Language of document : ECLI:EU:C:2022:1020

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

22 décembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 90/270/CEE – Article 9, paragraphe 3 – Travail sur équipements à écran de visualisation – Protection des yeux et de la vue des travailleurs – Dispositifs de correction spéciaux – Lunettes – Acquisition par le travailleur – Modalités de prise en charge des frais par l’employeur »

Dans l’affaire C‑392/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), par décision du 12 avril 2021, parvenue à la Cour le 24 juin 2021, dans la procédure

TJ

contre

Inspectoratul General pentru Imigrări,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour TJ, par Me I. Kis, avocat,

–        pour l’Inspectoratul General pentru Imigrări, par M. M.‑G. Creţu, Mme C. Vasilache et M. S.-I. Voicu, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement roumain, par Mme E. Gane, en qualité d’agent, assistée de Mme L. Baţagoi, conseiller,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Garofoli, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et D. Recchia, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9 de la directive 90/270/CEE du Conseil, du 29 mai 1990, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives au travail sur des équipements à écran de visualisation (cinquième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) (JO 1990, L 156, p. 14).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TJ à l’Inspectoratul General pentru Imigrări (inspection générale chargée de l’immigration, Roumanie) (ci-après l’« inspection générale ») au sujet du rejet, par cette dernière, de la demande de remboursement des frais liés à l’acquisition de lunettes, présentée par TJ.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 89/391/CEE

3        L’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1), telle que modifiée par le règlement (CE) no 1137/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008 (JO 2008, L 311, p. 1), se lit comme suit :

« Le Conseil adopte, sur proposition de la Commission fondée sur l’article [153 TFUE], des directives particulières, entre autres dans les domaines tels que visés à l’annexe. »

 La directive 90/270

4        Le quatrième considérant de la directive 90/270 est ainsi rédigé :

« considérant que le respect des prescriptions minimales propres à garantir un meilleur niveau de sécurité des postes de travail comptant un écran de visualisation constitue un impératif pour assurer la sécurité et la santé des travailleurs ».

5        L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive, qui est la cinquième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE, fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé concernant le travail sur des équipements à écran de visualisation tels que définis à l’article 2. »

6        Aux termes de l’article 9 de ladite directive, intitulé « Protection des yeux et de la vue des travailleurs » :

« 1.      Les travailleurs bénéficient d’un examen approprié des yeux et de la vue, effectué par une personne ayant les compétences nécessaires :

–        avant de commencer le travail sur écran de visualisation,

–        par la suite à des intervalles réguliers,

et

–        lors de la survenance de troubles visuels pouvant être dus au travail sur écran de visualisation.

2.      Les travailleurs bénéficient d’un examen ophtalmologique si les résultats de l’examen visé au paragraphe 1 le rendent nécessaire.

3.      Si les résultats de l’examen visé au paragraphe 1 ou de l’examen visé au paragraphe 2 le rendent nécessaire, et si les dispositifs de correction normaux ne peuvent être utilisés, les travailleurs doivent recevoir des dispositifs de correction spéciaux en rapport avec le travail concerné.

4.      Les mesures prises en application du présent article ne doivent en aucun cas entraîner des charges financières additionnelles pour les travailleurs.

5.      La protection des yeux et de la vue des travailleurs peut faire partie d’un système national de santé. »

 Le droit roumain

7        L’article 7, sous i), de la Legea-cadru nr. 153/2017 privind salarizarea personalului plătit din fonduri publice (loi-cadre no 153/2017 relative à la rémunération du personnel payé sur des fonds publics), du 28 juin 2017 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 492 du 28 juin 2017), est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente loi, on entend par :

[...]

i)      “prime”, un élément du salaire mensuel/du traitement mensuel, alloué sous forme de pourcentage du salaire de base, du traitement, de l’indemnité d’encadrement, dans les conditions prévues par la loi, à chaque catégorie de personnel ».

8        L’article 12 du chapitre II de l’annexe VI de cette loi, intitulée « Groupe professionnel des fonctions budgétaires “Défense, ordre public et sécurité nationale” », prévoit :

« [...]

2.      Les militaires, les policiers, les fonctionnaires à statut spécial de l’administration pénitentiaire et le personnel civil bénéficient, en fonction de leurs conditions de travail, des primes suivantes :

[...]

b)      au titre de conditions de travail pénibles, une prime pouvant aller jusqu’à 15 % du traitement/du salaire de base correspondant au temps de travail effectué sur les lieux de travail respectifs ;

[...]

