Language of document : ECLI:EU:T:2003:275

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

21 octobre 2003 (1)

«Concurrence - Distribution de véhicules automobiles - Article 81 CE - Règlements (CEE) n° 123/85 et (CE) n° 1475/95 - Cloisonnement -

Stratégie générale visant à limiter les exportations -

Restriction de l'approvisionnement - Système restrictif de primes -

Interdiction des exportations - Amende - Gravité et durée de l'infraction - Proportionnalité - Lignes directrices pour le calcul des amendes»

Dans l'affaire T-368/00,

General Motors Nederland BV, établie à Sliedrecht (Pays-Bas),

Opel Nederland BV, établie à Sliedrecht,

représentées par Mes D. Vandermeersch, R. Snelders et S. Allcock, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Mölls et A. Whelan, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d'annulation de la décision 2001/146/CE de la Commission, du 20 septembre 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaire COMP/36.653 - Opel) (JO 2001, L 59, p. 1), et, à titre subsidiaire, une demande d'annulation ou de réduction de l'amende infligée aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 14 mai 2003,

rend le présent

Arrêt

Faits et cadre juridique

1.
    Opel Nederland BV (ci-après «Opel Nederland») a été créée le 30 décembre 1994 comme filiale à 100 % de General Motors Nederland BV (ci-après «General Motors Nederland») et a repris les activités commerciales exercées par cette dernière aux Pays-Bas, réduisant les activités de General Motors Nederland à celles d'une holding de contrôle détenue à 100 % par General Motors Corp., établie à Détroit (États-Unis).

2.
    Opel Nederland est la seule société nationale de vente de la marque Opel aux Pays-Bas. Ses activités comprennent l'importation, l'exportation et le commerce de gros de véhicules automobiles ainsi que de pièces de rechange et d'accessoires. Elle n'intervient pas dans la construction de véhicules. Opel Nederland a conclu des contrats de concession relatifs aux ventes et aux services avec quelque 150 concessionnaires, qui sont, de ce fait, intégrés dans le réseau de distribution d'Opel en Europe en tant que revendeurs agréés.

3.
    Les contrats de concession sont, sous certaines conditions, exemptés de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) par le règlement (CEE) n° 123/85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article [81], paragraphe 3, du traité CE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L 15, p. 16). Ce règlement a été remplacé, à partir du 1er octobre 1995, par le règlement (CE) n° 1475/95 de la Commission, du 28 juin 1995 (JO L 145, p. 25). Selon l'article 7 du règlement n° 1475/95, l'interdiction énoncée à l'article [81], paragraphe 1, du traité CE ne s'applique pas pendant la période allant du 1er octobre 1995 au 30 septembre 1996 aux accords déjà en vigueur au 1er octobre 1995 et qui remplissaient les conditions d'exemption prévues par le règlement n° 123/85.

4.
    L'article 3, paragraphe 10, sous a), de chacun de ces deux règlements autorise le constructeur et/ou son importateur à interdire aux concessionnaires de livrer des produits contractuels et des produits correspondants à un revendeur qui ne fait pas partie du réseau de vente. En revanche, les deux règlements n'autorisent pas le constructeur et/ou son importateur à interdire aux concessionnaires de livrer des produits contractuels et des produits correspondants aux consommateurs finals, à leurs intermédiaires mandatés ou à d'autres concessionnaires appartenant au réseau de distribution du constructeur et/ou importateur.

5.
    En réponse à des signes d'exportations à grande échelle réalisées par certains de ses concessionnaires, Opel Nederland a, à partir du second semestre de 1996, étudié et adopté une série de mesures.

6.
    Les 28 et 29 août 1996, Opel Nederland a adressé une lettre à 18 concessionnaires qui avaient exporté, au cours du premier semestre de 1996, au minimum 10 voitures. Cette lettre se lit ainsi:

«[...] Nous avons constaté que votre société avait vendu un nombre important de véhicules Opel à l'étranger au cours de la première moitié de 1996. À nos yeux, les quantités sont à ce point considérables que nous soupçonnons fort que ces ventes ne sont pas conformes à la lettre et à l'esprit du contrat de concession Opel, actuel ou futur. [...] Nous avons l'intention de comparer votre réponse avec les données inscrites dans vos livres. Nous vous tiendrons informé de la suite des événements. Ce qui précède ne change rien au fait que vous êtes essentiellement tenu d'obtenir de bons résultats commerciaux dans votre sphère d'influence spéciale [...]»

7.
    Lors d'une réunion du 26 septembre 1996, la direction d'Opel Nederland a décidé d'adopter quelques mesures relatives à l'exportation depuis les Pays-Bas. Le compte rendu de cette réunion décrit ces mesures de la manière suivante:

«[...] Décisions prises:

1)    Opel Nederland BV auditera tous les concessionnaires (20) dont on sait qu'ils effectuent des exportations. L'ordre de priorité est descendant, comme indiqué sur la liste ‘concessionnaires exportateurs’ du 26 septembre 1996. M. Naval [directeur financier] organisera ces audits.

2)    M. de Heer [directeur des ventes et du marketing] répondra à tous les concessionnaires qui ont répondu à la première lettre sur les activités à l'exportation qu'Opel leur a envoyée. Ils seront informés de l'organisation des audits et aussi des difficultés de livraison, qui imposent des attributions limitées de véhicules.

3)    Les chefs de district du service de ventes discuteront des activités à l'exportation avec les concessionnaires exportateurs dans les deux semaines à venir. Les concessionnaires seront informés que, en raison des problèmes de disponibilité des produits, ils recevront uniquement (jusqu'à nouvel ordre) le nombre d'unités spécifié dans leur norme d'évaluation des ventes. Ils seront invités à indiquer au chef de district quelles sont, parmi leurs commandes en attente, les unités qu'ils souhaitent vraiment recevoir. C'est aux concessionnaires eux-mêmes qu'il appartiendra de régler les problèmes qui pourront surgir avec leurs acheteurs.

4)    Les concessionnaires qui feront savoir au chef de district qu'ils ne souhaitent pas cesser d'exporter des véhicules sur une grande échelle seront invités à rencontrer MM. De Leeuw [directeur général] et De Heer le 22 octobre 1996.

5)    M. Notenboom [directeur du personnel de vente] demandera à GMAC de vérifier le stock du concessionnaire, afin de déterminer le nombre exact d'unités encore présentes. Il est à prévoir qu'une part importante ait été exportée dans l'intervalle.

6)    Dorénavant, les véhicules vendus dans le cadre des campagnes de vente mais non immatriculés aux Pays-Bas ne seront pas pris en compte. Nos concurrents appliquent des conditions similaires.

7)    M. Aukema [responsable du marchandisage] supprimera les noms des concessionnaires exportateurs des listes établies pour les campagnes promotionnelles. Leur participation future sera fonction des résultats des audits.

8)    M. Aelen [directeur du personnel finances] rédigera une lettre aux concessionnaires pour les informer que, à compter du 1er octobre 1996, Opel Nederland BV facturera 150 NLG la fourniture, sur demande, de déclarations d'importations officielles, comme la réception par type, ainsi que la préparation des documents douaniers, pour certains véhicules hors taxes (destinés à des diplomates, par exemple).»

8.
    À la suite des lettres des 28 et 29 août 1996 et des réponses des concessionnaires, Opel Nederland a adressé, le 30 septembre 1996, une deuxième lettre aux 18 concessionnaires concernés. Cette lettre se lit ainsi:

«[...] Votre réponse nous a déçus, car elle signifie que vous n'avez aucune notion des intérêts communs de l'ensemble des concessionnaires Opel et d'Opel Nederland. Notre service d'audit contrôlera vos déclarations. En attendant les résultats de ce contrôle, vous ne recevrez pas d'informations sur les campagnes, puisque nous ne sommes pas certains que vos chiffres soient corrects [...]»

9.
    Les audits prévus se sont déroulés entre le 19 septembre et le 27 novembre 1996.

10.
    Le 24 octobre 1996, Opel Nederland a envoyé une circulaire, relative aux ventes aux utilisateurs finals à l'étranger, à tous les concessionnaires. Selon cette circulaire, les concessionnaires sont libres de vendre aux utilisateurs finals résidant dans l'Union européenne et les utilisateurs finals peuvent aussi recourir aux services d'un intermédiaire.

11.
    À la suite d'informations selon lesquelles Opel Nederland poursuivait une stratégie consistant à entraver systématiquement les exportations de véhicules neufs des Pays-Bas vers d'autres États membres, la Commission a, le 4 décembre 1996, ordonné des vérifications par voie de décision, conformément à l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité CE (JO 1962, 13, p. 204). Les vérifications ont été effectuées les 11 et 12 décembre 1996 auprès d'Opel Nederland et de Van Twist, un concessionnaire d'Opel à Dordrecht (Pays-Bas).

12.
    Le 12 décembre 1996, Opel Nederland a distribué aux concessionnaires des lignes directrices concernant la vente de véhicules neufs aux revendeurs et aux intermédiaires.

13.
    Par circulaire du 20 janvier 1998, Opel Nederland a informé ses concessionnaires que l'exclusion de versement de primes en cas de vente à l'exportation avait été supprimée avec effet rétroactif.

14.
    Le 21 avril 1999, la Commission a notifié aux requérantes une communication des griefs.

15.
    Opel Nederland et General Motors Nederland ont présenté leurs observations sur la communication des griefs par lettre du 21 juin 1999.

16.
    Elles ont également présenté leurs points de vue aux services compétents de la Commission lors d'une audition qui a eu lieu le 20 septembre 1999.

17.
    Le 20 septembre 2000, la Commission a adopté la décision 2001/146/CE relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaire COMP/36.356 - Opel) (JO 2001, L 59, p. 1, ci-après la «décision attaquée»), qui a été notifiée aux requérantes le 27 septembre 2000.

Procédure et conclusions des parties

18.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 novembre 2000, les requérantes ont introduit le présent recours.

19.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites. Les parties ont déféré à cette demande.

20.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 10 décembre 2002.

21.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    à titre subsidiaire, annuler ou réduire le montant de l'amende infligée par la décision attaquée;

-    condamner la Commission aux dépens.

22.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner les requérantes aux dépens.

Décision attaquée

23.
    Par la décision attaquée, la Commission inflige aux requérantes une amende de 43 millions d'euros en raison d'une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE. Dans la décision attaquée, la Commission conclut qu'Opel Nederland a passé avec les concessionnaires Opel établis aux Pays-Bas des accords destinés à restreindre ou à interdire les ventes à l'exportation de véhicules Opel aux utilisateurs finals résidant dans d'autres États membres et aux concessionnaires Opel établis dans d'autres États membres.

24.
    Cette conclusion est basée sur les allégations principales suivantes: premièrement, en septembre 1996, Opel Nederland a adopté une stratégie générale visant à restreindre ou à empêcher toute vente à l'exportation à partir des Pays-Bas; deuxièmement, la stratégie générale d'Opel Nederland a été exécutée par le biais de mesures individuelles, mises en oeuvre de commun accord avec les concessionnaires dans le cadre de l'exécution pratique des contrats de concession et qui sont devenues partie intégrante des relations contractuelles qu'Opel Nederland entretient avec les concessionnaires de son réseau de distribution sélective aux Pays-Bas.

25.
    Selon la décision attaquée, la stratégie générale comportait notamment les mesures suivantes:

-    une politique d'approvisionnement restrictive, limitant les livraisons sur la base des objectifs de ventes existants, appliquée du début du mois d'octobre 1996 jusqu'au 24 octobre 1996, en ce qui concerne les ventes aux consommateurs finals, et du début du mois d'octobre 1996 jusqu'au 12 décembre 1996, en ce qui concerne les ventes aux autres concessionnaires Opel;

-    une politique restrictive en matière de primes, excluant les ventes à l'exportation à des consommateurs finals des campagnes de primes sur les ventes au détail, appliquée du 1er octobre 1996 au 20 janvier 1998;

-    une interdiction directe des exportations sans distinction, appliquée du 31 août 1996 au 24 octobre 1996, en ce qui concerne les ventes aux consommateurs finals, et du 31 août 1996 au 12 décembre 1996, en ce qui concerne les ventes aux autres concessionnaires Opel.

26.
    S'agissant de la détermination du montant de l'amende, la décision attaquée énonce que la Commission doit, en vertu des dispositions de l'article 15 du règlement n° 17, prendre en considération toutes les circonstances de l'espèce, et en particulier la gravité et la durée de l'infraction.

