Language of document : ECLI:EU:C:2022:490

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 21 juin 2022 (1)

Affaire C284/21 P

Commission européenne

contre

Anthony Braesch,

Trinity Investments DAC,

Bybrook Capital Master Fund LP,

Bybrook Capital Hazelton Master Fund LP,

Bybrook Capital Badminton Fund LP

« Pourvoi – Aides d’État – Aide à la restructuration – Secteur bancaire – Phase préliminaire d’examen – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Recevabilité – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Qualité pour agir – Article 108, paragraphe 2, TFUE – Notion d’“intéressé” – Règlement (UE) 2015/1589 – Article 1er, sous h) – Notion de “partie intéressée” »






 Introduction

1.        Par son pourvoi, la Commission demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 février 2021, Braesch e.a./Commission (2), ayant déclaré recevable un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission européenne de ne pas soulever d’objections adoptée sur la base de l’article 4, paragraphe 3, du règlement (UE) 2015/1589 (3), par laquelle la Commission, aux termes de la phase préliminaire d’examen et sur la base des engagements offerts par les autorités italiennes, avait déclaré une aide d’État octroyée par la République italienne en faveur de Banca Monte dei Paschi di Siena (ci-après « BMPS ») compatible avec le marché intérieur (4).

2.        Cette affaire offre à la Cour l’occasion de préciser les conditions de recevabilité d’un recours contre une décision de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une mesure d’aide d’État et, plus particulièrement, les conditions auxquelles des personnes, qui ne sont pas des concurrents d’un bénéficiaire de cette mesure ni ne prétendent être affectées par celle-ci sur le marché, peuvent être qualifiées d’« intéressé[e]s », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ou de « parties intéressées », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 (5), afin de se prévaloir de la qualité pour agir contre cette décision.

 Les antécédents du litige

3.        Les requérants en première instance sont, s’agissant du premier (6), un représentant de détenteurs d’obligations dénommées « Floating Rate Equity-Linked Subordinated Hybrid-FRESH » 2008 (ci-après les « obligations FRESH ») et, pour ce qui est des autres requérants (7), des détentrices de ces obligations.

4.        Lesdites obligations ont été émises, au cours de l’année 2008, dans le cadre de l’opération suivante :

–        BMPS a effectué une augmentation de capital d’un montant de 950 millions d’euros réservée à J. P. Morgan Securities Ltd (ci-après « JPM »), laquelle a souscrit des actions de BMPS, à savoir les « actions FRESH », et a conclu avec BMPS un contrat d’usufruit, selon lequel elle conserve la nue-propriété de ces actions alors que BMPS a droit à l’usufruit, ainsi qu’un accord d’échange de sociétés (ci-après les « contrats FRESH ») ;

–        JPM a obtenu les fonds nécessaires à la souscription des actions FRESH de la part de Bank of New-York Mellon (Luxembourg), remplacée par Mitsubishi UFJ Investor Services & Banking SA (Luxembourg) (ci-après « MUFJ »), laquelle a émis les obligations FRESH, en vertu du droit luxembourgeois, pour un montant d’un milliard d’euros ;

–        en vertu d’un accord d’échange entre JPM et MUFJ et d’un contrat fiduciaire entre ce dernier et les détenteurs des obligations FRESH (8), qualifiés par les requérants d’« instruments FRESH », les redevances perçues par JPM de la part de BMPS au titre des contrats FRESH ont été transmises à MUFJ, puis aux détenteurs d’obligations FRESH sous forme de coupons.

5.        Les autorités italiennes ont adopté, au cours de l’année 2016, le décret-loi 237/2016 (9), fixant le cadre légal de l’aide de trésorerie et des recapitalisations préventives (10) et ont notifié à la Commission, au cours de l’année 2017, une aide à la recapitalisation de BMPS d’un montant de 5,4 milliards d’euros (ci-après l’« aide litigieuse ») (11), accompagnée d’un plan de restructuration et d’engagements (12).

6.        Le plan de restructuration prévoyait, notamment, des mesures de répartition des charges, par lesquelles les fonds propres, les titres hybrides et les titres de créance subordonnés contribuaient à compenser les pertes éventuelles de BMPS avant que l’aide d’État ne lui soit octroyée. Ces mesures ont comporté l’annulation des contrats FRESH.

7.        Dans la décision litigieuse, adoptée à l’issue de la phase préliminaire d’examen, la Commission a conclu que l’aide litigieuse était compatible avec le marché intérieur en application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (13), eu égard, notamment, à la communication de la Commission concernant l’application, à partir du 1er août 2013, des règles en matière d’aides d’État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière (« Communication concernant le secteur bancaire ») (14) et à la directive 2014/59/UE (15).

8.        En ce qui concerne, plus particulièrement, la compatibilité de l’aide litigieuse avec la communication concernant le secteur bancaire, la Commission a considéré, notamment, que la répartition des charges des détenteurs d’actions et de titres subordonnés était adéquate, en ce qu’elle limitait les coûts de restructuration et le montant de l’aide au minimum, conformément aux exigences de la communication concernant le secteur bancaire (16).

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9.        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mars 2018, les requérants ont introduit un recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

10.      À l’appui de ce recours, les requérants ont invoqué cinq moyens, dont le dernier était tiré de la violation de l’article 108, paragraphes 2 et 3, TFUE, de l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement 2015/1589 ainsi que de leurs droits procéduraux, en ce que la Commission n’avait pas ouvert la procédure formelle d’examen, alors qu’il existait des doutes sérieux quant à la compatibilité avec le droit de l’Union des mesures de répartition des charges qui faisaient partie de l’aide litigieuse (17).

11.      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 mai 2018, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal. Les requérants ont déposé leurs observations sur cette exception le 10 juillet 2018 et les parties ont été entendues en leurs plaidoiries ainsi qu’en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 9 juillet 2020.