3.      Les lieux, les conditions de travail et les opérations ainsi que les pourcentages d’octroi sont fixés par arrêté de l’ordonnateur principal, dans la limite des dispositions du règlement établi en application de la présente loi, sur le fondement des rapports de détermination ou, le cas échéant, d’expertise émis par les autorités habilitées à cet effet. »

9        Aux termes de l’article 12 de la Hotărârea Guvernului nr. 1028/2006 privind cerinţele minime de securitate şi sănătate în muncă referitoare la utilizarea echipamentelor cu ecran de vizualizare (décision gouvernementale no 1028/2006 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé au travail relatives à l’utilisation des équipements à écran de visualisation), du 9 août 2006 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 710 du 18 août 2006) :

« Les travailleurs bénéficient d’un examen approprié des yeux et de la vue, effectué par une personne ayant les compétences nécessaires :

a)      avant de commencer le travail sur écran de visualisation, lors de l’examen médical d’entrée en fonction ;

b)      par la suite, à des intervalles réguliers ;

c)      ou lors de la survenance de troubles visuels pouvant être dus au travail sur écran de visualisation. »

10      L’article 13 de la décision gouvernementale no 1028/2006 dispose :

« Les travailleurs bénéficient d’un examen ophtalmologique si les résultats de l’examen visé à l’article 12 le rendent nécessaire. »

11      Aux termes de l’article 14 de la décision gouvernementale no 1028/2006 :

« Si les résultats de l’examen visé à l’article 12 ou de l’examen visé à l’article 13 le rendent nécessaire, et si les dispositifs de correction normaux ne peuvent être utilisés, les travailleurs doivent recevoir des dispositifs de correction spéciaux en rapport avec le travail concerné. »

12      L’article 15 de la décision gouvernementale no 1028/2006 prévoit :

« Les mesures prises en application des articles 12 à 14 ne doivent en aucun cas entraîner des charges financières pour les travailleurs. »

13      L’article 16 de la décision gouvernementale no 1028/2006 dispose :

« La protection des yeux et de la vue des travailleurs peut être assurée, en ce qui concerne les coûts y afférents, dans le cadre du système national de santé, conformément à la réglementation en vigueur. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      TJ est employé par l’inspection générale, au service de l’immigration du département de Cluj (Roumanie). Il exerce son activité en travaillant sur des équipements à écran de visualisation.

15      TJ affirme que le travail sur écran ainsi que d’autres facteurs de risque, tels que la lumière « visible discontinue », l’absence de lumière naturelle et la surcharge neuropsychique ont entraîné une forte détérioration de sa vue. Partant, il aurait dû, sur recommandation d’un médecin spécialiste, changer de lunettes de vue, afin de corriger la baisse de son acuité visuelle.

16      Faisant valoir que le système national d’assurance maladie roumain ne prévoyait pas le remboursement de la somme de 2 629 lei roumains (RON) (environ 530 euros), représentant la contre-valeur du coût des lunettes de vue, à savoir le coût des verres, de la monture et de la main-d’œuvre, TJ a demandé à l’inspection générale de lui rembourser cette somme. Cette demande a été rejetée.

17      TJ a ensuite saisi le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj, Roumanie) d’un recours visant à faire condamner l’inspection générale à lui verser ladite somme. Cette juridiction a rejeté ce recours au motif que les conditions pour obtenir le remboursement sollicité n’étaient pas remplies, dans la mesure où l’article 14 de la décision gouvernementale no 1028/2006 donnerait droit non pas au remboursement du coût d’un dispositif de correction spécial, mais seulement à la fourniture d’un tel dispositif si son utilisation était considérée comme nécessaire.

18      TJ a formé un pourvoi contre ce jugement devant la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi, en demandant l’annulation de celui-ci et le réexamen au fond du litige.

19      La juridiction de renvoi considère que, pour statuer sur le litige pendant devant elle, il convient d’interpréter la notion de « dispositifs de correction spéciaux », figurant à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, qui n’est pas définie par celle-ci. Cette juridiction estime que ladite notion devrait être interprétée en ce sens qu’elle inclut les lunettes de vue, dans la mesure où celles-ci sont nécessaires à l’employé souffrant d’une détérioration de la vue causée par ses conditions de travail.

