Language of document : ECLI:EU:T:2000:79

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

16 mars 2000 (1)

«Aides d'État - Construction navale -

Article 4, paragraphe 3, de la directive 90/684/CEE du Conseil - Détermination du plafond des aides à la production»

Dans l'affaire T-72/98,

Astilleros Zamacona SA, établie à Santurce (Espagne), représentée par Mes A. Creus Carreras, avocat au barreau de Barcelone, et B. Uriarte, avocat au barreau de Madrid, cabinet Cuatrecasas, 60, avenue de Cortenberg, Bruxelles (Belgique),

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. P. Nemitz, membre du service juridique, et M. Desantes, fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, en qualité d'agents, assistés de Me M. Muñoz, avocat au barreau de Saragosse, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 98/157/CE de la Commission, du 5 novembre 1997, concernant l'aide que l'Espagne envisage d'accorder à Astilleros Zamacona SA pour la construction de cinq remorqueurs (JO 1998, L 50, p. 38),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. A. Potocki, président, K. Lenaerts, J. Azizi, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 6 octobre 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Aux termes du paragraphe 1 de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE), «sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions».

2.
    Selon l'article 92, paragraphe 3, sous e), du traité, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les «catégories d'aides déterminées par décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission».

3.
    Sur la base de cette disposition et de l'article 113 du traité CE (devenu article 133 CE) a été adoptée la directive 90/684/CEE du Conseil, du 21 décembre 1990, concernant les aides à la construction navale (JO L 380, p. 27, ci-après la «directive»). Ce texte a été modifié à plusieurs reprises, sans que cela affecte, toutefois, les dispositions en cause en l'espèce.

4.
    L'article 4, paragraphe 1, de la directive dispose que «les aides à la production en faveur de la construction et de la transformation navales peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, à condition que le montant total del'aide octroyée pour un contrat ne dépasse pas en équivalent subvention un plafond maximum commun exprimé en pourcentage de la valeur contractuelle avant aide, ci-après dénommé 'plafond‘».

5.
    Selon l'article 4, paragraphe 2, de la directive, le plafond est fixé par la Commission.

6.
    Aux termes de l'article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive, «le plafond de l'aide applicable à un contrat est celui qui est en vigueur à la date de la signature du contrat final. Toutefois, cette règle n'est pas applicable à un navire livré plus de trois ans après la date de la signature du contrat final. Dans ces cas, le plafond applicable à ce contrat est celui qui était en vigueur trois ans avant la date de livraison du navire».

7.
    Toutefois, conformément à l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive, «la Commission peut proroger le délai de trois ans prévu au premier alinéa lorsque cela se justifie en raison de la complexité technique du projet de construction navale concerné ou de retards résultant de perturbations inattendues, substantielles et justifiables affectant le programme de travail d'un chantier».

Faits à l'origine du litige

8.
    Au mois de décembre 1991, Astilleros Zamacona SA, petit chantier naval situé à Bilbao, a signé, avec plusieurs armateurs, seize contrats pour la construction de navires. Dix de ces contrats ne sont jamais entrés en vigueur et un n'est pas litigieux. Les cinq contrats en cause en l'espèce, ayant pour objet la construction de remorqueurs, étaient numérotés 300, 301, 318, 319 et 320.

9.
    À la date de leur signature, le plafond maximal autorisé de l'aide était de 9 %. À compter du 1er janvier 1992, ce plafond a été ramené à 4,5 % (JO 1992, C 10, p. 3).

10.
    Aux termes de l'article 18 de chacun des cinq contrats, ces derniers ne devaient «entrer en vigueur» qu'à une date ultérieure (30 avril 1992 dans un cas, 30 novembre 1992 dans un autre et 30 décembre 1992 pour les trois derniers), sous réserve d'un premier versement de l'armateur et, dans quatre des cinq contrats, d'une confirmation écrite de l'armateur. Cette même disposition indiquait, dans les contrats nos 301, 318, 319 et 320, que le contrat serait nul s'il n'entrait pas en vigueur à la date prévue.

11.
    La date d'«entrée en vigueur» des contrats nos 318 et 319 a été reportée au 31 juillet 1994, soit 19 mois après la date initialement prévue. Celle des trois autres contrats n'a pas été modifiée.

12.
    Tous les contrats ont fait l'objet de modifications entre le 20 décembre 1993 et le 10 mai 1994. Ils sont finalement «entrés en vigueur» entre le 5 mars et le 10 mai 1994. Quelques jours plus tard, ils ont été cédés à d'autres armateurs, à l'exception du contrat n° 318.

13.
    Le 10 février 1995, les autorités espagnoles ont demandé à la Commission de proroger le délai de livraison des remorqueurs prévu à l'article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive.