27.
    Dans la décision attaquée, la Commission qualifie l'infraction de très grave, dès lors qu' Opel Nederland a fait obstacle à la réalisation de l'objectif du marché unique. Elle prend en considération la position importante que la marque Opel occupe sur les marchés en cause dans l'Union européenne. Selon la décision attaquée, l'infraction porte sur le marché néerlandais de la vente de véhicules automobiles neufs, mais elle a également déployé ses effets sur les marchés dans d'autres États membres, et tous les États membres où les prix hors taxes des voitures Opel étaient sensiblement plus élevés qu'aux Pays-Bas doivent en fait être considérés comme sources potentielles d'une demande d'exportations. Opel Nederland aurait agi de propos délibéré, puisqu'elle ne pouvait ignorer que les mesures en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence. En conclusion, la Commission estime qu'il convient d'infliger une amende qui sanctionne de manière appropriée cette infraction très grave et dont l'effet dissuasif exclut toute récidive et qu'un montant de 40 millions d'euros constitue une base appropriée pour fixer le montant de cette amende.

28.
    Quant à la durée de l'infraction, la Commission estime que l'infraction commise a duré de la fin du mois d'août ou du début du mois de septembre 1996 jusqu'à janvier 1998, soit 17 mois, ce qui constitue une infraction de moyenne durée.

29.
    En prenant en compte les durées respectives des trois mesures spécifiques, la Commission considère qu'il est justifié d'appliquer au montant de 40 millions d'euros une majoration de 7,5 %, soit 3 millions d'euros, ce qui porte le montant de l'amende à 43 millions d'euros.

30.
    Enfin, la Commission considère qu'il n'y a pas de circonstances atténuantes en l'espèce, notamment parce qu'Opel Nederland a poursuivi la mise en oeuvre d'un élément essentiel de l'infraction, à savoir la politique en matière de primes restrictives, après les vérifications effectuées les 11 et 12 décembre 1996.

En droit

31.
    À l'appui de leur recours, les requérantes invoquent, à titre principal, quatre moyens. Le premier est tiré, notamment, d'une absence de preuve de certains éléments constitutifs de l'infraction constatée. Les deuxième, troisième et quatrième moyens sont tirés d'erreurs de fait et de droit dans l'application de l'article 81 CE.

32.
    À titre subsidiaire, les requérantes soulèvent un cinquième moyen, tiré d'une violation du principe de proportionnalité et des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»).

A - Sur le premier moyen, tiré, notamment, de l'absence de preuve de l'adoption par Opel Nederland d'une politique générale visant à restreindre toutes les exportations

Arguments des parties

33.
    Les requérantes contestent qu'Opel Nederland ait jamais adopté une stratégie destinée à empêcher ou à restreindre toutes les exportations sans distinction. Une lecture exacte des documents sur lesquels la Commission se fonde, notamment le compte rendu de la réunion du 26 septembre 1996, montrerait que la stratégie visait uniquement à restreindre les ventes à l'exportation irrégulières à des revendeurs non agréés, interdites par les contrats de concession en vigueur, et non à limiter les exportations licites à des consommateurs finals ou à d'autres concessionnaires.

34.
    Dans ce cadre, les requérantes font valoir, premièrement, que la Commission fonde ses allégations en grande partie sur des documents de travail internes qui ne représentent pas la politique de l'entreprise et qui, en tout état de cause, ne sont pas probants. Ces documents de travail rendraient simplement compte d'un débat interne au sein du personnel d'Opel Nederland sur les stratégies possibles en réponse aux fortes suspicions selon lesquelles certains concessionnaires exportaient à grande échelle à des revendeurs non agréés. De plus, ni le libellé de la décision du 26 septembre 1996 ni celui des échanges antérieurs de courriers électroniques internes n'étayeraient la conclusion selon laquelle Opel Nederland a cherché à restreindre toutes les exportations sans distinction.

35.
    En deuxième lieu, les requérantes exposent que les preuves produites par la Commission, placées dans leur juste contexte, s'inscrivent dans la stratégie licite, adoptée par Opel Nederland, consistant à restreindre les ventes irrégulières à des revendeurs non agréés. Placée dans son véritable contexte, la décision du 26 septembre 1996 refléterait une politique conçue pour réduire l'ampleur des exportations irrégulières à des revendeurs non agréés et pour garantir que les campagnes promotionnelles spéciales destinées à stimuler les ventes aux Pays-Bas atteignent leur objectif.

36.
    Les requérantes font valoir, en troisième lieu, que toutes les communications adressées aux concessionnaires opéraient une distinction expresse entre les ventes à l'exportation régulières et les ventes à l'exportation irrégulières.

37.
    En quatrième lieu, les requérantes soutiennent qu'elles n'excluent pas que certains des chefs de district aient pu mal comprendre la portée de la décision du 26 septembre 1996 et que, lors de conversations individuelles avec certains concessionnaires, ils aient pu donner l'impression erronée qu'Opel Nederland cherchait à restreindre toutes les exportations sans distinction. Cependant, ces malentendus temporaires impliquant certaines personnes ne sauraient constituer une preuve d'une stratégie générale de l'entreprise.

38.
    Les requérantes exposent, en cinquième lieu, que l'absence de stratégie de l'entreprise visant à restreindre toutes les exportations est par ailleurs confirmée par les mesures correctives prises par Opel Nederland, dès qu'elle a réalisé que la décision du 26 septembre 1996 pouvait être mal interprétée. Elles se réfèrent, notamment, à la circulaire envoyée à tous les concessionnaires le 24 octobre 1996. Selon les requérantes, la Commission a tort lorsqu'elle affirme que cette circulaire concernait seulement les ventes aux utilisateurs finals. Quant à la politique de primes décidée le 26 septembre 1996, les requérantes soutiennent que, si elle n'a pas été abandonnée à ce moment-là, c'est parce qu'elle était considérée comme défendable au regard des règles communautaires de la concurrence et que, en tout état de cause, elle ne visait pas à restreindre les exportations régulières. Lorsque Opel Nederland a décidé, le 20 janvier 1998, de supprimer rétroactivement cette politique de primes, la Commission ne lui aurait pas indiqué que cette politique était contraire à l'article 81 CE.

39.
    L'inexistence de la prétendue stratégie serait illustrée, en sixième lieu, par l'absence de sanctions imposées pour les exportations régulières ou même irrégulières. Aucun contrat de concession n'aurait été résilié, malgré les preuves de violations graves par plusieurs concessionnaires de leur contrat, et aucun concessionnaire ne se serait vu refuser la livraison d'un véhicule pour des raisons liées à la destination de celui-ci, ou à une quelconque politique de restriction de l'approvisionnement.

40.
    Enfin, les requérantes font valoir que la prétendue stratégie d'Opel Nederland n'est pas pertinente aux fins de l'application de l'article 81 CE si elle n'est pas acceptée par ses concessionnaires. Les requérantes argumentent, en se référant à l'arrêt du Tribunal du 26 octobre 2000, Bayer/Commission (T-41/96, Rec. p. II-3383, point 176), que ce n'est pas l'existence d'une quelconque stratégie ou intention supposée de la part d'Opel Nederland de réduire les exportations qui importe, mais plutôt le contenu des accords effectivement conclus avec les concessionnaires. Or, il n'aurait jamais existé d'accord, explicite ou implicite, entre Opel Nederland et ses concessionnaires, relatif à une politique de limitation de l'approvisionnement ou à une politique restrictive de primes contraires à l'article 81 CE. Ce serait seulement pendant une période très brève, entre octobre et décembre 1996, qu'un nombre très limité de concessionnaires (à savoir neuf sur un total de 150) se sont engagés à ne pas exporter du tout.

41.
    La Commission aurait admis elle-même que les concessionnaires n'avaient pas adhéré de façon active à la politique menée par Opel Nederland. Il résulterait de l'arrêt Bayer/Commission, précité, qu'une action unilatérale de la part d'Opel Nederland ne serait pas contraire à l'article 81 CE.

42.
    La Commission conteste la validité des arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

43.
    Il convient, en premier lieu, d'examiner le raisonnement qui, dans la décision attaquée, sous-tend l'allégation selon laquelle Opel Nederland a adopté, le 26 septembre 1996, une décision qui établit l'existence d'une stratégie générale visant à empêcher et/ou à limiter les exportations des Pays-Bas vers d'autres États membres.

44.
    Il découle des considérants 17 et 21 de la décision attaquée que l'allégation de la Commission est basée sur une lecture du compte rendu de la réunion de la direction d'Opel Nederland du 26 septembre 1996, dans lequel sont décrites les mesures arrêtées lors de cette réunion. Certes, la Commission se réfère également, aux considérants 18 à 20 de la décision attaquée, à des documents internes antérieurs à la réunion du 26 septembre 1996 (à savoir un courrier du responsable des ventes du 15 juillet 1996, assorti d'un commentaire manuscrit du directeur des ventes et du marketing, un courrier du 18 septembre 1996 du directeur général et un courrier du directeur du personnel finances du 23 septembre 1996), mais ces références ne visent qu'à décrire le contexte dans lequel la décision adoptée le 26 septembre 1996 est intervenue. Au considérant 21 de la décision attaquée, il est encore précisé que la décision d'Opel Nederland du 26 septembre 1996 faisait suite à des réflexions internes.

45.
    Contrairement à ce que font valoir les requérantes, les allégations de la Commission ne sont donc pas basées sur des documents de travail internes qui ne représentent pas la politique de l'entreprise. Ainsi que la Commission l'a fait valoir à juste titre dans ses écritures, elles sont basées sur le compte rendu de la réunion de la direction du 26 septembre 1996, qui constitue un document final relatif aux mesures prises par les plus hauts responsables d'Opel Nederland.

46.
    En deuxième lieu, il convient d'analyser si la décision incriminée du 26 septembre 1996 reflète, comme le soutient la Commission, l'existence d'une stratégie générale d'Opel Nederland pour empêcher et/ou limiter les exportations dans leur ensemble ou plutôt, comme le soutiennent les requérantes, l'existence d'une stratégie licite visant à restreindre les ventes irrégulières à des revendeurs non agréés, interdites par les contrats de concession applicables.

47.
    À ce sujet, il importe de relever tout d'abord que, dans le libellé du compte rendu, aucune distinction n'est établie entre les exportations conformes et celles contraires aux contrats de concession. Les mesures prises visent, selon ce libellé, toutes les exportations. La thèse des requérantes, selon laquelle Opel Nederland a seulement cherché à restreindre les exportations non conformes aux contrats de concession, n'est reflétée en aucune manière dans les termes du compte rendu.

48.
    Cette interprétation, basée sur le libellé du compte rendu, est confirmée par la lecture des trois documents internes qui ont précédé la décision du 26 septembre 1996. Ces documents montrent que, à partir du deuxième semestre de 1996, les responsables d'Opel Nederland étaient préoccupés par l'augmentation des exportations et qu'ils ont étudié des mesures visant à restreindre, sinon arrêter, toutes les exportations et non seulement les exportations contraires aux dispositions des contrats de concession. Le document du 23 août 1996, cité au considérant 65 de la décision attaquée, dans lequel il est écrit que «[d]es mesures seront prises (en collaboration avec le service juridique) pour ‘stopper’ complètement les exportations», corrobore cette position de la part des responsables d'Opel Nederland.

49.
    Il convient de relever également que la décision prise par Opel Nederland de ne plus accorder de primes pour des ventes à l'exportation ne pouvait, par sa nature même, concerner que des ventes conformes aux contrats de concession, étant donné que les primes n'ont jamais été accordées aux ventes à d'autres destinataires que des consommateurs finals.

50.
    L'interprétation de la Commission est également corroborée par le fait que, au moment de l'adoption de la décision, les audits auprès des concessionnaires soupçonnés d'avoir vendu à l'exportation n'avaient pas encore été effectués et qu' Opel Nederland ne pouvait donc pas savoir si les concessionnaires «exportateurs» avaient effectivement consenti des ventes à des revendeurs non agréés.

51.
    De plus, comme le fait remarquer la Commission dans ses écritures, si les plus hauts responsables d'Opel Nederland avaient voulu établir une distinction entre les exportations licites et illicites, ils n'auraient vraisemblablement pas omis de la mentionner de façon explicite dans leur décision prise le 26 septembre 1996. Cette distinction est en effet essentielle dans le secteur concerné, au vu des dispositions des règlements n°s 123/85 et 1475/95.

52.
    Ensuite, il y a lieu de relever que les requérantes n'ont pas invoqué l'existence d'autres documents d'Opel Nederland, datant de la période concernée, dont il découlerait clairement que celle-ci cherchait uniquement à restreindre les exportations illicites.