20      La juridiction de renvoi s’interroge, en outre, sur la question de savoir si les dispositifs de correction spéciaux visés audit article 9, paragraphe 3, renvoient à des dispositifs utilisés exclusivement sur le lieu de travail ou s’ils peuvent également renvoyer à des dispositifs pouvant être utilisés hors du lieu de travail. À cet égard, elle tend à considérer que, pour déterminer si cette disposition est applicable, seul est pertinent le fait d’utiliser un dispositif de correction spécial sur le lieu de travail, le point de savoir si un tel dispositif est également utilisé hors du lieu de travail n’ayant pas d’incidence.

21      En ce qui concerne les modalités de fourniture des dispositifs de correction spéciaux, la juridiction de renvoi soutient que, s’il est vrai que la directive 90/270 ne fait expressément référence qu’à la fourniture par l’employeur de ces dispositifs, un résultat similaire serait atteint si l’employeur remboursait à l’employé le coût d’achat d’un tel dispositif. Une telle solution présenterait également l’avantage de permettre à l’employé de prendre en temps utile les mesures nécessaires pour corriger sa vue.

22      Enfin, ladite juridiction s’interroge sur le point de savoir si l’obligation de mettre à disposition des employés qui en éprouvent le besoin des dispositifs de correction spéciaux est satisfaite par l’octroi d’une prime salariale versée au titre de l’existence de conditions de travail pénibles.

23      Dans ces conditions, la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’expression “dispositifs de correction spéciaux” figurant à l’article 9 de la directive [90/270] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle ne peut pas inclure les lunettes de vue ?

2)      Par l’expression “dispositifs de correction spéciaux” figurant à l’article 9 de la directive 90/270, doit-on entendre uniquement un dispositif qui est utilisé exclusivement sur le lieu de travail/dans l’exercice des tâches professionnelles ?

3)      L’obligation de fournir un dispositif de correction spécial prévue à l’article 9 de la directive 90/270 vise-t-elle exclusivement l’acquisition du dispositif par l’employeur ou doit-elle être interprétée au sens large, à savoir comme incluant également la modalité du remboursement par l’employeur des dépenses nécessaires exposées par l’employé afin de se procurer ledit dispositif ?

4)      La modalité de couverture de ces dépenses par l’employeur sous forme d’une prime salariale générale versée de manière permanente et intitulée “prime au titre de conditions de travail pénibles” est-elle conforme à l’article 9 de la directive 90/270 ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

24      L’inspection générale conteste la recevabilité des deuxième à quatrième questions, au motif que l’application correcte du droit de l’Union s’imposerait avec une telle évidence qu’elle ne laisserait place à aucun doute raisonnable.

25      À cet égard, il convient de rappeler, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour, qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile auxdites questions (arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria, C‑257/20, EU:C:2022:125, point 41 et jurisprudence citée).

26      En l’occurrence, il y a lieu de souligner, s’agissant de l’allégation tirée de la clarté des dispositions de la directive 90/270 faisant l’objet des deuxième à quatrième questions, qu’il n’est nullement interdit à une juridiction nationale de poser à la Cour des questions préjudicielles dont, selon l’opinion de l’une des parties au principal, la réponse ne laisse place à aucun doute raisonnable. Ainsi, même à supposer que tel soit le cas, la demande préjudicielle comportant de telles questions ne devient pas pour autant irrecevable (arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria, C‑257/20, EU:C:2022:125, point 42 et jurisprudence citée).

27      Partant, les deuxième à quatrième questions sont recevables.

 Sur les première et deuxième questions

28      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270 doit être interprété en ce sens que les « dispositifs de correction spéciaux », au sens de cette disposition, incluent les lunettes de vue et si, par ailleurs, de tels dispositifs se limitent à des dispositifs utilisés exclusivement dans le cadre professionnel.

29      Aux termes de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, les travailleurs doivent recevoir des dispositifs de correction spéciaux en rapport avec le travail concerné, si le résultat de l’examen approprié des yeux et de la vue, visé à l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, ou celui de l’examen ophtalmologique, visé à l’article 9, paragraphe 2, de celle-ci, les rendent nécessaires, et si des dispositifs de correction normaux ne peuvent être utilisés.

30      Il y a lieu de constater que la directive 90/270 ne définit pas les « dispositifs de correction spéciaux », figurant à son article 9, paragraphe 3.

31      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, afin d’interpréter une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 24 février 2022, Airhelp (Retard de vol de réacheminement), C‑451/20, EU:C:2022:123, point 22 et jurisprudence citée].