14.
    Deux des cinq remorqueurs construits par la requérante ont été livrés en juillet 1995, deux autres en octobre 1995 et le dernier en mai 1996.

15.
    Le 20 novembre 1996, la Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue au paragraphe 2 de l'article 93 du traité CE (devenu article 88 CE), en vue d'examiner la demande des autorités espagnoles du 10 février 1995 (JO 1997, C 58, p. 8).

16.
    Les autorités espagnoles ont présenté leurs observations écrites le 24 janvier 1997 et lors de deux réunions avec les services de la Commission et les représentants de la requérante les 1er avril et 28 mai 1997. Par lettre du 12 mai 1997, elles ont complété leurs observations, en réponse aux doutes émis par le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement danois sur la compatibilité de l'aide.

17.
    Par décision 98/157/CE, du 5 novembre 1997, concernant l'aide que l'Espagne envisage d'accorder à Astilleros Zamacona SA pour la construction de cinq remorqueurs (JO 1998, L 50, p. 38, ci-après la «décision»), la Commission a rejeté la demande des autorités espagnoles, au motif que l'aide n'était pas conforme aux dispositions de l'article 4, paragraphe 3, de la directive. Elle a, en conséquence, décidé que le niveau des aides envisagées pour les cinq contrats en cause devait être réduit de manière à garantir que le montant de l'aide ne dépasse pas, pour chaque navire, 4,5 % de la valeur contractuelle avant aide, conformément au plafond applicable pour 1992 et 1993.

18.
    C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 avril 1998, la requérante a introduit le présent recours.

19.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Les parties ont été invitées à répondre par écrit à plusieurs questions et à produire certains documents. Elles ont déféré à ces invitations dans les délais.

20.
    Elles ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 6 octobre 1999.

Conclusions des parties

21.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision;

-    ordonner la production des documents internes de la Commission relatifs à l'adoption de cette décision et à l'ouverture de la procédure ayant conduit à cette adoption;

-    condamner la défenderesse aux dépens.

22.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur la portée du contrôle de légalité effectué par le Tribunal

23.
    Au cours de la procédure devant le Tribunal, la question s'est posée de savoir si, à la date de leur signature, les cinq contrats en cause pouvaient être qualifiés de contrats finaux au sens de l'article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive.

24.
    Toutefois, le Tribunal constate que, dans la décision, la Commission s'est limitée à émettre des «doutes sérieux» quant à la qualification de contrat final (section V, pénultième alinéa, et section VII, premier alinéa). Il ressort ainsi du libellé de la décision et des réponses de la Commission aux questions écrites et orales du Tribunal que la décision n'est pas fondée sur l'absence de contrat final, mais sur la circonstance que les conditions d'application de l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive ne sont pas remplies.

25.
    Dès lors, dans le cadre du contrôle de légalité qu'il lui incombe d'exercer au titre de l'article 173 du traité CE (devenu article 230 CE), il n'appartient pas au Tribunal de procéder lui-même à l'examen de la qualification de «contrat final», au sens de la directive, des cinq contrats litigieux.

26.
    Aux fins du présent arrêt, il convient donc de présumer que les contrats sont des «contrats finaux» et que le plafond d'aide autorisé qui leur était initialement applicable était celui en vigueur à la date de leur signature en décembre 1991.

27.
    Compte tenu de ces remarques préliminaires, il y a lieu d'examiner les moyens soutenant le présent recours tirés, premièrement, de la violation de l'obligation de motivation, deuxièmement, de la violation de l'article 4, paragraphe 3, de ladirective et de l'erreur manifeste d'appréciation des faits et, troisièmement, de la violation du principe de proportionnalité.

Sur le moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation

Arguments de la requérante

28.
    Conformément à l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), les actes juridiques doivent être motivés.

29.
    L'exigence de motivation, en l'espèce, serait d'autant plus importante que la Commission disposait d'un large pouvoir d'appréciation (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 76 et 77, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719).

30.
    En se limitant à affirmer que le simple exposé des faits suffisait à conclure que les conditions justifiant une prorogation du délai de livraison n'étaient pas remplies, la Commission aurait méconnu l'article 190 du traité.

31.
    De même, la volonté de ne pas établir un précédent ne pourrait justifier l'absence de motivation qui vicierait la décision.

32.
    Enfin, s'agissant du premier cas d'application de l'article 4, paragraphe 3, de la directive, la Commission aurait dû indiquer de façon claire et précise, à l'aide d'exemples ou de règles générales, les circonstances dans lesquelles elle estime réunies, ou non, les conditions énoncées dans cette disposition.

Appréciation du Tribunal

33.
    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l'article 190 du traité, qui constitue une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité, doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 63).