53.
    En effet, les communications adressées aux concessionnaires, telles que celles citées par les requérantes, dans lesquelles une distinction expresse serait opérée entre les exportations régulières et irrégulières, consistent, d'une part, en des documents relatifs à une période bien antérieure à celle qui fait l'objet de la présente affaire et, d'autre part, en des documents élaborés à partir du 24 octobre 1996, quand Opel Nederland a pris, selon ses propres termes, des mesures correctives. Ces documents ne sauraient, dès lors, infirmer l'analyse du comportement d'Opel Nederland au cours de la période allant du mois de juillet au mois d'octobre 1996.

54.
    Ainsi que la Commission l'a relevé dans ses écritures, le fait qu'Opel Nederland a pris des mesures correctives à partir de la fin du mois d'octobre 1996 n'est pas non plus pertinent pour apprécier l'existence d'une stratégie restrictive avant cette date.

55.
    Enfin, ainsi que la Commission l'a justement fait valoir dans ses écritures, l'absence de sanctions à l'encontre des concessionnaires n'exclut pas l'existence d'une stratégie générale restrictive, d'autant plus que, comme indiqué au considérant 93 de la décision attaquée, la décision de ne pas prendre de mesures à l'encontre des concessionnaires ayant enfreint leur contrat de concession n'a été prise que le 23 décembre 1996, c'est-à-dire après les vérifications de la Commission, effectuées les 11 et 12 décembre 1996.

56.
    Il s'ensuit que la Commission a conclu à juste titre qu'Opel Nederland avait adopté, le 26 septembre 1996, une stratégie générale visant à entraver toute exportation.

57.
    En troisième lieu, il convient d'examiner l'argument des requérantes, selon lequel l'existence d'une stratégie générale d'Opel Nederland n'est pas pertinente aux fins de l'application de l'article 81 CE, si elle n'est pas acceptée par ses concessionnaires ou, en d'autres termes, si elle ne constitue qu'un comportement unilatéral.

58.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en l'absence d'accords entre entreprises, un comportement unilatéral d'une entreprise, sans la participation expresse ou tacite d'une autre entreprise, ne relève pas de l'article 81, paragraphe 1, CE (arrêts de la Cour du 30 juin 1966, Société technique minière, 56/65, Rec. p. 337, 358; du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 38, et du 17 septembre 1985, Ford/Commission, 25/84 et 26/84, Rec. p. 2725, point 21).

59.
    Il convient de constater que plusieurs passages dans la décision attaquée, notamment aux considérants 103 et 136, sont ambigus quant à la question de savoir si la Commission prétend que la stratégie générale constitue, en tant que telle, une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE.

60.
    En revanche, aux considérants 111 et 142 et suivants de la décision attaquée, portant appréciation du comportement d'Opel Nederland au regard de l'article 81 CE, une distinction claire est opérée entre la stratégie générale et les trois mesures individuelles, prétendument prises dans le cadre de la stratégie. Ces dernières sont, selon la Commission, devenues partie intégrante des accords de distribution entre Opel Nederland et ses concessionnaires et constituent les composants de l'infraction ainsi que l'objet de la décision attaquée.

61.
    Dans ces conditions, l'argument des requérantes est inopérant.

62.
    Il s'ensuit que le premier moyen des requérantes n'est pas fondé.

B - Sur le deuxième moyen, tiré d'une erreur de fait et de droit entachant l'appréciation selon laquelle Opel Nederland a mis en oeuvre une politique de restriction de l'approvisionnement contraire à l'article 81 CE

Arguments des parties

63.
    Les requérantes admettent qu'Opel Nederland a décidé, le 26 septembre 1996, d'informer plusieurs concessionnaires du fait que, en raison de problèmes d'approvisionnement, chaque concessionnaire se verrait attribuer, jusqu'à nouvel ordre, uniquement le nombre de véhicules indiqué dans la norme d'évaluation des ventes («Sales Evaluation Guide», ci-après le «SEG»). Opel Nederland aurait estimé qu'une pénurie pouvait justifier une limitation du nombre de véhicules livrés aux 21 concessionnaires soupçonnés d'effectuer des ventes irrégulières.

64.
    Les requérantes font cependant valoir, premièrement, que la décision du 26 septembre 1996 d'utiliser le SEG comme limite d'attribution des produits n'a jamais été mise en oeuvre. Aucune commande n'aurait jamais été refusée au motif que celle-ci aurait conduit le concessionnaire à dépasser son SEG ou tout autre quota. Sur un plan pratique, il aurait été impossible de mettre en oeuvre un tel système de restriction de l'approvisionnement en raison des spécificités techniques du système de commande du groupe General Motors, appelé «GM*Drive». Toute commande par un concessionnaire, une fois introduite correctement, serait traitée automatiquement par ce système, sans qu'Opel Nederland y joue un rôle.

65.
    Deuxièmement, les requérantes exposent que la décision du 26 septembre 1996 n'a jamais été communiquée aux concessionnaires, qui ne peuvent dès lors être réputés avoir souscrit à une politique restrictive en matière d'approvisionnement. Les requérantes se réfèrent dans ce cadre à l'arrêt Bayer/Commission, précité. Selon les requérantes, rien ne prouve, et Opel Nederland ne l'a admis à aucun moment, qu'un concessionnaire se soit entendu dire que les commandes dépassant le SEG, ou respectant les objectifs du SEG mais destinées à l'exportation, ne seraient pas honorées.

66.
    Le fait qu'Opel Nederland a pris des mesures correctives en octobre et en décembre 1996 ne saurait, lui non plus, être considéré comme une preuve de la communication et de la mise en oeuvre de la prétendue politique restrictive. Ces mesures correctives auraient seulement visé à réagir aux indications selon lesquelles certains concessionnaires avaient l'impression erronée qu'Opel Nederland interdisait les exportations. Elles n'auraient fait que confirmer le droit des concessionnaires de réaliser des ventes à l'exportation régulières et elles ne comporteraient aucune référence à une limitation de l'approvisionnement.

67.
    Les requérantes font valoir, troisièmement, que, en tout état de cause, la décision du 26 septembre 1996 ne subordonnait pas l'approvisionnement au respect d'une interdiction d'exporter et, dès lors, ne limitait pas la liberté des concessionnaires d'utiliser les volumes attribués pour réaliser des ventes à l'exportation régulières.

68.
    Même si Opel Nederland avait utilisé le SEG comme plafond à l'attribution, cela aurait constitué une mesure unilatérale, non assimilable à un accord conclu avec les concessionnaires pour restreindre les exportations. De plus, les performances des concessionnaires seraient, dans le cadre du SEG, évaluées sur la base du nombre total de véhicules vendus, indépendamment de leur destination. Les concessionnaires n'auraient par conséquent pas été «pénalisés» en choisissant d'exporter plutôt que de vendre sur leur propre territoire de vente.

69.
    Dans la réplique, les requérantes exposent encore que la décision du 26 septembre 1996 d'utiliser le SEG pour attribuer les livraisons ne constituait pas une modification des conditions contractuelles régissant les relations d'Opel Nederland avec ses concessionnaires, étant donné que le contrat standard de concession ne prévoit pas l'obligation pour Opel Nederland de fournir les quantités commandées par les concessionnaires. Opel Nederland serait libre d'honorer toute commande particulière à son entière discrétion.

70.
    La Commission estime, premièrement, que la communication de la politique de restriction de l'approvisionnement aux concessionnaires identifiés comme exportateurs a suffi pour qu'elle soit adoptée dans les contrats régissant la distribution. La mise en oeuvre de cette décision ne dépendrait pas d'un rejet démontrable de la commande d'un concessionnaire dans un cas concret.

71.
    De surcroît, la mesure limitant les livraisons à celles prévues dans le SEG pourrait être considérée comme ayant des effets restrictifs sur la concurrence à l'intérieur du marché commun à partir du moment de son introduction dans les accords de distribution par sa communication aux concessionnaires concernés. Dans des situations de livraisons restreintes, il serait prévisible que les concessionnaires aient davantage intérêt à servir leurs clients locaux et à cesser ou à réduire leurs ventes à l'exportation. Cet effet tendant à décourager les exportations serait essentiellement dû au système prévu par Opel Nederland pour fixer des objectifs de vente et pour évaluer les résultats des concessionnaires. Selon la Commission, les objectifs du SEG concernent principalement le territoire attribué au concessionnaire. Cela découlerait également des avantages économiques objectifs de la vente à des clients locaux, du fait que toute commande destinée à l'exportation serait difficile à satisfaire si la demande domestique prévue dans le territoire contractuel des concessionnaires se concrétise, et des effets cumulés des livraisons limitées et du système de primes d'Opel Nederland.

72.
    Même en l'absence de preuve d'un refus concret d'honorer une commande passée par un concessionnaire, la modification des conditions contractuelles applicables à la livraison de véhicules aux concessionnaires constituerait un accord ayant pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Cette modification des conditions serait, par nature, à même de renforcer le cloisonnement des marchés sur le plan national et donc d'entraver l'interpénétration économique que le traité s'efforce de mettre en oeuvre.

73.
    Selon la Commission, l'allégation des requérantes concernant le système de commande GM*Drive est peu convaincante. Il serait difficile de croire que la politique de la direction d'Opel Nederland en matière d'exportations pouvait être subordonnée aux contingences techniques du système de commande.

74.
    La Commission ajoute que les requérantes n'ont même pas essayé de démontrer l'existence de retards de production affectant toute leur gamme de produits et qui auraient pu justifier leur politique de restriction. En tout état de cause, étant donné que l'objet de la politique d'Opel Nederland en matière d'attribution des véhicules était d'empêcher ou de décourager les exportations, sa qualification de mesure destinée à cloisonner le marché néerlandais ne saurait être remise en question par des difficultés de production, si elles avaient existé. La Commission se réfère, à cet égard, à l'arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission (T-62/98, Rec. p. II-2707, point 89).

75.
    La Commission fait valoir, deuxièmement, que la décision du 26 septembre 1996 a bien été communiquée aux concessionnaires. Selon les termes de la décision, les concessionnaires «seront informés» de ladite politique. Les chefs de districts auraient été censés agir en ce sens «dans les deux semaines». Rien n'indiquerait que la décision prise ce jour-là ait été modifiée ou atténuée à certains égards avant sa mise en oeuvre par les responsables, notamment les chefs de district. Au début du mois d'octobre 1996, les chefs de district auraient effectivement pris contact avec les concessionnaires concernés. Dans le cadre des visites introductives, ils les auraient informés sur le thème des exportations. Il serait improbable que les chefs de district n'aient rempli leur mission que partiellement et aient omis de faire part aux concessionnaires de la politique de restriction de l'approvisionnement. La Commission relève en outre que les autres aspects de la décision du 26 septembre 1996, à savoir les audits, la politique de primes et l'envoi d'une seconde lettre aux concessionnaires exportateurs, ont été pleinement mis en oeuvre. Enfin, l'affirmation des requérantes selon laquelle elles n'excluent pas que certains chefs de district puissent avoir informé verbalement un nombre limité de concessionnaires que des véhicules automobiles prévus dans le SEG étaient essentiellement destinés au marché néerlandais, ne saurait être interprétée que comme une reconnaissance partielle, corroborant les autres éléments.

76.
    En troisième lieu, la Commission fait valoir que les changements apportés à la politique communiquée aux concessionnaires sont devenus partie intégrante du contrat qui les lie. À ce propos, elle se réfère à la jurisprudence selon laquelle l'inclusion d'un concessionnaire dans un réseau de distribution implique que celui-ci est censé accepter la politique adoptée par le fabricant et son fournisseur et que leur relation commerciale continue est régie par un accord général préétabli (arrêts AEG/Commission, précité; Ford/Commission, précité, point 21, et Volkswagen/Commission, précité, point 236). Cette référence serait confortée dans le cas d'espèce par l'article 7.3 des dispositions additionnelles du contrat de concession standard de 1992, qui définit le contrat et précise qu'il doit être interprété à la lumière de tous les avenants et communications ultérieurs.

77.
    Quant à l'argument des requérantes, tiré d'une absence d'obligation contractuelle de livraison, d'une part, la Commission fait valoir qu'il constitue un nouveau moyen de droit qui devrait être rejeté comme irrecevable, conformément à l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. D'autre part, la Commission soutient que, par la mesure d'approvisionnement restrictive, Opel Nederland a complété son pouvoir d'appréciation par une nouvelle règle concernant les quantités maximales allouées aux concessionnaires exportateurs visés.

Appréciation du Tribunal

78.
    Il convient, en premier lieu, de relever qu'il est constant entre les parties, ainsi qu'il découle du point 3 du compte rendu de la réunion du 26 septembre 1996, cité au point 7 ci-dessus, que la direction d'Opel Nederland avait décidé d'informer les concessionnaires identifiés comme exportateurs du fait que les volumes de livraisons seraient, à l'avenir, limités au nombre prévu par le SEG de chaque concessionnaire.