32      En premier lieu, il importe de souligner que la directive 90/270 a été adoptée, ainsi qu’il ressort de son titre, en tant que cinquième directive particulière, au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391, cette dernière ayant été elle-même adoptée sur le fondement de l’article 118 A du traité CEE (devenu, après modification, article 153 TFUE), visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

33      En deuxième lieu, il ressort de son intitulé et de son article 1er que la directive 90/270 a pour objet de fixer les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives au travail sur des équipements à écran de visualisation. Par ailleurs, conformément à son quatrième considérant, le respect des prescriptions minimales propres à garantir un meilleur niveau de sécurité des postes de travail comportant un écran de visualisation constitue un impératif pour assurer la sécurité et la santé des travailleurs.

34      En troisième et dernier lieu, il y a lieu de relever que l’article 9 de la directive 90/270 concrétise l’objectif de celle-ci en ce qui concerne l’impératif de protection des yeux et de la vue des travailleurs, en particulier le droit de ces derniers à recevoir des dispositifs de correction spéciaux en rapport avec le travail concerné si le résultat de l’examen visé au paragraphe 1 de cet article 9 ou celui de l’examen visé au paragraphe 2 dudit article 9 rendent nécessaires ces dispositifs.

35      À cet égard, il importe de souligner que l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270 opère une distinction entre, d’une part, « les dispositifs de correction normaux » et, d’autre part, les « dispositifs de correction spéciaux en rapport avec le travail concerné », à savoir le travail sur un équipement à écran de visualisation.

36      S’agissant, premièrement, de la notion de « dispositifs de correction », au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, il convient de constater que ce terme a été substitué à celui de « lunettes » figurant à l’article 9, deuxième alinéa, de la proposition de directive du Conseil concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives au travail sur équipement à écran de visualisation (JO 1988, C 113, p. 7). Il découle ainsi des travaux préparatoires de la directive 90/270 que les « dispositifs de correction », au sens de l’article 9, paragraphe 3, de cette directive, doivent être entendus au sens large, en ce sens qu’ils visent non seulement des lunettes, mais également d’autres types de dispositifs susceptibles de corriger ou de prévenir les troubles visuels.

37      S’agissant, deuxièmement, de la notion de « dispositifs de correction normaux », au sens de l’article 9, paragraphe 3, de ladite directive, lesquels renvoient à des dispositifs qui ne permettent pas de corriger les troubles visuels établis par les examens visés aux paragraphes 1 et 2 de cet article 9, il y a lieu de considérer que, ainsi que le relève, en substance, Mme l’avocate générale au point 30 de ses conclusions, ils concernent des dispositifs qui sont portés en dehors du lieu de travail et qui ne sont donc pas nécessairement liés aux conditions de travail. Ainsi, de tels dispositifs ne servent pas à corriger des troubles visuels en rapport avec le travail et peuvent être sans rapport spécifique avec le travail sur des équipements à écran de visualisation.

38      S’agissant, troisièmement, de la notion de « dispositifs de correction spéciaux en rapport avec le travail concerné », au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, il convient de rappeler, d’une part, que les travailleurs doivent recevoir de tels dispositifs de correction spéciaux si des dispositifs de correction normaux ne peuvent être utilisés pour corriger les troubles visuels constatés à la suite des examens prévus aux paragraphes 1 et 2 de cet article. Partant, un dispositif de correction spécial doit nécessairement viser la correction ou la prévention de troubles visuels qu’un dispositif de correction normal ne saurait corriger ou prévenir.

39      D’autre part, le caractère spécial du dispositif de correction présuppose que celui-ci ait un rapport avec le travail sur des équipements à écran de visualisation, en ce qu’il sert à corriger ou à prévenir des troubles visuels spécifiquement liés à un tel travail et constatés à la suite des examens prévus à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de cette directive.

40      À cet égard, il découle certes de l’arrêt du 24 octobre 2002, Commission/Italie (C‑455/00, EU:C:2002:612, point 28), que les « dispositifs de correction spéciaux », prévus à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, concernent la correction de « dommages déjà existants ».