12.      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal, sans statuer sur le fond, a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission (18). Ayant constaté, aux points 35 à 41 de cet arrêt, que les requérants avaient la qualité d’« intéressé » et de « partie intéressée », au sens, respectivement, de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, le Tribunal a considéré que ceux-ci disposaient, d’une part, d’un intérêt à agir (19), et, d’autre part, de la qualité pour agir, la décision litigieuse les concernant directement et individuellement en tant qu’« intéressés » et « parties intéressées » (20).

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

13.      Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de statuer elle-même sur le recours en première instance, en rejetant le recours comme étant irrecevable, et de condamner les requérants en première instance aux dépens.

14.      Les parties requérantes en première instance et défenderesses au pourvoi demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la Commission aux dépens.

15.      Les parties ont également répondu aux questions posées par la Cour lors de l’audience qui s’est tenue le 7 avril 2022.

 Analyse

16.      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que le recours des requérants en première instance était recevable en ce qu’ils possédaient un intérêt à agir et une qualité pour agir en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En ce qui concerne, plus particulièrement, la qualité pour agir, les requérants en première instance ont été jugés comme étant recevables à demander l’annulation de la décision litigieuse en tant que « parties intéressées » et afin d’assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’ils tiraient de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2015/1589.

17.      À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève un moyen unique tiré de ce que le Tribunal a erronément qualifié les requérants en première instance de « parties intéressées ».

18.      Dans l’analyse du pourvoi, je reprendrai, pour l’essentiel, l’articulation des arguments en trois points suivie par les parties. J’aborderai, tout d’abord, la notion de la qualité pour agir des « parties intéressées » dans le droit de l’Union en matière d’aides d’État, pour examiner, ensuite, l’application de la notion de « parties intéressées » par l’arrêt attaqué, qui fait l’objet du moyen unique de pourvoi, et, enfin, traiter brièvement de l’argument de la Commission tiré de l’absence de pertinence des procédures portées devant des juridictions nationales aux fins de la qualité pour agir des parties défenderesses.

 Sur la qualité pour agir en tant que « partie intéressée » dans le droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour en matière d’aides d’État

19.      En premier lieu, je rappelle que, aux termes de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lorsque la Commission estime qu’un projet d’aide n’est pas compatible avec le marché intérieur, elle ouvre sans délai la procédure formelle d’examen prévue au paragraphe 2 de cet article. En vertu de cette dernière disposition, à l’issue de cette procédure, la Commission adopte une décision « après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations ».

20.      Dans ce contexte, l’article 4 du règlement 2015/1589 prévoit une phase préliminaire d’examen des mesures d’aide, qui a pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la nature d’aide d’État de ces mesures et sur leur éventuelle compatibilité avec le marché intérieur. Conformément au paragraphe 3 de cet article, si la Commission constate que la mesure, pour autant qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle adopte une décision de ne pas soulever d’objections (21).

21.      En deuxième lieu, s’agissant de la recevabilité d’un recours contre une telle décision, je relève, d’une part, que, aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours, notamment, contre les actes qui la concernent directement et individuellement.

22.      D’autre part, selon une jurisprudence constante de la Cour, toute partie intéressée, au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, est directement et individuellement concernée par une décision de ne pas soulever d’objections adoptée conformément à l’article 4, paragraphe 3, de ce règlement. En effet, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester une telle décision devant le juge de l’Union (22).

23.      Dès lors, en l’espèce, la décision litigieuse étant une décision de ne pas soulever d’objections et les requérants en première instance ayant invoqué la violation de leurs droits procéduraux (23), il suffit qu’ils démontrent qu’ils ont la qualité de parties intéressées pour qu’ils puissent être considérés comme ayant la qualité pour agir au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

24.      En troisième lieu, je rappelle que, aux termes de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, on entend par « partie intéressée », notamment, toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide et, en particulier, le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles (24). Il s’agit donc d’un ensemble indéterminé de destinataires (25). En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une personne, entreprise ou association d’entreprises soit qualifiée de « partie intéressée », il importe qu’elle démontre, à suffisance de droit, que l’aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation ou sur celle des personnes qu’elle représente (26).

25.      En l’espèce, les parties défenderesses ne figurent pas parmi les « parties intéressées » explicitement mentionnées, à titre d’exemple, à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 (27). La question est donc de savoir si l’aide litigieuse risque d’avoir une incidence concrète sur leur situation.

26.      À cet égard, la Commission fait valoir que la Cour n’a admis, en tant que parties intéressées, que les requérants démontrant que l’aide d’État litigieuse était susceptible d’avoir une incidence concrète « en lien avec la concurrence » sur leur situation, tandis que les parties défenderesses objectent que si, aux fins d’établir son statut de « partie intéressée », un requérant doit démontrer que la mesure litigieuse a une incidence préjudiciable sur sa situation, il n’est pas exigé que cette incidence soit de nature concurrentielle.

27.      J’observe que la Cour a jugé, à maintes reprises, qu’une incidence concrète sur la situation du requérant peut être la conséquence de l’affectation de la position concurrentielle de celui-ci, même en l’absence de relation de concurrence directe avec le bénéficiaire de la mesure litigieuse, comme cela était notamment le cas dans les arrêts 3F/Commission (28) et Commission/Kronoply et Kronotex (29), invoqués par la Commission.