79.
    La question se pose toutefois de savoir si cette mesure est constitutive d'un accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE. Ainsi qu'il a été rappelé au point 58 ci-dessus, un comportement unilatéral d'une entreprise ne relève pas de cette disposition.

80.
    À cet égard, la Commission fait valoir, au considérant 37 de la décision attaquée, que les concessionnaires concernés ont été informés de la décision de politique d'approvisionnement restrictive et que cette décision a «donc» été mise en oeuvre. Au considérant 105 de la décision attaquée, il est énoncé qu'il s'agit d'une restriction imposée aux concessionnaires. Au considérant 111, la Commission soutient, à propos des trois mesures alléguées, qu'elles ont été mises en oeuvre de commun accord dans le cadre de l'exécution pratique des contrats de concession et, de nouveau, qu'elles ont été convenues avec les concessionnaires.

81.
    Or, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, ne figure aucune preuve directe de la communication de la mesure en cause aux concessionnaires.

82.
    La décision attaquée se borne à relever, au considérant 36, qu'Opel Nederland ne conteste pas que, à la suite de sa décision du 26 septembre 1996, les concessionnaires concernés aient pu être mal informés ou avoir eu l'impression erronée que l'entreprise avait l'intention d'appliquer une politique restrictive en matière d'approvisionnement ou souhaitait que les concessionnaires en cause réduisent, voire arrêtent, les exportations, sans qu'une distinction claire ait été faite entre les divers types d'opérations, et qu'Opel Nederland admet, dans sa réponse à la communication des griefs, que certains de ses chefs de district ont pu informer oralement certains concessionnaires ou leur donner le sentiment que les objectifs de vente indiqués dans leur SEG respectif visaient avant tout le marché néerlandais. Au regard du rôle et de la position hiérarchique des chefs de district dans l'organisation de l'entreprise, la décision attaquée énonce, au considérant 37, que «[l]a conclusion s'impose, par conséquent, que les mesures prises par les chefs de district, auxquelles Opel Nederland se réfère, étaient directement inspirées par la décision du 26 septembre 1996, et que cette décision a donc été mise en oeuvre». Le fait que les audits individuels (mentionnés au point 1 du compte rendu de la réunion du 26 septembre 1996) aient effectivement été réalisés et que les chefs de district aient établi des rapports sur leurs visites introductives confirmerait cette conclusion. Enfin, il est remarqué, au considérant 37, qu'Opel Nederland a jugé utile de prendre des mesures correctives en octobre et en décembre 1996.

83.
    Cependant, il convient de constater, tout d'abord, qu'Opel Nederland a, dans sa réponse à la communication de griefs, clairement contesté qu'il y ait eu communication, fût-elle erronée, aux concessionnaires d'une politique d'approvisionnement restrictive, liée au SEG. En effet, son aveu supposé, auquel le considérant 36 de la décision attaquée renvoie, ne porte pas sur cette mesure, mais sur l'éventuelle communication erronée, par certains chefs de district, du fait que le SEG visait avant tout le marché néerlandais et du fait qu'Opel Nederland cherchait à restreindre toutes les exportations sans distinction. C'est donc à tort que la Commission invoque l'absence de contestation et l'aveu d'Opel Nederland pour démontrer la communication, aux concessionnaires, de la mesure spécifique en cause.

84.
    Il convient de relever, ensuite, que, aux termes du point 2 de la décision du 26 septembre 1996, M. de Heer, directeur des ventes et du marketing, était chargé de répondre à tous les concessionnaires ayant répondu à la première lettre d'Opel Nederland relative aux activités à l'exportation, pour les informer de l'organisation des audits «et aussi des difficultés de livraison, qui imposent des attributions limitées de véhicules». Or, si les lettres envoyées par M. de Heer aux intéressés, le 30 septembre 1996, en exécution de cette décision, font bien état de l'organisation des audits, elles sont en revanche muettes tant sur les prétendues difficultés de livraison que sur les attributions limitées de véhicules qui étaient censées en découler.

85.
    Dès lors qu'il apparaît ainsi que, contrairement à ce qui avait été expressément décidé quatre jours plus tôt, le directeur des ventes et du marketing d'Opel Nederland lui-même s'est abstenu de mentionner les restrictions d'approvisionnement, dans sa lettre du 30 septembre 1996 aux concessionnaires concernés, la Commission n'est pas fondée à invoquer l'absence de tout indice de ce que la décision du 26 septembre 1996 aurait été modifiée ou atténuée à certains égards avant sa mise en oeuvre par les responsables, ni à soutenir que les «autres aspects de la décision attaquée du 26 septembre 1996» ont été «pleinement mis en oeuvre». La Commission n'est pas davantage fondée à présumer que les chefs de district, qui sont hiérarchiquement subordonnés au directeur des ventes et du marketing et qui sont donc censés avoir agi conformément à ses instructions (voir considérant 37 de la décision attaquée), auraient pris spontanément l'initiative d'évoquer certains problèmes d'approvisionnement, lors de leurs visites d'octobre 1996 aux concessionnaires concernés.

86.
    Les autres éléments sur lesquels s'appuie la décision attaquée ne constituent, tout au plus, que des indices circonstanciels de la thèse de la Commission selon laquelle la mesure a été communiquée aux concessionnaires.

87.
    Par ailleurs, les autres pièces du dossier ne permettent pas non plus de conclure que la mesure en question a été effectivement appliquée ou mise en oeuvre. Non seulement il n'existe pas, comme la Commission l'admet, de preuve qu'une seule commande d'un concessionnaire ait été refusée au motif qu'elle aurait conduit à un dépassement de son SEG, mais, de plus, il découle des chiffres fournis par les requérantes en réponse à une question écrite du Tribunal concernant le SEG en 1996 pour les concessionnaires concernés que les concessionnaires, qui avaient déjà dépassé, parfois d'une manière considérable, leur SEG individuel pour l'année 1996 en septembre de cette année, ont continué, pendant les mois suivants, à passer et à recevoir des commandes. L'exactitude de ces chiffres n'a pas, en soi, été contestée par la Commission. Il s'ensuit que l'existence de l'accord allégué ne saurait être davantage corroborée par l'adoption de mesures relatives à son application ou à sa mise en oeuvre, dont la réalité n'est pas établie.

88.
    Dans ces conditions, le Tribunal estime qu'il n'a pas été établi à suffisance de droit que la mesure d'approvisionnement restrictive a été communiquée aux concessionnaires et encore moins que cette mesure est entrée dans le champ des relations contractuelles entre Opel Nederland et ses concessionnaires. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il incombe à la Commission de réunir des éléments de preuve suffisamment précis et concordants pour fonder la ferme conviction que l'infraction alléguée a eu lieu (arrêts de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 20, et du Tribunal du 21 janvier 1999, Riviera Auto Service e.a./Commission, T-185/96, T-189/96 et T-190/96, Rec. p. II-93, point 47).

89.
    Il s'ensuit que le deuxième moyen est fondé, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres arguments avancés dans le cadre de ce moyen.

C - Sur le troisième moyen, tiré d'une erreur de fait et de droit entachant l'appréciation selon laquelle Opel Nederland a mis en oeuvre un système restrictif de primes au détail contraire à l'article 81 CE

Arguments des parties

90.
    Les requérantes ne contestent pas que les ventes à l'exportation à des consommateurs finals ont été exclues des primes à la suite de la décision du 26 septembre 1996. Cependant, elles contestent que cette politique puisse être qualifiée d'accord conclu avec les concessionnaires pour restreindre les exportations en violation de l'article 81 CE.

91.
    En premier lieu, elles font valoir que rien ne prouve que les concessionnaires aient explicitement ou implicitement accepté de restreindre les ventes licites à l'exportation en réponse à la nouvelle politique d'Opel Nederland en matière de primes. La participation continue des concessionnaires aux campagnes de primes indiquerait que les concessionnaires acceptaient de ne pas recevoir de prime pour les ventes à l'exportation, mais elle ne suffirait cependant pas à démontrer l'existence d'un accord restrictif de la concurrence avec les concessionnaires contraire à l'article 81 CE si, dans les faits, les exportations ont continué au même rythme. Dans l'arrêt Bayer/Commission, précité, le Tribunal aurait confirmé que la Commission avait méconnu la notion de concordance de volontés en estimant que la poursuite des relations commerciales avec le fabricant lorsque celui-ci adopte une nouvelle politique, qu'il met en pratique unilatéralement, équivaut à un acquiescement des grossistes à celle-ci, alors que leur comportement est de facto contraire à ladite politique.

92.
    Les chiffres démontreraient que les concessionnaires ont continué à exporter pendant toute la période de mise en oeuvre de ladite politique, ce qui montrerait que les concessionnaires n'ont pas accepté une restriction des exportations. Les requérantes se réfèrent à un rapport du National Economic Research Associates (NERA) du 21 juin 1999, qui montrerait que le volume des ventes régulières à l'exportation n'a pas été affecté en raison de l'exclusion des exportations des campagnes de primes. Dans ces circonstances, on ne saurait soutenir que les concessionnaires ont accepté une quelconque restriction des exportations contraire à l'article 81 CE.

93.
    En deuxième lieu, les requérantes estiment que la politique de primes n'avait pas pour objet de restreindre la concurrence. L'objet du système serait, au contraire, de stimuler les ventes aux Pays-Bas. Opel Nederland n'aurait pas souhaité que les campagnes de primes constituent une incitation supplémentaire pour les exportations, ce qui serait différent d'avoir pour objectif la restriction des exportations. En effet, la marge normale des concessionnaires aux Pays-Bas serait suffisante pour que les exportations soient rentables sans primes supplémentaires.

94.
    En troisième lieu, les requérantes exposent que la politique en matière de primes n'a pas eu pour effet de restreindre la concurrence. Les documents pertinents montreraient au contraire que le volume des exportations régulières n'a pas été sensiblement affecté à la baisse par le fait qu'Opel Nederland a exclu les ventes à l'exportation à des consommateurs finals des primes des campagnes. Cela ne serait pas surprenant, puisque l'exclusion des ventes à l'exportation ne diminuait ni l'incitation ni la capacité des concessionnaires d'Opel Nederland à effectuer des exportations licites. Dans ce cadre, les requérantes soutiennent que la marge normale des concessionnaires sur la vente de véhicules Opel atteint environ 5 à 15 % du prix net catalogue et permet réellement aux concessionnaires de réaliser un bénéfice sur les ventes à l'exportation, sans versement de prime supplémentaire.

95.
    Une politique en matière de primes excluant les exportations à des consommateurs finals des campagnes de primes au détail ne pourrait constituer une restriction des exportations que si elle était combinée à une restriction des approvisionnements. Dans ce cas, un concessionnaire pourrait avoir intérêt à réserver au marché national le nombre limité de véhicules dont il dispose afin d'être éligible à l'octroi de primes supplémentaires. Cependant, Opel Nederland n'aurait jamais mis en oeuvre de politique restrictive en matière d'approvisionnement. Par conséquent, la politique en matière de primes ne pourrait avoir eu un quelconque effet restrictif de la concurrence. En tout état de cause, la décision attaquée elle-même reconnaîtrait que la prétendue politique restrictive en matière d'approvisionnement a été abandonnée le 24 octobre 1996 en ce qui concerne les ventes à des consommateurs finals. Par conséquent, la Commission se serait pour le moins trompée en considérant que la politique de primes sur les ventes au détail était contraire à l'article 81, paragraphe 1, CE, à partir du 24 octobre 1996 (et jusqu'au 28 janvier 1998).

96.
    La Commission conteste le bien-fondé des arguments invoqués par les requérantes.

Appréciation du Tribunal

97.
    Il convient, premièrement, d'observer qu'il est constant entre les parties, ainsi qu'il découle des points 6 et 7 du compte rendu de la réunion du 26 septembre 1996, que la direction d'Opel Nederland avait décidé d'exclure les ventes à l'exportation du système de primes. Il est également constant que cette décision a été appliquée lors de plusieurs campagnes de promotion des ventes à partir du 1er octobre 1996 jusqu'au 20 janvier 1998, date à laquelle la mesure a été supprimée, avec effet rétroactif, au moyen d'une circulaire aux concessionnaires.

98.
    Deuxièmement, pour autant que les requérantes contestent que la mise en oeuvre de la mesure constitue un accord, au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, entre Opel Nederland et ses concessionnaires, il y a lieu de relever, comme la Commission l'a fait dans ses écritures, que, à partir du 1er octobre 1996, les demandes de primes ont été traitées conformément aux conditions alors applicables, qui excluaient les ventes à l'exportation du champ d'application du système de primes. Les nouvelles conditions sont ainsi devenues partie intégrante des contrats de concession entre Opel Nederland et ses concessionnaires et se sont insérées dans un ensemble de relations commerciales continues régies par un accord général préétabli. La mesure en question ne constitue donc pas un acte unilatéral, mais un accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE (arrêts AEG/Commission, précité, point 38, et Ford/Commission, précité, point 21).