34.
    En l'espèce, les motifs de la décision sont divisés en sept sections. La première constitue une introduction générale, rappelant, notamment, l'objet de la procédure. La deuxième décrit le déroulement de la procédure devant la Commission. La troisième contient un résumé des observations soumises par les autorités espagnoles. La quatrième est un sommaire des dispositions pertinentes de la directive. La cinquième examine les faits de l'espèce et est complétée par un tableau récapitulatif. Dans la sixième, la Commission examine si, au regard descirconstances invoquées par les autorités espagnoles, il existe des retards résultant de perturbations inattendues, substantielles et justifiables affectant le programme de travail du chantier naval, au sens de la directive. La septième section constitue la conclusion à laquelle les précédents développements amènent la Commission.

35.
    Ces explications permettent de comprendre tant le cadre factuel de l'affaire que le fondement des conclusions juridiques que la Commission en a tirées aux fins de l'application de l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive. Les mémoires déposés dans la présente affaire montrent, d'ailleurs, que la requérante a parfaitement saisi le raisonnement de la Commission, dont elle conteste chacun des points.

36.
    La décision comporte donc une motivation suffisante au regard de l'article 190 du traité. Le contrôle des éventuelles inexactitudes des motifs de la décision relève, en revanche, de l'examen du bien-fondé de celle-ci (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T-84/96, Rec. p. II-2081, point 47).

37.
    En outre, l'obligation de motivation, telle qu'elle a été rappelée ci-dessus, n'impose pas à la Commission de déterminer, in abstracto, les circonstances dans lesquelles les conditions de l'article 4, paragraphe 3, de la directive seraient réunies.

38.
    En conséquence, le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 4, paragraphe 3, de la directive et de l'erreur manifeste d'appréciation des faits

Arguments de la requérante

39.
    La requérante invoque quatre circonstances auxquelles elle aurait été confrontée et que la Commission aurait dû qualifier de «perturbations inattendues, substantielles et justifiables affectant le programme de travail d'un chantier», au sens de l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive.

Adoption d'une nouvelle loi portuaire

40.
    En décembre 1991, l'annonce de la modification imminente de la très ancienne législation portuaire espagnole aurait fait naître une forte incertitude. La loi nouvelle, adoptée finalement le 24 novembre 1992, relative tant à la marine marchande qu'à la réglementation des ports («ley de puertos y de la marina mercante»), comporterait de nombreuses modifications de la situation préexistante, en particulier en ce qui concerne le régime des services portuaires, notamment le service de remorquage, et en ce qui concerne les sanctions imposées pour infraction à la sécurité maritime.

41.
    Cela aurait conduit à différer l'entrée en vigueur des contrats et à accroître les exigences des contractants en matière de sécurité. Certaines clauses des contrats auraient ainsi été modifiées par des avenants en 1993, 1994 et 1995.

42.
    Ces perturbations apparaîtraient substantielles et justifiables, ce que ne semblerait pas contester la Commission dans sa décision.

43.
    Elles seraient également inattendues au sens de l'article 4, paragraphe 3, de la directive. En effet, par nature, l'adoption d'une loi constituerait un risque imprévisible, en tant que mesure générale imposée par les pouvoirs publics qui interfère dans le domaine des conventions privées. Cela serait d'autant plus vrai que, en l'espèce, à la date de signature des contrats, les objectifs et la portée de la future loi n'auraient pas encore été connus de façon précise. De surcroît, aussi longtemps qu'une loi n'est pas adoptée, de nombreuses modifications pourraient intervenir, surtout lorsque, comme en l'espèce, elle était vivement contestée. Enfin, certaines dispositions auraient été déclarées inconstitutionnelles par le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle espagnole, arrêt 40/1998, du 19 février 1998), ce qui témoignerait de l'incertitude qui pouvait régner chez les armateurs à l'époque de l'adoption de la loi. En réalité, le caractère inattendu, au sens de l'article 4, paragraphe 3, de la directive, tiendrait non pas à l'adoption d'une nouvelle loi, mais à sa portée, à son contenu final et à ses développements ultérieurs, à savoir des dispositions réglementaires prises pour l'application de cette loi.

Dévaluation de la peseta en 1992

44.
    Cette dévaluation aurait augmenté considérablement le prix des pièces achetées sur d'autres marchés nationaux et, en conséquence, les coûts de construction des remorqueurs. D'importantes modifications auraient été apportées aux spécifications techniques contractuelles en vue de pallier ces effets. Dès lors, l'entrée en vigueur des contrats aurait dû être différée, leur exécution retardée et le programme de travail du chantier aurait été substantiellement affecté [voir, par analogie, la décision 96/278/CE de la Commission, du 31 janvier 1996, concernant la recapitalisation de la compagnie Iberia (JO L 104, p. 25)].

