’échanges bilatéraux relativement réguliers, se chevauchant dans le temps et intervenant au sein d’un groupe stable de personnes employées par les parties, à savoir, s’agissant des échanges impliquant Crédit agricole, deux de ses traders et un trader de Barclays (considérant 447 de la décision attaquée). Ces éléments ont été identifiés par la jurisprudence comme étant pertinents pour apprécier le caractère unique d’une infraction (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 243, et du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 60 et jurisprudence citée).

385    Les arguments des requérantes visant à distinguer les échanges sur les intentions et les stratégies de fixation des prix de ceux relatifs aux manipulations des taux, en raison du caractère prétransactionnel des échanges sur les intentions ou les stratégies de fixation des prix en opposition aux tentatives de manipulations de l’Euribor qui concerneraient des positions déjà détenues par les traders dans leurs portefeuilles, ne sont pas susceptibles de remettre en cause la conclusion selon laquelle l’ensemble de ces échanges s’inscrit dans un objectif unique, tel qu’identifié par la Commission. En effet, l’ensemble de ces comportements vise à influencer les flux de trésorerie dus au titre des EIRD au détriment des acteurs du marché ne participant pas à ces échanges.

386    De même, l’argument tiré du caractère bilatéral des échanges sur les intentions ou les stratégies de fixation des prix ne peut être utilement invoqué aux fins de remettre en cause la conclusion selon laquelle ils relèvent de l’objectif unique. Cet argument vise, en substance, à contester la connaissance qu’auraient eue les traders de Crédit agricole de l’implication des autres banques dans les pratiques en cause, ce qu’il convient d’examiner dans le cadre de la première branche du sixième moyen (voir points 413 à 426 ci-après).

387    Les requérantes invoquent également l’absence de démonstration d’un lien d’« interdépendance » entre les échanges relatifs aux manipulations des taux et ceux portant sur les intentions ou les stratégies en matière de fixation des prix. Elles font valoir que l’absence d’un lien de complémentarité constitue un élément susceptible d’indiquer que les comportements en cause ne partagent pas le même objectif et ne s’inscrivent pas dans un « plan d’ensemble ».

388    À cet égard, il convient de rappeler que, certes, des liens de complémentarité entre des accords ou des pratiques concertées constituent des indices objectifs de l’existence d’un plan d’ensemble (voir arrêt du 15 décembre 2016, Philips et Philips France/Commission, T‑762/14, non publié, EU:T:2016:738, point 169 et jurisprudence citée).

389    Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 358 ci-dessus, aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il n’est pas nécessaire d’établir, dans toutes les circonstances, qu’ils présentent un lien de complémentarité, ce qui est admis, en substance, par les requérantes.

390    En l’espèce, il suffit de relever que, au regard de l’objet même des comportements en cause, qui visent à influencer le flux de trésorerie dû au titre des EIRD au détriment des acteurs du marché ne participant pas à ces échanges, ainsi que compte tenu des circonstances rappelées au point 384 ci-dessus, l’absence d’un lien d’« interdépendance » ou de complémentarité entre les échanges relatifs aux manipulations de taux et ceux portant sur les intentions et les stratégies en matière de fixation des prix, à la supposer établie, n’est, en tout état de cause, pas de nature à remettre en cause la conclusion énoncée au point 383 ci-dessus.

391    Il résulte de ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

b)      Sur le sixième moyen de la requête, contestant la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble » et sa volonté d’y participer

392    Le sixième moyen, par lequel les requérantes contestent, en substance, que l’infraction unique en cause puisse être imputée à Crédit agricole, est divisé en deux branches, en ce qu’elles soutiennent que la Commission ne démontre pas, d’une part, que Crédit agricole avait, ou aurait dû avoir, connaissance du plan global des pratiques en cause et, d’autre part, qu’elle avait l’intention de contribuer à l’objectif unique.

1)      Sur la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble »

393    Les requérantes font valoir que ni les motifs de la décision attaquée concernant l’ensemble des banques, figurant aux considérants 458 à 465 de celle-ci, ni ceux propres à Crédit agricole, figurant aux considérants 466 à 470 de cette même décision, ne permettent de démontrer que Crédit agricole avait ou aurait dû avoir connaissance de la portée générale et des caractéristiques essentielles de l’entente dans son ensemble. Elles contestent le caractère prétendument routinier des contacts entre le trader de Crédit agricole et celui de Barclays ainsi que l’interprétation faite par la Commission de la conversation du 16 octobre 2006 et de celle du 14 février 2007.

394    La Commission conteste ces arguments.

395    Il convient de relever, en ce qui concerne les motifs communs à l’ensemble des banques, que ceux-ci reposent sur le constat, énoncé au considérant 457 de la décision attaquée, selon lequel les traders participant aux échanges anticoncurrentiels étaient des professionnels qualifiés et avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de la portée générale et des caractéristiques essentielles de l’entente.

396    À cet égard, la Commission s’est référée, premièrement, au considérant 458 de la décision attaquée, au contexte très spécifique dans lequel les traders opéraient, marqué par des échanges bilatéraux, enregistrés et contrôlés, lors desquels les traders, qui se contactaient mutuellement et de façon régulière, toujours pour le même type d’opération, utilisaient un langage codé. Elle a souligné, deuxièmement, au considérant 459 de la décision attaquée, que les traders impliqués dans les échanges savaient que les traders d’autres banques étaient disposés à participer au même type de comportement collusoire concernant les composantes de fixation des prix et d’autres conditions de négociation des EIRD. Elle a, troisièmement, aux considérants 460 et 461 de la décision attaquée, fait valoir que les éléments de preuve montraient qu’il existait une connaissance générale répandue du caractère déclaratoire du processus de détermination des taux de l’Euribor et, partant, de la possibilité de l’altérer par le biais des soumissions des banques du panel. Selon la Commission, les traders ayant pris part aux comportements collusoires en cause ne pouvaient pas ignorer que si davantage de banques modifiaient leurs soumissions le même jour et pour la même maturité d’Euribor, l’impact potentiel sur le taux d’intérêt de référence augmenterait en proportion du nombre de banques impliquées. Elle a, quatrièmement, au considérant 463 de ladite décision, mis en exergue le fait que chacune des banques en cause était active sur le marché en cause depuis plusieurs années et que les traders n’avaient pas manifesté de surprise lorsqu’une demande de concertation leur avait été présentée. Elle a déduit de la conjonction de ces éléments, aux considérants 462 et 464 de la décision attaquée, en substance, que les traders participant à des échanges bilatéraux avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance du fait qu’il était vraisemblable que plusieurs banques soient impliquées dans les arrangements collusoires, même si cette information ne leur avait pas été explicitement dévoilée. La Commission a également souligné, au considérant 465 de ladite décision, que les traders faisaient l’objet d’un niveau élevé d’enregistrement et de surveillance, de sorte qu’il devait être considéré que leur direction avait eu connaissance, ou avait pu avoir connaissance, des caractéristiques essentielles du plan collusoire et de l’implication de leurs employés dans ledit plan. Elle a ajouté qu’elle devait prendre en compte les précautions prises par les traders pour dissimuler leurs arrangements.

397    En ce qui concerne les motifs propres à Crédit agricole, premièrement, la Commission a, au considérant 466 de la décision attaquée, mis en exergue la nature routinière des communications entre les traders de Crédit agricole et celui de Barclays, ce qui impliquerait que ces contacts n’étaient ni rares ni inhabituels. Elle a souligné que la conscience du contexte anticoncurrentiel des contacts était confirmée par le fait que Crédit agricole avait tenté de les garder secrets, ce qui ressortirait des échanges du 16 octobre 2006 et des 14 février et 19 mars 2007. Deuxièmement, aux considérants 467 et 468 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’il ressortait des mêmes échanges du 16 octobre 2006 et du 14 février 2007 que le trader de Barclays avait indiqué de manière explicite à celui de Crédit agricole que leurs discussions dépassaient le cadre bilatéral, ce qui démontrerait que Crédit agricole avait ou aurait dû avoir une idée précise des « effets que le réseau d[u trader de Barclays] était capable de créer dans le secteur des EIRD ». Cette circonstance serait confirmée par le fait que les traders de Barclays et celui de HSBC étaient convaincus que si un acteur du marché ne participait pas au plan collusoire du 19 mars 2007, il en serait victime. Troisièmement, au considérant 469 de la décision attaquée, la Commission a mis en exergue le fait que le trader de Deutsche Bank était au courant de la participation de Crédit agricole au plan collusoire, ce qui serait un élément indiquant que cette dernière participait à la même infraction « orchestrée » par ledit trader et celui de Barclays. Elle en a déduit, au considérant 470 de ladite décision, que, pendant la période de son implication à l’infraction, Crédit agricole avait connaissance de la portée générale et des caractéristiques essentielles de l’entente dans son ensemble et était à tout le moins en mesure de raisonnablement prévoir le comportement infractionnel planifié ou mis en œuvre par les autres parties en vue d’atteindre le même objectif et était prête à en accepter le risque.

398    À titre liminaire, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel il conviendrait de retenir que, par le biais de ses contacts avec Barclays, Crédit agricole a participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue et que cette circonstance suffirait pour qu’elle lui impute la responsabilité de l’ensemble desdits comportements.

399    En effet, les comportements anticoncurrentiels reprochés à Crédit agricole ont eu lieu dans le cadre de discussions bilatérales. Ainsi, la circonstance selon laquelle les discussions auxquelles Crédit agricole a participé avec Barclays relèvent de certaines des catégories générales envisagées aux considérants 113, 358 et 392 de la décision attaquée ne saurait, en elle-même, être suffisante pour lui imputer la responsabilité du comportement infractionnel, relevant des mêmes catégories, des banques avec lesquelles elle n’a pas entretenu de contacts directs. En application de la jurisprudence citée au point 354 ci-dessus, il appartenait à la Commission de démontrer que Crédit agricole avait connaissance de ces comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres banques ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir.

400    À cet égard, il y a lieu d’établir une distinction entre, d’une part, les échanges relatifs aux manipulations de l’Euribor et, d’autre part, les autres comportements relevant de l’infraction unique.

i)      Sur la connaissance par Crédit agricole des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises consistant en des tentatives de manipulation de l’Euribor

401    Ainsi qu’il ressort des points 214 à 218 ci-dessus, la participation directe de Crédit agricole aux comportements relatifs à la manipulation du taux Euribor a été établie par la Commission s’agissant des échanges entre ses traders et le trader de Barclays des 16 octobre, 13, 16 novembre et 5 décembre 2006 et des 14 février, 1er, 16 et 19 mars 2007. Ces échanges concernaient les différentes occurrences de la fixation de l’Euribor.

402    Il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cette dernière dispose de preuves directes démontrant la connaissance par Crédit agricole de ce qu’elle participait à une infraction unique avec d’autres banques en ce que ses traders savaient ou pouvaient raisonnablement prévoir que les échanges visés au point 401 ci-dessus s’inscrivaient dans un « plan d’ensemble » dépassant le cadre des échanges bilatéraux.

403    En effet, premièrement, c’est à juste titre que la Commission se réfère, au considérant 467 de la décision attaquée, à la conversation du 16 octobre 2006 comme étant révélatrice de cette connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble » et de la participation d’autres banques à ce plan.

404    Lors de cette conversation, le trader de Barclays a demandé à celui de Crédit agricole de solliciter de sa trésorerie une soumission Euribor‑1M élevée. Avant d’accéder à cette demande, le trader de Crédit agricole a demandé quel avantage il pourrait en tirer, ce à quoi le trader de Barclays a répondu qu’il pourrait lui demander le « fixing » selon ses propres positions de trading (« ce que tu veux, le droit de me demand[e]r des fixings o[ù] tu veux quand t[u] en as besoin »). Plus tard, le trader de Crédit agricole a demandé à celui de Barclays comment celui-ci s’en était sorti malgré le niveau bas de l’Euribor. En réponse, le trader de Barclays l’a remercié pour sa coopération en ce qui concernait la soumission de sa banque en déclarant que, grâce aux soumissions élevées de certaines banques (« potes »), il avait pu contrebalancer les soumissions faibles des autres banques (« si certains potes n[’]avaient pas été l[à]… j[’]ai au moins [quatre] banq[u]es contre moi sur ce truc »).

405    La lecture de ces conversations montre, d’une part, que le trader de Crédit agricole était conscient que la soumission élevée qu’il avait promis de demander à sa trésorerie faisait partie d’un « plan d’ensemble » visant à manipuler le niveau de l’Euribor‑1M de ce jour en le portant vers le haut par les soumissions coordonnées de plusieurs banques. Il a ainsi contribué, par son comportement, à la réalisation de ce plan. D’autre part, en lui indiquant qu’il pouvait lui demander à d’autres moments des « fixings » selon ses propres intérêts, le trader de Barclays a fait comprendre à celui de Crédit agricole qu’il ne s’agissait pas d’une tentative de manipulation du taux Euribor isolée, mais plutôt d’une pratique qui pourrait être répétée.

406    De même, deuxièmement, c’est également à juste titre que la Commission se réfère, au considérant 461 de la décision attaquée, à la conversation du 14 février 2007 comme étant également révélatrice de la connaissance par Crédit agricole tant de l’existence d’un « plan d’ensemble » que de la participation des autres banques.

407    En effet, d’une part, il ressort de cette discussion que le trader de Barclays a dévoilé à celui de Crédit agricole les éléments constitutifs de la manipulation envisagée pour la date IMM du 19 mars 2007, en lui demandant de la tenir secrète, à savoir une manipulation du spread entre deux produits dérivés, les « futures » indexés sur l’Euribor-3M et des swaps fondés sur l’EONIA le 19 mars 2007 [« la base va être serrée », « spread à quatre » (c’est-à-dire que le spread entre l’EONIA et l’Euribor-3M allait se resserrer à quatre points de base)]. Il lui a également fait part des autres éléments du plan de nature à contribuer à sa réussite, en lui indiquant qu’il convenait de procéder à une augmentation progressive des positions « acheteuses » sur les « futures » indexés sur l’Euribor-3M, tout en faisant baisser le marché au comptant par une action concertée (« tu payes de l’EONIA et t[u] achètes du future… sur l’IMM[ ; l]e jour de [l’]IMM tu pousses le cash à la baisse… »), c’est-à-dire de créer des positions « vendeuses » sur l’EONIA et des positions « acheteuses » sur l’Euribor en vue du fixing du 19 mars 2007 et de baisser le marché au comptant le jour du fixing). D’autre part, le trader de Barclays a informé celui de Crédit agricole que Deutsche Bank participait à ce « plan d’ensemble » (« la tréso[rerie] de Deutsche, elle est dans le coup ») et lui a indiqué qu’il serait avantageux d’impliquer quatre ou cinq banques dans le plan (« si on arrive à mettre quatre-cinq tréso[rerie]s dans le coup, tu vois ? »).

408    Il en ressort que le trader de Crédit agricole a été mis en courant de la participation de Deutsche Bank dans le plan ainsi décrit. En outre, même si l’identité des autres banques n’a pas été dévoilée au trader de Crédit agricole, ce dernier avait connaissance du fait que le trader de Barclays envisageait d’impliquer un certain nombre de banques dans ce plan.

409    En conséquence, c’est à bon droit que la Commission a conclu que Crédit agricole avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres participants à l’entente dans la poursuite de l’objectif d’altérer les flux de trésorerie par les actions concertées visant à manipuler le taux Euribor le 16 octobre 2006 et le 19 mars 2007.

410    En outre, même si la Commission ne disposait pas de preuves directes établissant que les traders de Crédit agricole avaient connaissance de la participation d’autres banques à d’autres tentatives de manipulation du taux Euribor qui avaient été retenues à son égard, elle pouvait retenir que ces traders pouvaient raisonnablement prévoir une telle participation, au sens de la jurisprudence citée au point 354 ci-dessus, eu égard au fait que Crédit agricole était mise au courant de la participation des autres banques à ce type de comportement dès le 16 octobre 2006. Crédit agricole aurait donc pu raisonnablement prévoir que chaque autre tentative de manipulation ne se ferait que par une action concertée de plusieurs banques. C’est donc à tort que les requérantes font valoir que la connaissance par les traders de la participation des autres banques aux tentatives de manipulation des taux devait être limitée aux seules manipulations du 16 octobre 2006 et du 19 mars 2007 ou à une certaine période de la participation de Crédit agricole à l’infraction unique retenue par la Commission.

411    Dans ce contexte, il est sans pertinence que Crédit agricole n’ait pas été au courant de l’intensité et de la régularité quotidienne des contacts, notamment entre les traders de Barclays et de Deutsche Bank, ni du caractère plus ou moins intense des contacts que le trader de Barclays entretenait avec les autres banques impliquées.

412    Il est également sans pertinence que le trader de Crédit agricole se soit montré sceptique à l’égard de la faisabilité du plan de manipulation du 19 mars 2007. En effet, le fait qu’il ne croyait pas à la réussite du plan, ce qui n’est toutefois pas univoque dans sa prise de position, car il indique « en tout cas ça vaut le coup de l’essayer », ne démontre aucunement qu’il n’était pas au courant de la participation de Deutsche Bank et, le cas échéant, des autres banques à la mise en œuvre de ce plan.

ii)    Sur la connaissance par Crédit agricole des autres comportements relevant de l’infraction unique envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises

413    S’agissant de la question de savoir si la Commission était en droit d’imputer à Crédit agricole, au titre de sa participation à l’infraction unique, l’ensemble des comportements des autres banques concernées, il convient de relever que, à la différence de ce qui est le cas de la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un plan d’ensemble ayant pour but la manipulation, aux différentes dates, du taux Euribor par les actions concertées de plusieurs banques (voir points 402 à 408 ci-dessus), la Commission n’a avancé, dans la décision attaquée, aucune preuve directe permettant d’établir que Crédit agricole avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance du fait que les échanges que ses traders avaient avec le trader de Barclays portant sur les informations relatives aux stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix allaient au-delà des échanges bilatéraux et faisaient partie d’un « plan d’ensemble » auquel participaient d’autres banques.

414    De même, les preuves indirectes prises ensemble en tant que faisceau d’indices ne permettent pas d’établir à suffisance de droit que Crédit agricole avait ou aurait dû avoir connaissance d’un tel plan d’ensemble, ou qu’elle pouvait raisonnablement prévoir son existence, de nature à justifier que lui soit imputé l’ensemble des comportements des autres banques relevant dudit objectif unique, qu’elle y ait directement participé ou non.