99.
    Ainsi qu'il est précisé au considérant 135 de la décision attaquée, cette dernière est fondée essentiellement sur la thèse selon laquelle les mesures alléguées avaient pour objet la restriction de la concurrence. Il convient dès lors d'examiner, en troisième lieu, si la mesure en cause peut être qualifiée de mesure ayant pour objet la restriction de la concurrence.

100.
    À cet égard, la Commission soutient à juste titre que, les primes n'étant plus accordées pour les ventes à l'exportation, la marge de manoeuvre économique dont disposent les concessionnaires pour effectuer de telles ventes se trouve réduite par rapport à celle dont ils disposent pour effectuer des ventes nationales. En effet, les concessionnaires sont contraints soit d'appliquer des conditions moins favorables aux clients étrangers qu'aux clients nationaux, soit de se contenter d'une marge inférieure en cas de ventes à l'exportation. En supprimant les primes pour les ventes à l'exportation, ces dernières devenaient moins intéressantes pour les clients étrangers ou pour les concessionnaires. La mesure était donc, par sa nature même, susceptible d'influencer négativement les ventes à l'exportation, même en l'absence de limitation d'approvisionnement.

101.
    De plus, il ressort de l'appréciation du premier moyen que les mesures adoptées par la direction d'Opel Nederland ont été provoquées par l'augmentation des ventes à l'exportation et visaient la réduction de celles-ci.

102.
    Eu égard tant à la nature de la mesure qu'aux buts poursuivis par elle, et à la lumière du contexte économique dans lequel elle devait être appliquée, il y a lieu de considérer que, conformément à une jurisprudence constante, celle-ci constitue un accord ayant comme objet la restriction de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19/77, Rec. p. 131, point 7; du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 23 à 25, et arrêt CRAM et Rheinzink/Commission, précité, point 26).

103.
    Cette analyse de l'objet de la mesure implique par ailleurs que la thèse des requérantes, selon laquelle l'exclusion des ventes à l'exportation du système de primes était justifiée par le fait que les primes étaient destinées à stimuler les ventes aux Pays-Bas, est inopérant. Il y a lieu d'ajouter que les arguments des requérantes pour soutenir cette thèse - tirés à la fois du fait que les ventes nationales impliquent souvent des reprises et de l'existence de la taxe automobile spéciale aux Pays-Bas (la «BPM») - ne sont ni cohérents ni concrètement étayés.

104.
    Selon une jurisprudence constante, et comme la Commission l'a relevé dans ses écritures, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, dès lors qu'il apparaît que l'accord a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 496, et du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219/95 P, Rec. p. I-4411, points 12 à 14). Il n'y a donc pas lieu d'examiner les arguments des parties relatifs aux effets concrets de la mesure en cause.

105.
    Il convient cependant, à titre surabondant, de rejeter l'argument des requérantes selon lequel les chiffres, tels qu'ils figurent dans le rapport du NERA, montrent que les ventes à l'exportation n'ont pas été influencées par la mesure en question. En effet, ces chiffres, qui indiquent que les ventes à l'exportation n'ont pas cessé durant la période allant d'octobre 1996 jusqu'à janvier 1998, n'excluent pas que, sans la mesure en cause, les ventes à l'exportation auraient été plus importantes. Au considérant 135 de la décision attaquée, il est observé, à juste titre, qu'il est impossible de déterminer le nombre d'exportations que les mesures prises par Opel Nederland ont effectivement empêchées.

106.
    Il découle des considérations précédentes que le troisième moyen ne peut être accueilli.

D - Sur le quatrième moyen, tiré d'une erreur de fait et de droit entachant l'appréciation selon laquelle Opel Nederland a mis en oeuvre une interdiction directe des exportations contraire à l'article 81 CE

Arguments des parties

107.
    Les requérantes observent, à titre liminaire, qu'elles n'excluent pas que certains des chefs de district d'Opel Nederland aient pu mal comprendre la portée de la décision du 26 septembre 1996 dont le seul objet était de faire cesser les exportations à des revendeurs non agréés, et que, lors d'entretiens individuels avec certains concessionnaires, ils aient pu donner l'impression erronée qu'Opel Nederland cherchait à restreindre toutes les exportations sans distinction, ou bien qu'ils aient omis de réagir aux «engagements» des concessionnaires qui étaient d'une portée excessive. Cependant, cela aurait tout au plus contribué à un engagement de courte durée des neufs concessionnaires identifiés dans la décision attaquée (à savoir les concessionnaires Van Zijll, Staals et Spoormaker et, dans un deuxième temps, Hemera, Göttgens-Beek, Loven, Canton-Reiss, Welling et Nedam) et, en tout état de cause, n'aurait pas restreint sensiblement la concurrence entre marques ou au sein de la marque.

108.
    Concernant la première phase de la prétendue interdiction, telle qu'indiquée dans la décision attaquée (intitulée «réflexions et instructions internes», ayant précédé la lettre d'Opel Nederland à certains concessionnaires des 28 et 29 août 1996), les requérantes font valoir qu'aucun des documents cités par la Commission, à l'exception de l'incident isolé de juin 1995 sur la Tigra et l'incident Spoormaker, n'établit qu'Opel Nederland avait soumis certains concessionnaires individuels à des contrôles et à des avertissements liés aux activités d'exportation régulières. Les éléments relatifs à cette phase concerneraient des propositions internes de mesures n'ayant pas été communiquées à des concessionnaires individuels.

109.
    S'agissant de la deuxième phase de l'interdiction telle qu'indiquée dans la décision attaquée (intitulée «la ‘première lettre de mise en garde’ [des 28/29 août 1996] et les événements subséquents»), les requérantes observent que la lettre en question faisait part à un nombre limité de concessionnaires de la suspicion d'Opel Nederland quant à la régularité de certaines de leurs ventes et leur demandait de confirmer qu'ils respectaient leurs obligations contractuelles. Cette lettre serait formulée en termes clairs et ne demanderait pas aux concessionnaires un engagement de cesser les exportations régulières. Tous les engagements des concessionnaires Van Zijll et Staals seraient des mesures unilatérales, provoquées par la conscience de la non-conformité de leurs pratiques exportatrices avec le contrat de concession.

110.
    S'agissant de la troisième phase de l'interdiction, telle qu'indiquée dans la décision attaquée (intitulée «la décision du 26 septembre 1996 et les événements subséquents»), les requérantes soutiennent que la décision du 26 septembre 1996 cherchait à préserver l'intégrité du système de distribution sélective à la suite de la découverte d'indices sérieux révélant l'existence d'exportations irrégulières, à grande échelle, à des revendeurs non agréés. Selon les requérantes, on ne saurait leur reprocher d'avoir décidé de procéder à des audits, dont le seul but était d'identifier les ventes aux revendeurs non agréés et toute autre violation du contrat de concession.

111.
    Les requérantes considèrent que, en tout état de cause, les «accords» n'ont pu impliquer que neuf concessionnaires, pendant une courte période, et qu' ils n'ont pas entraîné de restriction sensible de la concurrence. À cet égard, la Commission ne tiendrait pas compte du nombre limité de concessionnaires impliqués et de la courte durée d'un quelconque accord. Les requérantes rappellent que la grande majorité des 150 concessionnaires n'avaient aucun doute quant à leur droit de réaliser des ventes à l'exportation régulières pendant la période pertinente et que les éléments produits par la Commission ne concernent que des concessionnaires exportant vers l'Allemagne.

112.
    Les chiffres indiqueraient que l'effet de la prétendue infraction sur les ventes transfrontières a été minimal. Les requérantes se réfèrent notamment au rapport du NERA, selon lequel il n'existe aucune corrélation entre la diminution constatée des exportations et les mesures prises par les requérantes. Étant donné que des mesures correctives ont été prises le 24 octobre 1996, la prétendue violation n'aurait duré que quelques semaines, et l'impact ne pourrait être que minimal. Contrairement à ce qu'allègue la Commission, les requérantes estiment que la Commission est tout de même obligée de prouver l'impact ou l'effet de l'interdiction d'exporter. Même si les accords imposaient une protection territoriale absolue, l'effet sur le marché pourrait être minimal (arrêts de la Cour du 9 juillet 1969, Völk, 5/69, Rec. p. 295, points 5 à 7, et du 28 avril 1998, Javico, C-306/96, Rec. p. I-1983, point 17).

113.
    L'allégation de la Commission selon laquelle les audits constituaient un moyen de pression ne pourrait être retenue. Au contraire, un audit véhiculerait implicitement le message que les exportations licites sont permises. Si les requérantes avaient voulu arrêter les exportations licites, un audit n'aurait pas été nécessaire.

114.
    Selon les requérantes, le concessionnaire Van Zijll s'était déjà engagé à ne plus exporter le 31 août 1996, c'est-à-dire bien avant l'entretien avec le directeur des ventes et du marketing, qui aurait eu lieu le 17 septembre 1996. En ce qui concerne le concessionnaire Staals, il n'y aurait pas eu d'entretiens et il aurait décidé unilatéralement, après une discussion interne, d'arrêter toutes les exportations. Concernant l'engagement pris en octobre 1996 par le concessionnaire Loven, les requérantes rappellent que des mesures correctives ont été prises le 24 octobre 1996, seulement quelques semaines plus tard.

115.
    La lettre du 30 septembre 1996, qui avait été envoyée également aux concessionnaires ayant confirmé la régularité de leurs exportations, s'expliquerait par le fait que les audits avaient révélé que 17 des 21 concessionnaires ayant fait l'objet d'un audit avaient violé le contrat de concession. Les entretiens avec les chefs de district auraient eu pour but de faire des recherches préliminaires afin de déterminer la nature des exportations.

116.
    En ce qui concerne la première phase dite des «réflexions et instructions internes», la Commission observe à titre liminaire que les documents internes cités dans la décision attaquée, bien qu'ils ne soient pas communiqués aux concessionnaires, sont utiles pour interpréter le contenu de la politique d'Opel Nederland et, notamment, pour réfuter les arguments des requérantes selon lesquels, quelles qu'aient été les informations «erronément» notifiées aux concessionnaires, la politique de l'entreprise ne tendait qu'à lutter contre les exportations non autorisées.

117.
    En ce qui concerne la deuxième phase, la Commission considère que la lettre des 28 et 29 août 1996 avait pour but de créer une atmosphère menaçante dissuadant les concessionnaires de réaliser même des exportations autorisées et, en tout état de cause, de résister à toute initiative future d'Opel Nederland visant à empêcher ou à réduire l'ensemble des exportations.

118.
    D'une part, cette interprétation serait confortée par l'absence d'indice qu'Opel Nederland aurait agi sur la base de preuves que la réalisation des objectifs de vente par tous les concessionnaires dans leurs territoires contractuels respectifs avait été effectivement affectée. Il n'y aurait pas de raison que les résultats locaux soient affectés, à condition qu'Opel Nederland ne restreigne pas les livraisons. Notamment, les mentions de soupçons d'un comportement non conforme à la lettre et à l'esprit du contrat de concession, avant l'audit et sans citer de preuves d'un manquement, revêtiraient un caractère menaçant, ce qui serait confirmé par l'envoi d'une deuxième lettre de mise en garde, en réponse aux protestations légitimes de certains concessionnaires.

119.
    D'autre part, l'objectif de sensibilisation des concessionnaires à la stratégie élaborée par Opel Nederland en vue de restreindre même les ventes à l'exportation régulières ressortirait des rapports disponibles sur les contacts avec certains concessionnaires. Cela vaudrait, en particulier, pour la réaction du directeur des ventes et du marketing à la réponse de Wolves Autoservices à la première lettre. Bien que Wolves ait soutenu n'avoir vendu qu'à des consommateurs finals allemands et n'ait pas encore fait l'objet d'un audit, le directeur en question aurait demandé au chef de district responsable d'informer Wolves qu'«il [était] mandaté avant tout pour opérer sur son propre territoire» et que «les Pays-Bas [étaient] prioritaires».

120.
    L'allégation des requérantes, selon laquelle l'engagement du concessionnaire Van Zijll de mettre un terme aux exportations était unilatéral, serait indéfendable. En effet, la lettre des 28 et 29 août 1996 aurait été précédée d'une discussion avec le responsable des ventes d'Opel Nederland au sujet d'«exportations excessives» et aurait été immédiatement suivie d'une réunion avec un directeur de sa société mère Nimox, qui aurait promis de discuter de la question avec Van Zijll afin d'y mettre un terme.