28.      Plus précisément, dans l’arrêt 3F/Commission, tout d’abord, la Cour a affirmé qu’« il n’[était] pas exclu qu’un syndicat de travailleurs soit considéré comme “intéressé” au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE [devenu article 108, paragraphe 2, TFUE], lorsqu’il démontre que lui-même ou ses affiliés seront éventuellement affectés dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide » et qu’« [i]l importe cependant que ce syndicat démontre, à suffisance de droit, que l’aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation ou celle des marins qu’il représente » (30), sans préciser davantage cette notion d’« incidence concrète ». Ensuite, en appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour a indiqué, notamment, que « le requérant [devait] toujours démontrer, à suffisance de droit, l’affectation éventuelle de ses intérêts par l’octroi de l’aide, ce qu’il lui [était] possible de faire en établissant qu’il [était], en fait, dans une position concurrentielle vis-à-vis d’autres syndicats opérant sur le même marché » (31).

29.      Dans l’arrêt Commission/Kronoply et Kronotex, la Cour a rappelé, d’abord, le principe établi au point 33 de l’arrêt 3F/Commission, selon lequel, afin qu’elle soit qualifiée de partie intéressée, « il importe qu’une entreprise démontre, à suffisance de droit, que l’aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation », et a appliqué, ensuite, ce principe à la situation d’espèce, en concluant que le Tribunal n’avait pas commis une erreur de droit lorsqu’il avait jugé que les requérantes avaient la qualité de parties intéressées au sens de l’article 1er, sous h), du règlement no 659/99 [qui a été remplacé par l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589] du fait que, en substance, ces requérantes avaient établi à suffisance de droit l’existence d’un lien de concurrence ainsi que l’affectation potentielle de leur position sur le marché, imputable à l’octroi de l’aide contestée (32).

30.      Cependant, s’il ressort de ces deux arrêts que l’affectation de la position de marché d’un requérant, qu’il soit ou non un concurrent direct du bénéficiaire de l’aide d’État présumée, est suffisante pour que celui-ci soit qualifié de « partie intéressée », il ne saurait en être déduit que cette affectation est également nécessaire pour que cette qualification soit retenue.

31.      Cette interprétation me semble, en outre, confirmée par l’arrêt plus récent du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission (33), dans lequel la Cour, suivant la proposition de l’avocat général (34), a explicitement écarté l’argument de la Commission selon lequel la qualité de « partie intéressée » présuppose l’existence d’un rapport de concurrence, en établissant notamment qu’un organisme qui n’est pas concurrent du bénéficiaire de l’aide litigieuse peut se voir reconnaître la qualité de « partie intéressée », pour autant qu’il ait démontré que ses intérêts pourraient être affectés par l’octroi de cette aide, ce qui exige qu’il démontre que ladite aide risque d’avoir une « incidence concrète sur sa situation » (35).

32.      Or, s’il ressort de cette jurisprudence que la qualité de « partie intéressée » ne repose pas nécessairement sur l’existence d’une incidence concrète sur la situation du requérant en lien avec la concurrence, mais sur l’existence d’une incidence concrète sur sa situation qui peut être plus large, encore faut-il établir l’étendue et les limites d’une telle incidence concrète.

33.      À cette fin, la notion de « partie intéressée » ne saurait à mon sens être étendue jusqu’à inclure toute partie qui peut déplorer une détérioration de sa situation matérielle par une simple comparaison de cette situation avant et après la décision de ne pas soulever d’objections, sans que celle-ci, ou plus précisément l’aide d’État qu’elle déclare compatible, soit à l’origine de ladite situation, ce qui entraînerait, de facto, l’introduction d’une « actio popularis ». Il conviendrait donc, pour définir la notion de « partie intéressée », de se référer à un intérêt spécifique, à savoir un intérêt lié à l’application des règles en matière d’aides d’État et concernant donc des éléments pertinents pour l’appréciation de la compatibilité de l’aide (36). Adopter une approche plus large risquerait, selon moi, de détourner les règles relatives aux aides d’État vers d’autres objectifs.

34.      À mon avis, un tel intérêt spécifique, c’est-à-dire lié à l’application des règles en matière d’aides, pourrait être constaté lorsque le requérant est (ou risque d’être) affecté par l’octroi de l’aide litigieuse, c’est-à-dire lorsque cette aide, telle qu’approuvée par la Commission dans la décision de ne pas soulever d’objections (37), risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation (38), indépendamment de toute relation de concurrence (actuelle et potentielle), au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, avec le bénéficiaire de l’aide ou de toute incidence en lien avec la concurrence (39).

35.      À cet égard, il me semble utile d’évoquer un arrêt récent du Tribunal du 15 septembre 2021, CAPA e.a./Commission (40), dans lequel celui-ci n’a pas reconnu la qualité de « parties intéressées » à des requérants, tels qu’une coopérative de pêcheurs et des entreprises de pêche ou des patrons pêcheurs, qui attaquaient une décision de ne pas soulever d’objections par laquelle la Commission avait déclaré la compatibilité avec le marché intérieur de six projets français de parcs éoliens en mer, situés à l’intérieur de zones maritimes exploitées pour la pêche par les pêcheurs requérants.

36.      Dans cette affaire, les requérants, qui n’invoquaient pas une relation de concurrence avec les bénéficiaires de l’aide en question, faisaient valoir l’existence d’un risque d’incidence concrète des aides litigieuses sur leur situation en raison, notamment, des limitations réglementaires à la navigation envisagées dans les zones concernées par ces projets et de l’impact potentiellement négatif desdits projets sur le milieu marin et les ressources halieutiques (41). Le Tribunal a cependant considéré que les requérants n’avaient pas démontré le risque d’une incidence concrète desdites aides sur leur situation du fait que, en substance, le mécanisme d’octroi des même aides ne présentait pas de lien avec les impacts allégués des projets en question sur les activités des pêcheurs requérants (42).