415    À cet égard, la décision attaquée contient uniquement, à ses considérants 457 à 465, des motifs se référant à la nature même de l’entente et au fonctionnement du marché des EIRD, motifs qui concernent l’ensemble des banques participant à l’entente et qui ont été rappelés au point 396 ci-dessus. Ces motifs, pris individuellement ou dans leur ensemble, ne permettent pas d’imputer à Crédit agricole les comportements des autres banques auxquels elle n’a pas, selon la décision attaquée, directement participé, autres que ceux envisagés aux points 409 et 410 ci-dessus, sans méconnaître la jurisprudence citée au point 360 ci-dessus.

416    En effet, c’est à juste titre que les requérantes soutiennent que la Commission n’établit aucun lien entre, d’une part, le contexte spécifique dans lequel opèrent les traders, rappelé au considérant 458 de la décision attaquée, à savoir le fait qu’ils sont enregistrés et contrôlés, que les contacts sont exclusivement bilatéraux, qu’ils utilisent un langage codé et qu’ils se contactent mutuellement et de façon régulière, toujours pour le même type d’opérations, et, d’autre part, la connaissance qu’avait ou aurait dû avoir Crédit agricole des comportements des autres banques portant sur les stratégies et les intentions en matière de fixation des prix auxquels elle n’a pas participé.

417    À cet égard, la Commission soutient que le considérant 458 de la décision attaquée devait être lu avec les considérants 459 à 464 de celle-ci. Toutefois, il convient de relever, tout d’abord, que les motifs avancés aux considérants 459 à 462 de la décision attaquée pourraient soutenir, tout au plus, que les traders auraient dû avoir connaissance de l’implication des autres banques dans les comportements ayant pour but de manipuler les taux Euribor, mais non dans ceux consistant en des échanges sur les stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix.

418    En premier lieu, le constat, figurant au considérant 459 de la décision attaquée, selon lequel, à travers leurs contacts bilatéraux, les traders savaient que les traders d’autres banques étaient disposés à participer au même type de comportements collusoires concernant les composantes de fixation des prix et d’autres conditions de négociation des EIRD n’est vrai à l’égard de Crédit agricole qu’en ce qui concerne les échanges relatifs aux manipulations de l’Euribor (voir points 403 à 408 ci-dessus). En revanche, dans aucune des conversations bilatérales portant sur les stratégies de fixation des prix, le trader de Barclays n’a révélé à celui de Crédit agricole que les autres traders participaient à de tels échanges ou que les mêmes informations auraient été échangées avec les autres traders.

419    En second lieu, la référence, figurant au considérant 460 de la décision attaquée, à la « connaissance générale répandue » parmi les acteurs du marché du fait que le processus de détermination des taux de référence était déclaratoire et, par conséquent, que les soumissions pouvaient être décalées par les banques membres du panel en fonction de leur intérêt au moment de la soumission, à la supposer établie, n’est pertinente qu’en ce qui concerne les pratiques visant la manipulation desdits taux de référence. Il en est de même, à supposer qu’elle soit pertinente pour établir la connaissance de l’implication des autres banques dans les pratiques collusoires, de la circonstance relevée aux considérants 461 et 462 de la décision attaquée, selon laquelle les traders ne pouvaient pas ignorer que, si davantage des banques modifiaient leurs soumissions le même jour et pour la même maturité d’Euribor, l’impact potentiel sur le taux d’intérêt de référence augmenterait en proportion du nombre de banques impliquées, de sorte que le degré de succès des pratiques collusoires dépendait, pour une large part, de l’implication de davantage de banques. En revanche, aucun lien ne peut être établi entre le processus de détermination du niveau de l’Euribor par le biais des soumissions des membres du panel, visé par ces affirmations, et les comportements visés au considérant 358, sous g), de la décision attaquée et portant sur les échanges relatifs aux intentions et aux stratégies en matière de fixation des prix, tels que les « runs » ou les « mids ».

420    Ensuite, les faits, relevés au considérant 463 de la décision attaquée, selon lesquels, premièrement, les traders des banques concernées étaient actifs dans le secteur des EIRD depuis plusieurs années, deuxièmement, les contacts bilatéraux ont été entretenus avec les traders des banques qui étaient parmi les acteurs les plus importants du marché et, troisièmement, les traders ne manifestaient pas de surprise lorsqu’ils étaient approchés en vue d’une concertation sont dépourvus de pertinence pour établir la connaissance des comportements auxquels Crédit agricole n’a pas directement participé. Par ailleurs, ainsi que le soutiennent les requérantes, la connaissance de la « puissance du réseau qui était derrière le trader qui tenait avec eux des discussions anticoncurrentielles », à laquelle il est également fait référence au considérant 463 de la décision attaquée, procède d’une simple spéculation qui n’est soutenue par aucun élément de preuve d’une telle connaissance par Crédit agricole de l’existence et de la puissance d’un tel réseau et qui ne peut être déduite de l’échange du 14 février 2007 entre le trader de Crédit agricole et celui de Barclays, invoqué par la Commission au soutien de cette considération. En effet, il ressort, certes, de cet échange que le trader de Crédit agricole a été mis au courant de l’implication de Deutsche Bank dans les tentatives de manipulation des taux et de l’intention du trader de Barclays d’y impliquer davantage de banques (voir points 406 à 408 ci-dessus). Toutefois, il ne saurait en être déduit qu’il avait ainsi acquis la connaissance de l’implication des autres banques dans des comportements autres que ceux visant la manipulation des taux et, encore moins, de l’existence d’un réseau de contacts destiné à échanger des informations sensibles sur les stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix.

421    Enfin, la circonstance mise en exergue par la Commission au considérant 465 de la décision attaquée, selon laquelle les enregistrements des traders facilitent la détection, par la banque, du comportement illicite de ses employés, relève tout au plus de la question de savoir si les comportements auxquels participaient les traders de cette dernière peuvent lui être imputés, question qui a été écartée dans le cadre de l’examen du huitième moyen (voir point 350 ci-dessus). Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 413 ci-dessus, aucun élément de preuve provenant, le cas échéant, des enregistrements des échanges bilatéraux entre le trader de Barclays et les traders de Crédit agricole portant sur les informations relatives aux stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix ne permet de retenir que ces échanges allaient au-delà des échanges bilatéraux et faisaient partie d’un « plan d’ensemble » auquel participaient d’autres banques.

422    La Commission semble encore soutenir que, étant donné que l’ensemble des comportements en cause poursuivait le même objectif (question faisant l’objet du cinquième moyen), le fait d’avoir établi que Crédit agricole avait ou aurait dû avoir connaissance de l’implication des autres banques dans des comportements visant les tentatives de manipulation du taux Euribor suffisait pour retenir la même conclusion en ce qui concernait la connaissance par Crédit agricole de la participation des autres banques aux autres comportements.

423    Toutefois, il résulte de la jurisprudence que le constat de l’existence d’une infraction unique est distinct de la question de savoir si la responsabilité de cette infraction dans sa globalité est imputable à une entreprise (arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 174). En outre, la seule identité d’objet entre un accord auquel a participé une entreprise et une entente globale ne suffit pas pour imputer à cette entreprise la participation à l’entente globale. En effet, il y a lieu de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’applique pas, à moins qu’il y ait une concordance de volontés entre les parties concernées. L’entreprise concernée doit ainsi connaître la portée générale et les caractéristiques essentielles de l’entente globale (voir arrêt du 10 octobre 2014, Soliver/Commission, T‑68/09, EU:T:2014:867, points 62 et 64 et jurisprudence citée).

424    Il s’ensuit que, en l’espèce, il n’est pas possible d’imputer à Crédit agricole la responsabilité de l’ensemble des comportements infractionnels faisant partie de l’infraction unique, y compris les échanges portant sur les stratégies et les intentions en matière de fixation des prix auxquels elle n’a pas directement participé, uniquement du fait, d’une part, qu’elle a eu connaissance des comportements des autres banques concernant la manipulation du taux Euribor et, d’autre part, que ces pratiques poursuivaient le même objectif que celles portant sur les stratégies et les intentions en matière de fixation des prix.

425    En conséquence, il convient de conclure que le faisceau d’indices sur lequel s’appuie la Commission, apprécié globalement et avec les preuves directes de la connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises consistant en des tentatives de manipulation de l’Euribor, examinées aux points 402 à 412 ci-dessus, ne correspond pas à des preuves sérieuses, précises et concordantes permettant de démontrer sans aucun doute que Crédit agricole avait connaissance du fait que les échanges qu’elle avait eus avec Barclays portant sur les intentions et les stratégies en matière de fixation des prix dépassaient le cadre bilatéral et s’inscrivaient dans un plan d’ensemble impliquant également d’autres banques ou qu’elle pouvait raisonnablement le prévoir et en accepter le risque.

426    Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que la participation de Crédit agricole à une infraction unique ne pouvait être retenue qu’à l’égard, d’une part, de ses comportements propres au titre de ladite infraction et, d’autre part, des comportements des autres banques s’inscrivant dans le cadre des tentatives de manipulation du taux Euribor.

427    À cet égard, il convient encore de rappeler que la Cour a jugé qu’il était envisageable de diviser une décision de la Commission qualifiant une entente globale d’infraction unique et continue uniquement si, d’une part, ladite entreprise avait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu’il lui était également reproché chacun des comportements la composant, et donc de se défendre sur ce point, et si, d’autre part, cette décision était suffisamment claire à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 46). En l’espèce, la Commission a clairement établi une distinction, tant dans la communication des griefs que dans la décision attaquée (voir point 15 ci-dessus), entre les différents comportements reprochés aux banques participant à l’entente, dont Crédit agricole, qui composaient l’infraction unique et continue. De plus, ainsi qu’il a été rappelé, en substance, au point 363 ci-dessus, il ressort, notamment, des considérants 365, 387, 393 et 442 de la décision attaquée que la Commission a estimé que ces comportements avaient pour objet de restreindre la concurrence non seulement collectivement, mais également sur une base individuelle.

428    C’est donc à bon droit que, dans le cadre du sixième moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a imputé à tort à Crédit agricole d’autres comportements que ceux identifiés au point 426 ci-dessus. La première branche du sixième moyen est donc partiellement fondée.

2)      Sur l’intention de Crédit agricole de contribuer à l’objectif unique

429    Dans le cadre de la seconde branche du sixième moyen, les requérantes font valoir, en substance, que la Commission n’a pas démontré l’intention de Crédit agricole de contribuer à l’objectif unique ou aux activités collusoires qui lui sont reprochées et d’en assumer le risque.

430    Il convient de relever que, dans le cadre de cette argumentation, les requérantes visent à démontrer que la troisième condition visée par la jurisprudence citée aux points 354 à 356 ci-dessus, permettant d’imputer à une entreprise une participation à l’infraction unique, n’est pas remplie en l’espèce en ce qui concerne Crédit agricole. Plus particulièrement, elles contestent que la conclusion de la Commission selon laquelle l’ensemble des comportements en cause relevait d’un même schéma soit suffisante pour établir l’existence d’une telle intention. Elles estiment que la circonstance relevée au considérant 442 de la décision attaquée, selon laquelle les destinataires de celle-ci pouvaient être tenus pour responsables de l’infraction unique et continue compte tenu, notamment, du fait qu’ils auraient contribué à l’infraction « par négligence », est incompatible avec la conclusion selon laquelle elles auraient été prêtes à prendre le risque de participer à l’infraction unique, condition nécessaire pour leur en imputer la responsabilité.

431    À cet égard, il convient de relever que, eu égard à la conclusion énoncée au point 426 ci-dessus, il suffit d’examiner la présente branche du sixième moyen en ce qui concerne les comportements relatifs aux manipulations du taux Euribor. Or, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 277 ci-dessus, il ressort des échanges retenus par la Commission à l’encontre de Crédit agricole que les parties à ces échanges avaient l’intention de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles, en ce qu’elles ont tenté, notamment, de faire aligner le niveau de soumissions futures de leurs banques respectives et ont suivi le résultat de leurs actions. En outre, il ressort de l’examen de la première branche du présent moyen que les traders de Crédit agricole avaient eu ou auraient dû avoir connaissance des pratiques collusoires des autres participants. Il en ressort donc que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les traders de Crédit agricole ont participé, conjointement avec les traders des autres banques, aux pratiques visant la manipulation du taux Euribor et entendaient ainsi contribuer par leur propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants en en acceptant le risque au sens de la jurisprudence citée aux points 354 à 356 ci-dessus.

432    Les arguments avancés dans ce cadre par les requérantes ne se réfèrent aucunement à l’absence d’intention en tant que telle, mais visent, en substance, à contester la participation de Crédit agricole à certaines pratiques, ce à quoi il a déjà été répondu dans le cadre de l’examen du troisième moyen. Ces arguments sont donc inopérants aux fins de démontrer l’absence d’intention de participer à une entente, ainsi que le fait valoir la Commission.

433    Il convient, dès lors, de rejeter la seconde branche du sixième moyen comme non fondée et d’accueillir partiellement la première branche dudit moyen.

c)      Sur le septième moyen de la requête, contestant le caractère continu de l’infraction

434    Dans le cadre du septième moyen, les requérantes soutiennent que, si l’infraction alléguée était établie à l’égard de Crédit agricole, elle ne pourrait pas être qualifiée de continue. Cet aspect de la décision serait entaché d’un défaut de motivation et, en toute hypothèse, erroné, dès lors que, eu égard aux particularités du marché des EIRD où les maturités du taux Euribor sont fixées quotidiennement, de sorte que les effets d’une éventuelle collusion sont instantanés ou nécessitent des actions positives en vue de la répétition de ces effets, la Commission aurait dû privilégier la qualification de l’infraction en cause de répétée.

435    La Commission réfute les arguments des requérantes et conclut au rejet du septième moyen.

436    En premier lieu, s’agissant d’un prétendu défaut de motivation de la décision attaquée, la Commission a inclus, aux considérants 442 à 492 de ladite décision, des motifs portant sur le caractère continu de l’infraction et, notamment, a expliqué le lien entre les fixings quotidiens de l’Euribor et la continuité de l’infraction. En effet, notamment, au considérant 447 de la décision attaquée, la Commission a retenu que les contacts entre les participants à l’entente mentionnés au considérant 358 de celle-ci étaient réguliers et répétitifs, sur le plan tant de leur contenu que de leur ordre et de leur proximité chronologiques, ce qui soulignerait également le caractère continu de l’infraction. Par ailleurs, aux considérants 122 et 456 de ladite décision, il est indiqué que, même si, à certaines occasions, les discussions entre les traders concernaient le fixing des taux Euribor du jour même, il arrivait aussi que les traders discutent du fixing des taux Euribor à soumettre à une date spécifique des jours, des semaines, voire des mois à l’avance.

437    Il convient de conclure que cette motivation est suffisante pour permettre aux requérantes de connaître les justifications de la mesure prise, ce qui est illustré par les arguments précis qu’elles ont présentés afin de contester les motifs avancés par la Commission au soutien de sa thèse du caractère continu de l’infraction en cause, et au Tribunal d’exercer son contrôle sur ces motifs au sens de la jurisprudence citée au point 255 ci-dessus. Le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation n’est donc pas fondé.

438    En second lieu, s’agissant des arguments des requérantes concernant le bien-fondé des constats de la Commission, il convient de rappeler que, selon les circonstances, une infraction unique peut être continue ou répétée.

439    En effet, si la notion d’« infraction unique » vise une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée d’un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence ou bien encore d’infractions individuelles liées entre elles par une identité d’objet et de sujets, les modalités selon lesquelles l’infraction a été commise permettent de qualifier l’infraction unique soit de continue, soit de répétée (voir, en ce sens, arrêts du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, points 85 et 86, et du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 484).

440    À l’égard d’une infraction continue, la notion de « plan d’ensemble » permet à la Commission de présumer que la réalisation d’une infraction n’a pas été interrompue, même si, pour une certaine période, elle ne dispose pas de preuve de la participation de l’entreprise concernée à cette infraction, pour autant que celle-ci a participé à l’infraction avant et après cette période et pour autant qu’il n’existe pas de preuve ou d’indice pouvant laisser penser que l’infraction s’est interrompue en ce qui la concerne. En ce cas, elle pourra infliger une amende pour toute la période infractionnelle, y compris la période pour laquelle elle ne dispose pas de preuve de la participation de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 87, et du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 481).

441    Toutefois, le principe de sécurité juridique impose que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, la Commission invoque, à tout le moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (voir arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 482 et jurisprudence citée).

442    Si la période séparant deux manifestations d’un comportement infractionnel est un critère pertinent afin d’établir le caractère continu d’une infraction, il n’en demeure pas moins que la question de savoir si ladite période est ou non suffisamment longue pour constituer une interruption de l’infraction ne saurait être examinée dans l’abstrait. Au contraire, il convient de l’apprécier dans le contexte du fonctionnement de l’entente en question (voir arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 483 et jurisprudence citée).

443    Enfin, lorsqu’il peut être considéré que la participation d’une entreprise à l’infraction s’est interrompue et que l’entreprise a participé à l’infraction avant et après cette interruption, cette infraction peut être qualifiée de répétée si, tout comme pour l’infraction continue, il existe un objectif unique poursuivi par elle avant et après l’interruption, ce qui peut être déduit de l’identité des objectifs des pratiques en cause, des produits concernés, des entreprises qui ont pris part à la collusion, des modalités principales de sa mise en œuvre, des personnes physiques impliquées pour le compte des entreprises et, enfin, du champ d’application géographique desdites pratiques. L’infraction est alors unique et répétée et, si la Commission peut infliger une amende pour toute la période infractionnelle, elle ne le peut, en revanche, pour la période pendant laquelle l’infraction a été interrompue (arrêts du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 88, et du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 484).

444    Au titre du contexte de fonctionnement de l’entente au sens de la jurisprudence citée au point 442 ci-dessus, il convient de prendre en compte, ainsi que le soutiennent à juste titre les requérantes, le caractère quotidien de la fixation des taux Euribor (considérant 22 de la décision attaquée). Il en découle nécessairement qu’une manipulation desdits taux voit ses effets limités dans le temps et nécessite d’être réitérée aux fins que lesdits effets se poursuivent (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, point 222).

445    À cet égard, il convient de rappeler que, dans les circonstances où la poursuite d’un accord ou de pratiques concertées exige des mesures positives particulières, la Commission ne peut présumer la poursuite de l’entente en l’absence de preuve de l’adoption desdites mesures (voir arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, point 223 et jurisprudence citée).