121.
    L'engagement, obtenu du concessionnaire Staals deux jours plus tard, de ne plus exporter aucun véhicule neuf ne serait pas non plus un acte unilatéral.

122.
    L'argument des requérantes, selon lequel les concessionnaires réalisaient que leurs exportations n'étaient pas conformes au contrat de concession, ne tiendrait pas compte du fait que deux concessionnaires, à savoir Loven et Spoormaker, ont pris le même engagement d'arrêter toutes les exportations, alors qu'ils n'avaient réalisé que des exportations autorisées.

123.
    S'agissant de la troisième phase, la Commission estime que les audits n'avaient pas uniquement pour but d'identifier les concessionnaires ayant agi irrégulièrement. Le refus de communiquer des informations sur les campagnes promotionnelles en cours avant que leurs déclarations n'aient été vérifiées par le département chargé des audits aurait eu pour effet de pénaliser tous les exportateurs et aurait donc renforcé le message selon lequel toutes les exportations devaient cesser ou être réduites.

124.
    La Commission rappelle que la grande majorité des concessionnaires concernés ont répondu à la lettre des 28 et 29 août 1996 que leurs ventes étaient parfaitement conformes au contrat de concession. Bien que, à la fin du mois de septembre, Opel Nederland n'ait pas encore été en mesure de prouver le contraire, elle aurait néanmoins écrit, dans la seconde lettre du 30 septembre 1996, ce qui suit: «Votre réponse nous a déçus, car elle signifie que vous n'avez aucune notion des intérêts communs de l'ensemble des concessionnaires d'Opel et Opel Nederland.» Les concessionnaires auraient très bien pu se demander ce que l'on attendait d'eux en matière d'exportation, dans l'«intérêt commun», en plus de leur respect affirmé du contrat de concession.

125.
    La Commission estime qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'acceptation expresse par tous les concessionnaires de la politique d'interdiction d'exporter. Les concessionnaires seraient réputés, en vertu de l'article 7.3 des dispositions additionnelles du contrat de concession, avoir accepté cette politique dès qu'elle leur a été communiquée. En conséquence, les preuves que certains concessionnaires avaient conclu des accords explicites avec Opel Nederland pour cesser les exportations ne feraient que renforcer cette conclusion.

126.
    La Commission fait valoir qu'un accord de cessation d'exportation relativement court peut constituer, au cours de sa durée d'application, une restriction appréciable de la concurrence. Dès lors, les effets d'un tel accord sur la concurrence ne sont pas déterminés par rapport à sa durée, qui est prise en compte dans le calcul du montant de l'amende.

127.
    Les concessionnaires qui étaient expressément convenus de cesser leurs activités d'exportation représenteraient 65 % des exportations durant la période en cause.

128.
    La Commission conteste l'allégation des requérantes selon laquelle les accords ne concernaient que les exportations vers l'Allemagne. Les efforts d'Opel Nederland auraient frappé les exportateurs de véhicules en Allemagne et en Autriche, car ces deux pays étaient vraisemblablement les principales destinations des activités d'exportation, mais les mesures auraient également affecté les exportations vers tous les États membres. En tout état de cause, le cloisonnement démontrable du marché néerlandais par rapport au marché allemand suffirait en lui-même à établir un effet appréciable sur les échanges entre États membres.

129.
    La Commission rappelle, en se référant à l'arrêt Volkswagen/Commission, précité, que, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. Les mesures analysées seraient par nature susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres. Elles permettraient d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'elles peuvent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur le courant d'échanges entre États membres.

Appréciation du Tribunal

Considérations liminaires

130.
    La troisième mesure, prétendument prise par Opel Nederland, consiste, selon le considérant 110 de la décision attaquée, en une interdiction et/ou une réduction directe des exportations, mise en oeuvre au moyen d'injonctions et d'interdictions adressées aux concessionnaires de réaliser des ventes à l'exportation. Selon le considérant cité, de nombreux concessionnaires se sont engagés, à la suite de ces injonctions, à s'abstenir de réaliser de telles ventes.

131.
    Aux considérants 79 à 87 de la décision attaquée figurent les éléments qui constituent, selon la Commission, les preuves d'où il ressort que des injonctions ont été adressées à une dizaine de concessionnaires (à savoir Van Zijll, Wolves, Staals, Spoormaker, Hemera, Göttgens-Beek, Loven, Canton-Reiss, Welling et Nedam) et que ceux-ci se sont alors engagés vis-à-vis d'Opel Nederland à ne pas effectuer de nouvelles ventes à l'exportation.

132.
    La Commission distingue trois phases dans la genèse et la mise en oeuvre de cette mesure: la première est intitulée «réflexions et instructions internes», la deuxième «la ‘première lettre de mise en garde’ [à savoir la lettre aux concessionnaires des 28 et 29 août 1996] et les événements consécutifs» et la troisième «la décision du 26 septembre 1996 et les événements consécutifs».

133.
    Selon les considérants 168 et 169 de la décision attaquée, la mesure a été mise en oeuvre depuis la fin du mois d'août ou au début du mois de septembre 1996 jusqu'au mois de décembre 1996. La date de départ, fin du mois d' août au début du mois de septembre 1996, se rapporte à l'engagement du concessionnaire Van Zijll exprimé dans une lettre du 31 août 1996. La date de fin, décembre 1996, se rapporte à la deuxième lettre circulaire «corrective» d'Opel Nederland aux concessionnaires du 12 décembre 1996.

134.
    Il convient de souligner d'emblée que la Commission ne prétend pas que des infractions au droit de la concurrence ont eu lieu pendant la première phase. La description de cette phase, aux considérants 59 à 69 de la décision attaquée, sert à établir le contexte dans lequel, selon la Commission, la mesure a été étudiée et élaborée par les responsables d'Opel Nederland sur le plan interne. Par ailleurs, y est relevé un événement qui aurait eu lieu en juin 1995, à savoir une injonction au concessionnaire Lathouwers de ne pas exporter de modèles Tigra, mais cet événement n'est pas pertinent pour la décision attaquée, qui concerne des mesures prétendument prises à partir de la fin du mois d'août ou au début du mois de septembre 1996.

135.
    Le Tribunal examinera dès lors les arguments des parties relatifs aux deuxième et troisième phases, comme indiquées dans la décision attaquée, et, en premier lieu, l'allégation centrale de la Commission selon laquelle il a été enjoint aux dix concessionnaires mentionnés de ne pas effectuer des ventes à l'exportation et selon laquelle ils s'y sont engagés.

Sur les injonctions aux concessionnaires

- Van Zijll

136.
    Il n'est pas contesté par les requérantes que le concessionnaire Van Zijll s'est engagé, par une lettre du 23 août 1996, à cesser immédiatement ses activités à l'exportation et qu'il a renouvelé cet engagement lors d'une rencontre avec le directeur des ventes et du marketing d'Opel Nederland le 17 septembre 1996.

137.
    La lettre du 23 août 1996 ne figure pas parmi les pièces du dossier, mais son existence découle d'une lettre de Van Zijll à Opel Nederland du 4 novembre 1996 (voir les considérants 80 et 81 de la décision attaquée).

138.
    La question se pose de savoir si l'engagement de Van Zijll a été un acte unilatéral, comme le prétendent les requérantes, ou un acte en réponse à une incitation ou une injonction de la part d'Opel Nederland, comme le soutient la Commission.

139.
    À cet égard, il importe de relever que, dans les deux documents des responsables d'Opel Nederland du 18 septembre 1996, cités au considérant 80 de la décision attaquée, il est écrit, respectivement, après plusieurs entretiens entre Van Zijll et des responsables d'Opel Nederland, ce qui suit: «Van Zijll, le plus important [exportateur], a accepté d'arrêter... Nous [à savoir MM. Nefkens de NIMOX, la société mère de Van Zijll, Kirpestein (de Van Zijll) et De Heer (d'Opel Nederland] avons conven[u] de cesser les activités à l'exportation.» Ces documents témoignent du fait que l'engagement de Van Zijll a été obtenu après une intervention d'Opel Nederland. Il est, d'ailleurs, peu plausible que le concessionnaire ait mis fin de sa propre initiative à ses exportations, à l'encontre de ses intérêts commerciaux.

- Staals

140.
    Il est constant entre les parties que le concessionnaire Staals a exprimé, dans sa lettre à Opel Nederland du 20 septembre 1996 (citée au considérant 83 de la décision attaquée), son engagement de ne plus effectuer d'exportations, «eu égard aux désavantages qui peuvent en résulter» pour Opel Nederland comme pour Staals.

141.
    La thèse de la Commission, selon laquelle l'engagement de ce concessionnaire a été obtenu après intervention de la part d'Opel Nederland, est corroboré par le document du 18 septembre 1996, cité au point 139 ci-dessus, dans lequel il est écrit:

«[...] Nous nous efforçons, dans la mesure de nos possibilités, d'en finir avec les activités à l'exportation; Van Zijll, le plus important [exportateur] a accepté d'arrêter. Nous nous occupons des autres.»

142.
    Comme dans le cas de Van Zijll, il est d'ailleurs peu plausible que Staals ait mis fin de sa propre initiative à ses exportations, à l'encontre de ses intérêts commerciaux.

- Spoormaker

143.
    Il n'est pas contesté par les requérantes qu'il a été enjoint au concessionnaire Spoormaker, qui avait reçu une commande d'un concessionnaire Opel autrichien pour 14 véhicules du type Astra, dès juillet 1996, de ne pas accepter ce type de commandes. Il n'est pas non plus contesté qu'il découle d'un document d'Opel Nederland du 2 octobre 1996, cité au considérant 87 de la décision attaquée, qu'il a réitéré son engagement après un entretien avec le chef de district le 1er octobre 1996.

- Hemera, Götggens-Beek, Loven, Canton-Reiss, Welling, Nedam

144.
    Il découle d'un courrier interne d'un chef de district d'Opel Nederland du 5 octobre 1996, cité au considérant 84 de la décision attaquée, que ces six concessionnaires se sont tous engagés à cesser immédiatement leurs exportations à la suite des visites introductives des chefs de district, effectuées conformément à la décision prise par Opel Nederland le 26 septembre 1996.

- Wolves

145.
    Au considérant 82 de la décision attaquée, il est fait mention du concessionnaire Wolves Autoservice. Selon une note manuscrite du directeur des ventes et du marketing d'Opel Nederland sur la lettre de réponse de ce concessionnaire à la lettre d'Opel Nederland des 28 et 29 août 1996, citée au considérant 82 de la décision attaquée, il était demandé au chef de district responsable d'enjoindre à ce concessionnaire de se concentrer sur son propre territoire contractuel. La décision attaquée ne fait cependant pas mention de documents ou d'autres preuves dont il ressortirait que Wolves s'est engagé à ne pas exporter.

146.
    Au regard des considérations précédentes, le Tribunal estime que la Commission a réuni des éléments de preuve suffisamment précis et concordants pour fonder la ferme conviction que neuf concessionnaires (à savoir Van Zijll, Staals, Spoormaker, Hemera, Göttgens-Beek, Loven, Canton-Reiss, Welling et Nedam) ont effectivement, à partir de la fin du mois d'août ou au début du mois de septembre 1996, pris l'engagement de ne plus effectuer des ventes à l'exportation, et cela à la suite d'une incitation à cette fin d'Opel Nederland.

147.
    Résultant d'une rencontre de volontés entre Opel Nederland et les concessionnaires en cause, la mesure constitue un «accord» au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, qui s'insère dans les relations contractuelles existantes entre les parties. Il y a encore lieu de préciser que, comme la Commission l'a relevé à juste titre au considérant 117 de la décision attaquée, le fait que le consentement des concessionnaires n'ait pas été donné sans une certaine pression de la part d'Opel Nederland ne saurait remettre en cause l'existence d'un accord.

148.
    La thèse des requérantes, selon laquelle les engagements des concessionnaires avaient un caractère unilatéral, ne peut dès lors être retenue.

149.
    Par ailleurs, contrairement à ce qu'exposent les requérantes, ces engagements ne peuvent être interprétés comme résultant de la «mauvaise conscience» des concessionnaires d'avoir effectué des ventes non conformes au contrat de concession applicable. En effet, il s'est avéré, après les audits, que les concessionnaires Loven et Spoormaker n'avaient jamais réalisé d'exportations non conformes aux dispositions contractuelles. De plus, une «mauvaise conscience» aurait pu être à l'origine d'un engagement de ne plus vendre à des revendeurs non agréés, mais elle ne peut expliquer un engagement inconditionnel d'arrêter toutes les exportations.