37.      Sans préjudice de mes conclusions dans ladite affaire, actuellement sous pourvoi (43), l’arrêt du Tribunal dans cette même affaire me semble confirmer que, à ce jour, la jurisprudence du juge de l’Union, tout en acceptant, aux fins de la qualification de « partie intéressée », la possibilité de faire valoir une incidence concrète sur la situation du requérant non nécessairement liée à sa position de marché, exclut la possibilité d’étendre cette qualification à des situations où cette incidence n’est pas directement liée à l’aide en question – y inclus tous les éléments pertinents pour la compatibilité de celle-ci – et donc à la décision de ne pas soulever d’objections à l’égard de cette dernière.

38.      En conclusion, il me semble que la qualité de « partie intéressée » nécessite la démonstration d’une incidence concrète sur la situation de cette partie, liée à l’application des règles en matière d’aides d’État et, plus précisément, à l’octroi d’une aide d’État. En d’autres termes, si cette aide, telle qu’approuvée par la décision de ne pas soulever d’objections, est à l’origine de l’affectation du requérant, celui-ci peut être qualifié de « partie intéressée ».

39.      À mon avis, des indices importants en ce sens pourraient être tirés de la décision litigieuse elle-même. En effet, lorsqu’il ressort de celle-ci que la Commission, dans l’appréciation de compatibilité d’une aide d’État, a pris en compte les intérêts de certaines parties ou les implications de cette aide sur d’autres parties (ce qui est le cas s’agissant d’engagements), cette circonstance contribue à identifier un cercle restreint de personnes dont les intérêts sont affectés par cette décision (44).

 Sur la qualité de « parties intéressées » des requérants en première instance

40.      Par son moyen unique de pourvoi, la Commission, en substance, reproche au Tribunal d’avoir conclu que les requérants avaient la qualité pour agir en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE contre la décision litigieuse, en les qualifiant de « parties intéressées » simplement en raison de la perte économique qu’ils avaient prétendument subie en tant que détenteurs d’obligation FRESH, du fait des mesures de répartition des charges appliquées par la République italienne aux créanciers subordonnés de BMPS. Le Tribunal aurait ainsi suivi une interprétation excessivement large de la notion de « partie intéressée », incluant non seulement les entités pour lesquelles l’aide d’État pourrait avoir des effets concurrentiels, mais aussi les entités contestant d’autres aspects de cette aide, qui n’ont aucun lien avec la concurrence.

41.      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la décision litigieuse concernait les requérants directement et individuellement, compte tenu du fait qu’ils étaient des « parties intéressées » (45) et qu’ils avaient invoqué la violation de leurs droits procéduraux (46). En substance, sans avoir qualifié les requérants de concurrents actuels ou potentiels du bénéficiaire de l’aide litigieuse ni avoir relevé que la décision litigieuse risquait d’avoir une incidence concrète sur leur situation « en lien avec la concurrence », le Tribunal a considéré que cette aide risquait d’avoir une telle incidence du fait que les engagements des autorités italiennes, et notamment le plan de restructuration à l’origine de la perte économique présumée, faisaient partie intégrante de ladite aide et, comme tels, avaient été examinés dans le cadre de l’appréciation de compatibilité de la Commission, sans qu’il soit pertinent que les requérantes ne contestaient pas la compatibilité en tant que telle de ces mesures avec le marché intérieur (47).

42.      La difficulté principale de cette affaire réside dans le fait que les requérants en première instance ont été affectés non pas par les mesures en cause, c’est-à-dire par l’aide de trésorerie et par la recapitalisation en faveur de BMPS, mais plutôt par les mesures de répartition de charges qui font partie des engagements adoptés par les autorités italiennes aux fins de l’approbation de l’aide litigieuse et formant l’ensemble des mesures notifiées par ces autorités et approuvées par la Commission.

43.      Or, à la lumière de la jurisprudence examinée aux points 22 à 37 des présentes conclusions, il me semble que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en constatant que les circonstances évoquées étaient suffisantes pour qualifier les requérantes de « parties intéressées ».

44.      En effet, il est vrai, tout d’abord, que l’annulation des contrats FRESH, qui a impliqué la perte du paiement des coupons liés aux obligations FRESH détenues par les requérants, est la conséquence de la décision des autorités italiennes d’envisager une répartition des charges à l’égard des actionnaires et des créanciers subordonnés de BMPS dans le cadre du plan de restructuration de celle-ci. Il est également vrai, comme le fait valoir la Commission, que les requérants ne contestent pas, en principe, la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur.

45.      Toutefois, ainsi que l’a relevé le Tribunal (48), les mesures en cause et les engagements revêtent un caractère indissociable, en ce que ces derniers conditionnent la déclaration de compatibilité (49). En effet, il ressort des points 41, 43 et 44 de la communication concernant le secteur bancaire que la juste répartition des charges à laquelle cette communication subordonne l’octroi d’une aide d’État implique, en priorité, l’absorption des pertes par les fonds propres, puis, en principe, une contribution des créanciers subordonnés (50).

46.      On ne saurait donc considérer, à l’instar de la Commission, que les mesures de répartition des charges dans le cadre du plan de restructuration de BMPS étaient indépendantes de l’aide d’État et constituaient un libre choix des autorités italiennes. En effet, je rappelle que les mesures de répartition des charges faisaient partie intégrante de l’aide litigieuse, telle que notifiée par les autorités italiennes et approuvée par la Commission et qu’elles ont joué un rôle important dans l’appréciation de la compatibilité de ces mesures avec le marché intérieur (51).

47.      Partant, contrairement aux arguments de la Commission, il ne me semble pas que les mesures de répartition des charges constituent une simple « hypothèse factuelle » de l’autorisation de la Commission, mais plutôt une condition, imposée par celle-ci, dans la communication concernant le secteur bancaire, aux fins de la compatibilité de l’aide notifiée (52).