446    En l’espèce, la participation de Crédit agricole à l’infraction en cause s’étend du 16 octobre 2006 au 19 mars 2007. La Commission dispose de la preuve de la participation directe de Crédit agricole, pendant cette période, aux comportements relatifs aux manipulations des taux de référence les 16 octobre, 13, 16 novembre et 5 décembre 2006 ainsi que les 14 février, 1er, 16 et 19 mars 2007, participation qui peut être considérée comme régulière et survenant à des intervalles relativement fréquents, et ce quand bien même elle n’a pas eu lieu quotidiennement. En outre, ainsi que le fait valoir la Commission, notamment la manipulation du 19 mars 2007 a été préparée en avance, ce dont témoigne, s’agissant de Crédit agricole, la conversation que son trader a eue avec celui de Barclays le 14 février 2007. Par ailleurs, Crédit agricole a également participé aux échanges sur les intentions et les stratégies de fixation des prix du 13 décembre 2005 et du 11 janvier 2006, lesquels, ainsi qu’il ressort de l’examen du cinquième moyen (voir points 383 à 390 ci-dessus), partagent le même objectif que les échanges relatifs aux manipulations de l’Euribor.

447    À cet égard, les requérantes font encore valoir que la Commission n’aurait pas établi de continuité entre les échanges relatifs aux manipulations des taux et ceux portant sur les stratégies en matière de fixation des prix. Sans qu’il y ait lieu d’examiner la recevabilité de cet argument présenté pour la première fois dans la réplique, il convient de relever que, dans la mesure où les échanges du 13 décembre 2006 et du 11 janvier 2007 portant sur les « runs » partagent le même objectif que les échanges relatifs aux manipulations de l’Euribor, ils pouvaient être pris en compte par la Commission afin d’établir le caractère continu de l’infraction.

448    Il s’ensuit que des mesures positives particulières ont été adoptées par Crédit agricole au sens de la jurisprudence citée au point 445 ci-dessus, à des intervalles relativement brefs et réguliers, de sorte que la Commission pouvait à bon droit lui imputer la participation à une infraction continue pendant la période allant du 16 octobre 2006 au 19 mars 2007.

449    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments des requérantes. En effet, le fait que la participation de Crédit agricole à l’entente était plus faible que celle des acteurs principaux de celle-ci, de sorte que le nombre de contacts la concernant était relativement plus réduit, ne permet pas de conclure que l’infraction à laquelle Crédit agricole a participé aurait, de ce seul fait, un caractère répété. Il en est de même en ce qui concerne l’argument selon lequel l’intérêt de Crédit agricole ne coïncidait pas avec l’intérêt des autres participants à l’infraction en ce qui concerne le sens des fixations de l’Euribor. Cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas pertinente pour remettre en cause le caractère régulier et relativement fréquent des contacts auxquels a participé Crédit agricole.

450    En conséquence, il y a lieu de rejeter le septième moyen.

4.      Sur l’incidence de l’erreur constatée dans le cadre de l’examen du sixième moyen sur la légalité de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée 

451    Il découle de tout ce qui précède que, à l’exception de l’erreur constatée aux points 413 à 426 ci-dessus, les moyens soulevés au soutien de la demande d’annulation de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée ainsi que la troisième branche du neuvième moyen venant au soutien de la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de ladite décision, sont rejetés.

452    En ce qui concerne l’erreur commise par la Commission, mentionnée au point 451 ci-dessus, relative à la détermination précise des comportements qui pouvaient être imputés à Crédit agricole au titre de la participation à l’infraction unique et continue, il y a lieu de constater qu’elle est, en application de la jurisprudence citée au point 287 ci-dessus, sans incidence sur la légalité de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée. En effet, la participation de Crédit agricole à l’infraction unique et continue au titre, d’une part, de ses comportements propres et, d’autre part, des comportements des autres banques s’inscrivant dans le cadre des tentatives de manipulation du taux Euribor permet de justifier à suffisance de droit la conclusion énoncée par la Commission à l’article 1er, sous a), de la décision attaquée. Il y a, dès lors, lieu de rejeter la demande d’annulation de cette disposition.

453    Toutefois, dans la mesure où, parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité d’une infraction, figurent, conformément à la jurisprudence citée au point 233 ci-dessus, le nombre et l’intensité des comportements anticoncurrentiels, c’est, éventuellement, à l’occasion de l’appréciation du caractère adéquat du montant de l’amende qu’il appartiendra au Tribunal de tirer les conséquences du caractère erroné de ces appréciations.

B.      Sur la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée et la demande de réduction de l’amende

454    Le neuvième moyen de la requête, présenté à titre subsidiaire, est invoqué au soutien de la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée, en ce que la Commission a imposé une amende à Crédit agricole, et de la demande de réduction du montant de l’amende. Ce moyen est tiré de la violation des principes d’égalité de traitement, de bonne administration et de proportionnalité, des droits de la défense ainsi que du défaut de motivation. Le dixième moyen de la requête, soulevé à titre subsidiaire par rapport au neuvième moyen, vient au soutien de la demande de réduction du montant de l’amende imposée à l’article 2, sous a), de la décision attaquée, en ce qu’il serait disproportionné au regard de la gravité et de la durée des pratiques reprochées à Crédit agricole.

455    À titre liminaire, il convient de rappeler que le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE et sur demande des parties requérantes, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées en ce domaine par la Commission (arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 42 ; voir, également, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 47 et jurisprudence citée).

456    S’agissant, en premier lieu, de la portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, celui-ci s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont le juge de l’Union assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents soumis par cette dernière (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 48 et jurisprudence citée).

457    Plus particulièrement, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision infligeant une amende, il appartient au juge de l’Union d’effectuer le contrôle de légalité qui lui incombe sur la base des éléments apportés par la partie requérante au soutien des moyens invoqués. Lors de ce contrôle, le juge ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application des critères mentionnés dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »), ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 62).

458    Il convient toutefois de rappeler que les juridictions de l’Union ne peuvent, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 89 et jurisprudence citée).

459    S’agissant, en second lieu, de l’étendue de la compétence de pleine juridiction reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement no 1/2003 conformément à l’article 261 TFUE, celle-ci habilite le juge, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 193 et jurisprudence citée).

460    En revanche, la portée de cette compétence de pleine juridiction est strictement limitée, à la différence du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, à la détermination du montant de l’amende (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 76 et jurisprudence citée).

461    Le raisonnement de la Commission concernant le montant de l’amende infligée, notamment, à Crédit agricole figure aux considérants 639 à 770 de la décision attaquée.

462    En premier lieu, s’agissant du montant de base de l’amende, premièrement, la Commission a déterminé la valeur des ventes par le biais d’une valeur de remplacement dans la mesure où les EIRD ne génèrent pas de ventes au sens usuel du terme. En outre, au vu des circonstances de l’espèce, elle a estimé qu’il était préférable de ne pas prendre en compte la valeur de remplacement annualisée, mais de se fonder sur la valeur de remplacement correspondant aux mois de participation des banques à l’infraction (considérant 640 de la décision attaquée).

463    La Commission a estimé approprié de prendre comme valeur de remplacement les recettes en numéraire générées par les flux de trésorerie que chaque banque a obtenus de son portefeuille d’EIRD liés à toute échéance Euribor et/ou EONIA et conclus avec des contreparties établies dans l’EEE (considérant 641 de la décision attaquée) auxquelles a été appliqué un facteur de réduction uniforme de 98,849 % afin de tenir compte des particularités du marché des EIRD et, notamment, de la compensation inhérente à la négociation de produits dérivés (considérant 648 de la décision attaquée).

464    La Commission a, dès lors, pris comme valeur des ventes à l’égard de Crédit agricole le montant de 501 949 157 euros, soit un montant obtenu après application d’une réduction de 98,849 % de 43 609 831 251 euros (considérants 642 et 648 de la décision attaquée).

465    En ce qui concerne, deuxièmement, la gravité de l’infraction, la Commission a pris en compte un facteur de gravité de 15 % dans la mesure où l’infraction a porté sur la coordination des prix et des accords de fixation de prix. Elle a ajouté un facteur de gravité de 3 % en se référant à la circonstance selon laquelle l’entente avait concerné l’ensemble de l’EEE et avait porté sur des taux pertinents pour l’ensemble des EIRD et selon laquelle lesdits taux, portant sur l’euro, revêtaient une importance fondamentale pour l’harmonisation des conditions financières sur le marché intérieur et pour les activités bancaires dans les États membres (considérants 720 et 721 de la décision attaquée).

466    En ce qui concerne, troisièmement, la durée de l’infraction, la Commission a souligné avoir pris en compte la durée de la participation de chaque participant à l’entente en « nombre de mois arrondi vers le bas et au prorata », ce qui a conduit à l’application à Crédit agricole d’un coefficient multiplicateur de 0,41 % (considérants 727 à 731 de la décision attaquée).

467    Quatrièmement, la Commission a ajouté un montant supplémentaire de 18 % de la valeur des ventes, qualifié de « droit d’entrée » dans la mesure où l’infraction a consisté en une fixation horizontale des prix, afin de dissuader les entreprises de participer à de telles pratiques, indépendamment de la durée de l’infraction (considérants 732 à 734 de la décision attaquée).

468    La Commission a, dès lors, fixé le montant de base de l’amende des requérantes à 127 394 000 euros (considérant 735 de la décision attaquée).

469    En second lieu, en ce qui concerne la fixation du montant final de l’amende, la Commission a retenu que Crédit agricole avait joué un rôle plus marginal ou mineur dans l’infraction qui ne saurait être comparé à celui des acteurs principaux et lui a accordé une réduction de 10 % du montant de base de l’amende (considérants 758 à 760 de la décision attaquée). L’article 2, sous a), de la décision attaquée inflige donc aux requérantes une amende d’un montant de 114 654 000 euros.

1.      Sur la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée

470    Le neuvième moyen de la requête est divisé, en substance, en cinq branches, en ce que les requérantes contestent, premièrement, l’utilisation des recettes en numéraire actualisées aux fins de calculer la valeur des ventes, deuxièmement, la cohérence des méthodologies suivies par les différentes banques aux fins du calcul des recettes en numéraire et le refus de la part de la Commission de contrôler la cohérence des données fournies, troisièmement, les modalités et l’étendue de l’accès aux documents des autres banques relatifs à la valeur des ventes, quatrièmement, le caractère adapté du montant de l’amende au regard de la gravité des faits et de la durée de la participation de Crédit agricole à l’infraction et, cinquièmement, l’appréciation des circonstances atténuantes. La troisième branche du présent moyen ayant été examinée et rejetée aux points 171 à 184 ci-dessus, il convient à présent d’examiner les autres branches de celui-ci.

a)      Sur l’utilisation des recettes en numéraire actualisées aux fins de calculer la valeur des ventes

471    Dans le cadre de la première branche du neuvième moyen, les requérantes font valoir que, d’une part, en retenant comme base du calcul de la valeur des ventes des montants de « recettes en numéraire » ne correspondant pas aux poids relatifs des parties sur le marché, et, d’autre part, en acceptant que les parties calculent les recettes en numéraire selon des méthodologies divergentes, la Commission a violé son obligation de motivation et le principe d’égalité de traitement. Selon elles, Crédit agricole était un acteur mineur sur le marché des EIRD et, à l’époque des faits, elle détenait une part de marché réduite, ce qui ne serait pas correctement reflété dans les données collectées par la Commission.

472    En outre, dans le cadre du deuxième grief de la quatrième branche du neuvième moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a appliqué un facteur de réduction insuffisant au regard des spécificités du marché EIRD et que les différentes étapes du calcul du taux de réduction sont entachées d’une insuffisance de motivation et ne permettent pas de vérifier la justesse des calculs.

473    La Commission conteste ces arguments et conclut à leur rejet.

1)      Sur le caractère approprié de la prise en compte des recettes en numéraire actualisée en tant que valeur de remplacement pour la valeur des ventes

474    Il convient de rappeler que, alors que l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 se réfère de manière générale à la gravité et à la durée de l’infraction, la méthodologie privilégiée par la Commission aux fins d’appliquer cette disposition dans ses lignes directrices pour le calcul des amendes fait jouer un rôle central à la notion de « valeur des ventes », puisqu’elle contribue à déterminer l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 76). En effet, aux termes du paragraphe 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes, « [e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE ». Dans leur partie introductive, lesdites lignes directrices précisent, à leur paragraphe 6, que « la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction ».

475    Ainsi qu’il ressort du paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes, il est loisible à la Commission de ne pas faire application de la méthodologie de calcul des amendes énoncée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes, lorsque, notamment, des particularités d’une affaire donnée le justifient (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 209 et 210). En l’espèce, alors que la Commission a retenu au considérant 639 de la décision attaquée que les EIRD « ne génèrent pas de ventes au sens usuel du terme », ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par les requérantes, elle a décidé de ne pas s’écarter de la méthodologie de calcul des amendes énoncée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes.

476    Par conséquent, il y a lieu d’examiner si la Commission a commis une erreur d’appréciation en retenant les recettes en numéraire actualisées comme valeur de remplacement pour la « valeur des ventes » au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes.

477    Il conviendra de vérifier si la Commission a ainsi utilisé les meilleures données disponibles de cette entreprise au sens des paragraphes 15 et 16 desdites lignes directrices.

478    S’agissant des griefs présentés à cet égard par les requérantes, tout d’abord, il convient de relever que, aux considérants 656 à 662 de la décision attaquée, la Commission a répondu aux critiques présentées au cours de la procédure administrative par les banques, y compris par Crédit agricole, quant au recours aux recettes en numéraire actualisées comme valeur de remplacement pour la valeur des ventes. Ainsi, elle a fait valoir que, par rapport au bénéfice net des opérations financières, suggéré par Crédit agricole, la prise en compte des recettes en numéraire actualisées était plus conforme aux lignes directrices pour le calcul des amendes, selon lesquelles les ventes, et non le bénéfice, constituent le point de départ du calcul des amendes.

479    Le grief des requérantes selon lequel la décision attaquée serait entachée d’un défaut de motivation à cet égard doit donc être rejeté comme non fondé.

480    En outre, il convient de rappeler que, dans la demande de renseignements du 12 octobre 2012, la Commission a sollicité la fourniture de quatre types de données éventuellement susceptibles de permettre une appréciation de la valeur des ventes des banques concernées, à savoir le montant notionnel total, le résultat net provenant des opérations financières, les règlements nets en numéraire et les recettes en numéraire. Elle a finalement décidé, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de se fonder sur les recettes en numéraire.

481    Il importe de constater que l’approche privilégiée en l’espèce par la Commission tend à mieux refléter la valeur des ventes – et, partant, l’importance économique de l’infraction – que l’approche alternative proposée par les requérantes au cours de la procédure administrative, fondée sur le bénéfice net des opérations financières relatives à l’activité de trading, à savoir le solde des flux de trésorerie au cours de la période d’infraction, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 660 de la décision attaquée.

482    Par ailleurs, ainsi que l’a, à juste titre, rappelé la Commission au considérant 659 de la décision attaquée, une limitation de la valeur à prendre en compte au bénéfice net des opérations de l’activité de trading, telle que proposée par les requérantes, irait à l’encontre de la logique qui a présidé à son choix de fixer, dans la méthodologie figurant dans les lignes directrices pour le calcul des amendes, le montant de base par référence à la valeur des ventes, à savoir refléter l’importance économique de l’infraction et le poids de la participation de l’entreprise concernée.

483    Les requérantes n’avancent aucun argument, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, susceptible de remettre en cause cette conclusion.

484    Les requérantes se bornent à soutenir, en s’appuyant sur les classements plaçant les différentes banques participant à l’entente en fonction des parts de marché des EIRD qu’elles détenaient à l’époque des faits, que les recettes en numéraire ne reflètent pas le positionnement relatif des différents acteurs sur le marché et, notamment, le fait que Crédit agricole était un acteur mineur sur le marché des EIRD. Toutefois, un tel argument ne saurait remettre en cause le caractère approprié des recettes en numéraire actualisées retenues par la Commission comme valeur de remplacement pour la valeur des ventes à prendre en compte dans le calcul du montant de l’amende dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 474 ci-dessus, cette valeur ne doit pas refléter la position globale d’une banque sur le marché donné, mais l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction. Par ailleurs, ainsi que le soutient la Commission, les données qui ressortent des classements sur lesquelles s’appuient les requérantes, relatives à d’autres périodes que la période d’infraction, ou ne couvrant pas les mêmes produits que ceux concernés par l’infraction, ou encore celles fondées sur un sondage qui reflètent donc une perception subjective des participants, ne sont pas pertinentes pour démontrer la position effective des banques dans l’infraction. Il en est de même des comparaisons des positions détenues par les traders et des profits générés, ou des bonus que ceux-ci auraient perçus, lesquels ne fournissent pas d’indication fiable quant à l’importance économique de l’infraction ou au poids relatif des banques participant à celle-ci.

485    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné d’autres agrégats pour s’assurer que la valeur retenue permettait de refléter le poids relatif des banques « sur le marché », ni utilisé un « agrégat composite ». À cet égard, il convient de relever, d’une part, que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission a examiné, aux considérants 659, 660 et 700 de la décision attaquée, les différents agrégats possibles suggérés par les parties et les a rejetés au motif qu’ils pouvaient donner des résultats négatifs, ce qui serait inapproprié sous l’angle du caractère dissuasif de l’amende, ou au motif que les données dont elle disposait n’étaient pas fiables. D’autre part, les requérantes ne précisent pas en quoi devait consister l’« agrégat composite » que la Commission pouvait, voire devait, retenir à la place des recettes en numéraire réduites et, par conséquent, elles ne démontrent pas qu’un tel éventuel « agrégat composite » serait plus approprié en tant que valeur de remplacement pour la valeur des ventes que les recettes en numéraire réduites. Ces arguments doivent donc être rejetés.

486    Les requérantes avancent encore, à cet égard, que les divergences qu’elles ont constatées entre le positionnement relatif des banques sur le marché des EIRD et les valeurs respectives de leurs recettes en numéraire telles que communiquées à la Commission pourraient s’expliquer par le fait que ces dernières ont été calculées par les parties selon des méthodes différentes. Ce grief n’est toutefois aucunement susceptible de démontrer le caractère inapproprié des recettes en numéraire actualisées en tant que valeur de remplacement pour la valeur des ventes. Il convient toutefois de l’examiner avec la deuxième branche du neuvième moyen, tirée de la violation du principe de bonne administration et du principe d’égalité de traitement (voir points 528 à 569 ci-après).

