Language of document : ECLI:EU:T:2023:806

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

15 décembre 2023 (*)

« Référé – Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Contrats d’acquisition de vaccins contre la COVID-19 – Refus d’accès – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑1071/23 R,

Shopper Union France, établie à Paris (France),

Xavier Azalbert, demeurant à Garches (France),

représentés par Me D. Protat, avocate,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. M. Burón‑Pérez, S. Ciubotaru et Mme F. van Schaik, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, les requérants, Shopper Union France et M. Xavier Azalbert, sollicitent qu’il soit ordonné à la Commission européenne, à titre de mesures provisoires, de publier sur son site Internet les versions non expurgées de l’ensemble des contrats d’acquisition de vaccins contre la COVID‑19 conclus entre elle et trois sociétés pharmaceutiques, c’est‑à‑dire dans leur version intégrale sans aucun caviardage, sous astreinte de 100 000 euros par jour de retard à compter de la signification aux parties de la décision à intervenir.

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        La société Shopper Union France est une filiale à 100 % du groupe France‑Soir. M. Azalbert est le directeur de publication du journal France‑Soir.

3        Le journal France‑Soir est titulaire en France d’un certificat d’information politique et générale (IPG).

4        Le 12 septembre 2023, M. Azalbert a demandé, en qualité de directeur de publication du journal France‑Soir, au secrétariat général de la Commission l’accès, sur le fondement du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), à l’ensemble des contrats d’acquisition de vaccins contre la COVID‑19 conclus entre la Commission et trois sociétés pharmaceutiques non caviardés.

5        Le 2 octobre 2023, la Commission a informé M. Azalbert que l’accès à certaines parties des documents en cause ne pouvait pas être accordé en vertu des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous b), et à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

6        Le 16 octobre 2023, la représentante des requérants a adressé au secrétariat général de la Commission une demande confirmative d’accès aux documents en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, dans laquelle elle invite la Commission à réexaminer sa position initiale.

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 novembre 2023, les requérants ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision implicite de la Commission refusant de leur accorder l’accès à certains documents et notamment à l’ensemble des contrats d’acquisition de vaccins contre la COVID‑19 conclus entre elle et trois sociétés pharmaceutiques non caviardés.

8        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle ils concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’ordonner à la Commission, à titre de mesures provisoires, de publier sur son site Internet les versions non expurgées de l’ensemble des contrats d’acquisition de vaccins contre la COVID‑19 conclus entre elle et trois sociétés pharmaceutiques, c’est‑à‑dire dans leur version intégrale sans aucun caviardage, sous astreinte de 100 000 euros par jour de retard à compter de la signification aux parties de la décision à intervenir.

9        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 24 novembre 2023, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de mesures provisoires ;

–        condamner les requérants aux dépens.

  En droit

 Considérations générales

10      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

11      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

12      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

13      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

14      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

15      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur les conditions relatives à l’urgence et à la mise en balance des intérêts

16      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

17      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si les requérants parviennent à démontrer l’urgence.

18      En l’espèce, les requérants soulignent qu’il est urgent qu’il soit ordonné à la Commission de publier les versions non expurgées des contrats d’acquisition de vaccins afin de rétablir la crédibilité du journal France‑Soir qui fait l’objet d’attaques anormales et incessantes du gouvernement français ainsi que de ses concurrents qui l’accusent de propager de fausses informations.

19      Selon les requérants, cette publication est de nature à faire cesser le grave préjudice d’image causé à France‑Soir et à rétablir son honneur. Cela permettrait également que de nouveaux lecteurs potentiels de France‑Soir ne soient pas dissuadés de lire ses articles et de regarder ses émissions du fait de la réputation de journal ou média mensonger et de désinformation que ses concurrents et l’État français lui font.

20      La Commission conteste les arguments des requérants.

21      À cet égard, s’agissant du préjudice résultant de l’atteinte à la réputation, à la crédibilité, à l’image et à l’honneur de France‑Soir, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, dans la mesure où il s’agit d’un préjudice d’ordre non patrimonial, le juge des référés se doit de procéder à une pondération des intérêts des requérants, aux fins d’établir s’il y a lieu d’adopter les mesures provisoires requises.

22      Dans ce cadre, en l’espèce, il convient de relever que le préjudice allégué par les requérants résultant de l’atteinte à la réputation, à la crédibilité, à l’image et à l’honneur de France‑Soir, à le supposer établi, se serait déjà, pour l’essentiel, concrétisé.

23      Or, la finalité d’une procédure de référé ne consiste pas à assurer la réparation d’un préjudice qui s’est déjà réalisé, un tel préjudice ne pouvant plus être évité par l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

24      En outre, il convient de relever que, afin de prouver qu’ils encourent un préjudice grave et irréparable, les requérants sont tenus de démontrer au juge des référés qu’il n’existe aucune autre solution que l’adoption, à titre exceptionnel, de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2011, 1. garantovaná/Commission, T‑392/09 R, non publiée, EU:T:2011:63, point 39).

25      Or, les requérants n’ont pas fourni des indications concrètes démontrant les conséquences précises qui résulteraient, selon toute probabilité, de l’absence des mesures provisoires demandées. Au contraire, leur demande en référé est fondée sur de simples assertions.

26      Même à supposer que les requérants auraient démontré l’urgence, il convient de conclure que la balance des intérêts penche en faveur de la Commission.

27      À cet égard, il y a lieu de constater que l’éventuelle publication sur le site Internet de la Commission des versions non expurgées de l’ensemble des contrats d’acquisition de vaccins contre la COVID 19 conclus entre elle et les sociétés pharmaceutiques en cause impliquerait une diffusion générale de ces versions non expurgées.

28      Or, il y a lieu de relever que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, France/Commission, T‑344/15 R, EU:T:2015:583, point 47 et jurisprudence citée).

29      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision implicite de la Commission refusant d’accorder aux requérants l’accès à certains documents et notamment à l’ensemble des contrats d’acquisition de vaccins contre la COVID‑19 conclus entre elle et les sociétés pharmaceutiques en cause non caviardés doit être annulée. À cet égard, il est évident que, pour conserver l’effet utile d’un arrêt rejetant le recours au principal, il est indispensable d’éviter une divulgation prématurée desdits documents. Or, un arrêt rejetant le recours au principal serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était accueillie, ce qui aurait pour conséquence de permettre la divulgation immédiate des documents litigieux et donc de facto de préjuger du sens de la future décision au fond.

30      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée à défaut, pour les requérants, d’établir que la condition relative à l’urgence est remplie, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité ou d’examiner le fumus boni juris.

31      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 15 décembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français