48.      S’agissant, plus particulièrement, de l’argument de la Commission selon lequel la conformité aux dispositions de répartition des charges de cette communication était suffisante, mais pas nécessaire pour que celle-ci déclare l’aide litigieuse compatible avec le marché intérieur et qu’un État membre est libre de ne pas lui proposer les mesures de répartition des charges prévues dans ladite communication s’il a d’autres idées, force est de constater qu’il est difficile d’imaginer quelles « autres idées » ou mesures « personnalisées » évoquées par cette institution pourraient remplacer le principe-clé de la répartition des charges, qui joue un rôle fondamental dans le système introduit par la même communication pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, d’autant plus dans les circonstances de l’espèce où l’intervention des autorités italiennes pour éviter la faillite de BMPS et la nécessité, en conséquence, d’une approbation de la Commission revêtaient un caractère exceptionnellement urgent.

49.      Ensuite, il est également vrai, ainsi que le relève la Commission à titre subsidiaire, que les requérants ne détiennent pas eux-mêmes d’actions FRESH (émises par BMPS et souscrites par JPM) et ne sont pas parties aux contrats FRESH (conclus entre BMPS et JPM) qui ont été annulés à la suite des mesures de répartition des charges, mais ils sont détenteurs d’obligations FRESH (émises par MUFJ pour octroyer à JPM les fonds nécessaires à la souscription des actions FRESH).

50.      Toutefois, ainsi que le Tribunal l’a constaté dans l’arrêt attaqué, compte tenu de l’interdépendance entre les différents liens contractuels sous-tendant les instruments FRESH, l’annulation des contrats FRESH était susceptible de causer une perte économique aux requérants en première instance, au vu de la perte de paiement de coupons liés aux obligations FRESH et, partant, l’adoption de la décision litigieuse risquait d’avoir une incidence concrète sur leur situation. Il me semble donc que l’aide litigieuse, telle que notifiée par les autorités italiennes et déclarée compatible avec le marché intérieur par la décision litigieuse, si l’on y inclut les engagements pris par les autorités italiennes en vue de cette déclaration de compatibilité, porte préjudice aux requérants (53).

51.      Enfin, je suis d’avis que l’ordonnance du 26 mars 2014, Adorisio e.a./Commission (54) et l’arrêt du 19 décembre 2019, BPC Lux 2 e.a./Commission (55), invoqués par la Commission, ne changent rien à cette appréciation (56). En effet, dans l’ordonnance Adorisio e.a./Commission, le Tribunal a jugé que des titulaires d’obligations subordonnées d’une banque, expropriés dans le contexte d’une mesure de nationalisation de la même banque, n’avaient pas d’intérêt pour agir contre une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’égard de deux mesures d’aides notifiées dans le contexte de cette nationalisation (57), appréciation qui n’est pas pertinente aux fins de l’interprétation de la condition, différente, de la qualité pour agir (58). Dans l’arrêt BPC Lux 2 e.a./Commission, le Tribunal a jugé que des titulaires d’obligations subordonnées d’une banque, dont la valeur avait diminué à la suite de la soumission de cette banque à une procédure de résolution, n’avaient pas de qualité pour agir contre une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une mesure d’aide notifiée dans le contexte de cette procédure de résolution (59). En effet, dans cet arrêt, le Tribunal a constaté que la diminution de la valeur des obligations en question trouvait son origine dans la décision des autorités nationales de soumettre la banque à une procédure de résolution – à laquelle, vues les conditions économiques déficitaires de cette banque, il n’y avait pas d’alternative – et non dans l’octroi de l’aide litigieuse, contrairement à la présente affaire, dans laquelle l’annulation des contrats FRESH est la conséquence des mesures de répartition des charges qui font partie intégrante de l’aide litigieuse qui a été notifiée et approuvée.

52.      En conclusion, il me semble que la Commission n’a pas démontré que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsque, en rejetant l’exception d’irrecevabilité soulevée par cette dernière, il a déclaré le recours recevable.

 Sur l’absence de pertinence des procédures portées devant des juridictions nationales aux fins de la qualité pour agir des parties défenderesses

53.      Sans soulever un moyen séparé, la Commission précise que le fait que les parties défenderesses ont engagé une procédure devant les tribunaux luxembourgeois contre la résiliation par BMPS des contrats FRESH ne leur permet pas d’être considérées comme des « parties intéressées » et ne leur confère pas une qualité pour agir en contestation de la décision attaquée. Ces procédures ne seraient pertinentes qu’aux fins de l’examen de l’intérêt à agir des parties défenderesses, exigence distincte de celle de la qualité pour agir, qui fait l’objet du présent pourvoi.

54.      Il suffit de relever, à cet égard, que le Tribunal n’a tiré aucune conséquence desdites procédures en ce qui concerne la qualité des parties défenderesses comme parties intéressées, au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589.

55.      Cet argument est donc dépourvu de pertinence en l’espèce, et dès lors inopérant.

 Sur les dépens

56.      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

57.      La Commission ayant succombé, je propose de la condamner aux dépens.

 Conclusion

58.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi ;

–        de condamner la Commission européenne à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par les parties défenderesses.


1      Langue originale : le français.


2      T‑161/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:102.


3      Règlement du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9).


4      Décision C(2017) 4690 final du 4 juillet 2017 relative à l’aide d’État SA.47677 (2017/N) – Italie, nouvelle aide et plan de restructuration modifié de Banca Monte dei Paschi di Siena (ci-après la « décision litigieuse »).


5      Ainsi que je l’expliquerai, selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’« intéressés », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, coïncide avec celle de « partie intéressée », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 (voir note en bas de page 24 des présentes conclusions). Dans la suite des présentes conclusions, lorsqu’il n’est pas nécessaire de distinguer ces deux notions, j’utiliserai, de façon générale, l’expression « partie(s) intéressée(s) ».