487    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en déterminant la valeur de remplacement pour la valeur des ventes sur la base des recettes en numéraire actualisées.

488    En outre, en ce qui concerne le facteur de réduction appliqué aux recettes en numéraire, il convient d’observer que celui-ci est amené à jouer un rôle essentiel dans la détermination de la valeur des ventes, du fait du montant particulièrement élevé qu’implique la prise en compte des seules recettes en numéraire, c’est-à-dire sans déduction des paiements correspondants (arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 326).

489    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le premier grief de la première branche du neuvième moyen et d’examiner ensuite le deuxième grief de la quatrième branche du neuvième moyen soulevé par les requérantes à l’égard du facteur de réduction appliqué, en l’espèce, par la Commission.

2)      Sur la détermination du facteur de réduction de 98,849 % appliqué par la Commission

490    Les requérantes font valoir que la Commission a retenu un facteur de réduction inapproprié et insuffisant au regard des spécificités du marché des EIRD. Selon elles, la prétendue marge d’appréciation sur laquelle s’appuie la Commission ne saurait la dispenser de respecter le principe de proportionnalité ainsi que l’obligation de motivation. Les différentes étapes du calcul du facteur de réduction, telles qu’elles ressortent de la décision attaquée, seraient soit approximatives ou inexactes, soit insuffisamment motivées.

491    Les requérantes contestent également, en substance, la possibilité pour la Commission de compléter la motivation relative à la détermination du facteur de réduction, jugée insuffisante dans l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675) (voir point 23 ci-dessus), par l’adoption de la décision modificative.

492    La Commission considère que le facteur de réduction appliqué en l’espèce est approprié au regard des particularités du marché des EIRD et que sa détermination est suffisamment motivée dans la décision attaquée. Elle estime néanmoins qu’elle était en droit, dans le respect du principe de bonne administration, d’adopter la décision modificative afin de compléter la motivation suffisante de la décision attaquée et réfute l’ensemble des moyens soulevés par les requérantes pour contester l’adoption de cette décision.

493    Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner tout d’abord les allégations des requérantes relatives à la violation par la Commission de son obligation de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du facteur de réduction.

i)      Sur le respect de l’obligation de motivation en ce qui concerne la détermination, dans la décision attaquée, du facteur de réduction

494    Les requérantes soutiennent que la motivation de la décision attaquée ne leur permet pas de comprendre les raisons pour lesquelles le montant de base de l’amende a été fixé à cette hauteur, ni d’évaluer que les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ont bien été respectés, ni, in fine, d’exercer leurs droits de la défense. Quand bien même la Commission disposerait d’une marge d’appréciation dans la détermination du montant de l’amende, cela ne la dispenserait pas de l’obligation d’expliquer comment elle a atteint le chiffre de 98,849 %, dont le degré de précision (trois chiffres après la virgule) ne correspond à aucune réalité scientifique, comme le relèverait un rapport d’expertise produit par les requérantes portant sur la méthodologie suivie par la Commission pour déterminer la valeur des ventes. En conséquence, n’ayant pas expliqué à suffisance de droit les éléments pris en compte et leur pondération dans le calcul du coefficient de réduction, la Commission aurait entaché la décision attaquée d’une insuffisance de motivation devant aboutir à l’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée.

495    La Commission fait valoir que le facteur de réduction de 98,849 % est suffisamment motivé, dès lors que les motifs figurant dans la décision attaquée permettent aux requérantes de comprendre en quoi ce facteur a été considéré comme étant approprié et globalement avantageux par rapport aux facteurs de réduction individuels. Les requérantes ne démontreraient pas en quoi la Commission aurait dépassé la marge d’appréciation dont elle dispose lorsqu’elle détermine le montant de chaque amende. La Commission rappelle en outre qu’elle n’est pas tenue de suivre une approche mathématique.

496    Ainsi qu’il a été rappelé au point 463 ci-dessus, le facteur uniforme appliqué afin de réduire les chiffres des recettes en numéraire de Crédit agricole et des autres banques a été fixé à 98,849 %.

497    La justification du niveau de ce facteur de réduction s’appuie dans la décision attaquée sur cinq séries de motifs. Premièrement, la Commission s’est, au considérant 644 de ladite décision, fondée sur la compensation inhérente à la négociation des produits dérivés en général, évaluée selon l’International Swap Dealers Association (ISDA) comme impliquant une réduction comprise entre 85 % et 90 %.

498    Deuxièmement, au considérant 645 de la décision attaquée, la Commission a mis en exergue la spécificité de la compensation des EIRD, dès lors que la comparaison des recettes en numéraire des parties avec les règlements nets en numéraire au titre des EIRD démontre que l’application d’un taux entre 85 et 90 % aboutirait à des amendes trop dissuasives.

499    Troisièmement, au considérant 646 de la décision attaquée, la Commission a constaté que l’entente sur les EIRD avait occasionné un surcoût nettement plus faible que celui de 20 % généralement causé par ce type d’entente dans les secteurs conventionnels.

500    Quatrièmement, au considérant 647 de la décision attaquée, la Commission a rappelé qu’elle n’était pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise et disposait d’une marge d’appréciation lorsqu’elle déterminait le montant de chaque amende.

501    Cinquièmement, au considérant 648 de la décision attaquée, la Commission a souligné avoir appliqué aux destinataires de ladite décision le même taux que celui utilisé pour calculer les amendes imposées aux destinataires de la décision de transaction.

502    En ce qui concerne les critiques diligentées à l’encontre du facteur de réduction au cours de la procédure administrative, la Commission a, notamment, souligné, au considérant 710 de la décision attaquée, avoir été transparente quant à son intention de réduire les recettes en numéraire d’un facteur uniforme d’au moins 97,5 %. Elle a également fait valoir, au considérant 713 de ladite décision, ne pas avoir appliqué de facteurs de réduction individuels, dès lors que ceux-ci auraient pu déboucher sur une inégalité de traitement.

503    À cet égard, il convient de rappeler que, s’agissant d’une décision infligeant une amende, la Commission est tenue de fournir une motivation, notamment quant au montant de l’amende infligée et quant à la méthode choisie à cet égard (arrêt du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, EU:T:2006:270, point 91). Il lui appartient d’indiquer, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (arrêt du 13 juillet 2011, Schindler Holding e.a./Commission, T‑138/07, EU:T:2011:362, point 243). Elle doit néanmoins expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 61).

504    S’agissant de l’obligation de motivation qui incombe, plus généralement à la Commission, il convient de relever que, en application de la jurisprudence citée au point 256 ci-dessus, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Or, celles-ci présentent deux spécificités notables.

505    D’une part, la Commission a, en l’espèce, décidé de faire application de la méthodologie figurant dans les lignes directrices pour le calcul des amendes. Elle a, dès lors, fait le choix de suivre une méthodologie dans laquelle, pour les raisons exposées au point 474 ci-dessus, la détermination de la « valeur des ventes » jouait un rôle central, alors même qu’elle avait relevé au considérant 639 de la décision attaquée que les EIRD ne généraient pas de ventes au sens usuel du terme.

506    Partant, il était essentiel que la motivation de la décision attaquée permette aux requérantes de vérifier si la valeur de remplacement choisie par la Commission était éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité et au Tribunal d’exercer son contrôle (arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 346).

507    D’autre part, dans l’approche suivie par la Commission, le facteur de réduction joue un rôle essentiel en raison du montant particulièrement élevé des recettes en numéraire auquel il a vocation à s’appliquer (arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 347).

508    Il découle de ce qui précède que, dans les circonstances de l’espèce, la Commission ayant décidé de déterminer le montant de base de l’amende par application d’un modèle chiffré dans lequel le facteur de réduction était appelé à jouer un rôle essentiel, il était nécessaire que les entreprises concernées soient mises en mesure de comprendre comment elle avait abouti à un facteur de réduction fixé à 98,849 % et que le Tribunal soit à même d’exercer un contrôle approfondi, en droit comme en fait, sur cet élément de la décision attaquée, en application de la jurisprudence citée aux points 255 et 256 ci-dessus.

509    Or, il ressort seulement des considérants 643, 644 à 646 et 648 de la décision attaquée que le facteur de réduction devait être supérieur à 90 %, dès lors que, d’une part, la comparaison des recettes en numéraire des parties avec les règlements nets en numéraire au titre des EIRD démontrait que l’application d’un taux entre 85 et 90 % aboutirait à des amendes trop dissuasives et, d’autre part, que l’entente en cause avait occasionné un surcoût nettement plus faible que celui de 20 % généralement causé par ce type d’entente dans les secteurs conventionnels. Au considérant 648 de la décision attaquée, d’une part, la Commission indique avoir procédé à une estimation des facteurs mentionnés aux considérants 643 à 646 de la décision attaquée sans toutefois préciser quelle valeur elle a attribuée à ces différents facteurs afin de fixer le taux de réduction à 98,849 %. D’autre part, elle indique avoir appliqué la même méthodologie dans la détermination des valeurs de ventes que celle utilisée pour calculer les amendes dans la décision de transaction. Toutefois, force est de constater qu’aucune indication supplémentaire quant à la détermination du taux de réduction à 98,849 % ne ressort de la décision de transaction.

510    La seule autre indication figurant dans la décision attaquée consiste dans le rappel, figurant au considérant 710 de celle-ci, de ce que la Commission avait souligné au cours de la procédure administrative que le facteur de réduction uniforme serait d’au moins 97,5 %.

511    Force est de constater que ces considérations ne fournissent pas aux requérantes une explicitation suffisante des raisons pour lesquelles le facteur de réduction a été fixé à 98,849 %. De même, en l’absence d’explications plus détaillées sur les raisons pour lesquelles ces considérations ont conduit à la fixation du facteur de réduction à ce niveau précis, le Tribunal n’est pas en mesure d’exercer un contrôle approfondi en droit et en fait sur un élément de la décision qui a pu avoir une incidence significative sur l’amende infligée aux requérantes (arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 351).

512    Au vu de ce qui précède, il convient de constater que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la détermination du facteur de réduction à 98,849 %.

513    Toutefois, le présent grief de la quatrième branche du neuvième moyen pourrait s’avérer dénué de fondement s’il se vérifiait que la Commission avait remédié à l’insuffisance de motivation ainsi constatée en adoptant la décision modificative (voir points 21 à 23 ci-dessus). Dès lors, il convient d’examiner les moyens soulevés par les requérantes dans le cadre du mémoire en adaptation visant à contester l’adoption par la Commission de cette dernière décision.

ii)    Sur la décision modificative

514    Afin de contester l’adoption par la Commission de la décision modificative, les requérantes soulèvent, dans le cadre du mémoire en adaptation, cinq moyens. Le premier moyen est tiré de l’absence de compétence de la Commission pour remédier au défaut de motivation de la décision attaquée par le biais de la décision modificative. Le deuxième moyen est tiré de ce que la décision attaquée telle que modifiée par la décision modificative viole l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré de ce que la décision modificative viole les principes généraux du droit de l’Union relatifs au calcul des amendes. Le quatrième moyen est tiré de la violation des droits de la défense des requérantes tant dans la procédure ayant mené à la décision modificative que dans celle ayant mené à la décision attaquée. Le cinquième moyen, formulé à titre subsidiaire, est tiré de ce que la décision attaquée telle que modifiée viole les règles de prescription.

515    Il convient d’examiner tout d’abord le premier moyen du mémoire en adaptation.

516    À cet égard, les requérantes soutiennent que la Commission n’avait pas compétence pour remédier à l’insuffisance de motivation de la décision attaquée, constatée par le Tribunal dans l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), par le biais de la décision modificative.

517    Les requérantes relèvent que, si la Commission peut, en principe, modifier une décision postérieurement à son adoption, elle n’a en revanche pas compétence pour adopter, comme en l’espèce, une décision corrigeant ou complétant la motivation insuffisante de la décision attaquée au cours de la procédure juridictionnelle visant à l’annulation de cette décision, sans réadopter un dispositif de cette dernière décision. L’incompétence de la Commission pour adopter la décision modificative s’imposerait à plus forte raison dans la mesure où elle avancerait, en réalité, une motivation différente de celle de la décision attaquée.

518    La Commission conteste les arguments des requérantes et estime qu’il lui était loisible d’adopter, dans le respect des formes et des procédures prévues à cet égard par le traité, la décision modificative afin de compléter les motifs de la décision attaquée, en explicitant davantage la méthodologie employée afin de déterminer le facteur de réduction, sans la modifier. Selon elle, la jurisprudence relative à l’impossibilité de régulariser la motivation défaillante d’une décision individuelle en cours de la procédure contentieuse n’est pas applicable en l’espèce. L’adoption de la décision modificative ayant ouvert la possibilité pour les requérantes d’adapter leur requête afin de contester la validité de la méthodologie en cause, leurs droits procéduraux auraient ainsi été sauvegardés et le Tribunal pourrait pleinement exercer son contrôle juridictionnel.

519    À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que son pouvoir d’adopter un acte déterminé doit nécessairement comporter le pouvoir de modifier cet acte, dans le respect des dispositions relatives à sa compétence ainsi que dans le respect des formes et des procédures prévues à cet égard par le traité (arrêt du 9 décembre 2014, Lucchini/Commission, T‑91/10, EU:T:2014:1033, point 108), ce qui est admis par les requérantes.

520    Toutefois, force est de relever, à l’instar des requérantes, qu’il ressort explicitement du dispositif de la décision modificative, ainsi que de ses considérants 11 à 13, que celle-ci ne vise qu’à compléter les motifs de la décision attaquée, sans modifier le dispositif de cette décision, et que, dès lors, l’article 1er, sous a), et l’article 2, sous a), de celle-ci « restent en vigueur ».

521    Il ressort de ce qui précède que, en adoptant la décision modificative, la Commission n’a pas procédé à l’adoption d’une décision modifiant le dispositif de la décision attaquée, mais a uniquement complété la motivation prétendument sous-jacente au dispositif adopté dans la décision attaquée, ce qu’elle confirme, en substance, devant le Tribunal (voir point 518 ci-dessus).

522    Il s’ensuit que la décision modificative ne peut être considérée comme une décision nouvelle modifiant la décision attaquée au sens de la jurisprudence citée au point 519 ci-dessus, mais doit être assimilée à un complément de motivation apporté par la partie défenderesse dans le cadre de la procédure juridictionnelle. Or, selon une jurisprudence constante, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant les instances de l’Union (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 149 ; du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 74, et du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, point 46).

523    Il n’existe ni un droit des institutions de l’Union de régulariser devant le juge de l’Union leurs décisions insuffisamment motivées ni une obligation de ce dernier de prendre en compte les explications complémentaires fournies seulement en cours d’instance par l’auteur de l’acte en cause pour apprécier le respect de l’obligation de motivation. Un semblable état du droit risquerait de brouiller la répartition des compétences entre l’administration et le juge de l’Union, d’affaiblir le contrôle de légalité et de compromettre l’exercice du droit de recours (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 58).

524    Des précisions apportées par l’auteur d’une décision attaquée, au cours de la procédure contentieuse, complétant une motivation déjà en elle-même suffisante ne relèvent pas à proprement parler du respect de l’obligation de motivation, même si elles peuvent être utiles au contrôle interne des motifs de la décision, exercé par le juge de l’Union, en ce qu’elles permettent à l’institution d’expliciter les raisons qui sont à la base de sa décision. Ainsi, des explications additionnelles, allant au-delà des exigences de l’obligation de motivation, peuvent permettre aux entreprises de connaître en détail le mode de calcul de l’amende qui leur est infligée et, de façon plus générale, servir la transparence de l’action administrative et faciliter l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction en lui permettant d’apprécier, au-delà de la légalité de la décision attaquée, le caractère approprié de l’amende infligée. Cependant, cette faculté n’est pas de nature à modifier l’étendue des exigences découlant de l’obligation de motivation (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, EU:C:2000:626, points 45 et 47).

525    En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 512 ci-dessus, la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la détermination du facteur de réduction. La Commission n’a fait valoir l’existence d’aucune circonstance visant à démontrer qu’elle se serait trouvée dans l’impossibilité pratique de motiver à suffisance de droit la décision attaquée et permettant d’accepter, à titre exceptionnel, un complément de la motivation apporté au cours de la procédure juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 59). Partant, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir si la méthodologie explicitée de manière plus détaillée dans la décision modificative était bien celle sous-jacente à la décision attaquée et, par conséquent, d’adopter la mesure d’instruction proposée par la Commission, il convient de considérer que, en application de la jurisprudence citée aux points 522 à 524 ci-dessus, le complément de motivation de la décision attaquée apporté par la Commission en cours d’instance ne saurait être accepté.

526    Dans ces circonstances, en faisant droit aux griefs avancés par les requérantes dans le cadre du premier moyen du mémoire en adaptation, il y a lieu d’écarter la motivation complémentaire apportée par la décision modificative en cours d’instance, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres demandes, griefs et moyens avancés par les requérantes dans le cadre de ce mémoire ou d’adopter la mesure d’organisation de la procédure qu’elles ont proposée, celle-ci se rapportant au bien-fondé des affirmations dans la décision modificative concernant la détermination du facteur de réduction.

527    Il ressort de tout ce qui précède que le grief tiré de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du facteur de réduction est fondé.

b)      Sur l’incohérence des méthodes de calcul des valeurs de venteutilisées par les banques et sur la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en raison de l’absence de contrôle par la Commission sur ce point

528    Les requérantes soutiennent que, en acceptant que les parties calculent les recettes en numéraire en suivant des méthodes hétérogènes et en rejetant les données correctives soumises par Crédit agricole, la Commission a violé son obligation de motivation et le principe d’égalité de traitement à son égard (second grief de la première branche du neuvième moyen). En outre, selon les requérantes, la Commission a violé le principe de bonne administration, en ce qu’elle n’a pas contrôlé la cohérence des réponses au questionnaire sur la valeur des ventes et n’a procédé à aucune mesure d’enquête complémentaire à la réception des données requises pour s’assurer du respect du principe d’égalité de traitement (deuxième branche du neuvième moyen).