45.
    Or, une dévaluation, décision souveraine de l'État, constituerait une perturbation imprévisible, même pour un opérateur diligent et avisé. À cet égard, la requérante rappelle que les dévaluations, dans le cadre du système monétaire européen, étaient un phénomène rare, compte tenu des règles qui régissaient ce mécanisme; en outre, la marge de fluctuation normale n'était à l'époque que de 6 %. Si la requérante pouvait prévoir une fluctuation de cet ordre-là, elle ne pouvait s'attendre, en revanche, à des fluctuations plus importantes.

Travaux dans le port de Bilbao

46.
    Ces travaux auraient été décidés par les autorités portuaires, en vue de la construction d'un nouveau quai d'armement. Alors que la requérante avait reçu l'assurance verbale que ces travaux seraient achevés en avril 1992, ils auraient, en réalité, été effectués de mai 1992 à mai 1993; le nouveau quai d'armement ne serait devenu opérationnel qu'en juin 1994. Ainsi, si l'existence des projets de travaux était avérée, en revanche, leur étendue et leur durée, largement supérieures à ce qui était prévu, auraient été inattendues. De même, l'exécution incorrecte des travaux, dont la requérante se serait plainte auprès des autorités portuaires, aurait été imprévisible.

47.
    Compte tenu de la proximité entre ces travaux et le chantier naval de la requérante et, partant, de l'indisponibilité de nombreuses installations du chantier, l'activité normale de production aurait été affectée, comme la Commission l'aurait reconnu dans la décision. Cela aurait nécessairement eu pour effet de retarder la livraison des remorqueurs. En particulier, à cette époque, la productivité aurait baissé et l'entreprise aurait enregistré une réduction importante des quilles posées, des livraisons et du nombre de contrats entrés en vigueur. De fait, la construction de trois des remorqueurs en cause dans la présente affaire aurait dû être terminée en cale sèche, dans l'atelier de réparation.

Reprise des activités du chantier naval Ardeag par la requérante

48.
    Contrairement aux affirmations de la Commission, la reprise de ces activités n'aurait pas constitué un simple choix commercial de la requérante. En effet, cette dernière aurait été consciente des commandes qu'elle s'était engagée à honorer et du fait qu'un retard dans leur livraison entraînerait la perte de la moitié de l'aide autorisée. En réalité, cette reprise aurait été imposée par le ministère de l'Industrie espagnol dans le cadre du programme de restructuration du secteur naval, comme condition pour bénéficier des programmes d'aide à la reconversion navale. Le 18 mars 1992, le directeur général du ministère de l'Industrie aurait approuvé le programme d'action de la requérante pour la période 1991/1993, qui aurait été modifié après l'absorption d'Ardeag et approuvé le 10 mars 1993; dans l'attente de cette modification, tous les investissements et l'exécution des mesures de restructuration auraient été suspendus, entraînant une paralysie temporaire des activités.

49.
    Cette intervention de l'administration dans le domaine de l'initiative industrielle aurait été incontestablement inattendue.

50.
    En outre, la reprise de la charge de travail d'un autre chantier naval constituerait une perturbation substantielle et justifiable au sens de l'article 4, paragraphe 3, de la directive. La circonstance que la reprise du chantier a été accompagnée de l'octroi d'aides publiques n'affecterait pas cette conclusion. Enfin, la Commissionaurait dû tenir compte du fait que quatre des cinq remorqueurs ont été livrés dans le délai de trois ans, prévu par la directive, auquel aurait été ajoutée une période de dix mois et treize jours, correspondant aux 79 000 heures de travail qui ont été nécessaires pour remplir les obligations d'Ardeag.

51.
    Ces observations faites, la requérante formule également plusieurs griefs généraux à l'encontre de la Commission:

-    tout d'abord, la Commission n'aurait pas procédé à un examen complet des faits. À ce titre, elle ne pourrait se limiter à déplorer l'absence de preuves invoquées par la requérante à l'appui de ses conclusions. Elle aurait, en effet, pu y remédier en recourant aux services d'un expert indépendant qui aurait évalué l'incidence réelle des perturbations invoquées;

-    ensuite, la Commission aurait dû procéder à une appréciation globale des quatre circonstances décrites ci-dessus. Elle aurait alors constaté que les conditions de l'article 4, paragraphe 3, de la directive étaient suffisamment réunies en l'espèce. En effet, chacune de ces conditions serait remplie par au moins une des perturbations invoquées par la requérante;

-    enfin, la Commission aurait dû prendre en compte la situation particulière de l'Espagne dans le secteur de la construction navale.