41      Cependant, ainsi que le fait observer, en substance, Mme l’avocate générale au point 37 de ses conclusions, il ne saurait être déduit de l’arrêt cité au point précédent, comme le requérant au principal et la Commission l’ont soutenu en réponse à une question écrite posée par la Cour, que lesdits « dommages » doivent avoir été causés par le travail effectué sur des équipements à écran de visualisation. Si des troubles visuels doivent être constatés lors des examens visés à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 90/270 afin de faire naître un droit à recevoir un dispositif de correction spécial, conformément au paragraphe 3 de cet article, le travail sur écran de visualisation ne doit pas nécessairement être la cause de ces troubles.

42      En effet, il ressort notamment de l’article 9, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/270 que l’examen visé à ce paragraphe peut avoir lieu avant de commencer le travail sur écran de visualisation, ce qui implique que les troubles visuels conduisant à ce qu’un employé ait droit à bénéficier d’un dispositif de correction spécial, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, de cette directive, ne doivent pas nécessairement avoir été causés par le travail sur écran de visualisation.

43      Au vu de ces considérations, il importe de constater, ainsi que le souligne, en substance, Mme l’avocate générale au point 39 de ses conclusions, que l’article 9 de la directive 90/270 ne saurait être interprété en ce sens qu’il exige un lien de causalité entre le travail sur écran de visualisation et la survenance d’éventuels troubles visuels, dès lors que chacun des trois tirets de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive peut aboutir à la fourniture de dispositifs de correction spéciaux au titre de l’article 9, paragraphe 3, de ladite directive.

44      Les dispositifs de correction spéciaux au sens de cette dernière disposition visent ainsi la correction ou la prévention de troubles visuels en rapport avec un travail impliquant un équipement à écran de visualisation.

45      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le requérant au principal a exercé ses fonctions au sein de l’inspection générale sur des équipements à écran de visualisation. Soutenant avoir été exposé, dans le cadre de l’exercice desdites fonctions, à la lumière « visible discontinue », à l’absence de lumière naturelle et à une surcharge neuropsychique, il aurait subi une forte baisse de son acuité visuelle, ce qui a conduit le médecin spécialiste à lui prescrire de changer de lunettes de vue et, plus particulièrement, de verres correcteurs.

46      Or, s’il appartient non pas à la Cour, saisie à titre préjudiciel, mais à la juridiction de renvoi de trancher la question de savoir si les lunettes de vue dont le requérant demande le remboursement devaient être qualifiées de « dispositifs de correction spéciaux », au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, il y a néanmoins lieu de relever, d’une part, que le requérant au principal a bénéficié, en raison de la forte détérioration de sa vue, d’un examen ophtalmologique réalisé par un médecin spécialiste, qui semble correspondre aux examens visés à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 90/270.

47      D’autre part, le fait que ce médecin spécialiste ait recommandé au requérant au principal de changer de lunettes de vue et, plus particulièrement, de verres correcteurs, afin de corriger la forte détérioration de sa vue, semble également indiquer que ses anciens verres correcteurs ne pouvaient plus être utilisés pour exercer des fonctions sur des équipements à écran de visualisation, notamment en raison des troubles de l’acuité visuelle qui avaient été diagnostiqués chez l’intéressé. Il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si les lunettes de vue concernées servent effectivement à corriger des troubles visuels en rapport avec son travail plutôt que des troubles visuels d’ordre général non nécessairement liés aux conditions de travail.

48      Par ailleurs, le fait que les « dispositifs de correction spéciaux », au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, doivent être, en vertu de cette disposition, « en rapport avec le travail concerné » ne saurait signifier qu’ils doivent être utilisés exclusivement sur le lieu de travail ou dans l’exercice de tâches professionnelles, ladite disposition ne prévoyant aucune restriction quant à l’utilisation desdits dispositifs.

49      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270 doit être interprété en ce sens que les « dispositifs de correction spéciaux », prévus à cette disposition, incluent les lunettes de vue visant spécifiquement à corriger et à prévenir des troubles visuels en rapport avec un travail impliquant un équipement à écran de visualisation. Par ailleurs, ces « dispositifs de correction spéciaux » ne se limitent pas à des dispositifs utilisés exclusivement dans le cadre professionnel.

 Sur les troisième et quatrième questions

50      Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient également d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphes 3 et 4, de la directive 90/270 doit être interprété en ce sens que l’obligation de fournir aux travailleurs concernés un dispositif de correction spécial, prévue à cette disposition, pesant sur l’employeur, peut être satisfaite soit par la fourniture directe du dispositif au travailleur, soit par le remboursement des dépenses nécessaires exposées par ce dernier, soit par le versement d’une prime salariale générale au travailleur.