529    La Commission conteste avoir violé les principes de bonne administration et d’égalité de traitement.

530    La Commission admet, dans la décision attaquée (considérants 684 à 687, 694 et 702 de ladite décision) et dans le cadre de la présente procédure, l’existence de certaines des divergences mises en avant par les requérantes. Toutefois, d’une part, elle soutient, en substance, que celles-ci ne lui sont pas attribuables en ce que, pour calculer la valeur des ventes, elle s’est fondée sur les réponses librement données par les banques à la demande de renseignements. Le caractère précis et détaillé des questions posées aurait permis que les différences entre les réponses des banques ne soient jamais substantielles. Elle a aussi présumé que ces réponses étaient exactes et pertinentes, dans la mesure où la demande de renseignements précisait que toutes les données devaient être vérifiées par une société d’audit et que la réponse devait être accompagnée d’une note méthodologique, sachant qu’elle n’avait pas les moyens de refaire les calculs. Lorsqu’une défaillance de l’audit ou des services d’une banque aurait été constatée, la Commission y aurait remédié.

531    D’autre part, la Commission fait valoir que les incohérences mises en exergue par les requérantes n’auraient que des conséquences minimes sur les données finalement retenues. Les requérantes n’auraient pas réfuté les explications données à cet égard dans la décision attaquée.

532    À cet égard, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré par les articles 20 et 21 de la Charte. Selon une jurisprudence constante, ledit principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 186 et jurisprudence citée ; arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, points 132 et 166).

533    Toutefois, la violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose ainsi que les situations visées soient comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause (voir arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 187 et jurisprudence citée ; arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 167).

534    Il résulte d’une jurisprudence constante que, s’agissant de la détermination du montant de l’amende, il ne saurait être opéré, par l’application de méthodes de calcul différentes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à une même infraction à l’article 101 TFUE (voir arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 62 et jurisprudence citée).

535    Le principe d’égalité de traitement doit être respecté dans le cadre d’une procédure hybride, dans la mesure où, quand bien même celle-ci implique l’adoption de deux décisions ayant des destinataires différents et à la suite de deux procédures distinctes, il s’agit de participants à une seule et même entente (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, point 72 et jurisprudence citée).

536    Les lignes directrices pour le calcul des amendes restent pleinement applicables dans ce contexte. Il en résulte que, lors de la détermination du montant de l’amende, la Commission ne saurait opérer de discrimination entre les parties à une même entente en ce qui concerne les éléments et les méthodes de calcul qui ne sont pas affectés par les spécificités inhérentes à la procédure de transaction, telle que l’application d’une réduction de 10 % pour transaction conformément au point 32 de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement no 1/2003 (JO 2008, C 167, p. 1) (voir arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, point 74 et jurisprudence citée).

537    Enfin, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 42 ci-dessus, la Commission est tenue de respecter au cours des procédures relatives à l’instruction d’infractions présumées aux règles de concurrence de l’Union le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte. Selon la jurisprudence relative au principe de bonne administration, dans les cas où les institutions de l’Union disposent d’un pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 404).

538    Il convient d’examiner, tout d’abord, l’existence des divergences méthodologiques alléguées par les requérantes, puis, le cas échéant, si celles-ci ont eu pour conséquence que la Commission a, en l’espèce, violé les principes de bonne administration et d’égalité de traitement.

1)      Sur les différences d’approches méthodologiques entre les banques concernées

539    En s’appuyant sur deux études, à savoir le rapport portant sur la valeur des ventes de produits EIRD retenue par la Commission (ci-après le « rapport sur la valeur des ventes ») et le rapport portant, en substance, sur l’examen comparatif des informations fournies par les banques ayant servi au calcul des valeurs de ventes retenues par la Commission, les requérantes relèvent plusieurs divergences dans les approches suivies par les banques s’agissant de leurs réponses à la demande de renseignements de la Commission et, notamment, dans la détermination de leurs recettes en numéraire. Elles s’appuient à cet égard sur les analyses comparatives des données fournies par les différentes banques, ainsi que sur les notes méthodologiques accompagnant les réponses à la demande de renseignements du 12 octobre 2012, auxquelles les conseillers externes de Crédit agricole ont eu accès dans le cadre de la consultation en salle d’information (voir point 171 ci-dessus).

540    Ces divergences portent, selon les requérantes, sur, premièrement, les périmètres organisationnels retenus, à savoir les desks et entités inclus, deuxièmement, l’étendue des flux pris en compte, notamment par la banque A, troisièmement, les méthodologies suivies dans la compensation (« netting ») entre flux positifs et négatifs et, quatrièmement, le champ des produits retenus en ce qui concerne l’exclusion par certaines banques des produits « exotiques ».

541    Dans le rapport sur la valeur des ventes, auquel se réfèrent les requérantes et dont la valeur probante n’est pas contestée par la Commission, il est relevé que « les sept banques à l’étude ont employé des méthodologies différentes pour agréger les données demandées aux périmètres définis par la Commission[ ; p]lus précisément, compte tenu de la nature complexe du marché des produits EIRD, les banques ont effectué un certain nombre de retraitements des données brutes pour être en mesure de répondre à la demande formulée par la Commission[ ; c]es retraitements, effectivement très différents d’une banque à l’autre du fait des différentes hypothèses et conventions retenues, ont potentiellement pu entra[î]ner des biais de restitution[ ; c]es biais peuvent mécaniquement conduire à des formes d’incohérence dans la détermination des assiettes sur lesquelles assoir d’éventuelles sanctions ».

542    À cet égard, à titre liminaire, il y a lieu de relever que, en application de la jurisprudence citée aux points 534 et 535 ci-dessus, le respect par la Commission du principe d’égalité de traitement à l’égard de Crédit agricole doit être examiné au regard du traitement réservé à l’ensemble des parties à l’entente, y compris, le cas échéant, aux destinataires de la décision de transaction, à savoir Barclays, Deutsche Bank, Société générale et RBS.

543    En premier lieu, s’agissant des incohérences alléguées dans les « périmètres organisationnels » retenus, les requérantes soutiennent, en substance, que l’exclusion, par certaines banques, de certains « desks » ou la limitation de leurs réponses à la demande de renseignements aux données provenant des activités de certaines entités a eu pour conséquence de réduire les recettes en numéraire qu’elles ont communiquées à la Commission.

544    À cet égard, il convient de relever que les banques étaient tenues de communiquer à la Commission l’ensemble des données pertinentes relatives aux produits EIRD indépendamment de leur organisation interne, ce qui n’est pas contesté par les requérantes. L’indication précise des « desks », pour lesquels les données avaient été communiquées, est donc sans pertinence à cet égard pour autant que l’ensemble des données pertinentes ait été communiqué.

545    Tout en faisant valoir que les différentes banques avaient communiqué à la Commission les données provenant de certaines, mais pas d’autres, entités composant leurs entreprises, les requérantes ne démontrent pas que les données prétendument exclues auraient été pertinentes aux fins de répondre à la demande de renseignements. De même, tout en reprochant à la Commission d’avoir pris en compte, en ce qui concerne Crédit agricole, les données provenant de la société mère, Crédit agricole SA, les requérantes ne tentent même pas de démontrer, et a fortiori n’établissent pas, que ces données n’étaient pas pertinentes aux fins de répondre à la demande de renseignements.

546    Le présent grief doit dès lors être rejeté.

547    En deuxième lieu, premièrement, s’agissant de la différence alléguée en ce qui concerne l’étendue des flux pris en compte, il convient de constater qu’il ressort de la note méthodologique accompagnant les données produites par la banque A en réponse à la demande de renseignements, sur laquelle s’appuient les requérantes, que celle-ci a proposé d’exclure la jambe fixe d’un contrat swap lorsque celui-ci comportait à la fois une jambe fixe et une jambe variable (« [la banque A] proposes to exclude […] where a swap has both a fixed and a floating leg, the fixed leg of swap »), ainsi que la Commission l’a relevé aux considérants 684 et 685 de la décision attaquée.

548    Il doit donc en être conclu que, contrairement aux autres banques concernées, la banque A n’a pas pris en compte, lors du calcul de ses recettes en numéraire, les flux découlant de la jambe fixe des swaps s’agissant d’un swap comprenant à la fois une jambe fixe et une jambe variable.

549    Tout en admettant ce fait, la Commission a considéré qu’une telle divergence n’avait pas entraîné d’écarts significatifs dans le calcul des recettes en numéraire ni causé d’inégalité de traitement (considérants 684 et 685 de la décision attaquée). Elle a ainsi relevé que, d’après ses propres calculs effectués en prenant en compte la réponse de la banque A à la demande de renseignements, l’incidence de la méthode que celle-ci avait utilisée en ce qui concernait l’exclusion de la jambe fixe était d’environ 0,1 % sur la valeur de remplacement annualisée utilisée pour la valeur des ventes. La Commission a considéré que cette possible incidence de 0,1 % était négligeable.

550    Deuxièmement, s’agissant de la différence relative à l’étendue des compensations entre les flux payés et reçus, il convient de relever qu’il ressort de la décision attaquée que, s’agissant des flux relatifs aux produits OTC, Crédit agricole a procédé à la compensation quotidienne (considérant 704 de la décision attaquée), ce qui serait la norme sur le marché en cause, alors qu’une autre banque, à savoir la banque B, a procédé à la compensation mensuelle (considérant 702 de la décision attaquée).

551    La Commission admet l’existence, dans les méthodes de calcul des recettes en numéraire employées, d’une part, notamment, par Crédit agricole et, d’autre part, par la banque B, de divergences concernant l’étendue des compensations (netting) entre les flux payés et reçus sur les opérations, mais elle soutient que l’incidence de ces divergences sur le résultat des calculs n’a pas été significative. À cet égard, elle a estimé, au considérant 702 de la décision attaquée, en s’appuyant sur les affirmations de la banque B, qui seraient confirmées par les données soumises en [confidentiel] (2) par la banque C, que la comparaison entre la compensation quotidienne et la compensation mensuelle montrait une différence qui serait, selon elle, négligeable.

552    Troisièmement, s’agissant des divergences dans le champ des produits retenus, les requérantes font valoir que certaines banques, à savoir la banque C, la banque D et la banque A, ont exclu de leurs calculs des recettes en numéraire les produits « exotiques ». S’agissant des autres banques, cette question ne serait pas précisée, mais Crédit agricole les aurait inclus.

553    À cet égard, la Commission fait valoir que la demande de renseignements ne limitait pas les produits pour lesquels les données devaient être soumises aux seuls produits « vanilla » (classiques), de sorte que l’inclusion des produits « exotiques » (complexes) doit être considérée comme étant conforme à celle-ci. Elle indique que Crédit agricole n’était pas la seule à inclure ces produits. Il en aurait été de même pour JP Morgan, la banque D et la banque A, cette dernière limitant toutefois cette inclusion aux produits « exotiques » pour lesquels elle disposait de données fiables (considérant 694 de la décision attaquée). En outre, la Commission confirme que la banque C a exclu les produits « exotiques » de ses calculs.

554    Ainsi qu’il ressort du considérant 694 de la décision attaquée, la Commission admet que l’approche suivie, notamment, par la banque A en ce qui concerne la prise en compte des produits « exotiques » diffère de celle suivie, notamment, par Crédit agricole, en ce que la première a exclu de ses calculs, dans un souci de ne pas retarder la présentation de la réponse à la demande de renseignements, les produits « exotiques » pour lesquelles elle ne pouvait pas obtenir des données demandées « rapidement » ou dans un délai « proportionné ». Il ressort également dudit considérant que la Commission semble avoir accepté l’assertion de la part de la banque A, selon laquelle « le nombre et la valeur des transactions exotiques potentiellement pertinentes [étaient] négligeables au regard de la position de négociation globale ».

555    Il résulte des points 547 à 554 ci-dessus que, comme le soutiennent à bon droit les requérantes, la détermination par les banques des recettes en numéraire a donné lieu, dans certains cas, à des approches différentes en ce qui concerne l’étendue des flux pris en compte, la méthode de compensation appliquée et l’étendue des produits, en ce que certaines banques ont exclu, à tout le moins partiellement, les produits « exotiques ».

556    Il convient donc d’examiner si, en acceptant, aux fins de la détermination de l’assiette pour le calcul des amendes, les données relatives aux recettes en numéraire déterminées par les banques selon des méthodologies présentant les divergences mentionnées au point 555 ci-dessus, la Commission a violé les principes de bonne administration et d’égalité de traitement.

2)      Sur le grief tiré d’une violation du principe de bonne administration en raison d’une vérification insuffisante des données fournies par les banques

557    Dans le cadre de la deuxième branche du neuvième moyen, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir violé le principe de bonne administration, en ce qu’elle n’a pas contrôlé la cohérence des réponses au questionnaire sur la valeur des ventes et n’a procédé à aucune mesure d’enquête complémentaire à la réception des données pour s’assurer du respect du principe d’égalité de traitement.

558    La Commission soutient avoir pris « toutes les précautions pour éviter des divergences entre les valeurs communiquées par les banques », dans la mesure où elle a soumis la même demande de renseignements précise et détaillée à l’ensemble des parties, assuré la coordination et exigé que les réponses soient accompagnées d’une note méthodologique et qu’un audit externe indépendant atteste l’exactitude des calculs présentés.

559    À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’existe pas d’obligation générale pour la Commission de procéder à la vérification des renseignements fournis en réponse à une demande de renseignements à défaut d’indices indiquant l’inexactitude desdits renseignements (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Spira/Commission, T‑108/07 et T‑354/08, EU:T:2013:367, point 104 et jurisprudence citée).

560    En l’espèce, il y a lieu de relever que plusieurs indices au sens de la jurisprudence citée au point 559 ci-dessus auraient dû amener la Commission à douter du caractère suffisamment uniforme des méthodologies suivies par les banques concernées pour fournir les données demandées.

561    En premier lieu, la Commission ne conteste pas qu’elle avait été avertie par les parties des difficultés que celles-ci avaient eu à répondre au questionnaire. Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la Commission, la circonstance mise en avant par les requérantes, selon laquelle Société générale (considérant 703 de la décision attaquée, voir point 11 ci-dessus) et JP Morgan (considérant 680 de la décision attaquée) ont soumis spontanément des données corrigées procédant à des révisions importantes des données initialement soumises, démontre l’existence de ces difficultés. Il importe de relever que ces données révisées ont été acceptées par la Commission.

562    En deuxième lieu, c’est également à juste titre que les requérantes mettent en exergue les différences entre les notes méthodologiques fournies par chacune des banques concernées s’agissant tant de leur notable différence de longueur que de l’hétérogénéité du niveau des informations fournies par les banques.

563    En troisième lieu, les requérantes mettent en avant les incohérences entre les montants notionnels déclarés par les banques concernées en tant qu’indice des incohérences dans les données soumises par les parties en réponse à la demande de renseignements. Certes, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 700 de la décision attaquée, elle n’a pas fondé, en l’espèce, la valeur des ventes sur les montants notionnels, mais sur les recettes en numéraire. Toutefois, il ressort du rapport sur la valeur des ventes que les montants notionnels et les recettes en numéraire remis par les différentes banques n’apparaissent pas cohérentes entre elles. Il en ressort que le niveau des montants notionnels n’est pas dépourvu de toute pertinence en tant qu’indice d’une incohérence dans les méthodologies suivies pour répondre à la demande de renseignements de la Commission, y compris en ce qui concerne la détermination des recettes en numéraire des banques.

564    Dans ce contexte, il convient encore de relever que, lors de l’audition, les requérantes avaient attiré l’attention de la Commission sur l’existence de certaines contradictions dans les réponses des autres parties aux demandes de renseignements (voir points 58 et 60 ci-dessus).

565    En présence de tels indices, il appartenait à la Commission de poursuivre son enquête, dans le respect du principe de bonne administration et, en particulier, de son obligation d’examen diligent, en vue de s’assurer que les données relatives aux recettes en numéraire constituant une assiette du calcul de l’amende soient calculées selon les méthodologies suffisamment uniformes pour répondre de manière adéquate à la demande de renseignements.

566    Or, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a admis n’avoir demandé aucun éclaircissement aux parties portant sur les éléments de leurs réponses à la demande de renseignements ou les méthodes employées afin de calculer les données requises.

567    Pour autant que la Commission se réfère au rapport d’audit accompagnant chacune des réponses des banques concernées et fait valoir, en substance, qu’il appartenait aux auditeurs de vérifier le caractère adéquat des méthodes suivies pour répondre aux demandes de renseignements (considérant 678 de la décision attaquée), cet argument ne saurait davantage prospérer.

568    En effet, il ressort de la section I.2. sous ii), des instructions accompagnant la demande de renseignements que les « données » demandées devaient être vérifiées par une société d’audit ou par un auditeur et que la réponse devait être accompagnée d’une attestation indiquant que les « données » étaient vérifiées. Contrairement à ce qui ressort du considérant 678 de la décision attaquée, une telle instruction ne saurait nécessairement être comprise en ce sens que des rapports ou des opinions des auditeurs indépendants devaient confirmer, outre que les données fournies étaient correctes, que la méthodologie suivie pour les calculer était adéquate aux fins de répondre à la demande de renseignements. Les requérantes s’appuient à cet égard sur les commentaires compris dans les rapports d’audits établis par une société d’audit en ce qui concerne leurs calculs et ceux établis, notamment, pour la banque A, la banque C et JP Morgan, dont la matérialité n’est pas contestée par la Commission. Il ressort de ces commentaires que les auditeurs indépendants ont considéré que leur mission consistait à vérifier la bonne application de la méthode choisie par une banque, et non à questionner cette méthode au regard des périmètres résultant de la demande de renseignements.

569    Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que, en dépit d’indices suffisants pour douter de l’uniformité des méthodologies suivies par les banques concernées pour calculer leurs recettes en numéraire, la Commission n’a pas adopté de mesures d’enquête supplémentaires, en violation de son obligation d’examen diligent auquel elle est tenue en application de la jurisprudence citée au point 537 ci-dessus. Toutefois, dans les circonstances du cas d’espèce, une telle violation du principe de bonne administration ne serait susceptible de conduire à l’annulation de la décision attaquée qu’à condition que les requérantes démontrent que les divergences méthodologiques en cause ont eu pour conséquence que les montants de base des amendes infligées ont été calculés en violation du principe d’égalité de traitement.

3)      Sur le respect du principe d’égalité de traitement dans le calcul du montant de l’amende

570    Les requérantes soutiennent, en substance, qu’une violation du principe de bonne administration a résulté, en l’espèce, en une violation par la Commission du principe d’égalité de traitement en ce que, sans les compléments d’instruction, celle-ci a déterminé les montants des amendes en prenant en compte les données qui n’étaient pas suffisamment fiables et cohérentes pour constituer une base des calculs des amendes.

571    Toutefois, les requérantes ne démontrent pas que, en l’espèce, l’application par les banques de méthodologies différentes pour calculer leurs recettes en numéraire, acceptées par la Commission, a conduit cette dernière à retenir des données non comparables d’une banque à l’autre et ainsi à déterminer le montant de l’amende à l’égard de Crédit agricole en violation du principe d’égalité de traitement.