Appréciation du Tribunal

52.
    Il convient de rappeler, en premier lieu, que la directive fixe, notamment, les conditions dans lesquelles les aides au fonctionnement dans le secteur de la construction navale peuvent, à titre exceptionnel, être considérées comme compatibles avec le marché commun (arrêt de la Cour du 18 mai 1993,Belgique/Commission, C-356/90 et C-180/91, Rec. p. I-2323, points 24 à 32). En outre, l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive instaure lui-même un régime dérogatoire par rapport aux principes énoncés au premier alinéa de cette même disposition. Il permet, en effet, d'échapper au principe de réduction progressive du niveau d'aide lorsque les navires ne sont pas construits dans le délai de trois ans.

53.
    Dès lors, l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive doit faire l'objet d'une interprétation restrictive (arrêt du Tribunal du 1er octobre 1998, Natural van Dam et Danser Container Line/Commission, T-155/97, Rec. p. II-3921, point 31). De surcroît, le libellé même de cette disposition, qui se caractérise par le cumul de conditions, fait apparaître que le législateur a entendu en réserver l'application à des situations très spécifiques.

54.
    En second lieu, l'État membre qui demande à pouvoir octroyer des aides en dérogation aux règles du traité est tenu à un devoir de collaboration envers laCommission dans le cadre de la procédure à laquelle il participe (voir points 13 et 16 ci-dessus). En vertu de ce devoir, il lui incombe, notamment, de fournir tous les éléments de nature à permettre à cette institution de vérifier que les conditions de la dérogation sollicitée sont remplies (arrêt de la Cour du 28 avril 1993, Italie/Commission, C-364/90, Rec. p. 2097, point 20).

55.
    Ainsi, le reproche adressé à la Commission de ne pas avoir eu recours à un expert indépendant pour élaborer la décision est dépourvu de fondement. Au demeurant, aucune disposition du traité ou de la réglementation communautaire n'impose une telle obligation (arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, point 72).

56.
    En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que les actes des institutions communautaires bénéficient d'une présomption de légalité (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 février 1987, Consorzio Cooperative d'Abruzzo/Commission, 15/85, Rec. p. 1005, point 10), qu'il incombe au demandeur en annulation de combattre, en produisant les éléments probatoires susceptibles de mettre en doute les appréciations effectuées par l'institution défenderesse.

57.
    Il convient d'examiner, au vu de ces principes, les griefs formulés par la requérante à l'encontre des appréciations portées par la Commission sur chacune des circonstances invoquées.

58.
    S'agissant de l'adoption d'une nouvelle loi portuaire en Espagne, il y a lieu de considérer que, ainsi que la Commission l'a indiqué dans la décision, il n'a pas été prouvé que cette circonstance ait «occasionné, dans le programme de travail [de la requérante], des perturbations ayant retardé la livraison des navires». En effet, la requérante n'est pas parvenue à établir le lien de causalité qui existerait entre l'adoption d'une nouvelle loi portuaire et le report de l'entrée en vigueur des contrats.

59.
    À cet égard, il convient de souligner tout d'abord qu'aucun des avenants aux contrats ne comporte la moindre référence à cette nouvelle loi ou à ses implications.

60.
    Ensuite, compte tenu de la généralité des arguments exposés dans les mémoires de la requérante, le Tribunal a invité celle-ci à «indiquer précisément en quoi les modifications, notamment techniques, apportées aux contrats initiaux avaient pour objet de se mettre en conformité avec des dispositions de la loi» en cause. En particulier, il lui a été demandé de produire un tableau comportant, d'une part, les modifications apportées aux contrats et, d'autre part, la ou les dispositions de la loi qui justifiaient ces modifications.

61.
    La requérante a produit un tel tableau, d'où il ressort que toutes les modifications techniques apportées aux contrats seraient justifiées par le seul article 74 de la loi.Or, cet article ne contient que l'évocation des objectifs de la loi, dans des termes généraux, ainsi que l'a admis la requérante elle-même. Il y a lieu de considérer qu'une telle disposition ne peut suffire à établir un lien de causalité avec les modifications techniques précises invoquées par la requérante, telles que la réalisation de parois doubles dans les salles des machines, la nouvelle répartition des réservoirs de carburant, l'augmentation de plus de 100 % de la puissance des équipements auxiliaires.

62.
    Au-delà des dispositions de la loi elle-même, la requérante s'est également référée au climat d'incertitude que cette loi avait fait naître, qui aurait justifié le report de la date d'entrée en vigueur des contrats et de la mise en chantier des navires.