150.
    Il importe encore de souligner que la décision attaquée ne contient pas de preuves du fait que, hormis les neufs concessionnaires cités, d'autres concessionnaires aient exprimé le même engagement. La thèse de la Commission selon laquelle il ne s'agit pas uniquement des neuf concessionnaires pour lesquels il existe la preuve d'un engagement exprès, mais de la totalité des vingt concessionnaires identifiés comme exportateurs, ne peut donc être retenue.

151.
    Toutefois, selon les chiffres de la Commission, mentionnés au considérant 99 de la décision attaquée, les neufs concessionnaires en cause représentaient, à la fin du mois de juin 1996, environ 65 % de toutes les exportations effectuées. Ces chiffres ne sont pas contestés. La Commission en a déduit à juste titre qu'Opel Nederland était assurée, grâce à ces seuls engagements, d'obtenir une réduction considérable du volume des exportations.

152.
    L'argument des requérantes, selon lequel les accords «éphémères» avec les neufs concessionnaires en question n'ont pas entraîné de restriction sensible de la concurrence, ni une affectation sensible du commerce entre États membres, ne peut être retenu.

153.
    En effet, la Commission soutient à juste titre qu'un accord de cessation d'exportation d'une durée relativement courte peut entraîner, au cours de son application, une restriction appréciable de la concurrence et une affectation sensible du commerce entre les États membres, et que la durée de l'infraction est un élément pris en considération pour le calcul du montant de l'amende. Or, eu égard à la position de la marque Opel sur les marchés automobiles, notamment néerlandais et allemand, au nombre de véhicules vendus à l'exportation à partir des Pays-Bas en 1996 et au fait que les neuf concessionnaires représentaient environ 65 % des exportations, l'effet de la mesure, sur le commerce entre États membres et sur le jeu de la concurrence, n'était pas, en tout état de cause, insignifiant, au sens des arrêts Völk, précité (points 5 à 7), et Javico, précité (point 16).

154.
    Par ailleurs, ainsi qu'il a été relevé aux points 99 et 104 ci-dessus, la décision attaquée étant fondée essentiellement sur la thèse selon laquelle les mesures prises par Opel Nederland avaient pour objet la restriction de la concurrence, la Commission n'était pas tenue de démontrer leur effet. Or, il ressort de l'appréciation du premier moyen qu'il est établi qu'Opel Nederland a adopté ses mesures dans le cadre d'une stratégie qui visait la limitation des exportations. Pour ce qui est, plus particulièrement, de la mesure d'interdiction directe, le document d'Opel Nederland du 23 août 1996, cité au considérant 65 de la décision attaquée, corrobore cette analyse.

155.
    Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'examiner plus en avant les arguments des parties relatifs à l'appréciation des effets concrets de la mesure en cause.

156.
    Outre les injonctions et engagements, la Commission a également pris en considération les lettres d'Opel Nederland aux concessionnaires exportateurs des 28 et 29 août et du 30 septembre 1996, qu'elle qualifie de lettres «de mise en garde», ainsi que les audits, effectués chez les concessionnaires exportateurs au courant du mois de septembre et jusqu'au mois de novembre 1996, qui avaient, selon la Commission, également un caractère menaçant.

157.
    Bien que ces qualifications ne soient pas dénuées de tout fondement, au regard du libellé des deux lettres et du contexte dans lequel ces mesures ont été élaborées, le Tribunal estime que la Commission n'a pas prouvé à suffisance de droit que ces actes font partie de l'infraction. En effet, les deux lettres et les audits en question peuvent également être interprétés comme ayant eu un caractère licite, à savoir effectuer un contrôle sur les ventes à l'exportation afin de pouvoir détecter des ventes non conformes aux contrats de concession. Sous réserve de ces précisions, l'existence de la troisième mesure est établie.

158.
    Quant à la durée de la mesure, le Tribunal estime que la Commission soutient à juste titre que la lettre circulaire du 24 octobre 1996 ne peut être considérée comme suffisante pour mettre un terme à l'infraction en ce qui concerne l'interdiction des exportations destinées aux concessionnaires Opel agréés. En effet, cette lettre concerne les ventes aux consommateurs finals résidant dans d'autres États membres et elle ne clarifie pas le caractère licite des ventes à d'autres concessionnaires Opel établis dans d'autres États membres.

159.
    Il s'ensuit que le quatrième moyen des requérantes n'est pas fondé.

E - Sur le moyen subsidiaire, tiré d'une violation du principe de proportionnalité et des lignes directrices de la Commission en matière d'amendes

160.
    L'appréciation des quatre moyens principaux ne conduit pas à l'annulation de l'ensemble de la décision attaquée. Il y a dès lors lieu d'analyser le cinquième moyen, invoqué à titre subsidiaire.

Arguments des parties

161.
    Les requérantes soutiennent, à titre subsidiaire, que l'amende infligée de 43 millions d'euros est sans lien raisonnable avec la gravité et la durée de l'infraction. En fixant l'amende à 43 millions d'euros, la Commission aurait violé l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, le principe de proportionnalité et ses propres lignes directrices pour le calcul du montant des amendes. De plus, la Commission n'aurait pas tenu compte de l'absence d'intention infractionnelle, de l'impact limité de l'infraction sur le commerce intracommunautaire et des mesures correctives prises immédiatement par Opel Nederland de sa propre initiative.

162.
    Les requérantes estiment que la nature de l'infraction ne saurait être caractérisée de «très grave». La Commission supposerait à tort une politique générale de restriction de toutes les exportations, bien qu'Opel Nederland ait cherché uniquement à protéger l'intégrité de son système de distribution et à s'assurer que les primes de campagnes spéciales destinées à stimuler les ventes aux Pays-Bas servaient leur objectif.

163.
    La décision attaquée conclurait de façon erronée que l'infraction a eu un impact sensible sur le marché dans la totalité de l'Union européenne. La Commission commettrait une erreur en déclarant que l'objet d'une mesure suffit pour établir l'existence d'une infraction. Les lignes directrices requerraient une appréciation de l'impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable. La Commission aurait refusé de prendre en considération les preuves économiques fournies par le rapport du NERA, selon lesquelles les mesures contestées ont eu peu ou pas d'impact.

164.
     Les requérantes font valoir que la simple hypothèse que l'un quelconque des neufs concessionnaires ait pu, pendant la brève période concernée, réaliser des ventes régulières à l'exportation au Royaume-Uni ou dans tout autre État membre ne suffit pas à établir que la zone géographique affectée a compris d'autres États membres que les Pays-Bas et l'Allemagne.

165.
    Une base de 40 millions d'euros pour l'amende, sanctionnant une infraction ayant duré tout au plus 104 jours, serait exagérée, en particulier parce que l'infraction aurait été commise vis-à-vis d'un nombre très limité de concessionnaires. La décision ne motiverait aucunement le montant de base.

166.
    En outre, il n'existerait aucun repère susceptible de permettre aux requérantes de comparer le niveau du montant de base aux montants correspondants dans d'autres décisions de la Commission dans ce domaine.

167.
    La décision serait erronée en ce qu'elle fixe la période de l'infraction du 31 août 1996 au 20 janvier 1998, bien que la prétendue infraction n'ait duré tout au plus que du 31 août 1996 au 24 octobre 1996, en ce qui concerne les ventes à des consommateurs finals, du début du mois d'octobre 1996 jusqu'au 12 décembre 1996, en ce qui concerne les ventes à d'autres concessionnaires Opel, et du début du mois d'octobre 1996 jusqu'au 24 octobre 1996, en ce qui concerne la politique des primes restrictives. Une amende totale de 43 millions d'euros, dont 3 millions d'euros correspondant uniquement à la durée de l'infraction, pour une infraction ayant duré trois mois serait excessive au vu de la pratique antérieure de la Commission en la matière.

168.
    Les requérantes estiment que la décision a également enfreint les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes en ne tenant pas compte des circonstances atténuantes, telles que la non application effective des accords ou pratiques infractionnelles, la cessation des infractions avant et au moment des premières interventions de la Commission, l'existence d'un doute raisonnable de l'entreprise sur le caractère infractionnel du comportement restrictif et la nature non intentionnelle des infractions. Chacun de ces éléments s'appliquerait en l'espèce.

169.
    Ainsi que les requérantes l'ont soutenu dans le cadre des deuxième et quatrième moyens, la prétendue politique restrictive n'aurait jamais été mise en oeuvre dans la pratique. Opel Nederland n'aurait jamais cherché à appliquer une interdiction directe des exportations sans distinction et, en tout état de cause, la prétendue interdiction d'exporter n'aurait impliqué que neuf concessionnaires.

170.
    Opel Nederland aurait été victime d'une fraude massive et elle aurait cherché en toute légalité à limiter les ventes destinées à des revendeurs non agréés et à assurer l'efficacité de ses campagnes de primes au détail.

171.
    Par ses lettres circulaires des 24 octobre 1996 et 12 décembre 1996, Opel Nederland aurait immédiatement pris des mesures correctives.

172.
    Opel Nederland aurait eu de bonnes raisons de penser que sa politique en matière de primes était compatible avec le droit de la concurrence. Selon elle, la Commission n'aurait pas dû attendre avril 1999 pour l'informer, dans sa communication des griefs, qu'elle estimait la politique de primes en question contraire à l'article 81 CE.

173.
    Enfin, une éventuelle violation de l'article 81 CE serait en grande partie due à un malentendu temporaire quant à la légalité des tentatives d'Opel Nederland de protéger l'intégrité de son système de distribution sélective.

174.
    La Commission fait valoir que la gravité de l'infraction ressort du fait qu'Opel Nederland a délibérément décidé de lutter contre les exportations régulières et irrégulières de ses concessionnaires. L'affirmation des requérantes, selon laquelle l'infraction a été de courte durée, reposerait sur le postulat erroné que l'infraction s'est limitée à la période pendant laquelle les trois volets de la stratégie de cloisonnement du marché étaient d'application. En réalité, le système d'octroi des primes serait en soi une infraction aux règles de la concurrence, aggravée par les autres dispositifs de la campagne. Dans l'arrêt Volkswagen/Commission, précité, le Tribunal n'aurait pas mis en doute la conclusion de la Commission selon laquelle un régime de prime discriminatoire constitue, en soi, une infraction très grave. De plus, la durée de l'infraction serait un élément à prendre en compte non pas dans l'appréciation de la gravité de l'infraction ou dans le calcul du montant de départ, mais dans la fixation du montant final de l'amende.

175.
    La Commission estime avoir apprécié correctement l'impact réel de l'infraction sur le marché, étant donné que les marchés où le niveau des prix hors taxe était sensiblement plus élevé qu'aux Pays-Bas, comme l'Allemagne, seraient des sources potentielles d'une demande d'exportation. Cette analyse du marché aurait été confirmée par l'arrêt Volkswagen/Commission, précité, dans lequel le Tribunal aurait dit pour droit que, dès lors que la Commission a constaté qu'un constructeur automobile a cloisonné un marché national, il s'ensuit intrinsèquement que les transactions vers l'ensemble des autres États membres sont susceptibles d'être affectées. Les chiffres disponibles ne permettraient d'ailleurs pas d'évaluer avec précision l'incidence de l'infraction dans son ensemble ou celle de ses différentes composantes sur le volume des exportations.

176.
    La Commission met en doute plusieurs des conclusions que les requérantes tirent du rapport du NERA. Ce rapport ne prendrait en compte que les effets de l'infraction sur les consommateurs finals allemands et n'examinerait pas les incidences sur les concessionnaires Opel établis hors des Pays-Bas. Il s'appuierait sur le postulat erroné que les restrictions à l'exportation n'auraient causé aucun préjudice aux consommateurs dès lors que ceux-ci étaient en mesure d'importer des Pays-Bas une voiture équivalente d'une autre marque ou d'acquérir le modèle Opel souhaité dans un autre État membre où le niveau de prix était bas. Le rapport méconnaîtrait donc les effets de l'infraction sur l'exercice par les consommateurs communautaires de leur droit d'acheter la voiture de leur choix dans l'État membre de leur choix.

177.
    La Commission observe que la fixation du montant d'une amende n'est pas un exercice purement mathématique. Chaque cas serait apprécié séparément et elle aurait tenu compte, dans certaines des affaires mentionnées par les requérantes, de circonstances atténuantes qui feraient défaut en l'espèce. Elle soutient que l'amende de base de 40 millions d'euros est bien conforme à sa pratique antérieure dans ce domaine.