572    En effet, en premier lieu, il convient de rappeler que, selon la Commission, l’existence des divergences concernant, premièrement, l’étendue des flux pris en compte par la banque A, en ce que celle-ci a exclu de ses calculs la jambe fixe d’un contrat swap lorsque celui-ci comportait à la fois une jambe fixe et une jambe variable, deuxièmement, l’étendue des compensations (netting) entre les flux payés et reçus sur les opérations et, troisièmement, l’exclusion des produits « exotiques » n’avait qu’une incidence négligeable sur le résultat des calculs des recettes en numéraire et ainsi sur la détermination de la valeur des ventes (voir points 549, 551 et 554 ci-dessus).

573    Les requérantes contestent le caractère négligeable de l’incidence des divergences méthodologiques sur le niveau des recettes en numéraire.

574    Premièrement, elles estiment que le constat de la Commission dans la décision attaquée selon lequel l’incidence de la méthodologie suivie par la banque A sur la valeur de ses recettes en numéraire en ce qui concerne l’exclusion des jambes fixes s’agissant des contrats disposant à la fois de la jambe fixe et de la jambe variable ne s’élevait qu’à 0,1 % et, de ce fait, était négligeable n’est pas vérifiable. Elles soutiennent, en substance, que l’accès aux données financières des autres parties qu’elles ont obtenu par le biais de la procédure de salle d’information n’était pas suffisant pour leur permettre de procéder, à l’instar de la Commission, à de tels calculs au regard de l’exclusion des experts de Crédit agricole de l’accès aux données en cause et du temps d’accès limité.

575    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que la Commission a calculé l’incidence de la méthode appliquée par la banque A sur la valeur de ses recettes en numéraire à 0,1 % en se fondant sur les feuilles de calculs contenant certains codes, soumises par cette banque avec sa réponse à la demande de renseignements (considérant 685 de la décision attaquée). Les conseillers juridiques et économiques des requérantes avaient eu accès à ces documents dans le cadre de la procédure de salle d’information (voir note en bas de page no 720 de la décision attaquée).

576    En outre, d’une part, il ressort de l’examen des griefs relatifs au refus d’accès aux données relatives à la valeur des ventes que la Commission n’a pas porté atteinte aux droits de la défense des requérantes en mettant en place un système d’accès mixte aux données en cause consistant à accorder l’accès aux données confidentielles aux seuls conseillers externes de Crédit agricole par le biais de la procédure de salle d’information (voir points 173 à 180 ci-dessus). D’autre part, si les requérantes estimaient que le temps d’accès ainsi accordé aux conseillers externes n’était pas suffisant, rien ne les empêchait d’adresser aux services de la Commission ou au conseiller-auditeur une demande d’extension du temps d’accès ou une demande d’accès supplémentaire selon la même procédure. Or, elles n’ont pas déposé une telle demande.

577    Les arguments avancés par les requérantes ne sont donc pas susceptibles de remettre en cause le constat de la Commission, dans la décision attaquée, selon lequel l’incidence de 0,1 % sur la valeur des recettes en numéraire de la banque A était négligeable.

578    Deuxièmement, s’agissant des différences des méthodes de compensation, il convient de relever, tout d’abord, que les requérantes ne contestent pas que la compensation quotidienne, telle qu’appliquée par Crédit agricole, est une norme sur le marché. En outre, les requérantes ne tentent pas même de démontrer que l’application d’une compensation mensuelle plutôt que quotidienne aurait eu une incidence significative sur leurs propres données concernant les recettes en numéraire.

579    Par ailleurs, les requérantes estiment que la conclusion de la Commission figurant au considérant 702 de la décision attaquée, selon laquelle le fait pour les banques de suivre des méthodes de compensation différentes n’a pas entraîné d’écarts significatifs ni causé d’inégalité de traitement est contredit par le fait que l’amende de Société générale a été réduite de moitié dans le cadre de la décision rectificative.

580    Toutefois, d’une part, il ressort du considérant 703 de la décision attaquée que la Commission a adopté une décision modifiant la décision de transaction en ce qui concernait Société générale lorsque celle-ci l’a informée qu’elle n’avait pas procédé à la compensation pour une partie substantielle de ses transactions, et non parce qu’elle aurait révisé ses données en appliquant une autre méthode de compensation. D’autre part, il ressort du considérant 702 de la décision attaquée que les résultats des calculs suivant les deux approches (à savoir la compensation quotidienne et la compensation mensuelle) effectués par la banque C montrent une différence d’environ 0,4 %. Les requérantes ne contestent pas le caractère négligeable d’une telle différence.

581    Troisièmement, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que les requérantes ne présentent aucun argument visant à contester les explications de la banque A, ressortant du considérant 694 de la décision attaquée, quant à l’incidence négligeable de l’exclusion par celle-ci de ses calculs des produits « exotiques ».

582    Quatrièmement, les requérantes s’appuient également sur les données révisées soumises à la Commission le 14 octobre 2016, calculées selon ce qu’elles estimaient être la méthodologie suivie par la banque A, à savoir la « neutralisation » de la jambe fixe et l’exclusion des produits « exotiques ».

583    À cet égard, il convient de relever que, au considérant 687 de la décision attaquée, la Commission a motivé le refus d’acceptation des données révisées soumises par Crédit agricole, en indiquant que la méthode que celle-ci avait suivie pour présenter ces données était inappropriée et que lesdites données étaient inexactes. À cet égard, la Commission a relevé que la méthode proposée ne correspondait ni aux instructions de la demande de renseignements ni à la méthode suivie par la banque A et avait été soumise sans confirmation de la part de l’auditeur. Selon la Commission, les requérantes avaient, notamment, exclu de leurs calculs les recettes en numéraire de la jambe fixe des swaps mais n’avaient pas révisé les montants des recettes en numéraire obtenus par compensation entre la jambe variable et la jambe fixe, ce qui conduirait à des recettes en numéraire plus faibles. La Commission a conclu que l’incidence de la méthode proposée par Crédit agricole sur ses recettes en numéraire serait d’environ 43 %, de sorte qu’elle conduirait à des différences importantes. Ces éléments sont suffisants pour permettre aux requérantes de comprendre les motifs ayant conduit la Commission à refuser d’accepter les données révisées et au Tribunal d’exercer son contrôle judiciaire au sens de la jurisprudence citée au point 255 ci-dessus. Le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation doit donc être rejeté comme non fondé.

584    En outre, il y a lieu de relever que, selon la Commission (considérant 687 de la décision attaquée), l’incidence de la méthodologie suivie sur les données de Crédit agricole s’élève à 43 %, ce qui ressort également, en substance, de la demande adressée par les requérantes au Tribunal visant à réduire à cette hauteur, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le montant de l’amende de Crédit agricole.

585    À supposer que les requérantes tentent ainsi de démontrer que l’incidence de la méthodologie suivie par la banque A sur leurs propres données relatives aux recettes en numéraire n’était pas négligeable, et non à faire appliquer à leur égard la méthodologie suivie par cette dernière banque (voir point 588 ci-après), cet argument ne saurait davantage prospérer. En effet, d’une part, il est constant entre les parties que la méthodologie appliquée par la banque A n’est pas conforme à la demande de renseignements.

586    D’autre part, et en tout état de cause, les requérantes ne démontrent pas que la méthodologie qu’elles ont suivie pour présenter ces données révisées était celle appliquée par la banque A. À cet égard, elles ne contestent aucunement le constat de la Commission énoncé au considérant 687 de la décision attaquée (voir point 583 ci-dessus) et ne tentent même pas de démontrer que la « neutralisation » des jambes fixes receveuses à laquelle elles auraient procédé pour calculer les données révisées résultait de la seule exclusion de la jambe fixe des contrats swap disposant à la fois d’une jambe fixe et d’une jambe variable, comme dans la méthodologie suivie par la banque A, et non, en outre, de la compensation des jambes fixes payeuses avec les jambes variables receveuses, comme cela a été relevé, en substance, par la Commission au considérant 687 de la décision attaquée.

587    Il convient donc de conclure que les requérantes ne démontrent pas que c’est à tort que la Commission a retenu que les divergences dans les méthodologies appliquées par les banques pour calculer leurs recettes en numéraire avaient abouti à des divergences dans les données soumises qui sont négligeables. Or, de telles divergences négligeables ne sont pas de nature à conduire à une violation du principe d’égalité de traitement en ce qu’elles n’aboutissent pas à retenir des valeurs non comparables pour calculer le montant des amendes.

588    En second lieu, eu égard au fait que la méthodologie suivie par la banque A pour calculer les recettes en numéraire ne correspond pas à la demande de renseignements, ne saurait prospérer l’argument des requérantes selon lequel le respect du principe d’égalité de traitement aurait dû conduire la Commission à leur permettre de soumettre les données calculées suivant la méthodologie appliquée par la banque A ou à accepter les données révisées soumises le 14 octobre 2006. À cet égard, il suffit de relever que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect de la légalité, en vertu duquel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir arrêt du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission, C‑155/14 P, EU:C:2016:446, point 58 et jurisprudence citée). Or, l’argument des requérantes revient en réalité à exiger de la Commission que leur soit appliquée une méthodologie non conforme à la demande de renseignements.

589    Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas démontré que, en l’espèce, l’acceptation par la Commission des données calculées selon des méthodologies divergentes avait conduit cette dernière à retenir des données relatives aux recettes en numéraire non comparables et ainsi à calculer l’amende de Crédit agricole en violation du principe d’égalité de traitement à son égard. Ce grief doit, dès lors, être rejeté et, partant, le second grief de la première branche du neuvième moyen et la deuxième branche de ce moyen.

c)      Sur le caractère proportionné et conforme au principe d’égalité de traitement du montant de l’amende 

590    Dans le cadre de la quatrième branche du neuvième moyen, les requérantes font valoir que, en imposant une amende excessive au regard de la gravité des faits et de la durée des pratiques qui leur sont reprochées, la Commission a violé le principe de proportionnalité. Outre le grief tiré de l’insuffisance de motivation du facteur de réduction, examiné aux points 494 à 512 ci-dessus, les requérantes soulèvent trois autres griefs dans le cadre de cette branche du neuvième moyen. En premier lieu, la Commission aurait inclus dans le calcul de la valeur des ventes des transactions non concernées par les pratiques, car relatives aux contrats indexés sur l’EONIA ou aux maturités autres que celles visées par les pratiques en cause. En deuxième lieu, elle aurait appliqué un coefficient de gravité disproportionné compte tenu de la nature et de l’intensité réduites des pratiques reprochées aux requérantes. En troisième lieu, elle aurait erronément appliqué un montant additionnel à titre de facteur dissuasif.

591    La Commission conteste le bien-fondé de ces griefs et conclut à leur rejet.

592    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, EU:C:1990:391, point 13, et du 15 juillet 2015, Trafilerie Meridionali/Commission, T‑422/10, EU:T:2015:512, point 373).

593    Dans le cadre des procédures engagées par la Commission pour sanctionner les violations des règles de concurrence, l’application de ce principe implique que les amendes ne doivent pas être démesurées par rapport aux objectifs visés, c’est‑à‑dire par rapport au respect de ces règles, et que le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité de celle-ci. En particulier, le principe de proportionnalité implique que la Commission doit fixer le montant de l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (voir arrêt du 15 juillet 2015, Trafilerie Meridionali/Commission, T‑422/10, EU:T:2015:512, point 374 et jurisprudence citée).

594    Pour la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de la durée des infractions et de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de celles-ci, tels que le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement des pratiques concertées, le profit qu’elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour l’Union (voir arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 56 et jurisprudence citée).

595    En outre, lors de la détermination du montant de l’amende, des éléments objectifs tels que le contenu et la durée des comportements anticoncurrentiels, leur nombre et leur intensité, l’étendue du marché affecté et la détérioration subie par l’ordre public économique doivent être pris en compte. L’analyse doit également prendre en considération l’importance relative et la part de marché des entreprises responsables ainsi qu’une éventuelle récidive (voir arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 57 et jurisprudence citée).

596    Dans un souci de transparence, la Commission a adopté les lignes directrices pour le calcul des amendes, dans lesquelles elle indique à quel titre elle prendra en considération telle ou telle circonstance de l’infraction et les conséquences qui pourront en être tirées quant au montant de l’amende.

1)      Sur l’inclusion des transactions relatives aux contrats indexés sur l’EONIA et de certaines maturités des contrats

597    Les requérantes font valoir, en substance, que les transactions relatives aux contrats indexés sur l’EONIA n’auraient pas dû être prises en compte par la Commission dans le calcul des valeurs des ventes en ce que seules les transactions relatives aux contrats indexés sur l’Euribor étaient concernées par les pratiques en cause. La Commission n’aurait pas motivé la décision attaquée à cet égard. De même, ce serait à tort que la Commission aurait pris en compte certaines maturités non concernées par lesdites pratiques.

598    La Commission soutient que c’est à bon droit qu’elle a pris en compte des contrats indexés sur l’EONIA et que les éléments du dossier n’excluaient aucune maturité des taux. Elle estime avoir suffisamment motivé la décision attaquée à cet égard.

599    À cet égard, en premier lieu, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cette dernière a motivé à suffisance de droit la prise en compte des contrats indexés sur l’EONIA en relevant, aux considérants 664, 665 et 670 de la décision attaquée, que ceux-ci appartenaient au même marché que les contrats indexés sur l’Euribor, que certaines conversations portaient sur des contrats indexés sur l’EONIA et que l’infraction concernait également des échanges d’informations sensibles concernant les opérations fondées sur l’EONIA. La Commission a également précisé que les éléments du dossier n’excluaient aucune maturité. C’est donc à tort que les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir motivé la prise en compte des contrats indexés sur l’EONIA et certaines maturités des taux.

600    En deuxième lieu, s’agissant du bien-fondé de la décision attaquée, il y a lieu de relever, premièrement, que les produits couverts par l’entente sont les EIRD liés à l’Euribor et à l’EONIA (considérants 1 et 3 de la décision attaquée). Comme le soutient la Commission, ces deux types de contrats appartiennent au même marché des EIRD. Alors que les requérantes ne contestent pas que tel est le cas, elles soutiennent que la décision attaquée ne définit pas le marché pertinent. Outre le fait qu’un tel argument ne relève pas en soi de la contestation du montant de l’amende, il convient de le rejeter comme non fondé, la Commission ayant bien défini le marché pertinent dans la section 2 de la décision attaquée et, notamment, au considérant 3 de celle-ci, comme étant celui des produits EIRD et dès lors, sans exclure les produits EIRD indexés sur l’EONIA.

601    Deuxièmement, conformément au point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes (voir point 474 ci-dessus), en vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilise la valeur des ventes de biens ou de services réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné. Ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 665 de la décision attaquée, il ressort de la jurisprudence que le point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes englobe les ventes réalisées sur le marché concerné par l’infraction dans l’EEE, sans qu’il importe de déterminer si ces ventes ont été réellement affectées par cette infraction, la partie du chiffre d’affaires provenant de la vente des produits faisant l’objet de l’infraction étant la mieux à même de refléter l’importance économique de cette infraction (voir arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission, C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 51 et jurisprudence citée).

602    Troisièmement, plusieurs conversations impliquant les traders de Crédit agricole ont porté sur des contrats indexés sur l’EONIA (voir, notamment, considérants 124, 278, 282 et 319 de la décision attaquée).

603    Quatrièmement, pour les mêmes motifs, il convient de rejeter les arguments des requérantes selon lesquels les contrats relatifs à certaines maturités du taux Euribor ne devaient pas être pris en compte par la Commission. En effet, rien ne permet de conclure que l’infraction n’aurait porté que sur certaines maturités (voir, notamment, considérants 430 et 670 de la décision attaquée) et, en tout état de cause, ces transactions portant, le cas échéant, sur les autres maturités font partie des biens et des services, à tout le moins, en lien indirect avec l’infraction au sens du point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes.

604    Eu égard à ce qui précède, le présent grief doit être rejeté comme non fondé.

2)      Sur le facteur de gravité

605    Les requérantes font valoir que le facteur de gravité a été fixé en violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, en ce que la Commission n’aurait pas tenu compte de la nature et de l’intensité sensiblement moindre de leur participation à l’infraction par rapport à celle des acteurs principaux. Elles estiment que ce facteur devrait être inférieur à 9 % au motif que les pratiques en cause ont un caractère bilatéral et ne relèvent pas de la participation à un cartel global.

606    La Commission conteste les arguments des requérantes et soutient que c’est à bon droit qu’elle a appliqué un taux de 18 % au titre de la gravité des pratiques, qui était le même pour tous les participants, le rôle individuel de chacun des participants ayant été pris en compte au titre des circonstances atténuantes.

607    Dans la décision attaquée, la Commission a d’abord pris en compte un facteur de gravité de 15 % dans la mesure où l’infraction avait porté sur la coordination des prix et des accords de fixation des prix. Elle a ajouté un facteur de gravité de 3 % en se référant à la circonstance selon laquelle l’entente avait concerné l’ensemble de l’EEE et avait porté sur des taux pertinents pour l’ensemble des EIRD et selon laquelle lesdits taux, portant sur l’euro, revêtaient une importance fondamentale pour l’harmonisation des conditions financières sur le marché intérieur et pour les activités bancaires dans les États membres (considérants 720 et 721 de la décision attaquée).

608    Selon la jurisprudence, la gravité de l’infraction doit faire l’objet d’une appréciation individuelle. Bien qu’il n’existe pas de liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte afin d’apprécier la gravité d’une infraction, pour la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de la durée de l’infraction et de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de celle-ci, tels que le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement des pratiques concertées, le profit qu’elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, points 196 et 198 et jurisprudence citée).

609    Parmi ces éléments figurent également le nombre et l’intensité des comportements anticoncurrentiels (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 57 et jurisprudence citée).

610    Toutefois, premièrement, c’est à bon droit que la Commission a rappelé au considérant 723 de la décision attaquée qu’elle pouvait tenir compte de la gravité relative de la participation d’une entreprise à une infraction et des circonstances particulières de l’affaire soit lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction au sens de l’article 23 du règlement no 1/2003, soit lors de l’ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 199 et jurisprudence citée). Tel est, notamment, le cas pour l’appréciation de la gravité de la participation à une infraction unique et continue commise par plusieurs entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 103).