63.
    À ce titre, la requérante a tout d'abord produit un grand nombre de coupures de presse, en annexe à sa requête, destiné à établir le caractère houleux des débats relatifs à la proposition de loi. Il apparaît toutefois qu'aucune de ces coupures ne concerne des dispositions de la loi qui seraient de nature à justifier des modifications techniques des contrats. Aucun lien de causalité n'est donc établi avec le report de la date d'entrée en vigueur des contrats.

64.
    La requérante s'est également référée à un arrêt du Tribunal Constitucional relatif à la loi en cause. Il apparaît toutefois qu'aucune des dispositions soumises à cette juridiction n'avait un quelconque rapport avec les spécifications techniques des remorqueurs que la requérante devait construire et avec le programme de travail du chantier.

65.
    Enfin, la requérante a justifié le report de l'entrée en vigueur des contrats par l'adoption d'un cadre réglementaire en vue de l'application de la loi. Les observations de la requérante sont, toutefois, demeurées imprécises, se limitant à faire état d'un développement réglementaire «annoncé» qui «comporterait des exigences concrètes en matière de sécurité des navires», ainsi qu'il résulte des réponses écrites de la requérante aux questions du Tribunal. Au demeurant, en dépit des années écoulées depuis l'adoption de la loi du 24 novembre 1992, la requérante n'a fait état d'aucun texte réglementaire particulier qui aurait justifié les modifications contractuelles intervenues.

66.
    Compte tenu des règles rappelées ci-dessus, relatives à l'interprétation stricte des dispositions dérogatoires et à la charge de la preuve, tant devant la Commission que devant le Tribunal, il y a lieu de conclure qu'il n'est pas établi que l'adoption de la loi portuaire espagnole du 24 novembre 1992 ait justifié le report de l'entrée en vigueur des contrats et donc affecté le programme de travail du chantier.

67.
    S'agissant ensuite de la dévaluation de la peseta, il convient de relever qu'il s'agit de la seule circonstance invoquée par la requérante à laquelle les avenants aux contrats se réfèrent. En effet, le préambule des avenants produits devant le Tribunal indique que «pour la convenance de l'armateur et compte tenu principalement de l'augmentation considérable du prix en pesetas des moteursVoith, il est nécessaire de modifier la spécification et les modalités de paiement du contrat de construction».

68.
    Il ressort toutefois de ces préambules que ce n'est pas la dévaluation en tant que telle qui a entraîné des perturbations affectant le programme de travail du chantier, mais le fait que les contractants ont choisi de renégocier leurs contrats pour compenser les effets de cette dévaluation. Cela est confirmé par la référence à la «convenance de l'armateur» qui figure dans le préambule des avenants.

69.
    Il y a lieu de constater d'ailleurs que, si la dévaluation de la peseta est intervenue en octobre 1992, ce n'est que 14 à 20 mois plus tard qu'ont été conclus les premiers avenants. Dès lors, il n'apparaît pas établi que la dévaluation soit la cause du retard dans l'entrée en vigueur des contrats et ait donc affecté le programme de travail du chantier.

70.
    En outre, une dévaluation ne peut être qualifiée de perturbation inattendue, au sens de l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive. Tant les risques de dépréciation que ceux d'une dévaluation d'une monnaie sont connus dans le commerce. Le fait que, comme l'a souligné la requérante, des dévaluations significatives soient rares compte tenu du système monétaire européen qui était alors en vigueur ne supprime pas ce risque, contre lequel il existe des moyens juridiques et financiers de se prémunir.

71.
    S'agissant des travaux dans le port de Bilbao, la Commission admet, dans la décision, qu'ils ont entraîné une perturbation affectant les activités du chantier. Elle a, en revanche, contesté son caractère inattendu et son ampleur.

72.
    À cet égard, le Tribunal considère que la preuve du caractère substantiel de la perturbation invoquée n'a pas été rapportée.

73.
    En effet, ainsi que la Commission l'a relevé dans sa décision, le niveau de l'activité du chantier naval pendant la période des travaux n'apparaît pas différent de celui de la période antérieure. Ainsi, durant les années 1992 et 1993, qui correspondent plus particulièrement aux années de travaux dans le port, le nombre de quilles posées dans le chantier est resté semblable à celui constaté durant les années 1988 à 1991. De même, le nombre de lancements de navires en 1992 et 1993 y a été identique ou supérieur à celui rencontré de 1988 à 1991. Le même constat peut être fait en ce qui concerne les livraisons de navires.

74.
    S'agissant enfin de la reprise du chantier naval Ardeag, la Commission a considéré, notamment, que la reprise de ce chantier constituait une décision commerciale prise par la requérante et ne pouvait donc bénéficier de la dérogation de l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive.

75.
    Il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas que cette disposition ne peut viser que des perturbations extérieures au chantier naval.