6      M. Anthony Braesch.


7      Trinity Investments DAC, Bybrook Capital Master Fund LP, Bybrook Capital Hazelton Master Fund LP et Bybrook Capital Badminton Fund LP.


8      Ces deux contrats sont soumis au droit luxembourgeois.


9      Decreto-legge n. 237 – Disposizioni urgenti per la tutela del risparmio nel settore creditizio (décret-loi no 237, portant dispositions urgentes pour la protection de l’épargne dans le secteur du crédit), du 23 décembre 2016 (GURI no 299, du 23 décembre 2016), qui a été converti en loi et modifié par la legge di conversione (loi de conversion), du 17 février 2017 (GURI no 43, du 21 février 2017).


10      Cette intervention du législateur italien a fait suite à un test de résistance mené à l’échelle européenne par l’Autorité bancaire européenne (ABE) au cours de l’année 2016, qui avait révélé notamment un déficit de fonds propres de BMPS dans le cadre du scénario défavorable. Auparavant, une aide à la restructuration accordée par la République italienne à BMPS, prenant en compte un plan de restructuration et des engagements, avait déjà été approuvé par la Commission en 2013 et avait été entièrement remboursé par BMPS en 2015.


11      Cette aide était constituée de deux mesures d’aide au bénéfice de BMPS (ci-après les « mesures en cause »). La première consistait en une aide de trésorerie d’un montant de quinze milliards d’euros sous la forme de garanties de l’État sur les dettes de premier rang et la seconde consistait en une aide à la recapitalisation préventive de BMPS d’un montant de 5,4 milliards d’euros, mentionnée au point 5 des présentes conclusions.


12      Cette notification a fait suite à une demande de soutien financier public exceptionnel sous la forme d’une recapitalisation préventive au titre du décret-loi 237/2016, introduite par BMPS à la suite de l’échec d’une tentative de lever de nouveaux capitaux privés. Auparavant, toujours au cours de l’année 2016, à la suite d’une déclaration de la Banque centrale européenne (BCE) selon laquelle BMPS était solvable, la Commission avait temporairement approuvé une aide de trésorerie individuelle d’un montant de quinze milliards d’euros en faveur de BMPS, sur la base des engagements offerts par les autorités italiennes, lesquelles s’étaient engagées à présenter un plan de restructuration dans un délai de deux mois à compter de l’octroi des garanties, à moins que l’aide ne soit remboursée dans ce même délai.


13      Aux termes de cette disposition, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur, notamment, les aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.


14      JO 2013, C 216, p. 1 (ci-après la « communication concernant le secteur bancaire »).


15      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190). À cet égard, la Commission a considéré que les conditions dans lesquelles les mesures d’aide avaient été accordées étaient conformes à l’exemption prévue à l’article 32, paragraphe 4, sous d), de cette directive.


16      Pour le reste, la Commission a établi que le plan de restructuration était apte à restaurer la viabilité à long terme de BMPS et contenait suffisamment de mesures de répartition des charges ainsi que suffisamment de garanties pour limiter les distorsions de concurrence indues. Elle a également relevé qu’une surveillance adéquate de la mise en œuvre du plan de restructuration était assurée.


17      Les quatre premiers moyens étaient tirés, le premier, de la violation du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1) et d’un défaut de motivation ; le deuxième, de ce que la Commission aurait illégalement exigé l’annulation des contrats FRESH ; le troisième, de ce que la décision litigieuse était discriminatoire envers les détenteurs des obligation FRESH, et le quatrième, de ce que la Commission, en approuvant l’application de mesures de répartition des charges aux instruments FRESH, aurait violé les droits de propriété des détenteurs des obligations FRESH.


18      Statuant par arrêt sur la recevabilité du recours, le Tribunal a, de toute évidence, entendu conférer à sa décision une portée de principe.


19      Arrêt attaqué, points 43 à 55.


20      Arrêt attaqué, points 56 à 63.


21      En revanche, conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589, si la Commission constate que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle est tenue d’adopter une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, une telle décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé.


22      Voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, ci-après l’« arrêt Commission/Kronoply et Kronotex », EU:C:2011:341, point 47 ainsi que jurisprudence citée). À cet égard, la Cour a précisé que, lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections, il met en cause essentiellement le fait que cette décision a été adoptée sans que la Commission ouvre la procédure formelle d’examen, violant ce faisant ses droits procéduraux (voir, en ce sens, , arrêt Commission/Kronoply et Kronotex, point 59). En revanche, si le requérant met en cause le bien-fondé de la décision d’appréciation de l’aide en tant que telle, le simple fait qu’il puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Il doit alors démontrer qu’il a un statut particulier au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), aux termes duquel les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (voir notamment, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission, C‑647/19 P, EU:C:2021:666, point 32 et jurisprudence citée). Sur l’évolution de la jurisprudence en matière de recevabilité des recours de tiers contre une décision de ne pas soulever d’objections, voir, notamment, Nehl, H. P., « Direct Actions and Judicial Review before the Union Courts », State Aid Law of the European Union, Oxford, 2016, p. 419.


23      Dans le cadre de leur cinquième moyen de recours en première instance.


24      Dans un souci d’exhaustivité, je précise que la notion de « partie intéressée » définie à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 est reprise de celle d’« intéressés », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, telle qu’elle résulte de la jurisprudence de la Cour [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission (C‑647/19 P, EU:C:2021:666, point 56 et jurisprudence citée)]. En effet, selon la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (CE) no 659/99 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1) (le texte ayant précédé le règlement 2015/1589), les « intéressés » au sens de l’article 93, paragraphe 2, CEE (devenu article 108, paragraphe 2, TFUE), qui pouvaient ainsi, conformément à l’article 173, quatrième alinéa, CEE (devenu article 263, quatrième alinéa, TFUE), introduire des recours en annulation en tant que directement et individuellement concernés, étaient les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide, c’est-à-dire notamment les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles [voir, notamment, arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission (323/82, EU:C:1984:345, point 16), ainsi que du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 41)].