611    Ainsi, la Commission ayant tenu compte du rôle individuel joué par Crédit agricole dans l’infraction unique et continue au titre des circonstances atténuantes (voir point 628 ci-après), l’argument des requérantes selon lequel le facteur de gravité appliqué en l’espèce serait contraire aux principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en ce qu’il ne refléterait pas l’intensité moindre de la participation de Crédit agricole à l’infraction par rapport à celle des acteurs principaux ne saurait prospérer.

612    Deuxièmement, c’est également à tort que les requérantes soutiennent que le facteur de gravité devait être sensiblement réduit au regard de la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende en ce que leur participation à l’entente doit être limitée à la participation à des contacts bilatéraux. En effet, en l’absence d’une distanciation publique des requérantes des pratiques en cause, les contacts bilatéraux auxquels participaient les traders des requérantes faisaient partie de l’entente globale et contribuaient à celle-ci.

613    Troisièmement, et en tout état de cause, au regard de la nature de l’infraction, telle que mise en avant aux considérants 720 et 721 de la décision attaquée, et, notamment, du fait que l’infraction a consisté en des pratiques relatives à la détermination des prix qui figurent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves et compte tenu du fait que les indices de référence s’appliquent à l’ensemble du marché des EIRD et que les taux de référence revêtent une importance particulière pour les conditions financières et pour les activités bancaires dans l’ensemble des États membres, c’est sans violer le principe de proportionnalité que la Commission a appliqué un taux de 18 % au titre de la gravité des pratiques en cause, à savoir à un niveau qui se situe parmi les taux les plus faibles de l’échelle des sanctions prévues pour de telles infractions en vertu des lignes directrices pour le calcul des amendes.

614    Partant, le présent grief doit être rejeté.

3)      Sur le facteur de dissuasion

615    Les requérantes estiment qu’aucun montant additionnel au titre de la dissuasion ne devrait être appliqué dans le cadre du calcul du montant de l’amende qui leur a été imposée dans la mesure où son application par la Commission conduit à une sanction disproportionnée et à une rupture d’égalité en ce qu’elle gomme l’effet de différences significatives quant à leur implication dans l’infraction par rapport à celle des acteurs principaux, notamment en ce qui concerne les durées respectives de leur participation.

616    La Commission conteste les arguments des requérantes.

617    Dans la décision attaquée, la Commission a ajouté, au calcul du montant de base de l’amende imposée, notamment, à Crédit agricole, un montant supplémentaire de 18 % de la valeur des ventes, qualifié de « droit d’entrée », dans la mesure où l’infraction a consisté en une fixation horizontale des prix, afin de dissuader les entreprises de participer à de telles pratiques, indépendamment de la durée de l’infraction (considérants 732 à 734 de la décision attaquée).

618    À cet égard, il convient de rappeler que, dans la mesure où le pouvoir d’infliger des amendes conféré à la Commission par l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 vise à lui permettre d’accomplir la mission de surveillance qui lui est assignée par le droit de l’Union, laquelle comprend, notamment, les tâches de réprimer des comportements illicites aussi bien que d’en prévenir le renouvellement (voir arrêt du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 22 et jurisprudence citée), l’inclusion dans le montant de l’amende, plus particulièrement, du droit d’entrée vise, aux termes du paragraphe 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes, à « dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix » tels que ceux en cause en l’espèce. Il est évident que, dès lors que le montant de base de l’amende est calculé en fonction de la durée de la participation à l’infraction, dans le cas d’infractions de courte durée, comme celle en l’espèce, le montant de base pourrait s’avérer insuffisant pour garantir le caractère dissuasif de l’amende et c’est ce risque que l’inclusion du droit d’entrée dans ce montant vise à prévenir (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2013, HSE/Commission, T‑399/09, non publié, EU:T:2013:647, point 125).

619    Ainsi, en vertu du paragraphe 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes, le droit d’entrée opère indépendamment de la durée de l’infraction.

620    Il ressort également de la jurisprudence qu’il n’y a pas lieu, lors de la détermination du taux du droit d’entrée, de tenir compte des caractéristiques spécifiques liées à l’infraction commise par chacun des participants pris individuellement, car les facteurs énumérés dans les lignes directrices pour le calcul des amendes, afin de déterminer ce taux, ont tous pour objet d’évaluer l’infraction aux règles de concurrence de l’Union, prise dans son ensemble (voir arrêt du 14 mai 2014, Reagens/Commission, T‑30/10, non publié, EU:T:2014:253, point 246 et jurisprudence citée).

621    Il s’ensuit que les principes d’égalité de traitement ou de proportionnalité n’imposent pas de différenciation du droit d’entrée, selon le caractère plus ou moins significatif de l’implication de chaque destinataire de la décision attaquée à l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2013, HSE/Commission, T‑399/09, non publié, EU:T:2013:647, points 126, 127 et 131).

622    Par conséquent, le facteur de dissuasion ne doit pas refléter, contrairement à ce que font valoir les requérantes, l’implication individuelle de chaque entreprise à l’infraction, celle-ci ayant été prise en compte au titre des circonstances atténuantes. De même, ce facteur de dissuasion ne doit pas refléter la durée de participation différente des entreprises impliquées, celle-ci ayant été prise en compte au titre du coefficient multiplicateur de la durée, non contesté en l’espèce par les requérantes.

623    Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de l’examen des moyens avancés au soutien de la demande d’annulation de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée, la Commission a constaté à bon droit la participation de Crédit agricole à l’infraction en cause, elle était également en droit de lui infliger une amende dont le montant comprenait le droit d’entrée afin de poursuivre l’objectif de dissuasion conformément à la jurisprudence citée au point 618 ci-dessus.

624    Enfin, il est loisible à la Commission de fixer le pourcentage de la valeur des ventes visé au paragraphe 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes et pris en compte aux fins du calcul du droit d’entrée au même niveau pour tous les participants à l’entente. La fixation d’un même pourcentage pour tous les participants à l’entente n’implique pas la fixation d’un même droit d’entrée pour tous lesdits participants. Dès lors que ce droit consiste en un pourcentage de la valeur des ventes réalisées en relation avec l’infraction par chaque participant à l’entente, il sera différent pour chacun d’entre eux, en fonction des différences dans la valeur des ventes qu’ils ont réalisées (voir arrêt du 13 décembre 2013, HSE/Commission, T‑399/09, non publié, EU:T:2013:647, point 132 et jurisprudence citée).

625    Il s’ensuit que le présent grief ne saurait prospérer et doit être rejeté, ainsi que la quatrième branche du neuvième moyen dans son ensemble.

d)      Sur les circonstances atténuantes

626    Dans le cadre de la cinquième branche du neuvième moyen, les requérantes allèguent que, en ne retenant une réduction au titre des circonstances atténuantes que de 10 %, la Commission a violé les principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et d’individualisation des sanctions. En effet, d’abord, en l’absence d’éléments nouveaux, Crédit agricole aurait dû bénéficier à tout le moins d’une réduction de 30 % au titre des circonstances atténuantes, envisagée lors de la procédure de transaction. Ensuite, son rôle marginal dans l’entente par rapport à celui des principaux acteurs, tant du point de vue du nombre de contacts l’impliquant que de celui de la nature des pratiques qui lui sont reprochées, n’aurait pas été assez pris en compte par la Commission. Enfin, la Commission aurait méconnu la « circonstance atténuante de négligence » dont devraient bénéficier les requérantes.

627    La Commission réfute les arguments des requérantes.

628    Dans la décision attaquée, la Commission a réduit le montant de base de l’amende infligée aux requérantes de 10 % en raison des circonstances atténuantes (considérants 759 et 760 de la décision attaquée). Elle a considéré que l’intensité de la participation de Crédit agricole aux accords collusoires était plus faible que celle des acteurs principaux, à savoir la banque D, la banque A et la banque C (considérants 117 à 120 de la décision attaquée).

629    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il convient, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles, ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci. Cette conclusion constitue la conséquence logique du principe d’individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles de concurrence du droit de l’Union (voir arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, EU:T:2005:367, points 277 et 278 et jurisprudence citée).

630    Conformément à ces principes, le paragraphe 29 des lignes directrices pour le calcul des amendes prévoit une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances atténuantes, qui sont propres à chaque entreprise concernée. Ce paragraphe établit, en particulier, une liste non exhaustive des circonstances atténuantes susceptibles d’être prises en compte. En particulier, conformément au paragraphe 29, deuxième et troisième tirets, des lignes directrices, le montant de base de l’amende peut être réduit lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que l’infraction a été commise par négligence ou que sa participation était substantiellement réduite.

631    À cet égard, en premier lieu, il convient de relever, à l’instar de la Commission aux considérants 751 et 752 de la décision attaquée, que celle-ci n’est pas liée par l’appréciation des circonstances atténuantes telle qu’elle avait été faite lors de la procédure de transaction, le retrait des requérantes de cette procédure ayant conduit, conformément à la jurisprudence citée au point 138 ci-dessus, à un réexamen du dossier et à la prise en compte des éléments nouveaux apparus lors de la procédure ordinaire et justifiant donc l’application de la réduction à hauteur de 10 %.

632    S’agissant de la contestation par les requérantes de la matérialité des faits en ce qui concerne l’apparition d’un élément nouveau pendant la procédure ordinaire dans la mesure où la Commission a pris en compte la conversation du 14 février 2017 entre le trader de Crédit agricole et le trader de Barclays, celle-ci ne saurait prospérer. En effet, ainsi qu’il ressort des points 406 à 408 ci-dessus, cet échange démontre que Crédit agricole a été mise au courant des éléments constitutifs de la manipulation envisagée pour la date IMM du 19 mars 2007.

633    Ainsi, c’est à bon droit que, en tenant compte de l’échange du 14 février 2007, constituant un élément nouveau apparu au cours de la procédure ordinaire et démontrant l’implication individuelle plus importante des requérantes dans l’infraction unique, la Commission a retenu le facteur de réduction de 10 % au titre des circonstances atténuantes, au lieu du facteur de réduction de 30 % envisagé dans la procédure de transaction.

634    En deuxième lieu, il convient de rappeler que, selon le paragraphe 29, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes, le montant de base de l’amende peut être réduit au titre des circonstances atténuantes, notamment lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que sa participation à l’infraction est substantiellement réduite et démontre par conséquent que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché. Selon le même paragraphe, le seul fait qu’une entreprise ait participé à une infraction pour une durée plus courte que les autres n’est pas considéré comme une circonstance atténuante, puisque cette circonstance est déjà reflétée dans le montant de base.

635    Les requérantes contestent le caractère approprié de la réduction de 10 % accordée au titre des circonstances atténuantes en faisant valoir le rôle mineur joué par Crédit agricole dans l’infraction, lequel ressortirait, d’une part, du nombre limité de contacts dans lesquels étaient impliqués les traders de Crédit agricole et, d’autre part, de la nature différente de leur participation aux pratiques en cause.

636    S’agissant, premièrement, du nombre de contacts limité, en ce que, pendant la période de la participation de Crédit agricole aux pratiques en cause, à savoir du 16 octobre 2006 au 19 mars 2007, elle n’aurait participé qu’à 5 % des échanges répertoriés par la Commission sur cette période, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 233 ci-dessus, le rôle mineur joué par une entreprise dans une infraction doit être pris en considération, au titre du nombre et de l’intensité des comportements anticoncurrentiels, lors de la détermination de l’amende.

637    Toutefois, l’intensité plus faible de la participation de Crédit agricole aux pratiques collusoires composant l’infraction en cause a été prise en compte par la Commission dans l’évaluation des circonstances atténuantes. Pour autant que les requérantes soutiennent que Crédit agricole devrait bénéficier à ce titre d’une réduction supérieure au taux de 10 % retenu par la Commission, il convient de relever que, eu égard à la nature de l’infraction, la participation aux comportements impliquant les traders de Crédit agricole était, par sa nature, aussi lourde de conséquences que celle des acteurs principaux, de sorte que la réduction du montant de base de l’amende de 10 % au titre des circonstances atténuantes reflète suffisamment l’intensité plus faible de cette participation.

638    En ce qui concerne les arguments avancés par les requérantes portant sur la nature prétendument différente des pratiques retenues à l’encontre de Crédit agricole, en ce que les traders de Crédit agricole n’auraient pas participé aux « réunions » les plus importantes et, notamment, aux échanges lors desquels les éléments clés des accords auraient été arrêtés, ceux-ci reviennent, en substance, à se prévaloir du rôle passif joué par les traders de Crédit agricole. En effet, les requérantes soutiennent que ceux-ci auraient été « occasionnellement instrumentalisés », alors que les pratiques en cause auraient été organisées par un trader de la banque D et un trader de la banque A au profit de ces derniers.

639    À cet égard, il suffit de relever, à l’instar de la Commission, que le rôle prétendument passif des traders de Crédit agricole, à le supposer établi, n’emporte pas, en tant que tel, selon les lignes directrices pour le calcul des amendes, de réduction de l’amende. En outre, ainsi que le fait valoir la Commission, la participation des traders de Crédit agricole aux pratiques en cause n’est pas moins grave du fait que les traders de la banque D et de la banque A en ont davantage bénéficié.

640    Deuxièmement, les requérantes font valoir l’absence de mise en œuvre des pratiques en cause en ce que, notamment, Crédit agricole n’aurait pas accumulé de positions importantes à l’échéance des manipulations en décembre 2006 et en mars 2007 et en ce que sa trésorerie n’aurait pas été impliquée dans les pratiques en cause.

641    À cet égard, il ressort de l’examen effectué au point 228 ci-dessus que les éléments de preuve dont dispose la Commission permettent de conclure que les traders de Crédit agricole ont avoué avoir donné suite aux échanges avec le trader de Barclays quant au niveau souhaité du taux Euribor en établissant des contacts avec les responsables des soumissions de leur banque. À supposer même que les contributions effectivement soumises par Crédit agricole n’aient pas correspondu au niveau souhaité par les traders, cela n’aurait pas d’incidence sur l’appréciation des circonstances atténuantes. En effet, il est de jurisprudence constante que le fait qu’une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière de fixation des prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché de manière conforme aux arrangements convenus avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit (voir arrêt du 12 décembre 2014, Eni/Commission, T‑558/08, EU:T:2014:1080, point 245 et jurisprudence citée).

642    Cette considération s’applique également s’agissant de l’absence éventuelle de cumul de positions importantes en vue des manipulations de l’Euribor envisagées dans le cadre des comportements collusoires. En effet, ainsi qu’il ressort du point 231 ci-dessus, une telle circonstance, à la supposer avérée, démontre tout au plus que les traders n’ont pas tiré de bénéfices importants des pratiques en cause, mais non que les comportements envisagés visant à manipuler les taux de référence n’ont pas été mis en œuvre.

643    Ainsi, aucune des circonstances mises en avant par les requérantes et rappelées au point 640 ci-dessus n’est de nature à démontrer que, pendant la période au cours de laquelle Crédit agricole a adhéré aux comportements infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, qu’elle a clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en œuvre cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2014, Eni/Commission, T‑558/08, EU:T:2014:1080, point 246 et jurisprudence citée).

644    En troisième lieu, les requérantes soutiennent que c’est à tort que la Commission a refusé à Crédit agricole le bénéfice de la « circonstance atténuante de négligence ».

645    Il convient de rappeler que, selon l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger une amende lorsque, de propos délibéré ou par négligence, une entreprise commet une infraction aux dispositions de l’article 101 TFUE.

646    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, pour qu’une infraction aux règles de concurrence puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, et non par négligence, il n’est pas nécessaire que l’entreprise concernée ait eu conscience d’enfreindre les règles de concurrence ; il suffit qu’elle n’ait pas pu ignorer que sa conduite avait pour objet d’enfreindre la concurrence sur le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246/86, EU:C:1989:301, point 41 et jurisprudence citée, et du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 205 et jurisprudence citée).

647    Au considérant 755 de la décision attaquée, la Commission a rejeté un argument similaire des requérantes avancé pendant la procédure administrative en relevant, en substance, que les comportements de nature infractionnelle des traders pouvaient être pleinement imputés à Crédit agricole. Cette motivation est, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, suffisante pour qu’elles préparent leur défense, ce qui est confirmé par les arguments présentés au titre de ce grief, et pour que le Tribunal exerce son contrôle.

648    Sur le fond, les requérantes soutiennent que, en l’espèce, l’infraction a été commise par Crédit agricole par négligence dans la mesure où, en substance, elle ignorait que la conduite des traders, ces derniers ayant en outre agi en dehors du cadre de leurs attributions, avait pour objet d’enfreindre la concurrence.

649    Ces arguments ne sauraient prospérer. En effet, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les traders avaient l’intention de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles de manipulation des taux (voir points 277 et 431 ci-dessus) en cherchant à faire aligner le niveau de soumissions futures de leurs banques respectives, ce qui est confirmé par le fait qu’ils ont suivi le résultat de leurs actions. De même, le trader de Crédit agricole s’est montré intéressé par la possibilité de bénéficier des informations sur la stratégie de fixation des prix que le trader de Barclays était prêt à lui communiquer (voir échange du 13 décembre 2006 et considérant 227 de la décision attaquée). Ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 634 de la décision attaquée, étant des professionnels, les traders de Crédit agricole connaissaient bien la valeur commerciale et l’utilité des informations échangées dans le cadre des comportements en cause, de sorte qu’ils n’ont pas pu ignorer que leur conduite visant à échanger de telles informations faussait le jeu normal de la concurrence sur le marché des EIRD. Par ailleurs, les traders s’étaient à plusieurs reprises rappelé de garder secrètes leurs activités collusoires (voir, notamment, considérants 278 et 319 de la décision attaquée), ce qui confirme qu’ils étaient conscients du caractère illégal de leurs comportements et qu’ils prenaient des précautions afin de les dissimuler.

650    Il s’ensuit que la Commission était fondée à considérer que les traders de Crédit agricole avaient participé aux pratiques en cause de propos délibéré, et non par négligence.

651    La responsabilité relative à ce comportement des traders adopté de propos délibéré pouvant, ainsi qu’il ressort de l’examen du huitième moyen, être entièrement imputée à Crédit agricole, c’est aussi à bon droit que la Commission lui a refusé le bénéfice de la circonstance atténuante relative à négligence. Ce grief doit donc être rejeté.

652    Eu égard à ce qui précède, les arguments des requérantes visant à contester, au regard du respect des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et d’individualisation des sanctions, le taux de réduction de 10 % retenu par la Commission au titre des circonstances atténuantes ne sauraient prospérer.