76.
    Elle se borne à soutenir que la reprise du chantier lui a été «imposée» par les autorités espagnoles et constitue donc une circonstance étrangère à sa volonté. Dans sa requête, elle n'a pas précisé cette affirmation mais s'est proposée de l'étayer «pendant la phase d'administration de la preuve». Le Tribunal a invité la requérante à donner suite à cette offre de preuves.

77.
    Dans sa réponse à la question du Tribunal, la requérante a atténué son propos, en se limitant à indiquer que les autorités espagnoles avaient «favorisé» ce rapprochement. Elle s'est fondée sur une phrase extraite d'un courrier des autorités espagnoles à la Commission, du 24 janvier 1997, aux termes de laquelle «l'acquisition d'Ardeag [intervenait] dans un contexte de forte reconversion du secteur et [était] directement favorisée par l'administration espagnole elle-même; il ne pouvait d'ailleurs en être autrement, dans le cadre de la politique communautaire conduisant à la réduction et à la concentration des capacités de production».

78.
    Cette simple citation ne saurait suffire à établir que la décision de reprise du chantier Ardeag n'est pas le résultat d'une décision commerciale librement adoptée par la requérante en tenant compte de l'ensemble des circonstances, et en particulier de l'aide à l'investissement de plus de 500 millions de ESP dont elle a bénéficié à cette occasion. Il n'a donc pas été démontré que la reprise du chantier serait le résultat de pressions telles de la part des autorités espagnoles qu'elle aurait présenté un caractère extérieur à la requérante.

79.
    Dès lors, la reprise du chantier Ardeag ne saurait être regardée comme une perturbation permettant de bénéficier de la dérogation de l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive. Cette conclusion est d'ailleurs conforme aux observations des autorités espagnoles lors de la procédure administrative. Celles-ci avaient en effet reconnu que la reprise du chantier Ardeag ne justifiait pas en soi le retard de livraison des cinq remorqueurs [point III, sous c), deuxième alinéa, des considérants de la décision].

80.
    La requérante n'a donc pas établi que la Commission aurait commis une erreur de droit ou de fait, en concluant qu'aucune des circonstances invoquées ne relevait de l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive.

81.
    La requérante a néanmoins soutenu que les circonstances invoquées par elle devraient être appréciées de façon globale. Ainsi, une perturbation pourrait ne remplir que certaines des conditions énoncées à l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive, dès lors qu'une seconde perturbation remplirait les autres critères.

82.
    Cette thèse ne saurait être retenue. Tout d'abord, le libellé de la disposition en cause fait apparaître que les conditions qui y sont énumérées sont cumulatives. En outre, l'argumentation de la requérante irait directement à l'encontre du principe d'interprétation stricte des règles dérogatoires, en donnant à la disposition en cause un champ d'application manifestement plus large que celui recherché par le législateur.

83.
    Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté dans son ensemble.

Sur le moyen subsidiaire, tiré de la violation du principe de proportionnalité

Arguments de la requérante

84.
    La requérante rappelle que le principe de proportionnalité constitue un des principes généraux du droit communautaire. Le respect de ce principe s'imposerait d'autant plus lorsque des intérêts économiques importants sont en jeu, comme c'est le cas en l'espèce, la réduction du montant de l'aide représentant près de 135 millions de ESP.

85.
    En l'occurrence, il s'agirait de déterminer si l'application, par la Commission, de l'obligation imposée par la directive pour pouvoir bénéficier, en l'espèce, d'une aide de 9 %, à savoir livrer les remorqueurs dans un délai de trois ans qui n'est, en principe, pas susceptible de prorogation, est proportionnée à la conséquence qui découle de la méconnaissance de cette condition, c'est-à-dire la réduction du niveau de l'aide à la moitié du pourcentage initialement autorisé (soit 4,5 %).

86.
    Eu égard aux lourdes conséquences de la décision sur la situation de la requérante et au fait que, dans le secteur de la construction navale, les retards de construction seraient habituels, la réduction du plafond d'aide serait disproportionnée par rapport à un retard de sept à quatorze mois. Cela serait d'autant plus vrai que, dans la décision, la Commission semble admettre comme raisonnable un délai de dix mois.

Appréciation du Tribunal

87.
    En vertu de l'article 4, paragraphe 3, de la directive, lorsqu'un navire est livré plus de trois ans après la date de signature du contrat final, le plafond applicable est celui qui était en vigueur trois ans avant la date de livraison du navire, et non celui en vigueur à la date de signature du contrat. En l'espèce, le plafond applicable était donc de 4,5 % et non de 9 %.

88.
    Selon la requérante, le dépassement du délai de trois ans prévu pour la livraison des navires à compter de la signature des contrats finaux ne devrait pas conduire à une réduction aussi significative du plafond de l'aide.