25      Voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission (323/82, EU:C:1984:345, point 16), ainsi que Commission/Kronoply et Kronotex, point 63.


26      Voir notamment, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2009, 3F/Commission (C‑319/07 P, ci-après l’« arrêt 3F/Commission », EU:C:2009:435, point 33), ainsi que Commission/Kronoply et Kronotex, point 65.


27      Cette disposition se réfère, « en particulier », aux catégories de personnes mentionnées, à savoir le bénéficiaire de l’aide litigieuse, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles.


28      Dans cette affaire, le requérant était un syndicat de travailleurs qui négociait les termes et les conditions dans lesquels la main-d’œuvre était fournie aux entreprises et qui faisait valoir que des mesures d’aide visant, en substance, à favoriser les marins employés à bord des navires inscrits sur le registre international danois des navires étaient susceptibles d’affecter sa position concurrentielle vis-à-vis d’autres syndicats de marins dont les membres étaient les bénéficiaires de ces mesures.


29      Dans cette affaire, les requérantes étaient des entreprises qui achetaient la même matière première que le bénéficiaire de l’aide, à savoir le bois d’industrie, et qui faisaient valoir que l’aide d’État octroyée à ce dernier était susceptible d’affecter leur position concurrentielle sur ce marché du bois d’industrie.


30      Arrêt 3F/Commission, point 33.


31      Arrêt 3F/Commission, point 59. Il n’est par ailleurs pas certain que dans ce passage, la Cour se soit référée à la « position concurrentielle » dans le sens indiqué par la Commission, c’est-à-dire une véritable concurrence sur le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.


32      Arrêt Commission/Kronoply et Kronotex, points 65 à 71.


33      C‑647/19 P, EU:C:2021:666.


34      Voir conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Ja zum Nürburgring/Commission (C‑647/19 P, EU:C:2021:347, points 30 et 31, ainsi que jurisprudence citée).


35      Voir arrêt du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission (C‑647/19 P, EU:C:2021:666, point 57 et jurisprudence citée). Il ne me semble pas non plus que, ainsi que le prétend la Commission, la conclusion de la Cour sur ce point soit motivée par le fait que, en l’occurrence, les requérants pouvaient être considérés comme des concurrents potentiels du bénéficiaire de l’aide litigieuse. En effet, il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour rappelle, ainsi que l’avait fait le Tribunal dans l’arrêt litigieux, que la requérante était une association dont l’objectif (d’intérêt général) était incompatible avec celui (de maximalisation des gains) du bénéficiaire de l’aide. À mon avis, la Cour entendait non pas appuyer son appréciation sur une situation de concurrence potentielle, mais plutôt justifier le fait que l’octroi de l’aide au bénéficiaire en question pouvait « affecter les intérêts » (pas nécessairement économiques, s’agissant d’une association qui poursuit un intérêt général) de la requérante et de ses membres (points 66 et 67 dudit arrêt). En tout état de cause, au point 57 du même arrêt (qui reprend le point 30 des conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Ja zum Nürburgring/Commission, C‑647/19 P, EU:C:2021:347), la Cour a jugé qu’un organisme qui n’est pas concurrent du bénéficiaire de l’aide litigieuse peut aussi se voir reconnaître la qualité de « partie intéressée » et que cela exige qu’il démontre que cette aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation, sans préciser cette notion d’« incidence concrète ». De même, au point 31 de ses conclusions, l’avocat général indique clairement que « la qualité de “partie intéressée” ne suppose pas nécessairement l’existence d’une relation de concurrence » et exclut toute erreur de droit du Tribunal lorsque celui-ci a qualifié la requérante de « partie intéressée », tout en ayant également constaté que celle-ci « n’était en aucune façon active sur les marchés visés par les mesures en cause ».


36      C’est cette circonstance, d’ailleurs, qui rend utiles les éléments d’information et les arguments que cette partie pourrait éventuellement apporter au cours de la procédure formelle d’examen.


37      Ce qui inclut donc non seulement les mesures de soutien étatique en sens strict, mais également tous les éléments pertinents pour la déclaration de compatibilité de l’aide.


38      Voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission (C‑647/19 P, EU:C:2021:666, point 57).


39      Certes, la jurisprudence de la Cour n’ayant pas clarifié ce point jusqu’à présent, il serait à mon sens possible d’entériner l’interprétation de la Commission, selon laquelle, en substance, l’objectif poursuivi par les règles en matière d’aides d’État (et qui justifie la compétence de la Commission en cette matière) étant celui de préserver la concurrence et la qualité de « partie intéressée » n’étant qu’une expression particulière du critère de l’affectation directe et individuelle inscrit à l’article 263 TFUE, seule une incidence en lien avec la concurrence est pertinente aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir d’un requérant. Toutefois, à mon avis, cette interprétation comporterait une application excessivement restrictive des conditions de recevabilité des recours contre une décision de ne pas soulever d’objection. Par ailleurs, il me semble que lier la notion d’affectation introduite par la jurisprudence et transposée à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 à l’existence d’une incidence  sur la situation du requérant en lien avec la concurrence comporterait, de facto, la démonstration d’une affectation de la concurrence au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (même s’il s’agit d’un marché différent de celui affecté par l’aide d’État présumée), ce qui, indépendamment de sa complexité, pourrait aller au-delà de ce qui est nécessaire (et suffisant) aux fins de l’examen de la recevabilité d’un recours et préjuger, dans une certaine mesure, de l’appréciation du bien-fondé de celui-ci (au moins en ce qui concerne les effets de l’aide présumée sur le marché).