51      Ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, les travailleurs doivent recevoir des dispositifs de correction spéciaux en rapport avec le travail concerné, conformément à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, à condition que les examens visés aux paragraphes 1 et 2 les rendent nécessaires et que des dispositifs de correction normaux ne puissent être utilisés.

52      Il convient ainsi de constater que, si ladite disposition impose à l’employeur une obligation visant à garantir que les travailleurs concernés reçoivent, le cas échéant, un dispositif de correction spécial, la manière dont l’employeur est tenu de satisfaire à ladite obligation ne ressort pas du libellé de l’article 9 de la directive 90/270.

53      Il convient toutefois de relever, d’une part, que la directive 90/270 ne fixe, conformément à son article 1er, paragraphe 1, tel que rappelé au point 33 du présent arrêt, que des prescriptions minimales.

54      D’autre part, un remboursement par l’employeur du coût d’achat d’un dispositif de correction spécial est conforme à l’objectif de la directive 90/270 en ce qu’il garantit un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.

55      Par ailleurs, l’expression « doivent recevoir », figurant à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270, lue à la lumière du paragraphe 4 dudit article, qui dispose que « les mesures prises en application [de cet article 9] ne doivent en aucun cas entraîner des charges financières additionnelles pour les travailleurs », ne s’oppose pas à ce que le droit national prévoie que le travailleur puisse choisir, au lieu d’obtenir directement de son employeur un dispositif de correction spécial, d’en avancer le coût et d’en obtenir ensuite le remboursement par celui-ci.

56      Il s’ensuit que l’objectif de l’article 9, paragraphes 3 et 4, de la directive 90/270, en ce qu’il vise à garantir que les travailleurs reçoivent, sans aucune charge financière, des dispositifs de correction spéciaux en cas de nécessité, peut être atteint soit, directement, par la fourniture d’un tel dispositif au travailleur concerné par l’employeur, soit, indirectement, par le remboursement du coût de ce dispositif par l’employeur.

57      Au vu de ces considérations, il y a également lieu de considérer que l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270 ne s’oppose pas, en principe, à ce que le droit national prévoie que la mise à disposition par l’employeur de dispositifs de correction spéciaux aux travailleurs concernés, exigée par ladite disposition, se fasse au moyen d’une prime permettant au travailleur d’acquérir lui-même un tel dispositif.

58      Cependant, il y a lieu de souligner qu’une telle prime doit nécessairement couvrir les dépenses spécifiquement avancées par le travailleur concerné pour l’acquisition du dispositif de correction spécial, au titre de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270.

59      Par conséquent, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, une prime salariale générale, versée de manière permanente au titre de la pénibilité des conditions de travail, telle que celle en cause au principal, ne paraît pas satisfaire aux obligations imposées à l’employeur par ledit article 9, paragraphe 3, dans la mesure où elle ne semble pas destinée à couvrir les dépenses avancées par le travailleur concerné aux fins d’une telle acquisition.

60      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 9, paragraphes 3 et 4, de la directive 90/270 doit être interprété en ce sens que l’obligation de fournir aux travailleurs concernés un dispositif de correction spécial, prévue à cette disposition, pesant sur l’employeur, peut être satisfaite soit par la fourniture directe dudit dispositif par ce dernier, soit par le remboursement des dépenses nécessaires exposées par le travailleur, mais non pas par le versement d’une prime salariale générale au travailleur.

 Sur les dépens

61      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 9, paragraphe 3, de la directive 90/270/CEE du Conseil, du 29 mai 1990, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives au travail sur des équipements à écran de visualisation (cinquième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE),

doit être interprété en ce sens que :

les « dispositifs de correction spéciaux », prévus à cette disposition, incluent les lunettes de vue visant spécifiquement à corriger et à prévenir des troubles visuels en rapport avec un travail impliquant un équipement à écran de visualisation. Par ailleurs, ces « dispositifs de correction spéciaux » ne se limitent pas à des dispositifs utilisés exclusivement dans le cadre professionnel.

2)      L’article 9, paragraphes 3 et 4, de la directive 90/270

doit être interprété en ce sens que :

l’obligation de fournir aux travailleurs concernés un dispositif de correction spécial, prévue à cette disposition, pesant sur l’employeur, peut être satisfaite soit par la fourniture directe dudit dispositif par ce dernier, soit par le remboursement des dépenses nécessaires exposées par le travailleur, mais non pas par le versement d’une prime salariale générale au travailleur.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.