178.
    La Commission rappelle que la Cour, dans son arrêt du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 106), a considéré que le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes n'a pas seulement pour but de sanctionner des infractions individuelles, mais aussi pour objet de poursuivre une politique générale en matière de concurrence. Par conséquent, lorsqu'elle évalue la gravité d'une infraction, la Commission devrait prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l'espèce, mais également le contexte dans lequel l'infraction est commise et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d'infractions particulièrement nuisibles. De plus, la Cour aurait déclaré qu'il était loisible à la Commission d'élever le niveau des amendes lorsqu'elle se trouve confrontée à des infractions récurrentes dont l'illégalité est bien établie. Il semblerait normal qu'une infraction claire, délibérée et très grave aux règles de la concurrence en vue d'isoler un marché national du reste de la Communauté, commise par un producteur important d'un produit de grande valeur et qui n'a pas été dissuadé d'agir de la sorte en dépit des efforts déployés depuis plus de 30 ans par la Commission, soit passible d'une amende d'un montant de départ de 40 millions d'euros.

179.
    Selon la Commission, aucune des circonstances atténuantes, invoquées par les requérantes, n'est à retenir dans le cas d'espèce.

Appréciation du Tribunal

Considérations liminaires

180.
    Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article [81], paragraphe 1, CE des amendes de 1 000 euros au moins et de 1 million d'euros au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée.

181.
    Selon l'article 17 de ce même règlement, la Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l'article 172 du traité (devenu article 229 CE) sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte et elle peut supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée.

182.
    En 1998, la Commission a adopté les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes en vue, selon le premier considérant de ce document, d'assurer la transparence et le caractère objectif de ses décisions dans ce domaine.

183.
    Selon le deuxième considérant des lignes directrices, la nouvelle méthodologie de la Commission applicable pour le montant de l'amende obéit au schéma prévu par les lignes directrices, qui repose sur la fixation d'un montant de base auquel s'appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes. Le montant de base est, selon le point 1 des lignes directrices, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction.

184.
     Le point 1 A, des lignes directrices énonce que l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné. Les infractions sont ainsi classées en trois catégories, permettant de distinguer les infractions peu graves (montants envisageables: de 1 000 à 1 million d'euros), les infractions graves (montants envisageables: de 1 million à 20 millions d'euros) et les infractions très graves (montants envisageables: au-delà de 20 millions d'euros).

185.
    Selon le point 1 B, des lignes directrices, la durée de l'infraction devrait être prise en considération de manière à distinguer les infractions de courte durée (en général inférieure à un an; aucun montant additionnel), les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans; montant additionnel pouvant aller jusqu'à 50 % du montant retenu pour la gravité de l'infraction) et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans; montant additionnel pouvant être fixé pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l'infraction).

186.
    Aux points 2 et 3, les lignes directrices énumèrent, d'une manière non limitative, des circonstances aggravantes et atténuantes que la Commission prendra, le cas échéant, en compte.

187.
    Il convient de constater que, dans la décision attaquée, aucune référence explicite n'est faite aux lignes directrices. En revanche, dans ses mémoires, la Commission explique et justifie l'imposition de l'amende à la lumière des lignes directrices.

188.
    Il y a lieu de préciser que les lignes directrices ne préjugent pas de l'appréciation de l'amende par le juge communautaire, qui dispose à cet égard, en vertu de l'article 17 du règlement n° 17, d'une compétence de pleine juridiction. D'autre part, si la Commission peut déterminer le montant de l'amende conformément à la méthode des lignes directrices, elle est tenue de rester dans le cadre des sanctions définies par l'article 15 du règlement n° 17.

189.
    Ensuite, il convient de rappeler que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54, et arrêt Ferriere Nord/Commission, précité, point 33). En outre, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127). Il incombe néanmoins au Tribunal de contrôler si le montant de l'amende infligée est proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l'infraction (arrêt Deutsche Bahn/Commission, précité, point 127) et de mettre en balance la gravité de l'infraction et les circonstances invoquées par la requérante (arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333/94 P, Rec. p. I-5951, point 48).

Sur l'amende

190.
    Aux considérants 175 à 202 de la décision attaquée, la Commission expose les arguments qui l'ont amenée à infliger une amende de 43 millions d'euros aux requérantes, qui sont, selon l'article 3 de la décision attaquée, tenues solidairement au paiement. En résumé, la Commission qualifie l'infraction de «très grave», en prenant en considération sa nature, son incidence effective sur le marché lorsqu'elle est mesurable et la taille du marché géographique en cause, et de «moyenne durée», tandis qu'elle n'a pas retenu de circonstances atténuantes, ni de circonstances aggravantes.

191.
    Le Tribunal estime que la qualification de l'infraction de «très grave» est justifiée et dûment motivée dans la décision attaquée. En faisant abstraction de sa durée, l'infraction avait pour objet le cloisonnement du marché intérieur. Une telle infraction patente au droit de la concurrence est, par sa nature, particulièrement grave. Elle contrarie les objectifs les plus fondamentaux de la Communauté et, en particulier, la réalisation du marché unique (arrêt du Tribunal du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T-9/92, Rec. p. II-493, point 42).

192.
    L'infraction revêt un caractère de gravité accru par la taille des requérantes et l'importance de la marque Opel sur le marche européen, plus particulièrement les marchés néerlandais et allemand (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 120), et par le fait qu'elle a été commise malgré l'avertissement que constitue la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et la jurisprudence constante en matière d'importations parallèles, plus particulièrement dans le secteur automobile.

193.
    Quant à l'incidence de l'infraction sur le marché et la taille du marché géographique en cause, la Commission expose d'abord, au considérant 184 de la décision attaquée, que l'infraction porte sur le marché néerlandais de la vente de véhicules automobiles neufs, mais qu'elle a également déployé ses effets sur les marchés dans d'autres États membres, plus particulièrement l'Allemagne.

194.
    Cette appréciation est également fondée. L'infraction concerne en premier lieu les marchés néerlandais et allemands, mais, en principe, les marchés de tous les États membres où le prix hors taxes des voitures Opel était, lors de la période concernée, sensiblement plus élevé qu'aux Pays-Bas peuvent être considérés comme sources potentielles d'une demande d'exportation. Il y a lieu d'admettre, cependant, que la Commission n'a pas fourni d'indices concrets de l'existence, pendant la période concernée, d'une demande venant de consommateurs ou de concessionnaires Opel, résidents ou établis dans d'autres États membres que l'Allemagne, à l'exception d'une demande, en juillet 1996, venant d'un concessionnaire Opel établi en Autriche, mentionnée au considérant 86 de la décision attaquée.

195.
    La Commission expose ensuite, au considérant 185 de la décision attaquée, que l'objet anticoncurrentiel d'une mesure suffit pour établir l'existence d'une infraction et que l'article 15 du règlement n° 17 ne spécifie pas que l'infraction doit être appréciée par rapport aux résultats effectivement obtenus sur le marché, c'est-à-dire par rapport aux préjudices causés aux acheteurs des produits en cause.

196.
    Bien que cette thèse ne soit pas incorrecte, la Commission omet de relever que, dans ses propres lignes directrices, au point 1 A, elle s'est explicitement engagée à prendre en considération, pour l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction, outre la nature propre de l'infraction et l'étendue du marché géographique concerné, son impact concret sur le marche lorsqu'il est mesurable. Dans le cas présent, tous ces critères sont, par ailleurs, évoqués au considérant 177 de la décision attaquée.

197.
    Cependant, comme il a été relevé au point 105 ci-dessus, la Commission soutient à juste titre qu'il est, dans le cas d'espèce, impossible de déterminer le nombre d'exportations que les mesures ont effectivement empêchées. Eu égard au volume réalisé dans les sept premiers mois de 1996 (selon le considérant 64 de la décision attaquée, 1496 véhicules exportés), il est toutefois raisonnable de supposer que l'impact de la troisième mesure, consistant en une restriction directe des exportations des neuf concessionnaires en cause, a été considérable. Les chiffres fournis par les requérantes en réponse à une question écrite du Tribunal semblent par ailleurs indiquer que le nombre de commandes de plusieurs des 21 concessionnaires «exportateurs» en octobre, en novembre et en décembre 1996 avait sensiblement baissé par rapport aux mois précédents de la même année. L'impact de la politique de primes est, en revanche, plus incertain, étant donné que les ventes à l'exportation étaient devenues moins avantageuses, à la suite de l'introduction de la politique en matière de primes, mais qu'il n'est pas établi que celles-ci étaient devenues non rentables.

198.
    La Commission a également pris en considération, aux considérants 189 à 193 de la décision attaquée, le fait qu'Opel Nederland a agi délibérément et qu'elle ne pouvait ignorer que les mesures en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence. Cette appréciation est également justifiée. Il ressort des documents des 3 et 12 septembre 1996, cités aux considérants 51 et 27 de la décision attaquée, qu' Opel Nederland était consciente du fait que la restriction des exportations et la politique de primes sont interdites par le droit communautaire. Dans la mesure où elle avait un doute sur la compatibilité de sa politique en matière de primes avec le droit de la concurrence, elle a omis de se mettre en rapport avec la Commission à ce sujet, avant ou après les vérifications effectuées en décembre 1996. Dans ces conditions, les requérantes ne peuvent se prévaloir de l'argument selon lequel la Commission n'aurait pas dû attendre avril 1999 pour informer Opel Nederland, dans sa communication des griefs, qu'elle estimait la politique de primes en cause contraire à l'article 81 CE.

199.
    Eu égard à la gravité de l'infraction, la Commission considère qu'un montant de 40 millions d'euros constitue une base appropriée pour fixer le montant de base. Le Tribunal estime que ce montant est, dans les circonstances de l'espèce et dans l'hypothèse de l'existence des trois mesures alléguées, justifié et dûment motivé dans la décision attaquée, même en tenant compte des réserves, émises aux points 150, 157, 194 et 197 ci-dessus, au sujet du nombre de concessionnaires engagés, du caractère illicite des lettres des 28 et 29 août et 30 septembre 1996 et des audits, du marché géographique concerné et de l'impact concret de l'infraction.

200.
    Cependant, il y a lieu de réduire ce montant eu égard au fait que l'existence de la mesure d'approvisionnement restrictive n'a pas été établie. En effet, la Commission a évalué la gravité de l'infraction également en fonction du nombre de mesures alléguées. Dans les circonstances de l'espèce, le Tribunal estime approprié de fixer le montant de base, pour ce qui est de la gravité de l'infraction, à 33 millions d'euros.

201.
    Quant à la durée de l'infraction, il est établi que celle-ci a duré de la fin du mois d'août ou du début du mois de septembre 1996 jusqu'à janvier 1998, soit 17 mois. Aux termes des lignes directrices, il s'agit dès lors d'une infraction d'une durée moyenne, qui permet une majoration pouvant aller jusqu'à 50 % du montant retenu pour la gravité de l'infraction.

202.
    Dans le cas d'espèce, la Commission a, en prenant en considération la durée respective des trois mesures alléguées, opéré une majoration de 7,5 % du montant de 40 millions d'euros, soit 3 millions d'euros, ce qui a porté le montant de base de l'amende à 43 millions d'euros.

203.
    Le Tribunal peut se rallier à cette approche, qui prend notamment en considération le fait qu'il a été mis fin aux interdictions directes, respectivement, à la fin du mois d'octobre 1996 et à la fin du mois de décembre 1996. En tenant compte de la réduction du montant de l'amende pour ce qui est de la gravité de l'infraction, la majoration de 7,5 % s'applique dès lors au montant de 33 millions d'euros, soit 2 475 000 euros, ce qui porte le montant de l'amende à 35 475 000 euros.

204.
    Enfin, le Tribunal estime que la Commission n'était pas tenue de retenir des circonstances atténuantes, telles qu'invoquées par les requérantes. En effet, il découle des considérations précédentes que les cas de figure d'une non application effective des accords, tels que retenus par le Tribunal, d'une cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, ou d'une infraction de propos non délibéré, ne se présentent pas en l'espèce.

205.
    Il s'ensuit que le cinquième moyen ne peut être accueilli, sauf en ce qui concerne le montant de l'amende.

Sur les dépens

206.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes supporteront quatre cinquièmes de leurs propres dépens et quatre cinquièmes des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera un cinquième de ses propres dépens et un cinquième des dépens exposés par les requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision 2001/146/CE de la Commission, du 20 septembre 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (COMP/36.653 - Opel), est annulée en ce qu'elle constate l'existence d'une mesure d'approvisionnement restrictive contraire à l'article 81, paragraphe 1, CE.

2)    Le montant de l'amende infligée aux requérantes par l'article 3 de la décision attaquée est ramené à 35 475 000 euros.

3)    Le recours est rejeté pour le surplus.

4)    Les requérantes supporteront quatre cinquièmes de leurs propres dépens et quatre cinquièmes des dépens exposés par la Commission; la Commission supportera un cinquième de ses dépens et un cinquième des dépens exposés par les requérantes.

Forwood
Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 octobre 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

N. J. Forwood


1: Langue de procédure: l'anglais.