40      T‑777/19, EU:T:2021:588, sous pourvoi.


41      Voir arrêt du 15 septembre 2021, CAPA e.a./Commission (T‑777/19, EU:T:2021:588, point 53).


42      Voir arrêt du 15 septembre 2021, CAPA e.a./Commission (T‑777/19, EU:T:2021:588, points 97 et 101). Selon le Tribunal, les impacts évoqués par les requérants étaient inhérents, d’une part, aux décisions des autorités nationales d’implantation de ces projets dans les zones concernées dans le cadre de leur politique d’exploitation des ressources énergétiques et, d’autre part, à la réglementation de l’espace public maritime et aux mesures techniques applicables auxdits projets.


43      Affaire C‑742/21, CAPA e.a./Commission, qui m’est attribuée en tant qu’avocat général.


44      Par ailleurs, le fait de tenir compte des situations examinées dans la décision litigieuse dans le cadre de l’examen de compatibilité d’une aide aux fins de l’appréciation de la recevabilité d’un recours contre cette décision permet, à mon avis, d’éviter l’élargissement du cercle des personnes affectées de telle sorte à introduire une « action popularis ».


45      Arrêt attaqué, point 63.


46      Arrêt attaqué, points 60 à 62.


47      Arrêt attaqué, points 40 et 41.


48      Voir arrêt attaqué, point 40.


49      À cet égard, il convient, à mon avis, d’écarter l’interprétation des parties défenderesses selon laquelle elles n’étaient affectées que par la partie de la décision litigieuse qui concernait le plan de restructuration. En effet, dans cette décision, la Commission n’a pris aucune décision séparée concernant le plan de restructuration, mais s’est prononcée uniquement sur la compatibilité de l’aide litigieuse, telle que notifiée par les autorités italiennes, compte tenu de tous les éléments de ces mesures, y inclus le plan de restructuration et les mesures de répartition des charges comprises dans ce plan.


50      Voir également, à cet égard, arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570, point 42).


51      En effet, la formulation de la décision litigieuse (notamment les points 101 à 110) m’amène à considérer que la Commission a, à tout le moins, considéré les mesures de répartition des charges comme étant très importantes, sinon décisives, aux fins de la déclaration de compatibilité de l’aide litigieuse. On peut d’ailleurs se demander si une éventuelle vérification de l’incidence de ces mesures de répartition des charges sur la compatibilité de l’aide notifiée à la Commission ne relève pas de l’appréciation (sur le fond) de la compatibilité de l’aide, plutôt que de l’appréciation, nécessairement plus superficielle, de la recevabilité du recours.


52      Peu importe, à cet égard, que la décision litigieuse n’était pas une « décision conditionnelle », au sens de l’article 9, paragraphe 4, du règlement 2015/1589, et qu’elle n’a pas formellement imposé et rendu contraignants les engagements en question.


53      Voir, notamment, points 37 et 39 de l’arrêt attaqué.


54      T‑321/13, non publiée, EU:T:2014:175.


55      T‑812/14 RENV, non publié, EU:T:2019:885.


56      Par ailleurs, cet arrêt, ainsi que cette ordonnance, n’ont pas fait l’objet d’un pourvoi.


57      Je rappelle que, dans la présente affaire, la Commission, dans son pourvoi, n’a pas réitéré son argument tiré de l’absence d’un intérêt à agir dans le chef des requérants en première instance.


58      En tout état de cause, il me semble que le cas de figure qui a fait l’objet de cette ordonnance soit fondamentalement différent du cas d’espèce, en ce que les requérants en première instance, titulaires d’obligations subordonnées d’une banque, se plaignaient de l’expropriation de ces obligations dans le contexte de la nationalisation de cette banque, mise à exécution par le Royaume des Pays-Bas parallèlement à la notification de deux mesures d’aide d’État en faveur de la même banque. Dans ce cas, le Tribunal, sur le fondement d’une motivation très concise, a considéré que la Commission, dans son examen de la compatibilité de l’aide litigieuse, avait exclusivement tenu compte de l’expropriation comme élément de contexte et non comme condition de la compatibilité de ces mesures (voir ordonnance du 26 mars 2014, Adorisio e.a./Commission, T‑321/13, non publiée, EU:T:2014:175, point 25). En outre, si, comme le fait valoir la Commission, le Tribunal a également relevé l’absence de qualité pour agir des requérants en vertu de l’absence de relation de concurrence entre ces derniers et le bénéficiaire de l’aide litigieuse (voir ordonnance du 26 mars 2014, Adorisio e.a./Commission, T‑321/13, non publiée, EU:T:2014:175, points 44 à 48), il l’a fait dans le cadre de l’examen d’un argument de ces mêmes requérants, faisant valoir que certains d’entre eux étaient également concurrents des bénéficiaires de l’aide (voir ordonnance du 26 mars 2014, Adorisio e.a./Commission, T‑321/13, non publiée, EU:T:2014:175, point 37).


59      Plus précisément, la procédure de résolution en question impliquait la création d’un établissement de crédit temporaire (la « banque relais ») auquel étaient transférées les activités commerciales saines de la banque, tout en laissant les pertes afférentes aux éléments d’actifs et de passifs transférés à une « structure de défaisance » et, dans le cadre des engagements présentés à la Commission par les autorités nationales, il était notamment prévu qu’aucun des avoirs des détenteurs de titres de créances subordonnés ne pouvait être transféré à la banque relais (voir arrêt du 19 décembre 2019, BPC Lux 2 e.a./Commission, T‑812/14 RENV, non publié, EU:T:2019:885, points 7 à 14).