89.
    Selon une jurisprudence constante, afin d'établir si une disposition du droit communautaire est conforme au principe de proportionnalité, il y a lieu d'examiner si les moyens qu'elle met en oeuvre pour réaliser l'objectif qu'elle vise s'accordent avec l'importance de celui-ci et s'ils sont nécessaires pour l'atteindre (arrêts de la Cour du 2 mai 1990, Hopermann, C-357/88, Rec. p. I-1669, point 14, du 27 juin 1990, Lingenfelser, C-118/89, Rec. p. I-2637, point 12, du 12 juillet 1990, Philipp Brothers, C-155/89, Rec. p. I-3265, point 34, et du 21 janvier 1992, Pressler, C-319/90, Rec. p. I-203, point 12). Il résulte d'ailleurs de ces arrêts que l'instauration d'un délai impératif entraînant la déchéance pure et simple d'un droit peut être considérée comme n'enfreignant pas le principe de proportionnalité, compte tenu de la finalité de la disposition en cause.

90.
    Ainsi qu'il ressort de l'économie générale de la directive et de ses considérants, les objectifs poursuivis par le législateur étaient de permettre la transformation de l'industrie de la construction navale en une industrie «efficace et compétitive». Dans ce contexte, les aides à la restructuration de l'industrie navale, en particulier celles destinées à favoriser la fermeture de chantiers ou la recherche et le développement, étaient privilégiées, en vue de «stimuler la restructuration de nombreux chantiers» et d'«encourager la tendance actuelle à produire des navires d'une technologie plus avancée», par rapport aux aides au fonctionnement, soumises à des plafonds. Compte tenu du fait que les aides au fonctionnement ne constituent pas le moyen le plus efficace d'encourager le secteur européen de la construction navale à améliorer sa compétitivité, la directive prévoit que le plafond sera revu périodiquement, «avec l'objectif d'une réduction progressive».

91.
    En prévoyant l'application d'un plafond différent selon que le navire est, ou non, livré dans le délai de trois ans à compter de la signature du contrat final, l'article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive a pour objectif d'empêcher les chantiers navals de se soustraire à l'effet de la réduction progressive du plafond de l'aide applicable. À défaut, un chantier pourrait continuer à bénéficier d'un plafond d'aide élevé pour des navires livrés plusieurs années après leur commande, alors que rien ne justifierait cette livraison tardive. De même, un chantier serait en mesure d'accepter des commandes bénéficiant d'un niveau d'aide élevé en fin d'année civile, juste avant l'application d'une réduction du plafond, tout en sachant que les navires ne pourront pas être achevés dans un délai raisonnable (point IV, premier alinéa, des considérants de la décision).

92.
    En l'espèce, tout d'abord, il n'est ni allégué ni établi que le délai de trois ans prévu pour la livraison des navires serait anormalement bref. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, aux termes des contrats litigieux, la durée de construction des remorqueurs était de quatorze mois.

93.
    Par ailleurs, la requérante n'a invoqué aucun élément particulier de nature à laisser penser que la réduction du plafond de 9 à 4,5 % serait excessive, compte tenu des objectifs de la directive en matière d'aide à la construction navale. Il convient, d'ailleurs, de relever que le délai de livraison de trois ans a été substantiellementdépassé en l'espèce. En effet, des retards de sept à plus de quinze mois, selon le cas, ne peuvent être regardés comme des retards mineurs pour lesquels la réduction de moitié du plafond d'aide serait disproportionnée. À ce titre, il convient de souligner que, contrairement à l'argument présenté par la requérante, rien au point VI, dernier alinéa, des considérants de la décision ne permet de conclure qu'un dépassement de dix mois aurait été regardé comme «raisonnable» par la Commission.

94.
    Dans ces conditions, la requérante n'a nullement démontré que l'application d'un plafond différent, en l'occurrence inférieur de moitié, selon que les navires sont, ou non, livrés dans un délai de trois ans à compter de la signature du contrat final, contreviendrait au principe de proportionnalité.

95.
    Dès lors, ce moyen doit être également rejeté.

96.
    La demande en annulation de la décision doit donc être rejetée dans son ensemble.

Sur la demande de production de pièces

97.
    La requérante demande au Tribunal d'ordonner la production des documents internes de la Commission relatifs à l'adoption de la décision et à l'ouverture de la procédure ayant conduit à cette adoption.

98.
    Le Tribunal constate que la requérante ne précise pas en quoi les documents dont elle demande la production seraient nécessaires aux fins du présent litige.

99.
    Il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à la demande.

Sur les dépens

100.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En l'espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Potocki
Lenaerts
Azizi

Pirrung Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 mars 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Potocki


1: Langue de procédure: l'espagnol.