653    Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 425 et 426 ci-dessus, la Commission a, à tort, imputé à Crédit agricole, au titre de l’infraction unique, les comportements des autres banques relatifs aux échanges sur les stratégies de fixation des prix n’ayant pas eu lieu dans la perspective des manipulations des taux. Par conséquent, la sanction infligée à Crédit agricole ne reflète pas sa participation à l’infraction unique et continue. La cinquième branche du neuvième moyen est donc fondée.

654    Eu égard aux conclusions énoncées aux points 527 et 653 ci-dessus, il convient d’annuler l’article 2, sous a), de la décision attaquée.

2.      Sur la demande de réduction du montant de l’amende

655    Le neuvième moyen de la requête vient également au soutien de la demande des requérantes visant à revoir le montant de l’amende qui leur a été infligée dans la décision attaquée. De même, dans le cadre du dixième moyen, les requérantes demandent, en substance, que le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction et réduise le montant de l’amende en ce que celui-ci serait disproportionné au regard de la gravité et de la durée des pratiques reprochées à Crédit agricole.

656    À cet égard, il convient de rappeler que, alors que, selon la jurisprudence de la Cour, la compétence de pleine juridiction, reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement no 1/2003 conformément à l’article 261 TFUE, habilite le juge, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée, l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et la procédure demeure contradictoire. C’est à la partie requérante qu’il appartient, en principe, de soulever les moyens à l’encontre de la décision litigieuse et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, points 193 et 194 et jurisprudence citée).

657    En l’espèce, même s’il a été fait droit aux conclusions présentées à titre principal visant à l’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée, le Tribunal estime qu’il est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction dans la mesure où la question du montant de l’amende a été soumise à son appréciation, et ce même si les conclusions en réduction du montant de l’amende ont été présentées à titre subsidiaire par rapport à la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑827/14, EU:T:2018:930, points 551 à 562).

658    Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 459 et 460 ci-dessus, la compétence de pleine juridiction dont dispose le Tribunal sur le fondement de l’article 31 du règlement no 1/2003 concerne la seule appréciation par celui-ci de l’amende infligée par la Commission, à l’exclusion de toute modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le Tribunal est saisi.

659    L’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction suppose, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, de prendre en considération, pour chaque entreprise sanctionnée, la gravité de l’infraction en cause ainsi que la durée de celle-ci, dans le respect des principes, notamment, de motivation, de proportionnalité, d’individualisation des sanctions et d’égalité de traitement, et sans qu’il soit lié par les règles indicatives définies par la Commission dans ses lignes directrices, même si ces dernières peuvent guider les juridictions de l’Union lorsqu’elles exercent leur compétence de pleine juridiction (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 90 et jurisprudence citée).

660    Il convient également de relever que, par nature, la fixation d’une amende par le Tribunal n’est pas un exercice arithmétique précis. Par ailleurs, lorsqu’il statue en vertu de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce (voir arrêt du 15 juillet 2015, Trafilerie Meridionali/Commission, T‑422/10, EU:T:2015:512, point 398 et jurisprudence citée).

661    Dans le cadre de son obligation de motivation, il incombe au Tribunal d’exposer de manière détaillée les facteurs dont il tient compte en fixant le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C‑519/15 P, EU:C:2016:682, point 52).

662    En l’espèce, afin de déterminer le montant de l’amende visant à sanctionner le comportement infractionnel de Crédit agricole, tel qu’il résulte de l’examen des huit premiers moyens, il y a lieu de tenir compte des circonstances suivantes.

663    En premier lieu, s’agissant de la gravité et de la durée de l’infraction, il convient de relever ce qui suit.

664    Premièrement, il s’avère opportun d’utiliser la méthodologie qui, comme celle suivie en l’espèce par la Commission, identifie dans un premier temps un montant de base de l’amende, susceptible, dans un second temps, d’être ajusté en fonction des circonstances propres à l’affaire.

665    Tout d’abord, s’agissant de la valeur des ventes en tant que donnée initiale, il convient de prendre en compte, en tant que valeur de remplacement pour celle-ci, les recettes en numéraire réduites. En effet, ainsi qu’il ressort de l’examen de la première branche du neuvième moyen, la valeur des recettes en numéraire réduites est susceptible, en l’espèce, de donner une base de départ appropriée pour déterminer le montant de l’amende, dans la mesure où cette valeur reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de l’entreprise dans l’infraction.

666    À cet égard, il a, certes, été constaté, dans le cadre de l’examen de la première branche du neuvième moyen, que la détermination par les banques des recettes en numéraire avait donné lieu, dans certains cas, à des approches différentes. Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 571 ci-dessus, aucune violation du principe d’égalité de traitement ne résulte de ces divergences.

667    En outre, le Tribunal estime qu’une autre méthodologie de calcul des recettes en numéraire, telle que celle suivie par les requérantes pour déterminer les données révisées soumises à la Commission le 14 octobre 2006, ne serait pas plus appropriée pour établir les recettes en numéraire. En effet, une méthodologie impliquant l’exclusion des jambes fixes des contrats ayant à la fois des jambes fixes et des jambes variables, l’exclusion des produits « exotiques » ou l’application d’une compensation mensuelle plutôt que journalière n’est pas plus appropriée pour déterminer, en l’espèce, la valeur des ventes en relation avec l’infraction sanctionnée et refléter ainsi de manière adéquate la réalité et l’ampleur économique de celle-ci ainsi que la position des entreprises dans cette infraction. En effet, premièrement, s’agissant des contrats EIRD disposant à la fois d’une jambe fixe et d’une jambe variable, le flux de trésorerie reflète l’écart entre le taux fixe et le taux variable à la date de fixing, ainsi qu’il ressort du point 188 ci-dessus. Le Tribunal estime qu’il n’existe aucun motif pour exclure en particulier les flux découlant de l’une des deux « jambes » de tels EIRD. Deuxièmement, rien ne justifie d’exclure les produits « exotiques » des calculs des recettes en numéraire, alors que ceux-ci font également partie du marché pertinent des EIRD. Troisièmement, alors que les parties s’accordent sur le fait que la compensation journalière est la norme du marché, aucune circonstance particulière propre à la présente affaire ne justifie de s’en écarter.

668    Compte tenu de ces circonstances, le Tribunal décide de prendre en considération, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende, la valeur des recettes en numéraire de Crédit agricole retenue par la Commission dans la décision attaquée.

669    En outre, il importe de relever qu’il est constant entre les parties que le fait de retenir, en tant qu’assiette pour le calcul de l’amende, les seules recettes en numéraire aboutirait à l’imposition d’une amende trop dissuasive. Les parties s’accordent donc sur le fait qu’il est nécessaire de réduire ces recettes en numéraire par l’application d’un facteur de réduction.

670    Dans la décision attaquée, la Commission a appliqué un facteur de réduction uniforme fixé à 98,849 %.

671    S’agissant de la détermination de ce facteur de réduction, il convient de relever que celui-ci est le résultat d’un exercice complexe qui reflète plusieurs éléments, notamment la compensation inhérente à la négociation des produits dérivés en général ainsi que les spécificités de la compensation de ces produits et, plus particulièrement, des EIRD. Il s’agit donc d’une approximation d’une valeur construite. Ainsi, par définition, il n’existe pas un seul facteur de réduction possible, ce qui est par ailleurs confirmé par le fait que les requérantes elles-mêmes ont avancé, dans leurs écritures, plusieurs facteurs de réduction différents.

672    Ainsi, par exemple, selon une étude présentée en annexe à la requête, un facteur de réduction alternatif de 99,849 % « pourrait être aussi justifié ». En outre, dans le cadre d’une autre étude présentée en annexe au mémoire en adaptation des conclusions, les requérantes proposent plusieurs facteurs de réduction alternatifs, calculés selon une approche individualisée, allant de 99,54 % à 99,90 %. Toutefois, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la valeur probante de ces études ni sur le bien-fondé des méthodologies de détermination de ces facteurs de réduction alternatifs proposés par les requérantes, le Tribunal considère que l’application de tels facteurs de réduction alternatifs particulièrement élevés, voire excessifs, risquerait de vider la sanction de son sens en la rendant négligeable et en portant de la sorte atteinte à la nécessité d’assurer le caractère suffisamment dissuasif de l’amende. L’application de tels facteurs de réduction alternatifs préconisés par les requérantes conduirait donc à imposer une amende qui ne refléterait ni l’importance économique de l’infraction ni le poids relatif de Crédit agricole dans celle-ci.

673    En tout état de cause, d’une part, il est constant entre les parties que le facteur de réduction s’élève à tout le moins à 98,849 %. D’autre part, le Tribunal rappelle que la fixation d’une amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction n’est pas un exercice arithmétique précis.

674    Deuxièmement, s’agissant de la gravité de l’infraction, le Tribunal estime approprié de prendre en considération la nature de l’infraction, l’étendue géographique de celle-ci ainsi que la mise en œuvre ou non de l’infraction.

675    S’agissant de la nature de l’infraction, dans la mesure où les comportements en cause portaient sur les facteurs pertinents pour la détermination des prix des EIRD, ils comptent par leur nature parmi les restrictions de concurrence les plus graves. En outre, il importe de souligner que les pratiques en cause sont particulièrement graves et nocives dans la mesure où elles sont susceptibles non seulement de fausser la concurrence sur le marché des produits EIRD, mais aussi, plus largement, de compromettre la confiance dans le système bancaire et les marchés financiers dans leur ensemble ainsi que leur crédibilité.

676    En effet, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 721 de la décision attaquée, sans que ces éléments soient contestés par les requérantes, les indices de référence concernés reflétés dans la tarification des EIRD s’appliquent à tous les participants au marché des EIRD. En outre, ces taux étant fondés sur l’euro, ils revêtent une importance capitale pour l’harmonisation des conditions financières dans le marché intérieur et pour les activités bancaires dans les États membres.

677    S’agissant de l’étendue géographique de l’infraction, ainsi qu’il ressort des considérants 47 et 721 de la décision attaquée, l’entente couvrait à tout le moins l’ensemble de l’EEE, de sorte que les comportements en cause étaient susceptibles d’avoir une incidence sur les activités bancaires dans l’ensemble des États membres.

678    Il convient également de tenir compte du fait que les traders de Crédit agricole ont avoué avoir mis en œuvre les comportements convenus avec le trader de Barclays en établissant des contacts avec les responsables des soumissions de leur banque (voir point 641 ci-dessus).

679    Troisièmement, il convient de retenir la durée de la participation des requérantes dans l’infraction telle qu’elle ressort de la décision attaquée, celle-ci n’ayant pas été contestée par les requérantes et n’étant pas affectée par la conclusion, figurant au point 426 ci-dessus, concernant la participation de Crédit agricole à l’infraction unique en cause.

680    En deuxième lieu, s’agissant des circonstances atténuantes, le Tribunal constate que Crédit agricole a joué un rôle moins important dans l’infraction que les acteurs principaux, notamment la banque D et la banque A. De même, l’intensité des contacts auxquels ont participé les traders de Crédit agricole était moindre que celle desdits acteurs principaux. En outre, il n’est pas établi que Crédit agricole avait connaissance ou aurait raisonnablement pu présumer que d’autres banques participaient aux échanges relatifs aux intentions et aux stratégies en matière de fixation des prix n’ayant pas eu lieu dans la perspective des manipulations des taux.

681    Toutefois, il n’en demeure pas moins que la participation de Crédit agricole aux comportements infractionnels a été intentionnelle et que les requérantes ne démontrent pas qu’elles devraient bénéficier, en l’espèce, de la circonstance atténuante relative à la négligence. En outre, ainsi qu’il ressort du point 675 ci-dessus, les comportements en cause se caractérisent par une gravité accrue. Par conséquent, l’incidence sur le montant final de l’amende des circonstances atténuantes relatives à l’intensité moindre de la participation de Crédit agricole à l’infraction en cause et à l’importance moindre de son rôle dans ladite infraction par rapport à ceux des acteurs principaux ne peut être que marginale.

682    En troisième lieu, le montant de l’amende déterminé par le Tribunal tient dûment compte de la nécessité d’imposer à Crédit agricole une amende d’un montant dissuasif, conformément aux principes rappelés aux points 618 à 624 ci-dessus.

683    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce au regard du principe d’individualisation de la sanction et de proportionnalité de celle-ci en fixant le montant de l’amende à 110 000 000 euros, amende dont Crédit agricole SA et CACIB sont tenues solidairement responsables.

IV.    Sur les dépens

684    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

685    En l’espèce, les requérantes ont succombé s’agissant de leurs conclusions en annulation de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée et ont obtenu satisfaction s’agissant de leur demande d’annulation de l’article 2, sous a), de ladite décision, de leur demande de réduction du montant de l’amende ainsi que de leur chef de conclusions relatif à la décision modificative. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      L’article 2, sous a), de la décision C(2016) 8530 final de la Commission, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] est annulé.

2)      Le montant de l’amende, dont Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investement Bank sont tenues solidairement responsables, est fixé à 110 000 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Papasavvas

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

 

      Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 décembre 2023.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Procédure administrative à l’origine de la décision attaquée

B. Décision attaquée

1. Produits en cause

2. Comportements reprochés aux requérantes

3. Amende

C. Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

II. Conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la demande d’annulation de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée ainsi que de l’article 2, sous a), de ladite décision, en ce que cette dernière demande est fondée sur la violation des droits de la défense en raison du refus d’accès au dossier

1. Sur le déroulement de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée (premier et deuxième moyens de la requête et troisième branche du neuvième moyen de celle-ci)

a) Sur la recevabilité de l’annexe A.10 de la requête

b) Sur le premier moyen de la requête, tiré de la violation du droit d’accès au juge, du principe de bonne administration, des droits de la défense et du principe du contradictoire

1) Sur l’absence d’audition des requérantes par les membres de la Commission et de possibilité de s’exprimer en dernier sur les « accusations » formulées par les services de la Commission

2) Sur le refus de répondre aux questions posées par les requérantes lors de l’audition

c) Sur le deuxième moyen de la requête, en ce qu’il est tiré d’une violation du devoir d’impartialité et du principe de la présomption d’innocence

1) Sur le cumul des fonctions par la Commission

2) Sur le caractère « hybride » de la procédure et sur l’adoption d’une décision de transaction et d’une décision à la suite de la procédure ordinaire, échelonnées dans le temps

i) Sur le respect, en l’espèce, de la présomption d’innocence

ii) Sur le respect, en l’espèce, du principe d’impartialité

3) Sur les propos émis par le membre de la Commission chargé de la concurrence et par le directeur de la Commission

4) Sur la prétendue « obstruction procédurale » lors de la procédure ordinaire et sur le contenu de la décision attaquée

d) Sur la violation des droits de la défense en raison des refus d’accès au dossier (quatrième branche du deuxième moyen et troisième branche du neuvième moyen de la requête)

1) Sur la demande d’accès aux réponses des autres parties à la communication des griefs

2) Sur la demande d’accès aux documents relatifs à la valeur des ventes

2. Sur l’existence d’un comportement infractionnel imputable aux requérantes (troisième, quatrième et huitième moyens de la requête)

a) Remarques liminaires

1) Sur le contexte dans lequel s’inscrivent les comportements en cause

2) Sur la distinction entre les différents comportements reprochés aux requérantes

b) Sur le troisième moyen de la requête, portant sur la participation de Crédit agricole aux comportements relatifs aux manipulations de l’Euribor

1) Sur les comportements tels que retenus par la Commission à l’encontre de Crédit agricole dans la décision attaquée

2) Sur la contestation de la participation de Crédit agricole aux pratiques de manipulation du taux Euribor

c) Sur le quatrième moyen de la requête, portant sur la qualification des comportements reprochés aux requérantes d’infraction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et sur l’obligation de motivation

1) Sur la première branche, tirée d’une erreur en ce qui concerne la qualification de restriction de concurrence par objet appliquée aux échanges liés aux manipulations de l’Euribor et d’un défaut de motivation

2) Sur la seconde branche, tirée d’une erreur en ce qui concerne la qualification de restriction de concurrence par objet appliquée aux échanges sur les « runs »

3) Sur les effets proconcurrentiels des comportements en cause

d) Sur le huitième moyen de la requête, contestant l’imputabilité à Crédit agricole du comportement de ses traders

3. Sur la qualification d’infraction unique et continue retenue par la Commission (cinquième, sixième et septième moyens de la requête)

a) Sur le cinquième moyen de la requête, tiré d’une erreur de droit dans la qualification de l’ensemble des pratiques d’infraction unique et d’un défaut de motivation

1) Sur le défaut de motivation

2) Sur l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique

b) Sur le sixième moyen de la requête, contestant la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble » et sa volonté d’y participer

1) Sur la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble »

i) Sur la connaissance par Crédit agricole des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises consistant en des tentatives de manipulation de l’Euribor

ii) Sur la connaissance par Crédit agricole des autres comportements relevant de l’infraction unique envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises

2) Sur l’intention de Crédit agricole de contribuer à l’objectif unique

c) Sur le septième moyen de la requête, contestant le caractère continu de l’infraction

4. Sur l’incidence de l’erreur constatée dans le cadre de l’examen du sixième moyen sur la légalité de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée

B. Sur la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée et la demande de réduction de l’amende

1. Sur la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée

a) Sur l’utilisation des recettes en numéraire actualisées aux fins de calculer la valeur des ventes

1) Sur le caractère approprié de la prise en compte des recettes en numéraire actualisée en tant que valeur de remplacement pour la valeur des ventes

2) Sur la détermination du facteur de réduction de 98,849 % appliqué par la Commission

i) Sur le respect de l’obligation de motivation en ce qui concerne la détermination, dans la décision attaquée, du facteur de réduction

ii) Sur la décision modificative

b) Sur l’incohérence des méthodes de calcul des valeurs de ventes utilisées par les banques et sur la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en raison de l’absence de contrôle par la Commission sur ce point

1) Sur les différences d’approches méthodologiques entre les banques concernées

2) Sur le grief tiré d’une violation du principe de bonne administration en raison d’une vérification insuffisante des données fournies par les banques

3) Sur le respect du principe d’égalité de traitement dans le calcul du montant de l’amende

c) Sur le caractère proportionné et conforme au principe d’égalité de traitement du montant de l’amende

1) Sur l’inclusion des transactions relatives aux contrats indexés sur l’EONIA et de certaines maturités des contrats

2) Sur le facteur de gravité

3) Sur le facteur de dissuasion

d) Sur les circonstances atténuantes

2. Sur la demande de réduction du montant de l’amende

IV. Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.


2      Données confidentielles occultées.